Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Chapouthier Fernand. La prétendue initiation de Pythagore à Délos. In: Revue des Études Grecques, tome 48, fascicule 226-
227, Juillet-septembre 1935. pp. 414-423;
doi : https://doi.org/10.3406/reg.1935.7213
https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1935_num_48_226_7213
(1) Louis Méridier avait bien voulu s'intéresser et participer à cette recherche
(cf. p. 423, n. 1) ; je tiens à donner une pensée à sa mémoire, au moment où je
.remets l'article à la revue qu'il dirigea si longtemps.
(2) Lobeck, Aglaophamus, p. 1250, cite le texte sans commentaire ; il l'analyse,
p. 248, mais du seul point de vue des rapports entre le Pythagorisme et l'Or-
phisme, sans discuter la présence de Délos ; Bloch, Lexikon de Roscher, s. v.
Theoi Megaloi, y voit une allusion à des mystères déliens; même conclusion
dans Kern, Real-Encyclopadie, s. v. Kabeiros, p. 1411 : « Mysterien auf Delos
erwahnt Iamblich ». L'index de l'éd. Didot de Diog. Laert. donne, au mot Delus,
l'indication: Deli mysteria, Iambi. 151.
(3; Pythagore aurait fait un premier voyage à Délos, dans son enfance, et il
aurait été prêtre d'Apollon Génètôr, cf. le doublet Iambl. 25 et 35; il y serait
revenu pour assister, à sa mort, son maître Phérécyde, Iambl. 184 et 252 = Diog·
Laert., VIII, 40.
(4) Nauck, éd. du De Vita Pythagorica, index, s. v. Delum adiit Pythagoras ;
Kern, RE, s. v. Kabeiros, p. 1410 : « die Nachricht bei Iamblichus dass sich
Pythagoras auch in Imbros, Samothrake und Delos aufgehalten habe um Weisheit
zu schôpfen » ; Lebègue, Recherches sur Délos, p. 279 : « Pythagore vint rendre
hommage à la sainteté du lieu, s'initier aux mystères de Délos » ; cf. Vallois, BÇH,
1931, p. 363.
LA PRÉTENDUE ΐΝΓΓΙΑΤΙΟίΜ DE PYTHAGORE A DÊLOS 4i5
littéraire de ce culte délien, il convient d'examiner de près la
qualité de l'argument.
.(1) Ce passage forme un tout continu qui comprend les § 151-156 inclus (éd.
Nauck, p. 110-114).
(2) Rohde, Die Quellen des lamblichus in seiner Biographie des Pythagoras,
Rhein. Mus., 1872, p. 46 (= Kleine Schriften, II).
(3) Sur les limites de la vie et de l'activité de Jamblique, cf. Bidez, REG, 1919,
p. 32 ; Lévy, Sources de la légende de Pythagore^ p. 88. Christ, Litleraturges-
chichte6, II, p. 1052, a proposé des dates un peu différentes. L'opuscule faisait
partie d'un vaste ouvrage sur la doctrine pythagoricienne, Christ, ibid β, ρ. 1053.
(4) Lévy, Sources de la légende de Pythagore, p. 102 sqq.
(5) Iamblichi, De vita pythagorica liber, ad fidem codicis florentini recensuit
Nauck (1884), p. 11O-1H..
4l6 FEttNAND CHAPOUTHlER.
ριένης, εν "Ιμβρφ τε καΐ Σαρ,οθρφκτρ και Δήλψ, και ει τι παρά τοις
κοινοΐς, καΐ περί τους Κελτους δε καΐ τήν Ίβηρίαν. On ajoute qu'il
(Pythagore) rassembla en un corps de doctrines la philosophie et
le service divins, ayant appris tel détail des Orphiques, tel autre
des prêtres Égyptiens, tel autre des Chaldéens et des Mages, tel
autre de la cérémonie mystique qui se célèbre à Eleusis, à
Imbros, à Samothrace et à Délos, et de celles qui ont lieu aussi
chez les {?), s1 adressant même au pays des Celtes et à Tlbérie.
On voit clairement le mouvement de la phrase ; avec
l'excellente correction de ει' τι pour αεί τι, qui remonte à Scaliger (1),
la proposition se déroule avec logique : elle énumère l'une
après l'autre les sources où le réformateur vint puiser. Dans
cette liste de prêtres, de lieux et de peuples, deux termes seuls
choquent et veulent être améliorés : l'un, κοινοϊς, est
inintelligible ; l'autre, Δήλφ, me paraît inadmissible.
(1) Je n'ai pas réussi à faire la lumière sur ce commentateur cité par Nauck.
(2) Mentionné par Nauck dans les Addenda, p. lxxiv.
(3) Le Τουσ initial du mot s'engloutit dans le τοις de l'article (haplographie) ;
κανοις se corrompt aisément en κοινοις.
(4) Clém. Alex., Protr., II, 4 : αύτώ γαρ δη τούτω τώ άδελφοκτόνω (les Kabires)...
εις Τυρρηνίαν κατήγαγον ... κάνταΰθα διατριβέτην, ... την πολυτίμητον ευσέβειας
διδασκαλίαν ..'. θρησκεύειν παραθεμένω Τυρρηνοΐς. Cf. encore Denys d'Halicar-
nasse, I, 23.
(5) Plat., Leg., V, 738 c : πείσαντες δέ θυσίας τελεταΐς συμμίκτους κατεστήσαντο
εΐ'τε αύτόθεν έπιχωρίους εΐτ' ουν Τυρρηνικας εΐ'τε Κύπριας (cité par Rohde à l'appui de
sa correction).
(6) Noté déjà par Nauck, p. lxxiv ; je ne suis même pas sûr qu'il ne faille pas
entendre parfois (au moins dans le texte de Denys d'Haï.) par Tyrrhenes, non
point les peuplades de l'Italie, mais les habitants préhistoriques de Lemnos,
cf. Fredrich, 1G, XII, 8, p. 2.
(7) Cf. § 152 : iv δέτοΐς Λλτίνοις άναγιγνώσκεσθαι τοϋ Πυθαγόρου τον ιερόν λόγον.
il 8 fEÎlNAflD CHAÊOUTHIEB.
(1) C'est l'opposition, familière aux auteurs anciens, entre les λεγόμενα et les
δρώμενα.
(2) Strabo, X, 3, 16 : τούτοις δ' έ'οικε και τα παρά τοΐς θραξί τά τε Κοτύτια και τά
Βενδίδεια ; Χ, 3, 18 : ταύτα γαρ έβτι Σαβάζια και Μητρώα.
(3) Plut., Alex., 2 : πασαι μεν αϊ τηδε (Macédoine) γυναίκες ένοχοι τοις Όρφικοϊς
ουσαι και τοις περί τόν Διόνυσον όργιασμοϊς έκ τοϋ πάνυ παλαιού, Κλύδωνες τε και
Μιμαλ7*όνες επωνυμίαν Ι'χουσαι, πολλά ταϊς Ήδωνίσι και ταΐς περί τον ΑΙμον Θρ-ι^τσαις
δμοια. Les rites des mystères thraces demeurent très énigmatiques ; nous avons
sur eux quelque aperçu dans les Pères de l'Eglise : Clém. Alex., Protr., 14 P, a
rapporté notamment celui du serpent qu'on passe dans son sein : ό δια κόλπου
θεός, cf. Farnell, Cults of Greek Stales, V, p. 89. C'est du pays des Kikones que
Ton fait venir Orphée, cf. Strabon, Vil, p. 330, 18; Argon. Orph., v. 78 ;
Diod., V, 77, 3; [W. K. C. Guthrie, Orpheus (1935), pp. 26, 62].
(4) Diod., V, 77, 3; certains manuscrits, dont un des meilleurs, le Vaticanus,
omettent les mots : Σαμοθράκη και την εν; on s explique aisément la faute ; elle
s'est glissée de même dans la traduction de Miss Harrison, Themis, p. 44. Wesse-
ling, dans son éd. de Diodore, voit également une allusion aux mystères des
Cicones dans un vers du Ciris, où il lit (v. 165) : velut gelidis Ciconum Bistonis
in oris ; le texte des manuscrits est altéré; les dernières éditions donnent :
gelidis Edonum ; il n'en reste pas moins qu'il y a une allusion certaine aux
mystères de Thrace et qu'à eux font immédiatement suite ceux de Cybèle
(v. 166).
LA PRÉTENDUE INITIATION DE PYTHAGORE A DÊLOS 419
(1) Cf. Gardthausen, Griech. Pal.*, taf. V et VI : κυ etr.v sur des manuscrits
du xe siècle. La forme du κ, devenue plus rare au xme s., n'aura pas été comprise,
cf. Gardthausen, op. laud., p, 234.
(2) Cf. plus haut, p. 416, n. 1 et 3.
(3) Je présente l'étude et la reconstitution de ce sanctuaire dans Explor. arch,
de Délos, XVI, Le sanctuaire des Dieux de Samothrace.
REG, XLVIII, i!)35, n» 226-227. 28
420 FERNAND CHAPOUTHIER
vient corroborera merveille le témoignage des ruines.· Y
substituer un terme plus banal, ce serait perdre le bénéfice de
l'exceptionnel, renoncer, à cette convergence des monuments
littéraires et figurés ; ne portons pas les mains sur une leçon
plus difficile.
Ce raisonnement ne tient pas après analyse : insérer Délos
à côté de Samothrace et d'Imbros, ce n'est point seulement y
reconnaître l'existence d'une chapelle aux Kabires, c'est
admettre que cette chapelle avait, à l'époque romaine, une
importance telle qu'elle pût entrer en parallèle avec les grands
sanctuaires de la mer de Thrace ; or, à cette affirmation, toutes
les évidences littéraires et archéologiques sont contraires (1) ;
le modeste enclos de l'Inopos fut une simple succursale sans
grand renom et n'avait aucun titre à être mis au rang des
pèlerinages panhelléniques ; penser qu'il put s'offrir à l'esprit de
celui qui composa le voyage légendaire de Pythagore et faire
partie de ces grands lieux mystiques où le maître s'initia, c'est
contrevenir aux vraisemblances de l'histoire religieuse. — On
ajoutera que l'expression de « τελετή délienne » est vide de
sens : trop vague, elle ne désigne rien. On conçoit bien que le
seul nom de ιερόν το έν Δήλφ (2) ait suffi à caractériser la
demeure du dieu rayonnant qui fixa dans sa gloire l'île
vagabonde ; mais l'éclat du culte principal rejeta indistinctement
les cultes à initiation dans la pénombre. « Mystères de Délos »,
cette expression ne désigne-t-elle pas aussi les cérémonies des
dévots égyptiens au flanc du Gynthe (3) ? ne s'applique-t-elle
pas aux actions des thérapeutes d'Atargatis qui défilaient en
(1) Les autres épisodes apolliniens insérés dans la légende montrent bien que
le titre de gloire de l'île, c'est le sanctuaire d'Apollon. Qu'on ait imaginé
Pythagore servant de l'autel άμαίμακτος, qu'on ait composé sa naissance sur le
modèle de celle du fils de Lèto (cf. Lévy, La légende de Pythagore, p. 14), c'est
très naturei; cela confirme la popularité et l'éclat du sanctuaire apollinien;
mais vouloir par là justifier l'exaltation d'une petite chapelle, c'est fournir un
argument contre sa propre thèse.
(2) De nombreux exemples dans les inscriptions de Délos, cf. notamment IG,
XI 4, 514, 568, 585, 590, etc..
(3j Sur lesquelles nous sommes d'ailleurs fort mal renseignés, cf. Roussel,
Cultes égyptiens, p. 284 sqq.
LA PRÉTENDUE INITIATION DE PYTHAGORE A DÉLÛS 421
(1) Plin., Hist, nat., XXXVI, 19 : Lemnius similis est, columnis lanturn cenlum
quïnquagenta memorabilior fuit. Fredrich a bien montré que nous avons
affaire à une salle du genre du téleslérion d'Eleusis, Ath. Mit., 190f;, p. 77 ;
Kern, Die Religion der Griechen, 1, p. 143. La transformation du chiffre, dans
ma citation, est de Flaubert, Salammbô, éd. Conard. p. 236 : « il avait vu
tourner les cinq cents colonnes du labyrinthe de Lemnos. »
(2) Hésych., s. ν. 'Αωοι θεοί, οί έ"κ Δρόμου μετακομισθέντες εις Σαμοθρφκην ή
Αήμνον.
(3) Strabon, Χ, 4, 21 : μάλιστα μέν οίϋν έν "Ιμβρω και Λήμνφ τους Κάβειρους
τιμασθαι συμβέβηκεν; on ne peut démêler sûrement si Strabon présente l'opinion
de Phérécyde, comme dans le paragraphe précédent, révient à celle de Démé-
trios, ou exprime la sienne propre; je penche plutôt pour la seconde solution,,
comme Kern, RE, s. v. Kabeiros, p. 1421.
(4) Samothrakiastes à Lesbos : IG, XII, 1, 506; à Symé, IG, XII, 3, 6; à
Rhodes, IG, XII, 1, 43. Lemniastes, à Rhodes, ibid. ; cf. Hiller von Gârtringen,
Die samothrakischen Gotter in Rhodos und Karpathos, Ath. Mit., 1893, p. 38S sqq.
(5) IG, XII, 8, 186 a et b.
(6) IG, XII, 1, 701 : ά-ποσταλέντος ίεροποιοΰ εις [Σαμοθράικαν (?) και ε]!ς Λήμνον ;
la conjecture est de Rubensohn, Mysterienheiligtumer, p. 235.
(7) Cic, De Nat. Deor., 1, 42, 119 (éd. Plasberg, p. 256); les vers sont
empruntés au Philoctète du poète tragique Accius.
LA PRÉTENDUE INITIATION DE PYTHAGORE A DÉLOS 423
γ) Le m nos
και ει τι ** παρά "τοις Κίκο-
,
II. Les Celtes et les Ibères. και περί τους Κέλτους οέ και
τήν Ίβηρίαν.
**** Δήλω
παρά codd.
τοις κοινοΐς
| ** και άεί
F, τιitêpt
codd.τοΓ;|
κοινής Ρ
Rien ne me paraît plus y choquer la logique ; mais, ainsi
améliorée, l'intérêt pour l'historien des Kabires en a beaucoup
décru ; loin de nous indiquer un nouveau lieu de culte, elle ne
fait plus qu'attester, au milieu de beaucoup d'autres, la vogue
que connurent les mystères des trois îles thraces aux derniers
temps du paganisme.
Fernand Ghapouthier.
Bordeaux, novembre 1934.
(ljLes manuscrits ne portent aucune trace d'hésitation, aucune glose; pour
l'écriture du Laurentianus, cf. les reproductions phototypiques à la fin de
l'édition de Nauck. Je dois à la bienveillance de Louis Méridier une copie très
fidèle des lignes correspondantes du Parisinus ; le λ y a une forme onciale,
mais dans la minuscule cursive le λ, le [x et le γ ont des formes très voisines.