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GBPress- Gregorian Biblical Press

TRADITIONS TARGUMIQUES DANS LE CORPUS PAULINIEN?


Author(s): R. Le Déaut
Source: Biblica, Vol. 42, No. 1 (1961), pp. 28-48
Published by: GBPress- Gregorian Biblical Press
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/42637820 .
Accessed: 10/06/2014 13:30

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TRADITIONS TARGUMIQUES
DANS LE CORPUS PAULINEEN ?

(Hebr 11,4 et 12,24; Gal 4,29-30; II Cor 3,16)

Que les auteurs du N.T. - et notammentS. Paul - aient utilisé


les traditionsde leur peuple, cela est un fait depuis longtempsmis
en lumière. Il suffitde mentionnerles ouvragesclassiques de Strack-
Biixerbeck, de J. Bonsirven et, plus récemment,ceux de W. D.
Davies (Paul and RabbinicJudaism, Londres, 1948) et de D. Daube
( The New Testamentand Rabbinic Judaism, Londres, 1955). Mais
ces ouvrages, en général, ont peu utilisé les données aggadiques
conservées dans les Targums: ceux-ci, en effet,ayant rassembléun
matériel disparate, d'une date incertaine,il semblait imprudentde
s'appuyer sur leurs traditionspour éclairer les textes néotestamen-
taires notablementplus anciens, pensait-on... Cependant on avait
déjà signalé un certain nombrede textes pauliniens qui paraissaient
reposersur une version ancienne de la Bible, remontantà un texte
hébreu différent de celui des Massorètes,et qui, précisément,s'expli-
quaient par des leçons conservéesdans le Targum (*).
Les recherches de P. Kahle sur le Targum palestinien(2), la
découverte,en 1956, du Targum complet du Pentateuque dans la

H On en trouverades exemplesdans S. Lyonnet, S. Paul et l'éxé-


gèse juive de son [temps,dans les |MélangesA. Robert,pp. 494-506.A.
WlKGREN, The Targumsand theN. T., Jour,of Rei 24. (1944)pp. 89-95.
Pour le livredes Actes,cf. M. Wilcox, The O. T. in ActsI-XV , Austr.
Bibl. Review,V (Nos 1-2) pp. 3-41, et N. A. Dahi,, N. T. St. 4 (1958)
pp. 319-327.
(2) P. Kahi,E, Masoretendes Westens,II, Stuttgart,1930. (Cf. A.
Marmorstein, ZAW 49 (1931) pp. 231-242); The Cairo Geniza, sec.
édit.,Oxford,1959. On consulteraaussi M. Bi,ack,An AramaicApproach
to theGospelsand Acts,sec. édit., Oxford,1954. P. Winter, ZNW 46
(1955) pp. 145-179.G. Vermes, N. T. St. 4 (1958) pp. 308-319.Sans

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 29

Bibliothèquevaticane (x) et les études qui lui ont été jusqu'ici consa-
crées (a), invitent à accorder plus de valeur au Targum palestinien
comme témoinéventuelde traditionstrès anciennes,dans l'ensemble,
antérieuresau Christianisme.Cela vaut surtout pour la recension
connue sous le nom de Targum fragmentaire, les fragmentsde la
Guéniza du Caire, et maintenant,le manuscrit du Vatican. Mais,
même le Targum dit du Pseudo-Jonathan,d'origine palestinienne
lui aussi, peut avoir conservédes élémentsfortanciens (8). Il semble,
en toute hypothèse,que c'est le Targum qui est à l'originedes tradi-
tions conservées dans les midrashim(4), bien que des élaborations

préjugerdes rapportsentreles différentes recensionsdu Targumpales-


tinien,nous nous servironsdes sigles suivants:Tj I = Targumdit du
Pseudo-Jonathan;Tj II = Targumfragmentaire; N = Codex NeofitiI
de la bibliothèquedu Vatican; Ngl = variantesmarginalesde N.
Ç1)A. Diez Macho, Sefarad 17 (1956) pp. 119-121; M. Bi,ack,
N. T. St. 3 (1957)pp. 305-313;P. Boccaccio, Bib. 38 (1957) pp. 237-239.
(2) Signalonsentreautres:P. K ahije, ZNW 49 (1958) pp. 100-106.
A. Diez Macho, Suppl. to VêtusTest.,vol. VII (1960) pp. 222-245;Se-
farad, 20 (1960) pp. 1-17; P. Grelot, dans SemiticaIX (1959) pp. 59-89.
(8) Cf. P. Kahi,e, art. cit., pp. 110-111.A. Diez Macho, art. cit.,
pp. 239-245.A. T. E. Oi^mstead,JNES I (1952),pp. 41-75. (A propos
de Tj I, l'auteur écrit (pp. 60-61): «The large amountof midrashicmar
terial.. . is forthe mostpartpre-Christian »). P. Winter, art.cit.,p. 167,
note 1, montrel'antiquité de l'histoirede Balaam conservéepar Tj I
à Nombr.31, 8, en relationavec les exploitsaéronautiquesde Simonle
Magicien (se base sur un art. de H. J. Schoeps, H UCA XXI (1948)
pp. 257-274). Dans The Cairo Geniza, P. Kahle a signalé comme mé-
thodede datationdes traditionsdu Targumpal. de retrouverdes textes
contrairesà la halakhahde la Mishna. Diez Macho (lettredu 6.5.59)
nous indique qu'il y en a beaucoup, même dans Tj I, par exemple:
Ex 12,34; 13,16; 21,2; 22,19; 28,37; 33,19; Lev 1,4; 4,15; 7,16;
9,16; 11,39; 18,7; 25, 1 etc... Les études comparativesavec les
textes assez précisémentdatés (Josèphe-Philon- Pseudo Philon) permet-
tent aussi de décelerl'antiquité des traditions:on trouverades exem-
ples de cetteméthodefécondedans R. Bi<och,Rech,de Se. Rei. 43 (1955)
pp. 194-228;REJ 14 (1955) 5-35; G. VERMES,art. cit. Mais il reste à
accomplirun énormetravail sur les traditionstargumiques,chacune
exigeantun examen particulier,mêmesi l'on est certainde l'antiquité
de l'ensemble.
(4) Cf. R. BivOCH,« En étudiantle Targumde Jérusalem,il nous
est apparu d'une manièreévidenteque celui-ciest à la base de la tradi-
tion aggadiquepostérieure . . . qu'il représentele point de départ... du
midrashproprement dit, dont il contientdéjà toute la structureet tous
les thèmes». (Rech,de Se. Rei. 43 (1955) p. 212).

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30 R. Le Déaut, G. S. Sp.

midrashiques plus récentes aient pu ensuite être insérées dans le


Targum avant que les textes qué nous possédons ne fussent fixés.
Il faut aussi rappeler le contexte liturgique où sont nées les
versionsaraméennesde la Bible (¿ans doute à une date assez proche
du retourde l'exil) (*): cela explique une élaboration «théologique»,
très sensible déjà dans les LXX (*), la constance de certainestradi-
tions (en même temps que des développementsun peu anarchiques),
les unes contredisantsans sourcillerles précédentesqui seronttoute-
foistransmises,pour ne pas laisserperdredes richessespatrimoniales.
Mais la lutte contre les chrétiens amènera à laisser dans l'ombre
certainesdonnées qui servaienttrop bien leur apologétique. Comment
s'étonner que Paul ait, presque inconsciemment,fait appel à ces
développementstraditionnelsau même titre qu'au texte sacré lui-
même,puisqu'aussi bien ses lecteursne voyaientce texte qu'à travers
cette interprétationsans doute déjà séculaire?
Nous voudrions signaler trois exemples où une tradition tar-
gumique pourraitillustrerun texte obscur de Paul (ou de l'auteur
de l'Epître aux Hébreux); il ne s'agit pas, toutefois,de rencontres
verbales permettantde conclure à un empruntexplicite, mais bien
plutôt de replacer tout un passage dans un contexte aggadique cu-
rieusement parallèle. Faut-il conclure que, de fait, l'auteur s'est
inspiré de ces traditions? Cela nous paraît à tout le moins vrai-
semblable.

« Le Sang d'Abel le Juste»

Arrêtons-nousd'abord à un passage targumique concernantle


personnage d'Abel et qui n'est pas exploité par le Kommentarde
P. Billerbeckpour expliquer l'appellation de « Juste» que lui donne
le N.T., ni par les commentateurs,à l'occasion des textes qui se ré-
fèrentà l'épisode biblique de Caïn et d'Abel (8).

H L'ouvragefondamental resteL. Zunz, Die gottesdientslichen Vor-


trägederJuden, Berlin,1832. Dans la secondeéditionen 1892,l'auteur
a modifiéplusieursde ses vues. Cf.aussi I. Einbogen,Der JüdischeGottes-
dienstin seinergeschichtlichenEntwicklung , 2e ed. Frankfurta. M., 1924.
(2) Signalons,en raisonde son importancepour la signification de
la Pâque à date ancienne,Jer 32, 8, situant la restaurationd'Israel,
un 15 Nisan èv éoQxfj <paaex.
(3) L'article - très succinct- de K. G. Kuhn dans le TWNT,
1,6-7 résumel'essentielde ce que donnentles commentaires.

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 31
La Bible ne fait aucune mention d'une différencede disposi-
tions morales entre les deux frèresoffrantleur sacrificeà Yahvé,
sauf peut-êtredans le mystérieuxverset Gen 4, 7; le fait seul est
noté que « Dieu agréa Abel et son offrande,mais il n'agréa pas Caïn
et son offrande». Cependant l'exégèse juive ancienne, unanime, a
tiré du texte biblique la conclusion qu'Abel était pieux et juste,
Caïn au contraire,impie et mauvais f1). Ils deviennentcomme les
« types» des deux catégories où la pensée juive aimera ranger les
hommes: les et les D>PEh (ôixaioi et tcovtjqoÍ)(2) ».
Cette manière de représenterles deux frèresest ancienne,com-
me en témoigne Flavius Josèphe: "AßeAogpèv . . . ôixaioavvrjçène-
. . . Katç ôè rá re äXXanovrjQÓraroç
/jleXeïxo r¡v(3). Elle est aussi à la
base des textesdu N.T. qui fontallusionà l'épisode du meurtred'Abel:
Matth. 23, 35 (par. Luc 11, 51); Hebr 11, 4 et 12, 24; I Jo 3, 12. Ce
derniertexte atteste l'antiquité du thème recueilli par le Targum
palestinien que nous allons étudier: « C'est parce que mes œuvres
étaient plus droites que les tiennes que mon offrandea été reçue
de moi avec faveur,et que de toi elle n'a pas été reçue avec faveur»
(texte donné par toutes les recensions). L'objet de la dispute des
deux frèressemble donc « avoir été connu dans les cercles chrétiens
dès la fin du 1ersiècle, car la lèreépître de Jean dit de Caïn qui
égorgea son frère:« Et pourquoi l'égorgea-t-il?Parce que ses œuvres
étaient mauvaises tandis que celles de son frèreétaient bonnes» (4).

(*) On trouveratoutes les donnéesaggadiquessur Gen 4 dans V.


APXowiTZER, Kain und Abelin derAgada. . . Veröffentl. derAlex. Kohut
Memorial Foundation , I (1922). Cf. aussi L. GinzbERG,The Legends
of the Jews, Philadelphia,1909 et suiv. (Index par B. Cohen, 1938).
Pour les Apocryphes, Jub. IV; Apoc. Mos. I, 3; II, 2; III, 1-3; XL, 3;
XLIII, 1; I Hen XXII, 6.7; IV Macch. XVIII, 11 etc....
(2) Cf. G. F. Moore, Judaism,I, 494.
(3) Ant. Jud. I (53) 2, 1.
(4) P. GRELOT,Les Targums du Pentateuque , Etude comparative
d'aprèsGenèseIV, 3-16 dans SemiticaIX (1959) pp. 59-89. Nous nous
référons à cette étude minutieuseet nous citeronsla traductionde Tau-
teur. Pour le passage qui nous intéresse,nous avons la bonne fortune
de posséderplusieursrecensionstargumiques:fragmentde la Guéniza
du Caire (P. Kahi,E, Masoretendes Westens,pp. 6-7), Tj I et II, Codex
Neofiti.P. Grelot donne en terminant(pp. 85-88) une étude sur les
rapportsdes diversTargumsdu Pentateuque:on compareraavec l'étude
de A. Diez Macho citéeplus haut. A proposdes nombreuses glosesmar-
ginales du Neofiti,l'auteur dit: « L'origine des gloses marginalesde
TJN ne se laisse pas aisémentdiscerner . . . Ngl serait plutôtfondésur

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32 R. LE Déaut, e. S. Sp.
Le Targum expose clairementpourquoi Caïn tua son frèreAbel.
C'est à la suite d'une dispute,en rapportétroitavec le sacrificeoffert
à Dieu par Tun et l'autre, mais diversementagréé. Caïn s'en prend
à Dieu qu'il accuse d'injustice,et son frèreréplique que Dieu ne fait
que les traiterselon le méritede leurs œuvres. Cette discussiondonne
l'occasion de deux professionsde foi, qui seront transforméesdans
les recensions successives de l'épisode, mais le sens général restera
identique: Abel est tué par l'impie Caïn, après avoir affirmésa
foi en un Dieu créateurdu monde par amour, rétributeurjuste en
ce monde et en l'autre. Le texte le plus ancien paraît être celui
retrouvédans la Guéniza du Caire (x): « Caïn prit la parole et dit
à Abel: Je vois que le monde a été créé par amour et qu'il est
gouverné par amour. Pourquoi ton offrandea-t-elle été reçue de
toi avec faveur,et qu'elle n'a pas été reçue de moi avec faveur?Abel
prit la parole et dit à Caïn: Sans doute que (2) le monde a été créé
par amour et qu'il est gouverné par amour; mais il est gouverné
selon le fruitdes bonnes œuvres. C'est parce que mes œuvres étai-
ent plus droites que les tiennes que mon offrandea été reçue de
moi avec faveur,et que de toi elle n'a pas été reçue avec faveur.
Et ils se disputaienttous deux dans la campagne».

la collationde plusieursmanuscrits » (p. 86, note2). Une lecturecomplète


du manuscritcomparéavec les autresrecensions, confirme cetteopinion.
En général,nous avons noté une correspondance entre Ngl et Tj II:
Gen 22,8-11-14; 40,23; Exode 12,38-45; 13, 10-18; 74,20; 15, 1-2-6-
12-16-20-25;16,14; 19,4-6-13; 20, 16-17; 22,24; 27,32; 21,2; 22,5;
33, 11-19-22;34,6-7-19; 34,20-21-25-26-29; 35, 11-33; 38,8; 39,9 etc...
Mais Taccordest loin d'êtretoujoursconstant:Exode 13,13; 16,21-31;
29, 17; 37, 12 etc. . .
(*) C'est l'opinionde P. Grelot, art.cit.,pp. 72-73et de J. Ramón
Díaz dans Dos Notas sobreel Targumpalestinense, Sefarad,19 (1959)
pp. 134-135.A. Marmorsteinavait déjà depuislongtempssoulignél'an-
tiquitéde ce fragment« die noch ins I. Jh. zurückgehende Versionent-
hält. Für das hohe Alterder anderen Versionenist bezeichnend,dass
die Predigerdes III Jhs. die Brüderüber ganz andereals theologische
Problemestreitenlassen». On les fera se disputersur la question de
savoir qui épouserala plus jolie de leurssœurs.
(2) P. Grelot, interprètele Kl pin MOcomme un renforcement
de (S no (p. 72, note 1), J. Ramón Díaz commeune négation pure et
simple.Il présentela thèse d'Abel de la façon suivante: « La justifica-
ción no es porvía de amor y favor,sino en conformidad con las obras»,
modifiéecommesuit dans Tjl et II et N: « La justificación es por amor
y miséricordia, mas teniendoen cuenta las obras» (art. cit., p. 134).

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 33
Commeune professionde foisur les lèvresde Caïn, devenu depuis
longtempsle type de l'impie, pouvait surprendre(surtoutsi, en con
trepartie,on doit traduirela réplique d'Abel comme une négation!),
les diverses recensionsont modifiéla présentationde la thèse de
Caïn et d'Abel: la croyance en une justificationpar amour et miséri-
corde, purementgratuiteet sans référenceaux œuvres (que placent
sur les lèvresde Caïn, Tj I, Ngl et le mss du Caire) devientjustification
sans amour ni miséricorde,sans référenceaux œuvres (dans la pré-
sentationde N et Tj II) Í1). Pour ne laisser aucun doute sur l'attitude
religieusede chacun des deux antagonistes,les recensionsultérieures
(N, Tj I et II) ferontdire à Caïn: « Il n'y a pas de jugement,et il n'y
a pas de juge, et il n'y a pas d'autre monde,et l'on ne donnera pas
aux justes de bonne récompense et l'on ne tirera pas vengeance
des pécheurs». A quoi Abel réplique: « Il y a un jugementet il y a
un juge, et il y a un autre monde, et on donnera une bonne récom-
pense aux justes, et l'on tirera vengeance des pécheurs». « Ce déve-
loppementgénéraliseau plan des principesla positiondes deux frères.
En même temps,il achève de faired'eux les types littérairesde deux
catégories humaines: celle des pécheurs dont les œuvres sont mau-
vaises et qui vont jusqu'à nierles fondementsde la foi; celle des justes,
dont les œuvres sont bonnes et qui professentla vraie foi» (2).
L'existence de cette aggadah à date ancienne est probable:
l'existencedes parallélismes,pour le récit du meurtred'Abel, dans le
Liber AntiquitatumBiblicarum du Ps-Philon (de la fin du premier
siècle de notre ère), chez Josèphe et chez Philon, le texte surtoutde
la Première Epître johannique qui semble connaître « substantiel-
lement la matière mise en formepar le Targum palestinien» (s) le
confirme,en plus de l'antiquité quasi certaine de beaucoup de tra-
ditions rassembléesdans ce Targum.
La tradition juive a donc fait d'Abel un véritable « martyr»,
qui exprimedans une professionde foi, les sentimentsintérieursqui
l'animaient durant son sacrifice,et qui sont la raison profondede
l'acceptation de celui-ci de la part de Dieu (4). Elle permet de lire

Í1) Sur tout ceci,cf. J. Ramón Díaz, art. cit.,pp. 134-135.


(2) P. Grelot, art. cit., p. 72.
(3) P. Grelot, art. cit.,p. 86.
(4) Il est curieuxque la disputeentreles deux frèresait été éliminée
de la plupartdes récitsrabbiniquespostérieurs.Est-ce une réactioncon-
tre la glorification d'Abel dans le Christianisme, commele pense Apto-
Biblica
42(1961 3

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34 R. LE DÉATJT,
G. S. Sp.
certains textes du N.T. avec des yeux nouveaux: tout d'abord le
qualificatifde Juste que Jésus donne à Abel, comme un veritable
nom propre (noter l'article: vAßeX tou ôixaíov) dans le texte de
Matthieu (23, 35) se rattache directementà l'effusionde son sang
dont il s'agit dans le passage évangélique. Mais ce sont surtoutdeux
allusions de l'Epître aux Hébreux qui ,pourraientsemble-t-il,être
éclairéespar ce rapprochement.
« La foi est la garantie des biens que l'on espère, la preuve des
réalités qu'on ne voit pas. C'est elle (la foi)! qui a valu aux anciens
un bon témoignage.. . Par la foi, Abel offrità Dieu un sacrificede
plus grande valeur que celui de Caïn; aussi fut-ilproclamé juste (*).
Dieu rendanttémoignageà ses dons (cf.Gen 4, 4), et par elleaussi, bien
que mort,il parletoujours» (en XaXeï).Le P. Spicq note combien« il
est remarquableque ce premiercas de fòi soit associé à un sacrifice,
ce qui orientela pensée vers la foi chrétienneau sacrificedu Christ,
"sicut confessioest testimoniumfideiinterioris, ita ex cultu exteriori
in sacrificiocommendaturfides ejus " (S. Thomas) » (2). Or, le Tar-
gum ne nous donne-t-ilpas explicitementcette « confessio» d'Abel
en relation avec son sacrificeau Seigneur,puis avec le sacrificede
sa proprevie?
Quelle est maintenantla significationde la dernièrepartie du
verset? Les Pères grecs, les Médiévaux et la plupart des modernes
comprennentque la foi et la mortd'Abel sont un exemplepour toutes
les générations:elles nous « parlent» par l'Ecriturequi nous a transmis
cet exemple. D'autres rattachentce verset au texte de la Genèse:
«Ecoute le sang de ton frèrecrier (ßoa) vers moi du sol» (4, 10).

witzer,op. cit.,pp. 23 et suiv.? « Hebr.à la suitede Mt 23, 35, a esquissé


un portraitchrétiend'Abel,influencépar celui de Jésus. Il voit dans le
premiermartyrle type du juste souffrant (cf. 11,4; A. Descamps, Les
Justeset la Justicedans les Evangiles , Louvain, 1950,p. 52), et il com-
parel'efficacité rédemptrice respectivede deuxsangsinnocents » (C. Spicq,
L'Epître aux Hébreux,2e édit. Paris, 1953, p. 410). Si nos conjectures
sont exactes,il n'est pas besoin de supposerune influencede l'image
de Jésussur la présentation d'Abel le « Juste». Remarquons,en passant,
que le Targumplace le sacrificed'Abel et sa mort,à la fêtede la Pâque.
H àť rjçêjuaQTVQrjêrjeîvaiôixaioç. . . Nous préférons, contrele senti-
mentdu P. Spicq, rapporter le relatifà mcrceiplutôtqu'à ifaoiav.
Au v. 1,
il est dit explicitementque c'est la foi qui méritele bon témoignage.
(2) C. Spicq, op. cit. p. 342. Il note justement(ibid.) que les LXX
déjà suggéraient que la valeurdes sacrifices dépendaitdes dispositions des
sacrificateurs.

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 35
Il faudrait donc comprendreque « l'immolation d'Abel est. . . une
intercessionconstante auprès de Dieu, car le sang des témoins émi-
nents de la foi a une efficacitéprivilégiée.. . A tout le moins,le sang
d'Abel versé par un fratricideest comme un cri jeté aux oreillesde
Dieu pour appeler la réconciliationdes hommes et l'expiation des
péchés »(1). Ces idéductionssont correctessi, de fait, l'auteur se ré-
fèreà ce verset de la Genèse: mais notons tout d'abord que ce n'est
pas p^r son sang que parle Abel, mais par sa foi. Le texte n'emploie
pas, du reste,le' verbe ßodco (pP¥) comme Gen 4, 10, mais le verbe
XaXéœ(2) qui a, pour ainsi dire, une significationtechnique dans le
N. T. (3).
Il est vrai que déjà Philondéduisaitdu texte de Gen 4, 10 qu'Able,
d'une certaine façon était encore vivant: nãíç yàq ó ¡urjxér'œv ôia-
Àéyeo&aiôvvaroç; (4). Mais nous pensons que l'interprétationde J.
Moffat (5) est plus proche de la pensée de l'auteur de l'Epître aux
Hébreux. Mofïat estime que l'auteur pense à Gen 4, 10; mais « it is
not the fact that the cry was one for retribution¡(12, 24) which is
stressedhere,not the fact that his blood cried to God afterhe died;
but, as XaXeïvis never used of speaking to God, what the writer
means to suggest(as in 3, 15) is that Abel's faithstillspeaks to us. . .
Not even in 12, 24 does he adopt the idea of a divine nemesis for
the sufferings of the pious in the past generations.He does not re-
present the blood of martyrslike Abel cryingfromthe ground for
personalvengeance». Moffatcependantentend cette « parole » d'Abel
comme la voix de son exemple. Mais ne pourrait-onsupposer ici une
allusion aux paroles d'Abel défendantsa foi? Il faut surtoutsouligner
que cette voix d'Abel s'adresse aux hommeset non pas à Dieu: c'est

(*) C. Spicq, op. cit., p. 343. Le fragmentdu Caire a interprété


ainsi le cri du sang d'Abel: « Qu'est-ceque tu as fait? La voix du sang
de nombreusesfoulesjustes qui devaient surgird'Abel ton frèreclame
contretoi vers moi depuis la terre». Même idée dans Onkelos.Cette
conceptionse trouve aussi dans la Mishna |(Sanh. IV, 5; tr. Danby,
p. 388), et doit remonterà l'âge tannaïte. (Cf. A. Marmorstein, art.
cit., p. 237).
(2) Pour le sang innocentqui crievengeancevers le Seigneur,com-
parerII Macch.VIII, 3: rœvxaraßocovrcov elaaxovaai.
jiqòç clvtòvaí/uárcov
(3) Cf.J. Dupont, Gnosis, La connaissance religieusedans les Epîtres
de S. Paul , Louyain,1949,pp. 222-232.
(4) Quod det. potiori insid. soleat, 14.
(6) Epistleto theHebrews , Int. crii. Comm.,1924,p. 164.

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36 R. LE Déatjt, O. S. Sp.
à nous qu'il parle. Quel intérêtavait l'auteur de rappeler dans ce
contextela voix d'un sang innocentversé et qui crie vengeance vers
le Seigneur(cf. Hen 22, 7; Jub 4, 3)? Au contraire,le rappel de la foi
(et même de la professionde foi) d'Abel s'harmoniseau mieux avec
les autres exemples qu'il extrait de l'histoiredu peuple élu: Hénoch,
Abraham,Isaac, Moïse. . .
Le second passage de l'Epître (12, 24) doit, peut-être,être inter-
prété dans le même sens: la référenceà 11, 4 semble obvie. Il s'agit
encorede devoir écouterquelqu'unqui parle et de ne pas restersourd
à sa voix: « Veillez à ne pas refuserd'écoutercelui qui parle - ròv
XaXovvra» (12,25. Comparer 1,2; 4,8 etc...). Evidemment,il est
dit ici que c'est le sang qui parle (mais non qui « crie ») « un sang
d'aspersionparlant mieux que celui d'Abel - xqeïttovXaXovvrt naqà
ròv "AßeX». Mais ici encore,est-ce à Dieu que ce sang parle ou aux
hommes? Le contexte favorisait une comparaison entre la valeur
expiatoire respectivedu sang de l'innocent Abel et celui de Jésus:
l'auteur l'a-t-il exploité? Il faut noteravec soin l'enchaînemententre
les verset 24 et 25.
En se souvenantde ce que nous rapportela traditionjuive sur
la foi d'Abel et sa « confession» sanctionnéepar son sang versé, on
évitera peut-être de forcerl'opposition entre Abel et Jésus (pour
mieux mettreen reliefla supérioritéde ce dernier)pour devoirensuite
noter que l'auteur de l'Epître aux Hébreux nous donne, au fond,
un portraitchrétiend'Abel? (x) Il s'agit ici, comme souvent du reste,
dans l'Epître aux Hébreux, moins d'oppositionet d'antithèse , que
de l'affirmation d'un dépassementde l'ancienne économie, sous tous
les rapports,par l'ordre nouveau instauré par le Christ. Mais, d'un
autre côté, si l'on songe à la doctrinepauliniennedu salut par la foi
et non par le méritedes œuvres,on voit combien des textes comme
ceux que nous venons de citer (- et cela vaut aussi pour le fragment
targumiqueque nous étudieronstout de suite à proposde l'épîtreaux
Galates - ) illustraientà merveille ce que les auteurs du N.T. vou-
laient inculquersur la gratuitétotale du salut, excluant toute « van-
tardise» humaine: les personnagesde Caïn et d'Abel (comme ceux
d'Isaac et Ismaël que nous rencontreronstout de suite) jouent le
même rôle qu'Adam et Abraham dans la polémique de l'épîtreaux
Romains.

(1) C. Spicq, op. cit., p. 410.

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 37

Gal 4, 29-30

Dans un Excursus sur l'épisode du voile de Moïse, le P. Aw,o


écrivait: « Bien que les années passées aux pieds de Gamaliel (*)
aient certainementfamiliarisé Paul avec la haggada et les midra-
schim, l'allégorie n'est pas un mode d'enseignementqui soit habituel
à l'orateur « direct» qu'il était, et il faut reconnaîtreque, lorsqu'il
l'aborde, il ne sait pas en écartertoute espèce d'obscurité. Cela ne
lui arrive d'ailleurs, de construiredes allégoriesau propresens, que
lorsqu'il parle de l'Ancien Testament, en des passages destinés évi-
demmentà faire impressionsur les Juifset sur les Judéo-chrétiens,
amateurs de cette forme d'exposition, qui entendraientou liraient
ses lettres. A part notre passage, il ne s'en rencontrequ'un autre
exemple bien strict,dans l'Epître aux Galates IV 21-31 où les deux
épouses d'Abraham,Sara et Agar,la femmelibre et l'esclave, figurent
les deux Testaments» (2). Si de pareils textes restentobscurs, c'est
sans doute que leur genre littéraire même postule l'utilisation de
tout un patrimoinede traditionsexégétiques dont la connaissanceil-
lumineraitmainte allusion. Nous proposons de mettre en parallèle
l'argumentationde Paul et une ancienne présentationde l'histoire
d'Isaac et d'Ismaël.
Cette allégoriese situe dans la période de la vie de l'Apôtre où
il doit luttercontrel'agitationjudaïsante, insisterauprès des convertis
sur la « justificationpar la foi», la libérationde l'esclavage de la Loi
et, particulièrement,de celui de la circoncision.Voici commentse
développe son exposé:
« Vous, mes frères,à la manière d'Isaac, vous êtes enfants de
la promesse (et donc enfants de Sara, l'épouse libre). Mais, comme
alors l'enfantde la chair persécutaitl'enfant de l'esprit,il en est en-
core de même maintenant.Or, que dit l'Ecriture? Chasse la servante
et son fils,car il ne faut pas que le filsde la servante hériteavec le
fils de la femme libre (Gen 21, 10). Aussi, mes frères,ne sommes-
nous pas enfants d'une servante mais de la femme libre» (Gai 4,
28-31). La dispute entre l'Isaac et l'Ismaël «spirituels» porte sur la

(x) Dans son commentairede ce passage de l'Epître aux Galates,


S. Jérômeparle aussi du séjour de Paul « ad pedes Gamalielis», mais
comme ayant pu être témoin de la scène racontéedans Act 5, 33-40,
exemplede la persécution dont celle d'Ismaël contreIsaac était l'image.
(2) Saint Paul , SecondeEpîtreaux Corinthiens,p. 103.

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38 R. LE Déaut, e. S. Sp.
circoncision(5, 1-4). Mais, continue1'Apôtre « Pour nous, c'est l'Es-
prit qui nous fait attendre de la foi les biens qu'espère la justice.
En effet,dans le Christ Jésus ni circoncisionni incirconcisionne
comptent,mais seulementla foi opérant par la charité» (5, 5-6).
Or, une traditionjuive (*) présentaitle sacrificed'Isaac comme
une sorte de testde sa. sincéritéet de sa foi, pour avoir prétendu,
dans une dispute avec son frèreau sujet de l'héritagepaternelet de
leursméritesrespectifspar rapportà la circoncision , êtreprêt à donner
tout son être à Dieu, sur-le-champ,si celui-cil'éxigeait. Nous citons
le Targum palestiniend'après les éditions courantes des Bibles rab-
biniques,les deux éditionsde Ginsburger(du Tj I et II) ne pouvant
être considéréescomme des éditions critiques(2).
«Il arriva, après ces événements(8), après qu'Isaac et Ismaël
se fussentquerellés.. . Ismaël disait: C'est à moi qu'il revientd'hériter
de mon père, parce que je suis son fils premier-né,tandis qu'Isa*ac
disait: C'est à moi qu'il revient d'hériterde mon père parce que je
suis filsde Sara sa femme(s. e. vraie, légitime)tandis que toi, tu es
filsà' Agar la servantede ma mère.Ismaël répondait:Je suis plus juste
que toi parce que j'ai été circoncisà 13 ans et si j'avais voulu refuser,
je ne me seraispas laissé circoncire;mais toi, tu as été circoncisà 8
jours; si tu avais eu la connaissance,peut-êtrene te serais-tupas livré
à la circoncision?Isaac réponditen disant: Voici que j'ai 36 ans (4),

(l) Représentée,par exemple,par Tj I Gen 22, 1; Gen. Rabba, par


LV ad 22, 1; Sanh. 89b; Tanhuma,ed. Buber,Wayyera42 etc... (Cf.
G. F. Moore, Judaism,I, 539-540).Flavius Josèphedéjà sòulignela
promptituded'Isaac à accepter le sacrificedemandé par Dieu. (Ant.
Jud. I (225-235) 13,2-4). De même le Ps.-Philon (Liber Ant, Biblica-
rum,XXXII).
(2) R. BlyOCH, CahiersSioniens,8 (1954) p. 215.
(3) Tj I est seul à donnercette explicationde la formulebiblique
« Aprèsces choses.. .'» (Gen 22, 1). N (commeTj II) a seulement:«Et
après ces événements, Yahvé (Ngl: Membrade Y.) tenta Abrahamd'une
dixièmetentation...» (folio39).
(4) C'est le chiffre
que donnentles Bibles rabbiniques,la Polyglotte
de Londres.Toutefois,l'ensemblede la traditionjuive donne 37 ans
à Isaac lorsde son sacrifice(SederOlam; Gen.Rabba; Tanhumaetc. . .).
La traditiontargumiqueplaçant la naissanced'Isaac un 15 Nisan (cf.
Ex 12,42 et Mekhiltaad loc.) cela laisserait-ilsupposerque pour nos
auteurs,la querelleavec Ismaël se situeraitpeu avant cette date: ainsi,
lors de la scène du Moriyya- placée de ce faitun 15 Nisan sans doute
(commedans les Jubilés) - Isaac entreraitdans sa 37e année; mais
nousn'oserionsinsistersurce calcul. Peut-êtrefaut-il,dans notreTargum,

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 39
et si le Saint béni soit-il!(*) me demandait tous mes membres(a)
je ne refuseraispas. Aussitôtces paroles furententenduesdu Maître
de l'univers,et sitôt Dieu tenta Abraham. . . ».

Commentaire

1) « Après qu'I. et I. se fussentquerellés» (1¥3). (ou si-


gnifie« chercherquerelle à quelqu'un - se disputeravec quelqu'un ».
C'est ce verbe qu'emploie Onkelos lorsque Jacob se met en colère et
« prend à partie» Laban (Gen 31, 36). Tj I a |»TN, Pael de qui
signifieaussi « se disputer». On le trouve encore lors des « contesta-
tions » entre les serviteursd'Isaac et les bergersde Gérar aii sujet
des puits. (Gen 26,21: dans Onk. et Tjl). Le verbe, dans ces
passages est employéparallèlementà pDJJ, « luttercontrequelqu'un ».
Dans l'épisode de la dispute entreCaïn et Abel que nous avons étudié
plus haut, les verbes et alternentsuivant les recensions.
(Fragm. du Caire: pHÖ; N: p3»H0; Ngl: pnnû ; Tj I et II: :pönB).
Le verbe employé par S. Paul (êôUoxev)peut rendrela même
idée; il traduit le plus souvent « persécution» violente,visant même
à obtenir la mise à mort de quelqu'un. Mais il peut signifieraussi
des degrésde persécutionmoinspoussés. Même dans le N.T. il existe
des exemplesoù il décritl'action de poursuivrequelqu'un de ses tra-
casseries,de lui chercherà tout proposl'occasion d'une chicane. Ainsi,
dans ce même contexte,Paul dit: « Si je prêchela circoncision,pour-

lire tout simplement37. De fait,l'éditionde M. Ginsburger, Pseudo-


Jonathan , Targum Jonathanben Usiël zum Pentateuch,Berlin, 1903,
porte: JW {sic) ntPipnSn"D Josèphedonne 25 ans à Isaac, les Jubilés
23 (comparerXVI, 12 et XVII, 15). Philon emploieles motsmóçet naU.
(De Abr. 176).
(x) Sur cetteformule,cf. S. Esh, Der Heilige(er sei gepriesen).Zur
Geschichte einernachbiblisch-hebräischenGottesbezeichnung, Leiden, 1957.
Même si cette formulerabbiniqueest d'originerécente,il ne s'ensuit
pas que l'ensembledu texte le soit. N'importequel scribe,trouvantdans
son texte l'initialedu nom divinou l'un de ses substitutsanciens,aura
ajouté la formuledevenuetraditionnelle.
(2) Le mot a, en araméen,le mêmedouble sens que le latm
membrum (Cf.Tj I à Gen 14,2; 49, 24). Il y a donc ici une allusionévi-
denteau sacrificepartielque représente la circoncision.A la « vantardise»
d'Ismaël, Isaac répondpar l'affirmationd'un don total. Le texten'a pas
la forcede la répliquede Paul à la vantardisedes judaïsants: « Utinam
et abscindanturqui vos conturbant» (Gai 4, 12).

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40 R. LE Déaut, e. S. Sp.

quoi suis-je encore persécuté? (v. 11: rl en ôiœxojuai). De même les


Juifscherchaientchicane à Jésus (êôicoxov:l'imparfaitde l'indicatif
indique une tentative qui se prolonge dans le passé); il est vrai
qu'après l'affirmation de sa filiationdivine, il cherchentdirectement
à le mettreà mort (Jo 5, 16-18). Le P. Lyonnet résume bien le
sens des versets29-30 de notrechapitreen disant: « Ismaël jalousait
son frèrecadet, Isaac » (1).
Les commentateursont été embarrasséspour trouver dans la
tradition juive une explication cohérente de cette « persécution»
d'Ismaël contre son frère(a). Le plus communément,elle rattachait
l'idée d'une persécutiond'Isaac de la part d'Ismaël au verbe pTOÛ
de Gen 21, 9. On trouvera les textes dans le Kommentar . . . de P.
BiixERBECK(III, 575-576): mais les référencesqu'il donne au Talmud
et au midrashGenèse Rabba, ne parlent que d'un désir de frèreaîné
de blesseret même de tuerson frère,tout en paraissant s'amuser au
jeu innocentde l'arc. Cela nous paraît une éxégèse superficielleet
d'élaboration postérieure,au lieu que le Targum que nous avons cité,
situe la dissensionpresque sur un terrain« théologique» de la justi-
ficationet du mérite.Les Targums (Tj I et II ainsi que N) ont inter-
prété pnxp d'actions mauvaises et d'idolâtriedont Ismaël se rendait
coupable. Il est très probable que S. Paul, en parlant de persécution,
se réfèreaussi au même terme du récit biblique de Gen 21,9, car,
au verset suivant de sa lettre,il cite 21, 10: mais commentl'inter-
prétait-il?
Il est curieux que le texte du Targum de la Genèse 22, 1 ne soit
pas utilisé une seule fois (si nous en croyonsl'Index) par Billerbeck.
Il s'agit pourtantlà d'une dispute dont les termes,les personnages,
rappellentl'épisode de Gen 21, 9-10 et qui correspondparfaitement
à la situation qu'envisage Paul. L'interprétationde pll¥D en rap-
port avec l'héritageest toute naturelle,et a des chances d'être très

(*) Les Epîtresde Saint Paul aux Galates,aux Romains, Paris, 1953,
p. 34, note a.
(2) Ainsi D. Buzy écrit: « E)n fait,on ne voit pas à quel moment
Ismaël a pu persécuter(èôicoxev ) Isaac. L'hébreudit que le filsd'Agar
riaitavec lui; les LXX disentqu'il s'amusaitou se moquaitde lui (naiÇovra
fiera'laaáx); seule une certainetraditionjuive parle de sévices». (Epî-
treaux Galates , Paris, 1947,p. 465, dans la Sainte Bible Pirot-Clamer)
.
D'autres pensentque Sara jugea déplacé que son filsjoue avec le fils
d'une esclave; beaucoup se réfèrentaux rivalitésentreJuifset Arabes.
(Cf.F. Amiot,dans coll. VerbumSalutis,Paris 1946,pp. 204-205).

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 41
ancienne: R. šiméon b. Johay (vers 150) contredit explicitement
l'exégèse d'Aqiba (qui est celle des Targums) en affirmant que pTOÖ
doit s'entendredu riretriomphantd'Ismaël songeantà la part double
d'héritage qui lui revient de droit, comme à l'aîné i1). Le Targum
lui-même (Tj I; N se contente ici encore de traduire l'hébreu) dès
Gen 21, 10, laissait entendrepour l'avenir une hostilitéplus sérieuse
encoreentreles deux frères:« Il n'est pas possible que le filsde cette
servantehériteavec mon fils,dit Sara, et fasse plus tard la guerreà
Isaac plW DP fcOTpTO*!». Il y a là, sans doute, commeune transpo-
sitiondes rivalitésqui opposerontsi souvent les descendantsdes deux
fils d'Abraham, et auxquelles maint commentateura songé pour
illustrerGai 4, 29. Mais, plus que de luttes entredescendantsfuturs,
le texte parle d'opposition des deux frèreseux-mêmes:le texte qui
ouvre l'épisode du sacrificed'Isaac, ne sera que l'illustrationde cette
appréhensionancienne de Sara... Josèphe aussi signale ces inquié-
tudes de la mère d'Isaac « Elle ne pensa pas devoir élever avec lui
(Isaac) Ismaël, qui était l'aîné et pouvait lui nuire (xaxovgyelv)après
que leur père serait mort»(a).
2) On notera l'analogie des situations (discussion au sujet de
l'héritage - cf. aussi Gai 3, 15-18 - de la circoncision)l'identité

(x) P. BiiyiyERBECK, III, 410 b. S. JÉRÔMEconnaîtles deux tradi-


tionsjuives: « Bt vidit Sara filiumAgar. . . ludentem.. . Dupliciterita-
que hoc ab Haebreis exponitur:sive quod idola ludo fecerit(ou bien
luto) juxta illud quod alibi scriptumest: Sedit populus çomedereet
bibere,et surrexerunt sum Isaac , quasi majoris
ludere: sive quod adver
aetatis, joco sibi et ludo primogenita vindicaret.Quod quidem Sara au-
diens non tulit». (Liber Quaest. in Gen. P.Iv. 23, 1017). Nous verrons
que S. Jérômese sert précisémentde cette traditionpour expliquer
l'Bpître aux Galates.
(2) Ant. Jud. I (215), 13, 3. Josèpheécritpour un public non juif:
mais sa sourceprincipaleest, à côté de la Bible, la tràditionaggadique
palestinienne.On s'est même demandé,et les indicationsen ce sens
nous paraissentconvaincantes,s'il ne puise pas déjà dans un Targum
écrit. (Cf. S. RappaporT, Agada und Exegese bei Flavius Josephus ,
Frankfurta. M. 1930, pp. xx-xxni. R. Bi,och, Rech,de Se. rei. 43,
1955,pp. 206-207).Il est un témoinprécieuxde la catéchèsejuive qui
était traditionnelle dans les assembléessynagogalesdu 1« siècle. Le fait
qu'il rapporte ces traditions,souvent sans intérêtpour ses lecteurs
païens,montreque l'on ne dissociaitpas le donnébibliquedes interpré-
tations aggadiques courantes,des embellissements même qui s'y gref-
faientpeu à peu, et que tout cela était admis,comprisde tous. La pré-
sence de ces traditionschez Josèpheest donc une garantied'antiquité.

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42 R. Le Déaut, e. S. Sp.
de vocabulaire (héritage; servante: natòíaxr]- NfiöN) la présencedes
deux frèreset de leurs mères,l'affirmation de Paul d'être aussi « fils
de Sara, la femme libre » (4, 26.31) tout comme Isaac.

3) Il était tout naturel qu'entre les deux frèresnaissent des


dissensions,Ismaël se sentant en inférioritéen quelque manièreface
à son frère,mais profitantdes avantages de son âge pour tourmenter
celui qu'il jalousait. Le texte biblique lui-même qui fait suivre la
constatation faite par Sara qu' Ismaël « joue » avec son fils, de la
conclusion que le fils d'Agar ne doit pas hériteravec Isaac, devait
inviterà voir dans le sujet des disputes des deux frères,la question
de l'héritage. Paul établit sans doute le même lien entre les deux
choses (persécutionet héritage) dans les vv. 29 et 30.

4) Dans le cas des deux frèreset dans le contexte de l'épître


aux Galates où ils deviennentles « types» des chrétienset des juifs,
la querelle porte sur la justificationet la valeur de la circoncisionà
cet égard. Le mot (juste) qu'emploie Ismaël est de même racine
que le «mérite» (fTDÎ) dont Israël aimera tant se prévaloir(*).
Paul proclameraque circoncisionou incirconcision« ne comptentpas,
mais seulement la foi opérant par la charité». S'il n'y a pas là un
écho de l'attitude d'Isaac (2), du moins cette conclusionpaulinienne
pourrait résumer parfaitementla morale de l'épisode raconté par
notre Targum. Dans le cas d'Isaac et d'Ismaël, qui sont tous deux
circoncis,la discussion ne pouvait porter que sur la plus ou moins
grande perfectionde leurs dispositionsen subissant la circoncision.
Dans son commentaireà l'Epître aux Galates, S. Jérôme donne
une explication bien proche de celle que nous avons proposée et qui
laisse même soupçonner qu'il a pu connaître ce texte du Targum
palestinien. « Non puto invenire non posse ubi Ismael persecutus
fueritIsaac: sed tantum illud, quod cum filiusAegyptiae,qui major
natu erat, luderetcum Isaac, indignata sit Sara et dixerit ad Abra-
ham: Ejice ancillam et filiumejus: non enim haereditabitfiliusancil-
lae cum filiomeo Isaac. Et utique simplexlusus interinfantesexpul-
sione et abdicatione indignusest. . . Sed quia forsitanIsmael quasi

(*) Sur cette notioncapitale du Judaisme:G. K. Moore, Judaism,


I, 535-545;II, 90-94 et III, note 249.
(2) En Gal 3, 6 c'est Abrahamqui est l'exemplede la justification
par la foi,et non par la circoncision;ce qui vaut pour tous les vraisfils
d'Abraham(3, 7) les véritables« Isaac » spirituels.

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Traditionstairgumiques
dans le CorpusPaulinien? 43

major natu, et eo temporecircumcisusquo jam poteratanteiligereet


sentirequod passus est, sibi primogenita vindicabat,Scripturajurgium
parvulorumlusum vocavit. Unde et Sara haec verba non sustinens,
et consuetudinemsibi primogenitavindicantisancillae filii a parva
aetate non patiens, erupit in vocem: Ejice. . . Sicut ergo tunc major
frater Ismael lactentem adhuc et parvulum persequebatur Isaac,
sibi circumcisionispraerogativam, sibi primogenitavindicans: ita
et nunc. . . » (*).
L'auteur de l'Epître aux Galates présente donc l'allégorie de
Sara et d'Agar en supposant un arrière-planplus développé que celui
qu'esquisse le texte biblique, celui de l'aggadah traditionnelledont
nous pensons que le Targum palestinien est ici un témoin précieux.

II Cor 3, 7-18

Nous n'entendons pas reprendrel'éxégèse de ce midrash pau-


linien, mais insister sur une variante qu'introduitl'Apôtre dans le
texte des LXX qu'il cite au verset 16 (2).
Le voile dont Moïse se couvrait le visage après avoir transmis
au peuple les paroles de Dieu « pour empêcherles enfantsd'Israël
de voir la fin d'un éclat passager... » (v. 13), c'est-à-direla dispa-
ritionprogressivedu rayonnementde la gloiredivine sur son visage,
devientle symboledu voile d'incrédulitéqui obscurcitl'esprit(v. 14) et
le cœur (v. 15) des Juifs.Quand Moïse retournaità la Tente pour
s'entretenirà nouveau avec Yahvé, il enlevait ce voile (cf.Ex 34, 34).
Et Paul d'ajouter: « Cest quand on se convertitau Seigneurque le
voile tombe».

Í1) P. L. 26, 419. Dans leurs Commentaires Cornei,y et Lagrange


citentune partie de ce texte; mais sans faireallusionà la circoncision,
pourtantessentielledans notrecontexte,et sans supposerlinetradition
juive anciennequ'aurait pu connaîtreS. Jérôme.
(2) On consulterales commentaires de Au,o, Plummer,Windisch,
R. H. STRACHAN etc. . . et J. GoETTESBERGER, Die Hülle des Moses nach
Ex 34 und 2 Kor 3, Bibi. Zeit. 16 (1924) pp. 1-17;S. Schutz, Die Decke
desMoses,Untersuchungen zu einervorpaulinischen in II Cor
Überlieferung
3,7-18,ZNW 49 (1958) pp. 1-31. La traditionrabbiniquen'a guèrespé-
culé sur l'épisodedu voile de Moïse: il faut descendrejusqu'à Rashi, au
XIe siècle,pouren trouverune explication.Les Targums(Onkelos;Tj I
et N fol. 182b) se contententici de traduirele texte hébreu.

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44 R. LE Déaut, e. S. Sp.
L'allusion au texte grec d'Ex 34, 34 paraît évidente(*); mais
les variantes qu'introduitPaul sont significatives:
Ex 34, 34: r¡víxaô9âv eionogeveroMcovafjçëvavrixvqiovXaXeïvavrcp
TzeQirjQeÏTo to xáXvfifia. . .
II Cor 3, 16: r¡vLxaôè êàv emargeyrrj
tíqoç xvqiov, nSQiaïQSÏrai ro
xakvfifia...
Nous ne considéronsque la variante èniGTpéyjfi(a). Le texte bibli-
9
que a le verbeelanopsústode signification purementlocale. EmorQéyyrj
s'explique-t-il par une leçon ènêaxQEipev que Paul lisait dans son
texte grec des LXX? (3). En ce cas, l'Apôtre aurait donné au verbe
indiquant le « retour» de Moïse vers Dieu, le sens de « conversion»
au sens moral.
A. Plummer (4) l'explique par Ex 34, 31. Aaron et le peuple,
voyant la face rayonnantede Moïse craignentde l'approcher: alors,
Moïse les appela, ils se tournèrentvers lui et Moïse leur parla » (xai
tiqòç avróv). Paul aurait écrit xvqiov, plutôt que
e7us<JTp<x<pY)(Tav
Xqigtov, à cause de ëvavri xvqIov du v. 34. Mais cela n'explique
toujours pas l'interprétationde ce verbe au sens moral de « retour
à Dieu ».
Il est certain que Paul pouvait se permettrece glissementde
significationpour les besoins de son argumentation:il n'est point
nécessaire de chercherune source à chacun des développementsde
sa pensée (6). Nous pensons - toutes proportionsgardées - que

(*) La plupartdes éxégètesestimentque ce versetparle non plus


seulementde Moïse, mais de tout le peuple, ou de tout homme en
général:on peut même supposercommesujet un riç, commele faisait
déjà Origène:^« Si quelqu'un,en général.. . »; S. Schui/T,art.cit.,l'entend
de Moïse,mais commetypede tous ceux qui se tournentversle Seigneur;
c'était déjà l'opinionde Calvin. Pour notrepropos,cela n'a pas d'impor-
tance: il s'agit toujoursd'ime «conversion»au Seigneurau sensreligieux.
(2) Pour les autres,cf.le commentaire de Windisch,Der II Korin-
therbrief, (1924),p. 123.
'
(3) A. OEPKE,TWNT , III, 562 - Káh)fifia- EniGTQéyeiv tiqòçxvqiov
est un hapax paulinien.On ne retrouvel'expressionque dans Act 9, 35
et 11,21. Dans I Thess,on lit èmcngé^eiv tiqòçròv Oéov.Il s'agit dans
tous ces cas de « conversion » au sens moral.
(4) SecondEpistle of St Paul to the Corinthians , Edinburgh,1915,
p. 102.
(6) « While in 2 Cor 3, it is remotelypossiblethat Paul is using a
fixedmidrash,it is far morelikelythat he is followinghis own fancy,

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Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien? 45
Racine reste créateuret original,même si de savantes recherchesont
décelé des parallèles et des « sources» multiples dans la littérature
antérieure! Pourtant,nous suggéronsici la possibilitéd'une influence
de la présentationtargumique des chapitres 33 et 34 de l'Exode:
l'élève de Gamaliel, si attaché aux traditions de son peuple (cf.
Gal 1, 14) devait être familiariséavec l'aggadah usuelle et les com-
mentairesliturgiquesdes péricopesbibliques (qui sont à l'originedes
Targums). Dans l'explication de II Cor 3, on s'est généralement
référéau seul chapitre34: mais le chapitreprécédentpeut aussi être
très éclairant,d'autant plus que des passages de ces deux chapitres
sont rigoureusement parallèles (33,7-12 et 34,34-35). Le second ajoute
l'épisode du voile de Moïse, mais la situation décrite est la même:
dans les deux cas, il s'agit d'entretienavec Yahvé dans la Tentede
Réunion.
Selon le texte biblique déjà (Ex 33, 1-6), après une sévère répri-
mande de Dieu, le peuple exprime sa douleur et son repentiren se
dépouillantdes bijoux dont une partie avait servi à la fabricationdu
veau d'or. « Le peuple, entendant ces dures paroles, prit le deuil
et renonça à ses parures» (33, 4). Et le texte continue: «Moïse prit
la Tente et la dressa pour lui hors du camp ... : il l'appela Tente de
Réunion. Tout hommevoulant s'adresserà Yahvé (litt: tout homme
recherchantY.: tJpDÛ/ Jiãç ó Çrjrœvxvqlov) sortait (eÇetioqeveto)
vers la Tente de Réunion qui était hors du camp. Chaque fois que
Moïse sortait vers la Tente (*) tout le peuple se levait et se tenait à
l'entréede sa tente,suivant Moïse du regardjusqu'à son entrée dans
la Tente. Et chaque fois que Moïse entraitdans la Tente. . . Yahvé
parlait avec Moïse » (33, 7-10: xal èXaXeïMœvafj).
On notera dans ce texte que Moïse n'a point le privilège exclu-
sif de consulter Yahvé: tout Israélite pouvait «se tourner» vers
Yahvé présent dans la Tente de Réunion pour solliciter quelque
oracle (cf. I Rois, 22, 10; 23,2 etc...), présenter une requête ou
une offrande.Moïse seul peut entrerdans la Tente: mais de lui, com-
me du peuple il est dit qu'ils « sortent vers la Tente ». De même,
dans II Cor 3, Paul passe de la démarchedu seul Moïse à une appli-

improvising as it were. W. L. Knox, doubts whetherhis readerswould


followhim in his haggadic excursions,for this reason presumably? »
W. D. Davies, Paul and RabbinicJudaism , p. 107, n. 2.
<5*
I1) tfvixa ãv eiajioQevero Comparer34,34: r¡víxaô' äv siano-
Miûvafjç.
o Mœvofjç
géver ëvavxixvoiovXaXeïv
avrœ. . .

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46 R. LE Déaut, G. S. Sp.
cation collective. Or, il est curieux que le Targum ait interprétécette
démarche du peuple auprès de Yahvé d'une véritable conversiondu
cœur,établissantun lieu avec les premiersversetsdu chapitre(*).
« Quiconque se convertissait et faisait pénitence(2) d'un cœur
parfait (on pourrait traduire: de tout son cœur) (3) en présence de
Yahvé sortaitvers la tente de la doctrine (Tjl: Kjô'TÎK flD ; N: ptPÖ
fcC&f)qui se trouvait hors du camp, confessait ses péchés, et par
sa prière il lui était pardonné» (4). Le texte glose ensuite le récit
biblique sur les entrevuesde Moïse avec le Seigneur.
On peut se demander si Paul, rapprochantles deux passages
Ex 33, 7-12 et 34, 34-35 (déjà voisins dans le texte biblique) ne s'est
pas souvenu de cette glose aggadique: il aurait alors associé l'épisode
du voile de Moïse,ôté devant le Seigneur,à la conversiondu peuple
à Yahvé, la présentantcommeune « ré-vélation» au sens étymologique.
Le changementde elanooeveroen èniargérpi] correspondà la fcOlfin

(*) L'exégèseancienne(et c'est aussi l'attitudedes auteursdu N. T.


par rapportà l'A.T.) ne se préoccupaitguère d'analyse littéraire:on
lisaitles textescommeun tout,sans y discerner des additionssuccessives,
des couches rédactionnelles, en s'efïorçantde trouverune connexion
logique,mêmelà où apparaîtla simple juxtapositionde récitsindépen-
dants. Une bonne partiedes développements midrashiquesprovientdu
restede ce besoin de découvriret d'expliciterun lien logique entreles
textesbibliques. Qu'il suffisede rappelertout ce qui est né dans la litté-
ratureaggadique de ces simplesmots de Gen 22, 1 « Après ces événe-
ments» ou « Après ces paroles» dont nous avons vu le développement
targumique.
L'interprétationque nous donnonsici ne se trouveque dans Tj I.
Le Codex Neofiti(folio 178b) se contentede traduirele texte biblique.
Notons qu'il rend le verset7 exactementcomme Onkelos: « Et omnis
qui quaerebatdoctrinama facieDomini.. . » ...pDJ"Dip [D JcSlK fObï
V2TTI
(Onk: ...yam
(2) lOlJirûnm |N072. La « conversion » est expriméepar les deux
termes,Tin étant propreau Targumpalestinien.L'expressioncorrespond
à la formuletalmudique:rOltMia 1ÌP1.
(3) D*W372. Cetteexpression revientfréquemment dans le Targum.
Cf. - dans"N~etTj II - Gen 22, 6 et 8; Ex 19,8; Deut. 6, 4. On compa-
rera i QH, XVI, 7.17: nbv no».
(4) n1?pantPD.Le verbe pw est usuel dans Tj I et Onkelospour
exprimerleTpardon.Le Codex Neofitil'associe ordinairement à ntf (qui
signifielittéralement«délier») pour rendrel'hébreun^D. (Cf. Ex 34,7;
Lev 4,20...). A. Diez Macho, Suppl. to V. T. vol. VII, 1960,p. 231,
a raisonde^rapprocher
" ces passagesdu Targumpalestiniende Math 16, 19
et 18, 18.

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Traditionstargumiquesdans le Corpus'Paulinien? 47

(conversion)qu'il rend exactement.Du reste,la formulepaulinienne


r¡vÍ7caôè èàv (s. e. nç) emar^érprj tcqoçxvqiov ressembleétrangement
à la phrase du Targum: » Dip ... KSinrQ TTiYT
L'application à tous les Juifs de l'allégorie du voile de Moïse
s'expliqueraitencoreplus aisémentsi, commeon l'a suggéré(*) l'usage
du tallit ( ) voile rituel dont les Juifs se couvrent les épaules
et la tête, à certainsmomentsde la prièreliturgique,était déjà connu
au temps de Paul: cette coutume paraît généraliséé dès lè début
du IVe siècle après J. C. Le tallit, évidemment,n'empêche pas de
lire; mais il aurait pu servir de prétexte à l'image du voilé sur le
coeur qui empêche de comprendre.. .
Ce passage allégorique de S. Paul reste d'une interprétationdif-
ficile(2). Le rapprochementque nous proposons- surtout après les
deux autres exemples que nous avouons volontiers être plus con-
vaincants - pourraiten éclairer un détail, en retrouvant, un1arrière-
plan plus vaste de traditions familières
à Paul et à ses lecteurs,où
l'idée d'une « conversion» en relation avec le voile de Moïse n'est
plus aussi inattendue.
* * *

En guise de conclusion, nous rappelleronsque le fait de sou-


lignerdáns le N.T. un lien avec les traditionsjuives et leur utilisa-
tion éventuelle n'enlève rien à l'originalitédes auteurš inspirés(il y
avait une traditionvivante 011ils puissaient presque au même titre
que dans l'Ecriture),ni surtoutrien à la nouveauté totale qu'apporte
l'Incarnation du Verbe, donnant le vrai sens de toute révélation
antérieure(Cf. Hebr. 1,1). De plus, nous admettons volontiersque
Paul, par exemple,avait assez de génie créateurpour utiliserle droit
qu'avait tout rabbin d'élaborerune éxégèse nouvelle des vieux textes.
Mais il ne faut pas oublier que le N. T. conçoit la nouvelle Alliance
comme l'éclosion de l'ancienne qù'elle « accomplit» (;nhqnów ) et que
lá nouvelle sJexprimeà l'aide des mêmestermeset des mêmesréalités

(x) Ainsi, entre autres, 4om S. Ornons,dans son commentaireà


la II Cor, dans la Bible de Montserrat, 1928, pp. 268-269.E. B. Au,o,
Saint Paul, SecondeEpîtreaux Corinthiens Paris, 1937,p. 106,pensequ'il
n'y a pas lieu de retenirune pareilleprécision.
de II Cor 3, on consulterales
(2) Sur l'histoirede l'interprétation
articlesde K. Prûmmdans Biblica 30 (1949) 161-196;377-400;31 (1950)
316-345;459-482; 32(1951) 1-24.

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48 R. LE DéauT, Traditionstargumiquesdans le CorpusPaulinien?

que l'ancienne (1). Les premierschrétiensont eu moins qu'on ne le


soupçonne d'ordinairel'impressiond'une rupture:ils se sentaientplu-
tôt comme les vrais héritiersdes trésors de révélations confiéesà
Israël. Ils ont eu longtempssi peu consciencede la coupure du « cor-
don ombilical» (Ricciotti) qui liait la Synagogue et l'Eglise que des
écritsjuifs on été adoptés presque tels quels par la pensée chrétienne:
il suffitde noter le Testament des XII Patriarches,les Paraboles
d'Hénoch, certains passages de la Didaché, de Barnabé etc... (a).
Les lecteurs de Paul avaient sans doute connaissance"de toute une
traditionorale et littéraire,illuminantdes passages pour nous assez
obscurs, et qu'il serait important de déceler dans les couches an-
ciennes de la littératurejuive, en particulierdans ce qui nous reste
du Targum palestinien.

Jérusalem,juin 1960.
R. Le Déaut, C. S. Sp.

(*) Sur l'accroissement


de signification
que reçoitl'A. T. à la lumière
de la réalisationapportéepar le Christ,cf. P. Benoit, RB (1950) pp.161-
197; La plénitudede sens des Livressaints.
(2) Cf. H. Thyen, Der Stil der Jüdisch-Hellenistischen Homelie,
Göttingen,1955, pp. 11-24.

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