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Présence Africaine Editions

Violation de l'«identité culinaire» négro-africaine


Author(s): Iwiyè KALA-LOBE
Source: Présence Africaine, Nouvelle série, No. 99/100, «IDENTITÉ CULTURELLE NÉGRO-
AFRICAINE» (II) / «NEGRO-AFRICAN CULTURAL IDENTITY» (II) (3e et 4e TRIMESTRES
1976), pp. 196-223
Published by: Présence Africaine Editions
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24350505
Accessed: 07-10-2023 04:05 +00:00

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Iwiyè KALA-LOBE

Violation de I'« identité culinaire


négro-africaine

Comment se nourrissait le Négro-Africain avant l'arrivée de


l'homme blanc ?... Que mangeait-il ? Quelle est l'origine de sa
nourriture ?... Comment la préparait-il ? La préparait-il ? De
quoi était-elle composée ?... Autant de questions qu'on se pose
quand on parle de 1'« identité culinaire » du Négro-Africain.
Qui dit « identité culinaire » dit « identité culturelle » ou vice
versa. Cette maxime, si elle n'existait pas, devrait être inventée.
Car on voit mal qui pourrait, le ventre creux, parler valablement,
aisément de culture de l'esprit ou du corps, à part quelques
ascètes égarés. Ceci n'est pas une boutade de fin gourmet, c'est
la constatation d'un fait humain qui tient aussi bien du culturel
que du cultural...
Revenons à notre sujet : l'identité culinaire négro-africaine.
En inventoriant les divers éléments qui la composent — et ils
sont fort nombreux ! — on se rend compte qu'à leur origine ils
étaient homogènes et authentiquement négro-africains. C'est ainsi
qu'on retrouve dans les fables et chante-fables de la vie quoti
dienne négro-africaine la multiple identité du maïs, du manioc,
du mil, de l'igname, de la patate, de la banane, du plantain,
de l'arachide, du « gombo », du taro, du palmier à l'huile, de
l'huile de palme, du cocotier, de la canne à sucre, du piment,
du sel, le poisson, la viande... pour n'en citer que quelques-uns,
avec des appellations typiquement négro-africaines dépouillées de
tout emprunt étranger. Voici d'ailleurs, en langue duala (Came
roun) le nom de quelques-uns de ces aliments :

— Maïs : Mbasi (invariable) — prononcer :


« Mbassi »

— Manioc : Dikwamba ; pluriel : Makwamba (plu


sieurs dérivés dont nous parlons plus
loin)

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 197

— Igname : Mbaah (invar.)


— Patate : Ndoko (invar.)
— Banane : Dikube ; pluriel : Makube (pron. :
« Dikoubé », « Makoubé »)
— Plantain : Muèlè ; pluriel : Miëlè (pron. : « Mouè
lè »)
— Arachide Ngôndô (invar.) ; plusieurs variétés
— Gombo Kingang (invar.)
— Taro Dikabo ; plur. : Makabo
— Palmier Lèndè ; plur. : Malèndè
— Huile Mùla (invar.) (pron. : « Moula »)
— Canne à sucre Mukokè ; plur. : Mikokè (pron. : a Mou
kokè »)
— Piment : Ndongo
— Sel : Wanga (pron. : « Ouanga »)
— Faim : Njai
— Satiété : Judi
— Disette : Suwa (pron. : « Souwa »)
— Abondance : Dipôkô
— Etc., etc. : Na nika na nika...

(Les quatre derniers termes ne sont pas des aliments, mais


ils alimentent essentiellement 1'« identité culinaire », quelle
qu'elle soit.)
Or, il paraît que parmi les plantes comestibles énumérées ci
dessus, l'igname nous serait venue d'Asie, le manioc et le maïs
d'Amérique du Sud, le « gombo » des Caraïbes... (Au marché
Moufletard, dans le Ve arrondissement de Paris, on vend une
variété d'igname sous l'appellation de... « Chou des Caraï
bes » !...) On est allé plus loin dans la mystification : on a
donné des « noms scientifiques » très savants et en langues mortes,
à des aliments négro-africains, ce qui tend à leur enlever leur
origine négro-africaine. Dans ces conditions, on est en droit de
se demander ce que mangeaient les Noirs depuis des temps immé
moriaux, en tout cas depuis qu'ils habitent leur continent. Puisque
nos plantes comestibles viennent d'Asie et d'Amérique du Sud,
l'Afrique elle-même aussi doit venir de ces pays... n faudrait
peut-être demander des éclaircissements au Grand-Sorcier-Démys
tificateur-Nègre, Cheikh Anta Diop, car s'il fallait, en ces temps
là, attendre l'arrivée de ces lointains « ravitaillements » asiatiques
et sud-américains affublés de « noms scientifiques » gréco-latins,
le Négro-Africain serait effacé de la surface de la planète depuis
fort longtemps et n'aurait donc pas alimenté la Traite négrière
pratiquée sur lui par les Arabes et les Européens... Or tout le
monde sait que les négriers arabes et européens trouvèrent, pour

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198 PRÉSENCE AFRICAINE

alimenter leur odieux négoc


robustes parce que bien nourr
Passons. Non sans faire rem
accomplirent tout de même
privoiser un immense contine
a fait dire à Basil Davidson
propre continent, les Africa
ciale contribution au développ
Le moins qu'on puisse dire, c'
une nourriture des plus consi
permettre de mener à bien
tels Grands Travaux.
Une longue et solide tradit
riture des Négro-Africains,
ments nobles » et « d'alimen
alimentaires » (Eyiya, en du
iituels » (Dindo, en duala ; p
tiatiques » (dont parle Rapon
du Gabon)..., ce qui explique
nourriture et illustre par ai
naire » chez certaines ethni
comme « inférieures » parce q
impropres ou « ignobles » p
logue de ces interdits alimen
« civilisation culinaire » — et d'une civilisation tout court —
extraordinairement vivace. Pour satisfaire ces interdits, il fallait
une grande richesse dans la variété des aliments, sans compter
les motifs rituels, superstitieux, médicaux, géographiques, etc.
Géographiques parce que les habitants des bords des fleuves ne
pratiquent pas les mêmes interdits que les habitants de l'hinter
land. (A ce propos, on raconte l'histoire d'un conflit à bras
armé qui a opposé, au Cameroun, les Duala, mangeurs de pois
son, aux Ewondo, mangeurs de viande, au cours d'une partie de
football. A un moment donné où la supériorité des « mangeurs
de poisson » devint trop évidente, le match dégénéra en bagarre
et lorsque les Duala virent couler leur sang — ils avaient horreur

(1) Il nous plaît de citer les lignes suivantes, tirées d'une recette haï
tienne de cuisine : « ... Les émigrants africains ont apporté en Amérique
les arachides, le maïs, le gombo, le sésame, les pots aux yeux noirs,
l'igname, la patate, l'avocat. Ces légumes, cultivés par les nouveaux arri
vants sur leurs lopins de terre près des plantations de coton du sud des
Etats-Unis, étaient consommés exclusivement par les esclaves. Peu à peu,
ces produits, pour la plupart très appétissants, ont été adoptés partout. »
(In Recettes ha:itiennes et exotiques, par Marysol des Iles, aux Editions
Leméac, Ottawa, 1973).
(2) Basil Davidson, Les Africains — Introduction à l'Histoire d'une
Culture, Coll. Esprit - « Frontière ouverte », Editions du Seuil, Paris, 1971,
traduit de l'anglais.

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 199

de ça ! — sous les coups furieux et bien appliqués des Ewondo


mangeurs de viande boucanée, ils battirent lamentablement en
retraite et la partie se termina... en queue de poisson. Pour expli
quer et justifier leur déroute, les Duala alléguèrent que les
Ewondo n'étaient que des... anthropophages, des mangeurs de
chair humaine, quoi... Mais comme on sait que les Duala sont
les plus grandes mauvaises langues du pays, on n'accorde guère
de crédit à leur prétexte... Les « mangeurs de viande boucanée »
sont cependant restés sur leur faim et continuent de poursuivre
de leur vendetta les goguenards « mangeurs de poisson »...) (3).
... D'une façon générale, le cuit prédomine dans la gastrono
mie négro-africaine. A notre connaissance, on ne pratique le cru
que dans la consommation des fruits. Il y a tout une science de
l'art culinaire dans la civilisation du cuit. Nous en citons quel
ques procédés : il y a la cuisson longue et minutieuse, « à l'étouf
fée », dans des marmites, qui garantit aux aliments une succu
lence particulière ; il y a des grillades aux arômes fameux ; il y
a le poisson (ou la viande) braisé sur des charbons ardents ou
doux, dont le fumet attire gourmets et gourmands à des lieues
à la ronde ; il y a la cuisson du poisson (ou de la viande, cela
dépend des régions) dans des feuilles de bananier-plantain ou
autres ; il y a, il y a... mille et une façons de préparer tous les
aliments qui sont consommés tous les jours, préparation qui varie
selon les circonstances. Les procédés de cuisson sont fort nom
breux et nous ne pouvons pas les énumérer ici. Chez les Duala,
par exemple, l'huile de palme joue un rôle essentiel dans la
plupart de ces procédés. À l'heure actuelle, l'huile de palme a
perdu ses vertus premières et son goût exquis d'antan, à cause
d'une industrialisation au rabais ; elle n'est plus — ou presque
plus — fabriquée selon les procédés traditionnels (« pétrissage »
à pieds nus dans des « cuves » en bois véritable). Les ménagères
averties disent qu'elle a un « goût de machine », un « goût de
fer » et, pour la purifier, elles la font d'abord « bouillir » avant
de s'en servir. (La femme duala est réputée pour son art d'accom
moder les sauces, bouillons, courts-bouillons, longs-bouillons,

(3) Cette histoire ne s'arrêta pas là. Les Ewondo rétorquèrent qu'il
valait peut-être mieux manger de la chair humaine bien cuite que de
croquer des « mille-pattes » comme le font les Duala. Allusion faite aux
Mbea-Towè ou Mitokè-mi-Kamba, ces fameux crustacés que les Portugais
trouvèrent par bancs entiers, en 1512, vers Noël, à l'estuaire de l'actuel
fleuve Wouri, et qu'ils prirent pour des crabes : c'est la raison pour
laquelle ils baptisèrent ce fleuve, Rios des Camerones (Rivière des Crabes),
nom donné par la suite au pays, avec des déformations phonétiques
(Cameroons, Kamerun, Cameroun...). Qu'on n'aille pas dire par là que
« les Camerounais sont des crabes ». — Les Duala raffolent de ce cmstacé
dont la pêche est rituelle, saisonnière et très pittoresque. Ils le préparent
de mille façons et son odeur est particulière. Rappelons que le « nom
scientifique» du Mbea-Towè est Caliarnassa Turterana. Un ae plus.

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200 PRÉSENCE AFRICAINB

grillades, poisson braisé... et


riés qui y goûtent — chez les
vent le chemin de la case con
Le choix des essences indisp
laissé au hasard ; elles étaient
et leur efficience. On savait
bon bois du mauvais, le bois à f
ardente et consistante, le « bois de la concorde » du cc bois de
la discorde ». Chez les Duala, il y a une essence dont la fumée
provoque, paraît-il, des querelles dans les foyers ; on en évite
donc l'utilisation autant que possible. Toujours dans cette même
ethnie, un proverbe dit : « Weya'bwam isi ma bô sônô » ; cela
veut dire : « Il y a toujours des fourmis dans le bon bois. » La
signification de cette maxime ne s'arrête pas au bois de cuisson,
elle s'étend également à d'autres « essences » de la vie négro
africaine...
Nous n'avons pas parlé des procédés de conservation ; ils sont
nombreux et vont de la fermentation au fumage, en passant par
le séchage, le boucanage, la marinade, la salaison, la conserva
tion pour décomposition, etc., signes et preuves d'une civilisation
millénaire. Ces procédés se retrouvent dans les contrées à gibier,
à poisson, à <c viande domestique », à volaille, à manioc, à plan
tain, à mil, etc. Ils permettent de faire face aux périodes de
disette et permettent aux voyageurs de ne pas manquer de vivres
au cours de leurs randonnées. Plusieurs variétés d'ingrédients
entrent dans la composition de ces recettes de conservation. Dans
la plupart des cas, les aliments conservés peuvent être consom
més immédiatement, réchauffés ou pas ; ils conservent tous leurs
principes nutritifs et rendent de grands services. (Nous revien
drons plus loin sur la notion de principes nutritifs des aliments
négro-africains... )

Arrêtons-nous un instant aux fruits. Le Négro-Africain en


consomme beaucoup, mais pas comme un dessert, un « appen
dice » de ses repas. Cette... « autonomie » confère aux fruits une
fonction spéciale dans l'alimentation du Négro-Africain qui les
consomme, soit comme un... « divertissement », en les mangeant
crus et mûrs — ce qui est la forme courante — soit en les séchant
pour une consommation ultérieure, soit en les accommodant de
mille autres façons ingénieuses... Les fruits négro-africains, im
proprement appelés « fruits exotiques », varient selon les climats
et les régions : fruits de la savane, fruits de la forêt vierge, fruits
des régions désertiques, fruits des bords des rivières et des fleu
ves, fruits des bords des lacs, des mers et des océans, fruits de
la montagne, fruits des buissons et des guérets, etc. Autrefois, il

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VIOLATION DE L*« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 201

était rare que l'Africain achète des fruits, chaque famille ayant
ses propres arbres fruitiers. Dans les plantations et les champs
de culture vivrière, il était bon de cueillir — ou de ramasser le
fruit mûr et de le déguster à l'état pur. Les animaux et les oiseaux
avaient leur part du festin, car même « sauvages » ils apparte
naient à la communauté. (Il va sans dire que les fruits entraient
dans la composition de certains médicaments et de philtres
d'amour et de mort.)
Puis la conquête coloniale vint troubler ce paisible et com
munautaire festin fruitier. Des hordes d'insatiables « conqué
rants » s'emparèrent de tous les fruits de l'univers négro-africain.
Armés de fusils à répétition — oui ! à répétition, vous vous ren
dez compte ? — ils massacrèrent nos animaux, et nos oiseaux
qui avaient l'habitude de venir manger paisiblement leur part
de nos fruits communs. Et ils chassèrent à coups de pied et de
crosse les Négro-Africains, eux-mêmes, de leurs magnifiques plan
tations fruitières. Ce n'est pas tout ! Les Négro-Africains qui
louaient leurs « cases-en-dur » à des Blancs, n'avaient pas le droit
d'entrer dans la concession pour recueillir ou ramasser les fruits
des arbres qu'ils avaient plantés et entretenus avec tant de soin
et de peine ! Il fallait voir avec quelle gargantuesque glouton
nerie les locataires-maîtres-blancs ingurgitaient les fruits nègres
usurpés... Par absurde, le Négro-Africain, atteint du complexe
de sujétion, commença à avoir honte de ses inégalables fruits
razziés et se mit à convoiter les chétifs fruits morts et importés
qui venaient de France ou de l'U-K (United-Kingdom). « Cela
fait bien », comme on dit... A ce sujet, je vais vous raconter une
petite histoire. Un brave homme duala, dont je tairai le nom,
eut un jour la réflexion désabusée suivante devant des amis :
— « Na lom Munj'am o Don, nà andeye mba « dezert », tide
andedi nde mba Makubé. »
Ce qui veut dire : « J'ai envoyé ma femme au marché pour
m'acheter du dessert, mais elle m'a acheté des bananes. »
Dans l'esprit de ce brave Dualaman : a) la banane n'est pas
un dessert ; b) seuls les fruits des Blancs sont des desserts ; signa
lons d'autre part, c) que s'il a prononcé « dézert » pour dessert,
c'est qu'il ne parlait guère français ; il est donc excusable à nos
yeux. D'autres Africains le sont moins ou pas du tout, qui affi
chent à l'heure actuelle un snobisme fat et sot en prétendant ne
consommer que des « fruits de France »... (ou de l'U-K).
Des fruits, défendus ou pas, passons sans coup férir aux
boissons. L'eau est la principale boisson que les Négro-Africains
buvaient après leurs repas. Du moins en était-il ainsi autrefois.
Les plus communément connues des autres boissons négro-afri
caines sont : l'eau de noix de coco (Madiba ma Mbanga mwa
Pongo), le miel (Bômbô-bwa-Ndômbi) — boissons rafraîchis

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202 PRÉSENCE AFRICAINE

santés : le vin de palme (Mao


de mil, le vin de maïs (Angw
proprement parler, mais ferm
d'une certaine façon (par dist
deviennent des breuvages à m
selon les cas ; ce sont alors d
boyaux ». (Chez les Abô, Cam
Njôô (littéralement : Pimen
oublier l'alcool de riz, fort ap
rizière.
Le vin de palme, sève du palmier à l'huile, se recueille direc
tement sur l'arbre dont la partie supérieure est taillée et perforée
à l'aide d'un coupe-coupe spécialement aiguisé. On accroche des
calebasses au-dessous des orifices ainsi pratiqués et on laisse couler
goutte à goutte la sève dans les calebasses pendant quelques
heur««, la nuit ou le jour. Au petit matin ou à la tombée de la
nuit, on décroche les calebasses remplies d'un liquide blan
châtre, pétillant et exquis. Toutes ces opérations se font par grim
page sur l'arbre. D'autres fois, quand le palmier à huile a terminé
sa longue et multiple mission, on l'abat et on recueille sa sève
sur l'arbre couché jusqu'à dessèchement complet. La consomma
tion du vin de palme donne souvent lieu à des beuveries pail
lardes : dans un endroit approprié (Ebondo-a-Mao ; pluriel :
Bebondo), les consommateurs sont assis en rond autour du ser
veur placé au milieu du cercle, à côté des calebasses de vin. Il
y a certaines... manières de servir qu'il faut respecter, faute de
quoi le serveur peut risquer de blesser l'amour-propre des bu
veurs qui peuvent interpréter certains gestes comme du mépris.
Cela peut aller très loin, et plus le vin monte plus les amours
propres se réchauffent et ces scènes se terminent souvent par de
sanglantes et même mortelles rixes au coupe-coupe (surtout dans
certaines tribus du Sud-Cameroun particulièrement avides de
vin de palme...). Par l'addition de certaines écorces et autres
produits, on arrive, dans ces régions, à obtenir des catégories
supérieures de vin pas éphémères comme le vin de palme ordi
naire. Ces catégories « supérieures » — ces « grands crus » —
sont généralement réservées aux « aînés », aux « anciens », aux
hôtes de marque. — Le vin de palme, comme le vin de maïs
ou de mil, entre dans la composition de plusieurs variétés de mé
dicaments de la pharmacopée négro-africaine.
Nous n'avons pas une assez bonne connaissance des alcools
uégro-africains de la famille du « piment-de-la-panthère », sus
nommé, mais nous avons l'impression que leur rôle n'a pas été
bénéfique pour la santé de leurs consommateurs. Il semble que
ces alcools ne pouvaient pas être fabriqués en quantités suffi
santes (on dit aujourd'hui : en quantité industrielle) pour pro

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VIOLATION DE h'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 203

voquer un fléau social susceptible de perturber l'équilibre com


munautaire négro-africain dans sa continuité. En effet, on connaît
peu de cas de « misère physiologique » et de « neurasthénie so
ciale » pendant la période pré-coloniale, ce qui ne veut pas dire
qu'il n'en existait pas. Tel ne va pas être le cas avec l'avène
ment des alcools importés, et leurs néfastes effets sur les popu
lations. La perfidie de l'histoire nous apprend que le Négro
Africain n'était pas un... « alcoolo-résistant » mithridatisé contre
les dangers de l'éthylisme chronique et profond, car chaque fois
que les corsaires au visage pâle ont voulu abuser de sa confiance
dans de pseudo-négociations « amicales », ils lui ont toujours
offert et fait boire de l'a eau-de-mort »... Une fois l'alcool bu
et l'opération d'abrutissement systématique réussie, le pauvre
Nègre ivre n'était plus qu'un objet sans réaction que les corsaires
machiavéliques manipulaient à leur guise et dépouillaient de son
patrimoine et de sa personnalité. La colonisation permanente a
inventé des procédés encore plus diaboliques d'abrutissement du
Négro-Africain par l'alcool. Nous en parlerons plus loin.
Il convient d'associer à l'identité culinaire négro-africaine les
préparations pharmaceutiques ou.. « magiques » qui sont légion
en Afrique Noire et se composent de toutes sortes de matières :
écorces, racines, herbes, huiles, décoctions, sel gemme, sel ma
rin, pâte d'arachides, lait caillé, bouillies, feuilles fraîches ou
sèches, graines, bouillon de viande ou de poisson, poudres, gui
de kolatier, noix de kola, cendres, excréments d'éléphant, testi
cules de bouc et de coq, lotions, infusions, pommades, baumes,
onguent, « Kan-Wan » (alun), fibres, fruits, urines de lion, miel,
que sais-je encore...
L'ouvrage de Dominique Traoré, Médecine et Magie africai
nes (4) fourmille de mille et une recettes inédites dont la finalité
tend à la conservation et au développement de l'espèce humaine
négro-africaine.

Recette : «... pour avoir de l'appétit, pour bien chanter,


pour supporter la soif, pour faire descendre une arête de poisson,
pour se nettoyer l'estomac, pour développer le membre viril, pour
conserver ses yeux en excellent état, pour ne pas avoir ni cheveux
ni barbe, pour noircir des cheveux blancs, pour s'immuniser
contre la morsure de serpent, pour se préserver de la piqûre du
scorpion, pour procréer, pour continuer de procréer, pour ne
pas procréer, pour purifier le lait d'une nourrice, pour supprimer
la lactation, pour améliorer le lait d'une nourrice, pour confir

(4) Editions Présence Africaine, Paris, 1965, épuisé. Grand Prix de


Littérature (catégorie « Essais scientifiques ») du Premier Festival Mondial
des Arts Nègres, Dakar, 1966.
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204 PRÉSENCE AFRICAINE

mer la stérilité chez une fe


le sevrage, pour hâter la ma
le nouveau-né du tétanos, p
hernie ombilicale, pour prés
et des coliques, pour rendre
un enfant courageux, pour
« donner la jambe » à un enf
très peu de temps plusieurs k
rendre un enfant discret, pou
combattre le bégaiement ch
des garçons, pour connaître l
parer un enfant à la lutte,
contraire, pour se faire aimer
femme, pour s'attirer la bien
pour rendre à son profit une
une femme chaste, pour fai
pour se faire adorer de sa f
mari et réciproquement, po
empêcher une femme de se
dans une famille sans enfant,
faire une bonne pêche, pour
son entourage par son intellig
ler rapidement ses marchand
obtenir une dette de son proc
fortune, pour reconnaître u
lonté... »

Arrêtons là cette énumération qui montre bien jusqu'à quel


point le Négro-Africain était soucieux de la préservation de son
univers dans sa totalité. Car « l'identité culinaire » négro-afri
caine ne suppose pas uniquement l'action de préparer les nour
ritures qu'on mange ; elle sous-tend une... « Civilisation du
manger et du boire » qui est source de vie, de vie et de mort, et
qui englobe toutes les nourritures terrestres, célestes, spirituelles,
magiques. Le créateur n'a pas voulu laisser au hasard les compo
santes de cette « Civilisation du manger et du boire » et c'est la
raison pour laquelle il leur a confié un pouvoir exceptionnel
afin qu'elles puissent assumer la « digestion du monde » dans les
meilleures conditions possibles. Ces conditions sont pleines de
dynamisme, d'humeur et d'humour et nous allons essayer d'en
faire revivre quelques-unes :

La cuisine {Muèbè ; prononcer : Mouèbè). — Il est interdit


à l'homme d'entrer dans la cuisine, domaine réservé et privilégié
de la femme. Chez les Duala (Cameroun), on dit d'un homme

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 205

qui a l'habitude d'entrer dans la cuisine quand on prépare la


nourriture, qu'il est itôngè (prononcer : itônguè), terme peu
flatteur. En effet, pour la femme négro-africaine, la cuisine n'est
pas seulement le lieu où elle prépare la nourriture de la famille ;
c'est aussi et surtout pour elle l'endroit de prédilection où elle
organise et conserve les ustensiles et les produits de sa souve
raineté dans la vie communautaire ; d'autre part, c'est là qu'elle
dissimule, dans des cachettes astucieuses, les plats rares, mijotés
avec amour, qu'elle réserve à son mari. — Les mauvaises langues
—il n'en manque jamais, surtout en pareille circonstance —
disent que si la femme négro-africaine interdit à son mari l'accès
de sa cuisine, c'est tout simplement parce que c'est dans cet
endroit qu'elle prépare mystérieusement les fameuses mixtures
destinées à retenir, aveugler, abrutir, neutraliser, anéantir son
bomme...
Signalons que dans les ménages polygamiques authentiques,
chaque épouse, ou groupe d'épouses, avait sa cuisine. Supposons
que dans chacune de ces cuisines, chaque co-épouse se soit amu
sée à fabriquer les fameuses « mixtures » dont nous venons de
parler, pour « adoucir » le caractère de l'époux commun. Quel
organisme humain de quel époux aurait résisté à une désinté
gration certaine et implacable ?... Et pourtant, l'alchimie de ces
philtres allait bon train dans la société négro-africaine, la vie
aussi, l'amour aussi, la mort aussi...
Une chose est certaine. L'homme est l'esclave de la femme,
de l'épouse qui « connaît le secret de son ventre », entendez :
qui sait lui préparer les plats qu'il aime.

La marmite (Wôngô ; pluriel : Longo). La marmite joue


un rôle central dans la vie communautaire négro-africaine : cuis
son des mets quotidiens, conservation des provisions pour le
lendemain (ce qui leur donne un goût extra), préparation des
herbes et écorces médicinales qui assurent la santé du peuple,
accommodation des repas rituels et des aliments initiatiques, le
fameux Dindo des Duala (pr. Di-ndo), dans la composition duquel
entrent les éléments les plus bizarres, identiques à peu près à
ceux des « recettes » de Dominique Traoré et dont la cuisson
dure des nuits et des nuits. Le Dindo sert à la fois à chasser les
maléfices qui menacent la communauté et à « blinder » les per
sonnes et les familles...
Il s'agit de vraies marmites et non de ces casseroles légères
et « indiscrètes », tellement pressées qu'elles ne respectent même
pas la majesté de la cuisson des aliments, et qu'on appelle à juste
titre des « cocottes-minute ». — Il est conseillé aux jeunes gens
de ne pas manger à même la marmite, car, s'ils le font, ils torn

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206 PRÉSENCE AFRICAINE

beront sur les genoux lors


dit : Mumi nu ma dêê o wôngô, a ma ko Mbeï - a - Ma
bôngo = « l'homme qui mange dans la marmite tombe sur les
genoux » (à la lutte), ce qui est un grand déshonneur pour lui
même, pour sa famille et pour son clan ; après une telle chute
humiliante lors d'un match de lutte, le jeune homme devient la
risée du village et est repoussé par les jeunes filles. Cette honte
le poursuit dans sa vie et l'affuble d'une désobligeante légende
jusqu'au moment de son mariage...

Le ROT (Mbêo). Qu'est-ce que le rot ? Chez les Africains,


c'est un signe de satiété, de satisfaction gastronomique. Il est
tout à fait normal, en Afrique, de roter après le repas. La maî
tresse de maison apprécie, parce que cela prouve que le repas
était bon et que les convives sont contents. En Afrique, il n'est
pas, il n'était pas question de présenter des excuses en disant
« Pardon ! » après avoir roté. De nos jours, le mimétisme occi
dental a gagné presque toutes les couches de notre pauvre société
et il est de bon ton, pour « faire comme les Blancs » de deman
der « Pardon ! » après avoir roté. Il paraît que « ça » fait « bien
élevé »... Et nous l'apprenons à nos enfants !... C'est un Crime
de Lèse-Afrique... (5).

La bouche (Mudumbu ; prononcer : Moudoumbou). L'hy


giène buccale du Négro-Africain est quelque chose de sacré. Hom
mes, femmes, enfants avaient à longueur de journée le cure-dents
(sisako) dans la bouche et ne cessaient de se frotter les dents ; de
temps en temps, ils lançaient de fins jets de salive autour d'eux.

(5) Il en est du rot comme du « savoir-vivre » importé. A ce propos,


laissez-nous citer le célèbre poème du grand poète négro-africain Léon
G. Damas :

• « Savoir-vivre »
« On ne bâille pas chez moi comme on bâille chez eux
avec la main sur la bouche
je veux bâiller sans tralalas
le corps recroquevillé
dans les parfums qui tourmentent la vie
que je me suis faite
de leur museau de chien d'hiver
de leur soleil qui ne pourrait pas même tiédir
l'eau de coco qui faisait glouglou dans mon ventre au réveil
Laissez-moi bâiller la main

sur le cœur
à l'obsession de tout ce à quoi j'ai en un jour
donné le dos »
(Pigments)

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 207

Le Négro-Africain n'attendait pas des circonstances exception


nelles pour « se laver la bouche ». Il avait l'habitude, à la fin de
chaque repas, de se gargariser la bouche avec de l'eau qu'it
n'avalait pas, mais qu'il crachait par terre.
A ce sujet, voici une histoire, encore une. Deux grands chefs
kamerunais avaient été officiellement invités en Allemagne hohen
zollernienne. Comme il se doit, ils furent reçus en grande pompe
par le Kaiser Guillaume II. Tout se déroula bien jusqu'au mo
ment du dîner de gala que les illustres convives kamerunais ap
précièrent hautement. Mais tout se gâcha, raconte-t-on, après le
dessert, lorsque l'un des deux grand chefs, n'obéissant qu'à ses
nobles instincts ancestraux, « rinça » bruyamment son auguste
bouche avec l'eau impériale qu'il avait demandée et qu'il renvoya
en jets successifs sur le tapis impérial de l'impériale salle à man
ger du Kaiser...
Je ne sais pas si cette histoire est vraie, mais ceux qui nous
l'ont transmise affirment malicieusement que les deux grands
chefs étaient un Duala et un Ewondo et que c'est ce dernier qui
se livra ainsi à sa toilette buccale dans les salons du Kaiser. No
blesse oblige... Voyez comme les gens sont méchants ! Ils veulent
absolument diviser deux frères qui s'aiment bien : Duala-Mbêdi
et Ewôndô-a-Mbêdi. Ce n'est pas bien, ça... Moi qui voulais
vous raconter d'autres histoires de ce genre, voilà que je fais des
complexes, maintenant. Je m'arrête donc. Non sans affirmer ceci :
le matin, le Négro-Africain procédait alors à sa toilette buccale
avant de manger quoi que ce soit. Il ne sortait jamais de chez lui
sans se débarbouiller et ce n'est pas lui qui aurait pu prendre
le café-au-lait-au-lit sans se laver la bouche au préalable, comme
le font les Européens.

Le poison. Peut-on dissocier le poison de la vie communautaire


négro-africaine ? Cela ne nous semble pas possible. Le poison
fait partie intégrante de cette vie. Les Négro-Africains s'aiment
tellement qu'ils passent le meilleur de leur temps à imaginer, à
inventer les poisons les plus raffinés pour s'entre-supprimer. Et
quand le mal est fait, on accuse le sorcier ou un autre mauvais
génie quelconque. Bien entendu, le vecteur privilégié de cette
grande manifestation de « fraternité négro-africaine » est la nour
riture et la boisson. Les poudres, surtout celle du Strophantus,
sont le plus souvent employées. (D'après le Nouveau Petit La
rousse illustré, « le Strophantus est une liane des régions tropi
cales, contenant une substance toxique que les indigènes utilisent
pour empoisonner leurs flèches. A petites doses, le strophantus
est tonicardiaque. » Il entre dans la fabrication de la digitaline.
C'est nous qui ajoutons.) La nourriture et la boisson ne sont pas

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208 PRÉSENCE AFRICAINE

les seuls « véhiculaires » em


les citer, on déborderait le
cas, on dira tout ce qu'on v
d'avoir maille à partir avec
crèce Borgia n'a rien à leur
poisonnement.. .
La science du poison se cu
cultive la science culinaire. On la confond souvent avec la sor
cellerie. C'est une erreur. Si le Négro-Africain mettait autant d'in
géniosité à construire qu'il met de machiavélisme à se détruire,
l'Afrique serait sortie du sous-développement depuis longtemps.
Les dosages sont multiples et quand le poison est introduit dans
l'organisme humain, par les vecteurs « classiques » et par d'au
tres « véhicules » moins connus, il est quasi impossible de le dé
tecter, même au moyen des procédés scientifiques les plus per
fectionnés. C'est la raison pour laquelle on fait appel aux anti
dotes. Mais cela est une autre histoire...

*
• *

Ainsi donc, voilà un peuple, le peuple de tout u


qui a su, depuis des siècles et des siècles, organise
méticuleux sa « Civilisation du manger et du bo
le colonialisme et le néocolonialisme vont appliq
peutique » la plus humiliante et la plus déperson
l'on puisse imaginer. Pour ne nous en tenir qu
1'« identité culinaire » qui nous concerne ici, nous al
dans les lignes qui vont suivre, quelques aspects m
l'aliénation dont le Négro-Africain a été et co
l'objet.

La manière de manger. Si la manière de manger peut déter


miner un style de vie, on peut dire que, d'une façon générale,
les Négro-Africains mangent par terre (dans des plats, sur une
natte ou sur une feuille de bananier) et avec les doigts. Il y a
d'autre part des races qui mangent à table, avec une fourchette,
une cuiller et un couteau : on les appelle les « Occidentaux ».
Les Négro-Africains mangent avec les doigts, mais ils se lavent
soigneusement les mains avant et après les repas. Par contre,
on peut manger avec un couvert sale et ne se laver ni les mains
ni la bouche avant et après les repas. Cela arrive souvent aux
« Occidentaux » dit « civilisés », surtout aux Latins qui semblent
avoir élevé la saleté au niveau d'une institution.

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 209

Il y a une intimité particulière à plonger la main, tous en


semble, dans le même plat communautaire, pour manger la même
nourriture communautaire. A ces moments exquis, on sent dans
ses fibres les plus profondes, qu'on partage la même essence,
qu'on participe à la même condition humaine que tous ceux qui
sont accroupis autour du grand plat familial. Cette impression
ne peut pas exister chez les Européens : ils mangent de façon
a individualiste », sur une table qui les isole les uns des autres,
avec des « outils » qui les éloignent des aliments consommés.
Aucune communion ne se fait entre les aliments et eux. Ils sont
« étrangers » les uns par rapport aux autres. Dans ces conditions,
le repas « passe » à cause de la nécessité qu'a l'être humain de
se nourrir pour survivre ; il ne « passe » pas par osmose. C'est
du moins l'impression qu'on a quand on regarde les Blancs des
villes industrialisées ; ils mangent comme des automates. Il est
vrai qu'à la campagne ils abordent la table de façon plus hii
maine.

La sommation de « monter à table » qui a été faite au Négro


Africain par les corsaires-conquérants pâles, n'est pas un acte
d'élévation sociale ; c'est une insultante subordination à un style
de vie étranger, imposé par la force. On lui a tellement bien
appris à se servir d'une fourchette et d'un couteau qu'il rate ses
bouchées à la moindre distraction, et mord son couvert à la place
de la viande. Devant sa nourriture répandue par terre, il secoue
tristement la tête et se penche pour la ramasser avec ses doigts.
Il oublie, le pauvre, qu'il ne se lave plus les mains depuis qu'on
l'a précipité dans la « civilisation de la fourchette », de la four
chette hypothétique, contraignante, empoisonnée... A partir de
ce moment, tout pour lui devient mimétisme. Il brandit sa four
chette à propos de tout et de rien... pour manger du riz, pour
manger une orange, pour manger du « foufou », pour manger
du couscous, pour manger du vent, pour « manger » de l'eau,
pour manger sa condition humaine... (6).

(6) Il y a chez les Duala (Cameroun) une manière particulière de


manger les bâtons de manioc cuits à l'étouffée dans des feuilles. On dé
roule la feuille avec les doigts et on prend directement le manioc qu'on
trempe dans la sauce avant de le porter dans la bouche, ou bien on le
mange avec du gâteau de courges (Ngôndô-a-Mukon), toujours avec la
main. Pour le nouveau Négro-Africain, il n'en sera plus ainsi. Il faudra
lui « déshabiller » au préalable les bâtons de manioc, les disposer nus
dans une assiette — comme des vers de terre — pour qu'il puisse les
découper délicatement avec son couteau et les piquer de sa fourchette !...
Ce faisant, il détruit un rite séculaire, mais cela n'a plus d'importance
pour lui, pourvu qu'il se serve de son couvert. Il est mal à l'aise à
table, mais il faut qu'il y reste... Cela me fait penser à un camarade de
mes adolescentes années, qui écrivait dans une « rédaction » (devoir de
français) à l'Ecole Supérieure de Yaoundé : « Nous nous mettons à table
avec les macabos. » Cette phrase ne veut peut-être rien dire en français
et nous nous moquâmes pendant longtemps de ce camarade des années 30.

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210 PRÉSENCE AFRICAINE

Armé de sa fourchette dép


contre tout ce qui s'identifi
des plus authentiques valeur
viole sur la place publique
saisissable pour l'étranger. A
sur les sentiers trompeurs
rable à toutes les pollutions
Gin, Bière, Macaroni, Pomm
Protéines..,

Le pain. C'est une grande institution que le pain. Une insti


tution aux ramifications multiples, une Congrégation pour la pro
pagation de la Foi du Blé, fermement décidée d'évangéliser toute
l'Afrique Noire, important marché de catéchumènes naïfs. Le
pain s'est installé sur notre continent méthodiquement, graduelle
ment, irréversiblement. L'opération s'est d'abord occupée à trans
former, à déformer la mentalité des nouveaux catéchumènes en
leur enlevant le goût du manioc et du mil. Mais avant d'en
arriver là, le pain, comme le colonialisme, est passé par des che
mins tortueux, politiques et religieux, et s'est « blanchi » plus
d'une fois...

Au début, nourriture privilégiée pour privilégiés. Auréolé


de sa suprématie, il écrasait d'un mépris hautain le manioc, le
mil, le plantain... aliments ignobles, nourriture sauvage pour des
sauvages. Les indigènes allaient en quémander des morceaux à
bord des paquebots et des cargos en rade, quand ils n'en ramas
saient pas craintivement des miettes dans les poubelles des
Blancs. La « noblesse » du pain était telle que les indigènes le
regardaient comme une matière supérieure, bénie des dieux.
Plus près de nous, pendant l'une des « dernières-grandes-guerres »
(celle de 1939-1945), le pain était rationné, vendu à la carte
comme la plupart des denrées de première nécessité. Seuls les
Blancs et les Nègres assimilés avaient le droit d'en acheter. Très
vite, un marché noir du pain blanc s'instaura et les indigènes
purent accéder à la précieuse denrée en se faisant gruger comme
toujours.
Mais l'après-guerre changea la mentalité des corsaires. Au lieu
de continuer à ennoblir le pain — le pain de blé — ils le popu

Mais réflexion faite, avec le recul du temps, notre condisciple n'avait-il


pas raison de se mettre à table avec les macabos ? Dans son village
comme dans tous les villages, on mangeait le dikabo (taro) avec la main,
par terre. A l'Ecole Supérieure de Yaoundé, les Blancs avaient donné
une promotion à tous les élèves en les sommant de « monter à table ».
Peut-être est-ce l'image que mon camarade a voulu rendre en « se mettant
à table avec les macabos » ?...

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE» NÉGRO-AFRICAINE 211

larisèrent. L'opération était d'une colossale envergure. Les hom


mes d'affaires occidentaux se frottèrent les mains et décidèrent
d'installer des « Grands Moulins » sur tous les pointa importants
de notre continent. C'est ainsi que naquirent les « Grands Mou
lins de Dakar », les « Grands Moulins d'Abidjan », les « Grands
Moulins de Pointe-Noire », etc. Mais il n'y avait pas que les
« Grands Moulins », il y en avait aussi des « moyens » et des
« petits » bien en place partout ; c'est une histoire de partage
d'un empire en lobbies ; ce sont des choses qui arrivent... La
toile d'araignée des « moulins » à pain-de-blé couvrait de plus en
plus d'espace dans les contrées et les clients indigènes se faisaient
de plus en plus nombreux et naïfs. Fascinés par le prestige de
cet aliment noble par excellence, ils tournent le dos aux produits
de leur terroir. Comme les marchands d'esclaves d'hier, les mar
chands de pain-de-blé sillonnent toute l'Afrique, de village en
village, pour vendre leur marchandise. Les circuits sont telle
ment bien organisés qu'aucun hameau n'échappe à ce fructueux
négoce. Au siège social « métropolitain » des compagnies pro
priétaires des « Grands-et-Petits-Moulins », le chiffre d'affaires
monte en flèche. Les actionnaires sont rassasiés de satisfaction ;
ils dessinent sur les murs de la salle de leur conseil d'adminis
tration des cartes d'Afrique en pain de mie, avec des « crois
sants », des « baguettes », des « viennoises », en guise de lacs,
de fleuves et de montagnes... Comme au temps de « Moussa-et
Gi-Gla » et de « Mamadou-et-Bineta », on apprend aux catéchu
mènes — consommateurs-nègres — l'hymne à la « panification »
de l'Afrique !... Jamais on n'a pensé un seul instant à fabriquer
du pain avec de la farine de mil ou de manioc. La politique de
« panification » commandait qu'on fît venir d'Europe de la farine
de blé, condition sine qua non de la bonne marche des affaires.
Et les affaires marchent fort bien pour ces messieurs-les-action
naires des « Grands-et-Petits-Moulins » d'Afrique...
Le même processus a été employé pour les macaroni et les
pommes de terre ! Leur négoce en pays noirs s'accompagne d'une
intense campagne publicitaire pour que, dans les casseroles des
ménagères à peau d'ébène, on ne trouve plus que ces denrées
aux heures de cuisson. Les choses vont si bien qu'on commence
à cultiver la pomme de terre sur place, mais, pour gagner plus
d'argent, on la vend en ville, aux arrivistes de la Fonction pu
blique, sous l'appellation de « pomme de terre de France » —
ainsi, même la Terre ment à l'Afrique prostituée...

La bière. J'ai souvenance de scènes pénibles qui se passaient


an pays pendant mon adolescence. On voyait la police coloniale
organiser avec une brutalité inouïe de véritables « chasses aux

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212 PRÉSENCE AFRICAINE

sorcières » pour traquer, jusqu


les marchandes de vin de palm
de prohibition et déclarée « i
les autorités coloniales. Quand
venantes, on brisait leurs cal
de lourdes amendes qu'elles d
plus des pots-de-vin (c'est le
arbitrairement fixé par les age
policières étaient plus sévères.
l'habitude de transporter d'imp
dans des pirogues. Pour mieu
niale avait créé une « police
punitives » sont restées prov
étaient sauvagement battus e
de procès. Dans les deux cas,
jours pour eux quelques bonn
« se mouiller la barbe »...
A vrai dire, le vin de palme n'était pas si impropre que ça
à la consommation. Les Blancs en buvaient. Notre instituteur,
Monsieur Thierry, directeur de l'école régionale de New-Bell
(Douala) en consommait beaucoup. Tous les matins, il enfour
chait sa bicyclette « Hirondelle » et allait s'abreuver de vin de
palme dans les faubourgs de la ville. Quand il revenait en classe,
c'était la terreur. Sans motif, il nous frappait violemment avec
des chicottes en rotin... C'étaient les effets du vin de palme.
Est-ce pour cela qu'on le prohibait ?... Si les Blancs nous vou
laient du bien en nous interdisant de boire du vin de palme,
pourquoi en consommaient-ils eux-mêmes ?... Et pourquoi Mon
sieur Thierry en raffolait-il tant ?... Et Monsieur Thierry ne
tombait jamais malade. Il nous « chicottait » toujours avec la
même férocité en revenant de ses beuveries matutinales, Monsieur
Thierry...
Malgré la prohibition, à cause de la prohibition, le vin de
palme avait plus que jamais acquis droit de cité. Comment le
déloger ? Par quoi le remplacer ?... Ce sont les Belges qui les
premiers trouvèrent la solution. Une solution presque « finale ».
Dans le Congo sous leur domination, ils se mirent à fabriquer
de la bière en quantité industrielle. De la bière de houblon pour
indigènes congolais. Us inondèrent littéralement ce pays de bière
dont le débit dépassait de loin celui de Grand fleuve Congo. La
bière belgo-congolaise marchait au pas cadencé avec la musique,
une musique tonitruante qui fusait de tous les bars crasseux
spontanément installés dans toute l'étendue de ce vaste sub
continent, une musique « Ngoma », « Fiesta », « Opika », que
des mercenaires belgo-internationaux avaient enregistrée sur dis
ques pour leurs florissantes firmes qui ne payaient aucun droit

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 213

d'auteurs aux guitaristes-chanteurs-compositeurs congolais. Du


petit matin à la tombée de la nuit, bière et musique, musique et
bière, agressaient les consommateurs, hommes, femmes, enfants,
jeunes, vieux et moins vieux... Dans les immondes débits de
boisson qui pullulent dans les bas-quartiers indigènes, on ne s'of
frait pas un « demi » ou une bouteille de bière : c'est par cageots
qu'on s'offrait le pétillant et blond breuvage, par cageots de
douze bouteilles de 66 centilitres chacune. Et on les buvait
toutes. Sur place !... Avant d'aller au marché, le matin, les fem
mes faisaient escale dans ces lieux et buvaient tout leur saoul
avant de continuer leur titubant chemin ; souvent elles oubliaient
de rentrer à la maison à midi pour préparer la nourriture fami
liale. Mais elles n'oubliaient pas de donner de la bière aux
enfants en bas âge qui les accompagnaient. Tout le monde se
grisait de bière... à la bonne santé du roi des Belges Léopold II
et de la toute-puissante «Société générale» belge... La «pa
gaille sociale » s'était installée partout. Il ne fait pas de doute
que les corsaires belges avaient ourdi un diabolique plan d'exter
mination de la population congolaise par le truchement de la
bière dont le volume dépassait celui des eaux congo-zambézien
nes. Les historiens occidentaux, « capitalistes » ou « marxistes »,
évitent sournoisement de parler de cette période d'abrutissement
du Congo léopoldien par la bière et la « musique » criarde. Sour
noisement, ils accusent la mouche tsé-tsé d'être porteuse de ger
mes de la maladie du sommeil. Ils oublient — ou feignent d'ou
blier — que la trypanosomiase provoquée par la bière est plus
dévastatrice de vies humaines que celle transmise par la glossine.
Mais il ne faut pas croire que le « Phénomène-Bière » était
circonscrit à la seule « cuvette » congolaise. Tous les pays afri
cains l'ont subi. Flairant les énormes avantages financiers qu'ils
allaient en tirer, les commerçants européens installèrent des
« Brasseries » sur toute l'étendue du territoire. Déjà, avant l'avè
nement des indépendances, chaque pays avait « sa » ou « ses »
bières. Les agents des gros trusts internationaux savaient chatouil
ler l'amour-propre des responsables africains en leur faisant
accroire que cette bière fabriquée sur place était leur bière. Bou
che ouverte et gorge en pente, les indigènes s'abîmèrent dans
« leur » blond-jaunâtre liquide. Il faut souligner qu'en fabri
quant sur place cette bière, les firmes européennes réalisaient
encore plus de bénéfices qu'en vendant de la bière dite « étran
gère », c'est-à-dire importée. En effet, le prix de revient de la
bière de fabrication locale est plus élevé que celui de la bière
importée. Donc, même si le prix de vente de cette dernière est
supérieur au prix de vente de la « bière locale », la marge béné
ficiaire réalisée sur la « locale » est de loin plus forte que celle
faite sur l'a importée ». De plus, les compagnies commerciales

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214 PRÉSENCE AFRICAINE

importent tout ce qui est


bière : machines, malt, em
nise » par nationalisation tou
changera rien au problème, b
On ne peut pas imaginer l
depuis des décennies par le
à Dakar, au Sénégal. Au Ca
du même nom n'ont cessé d
cette société au cours des années 50. Les « Brasseries du Came
roun » ont d'abord lancé sur le marché la bière Bull, très mau
vaise, véritable « taureau », comme son nom l'indique, qui terras
sait les malheureux qui la buvaient. Elles améliorèrent ensuite
leur production avec la « Beaufort ordinaire », et la « Beaufort
Spécial » — et ont dû continuer sur leur fructueuse lancée.
En citant le Sénégal et le Cameroun, on veut simplement pren
dre les exemples qu'on connaît le mieux. Il va sans dire que le
phénomène «r brasseries » a suivi le même processus au Ghana,
au Togo, au Nigeria, en Egypte, au Kenya, en Ouganda, par
tout. Le réseau est donc solidement bouclé. La bière coule à flots
dans toute l'Afrique. Même la sécheresse du Sahel n'arrête pas
son débit qui rivalise d'impétuosité avec celui des plus capricieux
fleuves du grand continent. — A Dakar, la bière « La Gazelle »
n'est pas aussi légère que son appellation fait croire. De belles
et corpulentes Sénégalaises ne dédaignent pas d'organiser des
« orgies de bière » à la « Gueule Tapée », faubourg de la capitale,
et ailleurs... Au Cameroun, on a composé un hymne publicitaire
à la gloire de la bière « Beaufort » :

« Oma pula tê bènè Ja la bwam,


Tôndô nde Beaufort.
Oma pula tê bènè Munyèngè,
Anda nde Beaufort !
Beaufort, Beaufort !
Erna wana Ja la bwam !
Beaufort ! Beaufort !
Erna wana Munyèngè !... »

« Si tu veux être bien portant,


Aime la Beaufort !
Si tu veux avoir la Joie,
Achète la Beaufort.
Beaufort, Beaufort !
Apporte la Santé.
Beaufort, Beaufort !
Apporte la Joie... »

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 215

Le VIN ROUGE. Le plus dévastateur des poisons importés en


Afrique Noire par les colonisateurs est sans conteste le vin rouge.
Il a déjà causé et continue de causer de graves dégâts que les
« Amis-professionnels-de-l'Afrique » évitent pudiquement d'in
ventorier. Pour cause... Pendant la période coloniale, il était
consommé en assez faible quantité par les indigènes. A cause de
la pseudo-prohibition. Mais, rapidement, son écoulement a aug
menté de façon fulgurante après la Deuxième Guerre hitléro
mondiale pour atteindre des taux himalayens par la suite. Il
faut dire que le vin rouge proposé aux indigènes était toujours
frelaté. Cependant, il n'a jamais été déclaré « impropre à la
consommation ». Comme on l'a vu, la prohibition était bonne
pour le vin de palme. Adversaire du vin rouge sur le marché des
affaires, le vin de palme devait disparaître. Mais il a la vie dure
comme le palmier qui le sécrète. Il ne disparut pas. Cela n'empê
cha cependant pas le vin rouge d'arroser toutes les campagnes et
toutes les villes africaines à travers de véritables réseaux de
o pipe-lines ». Le redoutable liquide rougeâtre a des propriétés
envoûtantes. Non seulement il sème le désarroi dans les pays
christianisés, mais il constitue un fléau dans les régions islamisées.
A Dakar, pendant la Dernière Guerre mondiale, le vin rouge
était rationné comme toutes les denrées de première nécessité.
Un « marché noir du pinard » fut vite organisé, non pas telle
ment à l'intention des chrétiens, mais surtout pour les musulmans
qui se cachaient pour boire le noirâtre liquide. Toujours à l'affût
de gains illicites, les Libano-Syriens fabriquaient, à partir d'une
dame-jeanne de vin douteux, quatre à cinq dames-jeannes d'un
liquide « agressif », obtenu par l'addition d'eau, de feuilles de
tabac, de jus de noix de kola, de sucre en poudre et d'autres
matières. La mixture ainsi obtenu était mise au point après une
série de « marinades » et vendue à la sauvette aux consommateurs
musulmans et autres. La police, complice, fermait les yeux et ses
« alcatis » (agents de police) se laissaient volontiers « mouiller
la barbe » par les rusés commerçants libano-syriens.
Pendant ce temps, au marché libre, les affaires allaient bon
train. Des débits de boissons aux noms évocateurs poussaient un
peu partout, comme des champignons vénéneux : « Au chasse
cafard », « Zoro-Bar », « Au Petit coin d'Amour », « Aime ton
frère », « Rendez-vous Bar », « Folies furieuses », « Chez Toi
Bar », « Pourquoi pas ? », « Sugar-Baby Bar », « 0-K Bar »,
« Perroquet Bar », « Bekako-Bar » (c'est-à-dire : « Bar-de-la
Gale », parce que son propriétaire était galeux), « Manjunga
Bar », (« Manjunga » est un surnom que les Camerounais ont
donné au vin rouge. J'en ignore l'origine), « Yankee-Bar »,
« Chez Jeannot », « Ngoma-Bar », « Lagos-Bar », « Zig-Zag-Bar »,
« Thunder-Bar », « Tornade-Bar », « Eclair-Bar » (un trio qui

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216 PRÉSENCE AFRICAINB

rappelle les conditions atmosphé


liques), « Kit-Kat-Bar », « Jengu
par les « Mammies-Wata », ador
toute la côte atlantique africain
ner également « Et caetera Bar »
pittoresques sont nombreux en A
Mais jusque-là, ce n'était que
Après s'être assurés de l'importan
du marché, les importateurs se
la phase industrielle du négoce du
armadas de bateaux-citernes déb
litres ce breuvage dans nos port
de camions-citernes le transpor
citernes en citernes, le vin roug
les plus reculés et il sème la « m
population qui le boit « au kilo »
« kilo » un litre de vin qui est s
vu des hommes et des femmes bo
cher, leur « kilo » de vin rouge,
seuses. Je les ai vus s'en aller ap
nation, avec l'impression de se c
paradis terrestre, qui n'était en
de vies humaines abîmées dans
nages brisés ! d'espoirs vaincus
affaires marchaient tellement bie
nés qu'ils décidèrent d'importe
dre qui était ensuite « traitée » su
rudimentaires pour être transf
quide dont il est difficile de dé
quand on pense à tous les mélang
destiné aux Nègres d'Afrique a
européens, on devine aisément —
nocivité et de pollution qu'il véh
africaine. Ce sont presque toujou
que les services de contrôle euro
mais comme on ne les exporte q
déclarés : « Bons pour les indigè
de partir et d'octroyer des pseu
nes colonies, les Européens ont so
de la « vinafricanisation » de l'Afr

L'alcool... C'est-à-dire : le gin


shnaps, le cognac. Bref, toute l
communément les boissons fort

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 217

saires pâles ont trompé la vigilance des chefs nègres et ont usurpé
leurs terres. La Résistance avait pourtant été bien organisée, mais
les flèches et les sagaies empoisonnées ne résistèrent pas à la
tentation. Une fois l'alcool bu, grands et petits rois nègres accep
tèrent inconsciemment toutes les humiliantes conditions que leur
imposèrent les conquistadores. On sait que la même mésaventure
arriva au « Indiens Peaux-Rouges » auxquels les yankees immi
grés blancs achetèrent l'île de Manhattan pour la modique somme
de vingt-cinq dollars. Vingt-cinq dollars, pour New York, vous
vous rendez compte !... Et personne ne dit combien de barils de
rhum et autres alcools les pirates yankees ont dû faire ingurgiter
aux « Apaches » pour arriver à leurs sinistres fins. En Afrique,
les « pionniers-de-la-colonisation » ne lésinèrent jamais sur les
moyens pour saouler jusqu'à l'abrutissement leurs victimes nè
gres. Le trafic des boissons alcooliques a toujours accompagné le
sabre, le goupillon et le mousquet dans toutes les expéditions
coloniales.
Pendant la période de 1'« Indigénat », il était officiellement
interdit de vendre des boissons alcooliques aux indigènes. Mais
l'importation de ces boissons en Afrique coulait à flots. Quand on
sait combien infime était le nombre d'Européens qui « faisaient
la colonie » en ce temps-là, on se demande qui pouvait bien boire
les imposantes quantités d'alcools que les cargos et les paquebots
débarquaient dans nos ports. En effet, la prohibition n'était qu'un
leurre. L'opération de la démolition de la personnalité du Négro
Africain par l'alcool poursuivait inexorablement son diabolique
chemin. Dans les factoreries, quand on vendait une bouteille de
rhum « Mangoustan » ou de « Gordon's Gin », par exemple, à
un Africain, on inscrivait sur le cahier des recettes une autre
marchandise d'égale valeur. Le stock des boissons alcooliques se
renouvelait sans cesse. Leur consommation se faisait dans une
bruyante clandestinité par les indigènes qui pouvaient en acheter.
Il y avait également des « dames bien », courtisanes noires qui en
vendaient clandestinement dans leur case. Elles n'avaient ni pa
tente ni licence de commerce, mais payaient de leurs charmes
pour se procurer ces boissons par l'intermédiaire d'agents de
commerce Mbènguè-men (ressortissants gold-coastians, nigérians,
etc.) et autres Africains naturalisés français autorisés à acheter
librement des boissons alcooliques.
La consommation de l'alcool progressait rapidement dans la
population. L'« alcoolisation » de l'Afrique prenait des propor
tions alarmantes. Volant au secours des pauvres Nègres frappés
de « neurasthénie sociale », les bienfaiteurs européens amenèrent
leurs ligues antialcooliques en même temps qu'ils continuaient
de débarquer des cargaisons de boissons alcooliques sur nos
berges. Ligue de la « Croix Bleue », Ligue de la « Croix Verte »,

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218 PRÉSENCE AFRICAINE

« Teetotalers » (ceux qui ne


le continent, prêchant aux
Il fallait voir avec quel dévou
les dames patronnesses de ces
Comme par hasard, ces dame
directeurs des très important
tatrices de boissons alcooliqu
occidentale (Cie F.A.O.), So
cain (S.C.O.A.), Société du
Unilever, Richard and Wilh
Iver, Laianne et Frelet (« N
mes »), Paterson-Zochonis
Comptoir commercial congol
(U.M.H.K), Compagnie du
dustrie (C.C.C.I.), Compagn
riale française, Maurel et Pr
avait aussi, parmi ces dames
neurs et d'administrateurs d
bres de commerce. Les Sociét
testantes, participaient acti
négoce, non pas en vendant
dit par le Seigneur — mais
cipation aux actions du capita
commerciales coloniales.

Les vitamines, calories et autres protéines... Avec le plus


grand sérieux du monde, les plus grands diététistes et nutrition
nistes du monde, qui sont tous ou presque des Occidentaux pour
ne pas changer, se réunissent annuellement en colloques et congrès
pour disserter sur la supériorité en « principes nutritifs » du blé
et de la pomme de terre sur le manioc, le mil et le plantain.
Ces savants experts et spécialistes de la Faim-dans-le-Monde affa
ment leur public philanthropique et sophistiqué avec des discours
stériles à couper l'appétit aux plus gloutons des Gargantua. Ils
commettent même de savants ouvrages à ce sujet. Parallèlement,
des touristes milliardaires venus du froid organisent en terre
négro-africaine des safaris-génocides qui déciment la faune afri
caine. Après quoi, ils se muent en « Amis-professionnels-de
l'Afrique » pour faire distribuer de la semoule de blé, de la pou
dre de lait (qu'on appelle aussi du lait en poudre) et des boîtes
de « corned-beef » (qu'on appelle « boîtes de singe ») à des po
pulations qui n'ont jamais eu l'habitude de consommer ces den
rées-là !...
Les éminents « spécialistes » européens en nutrition sont allés

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINB 219

plus loin dans leurs recherches scientifiques, puisqu'ils auraient


découvert du « bifteck » (beef-steack) dérivé du pétrole. Or, les
forêts et savanes africaines regorgent de gibier dont les beef
steacks sont indiscutablement meilleurs et plus nourrissants que
ceux issus de 1'« Or noir ». Mais comme il faut démontrer « scien
tifiquement », « cartésiennement » la suprématie des aliments
européens et « civilisés » sur la « bouffe » négro-africaine et
« sauvage », on préfère gaspiller des sommes d'argent considé
rables en recherches hypothétiques : la notion de vitamines, ca
lories et protéines entre en jeu. Unités de mesure nutrition
nelles, ces éléments deviennent le baromètre du développement
et de la survie des populations du Tiers Monde. Il faudra donc,
bon gré mal gré, faire appel à eux pour alimenter les plans trien
naux, quadriennaux, quinquennaux ou décennaux des pays-en
voie-de-sous-développement.
C'est très curieux ! Pendant des siècles et des siècles, les cor
saires-colonisateurs blancs n'ont jamais parlé de vitamines, calo
ries, protéines. Ni pour eux-mêmes, ni pour les Nègres. Com
ment cela se fait-il qu'ils en parlent depuis quelque temps avec
une insistance suspecte, et qu'est-ce qui justifie l'acharnement de
leurs savants-diététistes à imposer la Règle immuable de l'utili
sation de ces éléments par les indigènes, sinon la voracité ina
vouée de conquête de nouveaux et fructueux marchés commer
ciaux ? Par ce truchement, les dividendes-à-la-vitamine C
s'ajoutent aux dividendes de la traite de l'or, de l'ivoire, de
l'huile de palme, de l'huile d'arachide, des agrumes, des
essences forestières, des Nègres et des Négresses (par un faux
tourisme international), des épices, etc. D'un côté, on pillait
aux Africains leurs biens du sol, du sous-sol, du ciel et de la
mer. De l'autres, on les sommait d'acheter et de consommer des
produits importés, empoisonnés, à la place de leurs denrées tra
ditionnelles beaucoup plus saines. Tout cela fait partie du diabo
lique plan d'extermination de la Race Noire...

LA REVANCHE DU MANIOC... OU LA REHABILITATION


DE LA PERSONNALITE CULINAIRE NEGRO-AFRICAINE

Relégué au rang de succédané, le MANIOC, humilié, bafoué,


ne capitulait pas pour autant. Bien sûr, il en avait « gros sur la
patate », selon l'expression attribuée à sa cousine communautaire
patatière. Mais il était conscient de l'immensité des ressources culi
naires et nutritionneUes qu'il détenait dans sa chair et dans sa sève.
15

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220 FRÉSENCE AFRICAINE

Ainsi en allait-il de toutes les


africaines qui sortaient d'une
rantisme culinaire et gastron
chés que le blé, la pomme de
vrée pendant des siècles ne les
au contraire. Elles savaient,
peuple avait besoin de VIV
Pour VIVRE ET SURVIVRE LIBRE... Dans le tréfonds des
racines de leur arbre généalogique communautaire, les sucs na
turels des alluvions des fleuves, de la pluie, du soleil et du
Nyungu (l'arc-en-ciel) les avaient fécondées des engrais les plus
régénérateurs. Et, même dans les immenses étendues violées par
les caterpillards et les bulldozers, elles avaient pu préserver leur
Dignité, leur Identité propre en organisant des réseaux de résis
tance irréductibles...
Vaincus par leur propre conquête, tous les éminents savants
diététiques et nutritionnistes occidentaux (d'est et d'ouest) ne
pouvaient plus se passer, lors de leurs savants congrès et collo
ques, de consommer les « mets du pays » en de pantagruéliques
ripailles. Il fallait voir avec quelle gloutonnerie ils appréciaient
la « cuisine locale » jadis dédaigneusement traitée de « cuisine
indigène », de « cuisine pour les sauvages » ; ils s'adonnaient
masochistiquement au « sacrifice du piment » qu'ils consom
maient de façon excessive pour faire voir qu'ils y étaient initiés,
donc qu'ils pouvaient nous donner des conseils sur notre nouvelle
manière de nous nourrir... Comme par hasard, dans les récep
tions officielles de la période après l'avènement des indépen
dances, toute la panoplie des sandwiches, « amuse-gueule », sau
cisses, caviar et autres mélanges « à l'occidentale », fut progres
sivement remplacée par des plats négro-africains accommodés avec
goût, au goût du jour. Comme par miracle, ces mets s'étaient
subitement ennoblis ; ils n'inspiraient plus le dédain et ne don
naient plus ni coliques ni nausées à ces messieurs-dames. La
physionomie culinaire des réceptions privées ou officielles s'était
brusquement africanisée. Les Blancs et les Autres y dévoraient
du Ndolè, des Miôndô, du Mukon-mwe-Ngôndô, de VEkôki, du
Suw'a Dibumba, Suvo'a-Dibomba, Evilo, Ndomba, Kwèm, Ntuba...
des Duala, des Batanga, des Ewondo du Cameroun, le Foufou
(ou Foutou), YOkrow-soup, le Stew... de Freetown ou d'Accra,
le Yassa, le Maffé, le Tchep-bou-Djen, le Tchep-bou-Yap, le
Mbakhal... de Dakar ou de Saint-Louis-du-Sénégal, sans compter
les envoûtantes recettes de la Casamance... Nous ne pouvons pas,
dans une aussi courte promenade gastronomique, donner tout
l'éventail des plats négro-africains en vogue actuellement. Il
convient cependant de ne pas oublier les Soya (brochettes de
viande) et le Méchoui arabe qui s'est rapidement popularisé,

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VIOLATION DE l\< IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 221

même chez les populations noires qui avaient horreur de manger


de la viande de mouton... (7).
D'ingénieuses combinaisons sont de plus en plus tentées, des
livres de recettes de cuisine africaine publiés. Tout n'est pas bon
là-dedans, mais la bonne volonté y est. La publicité qui est faite
à cette cuisine trouve écho dans la presse occidentale (Voir dans
West-Africa, n° 3066 du 5 avril 1976 : « Cameroon's Haute Cui
sine » ; dans West Africa, n° 3069 du 26 avril 1976 : « Mousah
Wangara — Culinary Memories of Ghana », etc., pour ne signa
ler que l'actualité du phénomène. Mais il va sans dire qu'à côté
de cette cuisine mondaine et spectaculaire pour privilégiés et
pique-assiette des réceptions officielles ou privées, se développe
un effort notable pour améliorer 1'« ordinaire » du peuple. L'ex
plosion urbaine des villes-prétexte (ce capitales » en tout genre)
a créé des problèmes complexes d'alimentation des populations
négro-africaines laborieuses, sommées de travailler à un rythme
qui n'est pas le leur, bousculées par les horaires impératifs d'un
travail importé. Dans ces conditions, les ménagères n'ont plus le
temps de mijoter leurs plats de tous les jours comme antan, sol

(7) Ndolè : Chez les Duala (Cameroun), nom d'une feuille comestible
amère. Par extension, plat fait d'un mélange de ces feuilles
préalablement écrasées (on les cueille en assez grande quantité),
cuites avec du poisson séché ou de la viande, des écrevisses
séchées, des langoustines, dans une sauce d'huile de palme et
du pâté de courges, etc. Se mange avec des bâtons de manioc,
des plantains ou du riz. Les feuilles de Ndolè peuvent être sé
chées et se conservent très longtemps. Pour l'usage, on les
trempe dans de l'eau et elles recouvrent tous leurs attributs
culinaires. — L'un des plus fameux plats duala!...
Miôndô (singulier = Môôndô) : Bâtons de manioc faits avec de la pâte
de manioc fermentée, enveloppée dans des feuilles et cuits à
l'étouffée. Compagnon fidèle du Ndolè ou du Mukon-mwa
Ngôndô.
Mukon-mwa-Ngôndô = « gâteau » de courges cuites dans des feuilles de
bananier. La pâte de courges est mélangée à divers ingrédients ;
on y ajoute soit du poisson séché, soit de la viande, avec des
écrevisses séchées, etc. Extra!
Ekôki (pluriel : Békôki) : « Gâteau » de pois (relativement léger) fait
avec de la pâte de pois (Matôbô, Wondi-a-Mbalè) ou de mais
frais, mélangée avec de l'huile de palme et d'autres ingrédients.
Se suffit à lui-même.
Suw'a-Dibomba : Poisson cuit à l'étouffée dans des feuilles de bananier.
Suw'a-Dibumba : Poisson braisé.
Evilo : Chez les Batanga (Cameroun), poisson mariné dans du citron et
d'autres ingrédients, puis cuit à l'étouffée dans des feuilles de
bananier. Exquis !...
Ndomba : Chez les Ewondo (Cameroun), gibier enveloppé dans des
feuilles de bananier et mijoté à l'étouffée pendant des nuits
entières dans de grandes marmites, dans une sauce rare, extraor
dinairement riche en plantes aromatiques les plus réputées.
Souverain !

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222 PRÉSENCE AFRICAINE

licitées qu'elles sont par mil


tructives de l'équilibre comm
thétiques jours de répit pour
elles en ont les moyens... Le
marchés, pour permettre aux
Les conditions d'hygiène n'y
la concurrence oblige les gar
menus et de présenter leur
clientèle de plus en plus nomb
En 1956, si j'ai bonne mém
camerounais d'une enquête s
moyen de la ville de Doual
journalier ou manœuvre. Je
des promoteurs européens d
à la base, car elle devait abo
gnant trois à quatre mille fra
à 80 NF mensuels) pouvait «
tendrait à justifier les salair
les secteurs privés et publi
lité des salariés négro-africa
me baladai pendant un mois
taurants populaires » en « res
geant sans distinction tous
conclusion fut la suivante :

Kwèm : Plat populaire éwondo, co


de manioc cuites sans sel. Très nourrissant...
Ntuba (pron-Ntouba) : Plantains verts et jaunes, cuits entiers, puis pilés
en pâte après cuisson et arrangés en boules ou coupés en tran
ches (plat éwondo et bulu, Cameroun).
Foulou (Foutou) : Pâte obtenue en pilant l'igname, le manioc, le taro (ou
le mil) après cuisson.
« Okrow-Soup » : Sauce de gombo (gluante) ; fait « descendre » le foufou
sans histoire...
« Stew » : Mot anglais qui signifie ragoût. — Les ragoûts de poisson des
Sierra-Leonaises de Freetown ont la réputation de faire oublier
aux hommes le chemin du domicile conjugal.
Tchep-bou-Djén (Tchéboudjén) : Riz au poisson (Sénégal). De réputation
mondiale...

Tchep-bou-Yap (Tchébouyap) : Riz à la viande (Sénégal).


Yassa : Plat casamançais = petits poulets au citron et aux gros oignons,
piments, huile d'arachides. La réputation des Casamançaises
égale — et dépasse — celle des Sierra-Leonaises de Freetown.
C'est tout dire...
Mbakhal : Plat des pêcheurs lébou (Sénégal), composé de riz, poisson
sec, beurre du pays, niététou, tiof, piment, poudre d'arachides.
Donne le « coup de fouet »...
Maffé : Plat bambara, sénégalisé par la suite, composé de poulets ou de
viande de mouton traités dans une sauce de pâte et d'huile
d'arachides avec tous tes autres ingrédients classiques...

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VIOLATION DE L'« IDENTITÉ CULINAIRE » NÉGRO-AFRICAINE 223

gestion ou d'intoxication alimentaire au cours de mon enquête


gastrono-gargotière, tout un chacun, Blanc ou Noir, pouvait par
faitement se nourrir de cette façon, sans risques. Mon reportage
ne fut jamais publié. Cela n'empêcha pas le manioc de progresser
sur le chemin de sa revanche et de sa réhabilitation.
Les révolutions culinaires ont quelque chose de terriblement
irréversible. Elles ne laissent aucun répit aux insatiables rasta
quouères qui pillent le Tiers Monde. Celle du manioc et du mil
remue violemment les tripes du pain de blé et de la pomme de
terre, et donne de torturantes coliques aux coffres-forts des cy
niques actionnaires des gros trusts qui affament les populations
négro-africaines avec les vitamines et engrais chimiques de leur
pauvre univers concentrationnaire...

Iwiyè KALA-LOBE
Journaliste.

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