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Résumé — L’identification des communautés mbororo à leur bétail n’est plus à démontrer : bœufs rouges des Wodaa’be
et des Jaafun, bœufs blancs des Aku, bœufs blancs brahmanes des Bokolo, sans compter les produits de croisement de
certaines sous fractions mbororo. Toutefois les mutations sont courantes et les bœufs d’héritage (asliiji ou horeeji) ne
représentent parfois qu’un élément mineur des troupeaux. Tous ces zébus sont crédités, chacun, de comportements
particuliers quant à leur déambulation et leur façon de pâturer. La recomposition des cheptels accompagne des choix de
stratégies, pour de grandes transhumances longitudinales ou, au contraire, des replis sur des parcours plus modestes, ou
encore pour servir d’amorce de sédentarisation auprès de « territoire d’attache ». Ces recompositions passent par des
croisements avec des éléments clefs, comme le zébu de l’Adamaoua, le gudaali, pour servir un besoin de sédentarisation,
et le zébu bo’deeji pour relancer la transhumance. Les changements d’identité de ces élevages peuvent être, et c’est
souvent le cas, très rapides. Si les Mbororo ont accepté très tôt la couverture sanitaire proposée par les vétérinaires pour
assurer leurs descentes sur les pâturages guinéens touchés par les glossines et qu’ils se procurent maintenant des
médicaments sur les marchés et vaccinent même leurs animaux, ils ont toujours refusé les plantes fourragères et les
pâturages améliorés proposés par les agrostologues. Toutefois, avec la dérégulation des transhumances sur fond de crise
socioculturelle de leur société, et dans un cadre toujours plus instable, les Mbororo semblent aujourd’hui condamnés à
d’autres formes d’élevages qui prendraient en compte prioritairement la nature des pâturages et moins celle des animaux.
La double crise que connaît le nord du Cameroun, celles du coton et de l’élevage, pourrait constituer une chance pour
envisager qu’éleveurs et cultivateurs partagent la même ressource. La mise en place d’une vulgarisation de masse des
SCV (Système sur couverture végétale permanente) par la Sodécoton, et qui s’accompagne de culture de plantes de
couverture, de production de graines et de savoir-faire pour y parvenir, inciterait des éleveurs de plus en plus privés de
pâturages et de résidus de récoltes à produire leur propre biomasse.
Abstract — Change the identity of cattle? Modify or enrich grassland? The new dilemma facing Mbororo breeders
(Cameroon, RCA and Chad). The importance of cattle to the identification of Mbororo communities has already
been clearly demonstrated: Wodaa’be’s and Jaafun’s red cattle, Aku’s white cattle, Bokolo’s white Brahman cattle,
not to mention the crosses used in some Mbororo ethnic subgroups. However, mutations are common and the pure
breeds (asliiji or horeeji) sometimes only make up a small part of the herds. Each of these zebus has a characteristic
way of walking and grazing. Herds are restructured according to strategic choices: major longitudinal transhumances
or, on the contrary, shorter itineraries, or even starting the process of settling in the “home territory”. This
restructuring involves crossing key characteristics, like the Adamawa zebu, the Gudaali, to meet the needs of
settling, and the Bo’deeji zebu for launching the transhumance. The identity of the herds can change very quickly, as
is often the case. Although the Mbororo were quick to accept the health care proposed by veterinarians to protect
their livestock on Guinean pastures affected by tsetse flies and now buy medicines on the market and even vaccinate
their animals themselves, they have always refused the fodder crops and improved pastures proposed by pastoralists.
However, with the deregulation of transhumances and the socio-cultural crisis affecting their society, combined with
an increasingly insecure environment, the Mbororo no longer seem to be able to avoid other types of animal
production, which focus primarily on the nature of grasslands and less on the animals. The double crisis in North
Cameroon, which affects cotton production and animal husbandry, could provide an opportunity for farmers and
cattle breeders to share the same resource. The extension work on “permanent cover cropping systems”, promoted
by Sodecoton, which includes growing cover crops, seed production and developing know-how, could encourage
cattle breeders, who are increasingly deprived of pastures and crop residues, to produce their own biomass.
1 Aslî : mot d’origine arabe = pur, authentique, ici dans le sens de bétail originel.
2 Le veau de bo’deeji qui vient de naître marche une heure après sa naissance, alors qu’il en faudrait deux pour le daneeji et bien
plus encore pour le gudaali qui reste faible plus d’une semaine. Le vêlage se produisant souvent lors de la transhumance, cette
aptitude n’est pas sans importance.
3 De bakallnii’de : quelque chose de détourné.
4 Tokkere (pl. tokke) : entre 80 et 175 têtes ; en dessous de 80 têtes, on parle de kaabi ou kaabi pamarel (= petit).
5 Parmi les 125 élevages chez les réfugiés auprès de qui nous avons enquêté, 40 % des troupeaux étaient totalement homogènes,
reflétant le bétail revendiqué par les grandes fractions mbororo. La majorité, 60 %, possèdent des troupeaux plus mêlés, dans des
proportions très variables. On relève des mélanges anciens initiés dans les années 1930 ; d’autres, réalisés dans la Mbéré en vue
d’une entrée prochaine sur les pâturages de la RCA (1950-1960) et d’autres, enfin, plus nombreux, effectués récemment en RCA,
entre 1980 et 1990, exprimant une volonté de sédentarisation (Seignobos, 2008).
6 Les transhumances empruntent des circuits de 100 à 250 km et plus, avec des étapes de 12 à 15 km. Sur les pâturages de saison
sèche, les campements se déplacent une dizaine de fois.
L’insécurité dans la RCA et les régions de la Bénoué et la fin des grandes transhumances
Les Mbororo chassés de RCA
Les Mbororo sont arrivés à « Kongo » (RCA) dès les années 1930, dans un pays vide (4 hab/km2) et
herbeux. Plusieurs vagues se succèdent. Les Wodaa’be, les plus nomades (eggo’be), véritables pionniers
ont été suivis par les Jaafun, mieux organisés. Ils vont entraîner derrière eux les Aku, puis les Bokolo.
7 Le tokkere ici sert à évaluer l’ensemble d’un troupeau jusqu’à 100, on parle ensuite de sefre et de moo’bre, vers un millier de
têtes.
8 Ils en détiendront six dont une correspond à un département avec, à leur tête, des Ar’do jaafun.
9 Le terme de zargina ou de zaraguina, emprunté à l’arabe azrag (= bleu), fait allusion à la couleur des boules de blanchiment du
linge, dont les coupeurs de route s’enduisaient le visage afin de pas être reconnus. Il recouvre un phénomène de banditisme
devenu endémique en RCA et au Cameroun depuis le début des années 1990.
10 On recensait en 2009 encore 70 000 réfugiés répartis entre Touboro et Bertoua.
11 Nous renvoyons à la thèse de Kossoumna (2008), qui étudie deux campements jaafun, Ndiam-Baba et Laïnde-Ngobara au sud de
Garoua.
12 En 2007, le délégué provincial à l’élevage du nord dressait, chiffres à l’appui, le coût en vies humaines, en bétail et en argent lié aux
enlèvements d’enfants mbororo. Ce rapport avec les actions conduites par le Dr. Albert Doufissa et la pétition du journal « L’œil du
sahel » constituent les rares réactions « citoyennes » face au phénomène des zargina dans cette région.
13 L’entrée dans les yayrés ne s’effectue pas de façon désordonnée. Chaque « grup na’i » dispose d’un port (jipporde) à l’orée des yayrés
devant cette mer d’herbe qui a pris la place de l’étendue d’eau. Ceux de la région de Petté campent à Yi’da-Biiro, ceux de Maroua à
Jiddere-Ja’b’bi et ceux de Dargala à Coofol-Gaalaaye. Les Arabes Showa du Diamaré stationnent à Meewa. Le principal jipporde
mbororo, voire l’unique, se situe à Mongosi. Tous ces points de pénétration sont peu distants les uns des autres. C’est là que l’on s’attend,
entre deux et quatre semaines. Lorsqu’on estime que tous sont présents, les Kaydal qui dirigent chaque groupe se consultent et décident
ensemble du jour d’entrée commune dans les yayrés et ce afin d’éviter les vols de bétail par les Musgum et les attaques de fauves venus
de la réserve de Waza, un troupeau seul étant trop vulnérable. Les Mbororo arrivent plutôt après cette première vague.
14 Si, à la suite d’accidents (mise à feu par des chasseurs, boucaniers de poisson, éleveurs), les feux sont trop précoces, le regain pousse
mal et les troupeaux doivent être rapidement conduits sur les chaumes du Diamaré.
15 Il s’agit de troupeaux de plus en plus importants conduits par des bergers « mercenaires » mbororo, mais aussi masa, giziga, et qui appart-
iennent à des alhadji, généralement commerçants de bétail de Maroua ou de bourgades secondaires comme Bankara, Guirvidig et Bogo.
16 Les yayrés enregistrent régulièrement de violents conflits comme celui de la mare Wawru Guwa (en 1967) ou encore celui
concernant les limites entre Zina et Mazera vers 1972 et enfin, le dernier en date, à la mare de Tchidé en 2007. Le scénario reste le
même : une bataille entre Kotoko et Musgum dégénère et le conflit s’étend à une partie des yayrés ; les voleurs profitent de la situation
pour tuer des bergers et voler des bêtes, poussant ainsi les éleveurs à fuir les lieux.
17 Ab Drent, de l’Institut Max Planck, sociologue, suit particulièrement un groupe d’éleveurs (Alijam de Mindif) dans toutes leurs
transhumances (2008-2009) et travaille notamment sur la résolution des conflits.
18 Les éleveurs peuls locaux accusent les Mbororo de leur avoir ravi leurs hurum traditionnels. Ils font pression sur les chefs de cantons
peuls pour les en déloger. Ainsi les Mbororo doivent-il sans cesse racheter leur droit de séjourner sur « leurs » ruumirde. Ils alimentent
par ce biais, en plus de la taxe traditionnelle sur les pâturages (hakke geene), les caisses des chefs de canton.
19 La « vaine pâture » fait partie des expressions ambiguës utilisées sous les tropiques. On veut en retenir l’acception la plus simple,
celle d’une communauté villageoise qui envoie ses troupeaux pâturer sur les champs en cultures après enlèvement des récoltes. Elle est
souvent liée à des servitudes de passage. Toutefois dans le contexte soudano-sahélien, elle doit prendre en compte la venue d’éleveurs
voisins et celle de grands transhumants.
20 Les grosses tresses de fourrage pendues aux fourches des arbres, que l’on peut observer dans un grand nombre d’iconographies de la
fin du XIXe siècle, véritables marqueurs de paysage, étaient réservées aux chevaux. Aujourd’hui, on retrouve encore, comme dans les
piémonts de Moskota (nord des monts Mandara), ce mode de traitement du fourrage.
21 L’utilisation des résidus de récolte mérite une étude approfondie. Les tiges de njigaari (toutes catégories confondues) demeurent
consommables plus longtemps que celles des muskuwaari et les bêtes manifestent moins de mal à les mâcher. Les éleveurs gardent toujours
une réserve de pailles de njigaari pour être consommées après celles de muskuwaari car elles n’éclatent pas en séchant et ne pourrissent pas
avec les premières pluies. Elles nourriront le bétail lors de la période critique, avant qu’ils ne partent chercher les pluies au sud.
22 En 2008, un cultivateur de Mogom est tué sur son karal par des Mbororo pour des cannes de muskuwaari non encore mises en
gerbier. Les chefs de Merem, Mogom, Kayewa et même Mindif se sont concertés pour ne plus accepter les Mbororo de Kongola.
Cantonnés à Karal-Sooje près de Maroua, ces Mbororo ont racheté au prix fort, auprès des chefs de la région yillaga, le droit de pâturer à
nouveau les éteules de leurs karals.
23 En 2000, les chiffres depuis longtemps reconduits aboutissent à 1 025 530 bovins. En 2001, le recensement – sous-estimé
jusqu’au non sens – fait état de 491 990 têtes et, en 2006, on relève 592 639 bovins, selon les chiffres cumulés des rapports des
délégués départementaux d’élevage.
24 APESS (Association pour l’élevage au Sahel et Soudan). Cette ONG, née au Burkina en 1984 est implantée depuis 1996 à
Garoua. On la dit de « culture peule » et d’influence helvétique, du moins pour les fonds. Le personnel d’APESS à Garoua est
exclusivement uya’en (= peul).
25 Trois fédérations d’éleveurs (Adamaoua, Nord et Extrême Nord) ne s’y sont pas trompées et ont dénoncé le « projet » ESA2 par
une lettre du 11 janvier 2007 adressée à l’Ambassade de France.
26 Mboscuda (Mbororo social and cultural development association), fondée à Bamenda en 1992, aujourd’hui dominée par les
Jaafun. Abodado (Association des Bororo pour le développement, l’aide, la décence et l’opulence), fondée en 2003, rassemble les
Wodaa’be.
Réféérences bibliographiques
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