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Introduction
J'entends ici par iconographie l'ensemble des thèmes relatifs à la foi, exprimés picturalement
dans l'art chrétien d'après diverses techniques et moyens d'expression.
Avant de parler du thème iconographique du baptème et pour mieux le comprendre, situons
culturellement l'aire syro-antiochienne, voyons quelle est sa spécificité et son importance dans
le contexte global de l'iconographie chrétienne. Comme, à notre avis, l'iconographie syro-
antiochienne est encore une grande inconnue, il sera difficile de la situer sans les interactions
qui lui ont donné sa spécificité.
I. L’Espace géo-culturel
La langue
2
Canon 4 et 5 pour les métropolitains, canon 6 pour les Patriarches d'Alexandrie et d'Antioche
1
Jérusalem sera du ressort d'Antioche jusqu'en 451, soit le Concile de Chalcédoine. La
Patriarcat d’Antioche a été le plus durement touché par les controverses mariologiques et
christologiques des Concile d’Ephèse et de Chalcédoine. Une déchirure s’est produite au
niveau le plus profond de son identité. Cette déchirure subsiste de telle sorte que les
« melkites », hellènophones sont toujours rejetés par les « syriaques ».
La culture
Dom Gregory Dix affirme dans son étude sur l'Eglise Primitive5 : "C'est dans les milieux "de
culture syriaque" opposés au monde héllénistique qu'il faut voir le principe fécondant de la
pensée chrétienne "6. Concernant l'iconographie trois influences sont décisives sur la culture
syriaque.
2
Carl-Otto Nordstrِm démontre que certains midrashim (explication rabbinique de l'Ancien
Testament, surtout le Pentateuque) et certains Targumim (bref commentaires en araméen du
texte biblique hébreu) auraient influencé la miniature chrétienne primitive, surtout le Midrash
"Pirqé" de Rabbi Eliezer et le Targum du Pseudo Jonathan sur le Pentateuque. Il en conclut
"certains détails iconographique se déduisent mieux des légendes juives que des autres
sources, ce fait constituant la preuve des relations existant entre les illustrations de la Septante
et le judaïsme"9.
Selon Weitzman le cycle iconographie de Doura Europos et de Sainte Marie Majeure
confirme cette conclusion.
Mais l'aire syro-antiochienne n'est pas seulement liée au judaïsme. L'Iran tout proche
l'imbibera sans cesse de ses effluves mystérieuses. Les Parthes sont nomades en Scythie. Ils
se fixent au premier millénaire avant Jésus-Christ en Parthie pour y former une aristocratie
guerrière. C'est Arsace qui se rend indépendant des Séleucides et fonde les Arsacides. Puis les
Romains saccagent la Parthie sans vaincre les Parthes. C'est Ardashir I qui bat Artaban IV en
224 et s'établit à Ctésiphon, inaugurant le règne des Sassanides12.
L'art Sassanide est une synthèse entre l'hellénisme tardif et l'orient éternel. D'après les
dernières études nous lui devons le passage à la frontalité dans l’art sacré d’Orient,
caractéristique décisive de l'iconographie chrétienne13.
La frontalité dans l'iconographie chrétienne vient de l'aire culturelle syro-antiochienne. Doura
Europos et Palmyre en témoignent éloquemment mais aussi la "dame à la fenêtre" qui, venue
8
Elle décrit comment Ptomélée, au IIIè siècle avant J-C, fait venir les 70 sages d'Israël pour traduire la Bible de
l'hébreu au grec. Soixante dix, soit six érudits pour chacune des 12 tribus. La tradition des Octateuques s'est
perpétuée en Orient. Le meilleur Octateuque conservé est celui de Vatopédi (XIIIè siècle).
9
Carl-Otto Nordstrom in "Rabbinica in frühchristlichen und byzantinischen illusrationen zum h.Buch Mose".
10
in "La théologie baptismal de Saint Ephrem", Bibliothèque de l'Université Saint-Esprit, p..168
11
"Il simbolisme dei Giudei-Cristiaini", Franciscan Printing Press
12
cf A.Christensen "l'Iran sous les Sassanides"; R.Ghirshman "Parthes et Sassanides" (Gallimard 1962);
N.Pigulevskaya "Les villes de l'Etat iranien aux époques Parthe et Sassanide"; J.Gagé "La montée des
Sassanides et l'heure de Palmyre" Albin Michel 1964.
13
A Hatra (I et IIè siècle) relevons une décoration de masques pris de face, encastrés dans des parois comme à
Palmyre. A Kush-el-Khawadja (I-IIIè siècle), dans le palais, nous trouvons d'intéressantes peintures murales où
la frontalité joue un rôle important.
3
de Mésopotamie14, sera reprise sur les tissus coptes, démontrant par là les liens culturels
profonds qui unissent les deux patriarcats d'Antioche et d'Alexandrie malgré les courants
aramaïsants de l'un et l'héllénisme invétéré de l'autre.
3. Influence héllenistique
Mais pour comprendre encore mieux l'aire syro-antiochienne nous devons nous pencher sur la
sphère culturelle où soit elle a étendu son influence soit elle a réalisé une symbiose avec la
culture dominante:
C'est à travers l'ardeur missionaire de ses moines que la culture syro-antiochienne allait avoir
un apport décisif. Au IIè siècle ce sont des moines antiochiens qui prêchent en Arménie. De
même en Ethiopie. Le Patriarcat d'Alexandrie sera, lui aussi, très proche du Patriarcat
d'Antioche. Dès le début le monachisme lie les deux Eglises. Très tôt les "syriens" ont leur
monastère dans le Wadi Natroun, le désert de Nitrie, c'est le monastère de la Théotokos
d'Abba Bishaï, ou Deir Syrian : Monastère des syriens. Il subsiste jusqu'à nos jours.
Une simple comparaison entre l'art copte, arménien et syro-antiochien primitif fait ressortir
les ressemblances. En remontant bien plus loin dans le temps, ll faut aussi souligner le rôle
préparatoire de l’Egypte dans la naissance du monothéïsme et aussi de l’iconoclasme 15
16
Paroles du Christ recueillies et transmises oralement.
4
II. L'iconographie syriaque, histoire et traits dominants
Si maintenant nous voulons voir émerger les traits de cette iconographie, nous pouvons nous
reporter au Codex purpureus de Rosano ou à l'évangéliaire de Rabboula et les comparer aux
fresques de Doura Europos ou à la statuaire de Palmyre. Une frontalité encore plus prononcée
que celle des oeuvres romaines ou byzantines de la même époque, une simplification des
formes, un graphisme typique et, souvent, une symbolique particulière.
17
Dans Al Machrek "Introduction à l'étude de l'art chrétien en Syrie aux Vè et VIè siècles" Avril-Juin 1934,
année 33ème.
18
ibid.
19
A.DESRUMEAUX :"Histoire du roi Abgar et de Jésus", Brepols 93, coll.Apocryphes
20
I.SENDLER "L'iconographie de la Mère de Dieu".
5
IV. Iconographie du Baptême
Au IVè siècle, avec l'avènement de l'ère constantinienne, une nouvelle période commence
pour l'Eglise et pour l'art chrétien. Dès le IVè et le Vè siècle apparaissent dans les églises de
grands cycles historiques représentant des évènements de l'Ancien et du Nouveau Testament,
sous la forme de peintures ou de mosaïques monumentales. Constantin le Grand et sa mère
Hélène firent édifier des basiliques en Palestine et dans toute la province orientale. Ethérie dit
bien " et que dire de la décoration des édifices que Constantin, sous la surveillance de sa
mère, employant toutes les ressources de son empire, a ornés d'or, de mosaïque, de marbres
précieux..."21. C'est aussi à cette époque que sont fixées la plupart des fêtes principales de
l'Eglise et les compositions iconographiques qui leur correspondent. Au VIè siècle leur série
est complète, car on les trouve sur les fameuses ampoules de Monza (près de Milan) et de
Bobbio. Ces ampoules d'argent, ornées de scène de l'Evangile furent offertes vers l'an 600 à
Théodelinde, reine des Lombards (+625) et constituent pour nous un document précieux.
Certains érudits s'accordent aujourd'hui à reconnaître que les scènes évangéliques qui s'y
trouvent gravées reproduisent les mosaïques des églises palestiniennes construites par
Constantin et Hélène.
Tradition syriaque
21
Journal de voyage, SC,page 205; sur les églises bâties par Constantin et sa mère, sainte Hélène, voir Eusèbe,
Vit.Const.,3,41 et 43 et De Laud.Const., 9, 17 (P.G.,t.20; col. 1101 et 1369).
22
cf. L.OUSPENSKY "La théologie de l'icône", P.59
6
Parlons de la tradition syriaque et remontons dans le temps pour retrouver ses traces.
D'après Gabriel Millet, trois types de Baptême du Christ se seraient succédé en Orient, du Vè
au Xè siècle: le type hellénistique, caractérisé par la simplicité de la composition et la
noblesse des attitudes; le type syrien où apparaissent les anges et où l'on voit dans le ciel la
main divine; le type de la Cappadoce, où il n'y a plus de perspective, où l'eau semble monter
autour du Christ et où il voile le plus souvent sa nudité de ses mains23.
Sur les fresques du monastère de Baouït, en Haute Egypte, qui pourraient être à peu près
contemporaines du baptistère des Orthodoxes à Ravenne, l'on voit apparaître, pour la
première fois semble-t-il dans l'état actuel de nos connaissances, un personnage qui deviendra
à peu près inséparable du Baptême: l'ange qui portera sur ses bras les vêtements du Sauveur,
mais qui d'abord se voile seulement les mains en signe de respect.
Sur une ampoule de Monza représentant un cycle de six fêtes autour de la Nativité, nous
voyons de même un seul ange qui, de la main droite montre la colombe.
Sur la chaire de l'évêque Maximien à Ravenne, dont il est sûr qu'elle était d'origine
égyptienne, les anges sont au nombre de deux. On a justement rapproché la chaire de Ravenne
d'un ivoire égyptien du British Museum.
Or, si la présence des anges est un apport "syriaque" à l'iconographie du baptême, n'oublions
pas que l'angélologie est parmi les signes et les symboles à influence judaïsante ou judéo-
chrétienne comme la croix bicorne et l'étoile de David. Nous retrouvons ces éléments dans
des sites stylites de la province orientale tels que Kafr Derian, Bafittin, Tehda, Telanissos,
Qalb Lozé etc.... Les anges porteurs des couronnes à la manière des "victoires ailées"
sassanides puis romaines furent, en effet, très populaires en Syrie.
D'une manière plus générale, un élément comme la main bénissante du Père est déjà un apport
juif à l'iconographie baptismale. La main signifiant la parole ou l'acte est d'origine sémite. A
Palmyre, dans l'hypogée nous voyons les défunts avec une main étendue en forme oratoire. A
Doura le geste de parler est signifié par les mains ouvertes. Pour la chrétienté orientale, "c'est
un élément de l'iconographie juive qui fut assimilé dès le début de l'Eglise"24.
L'affinité entre les traditions judéo-chrétienne et syriaques est évidente. D'après feu le R.P.
Antoine Lammens, les Testaments des 12 patriarches, notamment le Testament de Lévi,
chap.18, écrit apocyphe du IIè s. av.J-C ont inspiré l'iconographie syriaque du Baptême du
Seigneur.
23
Sur les fresques des chambres des Sacrements, au cimetière de Callixte, nous nous trouvons devant une
représentation qui va connaître un singulier succès dans l'art chrétien primitif: Jésus y a la taille d'un enfant.
Nous nous trouvons en présence d'une représentation toute nouvelle, et qui va connaître un singulier succès dans
l'art chrétien primitif: Jésus n'y a plus que la taille d'un enfant. C'est ainsi qu'il est représenté sur les ampoules de
Monza. On retrouve le même détail sur une fresque de la catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin; mais ici
Jésus, les deux bras levés, fait le geste traditionnel de l'orante, pendant que la colombe, le bec en bas, descend à
pic au-dessus de lui. Il est bien probable que le peintre s'est inspiré du texte de Saint Luc, où il est dit que ce fut
"pendant que Jésus priait, que le ciel s'ouvrit, et que l'Esprit-Saint descendit sur lui sous une forme corporelle,
comme une colombe...".
24
cf.A.Grabar "Recherches sur les sources juives de l'art paléo-chrétien" (Cahiers d'Archéologie n°14, 1964,
pp.53-57.
7
Il y a une autre caractéristique de l'iconographie syriaque du baptème que Gabriel Millet
oublie de citer: la présence du feu dans le Jourdain.
Nous voyons le feu dans le Jourdain sur une miniature du Codex Rabboula ainsi que sur la
représentation du baptème dans l'Evangéliaire d'Echmiadzin (VIè s.). Sur les deux
évangéliaires il n'y a pas d'anges. Est-ce parce que le feu les signifie suivant cette parole de
l'Ecriture :"celui qui a fait des ses anges un vent, de ses messagers une flamme de feu.". Une
strophe de Saint Ephrem condense très bien cette assimilation du feu aux anges et au baptisé:
"Notre-Seigneur est descendu sur terre auprès des mortels; il les créa de nouveau et les fit
comme des anges; il mit en eux feu et Esprit-Saint pour devenir ignifiés et spirituels d'une
façon cachée"25.
Cette présence du feu nous rappelle le "baptême de feu" des rites baptismaux judéo-chrétiens.
Nous remarquons d'emblée que l'iconographie du baptême ne s'est pas contentée d'emprunter
des éléments figuratifs à la tradition judéo-chrétienne, mais qu' elle retranscrit picturalement
les rites baptismaux judéo-chrétiens, du moins dans les grandes lignes non hétérodoxes.
Une étude archéologique de Jean Briand sur l'Eglise Judéo-Chrétienne de Nazareth 26 relève
des indices certains du rite d'initation des judéo-chrétiens qui pourraient éclairer
l'iconographie du baptème en général et la tradition iconographique syriaque en particulier.
Nous suivrons l'exposé pas à pas pour faire ressortir le parallélisme avec l'iconographie
baptismale en général et la syriaque en particulier. Limitons-nous aux données archéologiques
offertes par l'auteur.
Tout d'abord Jean Briand rappelle que, chez les judéo-chrétiens, affiliés à la tradition de
Jacques le frère du Seigneur, le rite d'initiation comporte trois cérémonies dans des lieux
séparés et à des moments différents: le baptême de Feu, le baptême d'eau et le baptême de
l'Esprit-Saint. C'est, semble-t-il, contre cette pratique qu'au IVè siècle réagit l'Eglise officielle
en faisant proclamer dans le Credo de Nicée-Constantinople: "Je crois en un seul Baptême".
Mgr.Georges Saber, faisant allusion à la "coloration araméenne" de la théologie de St
Ephrem, note une analogie entre le baptême des prosélytes, propre à certains milieu juifs
contemporains du christianisme et la description de l'initiation chrétienne livrée par St
Ephrem. Les trois phases principales du baptême des prosélites étaient: circoncision, bain
baptismal et offrande d'un sacrifice. Leurs pendants selon St Ephrem seraient: onction
prébaptismale, bain d'eau et participation à l'Eucharistie.
Le baptême de Feu 27
L'exorcistorium
C'est dans le vestibule ou exorcistorium dont parlent les Constitutions Apostoliques qu'il se
déroule. Il correspond à la partie basse de la composition iconographique, là où l'on voit le
Jourdain -ou ses représentations mythiques- infesté de la présence maléfique de l'esprit du
mal. Chez les judéo-chrétiens, cet exorcistorium -ou lieu de exorcisme- se trouvait la plupart
du temps dans des grottes, où les catéchumènes descendaient pour se dépouiller du vieil
homme, "comme le serpent se glisse dans son antre" pour changer de peau, selon une
comparaison de Saint Cyrille dans ses catéchèses. Or, dans la plupart des représentations
25
in Georges Saber "La Théologie Baptismal de St Ephrem" - Bibliothèque de l'Univerté Saint-Esprit, p.140
26
in "Cahiers de la Terre Sainte", Franciscan Printing Press, 3ème édition
27
cf. C.M.Edsman "Le baptême de feu" Leipzig, 1940, pp.182-190
8
iconographiques du baptême le Jourdain prend la forme d'une grotte obscure sur laquelle
tranche la figure lumineuse du Christ.
Les néophytes étaient d'ailleurs initiés en plusieurs séances à la doctrine des Deux Voies:
celles des ténèbres, gouvernées par les anges de Satan et si bien symbolisée par la semi-
obscurité de la grotte - sur l'icône le Jourdain- et celle de la Lumière, dirigée par le Christ.
Cette initiation se terminait lors de l'ultime séance, qui servait de cérémonie préliminaire au
baptême de feu.
Nous en connaissons le déroulement et le symbolisme par une description de l'évêque Jean II
de Jérusalem, successeur de Saint Cyrille. La cérémonie consistait essentiellement dans un
ensemble d'exorcismes.
La nudité
Aussitôt entré dans l'exorcistorium, le catéchumène devait se dépouiller de tous ses
vêtements, y compris ses sandales28. Il entendait ainsi montrer qu'il renonçait à sa vie
antérieure et qu'il entrait dans le combat du Christ luttant nu sur la croix contre Satan. Jean de
Jérusalem commente ainsi cette nudité :" Chose étonnante! Vous êtes ainsi restés nus, devant
tous les assistants, sans en avoir honte! Vraiment vous imitiez ainsi Adam, notre premier père,
au Paradis terrestre..." (cf Gen, 2,25). Sur le ampoules de Monza le Christ est entièrement
nu29, de plus il a les traits d'un enfant30, serait-ce pour évoquer la "nouvelle naissance" si chère
à la tradition johannique ?
L'Archange Michel
Si l'on en croit certains écrits d'ascendance judéo-chrétienne ou syriaque: le Second Livre
d'Enoch, les Odes de Salomon...le catéchumène était assisté durant ce rite par l'Archange
Michel, représenté sans doute par un diacre. Voyant en lui l'ennemi par excellence de Satan,
on lui attribuait tout naturellement la fonction de dépouiller les prosélytes des ténèbres et de
les revêtir de la Lumière. Sur les icônes les plus primitives, avons-nous dit on ne voit qu'un
seul ange. Je crois qu'il est légitime de croire qu'il s'agit de Saint Michel le "psychopompe" 31
par excellence lors du baptême et lors du passage dans l'au-delà. Sur l'ampoule de Monza il
tient dans sa main un vêtement. Le parallélisme est frappant entre la tradition liturgique et la
tradition iconographique.
C'est alors que la bataille contre le démon s'engageait: debout tourné la main étendue vers
l'Occident, "lieu des ténèbres sensibles, figure des ténèbres spirituelles", le néophyte
prononçait la formule d'abjuration :"je renonce à toi, Satan!".
28
C'est aussi ce qu'exige le Testamentum Domini
29
A San Giovanni in fonte de Ravenne, au baptistère des Orthodoxes le Christ est complètement nu
30
Comme sur les sarcophages d'Arles, Ancône, Madrid, Soissons, Musée du Latran etc...
31
littéralement conducteur de l'âme
9
catéchumène recevait au fer rouge, probablement sur le front, la marque indélébile d'une
croix.
Au folio 4, au verso du Codex Rabbulensis on voit un feu sortir du Jourdain. De même sur la
miniature du baptême dans l'Evangéliaire d'Echmiatzine. Ceci est indubitablement une
translitération iconographique de diverses sources: d'abord l'Evangile des Ebionites32 attesté
par Epiphane 33 et qui dit à propos du baptême du Seigneur:"Quand le peuple fut baptisé,
Jésus vint aussi et il se fit baptiser par Jean. Et lorsqu'il remonta de l'eau, s'ouvrirent les cieux
et il vit l'Esprit saint, tel une colombe, descendre et se poser sur lui. Et une voix sortit du ciel,
disant:"tu es mon fils bien-aimé, en qui je me suis complu' et encore:"Aujourd'hui je t'ai
engendré.' Aussitôt une grande clarté illumina les lieux."
Ensuite Tatien, dans son Diatessaron 88.3 (env.180) dit de même :"Tandis que Jésus
descendait dans l'eau, le feu s'alluma dans le Jourdain"34.
Saint Justin dans son "Dialogue avec Tryphon" (88,3) écrit :"Alors que Jésus vint au fleuve du
Jourdain où Jean baptisait, tandis qu'il descendait dans l'eau, du feu même s'alluma dans le
Jourdain, et pendant qu'il remontait de l'eau, l'Esprit-Saint comme une colombe, voltigea sur
lui" et encore : " Le Seigneur, feu immatériel, s'est plongé dans les eaux. Il leur a donné par
son Esprit de devenir des "eaux de feu", des eaux purificatrices et sanctificatrices".
Curieusement nous avons une variante qui introduit un thème analogue encore plus précis
après Matthieu 3,17, dans le Codex Vercellensis (IVè s.) et le Sangermanensis, (VIIè s., latin):
" Et tandis qu'il recevait le baptême, une vive lueur s'éleva de l'eau, en sorte que tous les
assistants étaient remplis de crainte"35.Tant l'ajout apocryphe que la variante évangélique se
rattachent à l'arrière-fond baptismal dont nous parlons, du moins la tradition iconographique
les exprime-t-elle éloquemment. La liturgie syriaque de l'Epiphanie reprend ces symboles
lorsqu'elle plonge dans l'eau à bénir un charbon ardent qui représente le Christ, braise divine,
pénétrant dans le sein de la Vierge ou dans les ténèbres de l'abîme aquatique. Mais tel n'est-il
pas la résonnance première du sens du Baptême que la tradition nomme illumination?
Ainsi préparé, le catéchumène pouvait s'en aller à la rencontre de l'Epoux. Lumière en main,
guidé par l'Archange Michel, il était conduit processionnellement vers le baptistère. Alors se
faisait entendre le bel hymne baptismal, dont Saint Paul a cité le refrain au ch.5 de son Epître
aux Ephésiens:
"Eveille-toi, O toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera!...."
Le Baptême d'eau
L'onction pré-baptismale
32
Première moitié du IIè siècle. Les Ebionites sont une secte judéo-chrétienne.
33
Hérésies 30,13,16, 22
34
Voir aussi le commentaire sur le Diatessaron de Saint Ephrem (III, 13).
35
F.Quéré :"Evangiles apocryphes" - Ed. du Seuil- 1983, p.37
10
D'après les érudits cette onction aurait été la seule jusqu'au IVè siècle36. Saint Ephrem insiste
sur l'unité entre l'onction prébaptismale et le baptême. Cette onction est liée au Don de l'Esprit
et la symbolise. L'Esprit sous forme de colombe qui descend sur le Christ, témoigne qu'Il est
l'Oint par excellence. Sur l'icône la main bénissante du Père oint son Elu par la puissance de
l'Esprit. Ces symboles sont bibliques et judéo-chrétiens.
A ce moment-là le catéchumène recevait la rémission de ses péchés par l'onction. Cette
dernière manifestait la victoire définitive sur le mal. La liturgie syriaque, héritière directe de
celle des Judéo-Chrétiens, prie pour que "par cette onction le chrétien ne s'unisse plus aux
puissances de l'ennemi, et qu'il n'ait plus à craindre des chefs de la milice des ténèbres, mais
que, marchant dans la lumière, il devienne réellement fils de lumière...".
"Le Rocher est le Fils de Dieu, as-tu remarqué les six hommes (anges) et, au milieu d'eux, cet
homme glorieux et colossal qui fait le tour de la Tour (Eglise) et en a exclu quelques pierres ?
36
cf.Tanios Bou Mansour "La pensée symbolique de St Ephrem le Syrien" - Biliothèque de l'Univerité St Esprit
XVI- Kaslik/Liban 1988
37
Saint Basile les nomme "hudastos tafos", tombeau liquide.
11
Cet homme glorieux est le Fils de Dieu, et les six autres sont les anges glorieux qui lui font
cortège à droite et à gauche...".
Dans la pensée Judéo-Chrétienne, les six anges associés à la première création devaient l'être
aussi tout naturellement à la seconde, combien plus importante qui était le Baptême. C'est
cette idée qui influença l'iconographie du baptême où on représenta le Christ au Jourdain
entouré d'anges. On leur donnait tant d'importance qu'ils étaient considérés comme les forces
personnifiées de la divinité; en certaines sectes même, où l'on n'était pas très fixé sur la
formule trinitaire, il arrivait que l'on baptisât "au nom du Christ, de Michel et de Gabriel"! si
bien qu'au IVème siècle le pape Saint Damase dut intervenir dans sa fameuse lettre
"Confessio Fidei Catholicae".
Saint Sévère d'Antioche, au début du VIè siècle dit dans un de ses Sermons:
"Lumière éclatante et resplendissante, ton éclat fait trembler les êtres de feu. En ta présence,
les esprits frémissent, les êtres d'en haut n'osent te scruter. Comme un homme ordinaire, tu as
cependant été baptisé par ton serviteur dans le fleuve du Jourdain"38.
Le Baptême de l'Esprit-Saint
Les cérémonies baptismales atteignaient leur sommet dans ce qu'on appelait le Baptême de
l'Esprit-Saint. Il ne s'agit d'un autre baptême mais de l'accomplissement de tout ce qui s'est
précédé. Une phrase de St Ephrem exprime admirablement cette unité des trois éléments dont
la conjonction mène les cérémonies baptismales à leur achèvement:"Voici le feu et l'Esprit sur
le fleuve où tu as été baptisé, feu et Esprit dans notre baptême"39.
C'est ce qu'exprime la plus ancienne représentation connue se trouve dans la crypte de Lucine
(très probablement le noyau primitif de la catacombe de Calixte) qui date du IIè siècle. On y
voit un personnage nu, les genoux fléchis comme dans un mouvement d'ascension, qu'un
second personnage, habillé celui-là et debout à un niveau plus élevé, semble, d'un grand geste,
aider à sortir de l'eau; un oiseau, les pattes pendante qui pourrait être une colombe, se dirige
en volant vers le groupe. Il faudrait remarquer que l'artiste a suivi le texte évangélique à la
lettre, et avec une fidélité que l'on ne retrouvera plus: Saint Matthieu dit expressément que
c'est au moment où Jésus sortit de l'eau, et non pas pendant la scène même du baptême, que la
colombe descendit des cieux entr'ouverts.
38
Homélie 19 sur l'Epiphanie (D.O. 23, p.32)
39
in Georges Saber, ibid.
12
Pour les Judéo-Chrétiens, avec ce troisième baptême, l'élu était rendu participant de la nature
divine et entrait dans la vie éternelle. Cette réalité était symbolisée de plusieurs manières.
En effet, les mystères de l'initiation chrétienne étaient considérés comme un retour au Paradis,
une participation à la vie trinitaire. Souvent, d'ailleurs, l'arbre de vie est planté dans le
Jourdain40.
Le baptistère de Doura, qui remonte au IIIè s. a déjà une coupole étoilé sur fond bleu qui
symbolise le ciel: le baptème est le mystère de la régénération, qui est une nouvelle création.
Cette régénération, commencée en Christ, affecte d'abord l'humanité et, à travers elle, le
cosmos en son entier.
Conclusion
L'icône du baptême, dans la tradition syriaque, recueille des éléments d'une antiquité
vénérable et d'une théologie particulière qui nous aident à comprendre les interactions
complexes qui sont à la base d'une des cultures les plus riches du christianisme. Liturgie,
théologie et tradition prêtent leur concours aux lignes et aux couleurs pour que l'image nous
offre un condensé du mystère de l'initiation baptismale. Le Christ représentant tout baptisé
dans son chemin de retour vers le Paradis par l'Eglise qui est sans cesse mise en référence au
Paradis perdu et au Paradis à venir.
Cette quête du Paradis perdu est une des éternelles nostalgies de l'âme syriaque qui n'a de
cesse que de ressembler aux anges de feu gardant les vêtements de gloire du Christ, pour s'en
revêtir avec Lui, pour se revêtir de Lui. Puissions-nous veiller et servir avec tous ceux qui
nous ont précédé.
40
cf A.Lammens, cours inédit sur l'iconographie orientale, KASLIK 1973-74, p.10
41
P.G. 65, 21
13
AMEN !
Agnès-Mariam de la Croix
Carmélite
14