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L'ICONOGRAPHIE DU BAPTEME

DANS LA TRADITION SYRO-ANTIOCHIENNE


SUBSTRAT JUDEO-CHRETIEN

Introduction

J'entends ici par iconographie l'ensemble des thèmes relatifs à la foi, exprimés picturalement
dans l'art chrétien d'après diverses techniques et moyens d'expression.
Avant de parler du thème iconographique du baptème et pour mieux le comprendre, situons
culturellement l'aire syro-antiochienne, voyons quelle est sa spécificité et son importance dans
le contexte global de l'iconographie chrétienne. Comme, à notre avis, l'iconographie syro-
antiochienne est encore une grande inconnue, il sera difficile de la situer sans les interactions
qui lui ont donné sa spécificité.

I. L’Espace géo-culturel

Premièrement qu'entendons-nous ici par "syro-antiochien" ?


Il s’agit de tout ce qui concerne le patriarcat d’antioche dans sa spécificité locale, c’est-à-dire
syriaque. N’oublions pas cependant que la culture syro-antiochienne a été véhiculée à la fois
par le syriaque et par le grec.

La langue

Géographiquement parlant l'aire syro-antiochienne allait d'Antioche à l'Iran en passant par la


Palestine. Plus tard elle arrivera jusqu'aux Indes et en Chine.
C'est Dioclétien (284-305) qui divisa l'empire romain en circonscriptions appelées diocèses
qui, selon leur importance, avaient à leur tête soit un vicaire soit un préfet 1.
L'Eglise adopta ces divisions. Là où il y avait un vicaire elle nomme un Patriarche ou un
exarque. Là où il y avait un gouverneur elle nomme un métropolitain. Le Concile de Nicée
entérina cette division 2. En 325, date du Concile de Nicée, la partie orientale de l'empire
comprenait quatre diocèses: l'Orient, l'Asie, le Pont, la Thrace.

Diocèse d’OrientCapitaleSyrie Première


Antioche
Phénicie Première ou maritime
Tyr
Phénicie seconde ou libanaise
DamasArabieBosraCilicie PremièreTarse
Cilicie Seconde
AnazarbeSyrie Seconde
Apamée
Euphratienne
Maboug (Membej)
OsroèneEdesse (Urfa)MésopotamieAmida (Diarbékir)
Isaurie
Séleucie

2
Canon 4 et 5 pour les métropolitains, canon 6 pour les Patriarches d'Alexandrie et d'Antioche

1
Jérusalem sera du ressort d'Antioche jusqu'en 451, soit le Concile de Chalcédoine. La
Patriarcat d’Antioche a été le plus durement touché par les controverses mariologiques et
christologiques des Concile d’Ephèse et de Chalcédoine. Une déchirure s’est produite au
niveau le plus profond de son identité. Cette déchirure subsiste de telle sorte que les
« melkites », hellènophones sont toujours rejetés par les « syriaques ».

Ethérie note qu'à Jérusalem, précisément à l'occasion de la catéchèse pré-baptismale :"et


comme dans ce pays, une partie de la population sait à la fois le grec et le syriaque, qu'une
autre partie ne sait que le grec et une partie aussi seulement le syriaque, étant donné que
l'évêque, tout en sachant le syriaque, parle cependant toujours le grec et jamais le syriaque,
pour cette raison, il y a toujours là un prêtre qui, pendant que l'évêque parle grec, traduit en
syriaque, pour que tous entendent les explications qui sont données" 3. De même Saint Jérôme
rapporte qu'aux funérailles de sainte Paule, on chantait les psaumes en grec, latin et syriaque
(Ep.108, 29).
Envisageant la culture syriaque on ne peut exclure les autres langues porteuses tel que le grec.
Syriaque et grec, plus tard l'arabe, sont propres à l'espace géo-culturel qui nous intéresse.
Aussi une des icônes types qui signifient cette universalité de la culture syriaque à travers le
temps et l'espace me semble être l'icône double face de Kaftoun qui, sur le verso, montre une
magnifique représentation du baptême du Christ avec des inscriptions en trois langues:
syriaque, grec et arabe. Elle date du XIIè siècle.
Une homélie peu connue de Grégoire de Nysse montre que le Pont et la Cappadoce, à la fin
du IVè siècle, suivaient le rite syriaque 4.

La culture

Dom Gregory Dix affirme dans son étude sur l'Eglise Primitive5 : "C'est dans les milieux "de
culture syriaque" opposés au monde héllénistique qu'il faut voir le principe fécondant de la
pensée chrétienne "6. Concernant l'iconographie trois influences sont décisives sur la culture
syriaque.

1. Influence juive ou judéo-chrétienne

a) La tradition des Octateuques


Iconographiquement parlant il est prouvé que, depuis l'Antiquité jusqu'au Moyen-Age, la
tradition de la peinture juive illustrant la Bible n'a jamais été interrompue 7.
La tradition des Octateuques (les huit premiers livres de l'Ecriture, soit le Pentateuque plus
Josué, Juges et Ruth) révèle des indices assez certains de l'existence, à Alexandrie,
d'enluminures juives illustrant le texte de la Septante rehaussé d'une "chaîne" de
commentaires et ayant servi comme modèles aux Octateuques chrétiens. Ces octateuques sont
tous précédés de la Lettre d'Aristée8. Mais il ne reste aucun vestige des manuscrits juifs
illustrés.
3
Journal de voyage , Sources chrétiennes,p.263
4
M.G.45, 1321 A,B cité dans A.Lammens (cours inédit Kaslik 1974-5)
5
"Jew and Greek, a study in the primitive Church" Westminster 1950, ch.1 ("conflict of syriac and greek
culture").
6
cf aussi Louis Bouyer "La Bible et l'Evangile" Paris 1951- Appendice I "La tradition juive et le Christianisme",
pp 245 ss)
7
Bezalel Narkiss "Picture History of Jewish Civilisation" Jerusalem 1973

2
Carl-Otto Nordstrِm démontre que certains midrashim (explication rabbinique de l'Ancien
Testament, surtout le Pentateuque) et certains Targumim (bref commentaires en araméen du
texte biblique hébreu) auraient influencé la miniature chrétienne primitive, surtout le Midrash
"Pirqé" de Rabbi Eliezer et le Targum du Pseudo Jonathan sur le Pentateuque. Il en conclut
"certains détails iconographique se déduisent mieux des légendes juives que des autres
sources, ce fait constituant la preuve des relations existant entre les illustrations de la Septante
et le judaïsme"9.
Selon Weitzman le cycle iconographie de Doura Europos et de Sainte Marie Majeure
confirme cette conclusion.

b) Les courants judéo-chrétiens


Mgr.Georges Saber affirme, à propos de la "coloration araméenne tant de l'expression que de
l'esprit de la théologie " de Saint Ephrem: l'Eglise syrienne comprenait, entre ses membres,
beaucoup de judéo-chrétiens, et les communautés juives syro-orientales étaient nombreuses et
influentes..."10.
D'après les Pères Bagatti et Testa11, la mystériologie des judéo-chrétiens eut une profonde
influence sur la tradition syriaque. Penser aux nombreuses et puissantes colonies juives dans
la province orientale: Antioche, Alep, Doura-Europos, Damas; relire aussi les homélies de
Jean Chrysostome où il accuse les chrétiens d'Antioche de garder les habitudes et les fêtes
juives, malgré les canons du Concile de Nicée. Nous y reviendrons.
Certains apocryphes juifs ont vivement influencé la pensée et l'iconographie syro-
antiochienne.

2. Influence orientale, notamment Sassanide

Mais l'aire syro-antiochienne n'est pas seulement liée au judaïsme. L'Iran tout proche
l'imbibera sans cesse de ses effluves mystérieuses. Les Parthes sont nomades en Scythie. Ils
se fixent au premier millénaire avant Jésus-Christ en Parthie pour y former une aristocratie
guerrière. C'est Arsace qui se rend indépendant des Séleucides et fonde les Arsacides. Puis les
Romains saccagent la Parthie sans vaincre les Parthes. C'est Ardashir I qui bat Artaban IV en
224 et s'établit à Ctésiphon, inaugurant le règne des Sassanides12.
L'art Sassanide est une synthèse entre l'hellénisme tardif et l'orient éternel. D'après les
dernières études nous lui devons le passage à la frontalité dans l’art sacré d’Orient,
caractéristique décisive de l'iconographie chrétienne13.
La frontalité dans l'iconographie chrétienne vient de l'aire culturelle syro-antiochienne. Doura
Europos et Palmyre en témoignent éloquemment mais aussi la "dame à la fenêtre" qui, venue

8
Elle décrit comment Ptomélée, au IIIè siècle avant J-C, fait venir les 70 sages d'Israël pour traduire la Bible de
l'hébreu au grec. Soixante dix, soit six érudits pour chacune des 12 tribus. La tradition des Octateuques s'est
perpétuée en Orient. Le meilleur Octateuque conservé est celui de Vatopédi (XIIIè siècle).
9
Carl-Otto Nordstrom in "Rabbinica in frühchristlichen und byzantinischen illusrationen zum h.Buch Mose".
10
in "La théologie baptismal de Saint Ephrem", Bibliothèque de l'Université Saint-Esprit, p..168
11
"Il simbolisme dei Giudei-Cristiaini", Franciscan Printing Press

12
cf A.Christensen "l'Iran sous les Sassanides"; R.Ghirshman "Parthes et Sassanides" (Gallimard 1962);
N.Pigulevskaya "Les villes de l'Etat iranien aux époques Parthe et Sassanide"; J.Gagé "La montée des
Sassanides et l'heure de Palmyre" Albin Michel 1964.
13
A Hatra (I et IIè siècle) relevons une décoration de masques pris de face, encastrés dans des parois comme à
Palmyre. A Kush-el-Khawadja (I-IIIè siècle), dans le palais, nous trouvons d'intéressantes peintures murales où
la frontalité joue un rôle important.

3
de Mésopotamie14, sera reprise sur les tissus coptes, démontrant par là les liens culturels
profonds qui unissent les deux patriarcats d'Antioche et d'Alexandrie malgré les courants
aramaïsants de l'un et l'héllénisme invétéré de l'autre.

3. Influence héllenistique

Les conquêtes d'Alexandre le Grand relieront la méditerranée à l'Indus. Elles imprègneront


bien sûr les provinces orientales. Antioche sera à la fois un centre d'héllenisme raffiné tout en
restant une cage de résonnance de la pensée nationaliste syriaque.

Mais pour comprendre encore mieux l'aire syro-antiochienne nous devons nous pencher sur la
sphère culturelle où soit elle a étendu son influence soit elle a réalisé une symbiose avec la
culture dominante:

4. Influences exercées par l'aire syriaque

- Arménie, Ethiopie, Alexandrie

C'est à travers l'ardeur missionaire de ses moines que la culture syro-antiochienne allait avoir
un apport décisif. Au IIè siècle ce sont des moines antiochiens qui prêchent en Arménie. De
même en Ethiopie. Le Patriarcat d'Alexandrie sera, lui aussi, très proche du Patriarcat
d'Antioche. Dès le début le monachisme lie les deux Eglises. Très tôt les "syriens" ont leur
monastère dans le Wadi Natroun, le désert de Nitrie, c'est le monastère de la Théotokos
d'Abba Bishaï, ou Deir Syrian : Monastère des syriens. Il subsiste jusqu'à nos jours.
Une simple comparaison entre l'art copte, arménien et syro-antiochien primitif fait ressortir
les ressemblances. En remontant bien plus loin dans le temps, ll faut aussi souligner le rôle
préparatoire de l’Egypte dans la naissance du monothéïsme et aussi de l’iconoclasme 15

- Les écrits apocryphes chrétiens

L'iconographie chrétienne y a puisé beaucoup de ses thèmes et ses symboles. Or la plupart de


ces écrits sont d'origine syro-antiochienne. Notons par exemple l'importance du Protévangile
de Jacques, de Joseph le Juste, les Actes de Pilate, l'Evangile de Thomas. De même certaines
traditions telle que la légende d'Abgar ont eu un retentissement certain sur l'iconographie
syriaque. Certains logia ou agrapha 16, vrais ou présumés ont aussi joué un rôle important.
14
Ivoire de Nemrud, musée de Bagdad
15
cf. L'ART FIGURATIF EN DROITS JUIF, CHRÉTIEN ET MUSULMAN
par Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh?[1]
On signale cependant un cas d'iconoclasme religieux survenu durant les trois, voire les cinq dernières années du pouvoir d'Akhenaton qui a
régné de 1372 environ jusqu’en 1354 avant J-C. Ce pharaon, qu'on considère comme le père du monothéisme, a déclaré le Soleil, Aton, seule
et unique divinité, et a ordonné de fermer les temples des autres divinités et de détruire leurs statues. Une inscription provenant de sa capitale
Akhet-Aton (Tell Al-Amarna) dit que le Dieu Aton "se façonne lui même avec ses mains, et aucun sculpteur ne le connaît". Le seul trait
humain conservé d'Aton se manifeste par les mains terminant les rayons du soleil, qui donnent le signe de vie au roi pour entretenir la
création. Ceci n'empêchait pas la représentation du Pharaon et de sa femme Néfertiti en compagnie du disque solaire. A sa mort, Akhet-Aton
fut abandonnée. Tout ce qui se rapportait à ce pharaon fut détruit et le culte d’Amon et de tous les autres dieux fut rétabli. Akhenaton fut
désigné par ses successeurs comme étant le "criminel d'Akhet-Aton" ?[2].
Strabon (d. 21 ou 25) estime que les juifs sont originaires d'Égypte ?[3]. Freud suggère que Moïse appartenait à la famille d'Akhenaton et qu'il a
quitté l'Égypte à la mort de ce dernier pour fonder son monothéisme en Palestine ?[4]. Cela pourrait-il expliquer l'attitude de la Bible à l'égard
de l'art figuratif?

16
Paroles du Christ recueillies et transmises oralement.

4
II. L'iconographie syriaque, histoire et traits dominants

Essayons de replacer l'iconographie syriaque dans le vaste contexte de l'iconographie


chrétienne.
Jean de Lassus écrivait :17" Si la Syrie a joui à un moment de sa longue histoire d'un art
particulier et d'une force créatrice, si elle a donné le jour à d'étonnantes merveilles, laissant
dans le monde des formes architecturales et ornementales une marque indélébile à cause de sa
force, de son vaste champ d'action et de la longueur de sa durée, ce fut au temps où elle était
tout entière chrétienne, c.a.d. dans les Vè et VIè siècles. A ce moment s'élevèrent en tous les
lieux syriens les plus diverses constructions grâce à l'abondance résultant de la paix
Constantinienne... Tant et si bien que des savants ont pu considérer, sans exagération, que l'art
original dans la Syrie islamique, cet art qui a donné le jour à ces deux célèbres merveilles que
sont le Dôme du Rocher et la mosquée des Omeyyades à Damas, n'est que la prolongation de
l'art chrétien en Syrie.
Mais, malheureusement, il n'a pas été facile de délimiter le rôle qu'a joué la Syrie dans l'art
iconographique, faute de monuments ayant conservé leurs représentations primitives, de telle
sorte que le Prof.Butler, Directeur des expéditions américaines, finit par résoudre le problème
par la négation, niant l'existence de représentations anthropologiques dans les églises
syriennes. Cependant nous pouvons repérer, à part les témoignages d'auteurs anciens tel que
celui de l'historien de Gaza qui décrivit les représentations dont était ornée la Cathédrale de
Gaza, d'autres témoignages révélés par les évangiles syriaques enluminés remontant au VIème
siècle et dans les ustensiles d'argent exportés de Jérusalem en Italie à la même époque ainsi
que sur les plaque d'argent sur lesquelles fut sculptée l'histoire de David. Tous ces éléments
témoignent de l'existence de cet art iconographique ".
Puis survinrent les excavations de Doura. Elles dévoilèrent en 1932 une église ornée de
représentations humaines de l'Ancien et du Nouveau Testament. Elles mirent aussi à jour une
synagogue juive ornée de figures datées de l'année 245 AD, représentant la vie de Moïse ainsi
que celle d'autres prophètes. Cette découverte posa à ce sujet de nouveaux fondements bien
stables et il est permis d'affirmer que, dès le IIIème siècle, il exista un art iconographique
syriaque qui n'est pas plus tardif que les plus anciens cycles iconographiques romains »18.

Si l'art syro-antiochien a perdu la plupart de ses vestiges iconographiques n'oublions pas la


place prédominante que la représentation iconographique tient dans la tradition syriaque. En
effet, n'est-il pas significatif que les deux traditions iconographiques portantes de toute la
théologie de l'image sacrée ont leur origine dans la culture syriaque ? Ce sont:
- La tradition du Saint Mandylion 19 ;
- La tradition de l'Hodigitria peinte par le Saint Apôtre Luc 20.

Si maintenant nous voulons voir émerger les traits de cette iconographie, nous pouvons nous
reporter au Codex purpureus de Rosano ou à l'évangéliaire de Rabboula et les comparer aux
fresques de Doura Europos ou à la statuaire de Palmyre. Une frontalité encore plus prononcée
que celle des oeuvres romaines ou byzantines de la même époque, une simplification des
formes, un graphisme typique et, souvent, une symbolique particulière.

17
Dans Al Machrek "Introduction à l'étude de l'art chrétien en Syrie aux Vè et VIè siècles" Avril-Juin 1934,
année 33ème.
18
ibid.
19
A.DESRUMEAUX :"Histoire du roi Abgar et de Jésus", Brepols 93, coll.Apocryphes
20
I.SENDLER "L'iconographie de la Mère de Dieu".

5
IV. Iconographie du Baptême

Au IVè siècle, avec l'avènement de l'ère constantinienne, une nouvelle période commence
pour l'Eglise et pour l'art chrétien. Dès le IVè et le Vè siècle apparaissent dans les églises de
grands cycles historiques représentant des évènements de l'Ancien et du Nouveau Testament,
sous la forme de peintures ou de mosaïques monumentales. Constantin le Grand et sa mère
Hélène firent édifier des basiliques en Palestine et dans toute la province orientale. Ethérie dit
bien " et que dire de la décoration des édifices que Constantin, sous la surveillance de sa
mère, employant toutes les ressources de son empire, a ornés d'or, de mosaïque, de marbres
précieux..."21. C'est aussi à cette époque que sont fixées la plupart des fêtes principales de
l'Eglise et les compositions iconographiques qui leur correspondent. Au VIè siècle leur série
est complète, car on les trouve sur les fameuses ampoules de Monza (près de Milan) et de
Bobbio. Ces ampoules d'argent, ornées de scène de l'Evangile furent offertes vers l'an 600 à
Théodelinde, reine des Lombards (+625) et constituent pour nous un document précieux.
Certains érudits s'accordent aujourd'hui à reconnaître que les scènes évangéliques qui s'y
trouvent gravées reproduisent les mosaïques des églises palestiniennes construites par
Constantin et Hélène.

L'iconographie du baptème est tributaire de ce vaste mouvement d'expansion.

La Composition iconographique du Baptême

Parlons tout d'abord de la composition iconographique du baptême telle qu'elle s'est


développée depuis le IIè siècle jusqu'au Xème.
Elle comportera les éléments suivants:
- Jésus, adulte ou enfant22, barbu ou imberbe, le plus souvent nu, parfois vêtu d'un perizonium.
- Jean le Baptiste, penché, souvent de grande taille, en train d'imposer la main sur la tête du
Christ.
- le Jourdain dont les eaux arrivent à des hauteurs variées du corps du Christ et qui souvent est
personnifié ainsi que la mer d'après le verset du psaume "La mer l'a vu et elle a fuit, le
Jourdain est retourné en arrière".
- La colombe plus ou moins stylisée, toujours dans l'axe vertical au-dessus du Christ. Comme
symbole de la 3ème personne de la Trinité elle n'apparaît d'une manière universelle qu'après
les Conciles de Nicée et de Constantinople, au IVè s.
- la main du Père, signifiant sa voix, émergeant du demi-cercle de la gloire
- un ou plusieurs anges sur la berge en attitude d'adoration et de service (ils se cachent les
main en signe de respect ou présentent au Christ le vêtement de lumière ou indiquent du doigt
la main du Père)
- des montagnes et des arbres avec parfois une hache.
Le célèbre sarcophage de Junius Bassus, dans les Grottes Vaticanes, qui est du IVè
siècle, donne, de la scène du Baptème du Christ, une transposition symbolique qui est
probablement unique; une brebis met une patte sur la tête d'une autre brebis, plongée en partie
cdans l'eau, et une colombe domine la scène.

Tradition syriaque

21
Journal de voyage, SC,page 205; sur les églises bâties par Constantin et sa mère, sainte Hélène, voir Eusèbe,
Vit.Const.,3,41 et 43 et De Laud.Const., 9, 17 (P.G.,t.20; col. 1101 et 1369).
22
cf. L.OUSPENSKY "La théologie de l'icône", P.59

6
Parlons de la tradition syriaque et remontons dans le temps pour retrouver ses traces.

D'après Gabriel Millet, trois types de Baptême du Christ se seraient succédé en Orient, du Vè
au Xè siècle: le type hellénistique, caractérisé par la simplicité de la composition et la
noblesse des attitudes; le type syrien où apparaissent les anges et où l'on voit dans le ciel la
main divine; le type de la Cappadoce, où il n'y a plus de perspective, où l'eau semble monter
autour du Christ et où il voile le plus souvent sa nudité de ses mains23.

Sur les fresques du monastère de Baouït, en Haute Egypte, qui pourraient être à peu près
contemporaines du baptistère des Orthodoxes à Ravenne, l'on voit apparaître, pour la
première fois semble-t-il dans l'état actuel de nos connaissances, un personnage qui deviendra
à peu près inséparable du Baptême: l'ange qui portera sur ses bras les vêtements du Sauveur,
mais qui d'abord se voile seulement les mains en signe de respect.
Sur une ampoule de Monza représentant un cycle de six fêtes autour de la Nativité, nous
voyons de même un seul ange qui, de la main droite montre la colombe.

Sur la chaire de l'évêque Maximien à Ravenne, dont il est sûr qu'elle était d'origine
égyptienne, les anges sont au nombre de deux. On a justement rapproché la chaire de Ravenne
d'un ivoire égyptien du British Museum.

Or, si la présence des anges est un apport "syriaque" à l'iconographie du baptême, n'oublions
pas que l'angélologie est parmi les signes et les symboles à influence judaïsante ou judéo-
chrétienne comme la croix bicorne et l'étoile de David. Nous retrouvons ces éléments dans
des sites stylites de la province orientale tels que Kafr Derian, Bafittin, Tehda, Telanissos,
Qalb Lozé etc.... Les anges porteurs des couronnes à la manière des "victoires ailées"
sassanides puis romaines furent, en effet, très populaires en Syrie.
D'une manière plus générale, un élément comme la main bénissante du Père est déjà un apport
juif à l'iconographie baptismale. La main signifiant la parole ou l'acte est d'origine sémite. A
Palmyre, dans l'hypogée nous voyons les défunts avec une main étendue en forme oratoire. A
Doura le geste de parler est signifié par les mains ouvertes. Pour la chrétienté orientale, "c'est
un élément de l'iconographie juive qui fut assimilé dès le début de l'Eglise"24.

L'affinité entre les traditions judéo-chrétienne et syriaques est évidente. D'après feu le R.P.
Antoine Lammens, les Testaments des 12 patriarches, notamment le Testament de Lévi,
chap.18, écrit apocyphe du IIè s. av.J-C ont inspiré l'iconographie syriaque du Baptême du
Seigneur.

23
Sur les fresques des chambres des Sacrements, au cimetière de Callixte, nous nous trouvons devant une
représentation qui va connaître un singulier succès dans l'art chrétien primitif: Jésus y a la taille d'un enfant.
Nous nous trouvons en présence d'une représentation toute nouvelle, et qui va connaître un singulier succès dans
l'art chrétien primitif: Jésus n'y a plus que la taille d'un enfant. C'est ainsi qu'il est représenté sur les ampoules de
Monza. On retrouve le même détail sur une fresque de la catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin; mais ici
Jésus, les deux bras levés, fait le geste traditionnel de l'orante, pendant que la colombe, le bec en bas, descend à
pic au-dessus de lui. Il est bien probable que le peintre s'est inspiré du texte de Saint Luc, où il est dit que ce fut
"pendant que Jésus priait, que le ciel s'ouvrit, et que l'Esprit-Saint descendit sur lui sous une forme corporelle,
comme une colombe...".

24
cf.A.Grabar "Recherches sur les sources juives de l'art paléo-chrétien" (Cahiers d'Archéologie n°14, 1964,
pp.53-57.

7
Il y a une autre caractéristique de l'iconographie syriaque du baptème que Gabriel Millet
oublie de citer: la présence du feu dans le Jourdain.
Nous voyons le feu dans le Jourdain sur une miniature du Codex Rabboula ainsi que sur la
représentation du baptème dans l'Evangéliaire d'Echmiadzin (VIè s.). Sur les deux
évangéliaires il n'y a pas d'anges. Est-ce parce que le feu les signifie suivant cette parole de
l'Ecriture :"celui qui a fait des ses anges un vent, de ses messagers une flamme de feu.". Une
strophe de Saint Ephrem condense très bien cette assimilation du feu aux anges et au baptisé:
"Notre-Seigneur est descendu sur terre auprès des mortels; il les créa de nouveau et les fit
comme des anges; il mit en eux feu et Esprit-Saint pour devenir ignifiés et spirituels d'une
façon cachée"25.
Cette présence du feu nous rappelle le "baptême de feu" des rites baptismaux judéo-chrétiens.
Nous remarquons d'emblée que l'iconographie du baptême ne s'est pas contentée d'emprunter
des éléments figuratifs à la tradition judéo-chrétienne, mais qu' elle retranscrit picturalement
les rites baptismaux judéo-chrétiens, du moins dans les grandes lignes non hétérodoxes.

V. Rites baptismaux judéo-chrétiens et l'iconographie du baptême

Une étude archéologique de Jean Briand sur l'Eglise Judéo-Chrétienne de Nazareth 26 relève
des indices certains du rite d'initation des judéo-chrétiens qui pourraient éclairer
l'iconographie du baptème en général et la tradition iconographique syriaque en particulier.
Nous suivrons l'exposé pas à pas pour faire ressortir le parallélisme avec l'iconographie
baptismale en général et la syriaque en particulier. Limitons-nous aux données archéologiques
offertes par l'auteur.
Tout d'abord Jean Briand rappelle que, chez les judéo-chrétiens, affiliés à la tradition de
Jacques le frère du Seigneur, le rite d'initiation comporte trois cérémonies dans des lieux
séparés et à des moments différents: le baptême de Feu, le baptême d'eau et le baptême de
l'Esprit-Saint. C'est, semble-t-il, contre cette pratique qu'au IVè siècle réagit l'Eglise officielle
en faisant proclamer dans le Credo de Nicée-Constantinople: "Je crois en un seul Baptême".
Mgr.Georges Saber, faisant allusion à la "coloration araméenne" de la théologie de St
Ephrem, note une analogie entre le baptême des prosélytes, propre à certains milieu juifs
contemporains du christianisme et la description de l'initiation chrétienne livrée par St
Ephrem. Les trois phases principales du baptême des prosélites étaient: circoncision, bain
baptismal et offrande d'un sacrifice. Leurs pendants selon St Ephrem seraient: onction
prébaptismale, bain d'eau et participation à l'Eucharistie.

Le baptême de Feu 27

L'exorcistorium
C'est dans le vestibule ou exorcistorium dont parlent les Constitutions Apostoliques qu'il se
déroule. Il correspond à la partie basse de la composition iconographique, là où l'on voit le
Jourdain -ou ses représentations mythiques- infesté de la présence maléfique de l'esprit du
mal. Chez les judéo-chrétiens, cet exorcistorium -ou lieu de exorcisme- se trouvait la plupart
du temps dans des grottes, où les catéchumènes descendaient pour se dépouiller du vieil
homme, "comme le serpent se glisse dans son antre" pour changer de peau, selon une
comparaison de Saint Cyrille dans ses catéchèses. Or, dans la plupart des représentations

25
in Georges Saber "La Théologie Baptismal de St Ephrem" - Bibliothèque de l'Univerté Saint-Esprit, p.140
26
in "Cahiers de la Terre Sainte", Franciscan Printing Press, 3ème édition
27
cf. C.M.Edsman "Le baptême de feu" Leipzig, 1940, pp.182-190

8
iconographiques du baptême le Jourdain prend la forme d'une grotte obscure sur laquelle
tranche la figure lumineuse du Christ.
Les néophytes étaient d'ailleurs initiés en plusieurs séances à la doctrine des Deux Voies:
celles des ténèbres, gouvernées par les anges de Satan et si bien symbolisée par la semi-
obscurité de la grotte - sur l'icône le Jourdain- et celle de la Lumière, dirigée par le Christ.
Cette initiation se terminait lors de l'ultime séance, qui servait de cérémonie préliminaire au
baptême de feu.
Nous en connaissons le déroulement et le symbolisme par une description de l'évêque Jean II
de Jérusalem, successeur de Saint Cyrille. La cérémonie consistait essentiellement dans un
ensemble d'exorcismes.

La nudité
Aussitôt entré dans l'exorcistorium, le catéchumène devait se dépouiller de tous ses
vêtements, y compris ses sandales28. Il entendait ainsi montrer qu'il renonçait à sa vie
antérieure et qu'il entrait dans le combat du Christ luttant nu sur la croix contre Satan. Jean de
Jérusalem commente ainsi cette nudité :" Chose étonnante! Vous êtes ainsi restés nus, devant
tous les assistants, sans en avoir honte! Vraiment vous imitiez ainsi Adam, notre premier père,
au Paradis terrestre..." (cf Gen, 2,25). Sur le ampoules de Monza le Christ est entièrement
nu29, de plus il a les traits d'un enfant30, serait-ce pour évoquer la "nouvelle naissance" si chère
à la tradition johannique ?

L'Archange Michel
Si l'on en croit certains écrits d'ascendance judéo-chrétienne ou syriaque: le Second Livre
d'Enoch, les Odes de Salomon...le catéchumène était assisté durant ce rite par l'Archange
Michel, représenté sans doute par un diacre. Voyant en lui l'ennemi par excellence de Satan,
on lui attribuait tout naturellement la fonction de dépouiller les prosélytes des ténèbres et de
les revêtir de la Lumière. Sur les icônes les plus primitives, avons-nous dit on ne voit qu'un
seul ange. Je crois qu'il est légitime de croire qu'il s'agit de Saint Michel le "psychopompe" 31
par excellence lors du baptême et lors du passage dans l'au-delà. Sur l'ampoule de Monza il
tient dans sa main un vêtement. Le parallélisme est frappant entre la tradition liturgique et la
tradition iconographique.
C'est alors que la bataille contre le démon s'engageait: debout tourné la main étendue vers
l'Occident, "lieu des ténèbres sensibles, figure des ténèbres spirituelles", le néophyte
prononçait la formule d'abjuration :"je renonce à toi, Satan!".

Le feu, lumière du Christ


On allumait alors les lampes, le candidat en prenait une en main signifiant ainsi qu'il renonçait
aux ténèbres du péché, pour vivre désormais à la lumière du Christ. Il recevait ensuite, sur
tout le corps, l'onction avec l'Huile des catéchumènes, suivie des insufflations et de
l'imposition, sur les différents membres, du signe de la Croix. La formule alors utilisée, que
nous rapporte Saint Ephrem, donne tout leur sens à ces rites :"L'Esprit, d'un feu mystérieux,
marque son troupeau, au triple Nom qui met en fuite l'Esprit mauvais...". Certaines sectes
donnaient même à ce baptême de feu un caractère réaliste; on prenait à la lettre l'annonce de
Jean-Baptiste: "Il vous baptisera dans l'Esprit-Saint et le feu" (Mt 3,11; Lc 3,16) et le

28
C'est aussi ce qu'exige le Testamentum Domini

29
A San Giovanni in fonte de Ravenne, au baptistère des Orthodoxes le Christ est complètement nu
30
Comme sur les sarcophages d'Arles, Ancône, Madrid, Soissons, Musée du Latran etc...
31
littéralement conducteur de l'âme

9
catéchumène recevait au fer rouge, probablement sur le front, la marque indélébile d'une
croix.

Au folio 4, au verso du Codex Rabbulensis on voit un feu sortir du Jourdain. De même sur la
miniature du baptême dans l'Evangéliaire d'Echmiatzine. Ceci est indubitablement une
translitération iconographique de diverses sources: d'abord l'Evangile des Ebionites32 attesté
par Epiphane 33 et qui dit à propos du baptême du Seigneur:"Quand le peuple fut baptisé,
Jésus vint aussi et il se fit baptiser par Jean. Et lorsqu'il remonta de l'eau, s'ouvrirent les cieux
et il vit l'Esprit saint, tel une colombe, descendre et se poser sur lui. Et une voix sortit du ciel,
disant:"tu es mon fils bien-aimé, en qui je me suis complu' et encore:"Aujourd'hui je t'ai
engendré.' Aussitôt une grande clarté illumina les lieux."

Ensuite Tatien, dans son Diatessaron 88.3 (env.180) dit de même :"Tandis que Jésus
descendait dans l'eau, le feu s'alluma dans le Jourdain"34.

Saint Justin dans son "Dialogue avec Tryphon" (88,3) écrit :"Alors que Jésus vint au fleuve du
Jourdain où Jean baptisait, tandis qu'il descendait dans l'eau, du feu même s'alluma dans le
Jourdain, et pendant qu'il remontait de l'eau, l'Esprit-Saint comme une colombe, voltigea sur
lui" et encore : " Le Seigneur, feu immatériel, s'est plongé dans les eaux. Il leur a donné par
son Esprit de devenir des "eaux de feu", des eaux purificatrices et sanctificatrices".

L'office du soir du 6 janvier de l'Eglise syriaque nous enseigne ainsi:


" Le Jourdain à ton aspect s'enflamma d'amour lorsque tu vins te faire baptiser pour que
chacun connaisse le feu du baptême. Les eaux s'enflammèrent aux étincelles des flammes
lorsque le feu vivant vins s'y plonger pour le baptême"

Curieusement nous avons une variante qui introduit un thème analogue encore plus précis
après Matthieu 3,17, dans le Codex Vercellensis (IVè s.) et le Sangermanensis, (VIIè s., latin):
" Et tandis qu'il recevait le baptême, une vive lueur s'éleva de l'eau, en sorte que tous les
assistants étaient remplis de crainte"35.Tant l'ajout apocryphe que la variante évangélique se
rattachent à l'arrière-fond baptismal dont nous parlons, du moins la tradition iconographique
les exprime-t-elle éloquemment. La liturgie syriaque de l'Epiphanie reprend ces symboles
lorsqu'elle plonge dans l'eau à bénir un charbon ardent qui représente le Christ, braise divine,
pénétrant dans le sein de la Vierge ou dans les ténèbres de l'abîme aquatique. Mais tel n'est-il
pas la résonnance première du sens du Baptême que la tradition nomme illumination?

Ainsi préparé, le catéchumène pouvait s'en aller à la rencontre de l'Epoux. Lumière en main,
guidé par l'Archange Michel, il était conduit processionnellement vers le baptistère. Alors se
faisait entendre le bel hymne baptismal, dont Saint Paul a cité le refrain au ch.5 de son Epître
aux Ephésiens:
"Eveille-toi, O toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera!...."

Le Baptême d'eau

L'onction pré-baptismale

32
Première moitié du IIè siècle. Les Ebionites sont une secte judéo-chrétienne.
33
Hérésies 30,13,16, 22
34
Voir aussi le commentaire sur le Diatessaron de Saint Ephrem (III, 13).
35
F.Quéré :"Evangiles apocryphes" - Ed. du Seuil- 1983, p.37

10
D'après les érudits cette onction aurait été la seule jusqu'au IVè siècle36. Saint Ephrem insiste
sur l'unité entre l'onction prébaptismale et le baptême. Cette onction est liée au Don de l'Esprit
et la symbolise. L'Esprit sous forme de colombe qui descend sur le Christ, témoigne qu'Il est
l'Oint par excellence. Sur l'icône la main bénissante du Père oint son Elu par la puissance de
l'Esprit. Ces symboles sont bibliques et judéo-chrétiens.
A ce moment-là le catéchumène recevait la rémission de ses péchés par l'onction. Cette
dernière manifestait la victoire définitive sur le mal. La liturgie syriaque, héritière directe de
celle des Judéo-Chrétiens, prie pour que "par cette onction le chrétien ne s'unisse plus aux
puissances de l'ennemi, et qu'il n'ait plus à craindre des chefs de la milice des ténèbres, mais
que, marchant dans la lumière, il devienne réellement fils de lumière...".

Les sept degrés


Dans les vasques baptismales judéo-chrétiennes de Nazareth on note l'existence de sept
degrés. Lorsque le catéchumène y descendait cette démarche revêtait une valeur de symbole.
Elle mimait le mystère de l'Incarnation, la descente du Verbe, à travers les sept cieux, jusque
dans le sein de Marie. Mais on pensait aussi à la descente du Christ aux enfers et à sa
sépulture, mystère rédempteur que les futurs baptisés entendaient revivre pour avoir part à la
Résurrection. D'où la signification de l'hymne paulinienne "vous tous qui avez été baptisés en
Christ, vous avez été baptisés dans sa mort" et encore "vous qui avez été baptisés en Christ,
vous avez revêtu le Christ".
Sur l'icône du baptême le Christ debout symbolise à la fois cette descente aux enfers
(ensevelissement dans les eaux du Jourdain signifiant le tombeau37) et cette montée vers les
hauteurs (Résurrection-Ascension), signifiées par la colombe et la main du Père.
La liturgie orientale a l'habitude d'envisager le baptême du Seigneur dans sa référence au
mystère pascal. Dans le geste d'humilité par lequel le Seigneur s'identifie et se substitue aux
pécheurs et dans son exaltation par la voix du Père, lors de son Baptême, la tradition syriaque
voit le symbole et la préfiguration de la mort du Seigneur et de sa Résurrection.

Les anges protoctistes


Dans la grotte de l'église Saint-Joseph de Nazareth le fond de la vasque baptismale est ornée
d'une mosaïque représentant six rectangles de dimensions inégales entourant le bassin et une
pierre de basalte où se tenait le catéchumène et qui représente le Christ rocher. Ces rectangles
font penser aux six Anges appelés Protoctistes, c.a.d. premier-nés. Dans leurs commentaires
de la Genèse, en effet, les auteurs anciens (rabbins, gnostiques, chrétiens) assurent que, pour
chaque jour de la Création, un ange sortit des mains de Dieu pour veiller sur son oeuvre. Le
nom de ces êtres prédestinés est mentionné dans les écrits apocryphes (Evangile de Thomas,
Révélation de Jésus-Christ etc): Michel, Gabriel, Uriel, Absasax, Raphaël, Azraël. Emmanuel,
Ichtus (Poisson), Sabaoth sont des noms du Christ que les Judéo-Chrétiens aimaient placer à
la tête des Anges Protoctistes, n'est-il pas le "Premier-né de toute créature?" (Col 1,2). Cette
idée est tout particulièrement soulignée dans le "Pasteur" d'Hermas. Dans la neuvième
similitude nous lisons:

"Le Rocher est le Fils de Dieu, as-tu remarqué les six hommes (anges) et, au milieu d'eux, cet
homme glorieux et colossal qui fait le tour de la Tour (Eglise) et en a exclu quelques pierres ?

36
cf.Tanios Bou Mansour "La pensée symbolique de St Ephrem le Syrien" - Biliothèque de l'Univerité St Esprit
XVI- Kaslik/Liban 1988
37
Saint Basile les nomme "hudastos tafos", tombeau liquide.

11
Cet homme glorieux est le Fils de Dieu, et les six autres sont les anges glorieux qui lui font
cortège à droite et à gauche...".

Dans la pensée Judéo-Chrétienne, les six anges associés à la première création devaient l'être
aussi tout naturellement à la seconde, combien plus importante qui était le Baptême. C'est
cette idée qui influença l'iconographie du baptême où on représenta le Christ au Jourdain
entouré d'anges. On leur donnait tant d'importance qu'ils étaient considérés comme les forces
personnifiées de la divinité; en certaines sectes même, où l'on n'était pas très fixé sur la
formule trinitaire, il arrivait que l'on baptisât "au nom du Christ, de Michel et de Gabriel"! si
bien qu'au IVème siècle le pape Saint Damase dut intervenir dans sa fameuse lettre
"Confessio Fidei Catholicae".

Saint Sévère d'Antioche, au début du VIè siècle dit dans un de ses Sermons:
"Lumière éclatante et resplendissante, ton éclat fait trembler les êtres de feu. En ta présence,
les esprits frémissent, les êtres d'en haut n'osent te scruter. Comme un homme ordinaire, tu as
cependant été baptisé par ton serviteur dans le fleuve du Jourdain"38.

Le Baptême de l'Esprit-Saint

Les cérémonies baptismales atteignaient leur sommet dans ce qu'on appelait le Baptême de
l'Esprit-Saint. Il ne s'agit d'un autre baptême mais de l'accomplissement de tout ce qui s'est
précédé. Une phrase de St Ephrem exprime admirablement cette unité des trois éléments dont
la conjonction mène les cérémonies baptismales à leur achèvement:"Voici le feu et l'Esprit sur
le fleuve où tu as été baptisé, feu et Esprit dans notre baptême"39.

La position debout et la remontée de l'eau


Ici il convient de noter à propos de l'iconographie que, toujours, le Chrit est debout dans le
Jourdain dans une position axiale verticale que souligne la présence, dans le même axe, de la
colombe et de la main du Père. Cette station debout exprime bien le sens premier du terme
syrien de 'baptême" (Maamoudito) qui n'est pas l'équivalent du verbe grec bautizo mais
signifierait se tenir debout, être confirmé.
Le don de l'Esprit-Saint ne serait pas une étape du baptême mais son contenu essentiel.

Le baptême de l'Esprit-Saint consistait essentiellement dans la remontée des sept marches de


la vasque baptismale. Les sept degrés de l'escalier représentaient "l'Echelle cosmique", c.a.d.
l'ascension du chrétien vers la Gloire. Pour le baptisé se renouvelait alors la merveilleuse
descente du Saint-Esprit sur le Christ sortant du Jourdain:"Au moment où il remontait de
l'eau, il vit les cieux se déchirer et l'Esprit comme une colombe descendre sur lui"(Mc 1,10).

C'est ce qu'exprime la plus ancienne représentation connue se trouve dans la crypte de Lucine
(très probablement le noyau primitif de la catacombe de Calixte) qui date du IIè siècle. On y
voit un personnage nu, les genoux fléchis comme dans un mouvement d'ascension, qu'un
second personnage, habillé celui-là et debout à un niveau plus élevé, semble, d'un grand geste,
aider à sortir de l'eau; un oiseau, les pattes pendante qui pourrait être une colombe, se dirige
en volant vers le groupe. Il faudrait remarquer que l'artiste a suivi le texte évangélique à la
lettre, et avec une fidélité que l'on ne retrouvera plus: Saint Matthieu dit expressément que
c'est au moment où Jésus sortit de l'eau, et non pas pendant la scène même du baptême, que la
colombe descendit des cieux entr'ouverts.
38
Homélie 19 sur l'Epiphanie (D.O. 23, p.32)
39
in Georges Saber, ibid.

12
Pour les Judéo-Chrétiens, avec ce troisième baptême, l'élu était rendu participant de la nature
divine et entrait dans la vie éternelle. Cette réalité était symbolisée de plusieurs manières.

Il y avait d'abord la remise de la tunique blanche, image de la renaissance spirituelle, dont le


nouveau chrétien était revêtu. Ce rite était regardé comme important, puisque certains
ouvrages de l'époque (Homélies du Pseudo-Clément, Odes de Salomon...) donnaient au
baptême le nom de Revêtement. Le néophyte recevait ensuite une couronne de fleurs. La
prière qui en accompagnait l'imposition nous a été transmise par la liturgie syriaque:"
Seigneur, Dieu de splendeur et de gloire, couronne ton serviteur ici présent. Que sa vie se
passe pour la satisfaction de ta majesté et pour la glorification de ton saint Nom, Père, Fils et
St Esprit". Ce couronnement avait lieu au moment où le nouveau chrétien accédait au Trône
de Dieu représenté dans les baptistères judéo-chrétiens au côté d'un diagramme représentant le
Paradis, signes mentionnés par Celse, Origène et Saint Clément d'Alexandrie.

En effet, les mystères de l'initiation chrétienne étaient considérés comme un retour au Paradis,
une participation à la vie trinitaire. Souvent, d'ailleurs, l'arbre de vie est planté dans le
Jourdain40.

Le baptistère de Doura, qui remonte au IIIè s. a déjà une coupole étoilé sur fond bleu qui
symbolise le ciel: le baptème est le mystère de la régénération, qui est une nouvelle création.
Cette régénération, commencée en Christ, affecte d'abord l'humanité et, à travers elle, le
cosmos en son entier.

Sacrement de l'initiation, de l'illumination, ou du revêtement, le Baptême est un sacrement


épiphanique. Tel est le nom premier de l'icône et de la fête: Denho, l'Epiphanie. Sévérien de
Gabala, mort en 408 et ami déloyal de Saint Jean Chrysostome, écrit dans son Homélie pour
la Théophanie:
"L'adorable Trinité est là présente, elle fait resplendir sa gloire. Le Père, d'en haut, proclame
son Fils. Le Fils sur terre accomplit l'économie. Le Saint-Esprit authentifie pour ainsi dire de
son sceau la divine initiation"41 .

Conclusion

L'icône du baptême, dans la tradition syriaque, recueille des éléments d'une antiquité
vénérable et d'une théologie particulière qui nous aident à comprendre les interactions
complexes qui sont à la base d'une des cultures les plus riches du christianisme. Liturgie,
théologie et tradition prêtent leur concours aux lignes et aux couleurs pour que l'image nous
offre un condensé du mystère de l'initiation baptismale. Le Christ représentant tout baptisé
dans son chemin de retour vers le Paradis par l'Eglise qui est sans cesse mise en référence au
Paradis perdu et au Paradis à venir.

Cette quête du Paradis perdu est une des éternelles nostalgies de l'âme syriaque qui n'a de
cesse que de ressembler aux anges de feu gardant les vêtements de gloire du Christ, pour s'en
revêtir avec Lui, pour se revêtir de Lui. Puissions-nous veiller et servir avec tous ceux qui
nous ont précédé.
40
cf A.Lammens, cours inédit sur l'iconographie orientale, KASLIK 1973-74, p.10
41
P.G. 65, 21

13
AMEN !

Agnès-Mariam de la Croix
Carmélite

14

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