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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

École d’histoire de la Sorbonne

Victor Belhoste

Des moines entre Byzance et l’Islam : l’arabisation du milieu monastique du


désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam (VIIe-Xe siècles) à travers
l’exemple de la production textuelle liée au monastère de
Mar Chariton

Mémoire de Master 2 d’histoire – parcours Monde méditerranéen médiéval


préparé sous la direction de Mme Annliese Nef et de Mme Mathilde Boudier

Année universitaire 2021-2022

1
À ma marraine Anne,

Illustration de couverture : Photographie du Wadi Khureitun


https://commons.wikimedia.org/wiki/File:120323_015a.jpg

2
Des moines entre Byzance et l’Islam : l’arabisation du milieu monastique
du désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam (VIIe-Xe siècles) à
travers l’exemple de la production textuelle liée au monastère de
Mar Chariton

Introduction

Dans le cadre d’une reprise d’études, je souhaitais travailler sur le phénomène


d’arabisation aux premiers siècles de l’Islam. Après avoir rédigé un mémoire de master 1
consacré à la pratique de la poésie à la cour abbasside, donc une étude consacrée à l’apport
spécifiquement arabe, même s’il a ensuite évolué sous des formes nouvelles, dans la
construction de l’identité arabo-islamique1, j’avais en tête d’explorer d’autres facettes de
l’arabité, en cours d’élaboration tout le long de la période.
À la suite de l’élection de Mme Boudier, auteur d’une thèse sur les chrétiens melkites,
au poste de maîtresse de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Mme Nef m’a
suggéré de travailler avec cette dernière sur le phénomène d’arabisation dans le milieu
monastique du désert de Judée aux premiers siècles de l’islam. Il s’agissait de partir de sources
liées à un monastère méconnu, bien qu’ayant eu rôle fondamental dans l’Histoire du
monachisme palestinien, la laure de Mar Chariton.

Le bilād al-Shām
L’espace géographique de cette étude est celui de la Syrie-Palestine, nom par lequel :
« on désigne commodément la région correspondant au Bilād al-Shām des géographes arabes,
région qui s’étend des confins de l’Arabie au sud jusqu’au mont Taurus au nord et que limitent
vers l’est la steppe syro-mésopotamienne et la vallée de l’Euphrate. »2. Au sein de cet espace
ce sont les chrétiens melkites qui retiendront notre attention. Par cette expression, on désigne
traditionnellement les fidèles de « L’Église fidèle au dogme défini par le concile de Chalcédoine
en 451 [qui] fut qualifiée de melkite c’est-à-dire d’impériale par ses adversaires jacobites ; elle

1
Belhoste, Victor, "La pratique de la poésie à la cour abbasside (132 h/750 - 334 h/945)", 2013,
https://www.academia.edu/6733507/Belhoste_Victor_La_pratique_de_la_poésie_à_la_cour_abbasside_132_h_7
50_334_h_945_2013
2
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise et Picard, Christophe, Communautés chrétiennes en pays d’Islam. Du
début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 18.

3
était organisée en trois patriarcats, Antioche, Jérusalem et Alexandrie »3. D’un point de vue
doctrinal, les chrétiens melkites se caractérisent par la foi qu’il y a dans le Christ deux natures,
deux volontés et deux opérations : une humaine et une divine. Cependant, ils croient qu’il n’est
qu’une seule personne, divine. Ils se distinguent ainsi des jacobites, qui croient qu’il n’existe
dans le Christ qu’une seule nature, une seule personne, une seule volonté et une seule opération,
divines4. Enfin, la période étudiée est celle des premiers siècles de l’Islam, c’est-à-dire depuis
la prise de Jérusalem par les armées arabes en 638 jusqu’à la veille de la première croisade à
l’extrême fin du XIe siècle, avec une focalisation accrue sur les VIIe, VIIIe et IXe siècles, c’est-
à-dire la période omeyyade puis, surtout, les deux premiers siècles abbassides. Étant donné que
les sources étudiées dans le cadre de ce mémoire ne dépassent généralement pas le Xe siècle,
c’est ce siècle qui me sert de borne temporelle finale.

Dans cet espace syro-palestinien, la période précédente est qualifiée de byzantine car
celui-ci fait alors partie de l’Empire byzantin, dont il est une des provinces les plus prospères.
Berceau du christianisme, cet espace apparaît également comme profondément christianisé et
l’on peut dire que « A la veille de la conquête arabe, le christianisme chalcédonien était
solidement implanté dans toute la région (…). Le réseau des églises et des monastères était alors
très dense »5.

Dans le cadre de ce mémoire, je m’intéresserai plus spécifiquement à la région de


Palestine située aux alentours de la ville de Jérusalem et appelée communément le désert de
Judée. Cette petite région, comprise entre Jérusalem au nord-ouest, la région de Jéricho au nord-
est, la mer Morte à l’est, et la ville d’Hébron et le désert du Néguev au sud, est en effet le siège
d’une activité monastique intense à vocation principalement érémitique. Ces monastères, dont
le rayonnement va bien au-delà de la Palestine, sont très nombreux à l’époque byzantine, au
point que l’on utilise l’expression de « cité des moines »6 pour les qualifier.

Mar Chariton, un des pôles de la « cité des moines »

3
Ibid., p. 17.
4
Troupeau, Gérard, « La littérature arabe chrétienne du Xe au XIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale,
Poitiers, n°53, 1971, p. 2.
5
Ibid., p. 19.
6
CYRILLE DE SCYTHOPOLIS, Vies des saints moines palestiniens (Vies des saints Euthyme, Sabas, Jean
l’Hésychaste, Kyriakos, Théodose, Théognios, Abraamios), traduction française par Festugière, André-Jean, Les
Moines d’Orient III/1,2 et 3, Les Moines de Palestine, Paris, Cerf, 1961-1963, p. 90, 98, 104, 110, 126, 141, 158.

4
Parmi ces complexes religieux, un en particulier retiendra notre attention, le monastère
de Mar Chariton, aussi appelé Souka ou Ancienne Laure dans les sources, situé dans le Wadī
Ḫurayṭūn à quelques kilomètres à l’ouest du village de Tekoa, au sud-est de Bethléem. En effet,
cette laure, fondée au début de la période byzantine (probablement au milieu du IVe siècle) par
saint Chariton a connu un fort développement et un grand rayonnement littéraire durant cette
période mais aussi à l’époque islamique ultérieure.
Il existe un certain nombre de sources écrites témoignant de son importance passée, bien
qu’il ait aujourd’hui disparu. Il semble en effet être devenu un cénobion fortifié à l’époque des
croisades, puis avoir été définitivement abandonné durant l’époque mamelouke7. Au cours de
la période islamique, la production textuelle concernant Mar Chariton change, avec, notamment
une production textuelle en langue arabe produite au monastère, une production en langue arabe
évoquant Mar Chariton produite hors du monastère mais dans le milieu monastique du désert
de Judée et une production évoquant Mar Chariton produite dans l’empire byzantin.

La question de l’arabisation aux premiers siècles de l’Islam et ses acteurs


Jacques de Vitry (1170-1213), l’évêque latin d’Acre, dans son Histoire Orientale qui
s’attache à décrire la situation de la Palestine lors de l’arrivée des croisés à Jérusalem en 1099,
soulignait combien les chrétiens de Palestine lui apparaissaient différents des chrétiens latins et
pleinement partie prenante de la civilisation arabo-islamique. En effet, pour lui, ces chrétiens
étaient arabisés, c’est-à-dire qu’ils s’exprimaient en arabe dans leur vie quotidienne et
utilisaient aussi cette langue en tant que langue écrite :

« Les Suriens usent pour le langage quotidien de la langue des Sarrasins, ils utilisent
l’alphabet et l’écriture des Sarrasins dans leurs contrats, leurs affaires et en tout autre
circonstance, si ce n’est pour les Écritures divines et le domaine spirituel, où ils ont recours
à l’alphabet et à la langue grecs. C’est pourquoi dans les offices divins, les laïcs qui ne
connaissent pas d’autres langues que la sarrasine ne comprennent rien. […] D’autre part,
les Suriens observent en tout point les habitudes et les institutions des Grecs dans les offices
divins et dans tous les rites du spirituel et ils leur obéissent comme à leurs supérieurs »8.

7
Patrich, Joseph, « The Impact of the Muslim Conquest on Monasticism in the Desert of Jerusalem », Le
Proche-Orient de Justinien aux Abbassides : peuplement et dynamiques spatiales, actes du Colloque
"Continuités de l'occupation entre les périodes byzantine et abbasside au Proche-Orient, VIIe-IXe siècles",
Borrut, Antoine, Debié, Muriel, Papaconstantinou, Arietta, Pieri, Dominique, Sodini, Jean-Pierre [Éditeurs],
Paris, 18-20 Octobre 2007, Turnhout, 2011, p. 213.
8
Jacques de Vitry, Histoire orientale, traduit et annoté par Grossel, Marie-Geneviève, Paris, Honoré Champion,
2005, p. 209.

5
Ces « Suriens » ou « Syriens » sont les chrétiens melkites de Palestine, toujours présents
dans cette région à l’époque des croisades qui suit immédiatement la période étudiée. Comment
en est-on arrivé à cette situation sachant qu’à la fin de la période byzantine précédente (Ve-
début du VIIe siècle), les langues parlées par les melkites sont avant tout l’araméen palestinien
et, sans doute dans une moindre mesure, déjà l’arabe, alors que les langues écrites sont le grec,
surtout, mais aussi le syriaque ? On assiste donc au cours des premiers siècles de la période
islamique à la montée en puissance de la langue arabe en tant que langue parlée. Elle acquiert
dans le même temps le statut de langue écrite et même, dans une certaine mesure, celui de
langue liturgique parmi les melkites.
Ce phénomène que l’on peut qualifier d’arabisation, pour désigner le processus de
nature avant tout linguistique d’adoption de la langue arabe9, est-il décelable dans la production
textuelle des monastères du désert de Judée, en particulier celle liée au monastère de Mar
Chariton ? En outre, cette arabisation linguistique s’accompagne-t-elle d’une islamisation des
melkites, au sens que lui donne Cyrille Aillet, à savoir « l’ensemble des processus de transition
et de transformation qui caractérisent la mise en place progressive d’une nouvelle normativité
définie comme islamique au cœur même des espaces recouverts par les conquêtes »10 ? Ce
processus d’islamisation s’inscrit dans une dynamique spécifique et n’inclut pas nécessairement
une conversion à l’islam des populations conquises. En effet, dans le contexte du milieu
monastique du désert de Judée, les populations concernées ne se sont pas converties à l’islam.
Ce processus d’islamisation peut éventuellement être accompagné ou suivi d’un processus
d’arabisation, c’est-à-dire, toujours d’après Cyrille Aillet, un phénomène aux dimensions
multiples mais dont la dimension fondamentale est l’usage de la langue arabe. En effet, « l’arabe
s’impose d’abord dans l’administration et dans les inscriptions officielles, avant de devenir le
vecteur commun aux différentes composantes d’une société déjà islamique. Enfin, son usage se
répand dans les campagnes, apparaissant aussi bien dans des écrits plus spontanés comme les
graffitis que dans des usages oraux et vernaculaires que les sources ne retransmettent cependant
que très imparfaitement »11. Si l’on suit le schéma proposé par Cyrille Aillet, on peut se
demander dans quelle mesure le milieu monastique du désert de Judée, islamisé par son

9
Rubin, Milka, « Arabization versus Islamization in the Palestinian Melkite Community during the Early Muslim
Period », dans Kofsky, A., Stroumsa, G.G. (éds.), Sharing the Sacred. Religious Contacts and Conflicts in the
Holy Land. First-Fifteenth Centuries CE, Jerusalem, 1998, p. 153.
10
Aillet, Cyrille, « Islamisation et arabisation dans le monde musulman médiéval : une introduction au cas de
l’Occident musulman (VIIe-XIIe siècle) », Islamisation et arabisation de l’occident musulman médiéval (VIIe-
XIIe), Valérian, Dominique (éd.), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 33.
11
Ibid., p. 34.

6
appartenance à l’Empire arabo-musulman, a été arabisé, et si cela est décelable au travers de
l’étude de sa production textuelle, en particulier celle du monastère étudié, Mar Chariton.
Si l’arabisation présente une dimension linguistique fondamentale, il est également
possible de l’envisager comme une évolution des mœurs et coutumes, voire comme débouchant
sur une identification aux Arabes. Il s’agit donc d’une arabisation que l’on pourrait qualifier de
« culturelle », c’est-à-dire allant au-delà d’une arabisation purement linguistique qui a lieu au
moment même où s’élabore la définition de l’arabité dans le cadre de l’empire arabo-islamique.
Dans le cas des populations chrétiennes de Palestine que Jacques de Vitry nomme les
« Syriens », celui-ci s’exprime sans ambigüité, écrivant :

« Ils [Les « Syriens »] vont rapporter aux Sarrasins les secrets des Chrétiens qu’ils sont
venus espionner pour un profit des plus minces, car ils sont élevés au milieu des Sarrasins,
ils utilisent leur langue plus volontiers qu’une autre et ils imitent en grande partie leurs
mœurs perverses ; […], ils enferment leurs épouses à la façon des Sarrasins et enveloppent
filles comme épouses de la tête aux pieds dans des voiles pour qu’on ne puisse les voir.
Comme les Grecs, les Sarrasins et presque tous les peuples d’Orient, ils ne se rasent pas la
barbe, mais ils l’entretiennent avec un soin extrême et en tirent un de leurs plus beaux titres
de gloire, considérant cette barbe comme signe de virilité, honneur pour le visage, gloire et
autorité de mâle »12.

Jacques de Vitry insiste donc, en termes plutôt péjoratifs d’ailleurs, sur la proximité
entre les melkites et les Arabes musulmans, les « Sarrasins », en termes de mœurs et même
d’entente d’ordre politique (ils seraient souvent des espions à la solde des musulmans). Ainsi,
ces aspects d’une arabisation autre que linguistique sont-ils également décelables dans la
production textuelle du monastère de Mar Chariton aux premiers siècles de la période
islamique ?

Dans le cadre de ce mémoire, j’utiliserai principalement des sources composées


probablement ou hypothétiquement à Mar Chariton telles que la Somme des aspects de la foi,
De la nature trinitaire de Dieu l’unique, les Miracles de saint Eustrate et le Paterikon de Mar
Chariton, mais aussi des sources qui évoquent explicitement ou non le monastère de Mar
Chariton, telles que la Passion des vingt moines sabaïtes, la Vie d’Étienne le Sabaïte, la Passion

12
Jacques de Vitry, Histoire orientale, traduit et annoté par Marie-Geneviève Grossel, Paris, Honoré Champion,
2005, p. 208.

7
d’Antoine Rawḥ, la Vie et Passion de Bacchos le Jeune et la Lettre de Théodore Stoudite à Mar
Chariton.
J’utiliserai également des sources byzantines qui ont pu servir de modèle à certaines des œuvres
que je viens de citer telle que les Vies des saints moines palestiniens de Cyrille de Scythopolis,
la Vie prémétaphrastique de saint Chariton, la Vie de Saint Anastase le Perse ou avoir un lien
possible avec Mar Chariton comme la Chronographie, traditionnellement attribuée à
Théophane le Confesseur.
J’utiliserai enfin, dans une moindre mesure, une source islamique : Aḥsan al-Taqāsīm fī
Ma‘arifat al-Aqālīm (La meilleure répartition pour la connaissance des provinces) d’al-
Muqaddasī et une autre latine : Histoire Orientale de Jacques de Vitry, déjà évoquée plus haut.

Ainsi, dans ce mémoire, je m’interrogerai sur les modalités et l’étendue de l’arabisation,


au sens où l’entend Cyrille Aillet, des moines du désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam
à travers l’exemple de la production textuelle liée au monastère de Mar Chariton.

Les monastères du désert de Judée constituaient un véritable centre intellectuel du


christianisme melkite palestinien. Au cours de la période byzantine, ils sont nombreux et
florissants. À l’époque islamique suivante, ils sont sans doute moins nombreux, bien que selon
des modalités débattues dans l’historiographie, mais ils perpétuent une production textuelle, en
particulier de textes religieux chrétiens, avec comme nouveauté l’adoption d’une nouvelle
langue écrite : l’arabe.
Le monastère de Mar Chariton est l’un des plus importants et des plus prestigieux de
ceux du désert de Judée, cependant sa production textuelle est restée longtemps dans l’ombre
de celle du monastère voisin de Mar Saba (la « grande laure »). Une production textuelle lui est
attribuée, et il est également évoqué dans d’autres œuvres produites dans les monastères voisins,
notamment celles de Mar Saba. D’un point de vue global, je m’attacherai à considérer le
monastère de Mar Chariton comme appartenant à un réseau spécifique, celui des monastères du
désert de Judée.
Nous nous efforcerons tout d’abord de brosser un tableau général de la production
textuelle issue des monastères du désert de Judée aux premiers siècles de l’islam avant de nous
pencher sur la production spécifique à Mar Chariton. Si certains textes produits ou évoquant
Mar Chariton appartiennent aux genres littéraires apologétiques ou de controverse
(principalement vis-à-vis de la religion musulmane), la plus grande partie appartient cependant

8
au genre hagiographique, narrant un certain nombre de vies de saints, dont certains sont des
néomartyrs.
Parmi cette collection de textes hagiographiques, nous nous pencherons notamment sur
un document, issu d’un manuscrit arabe de la bibliothèque du monastère de Sainte-Catherine
du Sinaï, intitulé par son éditeur et traducteur, Alexander Treiger, le Paterikon de Mar Chariton.
Le texte de ce document narre la vie de sept saints moines du monastère de Mar Chariton, nous
donnant un aperçu unique de la vie du monastère à l’époque islamique. En effet, cette œuvre
composée à l’époque islamique nous donne des jalons pour une meilleure compréhension des
processus d’islamisation et d’arabisation en jeu à cette période dans le milieu monastique du
désert de Judée car il s’agit d’une œuvre composée en arabe de vies de saints dont certains sont
connus dans des versions antérieures et d’autres, au contraire, inconnus.
Je m’interrogerai ensuite sur la situation linguistique à l’époque de la rédaction du
Paterikon, avec, en particulier, le rôle de la langue arabe en tant que langue écrite et orale, mais
aussi celui de la langue grecque, prépondérante à l’époque précédente et celui de l’araméen,
dans sa version palestinienne mais aussi syriaque.
Enfin, je m’intéresserai à la représentation de l’islam et des musulmans qui ressort de
l’étude de cette source. Ceux-ci apparaissant ainsi principalement en tant que maîtres, danger
occasionnel mais aussi voisins.

9
I. Le monastère de Mar Chariton : un établissement monastique prestigieux de la « cité
des moines » du désert de Judée. Bilan historiographique

1) La « cité des moines » du désert de Judée

Les établissements monastiques du désert de Judée ont été déjà étudiés, en particulier à la
période byzantine. À partir de la période islamique suivante, c’est le monastère de Mar Saba
qui apparaît comme le centre d’intérêt principal des chercheurs, reléguant dans son ombre le le
moanstère de Mar Chariton.

a) Une implantation d’établissements monastiques unique par sa localisation, son prestige


et son influence

La région de Syrie-Palestine, berceau du christianisme, apparaît au moment de la conquête


arabe comme un espace christianisé en profondeur13, avec un réseau d’églises et de monastères
très dense14. Il s’agit également de l’une des provinces les plus prospère de l’Empire byzantin.
Cependant, au sein de cet espace, les chrétiens sont divisés en plusieurs Églises. L’Église fidèle
au dogme de Chalcédoine, codifié lors du concile de 451 après J-C, est majoritaire sur la côte
et en Palestine. Il s’agit de l’Église officielle de l’Empire byzantin, dont l’appartenance sous-
tendait une allégeance au basileus15. La principale Église concurrente de l’Église
chalcédonienne est souvent appelée Église jacobite, celle-ci n’adhère pas au dogme de
Chalcédoine concernant la nature humaine et divine du Christ et, par conséquent, est considérée
comme hérétique par l’empereur de Byzance et régulièrement persécutée sur le territoire de
l’empire à la période byzantine. Ses fidèles se retrouvent surtout dans la Syrie intérieure et du
nord. Il existe par ailleurs d’autres Églises non-chalcédoniennes, l’Église dite copte, surtout
implantée en Égypte, et l’Église dite nestorienne, surtout implantée en ‘Iraq et en Haute-
Mésopotamie.
L’Église chalcédonienne est organisée en patriarcats, dont trois sont situés au Proche-Orient :
Antioche, Jérusalem et Alexandrie16. Les deux patriarcats restants sont ceux de Constantinople

13
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise, Picard, Christophe, Communautés chrétiennes en pays d’Islam. Du
début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 18.
14
Ibid., p. 19.
15
Nasrallah, Joseph (avec la collaboration du Pr. Rachid Haddad), Histoire du mouvement littéraire dans l’église
melchite du Ve au XXe siècle : contribution à l'étude de la littérature arabe chrétienne, vol. I, Période byzantine
451-634, Peeters, Louvain, 1988, p. 21.
16
Ibid., p. 17.

10
et de Rome. À la tête de chacun de ces patriarcats, on trouve un patriarche. À la suite de la
scission des Églises jacobites et coptes au cours de la période byzantine, les patriarcats
d’Antioche et d’Alexandrie se sont retrouvés dédoublés. Dans ces deux cas, au patriarcat
chalcédonien initial, s’est ajouté un patriarcat jacobite dans le cas d’Antioche et copte dans le
cas d’Alexandrie. On remarque que le patriarcat de Jérusalem, dont la juridiction s’étend
environ à la Palestine, à la Transjordanie et au Sinaï, échappe au dédoublement de sa hiérarchie
ecclésiastique, ce qui peut s’expliquer par le fait que la Palestine est restée au cours des siècles
de la période byzantine majoritairement fidèle au dogme du concile de Chalcédoine. D’après
Joseph Nasrallah, cette prépondérance chalcédonienne dans le patriarcat de Jérusalem serait
due à « sa large ouverture sur le monde extérieur et à l’influence prépondérante de ses moines.
En effet, les lieux saints attiraient des quatre coins de l’empire des foules innombrables de
pèlerins. Certains s’établirent définitivement dans les monastères de Palestine »17.
Ces origines largement cosmopolites des pèlerins, des moines à Jérusalem et dans les
monastères du désert de Judée, provenant de quasiment l’ensemble du monde chalcédonien,
« finirent par créer un univers idéal pour l’épanouissement du chalcédonisme, à tel point que
« moines palestiniens » devient synonyme de « moines orthodoxes » »18.

Au sein du patriarcat de Jérusalem, les monastères du désert de Judée sont très nombreux à
l’époque byzantine. Jean Moschos, auteur de la collection d’anecdotes monastiques appelée le
« Pré Spirituel », séjourne dans le désert de Judée à la fin du 6e siècle, au moment de l’apogée
de la vie monastique dans cette région, et mentionne plus de vingt-cinq établissements
monastiques, ce qui est considérable19. Quelques dizaines d’années auparavant, un autre auteur
de collection de vies de saints, Cyrille de Scythopolis, utilise quant à lui le terme de « cité des
moines » pour qualifier le désert (référence nécessaire). Il apparaît donc clairement que le désert
de Judée est un centre monastique de toute première importance relativement au nombre de
monastères et donc au nombre de moines.

Les fondations de monastères dans le désert de Judée ont commencé dès le début du 4e siècle
avec Chariton d’Iconium (l’actuelle Konya, en Turquie), un ermite qui a fondé successivement

17
Nasrallah, Joseph (avec la collaboration du Pr. Rachid Haddad), Histoire du mouvement littéraire dans l’église
melchite du Ve au XXe siècle : contribution à l'étude de la littérature arabe chrétienne, vol. I, Période byzantine
451-634, Peeters, Louvain, 1988, pp. 68-69.
18
Ibid., p. 69.
19
Flusin, Bernard, Saint Anastase le Perse et l’histoire de la Palestine au début du VIIesiècle, t. II, Commentaire,
Paris, Editions du CNRS, 1992, p. 17.

11
les laures de Pharan, Douka et Souka, cette dernière aussi appelée ultérieurement monastère de
Mar Chariton. Ce mouvement de fondation monastique s’est poursuivi au siècle suivant avec
les fondations d’Euthyme, originaire d’Arménie Romaine, dont la fondation la plus célèbre est
appelée ultérieurement monastère de Saint-Euthyme, et au 6e siècle avec celles de Sabas, à
l’origine de nombreuses fondations dont le monastère de Mar Saba, et celles de Théodose,
Sabas et Théodose étant tous les deux cappadociens20.
La plupart de ces fondations de monastères du désert se font selon un déroulé précis que
l’archéologue Yizhar Hirschfeld a qualifié de « guru pattern », c’est-à-dire qu’un moine
expérimenté, jouissant d’un prestige certain, quitte une communauté monastique organisée afin
de s’isoler dans un endroit plus ou moins reculé. Cependant, les années passant, il arrive que
des disciples s’installent avec lui et que, devenant de plus en plus nombreux, ils finissent par
former tous ensemble une communauté nouvelle, appelée à se développer de plus en plus21.

Ces monastères, si nombreux, du désert de Judée sont de deux types bien distincts : « Les
cénobia, [qui] sont des établissements où les moines mènent en commun une vie de travail et
de prière, dans des bâtiments groupés, isolés et protégés de l’extérieur par un mur de clôture.
La laure présente un aspect tout différent. Elle est certes dotée d’organes centraux : un
higoumène, des services communs pour faire face aux besoins des laurites, une église, où les
moines se réunissent le samedi et le dimanche pour l’office, l’instruction, la liturgie, un repas
en commun. Mais, dans ces établissements, l’accent n’est pas mis sur la communauté : chaque
ascète, durant la semaine, vit, seul ou avec un ou deux disciples, dans une cellule isolée,
maisonnette, « tour », ou grotte aménagée, menant à son rythme une vie semi-
anachorétique »22.

Cette « cité des moines », comprenant à la fois des laures et des cenobia, n’a pu apparaître dans
le désert de Judée que grâce à une situation géographique exceptionnelle due à la proximité de
la ville de Jérusalem. En effet, « aucun des monastères, pour ces marcheurs intrépides que sont

20
Patrich, Joseph, « The Impact of the Muslim Conquest on Monasticism in the Desert of Jerusalem », Le Proche-
Orient de Justinien aux Abbassides: peuplement et dynamiques spatiales, actes du Colloque "Continuités de
l'occupation entre les périodes byzantine et abbasside au Proche-Orient, VIIe-IXe siècles", Borrut, Antoine, Debié,
Muriel, Papaconstantinou, Arietta, Pieri, Dominique, Sodini, Jean-Pierre [Éditeurs], Paris, 18-20 Octobre 2007,
Turnhout 2011, p. 205.
21
Hirschfeld, Yizhar, The Judean Desert Monasteries in the Byzantine Period, New Haven-Londres, Yale
University Press, 1992, p. 69.
22
Flusin, Bernard, Saint Anastase le Perse et l’histoire de la Palestine au début du VIIesiècle, t. II, Commentaire,
Paris, Editions du CNRS, 1992, p. 24.

12
les moines, n’est à plus d’une journée de la Ville Sainte »23. Ainsi les monastères du désert de
Judée sont en contact permanent avec Jérusalem, avec ses sanctuaires qui attirent des pèlerins
venus de toute la chrétienté, mais aussi avec les monastères de la ville.
Pour ce qui concerne les sanctuaires chrétiens de Jérusalem, le plus important est sans conteste
le complexe formé par l’Anastasis, c’est-à-dire l’église du Saint-Sépulcre, le Martyrium et le
Golgotha. Cette vaste entreprise de construction des sanctuaires de Jérusalem a démarré sous
le règne de l’empereur Constantin24 et s’est ensuite poursuivie les trois siècles suivants. Ils ont
été détruit en 614 lors la prise de ville par les Perses et ont été reconstruit ensuite dans des
dimensions plus modestes25, tels qu’ils se présenteront au moment de la conquête arabe et au
début de la période islamique. Le rayonnement de ces sanctuaires est considérable tout le long
de la période byzantine, ce qui entraîna la fondation de nombreux monastères dans la ville
même.
Ces monastères urbains de Jérusalem ont généralement été fondés au 5e siècle, souvent par des
femmes, et accueillent des moines mais aussi des moniales, à la différence des monastères du
désert, exclusivement masculins26. Selon Bernard Flusin, cependant, le prestige des monastères
du désert est tel qu’il éclipse largement celui des établissements monastiques urbains de la ville
de Jérusalem. En effet, l’idéal du mode de vie érémitique est si prégnant dans les mentalités de
l’époque que même la proximité des lieux les plus saints du christianisme ne suffit pas à
conférer à ces monastères urbains un poids symbolique comparable. Les anachorètes du désert
représentent des figures saintes par excellence alors que les moines et moniales de la ville sainte
ne doivent leur prestige qu’à la proximité des lieux saints27.
Selon ce même idéal anachorétique prépondérant à l’époque byzantine, il existerait, toujours
selon Bernard Flusin, une hiérarchie entre cenobia et laures du désert. Ainsi, « le cénobion est
tout d’abord conçu comme un degré préparant à une forme de vie plus parfaite »28 qui serait
celle de la vie en cellule dans une laure, selon un mode de vie semi-anachorétique. Le stade
ultime étant celui d’anachorète proprement dit, c’est-à-dire une vie en ermite au cœur du désert,
et non pas sur ses bordures où sont installés les monastères, qu’ils soient des cenobia ou des
laures29.

23
Ibid., p. 17.
24
Ibid., p. 28.
25
Ibid., p. 29.
26
Ibid.
27
Ibid., p. 34.
28
Ibid., p. 24.
29
Ibid., p. 25.

13
Ainsi, amenée à la fois par le pèlerinage à Jérusalem et le prestige propre des monastères du
désert, la population monastique du désert de Judée est, à l’époque byzantine, largement
cosmopolite. En effet, « Les Lieux Saints, plus que tout autre sanctuaire, attirent les foules de
pèlerins : les monastères, pour leur part, retiennent certains de ceux-ci. De ce fait, pour le
recrutement des moines, la diversité géographique est particulièrement accentuée »30.
Cependant, du fait de l’orthodoxie chalcédonienne des monastères du désert, les moines
proviennent uniquement des régions de l’empire où celle-ci prédomine. On aura ainsi fort peu
de moines originaires d’Égypte, gagnée largement à l’Église copte monophysite ni de moines
arméniens, ceux-ci étant dotés d’une Église autocéphale non-chalcédonienne. Par contre
l’élément grec y est prédominant à l’époque byzantine, de même, les moines géorgiens, dont le
pays est acquis à l’orthodoxie chalcédonienne, sont également particulièrement présents tout
comme ceux provenant des régions plus proches, c’est-à-dire de la Syrie-Palestine elle-même.
À la fin de l’époque byzantine, à la veille de l’invasion de la Syrie-Palestine par les Perses
sassanides en 614, la « cité des moines » du désert de Judée a un prestige et un rayonnement
immense dans tout le monde chrétien. En effet, comme le dit Bernard Flusin :
« Dans un espace restreint, [c]e milieu monastique […] concentre et combine, à un degré
rare, plusieurs des formes caractéristiques de la vie chrétienne à la haute époque. Il est à la
fois le détenteur des lieux saints, où affluent les pèlerins de toute langue et de toute nation ;
il est aussi, comme héritier des saints Euthyme, Théodose et Sabas, le dépositaire d’une
tradition érémitique […] qui, depuis cette époque, tout en restant fidèle à son origine,
s’était diversifié en des institutions nombreuses. »31
Parmi ces très nombreux monastères, certains se distinguent par le nombre de leurs moines et
surtout le prestige dont ils font l’objet, au premier rang desquels figurent les laures de Mar Saba
(aussi appelée grande laure dans les sources) et de Mar Chariton (aussi appelée Souka, ou
ancienne laure), ainsi que certains cenobia dont les plus vastes semblent avoir été, à l’époque
byzantine, ceux de Saint-Euthyme et de Saint-Théodose32.
On peut également citer, bien que n’étant pas situé dans le désert de Judée mais historiquement
également dépendant du patriarcat de Jérusalem, le monastère de Sainte-Catherine-du-Sinaï,
édifié sous le règne de l’empereur byzantin Justinien Ier au VIe siècle, et rapidement célèbre
pour sa bibliothèque, toujours en activité, qui « constitua au fil des siècles une collection

30
Ibid., p. 34.
31
Ibid., pp. 15-16.
32
Hirschfeld, Yizhar, The Judean Desert Monasteries in the Byzantine Period, New Haven-Londres, Yale
University Press, 1992, p. 23.

14
considérable de manuscrits grecs, syriaques, arabes, coptes, géorgiens, éthiopiens et même
latins »33.

b) Le désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam, entre héritage de l’époque byzantine
précédente et intégration au nouvel empire islamique

Il existe à l’heure actuelle un débat au sujet de l’activité de ces monastères du désert de


Judée. La « cité des moines » se retrouve-t-elle rapidement abandonnée, se réduisant désormais
uniquement aux monastères de Mar Saba et de Mar Chariton ? Ou au contraire poursuit-elle
largement son activité juqu’à la fin du Xe siècle ?

Dès avant l’invasion perse de 614, à la période post-justinienne, Bernard Flusin


considère que les monastères du désert de Judée connaissent une stagnation de leur activité,
voire un début de déclin. En effet, selon cet auteur, si les 5e et première moitié du 6e siècle ont
connu un développement sans précédent de la « cité des moines » ainsi que des sanctuaires et
monastères de Jérusalem, dès les alentours de l’an 600 ce dynamisme donne des signes
d’essoufflement car il n’y a désormais plus de nouvelles fondations d’établissements
monastiques34 et les moines célèbres et influents, si nombreux à l’époque précédente, se
rencontrent maintenant en nombre plus réduit35.
Cependant, pour Yizhar Hirschfeld, ce déclin relatif ne se remarque pas d’un point de
vue archéologique. Par contre, la conquête perse des provinces byzantines de Syrie, de Palestine
et d’Égypte en 614 marque un réel tournant pour les monastères du désert. Ceux-ci vont alors
être livrés au pillage des tribus arabes installés dans le voisinage à la faveur du chaos engendré
par l’invasion. Malgré ces destructions, il semble que la plupart des monastères du désert n’aient
pas été abandonnés durablement et que, une fois le calme revenu, ils aient repris leur activité
précédente36.

Au début de la période islamique, d’après Joseph Nasrallah, cette véritable profusion de


la vie monastique dans le désert de Judée persiste car celui-ci va jusqu’à écrire dans

33
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise, Picard, Christophe, Communautés chrétiennes en pays d’Islam. Du
début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, pp. 101-102.
34
Flusin, Bernard, Saint Anastase le Perse et l’histoire de la Palestine au début du VIIesiècle, t. II, Commentaire,
Paris, Editions du CNRS, 1992, p. 46.
35
Ibid., p. 41.
36
Hirschfeld, Yizhar, The Judean Desert Monasteries in the Byzantine Period, New Haven-Londres, Yale
University Press, 1992, p. 17 et Flusin, Bernard, op. cit., pp. 177-179.

15
l’introduction du deuxième tome du deuxième volume de son Histoire du mouvement littéraire
dans l’Église melchite du Ve au XXe siècle que, en 750 après J-C :

« Même s’ils ne sont pas mentionnés par des sources écrites, la plupart des monastères
palestiniens sont encore debout, ceux de Koziba, de Douca, de Saint-Théodose, de Saint-
Euthyme. Le monastère de Kalamon est signalé plusieurs fois dans la vie de Saint Étienne
le Thaumaturge ; celui de Saint-Gérasime, par le Commemoratorium de Casis Dei et
monasterii (808) (TOBLER , Itinera et Descriptiones Terrae Sanctae, t. I, 2, p. 303.) et le
moine Epiphane (Migne, PG, t. CXX, col. 269.). »37

Ainsi, ce serait seulement au cours du premier siècle abbasside que les monastères du désert
de Judée connaîtraient un véritable déclin. Le début de la période islamique s’inscrirait au
contraire dans la continuité de la période byzantine précédente.
Cependant, d’autres auteurs n’adhèrent pas à cette assertion peut-être un peu cavalière. Par
exemple, pour l’archéologue Yizhar Hirschfeld, la conquête arabe des années 630-640,
malgré la « tolérance » (sic) des dirigeants musulmans, entraîna un déclin irrémédiable,
données archéologiques à l’appui, de la « cité des moines ». Étant donné que les relations
avec l’empire byzantin furent coupées, le flux des pèlerins diminua drastiquement et, par
conséquent, la majorité des établissements monastiques furent alors abandonnés, la vie
monastique se retrouvant alors confinée aux monastères les plus importants, tels Mār Saba et
Mār Chariton38.

Cependant, malgré que, du fait de la conquête arabe, la Syrie-Palestine se retrouve désormais


hors de l’empire byzantin et probablement largement coupée de celui-ci par l’état de guerre
récurrent entre l’empire arabo-islamique naissant et l’empire byzantin, il est attesté qu’un
certain degré de communication entre l’empire arabo-islamique et le monde chrétien est resté
possible. Le patriarcat de Jérusalem, en particulier, conserve des liens avec Constantinople mais
aussi avec Rome, et intervient dans les conflits qui agitent le monde chalcédonien. Ainsi, pour
ce qui concerne la crise iconoclaste, querelle entre les adversaires du culte des images, les
iconoclastes, et leurs partisans qui finit par déboucher sur une véritable guerre civile dans

37
Nasrallah, Joseph (avec la collaboration du Pr. Rachid Haddad), Histoire du mouvement littéraire dans l’église
melchite du Ve au XXe siècle : contribution à l'étude de la littérature arabe chrétienne, vol. II, tome 2 750-Xe S.,
Peeters, Louvain, 1988, p. 15.
38
Hirschfeld, Yizhar, The Judean Desert Monasteries in the Byzantine Period, New Haven-Londres, Yale
University Press, 1992, p. 17.

16
l’empire byzantin, l’Église melkite de Palestine et de Syrie se range résolument du côté des
partisans du culte des images. En effet, « aucun des patriarches melkites ne participa au concile
iconoclaste de Hiereia en 754 ; au contraire, un synode iconophile se tint à Jérusalem en 763 et
en 767 le patriarche envoya à l’empereur Constantin V une lettre pour défendre les images »39.
De même, au début du 9e siècle, lors de l’affaire du filioque, le patriarche Thomas de Jérusalem,
lui-même auparavant moine au monastère de Mar Saba, « écrivit à Charlemagne pour réfuter
l’addition du filioque dans la profession de foi ; il confia cette missive à deux moine, Agamus
et Roculphus, qui se rendirent à Rome et au concile d’Aix-la-Chapelle en 809 »40.
L’intervention du patriarcat de Jérusalem lors de ces deux crises de l’Église chalcédonienne
sont un signe clair de l’influence et de la vitalité de l’Église melkite dans le monde chalcédonien
du 7e au 9e siècle, alors même que celle-ci se retrouve sous la coupe de l’empire omeyyade, puis
abbasside. On peut en effet, à partir du début de la période islamique, parler sans anachronisme
de melkites, c’est-à-dire de chrétiens chalcédoniens vivant dans l’espace de l’empire arabo-
musulman. On remarque également que les melkites conservent donc des relations avec
Byzance et même l’occident durant cette période.
Il est également remarquable que la population chrétienne du Proche-Orient en général, et de la
Palestine en particulier, reste numériquement significative au cours des premiers siècles de
l’Islam. En effet, les chrétiens restent probablement majoritaires, comme le souligne Anne-
Marie Eddé avec l’exemple de la ville de Jérusalem qui « garda une importante population
chrétienne, malgré les efforts des califes umayyades pour intégrer ce haut-lieu de la chrétienté
à l’islam en y édifiant le Dôme du Rocher en 691 et la mosquée al-Aqṣā entre 705 et 715 »41.
Cependant, il est important de bien garder à l’esprit que le cas de Jérusalem est tout à fait unique
du fait de son statut de ville sainte. Elle accueille donc des chrétiens de toute confession depuis
l’époque byzantine, et ce phénomène continue, même si sans doute dans des proportions
moindres, aux premiers siècles de l’époque islamique. Ainsi, certains fondent des églises et des
hospices pour les pèlerins, tel le monastère bénédictin de Sainte-Barbe, créé peu après 800,
donc à l’époque abbasside, ou le monastère arménien de Saint-Jacques, fondé probablement à
la même époque42. Certains pèlerins décident d’ailleurs de rester dans un monastère de la ville
ou de ses environs une fois leur pèlerinage accompli, comme à l’époque précédente43. Il en

39
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise, Picard, Christophe, Communautés chrétiennes en pays d’Islam. Du
début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 19.
40
Ibid., p. 20.
41
Ibid., p. 20.
42
Ibid., p. 20.
43
Ibid.

17
résulte donc une diversité linguistique et ethnique tout à fait unique qui influence également
profondément le milieu monastique du désert de Judée, voisin de la ville sainte.
Pourtant, il ne faut pas perdre de vue qu’au début de l’époque islamique, Jérusalem n’est plus
un centre politique ni économique majeur en Palestine car c’est désormais à la ville de Ramla,
fondée sous le règne du calife omeyyade ‘Abd al-Malik, qu’est dévolu ce rôle44.

Pour Joseph Nasrallah, les monastères du désert de Judée vont connaître une période très
difficile seulement à partir de la toute fin du 8e siècle. En effet, en 797 le monastère de Mar
Saba est attaqué et pillé par des bédouins, ce qui entraîne la mort de nombreux moines. De
plus, de 809 à 813, lors de la guerre de succession entre les fils d’Hārūn al-Rašīd, al-Amīn et
al-Ma’mūn, la laure de Mar Saba est à nouveau pillée, de même que celle de Mar Chariton,
les deux monastères de Saint-Euthyme et de Saint-Théodose et même la ville de Jérusalem45.
Cependant, d’après Sidney Griffith, cette idée d’un irrémédiable déclin des monastères du
désert, entamé avec la révolution abbasside de 750 et prolongé par les troubles de la fin du
8e et du début du 9e siècle, qui aurait entraîné l’abandon ou la destruction de la majorité des
monastères et, surtout, la fuite de l’élite de ses moines vers les territoires de l’empire byzantin
serait, au moins du point de vue de l’activité littéraire et intellectuelle, en grande partie fausse.
En effet, il s’agit du point de vue développé par Théophane le Confesseur dans sa célèbre
chronique, la Chronographie46, utilisée comme source par de nombreux historiens, parfois
sans le recul critique nécessaire.
En revanche, il est avéré que l’avènement de la dynastie abbasside au milieu du 8e siècle, et
le transfert de la capitale de l’empire arabo-musulman de Damas, en Syrie, à Bagdad, en
‘Iraq, qui a été sa conséquence directe, ont été un bouleversement majeur pour la Palestine
en général et pour Jérusalem et sa région en particulier. En effet, la Palestine, si proche de
Damas, était au cœur de l’empire omeyyade, ce dont témoigne, entre autres, l’édification du
Dôme du rocher ainsi que de la mosquée al-Aqsa sous les califes omeyyades. À partir du
moment où le siège du pouvoir est transféré en ‘Iraq, cette province autrefois privilégiée se
retrouve en position périphérique au sein de l’empire, car éloignée de la capitale. De plus,

44
Ibid., p. 21.
45
Nasrallah, Joseph (avec la collaboration du Pr. Rachid Haddad), Histoire du mouvement littéraire dans l’église
melchite du Ve au XXe siècle : contribution à l'étude de la littérature arabe chrétienne, vol. II, tome 2 750-Xe S.,
Peeters, Louvain, 1988, p. 14.
46
Griffith, Sidney H., « Greek into Arabic: life and letters in the monasteries of Palestine in the ninth century: the
example of the Summa theologiae arabica », Arabic Christianity in the Monasteries of Ninth-Century Palestine,
Aldershot/Brookfield, Variorum, 1992, VIII [reprint de Byzantion, 56 (1986)], p. 117.

18
désormais, le centre de la culture arabo-musulmane en cours d’élaboration se trouve à
Bagdad, éloigné des régions méditerranéennes47.

2) L’« ancienne laure » de Mar Chariton

a) Une laure dans l’ombre du monastère de Mar Saba (« la grande laure ») ?

« Tout comme Jérusalem est la Reine des cités, ainsi la Laure de Saba est la princesse de tous
les déserts, et autant Jérusalem est le modèle des autres cités, autant Saint-Sabas est exemplaire
pour les autres monastères »48. Ainsi, par une expression saisissante, l’auteur de la Passion de
saint Michel le Sabaïte atteste-t-il du prestige de la « grande laure » fondée par saint Sabas au
6e siècle.
En effet, la laure de Mar Saba, établissement monastique situé à environ 20 km à l’est de
Jérusalem, est le monastère le plus célèbre et le mieux documenté du désert de Judée à l’époque
byzantine, mais aussi au début de la période islamique suivante, en particulier aux 8e et 9e
siècles, grâce à la richesse et l’importance de sa production littéraire.
Selon André Binggeli, le monastère de Mar Saba est :

« un centre actif de la vie religieuse et intellectuelle chrétienne, et un foyer de défense de


l’orthodoxie. Entretenant des liens étroits avec Jérusalem et le clergé de l’Anastasis, il
occupe une place centrale comme lieu de pouvoir dans la gouvernance des chrétiens : de
fait, beaucoup d’évêques et de membres du clergé de Palestine sont issus de ses rangs. Il
exerce également une force d’attraction importante sur les chrétiens de Syrie-Palestine
comme lieu de retraite monastique privilégié »49.

Ainsi, ce sont à des moines de Mar Saba que sont attribuées des œuvres en grec ou en arabe
telles que la Passion des XX martyrs sabaïtes rédigée par Étienne Manṣūr en 798 et qui raconte

47
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
Byzantina Sorbonensia, 2021, p. 18.
48
Patrich, Joseph, « The Impact of the Muslim Conquest on Monasticism in the Desert of Jerusalem », Le Proche-
Orient de Justinien aux Abbassides : peuplement et dynamiques spatiales, actes du Colloque "Continuités de
l'occupation entre les périodes byzantine et abbasside au Proche-Orient, VIIe-IXe siècles", Borrut, Antoine, Debié,
Muriel, Papaconstantinou, Arietta, Pieri, Dominique, Sodini, Jean-Pierre [Éditeurs], Paris, 18-20 Octobre 2007,
Turnhout 2011, p. 203.
49
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
Byzantina Sorbonensia, 2021, p. 13.

19
l’attaque et le pillage du monastère, épisode au cours duquel de nombreux moines trouvèrent la
mort, la Vie d’Étienne le Sabaïte, écrite par son disciple Léonce de Damas au début du IXe
siècle50 et la Passion de Michel le Sabaïte, un peu plus tardive. Outre ces œuvres
hagiographiques majeures, le monastère de Mar Saba fut également le lieu d’une production
liturgique et hymnographique importante. Il fut également un centre de traduction majeur que
ce soit du syriaque vers le grec au VIIIe siècle, ou, aux IXe -Xe siècles, du grec vers l’arabe et
vers le géorgien, et même de l’arabe vers le géorgien, la communauté monastique d’origine
géorgienne étant fort nombreuse au monastère à cette époque. Enfin des ecclésiastiques
byzantins célèbres du 9e siècle tels que Michel le Syncelle et les frères Théodore et Théophane
Graptoï y furent moines avant d’entrer au clergé de l’Anastasis, puis de faire carrière à
Constantinople51.
Si le rayonnement du monastère de Mar Saba aux époques byzantine et islamique est
incontestable, il semble bien qu’il y ait eu une tendance de la tradition médiévale à rapporter à
ce monastère des œuvres produites dans d’autres établissements du désert de Judée, en premier
lieu le monastère de Mar Chariton, ce que montrent des études récentes. « Ainsi Théodore Abu
Qurra, l’évêque de Harran, n’aurait jamais été moine à la laure de Mar Saba, même s’il a eu des
liens indubitables avec la Palestine, où il a pu séjourner un temps ; son rattachement supposé à
la laure sabaïte serait le fait d’une tradition médiévale plus tardive. De la même manière, des
doutes ont été exprimés sur le fait que Jean Damascène y fut moine, car là encore les sources
historiques qui l’attestent sont tardives »52.
Cette tradition médiévale d’attribuer la grande majorité des œuvres produites dans les
monastères du désert de Judée à Mar Saba pourrait s’expliquer par le fait que celui-ci n’a jamais
été abandonné, contrairement à Mar Chariton, et qu’il est resté occupé par des moines jusqu’à
nos jours.

b) Une laure ancienne et prestigieuse

La laure de Mar Chariton, appelée également « Ancienne Laure » ou Souka, était localisée sur
le site actuel de Khirbet Khureitun, à 15 km au sud de Jérusalem et 2,5 km du village de Thécoa,
sur un versant escarpé du Wadi Khureitun, dans le désert de Judée. Les ruines du monastère
sont éparpillées sur environ 450 000 m2 et l’on y a retrouvé les ruines d’au moins 35 cellules,

50
Ibid., p. 13.
51
Ibid., p. 14-15.
52
Ibid., p. 15.

20
séparées les unes des autres par une distance de 20 à 80 m. Ces cellules sont habituellement
orientées vers le sud. Deux chemins permettent d’accéder au site, le premier depuis Thécoa, à
l’ouest et le deuxième depuis Bethléem, au nord53.
Cette laure tient son nom de son fondateur, Chariton, dont la Vie se trouve dans le ménologe
métaphrastique, une compilation de vies de saints réalisée au 10e siècle à Constantinople par
Syméon Métaphraste. Cependant, il apparaît, après examen critique du texte, qu’une version
antérieure de cette Vie aurait été composée au 6e siècle par un moine de Palestine, séjournant
sans doute dans un monastère du désert de Judée, sur le modèle de l’œuvre hagiographique de
Cyrille de Scythopolis54. En effet, celui-ci rédigea de nombreuses vies de saints moines
palestiniens, tels que Sabas, dont le succès des biographies participait à l’attrait des
établissements monastiques qu’ils avaient fondé, en premier lieu le monastère de Mar Saba
fondé par Sabas.55
Le philologue Gérard Garitte, à l’origine d’une édition critique de la version primitive de la Vie
de Chariton, résume brièvement sa vie comme suit :

« Chariton, membre d’une famille en vue d’Iconium, confesse la foi sous Aurélien : libéré
à la mort du persécuteur, il se met en route pour Jérusalem, et non loin de la Ville Sainte
tombe aux mains de brigands qui le séquestrent dans une caverne ; ceux-ci meurent bientôt
tous ensemble pour avoir bu du vin empoisonné ; à l’emplacement de la caverne, Chariton
fonde la laure de Pharan, avec la « Vieille Église », qu’il dédie sous l’épiscopat de Macaire
de Jérusalem, un des Pères de Nicée. Bientôt, incommodé par les foules qu’attirent ses
miracles et sa réputation de sainteté, il décide de quitter Pharan ; après avoir fait ses
recommandations à ses disciples, il se retire dans une autre grotte, au désert de Jéricho :
c’est l’origine de la laure de Douka ; il fonde ensuite de la même manière la laure de Souka
ou « Vieille Laure », à environ 14 stades de Thécua ; à Souka, il élit domicile dans une
grotte inaccessible où il fait jaillir miraculeusement une source […]. Prévenu par Dieu de
l’imminence de sa mort, il retourne à Pharan, et adresse avant de mourir une longue
exhortation aux moines des trois laures réunis autour de lui. La Vie se termine par un éloge
du saint, suivi des explications de l’auteur sur l’origine de sa documentation […], il
explique qu’il n’a pu utiliser aucun document écrit, et qu’il tient tous ses renseignements
de la tradition orale. »56

53
Hirschfeld, Yizhar, The Judean Desert Monasteries in the Byzantine Period, New Haven-Londres, Yale
University Press, 1992, p. 23-24.
54
Garitte, Gérard, « La vie prémétaphrastique de S. Chariton », Bulletin de l’institut historique belge de Rome,
fascicule XXI, Bruxelles et Rome, 1941, p. 7.
55
Ibid., p. 9-10.
56
Ibid., p. 11.

21
Si Chariton n’a vraisemblablement pas vécu sous le règne de l’empereur romain Aurélien au 3e
siècle mais bien sous le patriarcat de Macaire de Jérusalem au 4e siècle57, il reste néanmoins
l’initiateur du monachisme dans le désert de Judée58. Ainsi, les monastères de Pharan, Douka
et Souka sont les plus anciens du désert de Judée, ce qui explique le nom, très courant dans les
sources, d’« Ancienne Laure » pour le monastère de Souka.
Il apparaît donc que Souka, la laure de Mar Chariton possède un récit fondateur prestigieux en
la vie de Chariton, car elle peut se targuer d’être parmi les plus anciennes laures de Palestine,
Chariton étant l’initiateur du monachisme du désert de Judée. Chariton a également la
particularité d’être auréolé à la fois du statut d’anachorète et de martyr grâce à l’épisode des
persécutions dont il aurait été victime sous le règne de l’empereur Aurélien, contrairement aux
autres saints fondateurs, comme Sabas, qui étaient seulement des anachorètes59.

c) Une laure bien insérée dans le réseau de la « cité des moines » du désert de Judée

Comme nous l’avons déjà vu précédemment, les monastères du désert de Judée ne sont pas
isolés à l’époque byzantine : au contraire, ils forment chacun un élément de la « cité des
moines » du désert. La laure de Mar Chariton ne fait pas exception, au contraire.
En effet, par son récit fondateur, elle est liée aux autres fondations de Chariton que sont les
monastères de Pharan et de Douka60. D’autre part, elle est liée à la « Grande Laure » de Mar
Saba, voisine, comme le prouve cet épisode de la Vie d’Étienne le Sabaïte par Léonce de Damas
où Étienne, moine de Mar Saba, se rend dans le désert pour faire le Carême en compagnie de
moines de Mar Chariton61. Elle est également liée aux autres monastères du désert de Judée
ainsi qu’à celui de Sainte-Catherine du Sinaï. En effet, il est attesté que de nombreux manuscrits
provenant de Mar Chariton ont été transportés jusqu’à Sainte-Catherine au 9e et 10e siècles62.
Enfin, il ne faut pas oublier que les monastères du désert de Judée, et Mar Chariton en
particulier, sont tous proches de Jérusalem et entretiennent des liens très forts avec la Ville
Sainte et en particulier le patriarcat et le clergé de l’Anastasis, auxquelles les monastères du

57
Ibid., p. 12.
58
Ibid., p. 9.
59
Ibid., p. 9-10.
60
Flusin, Bernard, Saint Anastase le Perse et l’histoire de la Palestine au début du VIIe siècle, t. I, Les Textes, t.
II, Commentaire, Paris, Editions du CNRS, 1992, p. 18.
61
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
BYZANTINA SORBONENSIA, 2021, p. 16.
62
Ibid., p. 15-16.

22
désert apportent nombre de patriarches, d’évêques et de moines. Comme le dit André Binggeli,
« tous ces monastères constituent donc un véritable réseau relié à Jérusalem, au sein duquel
circulent librement moines et livres »63. Cette situation vaut, bien sûr, également pour le
monastère de Mar Chariton.

3) La situation linguistique et ses enjeux

La question de la situation linguistique en Palestine et, plus globalement, au Proche-Orient aux


premiers siècles de l’Islam a déjà été traitée par de nombreux historiens, qu’ils soient
byzantinistes ou islamisants. Les premiers ayant tendance à s’intéresser en priorité à la place de
l’hellénisme dans la région et les seconds à la diffusion de la langue arabe. C’est à cette dernière
langue que je m’intéresserai en premier lieu, puis à celle du grec pour terminer par l’araméen
(dans sa version palestinienne chrétienne et syriaque) et le géorgien.

a) La place de la langue arabe écrite et parlée aux VIIe-VIIIe siècles

Au moment de la conquête, dans les années 630-640, la langue arabe était loin d’être inconnue
des populations de Palestine. En effet, d’après Rachel Stroumsa, dès la période byzantine, un
dialecte arabe est parlé localement, en particulier dans les régions du sud plus proches de
l’Arabie. D’après cette chercheuse, on peut trouver des indices de cette situation linguistique
dans les papyrus provenant de ‘Auğā’ al-Ḥafīr, au sud du désert du Negev, sur le site d’une
église de la petite ville antique de Nessana/Naṣṣān datant du 6e siècle. En effet, on y retrouve
des noms propres et même des noms communs arabes, utilisés pour désigner les parcelles
agricoles, translittérés en alphabet grec64. Cependant, ce dialecte arabe préislamique n’a pas le
statut de langue écrite.
Avec la conquête et la mise en place de l’empire omeyyade, la langue arabe commence à se
diffuser largement, à la fois comme langue parlée et langue écrite. Damas, la capitale, devient
un foyer de diffusion de cette langue. La diffusion de la langue arabe s’accélère avec l’abandon
progressif de l’usage du grec et des autres langues vernaculaires de l’empire arabo-islamique
dans l’administration, au profit de l’arabe. Traditionnellement on attribue cette montée en
puissance de la langue arabe écrite à la série de réformes promulguées sous les règnes des califes

63
Ibid., p. 16.
64
Boudier, Mathilde, « Grec, araméen, arabe. Plurilinguisme et arabisation dans l’Église chalcédonienne en Syrie-
Palestine entre le VIIe et le IXe siècle », Hypothèses, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p. 284.

23
omeyyades ‘Abd al-Malik (685-705), al-Walīd I (705-715) et ‘Umar II (717-720)65. Des
recherches récentes sur des papyrus ont cependant montré que, pour ce qui concerne la période
omeyyade en Palestine et en Égypte, l’usage de l’arabe dans l’administration est attesté avant
le califat d’‘Abd al-Malik. De plus, au moins dans la vallée du Nil, les langues dominantes de
l’administration sont restées le grec et le copte au moins jusqu’à la fin de la période omeyyade.
Ainsi, les papyrus administratifs en langue arabe à l’époque omeyyade ne constituent qu’une
petite minorité par rapport à l’ensemble du corpus de papyrus retrouvés pour cette période66 ;
ces nouvelles informations allant bien évidemment à l’encontre du discours propagé par la
tradition musulmane postérieure selon laquelle l’arabisation de l’administration aurait été
immédiate et massive. Pareillement, pour ce qui concerne le milieu monastique du désert de
Judée, il faut, pour retrouver trace du plus ancien écrit arabe chrétien, attendre la deuxième
moitié voire le dernier tiers du 8e siècle, la datation de cette œuvre étant débattue par les
spécialistes. Il s’agit de l’œuvre intitulée Fī taṯlīṯ Allāh al-wāḥid (De la nature trinitaire de
Dieu l’unique), un traité de théologie rédigé probablement par un moine d’un monastère du
désert de Judée67.
Après cette œuvre pionnière, selon Joseph Nasrallah, on peut dire que :

« [q]uant aux lettres chrétiennes proprement dites, dès la fin du VIIIème s. l’arabe
devint la langue dominante des trois patriarcats melchites. Elle n’était plus
l’apanage des fonctionnaires de l’administration, secrétaires de chancellerie,
médecins ou traducteurs attitrés ; elle fit son entrée dans l’Église. Son usage ne
s’était pas encore généralisé pour devenir la langue de la prière, mais des hommes
d’Église la maniaient avec aisance dans leurs écrits. »68

Cette évolution linguistique marque, toujours selon Joseph Nasrallah, « un tournant dans la vie
intellectuelle de l’Église melchite ». Désormais l’arabe tend de plus en plus à supplanter les
autres langues écrites auparavant, en premier lieu le grec69. La conséquence directe de cet état

65
Griffith, Sidney H., “The Monks of Palestine and the Growth of Christian Literature in Arabic”, The Muslim
World, Washington, Vol. 78, 1988, p. 2.
66
Legendre, Marie, « Aspects of Umayyad Administration », dans Marsham, Andrew (éd.), The Umayyad
World, Londres, Routledge, Routledge Worlds, 2020, p. 141.
67
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de Mark N. Swanson 2008, p. 330-331.
68
Nasrallah, Joseph (avec la collaboration du Pr. Rachid Haddad), Histoire du mouvement littéraire dans l’église
melchite du Ve au XXe siècle : contribution à l'étude de la littérature arabe chrétienne, vol. II, tome 2 750-Xe S.,
Peeters, Louvain, 1988, p. 47.
69
Ibid., p. 95.

24
de fait est un mouvement de traduction vers l’arabe, qui a pour centre les monastères du désert
de Judée ainsi que Sainte-Catherine du Sinaï. On voit ainsi apparaître des traductions de la
Bible, d’œuvres hagiographiques, homilétiques ou apologétiques en langue arabe. Ce
mouvement de traduction aurait été également influencé, voire accéléré, par l’interdiction faite
par le calife abbasside al-Manṣur d’enseigner le grec70.
Si de nombreuses œuvres de l’Église melkite sont désormais traduites en langue arabe, il s’agit
d’un arabe quelque peu différent de l’arabe coranique qui fait autorité en milieu musulman. En
effet, il s’agit d’un type de moyen-arabe souvent appelé arabe palestinien chrétien caractérisé,
selon des auteurs comme Joshua Blau ou Sidney Griffith, par une plus grande proximité avec
l’arabe parlé à l’époque en Palestine71.
Cette production nouvelle de textes chrétiens en arabe dans les monastères du désert de Judée
est de deux types. On a, d’une part, des œuvres que l’on pourrait qualifier de liturgiques,
nécessaires aux ecclésiastiques pour la conduite du culte et la vie religieuse en général. Ces
textes comprennent les livres saints que sont l’ancien et le nouveau testament mais aussi les
écrits patristiques, homélitiques et hagiographiques et même certains textes dits canoniques.
D’autre part, un autre type d’œuvres traduites est formé par les traités théologiques,
généralement des apologies de la religion chrétienne72.
La littérature hagiographique, quantitativement la plus importante, était, selon Joseph
Nasrallah, avant tout destinée au peuple, qui ne comprenait pas le grec, dans un but
d’édification73.
D’après Maria Mavroudi, il est tout à fait remarquable de constater que ces premiers textes
arabes chrétiens produits par les moines melkites du désert de Judée précèdent d’environ deux
siècles leurs équivalents coptes en Égypte et syriaques dans le croissant fertile74.

b) La langue grecque, autrefois prestigieuse, et désormais en déclin ?

La Syrie-Palestine au début du VIIe siècle, à la veille de la conquête arabe, apparaît comme un


espace largement hellénisé. En effet le grec y est la langue de référence, à la fois langue de

70
Ibid., p. 48.
71
Griffith, Sidney H., “The Monks of Palestine and the Growth of Christian Literature in Arabic”, The Muslim
World, Washington, Vol. 78, 1988, p. 7.
72
Ibid., p. 4.
73
Nasrallah, Joseph (avec la collaboration du Pr. Rachid Haddad), Histoire du mouvement littéraire dans l’église
melchite du Ve au XXe siècle : contribution à l'étude de la littérature arabe chrétienne, vol. II, tome 2 750-Xe S.,
Peeters, Louvain, 1988, p. 154.
74
Mavroudi, Maria, « Greek Language and Education in Early Islam », dans Islamic Cultures, Islamic Contexts:
Essays in Honor of Professor Patricia Crone, éd. Behnam Sadeghi et al., Leyde, Brill, 2015, p. 316.

25
culture, langue de l’administration byzantine et langue de l’Église et de sa liturgie pour les
chalcédoniens. Une grande partie des élites urbaines de villes comme Damas, Jérusalem ou
Gaza et les milieux monastiques chalcédoniens est probablement totalement hellénisée75.
À cette domination de la langue grecque, la conquête, dont un épisode marquant est la prise de
Jérusalem en 636-638, ne va, dans un premier temps, changer que peu de choses. D’abord, le
grec reste la langue de l’administration sous les premiers califes omeyyades, comme l’attestent
les papyrus administratifs retrouvés à ‘Auğā’ al-Ḥafīr, au sud du Negev, sur le site d’une église
de la petite ville antique de Nessana/Naṣṣān datant des premières décennies de la période
omeyyade et entièrement rédigés en grec76. De même, les données épigraphiques indiquent un
maintien du prestige de la langue grecque en Syrie-Palestine au milieu du 7e siècle. En effet,
les inscriptions de cette époque sont gravées quasi-exclusivement dans cette langue77. Enfin, le
grec reste, plus que jamais, la langue de l’Église chalcédonienne78.
Dans les années 670-680, cependant, un premier signe d’un déclin du grec peut être remarqué
par l’abandon de l’usage de cette langue pour les inscriptions funéraires79. Pour ce qui concerne
le milieu monastique du désert de Judée, il semble qu’il faille attendre un siècle supplémentaire
avant de constater un réel déclin de l’usage du grec car, si son prestige reste intact du fait de
son statut de langue des évangiles et de la liturgie chalcédonienne, il est de moins en moins lu
et compris80.

Jean Damascène
Au 8e siècle, une figure majeure de la littérature ecclésiastique de langue de grecque
rédige son œuvre en Palestine. Il s’agit bien sûr de Jean Damascène, dont l’œuvre connut une
exceptionnelle postérité, au point que celui-ci est considéré comme « le dernier Père de
l’Église »81. Né à Damas aux alentours de 655, sa famille est puissante car son grand-père
Manṣūr, puis son père Sarǧūn (Serge) ont été collecteurs des taxes de Damas sous les byzantins,
puis sous les omeyyades. Il grandit à la cour omeyyade et a très probablement lui aussi de hautes
responsabilités administratives82. D’après sa « Vie officielle » appelée la « Vie de notre saint

75
Boudier, Mathilde, « Grec, araméen, arabe. Plurilinguisme et arabisation dans l’Église chalcédonienne en Syrie-
Palestine entre le VIIe et le IXe siècle », Hypothèses, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p. 280-281.
76
Ibid., p. 284.
77
Ibid., p. 283.
78
Ibid., p. 283.
79
Ibid., p. 283.
80
Ibid., p. 288-289.
81
Kontouma, Vassa, Jean Damascène : l'homme et son oeuvre dogmatique, dans Connaissance des Pères,
n°218, Paris, Nouvelle Cité, 2010, p. 8.
82
Kontouma, Vassa, John of Damascus, New Studies on his Life and Works, Farnham-Burlington, Ashgate
Variorum, 2015, pp. 28-29.

26
père Jean Damascène » et datée du XIe siècle, soit plus de deux siècles et demi après sa mort,
il se serait retiré et « vécut une grande partie de son existence, et composa ses œuvres
principales, dans l’isolement du monastère de Saint-Sabas, dans le désert de Palestine »83,
comme l’écrit Vassa Kontouma. Celle-ci ajoute :

« Néanmoins, comme certains chercheurs l’ont relevé, aucun témoignage probant ne nous
permet d’affirmer qu’il s’y soit retiré dans la deuxième partie de sa vie. Cette information
doit donc être considérée avec la plus grande précaution. Rien ne prouve par ailleurs qu’il
ait composé dans une paisible retraite. Bien au contraire ! Aussi bien le contexte historique
que les traces laissées par ses écrits témoignent des nombreuses difficultés auxquelles il fut
confronté »84.

Par ailleurs, il est attesté que Jean Damascène fut pendant de nombreuses années un prêtre de
l’Anastasis, à Jérusalem et un très proche et influent conseiller du patriarche de Jérusalem Jean
V85. Ce ne serait que dans les dernières années de sa vie qu’il aurait quitté la ville sainte pour
s’installer dans le désert de Judée ; peut-être dans un monastère tel que Mar Saba ou même Mar
Chariton comme le suggère un passage d’un manuscrit grec du Xe siècle, Vatican. gr. 2081, qui
évoque l’« ancienne laure » comme séjour de Jean Damascène, ou dans un simple ermitage
dans le désert86. Son œuvre théologique principale, la Source de connaissance, et en particulier
sa troisième partie, l’Exposition précise de la foi orthodoxe a connu ultérieurement un
retentissement considérable dans le monde chalcédonien. Cette œuvre majeure pourrait avoir
été finalisée par son auteur à la fin de sa vie, donc au moment où il séjourne dans le désert, que
ce soit dans un monastère ou comme ermite, mais il s’agit là d’une hypothèse non vérifiée87.
Ainsi, à la lecture des travaux récents de Vassa Kontouma, il apparaît que Jean Damascène,
traditionnellement associé au milieu monastique du désert de Judée, serait plutôt un membre de
l’élite ecclésiastique de Jérusalem. Cependant, ce que nous connaissons de son œuvre,
entièrement en langue grec, témoigne d’une persistance de la culture hellénique à Jérusalem et
sa région dans la première moitié du VIIIe siècle. Le milieu monastique du désert de Judée, en

83
Kontouma, Vassa, Jean Damascène : l'homme et son oeuvre dogmatique, dans Connaissance des Pères,
n°218, Paris, Nouvelle Cité, 2010, p. 4.
84
Ibid.
85
Kontouma, Vassa, John of Damascus, New Studies on his Life and Works, Farnham-Burlington, Ashgate
Variorum, 2015, p. 29.
86
Ibid., pp. 29-30.
87
Kontouma, Vassa, Jean Damascène : l'homme et son oeuvre dogmatique, dans Connaissance des Pères,
n°218, Paris, Nouvelle Cité, 2010, pp. 8-9.

27
lien permanent avec les lieux saints de Jérusalem participe et centre majeur d’érudition, y a sans
aucun doute participé.

De plus, à la fin du siècle et au début du siècle suivant, sont encore composées des
œuvres en grec dans les monastères du désert telles que la Passion des vingt moines sabaïtes
d’Étienne l’hymnographe (aussi connu sous le nom d’Étienne Manṣūr) rédigée probablement
autour de l’an 80088 et la Vie d’Étienne le Sabaïte de Léonce de Damas, écrite entre 800 et
80789. Enfin, d’après Sidney Griffith, des moines de Mar Saba ont réalisé des traductions du
syriaque vers le grec des Discours ascétiques d’Isaac de Ninive, un théologien de l’Église
nestorienne, au cours du 9e siècle. Ensuite, toujours d’après cet auteur, il n’y aurait plus eu
d’écrits rédigés en grec jusqu’au 11e siècle90.
D’après Maria Mavroudi, spécialiste des relations entre l’empire byzantin et le monde
arabo-musulman, cette persistance d’une littérature en langue grecque dans les monastères du
désert de Judée aux 7e, 8e et même 9e siècles, soit plus de 200 ans après la conquête ne doit pas
être imputée à un sentiment d’appartenance à l’empire byzantin. En effet, à partir du 8e siècle,
ses politiques iconoclastes auraient plutôt tendance à l’éloigner des chrétiens de Palestine, aux
positions généralement iconodoules. En fait, l’usage de la langue grecque dans cette région était
enraciné dans l’identité locale, comme le montrent les exemples de Michel le Syncelle, prélat
originaire de Jérusalem, envoyé à Rome puis Constantinople, qui se serait identifié comme
d’origine « persane » (persogenēs), c’est-à-dire arabe selon le vocabulaire byzantin archaïsant
de l’époque, et celui des frères Graptoi, deux moines disciples de Michel le Syncelle dont
Syméon le Métaphraste a écrit que, questionnés par l’empereur byzantin Théophile, ils
s’identifiaient comme natifs du Moab91. On constate ainsi une véritable dimension
« internationale » de l’usage de la langue grecque à cette époque, et non pas une identification
exclusive avec l’empire byzantin.

c) L’effacement de l’araméen palestinien et la persistance de la langue syriaque ?

88
Shoemaker, Stephen J. (éd/trad), Three Christian martyrdoms from early Islamic Palestine: Passion of Peter of
Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs of Mar Saba, Passion of Romanos the Neomartyr, Provo, Brigham
Young University Press, 2016, p. xxxi.
89
Léonce de Damas (éd/trad. Lamoreaux, John C.), “The life of Stephen of Mar Sabas”, Corpus Scriptorum
Christianorum Orientalium, Vol. 578-579, t. 51, Peeters, Louvain, 1999, p. X.
90
Griffith, Sidney H., “The Monks of Palestine and the Growth of Christian Literature in Arabic”, The Muslim
World, Washington, Vol. 78, 1988, p. 14.
91
Mavroudi, Maria, « Greek Language and Education in Early Islam », dans Islamic Cultures, Islamic Contexts:
Essays in Honor of Professor Patricia Crone, éd. Behnam Sadeghi et al., Leyde, Brill, 2015, p. 310.

28
Au début du 7e siècle, le dialecte araméen palestinien chrétien est largement parlé et
compris en Palestine. Il est même, depuis le 5e siècle, dans une certaine mesure, une langue
littéraire car des textes religieux de différents types dans cette langue ont été retrouvés,
généralement sous la forme de palimpsestes de manuscrits arabes copiés ultérieurement92.
Il faut bien distinguer, d’ailleurs l’araméen palestinien du syriaque proprement dit (les
deux pouvant être appelés suryāniya en arabe). A l’origine dialecte araméen de la région
d’Édesse, en Haute-Mésopotamie, le syriaque acquiert le statut de langue littéraire au 2e siècle
et deviendra le véhicule privilégié de la production écrite des Églises jacobites et nestoriennes.
Cependant, elle n’est pas l’apanage exclusif de ces Églises orientales mais peut être aussi
éventuellement utilisée par les chrétiens chalcédoniens. Par exemple, cette langue est utilisée
par les chrétiens chalcédoniens d’Édesse pour des œuvres patristiques et des traductions du
syriaque au grec sont attestées à Mar Saba93.
Malgré des usages littéraires de l’araméen palestinien chrétien et du syriaque à l’époque
islamique, la pratique orale de ces langues semble décliner rapidement en Palestine à partir de
la conquête car elles sont de plus en plus remplacées par l’arabe. En effet, comme nous l’avons
déjà dit précédemment, il semble que la langue arabe était déjà présente en Palestine plusieurs
siècles avant la conquête. Il y aurait eu donc une familiarité préalable des populations parlant
l’araméen à l’arabe, et ce d’autant plus que les deux langues sont apparentées, qui aurait facilité
l’adoption (language shift) de l’arabe au détriment de l’araméen. Enfin, l’adoption de la langue
arabe comme langue administrative et littéraire aurait également simplifié grandement la
communication entre le peuple et les dirigeants en Syrie-Palestine car il est beaucoup plus facile
à apprendre pour des locuteurs d’araméen que le grec. Ceci est dû encore une fois à la proximité
linguistique entre ces deux langues sémitiques que sont l’araméen et l’arabe94.

d) Une présence de la langue géorgienne dans les monastères

Enfin, une dernière langue, plus inattendue, est présente dans la littérature issue du
milieu monastique du désert de Judée. Il s’agit du géorgien. Cette présence de la langue
géorgienne dans les monastères de Palestine n’est guère surprenante si l’on prend en compte le

92
Boudier, Mathilde, « Grec, araméen, arabe. Plurilinguisme et arabisation dans l’Église chalcédonienne en Syrie-
Palestine entre le VIIe et le IXe siècle », Hypothèses, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p. 287-288.
93
Ibid., p. 287.
94
Levy Rubin, Milka, « Arabization versus Islamization in the Palestinian Melkite Community during the Early
Muslim Period », dans Kofsky, A., Stroumsa, G.G. (éds.), Sharing the Sacred. Religious Contacts and Conflicts
in the Holy Land. First-Fifteenth Centuries CE, Jerusalem, 1998, p. 157.

29
fait que des moines géorgiens résident dans ces monastères depuis le 5e siècle et jusqu’au 16e
siècle, soit bien après la période étudiée. De plus, les Géorgiens professent les mêmes
convictions chalcédoniennes que les melkites de Syrie-Palestine, ils fréquentaient donc les
mêmes églises et monastères dans lesquels ils se côtoyaient au quotidien95.

La place de la langue géorgienne au sein du milieu monastique du désert de Judée


s’avère en fait très importante pour la compréhension de la naissance d’un corpus de textes
chrétiens melkites en arabe car, comme le dit très justement Robert Pierpont Blake dès les
années 1960 dans son important article « La littérature grecque en Palestine au VIIIe siècle » :

Nous voyons ici avec regret combien de lacunes présente la tradition de la littérature arabe
chrétienne ; la moitié des ouvrages n’existe plus dans l’original. Si nous pouvons
reconstituer partiellement la silhouette de cette littérature, c’est grâce aux traductions
géorgiennes96.

Je reviendrai plus en détail sur ce mouvement de traduction de l’arabe vers le géorgien


ultérieurement dans ce mémoire dans une partie consacrée à l’activité de traduction dans les
monastères du désert de Judée. Cependant, l’ampleur même de ce mouvement nous invite à
considérer comme plausible que des moines copistes géorgiens maîtrisant à la fois leur langue
maternelle et l’arabe étaient présents dans les monastères de Palestine aux premiers siècles de
l’Islam, que ce soit à Mar Saba, monastère cité dans plusieurs colophons de manuscrits en
géorgiens traduits de l’arabe, mais aussi sans doute à Mar Chariton et à Sainte-Croix de
Jérusalem, le monastère « géorgien » de la Ville Sainte97.

Un autre élément témoignant en faveur de cette hypothèse selon laquelle les moines
géorgiens formaient un groupe influent et bien inséré au sein du milieu monastique du désert
de Judée est que les traductions de l’arabe au géorgien concernent particulièrement la littérature
hagiographique et historique mettant en scène des figures locales98. Ainsi, des textes tels que
Les Vies des Saints et Bienheureux pères qui furent massacrés au Sinaï et Raïthu par les

95
Griffith, Sidney H., “The Monks of Palestine and the Growth of Christian Literature in Arabic”, The Muslim
World, Washington, Vol. 78, 1988, p. 15-16.
96
Blake, R., « La littérature grecque en Palestine au VIIIe siècle », Le Muséon, 78, 1965, pp. 376-377.

97
Pataridze, Tamara, « Patristique et hagiographie palestino-sinaïtique des monastères melkites (IXe-Xe
siècles) », B. Roggema and A. Treiger (éds), Patristic Literature in Arabic Translations, Arabic Christianity,
Volume 2, Leyde, Brill 2019, p. 62.
98
Ibid.

30
barbares, qui racontent la mort en martyrs de moines du Sinaï dans les années 373-378 suite à
une attaque de bédouins99 ou la Prise de Jérusalem par les Perses en 614100 ont été traduits de
l’arabe vers le géorgien aux IXe-Xe siècles, probablement au monastère de Mar Saba.

Ainsi, il apparaît que le milieu monastique palestinien du désert de Judée était


multilingue aux premiers siècles de l’Islam, en effet, au moins quatre langues étaient utilisées
par les moines dans leurs écrits : le grec, l’araméen (que ce soit dans sa version palestinienne
chrétienne ou syriaque), l’arabe et le géorgien. Cette situation traduit sans doute probablement
un multilinguisme également à l’oral101. Il convient donc de toujours garder en tête ce
multilinguisme spécifique lors de l’étude de ce milieu monastique, et en particulier pour ce qui
concerne sa production textuelle, qu’elle soit de traduction bien sûr, mais aussi originale.

99
Ibid., pp. 72-73.
100
Ibid., pp. 73-74.
101
Binggeli, André, « Early Christian Graeco-Arabica: Melkite manuscripts and translations in Palestine (8th-
10th centuries AD) », Intellectual History of the Islamicate World, 3 (2015), Leyde, Brill, p. 238.

31
II) Le monastère de Mar Chariton dans les sources textuelles à la période islamique

1) Vue d’ensemble de la production textuelle issue des monastères du désert de Judée aux
premiers siècles de la période islamique

La très grande majorité de la production textuelle issue des monastères du désert de Judée aux
premiers siècles de l’Islam nous est connue par des fonds issus de la bibliothèque du monastère
Sainte-Catherine du Sinaï, même si certains manuscrits de cette bibliothèque ont été dispersés
à la fin du XIXe et au début du XXe siècles pour rejoindre l’Europe ou l’Amérique du Nord102.
C’est pourquoi je vais tout d’abord vous apporter quelques éléments d’information concernant
cette bibliothèque exceptionnelle.

La bibliothèque du monastère Sainte-Catherine du Sinaï

Le monastère de Sainte-Catherine du Sinaï est situé sur la péninsule du même nom, à 1528
mètres d’altitude, au pied du mont de Moïse (Ǧabal Mūsā) donc très isolé. Édifié au VIe siècle
sur ordre de l’empereur byzantin Justinien Ier, il est bien fortifié103. Peut-être est-ce pour cela
qu’il a pu perdurer au fil des siècles jusqu’à nos jours.
Dans sa bibliothèque, se constitua au fil des siècles plusieurs fonds qui offrent la particularité
rare d’une continuité sur plus d’un millénaire, à travers des vicissitudes historiques
nombreuses : la conquête arabe, les croisades, la fin de l’empire byzantin, la domination
ottomane, l’entrée en scène des puissances occidentales104. Ainsi, ce sont accumulés plusieurs
milliers de manuscrits répartis en cinq fonds principaux selon leurs langues de rédaction : grec,
arabe, syriaque, géorgien et slavon105. On notera également la présence de quelques manuscrits
coptes, éthiopiens et même latins106. De plus, à ce fond déjà exceptionnellement riche, s’en est
ajouté un nouveau avec la découverte fortuite en 1975 d’une cache pleine de feuilles et de
fragments de manuscrits, qui semble avoir servi d’entrepôt à la bibliothèque il y a des siècles107.

102
Binggeli, André, « Early Christian Graeco-Arabica: Melkite manuscripts and translations in Palestine (8th-
10th centuries AD) », Intellectual History of the Islamicate World, 3 (2015), Leyde, Brill, p. 229.
103
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise, Picard, Christophe, Communautés chrétiennes en pays d’Islam. Du
début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 101.
104
Géhin, Paul, « La bibliothèque de Sainte-Catherine du Sinaï. Fonds ancien et nouvelles découvertes »,
dans Le Sinaï durant l’Antiquité et le Moyen Âge. 4000 ans d’Histoire pour un désert, D. Valbelle et C. Bonnet
(éd.), Paris, Errance, 1998, p. 157.
105
Ibid., p. 158.
106
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise, Picard, Christophe, op. cit., p. 102.
107
Binggeli, André, op. cit., p. 229.

32
Avec ce nouveau fond, le nombre total de manuscrits de la bibliothèque s’élève à plus de
4000108.
Depuis les travaux pionniers des sœurs britanniques Margaret Gibson et Agnes Lewis à la fin
du XIXe siècle, ce corpus sinaïtique est peu à peu catalogué, édité, traduit et publié109, même si
beaucoup de ces manuscrits restent encore à étudier110. Pour ce qui concerne l’étude de la
production textuelle des monastères du désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam, ce
corpus sinaïtique est ainsi d’une importance primordiale, car de nombreux manuscrits
proviennent originellement des monastères du désert et ont se sont retrouvés au Sinaï grâce au
réseau monastique dans lequel le monastère de Sainte-Catherine est inséré111. Cependant, il est
important de bien garder à l’esprit que l’existence même de ce réseau implique un biais dans la
constitution de ce corpus112. Les manuscrits issus des monastères du désert de Judée sont
parvenus jusqu’à nous parce que les moines bibliothécaires de Sainte-Catherine du Sinaï les en
avaient jugés dignes d’intérêt et de conservation.

Pour ce qui concerne les recensions contemporaines d’œuvres arabes chrétiennes des premiers
siècles de l’Islam, la monumentale « Histoire de la littérature arabe chrétienne » (Geschichte
der christlichen arabischen Literatur)113 de Georg Graf publiée en 1947 fait date. En effet, cet
auteur a dépouillé de façon exhaustive les catalogues des manuscrits arabes chrétiens conservés
dans les bibliothèques du Proche-Orient, d’Europe et d’Amérique du Nord de façon à constituer
un répertoire bio-bibliographique des auteurs arabes chrétiens le plus complet possible114. Au
sein de ce répertoire, il est ainsi possible de retrouver de nombreuses œuvres issues de la
production textuelle des monastères du désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam. À ce
jour, le travail effectué par Georg Graf demeure un outil inégalé pour la recherche dans le
domaine115.

Selon Sidney Griffith, la production textuelle issue des monastères du désert de Judée aux
premiers siècles de la période islamique peut se diviser en deux grandes catégories, ce qu’il

108
Géhin, Paul, op. cit., p. 158.
109
Binggeli, André, op. cit., p. 229.
110
Ibid., p. 230.
111
Géhin, Paul, op. cit., p. 158.
112
Binggeli, André, op. cit., p. 231.
113
Graf, Georg, Geschichte der christlichen arabischen Literatur, Vatican, Bibliotheca Apostolica Vaticana,
1944-1953, 5 vol.
114
Troupeau, Gérard, « La littérature arabe chrétienne du Xe au XIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale,
Poitiers, n°53, 1971, p. 5.
115
Binggeli, André, op. cit., p. 231.

33
appelle les « livres d’Église » (« Church-books ») d’une part, c’est-à-dire les livres saints, les
écrits patristiques, les textes homilétiques et hagiographiques, les textes canoniques et d’autre
part les traités théologiques apologétiques de la religion chrétienne et du dogme
chalcédonien116.
Cette production se fait dans au moins quatre langues différentes : le grec, le syriaque, l’arabe,
et le géorgien, bien que cette dernière soit toujours une langue secondaire117.
Dans cette production, la grande majorité des textes sont des traductions, que ce soit pour les
« livres d’Église » servant aux moines dans leurs vie quotidiennes ou pour les ouvrages
théologiques. D’après Milka Levy-Rubin, en un peu plus de deux siècles, soit du dernier quart
du VIIIe siècle jusqu’au XIe siècle, la plus grande partie des « livres d’Église » melkites s’est
retrouvée traduite en arabe. D’abord la littérature hagiographique, homilétique et patristique,
puis, à partir du 10e siècle, la littérature liturgique118.

La production hagiographique de cette période se caractérise par la rédaction d’un nouveau type
de vie de saints, mettant en scène des figures saintes chrétiennes que l’on a appelé les
néomartyrs. Il s’agit de saints confrontés aux autorités islamiques et qui meurent en martyrs
pour leur foi. Ce type de production littéraire sera particulièrement important dans le milieu
monastique du désert de Judée à partir du milieu du 8e siècle et jusqu’au début du 9e siècle, avec
un pic dans la seconde moitié du 8e siècle119. De cette époque datent les Vies de néomartyrs tels
que la Vie de Saint Romain le néomartyr120, la Passion des vingt moines sabaïtes121, la Passion

116
Griffith, Sidney H., “The Monks of Palestine and the Growth of Christian Literature in Arabic”, The Muslim
World, Washington, Vol. 78, 1988, p. 4.
117
Pataridze, Tamara, « Christian Literature in Arabic in the Early Islamic Period (8th-10th c.): The circulation
of texts and ideas between the Greek, Syriac, Arabic, and Georgian communities », Le Muséon, 132 (1-2), 2019,
p. 210.
118
Rubin, Milka, « Arabization versus Islamization in the Palestinian Melkite Community during the Early Muslim
Period », dans Kofsky, A., Stroumsa, G.G. (éds.), Sharing the Sacred. Religious Contacts and Conflicts in the
Holy Land. First-Fifteenth Centuries CE, Jerusalem, 1998, pp. 153.
119
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
Byzantina Sorbonensia, 2021, p. 23-24.
120
Traduction latine par Peeters, Paul, « S. Romain le Néomartyr (1 mai 780) d'après un document géorgien »,
Analecta Bollandiana, 30 (1911), p. 393-427. Édition et traduction anglaise par Shoemaker, Stephen J., Three
Christian Martyrdoms from Early Islamic Palestine. Passion of Peter of Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs
of Mar Saba, Passion of Romanos the Neo-Martyr, Chicago, University of Chicago Press, 2017, pp. 149-197 [texte
géorgien et traduction anglaise en regard].
121
Édition de Papadopoulos-Kerameus, Athanase, Syllogè Palaistinès kai Syriakès hagiologias, Saint-Pétersbourg,
1907-1913, I, p. 1-41. Édition et traduction anglaise par Shoemaker, Stephen J., Three Christian Martyrdoms from
Early Islamic Palestine. Passion of Peter of Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs of Mar Saba, Passion of
Romanos the Neo-Martyr, Chicago, University of Chicago Press, 2017, pp. 67-147 [texte grec et traduction
anglaise en regard].

34
d’Antoine Rawḥ122, la Vie et Passion de Bacchos le Jeune123 et, peut-être, la Passion de Saint
Michel le sabaïte124.
Le second type de textes produits dans les monastères du désert à cette période est les traités
théologiques. Parmi eux, on peut citer De la nature trinitaire de Dieu l’unique, La somme des
aspects de la foi et le Traité sur la vénération des saintes images de Théodore Abu Qurra. Le
but de ces trois œuvres étant de fournir un argumentaire défendant la religion chrétienne face
aux juifs et, surtout, aux musulmans.
En 2015, André Binggeli écrit que le nombre total de manuscrits arabes melkites aux premiers
siècles de l’Islam excède les deux cents. Parmi ces manuscrits, plus de la moitié sont des
fragments de moins de vingt folios. Ainsi, une fois que le travail d’identification, de
reconstitution des manuscrits et d’édition des œuvres présentes dans ce corpus achevé, le
nombre total de manuscrit sera bien sûr moindre. Actuellement, André Binggeli est d’ailleurs
en train de réaliser un inventaire des manuscrits arabes melkites des premiers siècles de l’Islam
dans le but de reconstituer le corpus de ces manuscrits dans son entièreté125.
Avant cela, en 1966-1967, est paru l’ouvrage monumental de Joshua Blau intitulé, A Grammar
of Christian Arabic based mainly on South Palestinian Texts from the First Millenium pour
laquelle il utilise un corpus d’une soixantaine de manuscrits en langue arabe datés du début du
VIIIe siècle à la fin du Xe siècle126. La langue arabe utilisée dans ces textes est d’ailleurs appelée
par lui « arabe chrétien palestinien du sud », non sans controverses, point sur lequel nous
reviendrons ultérieurement.

2) Mar Chariton : une production textuelle limitée mais de premier ordre

a) Une production apologétique et de controverse en arabe

122
Édition et traduction française par Dick, Ignace, « La passion arabe de S. Antoine Ruwaḥ, néo-martyr de
Damas († 25 décembre 799) », Le Muséon, n°74, Louvain, Peeters, 1961, pp. 108-133.
123
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
Byzantina Sorbonensia, 2021, p. 53.
124
Édition par Kekelidze, Korneli, Monumenta hagiographica georgica, t. I, Tiflis, 1918, pp. 165-173 [édition
géorgienne, non consultée]. Traduction latine par Peeters, Paul, « La passion de S. Michel le Sabaïte », Analecta
Bollandiana, 48 (1930), p. 65-98 [trad. latine de la version géorgienne]. Traduction anglaise par Blanchard, Monica
J., « The Georgian Version of the Martyrdom of Saint Michael, Monk of Mar Sabas Monastery », ARAM, 6 (1994),
p. 149-163 [trad. angl. de la version géorgienne].
125
Binggeli, André, « Early Christian Graeco-Arabica: Melkite manuscripts and translations in Palestine (8th-
10th centuries AD) », Intellectual History of the Islamicate World, 3 (2015), Leyde, Brill, p. 231.
126
Blau, Joshua, « A Grammar of Christian Arabic: Based mainly on South-Palestinian texts from the First
Millennium », Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, Louvain, 1966-1967, vol. 267, pp. 21-36

35
La production textuelle de traités apologétiques, où les auteurs défendent le dogme
chalcédonien, et de controverse, dans laquelle les arguments des uns et des autres s’expriment
dans un dialogue (disputatio) réel ou imaginaire qui se conclut avec l’affirmation de la
supériorité de la religion de l’auteur127, s’avère marquante à Mar Chariton, même si elle est
limitée.

La somme des aspects de la foi


L’œuvre sans doute la plus importante parmi ces traités apologétiques composés à Mar Chariton
a pour titre complet, en arabe: Al-Kitāb al-jāmi‘ wujūh al-īmān bi-tathlīth waḥdaniyyat Allāh
wa ta’annus Allāh al-kalima min al-ṭāhira al-‘adhrā’ Maryam, soit, en anglais : The
Compilation of the aspects of the faith in the Tri-unity of God and the Incarnation of God the
Word from the pure one, the Virgin Mary. Une abréviation fréquente du titre arabe de cette
œuvre est : : [al-] Ǧāmi‘ wujūh al-īmān, à partir duquel Sidney Griffith a popularisé le titre
anglais Summary of the Ways of the Faith dont nous utiliserons fréquemment la traduction
française : La somme des aspects de la foi. Par ailleurs, Sidney Griffith a également popularisé
un autre titre, en latin, qu’il utilise fréquemment dans ses publications : Summa theologiae
arabica128.
La somme des aspects de la foi a été retrouvée dans 9 manuscrits différents, ce qui atteste de sa
popularité. Le plus ancien est conservé à la British Library à Londres, il s’agite du MS London
BL – Or. 4950, folios 1r à 197v (daté de 877 ; complet sauf pour le premier folio).
À ce jour, cette œuvre, rédigée en arabe, n’a pas été traduite mais il en existe des éditions
partielles ; telle celle de L. Ma‘lūf, dans son article «‘Aqdam al-makhṭūṭāt al-naṣrāniyya al-
‘arabiyya129 », qui présente une transcription libre des chapitres 5 à 8, ou de A.S. Lewis and
M.D. Gibson : Forty-one facsimiles of dated Christian Arabic manuscripts, publiée à
Cambridge en 1907, qui présente la particularité de contenir une photographie de la conclusion
du chapitre 25 et du colophon du scribe issus du manuscrit MS London BL – Or. 4950.
Or, ce colophon atteste la rédaction sous sa forme définitive de La somme des aspects
de la foi à Mar Chariton en 877 par le moine de Mar Chariton Étienne de Ramla. Il se présente
ainsi (dans sa traduction anglaise) : « The Book is finished […]. It was written by the poor
contemptible mean Stephen son of Hakm known as the native of Ramleh in the cloister [sīq] of

127
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise, Picard, Christophe,Communautés chrétiennes en pays d’Islam. Du
début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 107.
128
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de Mark N. Swanson 2009, p. 791.
129
Al-Mashriq 6 en 1903 compléter référence

36
Mar Haretin, for his Teacher, the noble and pure and spiritual father, Anba Basil; God give him
long life! »130 c’est-dire: « Le livre est terminé […]. Il a été écrit par le pauvre méprisable
pécheur Étienne fils de Ḥakam, connu sous le nom de al-Ramlī, à la laure de Mar Chariton,
pour son maître, le noble pur père spirituel Anbā Basīl, que Dieu lui accorde une longue
vie ! »131 Nous avons donc la preuve indubitable que le texte le plus ancien de ce traité
théologique a été écrit au monastère de Mar Chariton par un moine copiste du nom d’Étienne
de Ramla. Ce colophon atteste également que cette œuvre date d’avant 877, date indiquée par
Étienne de Ramla au moment de la rédaction de ce colophon, peut-être de moins d'une
décennie132.
On ne sait pas si cet ouvrage est l’œuvre d’un auteur unique ou une compilation de matériaux
disparates rassemblées par un « éditeur » (comme suggéré par Griffith, e.g. « The view of
Islam », p. 18). Mettre en note Ainsi il est impossible de savoir si les rares indications de nature
temporelle ou géographique dispersées à travers cette œuvre nous informent à propos d’un seul
auteur ou des sources multiples compilées par l’éditeur.
La question de l’identité de l’auteur/éditeur de cette œuvre est débattue depuis le début du 20e
siècle. Pour certains, il s’agit de Théodore Abū Qurra (Ma’lūf en 1903, al-Bāshā en 1904 ; voir
Samir, « La « Somme des aspects de la foi », œuvre d’Abū Qurrah ? », ou Griffith, « A ninth
century Summa theologiae arabica »); pour d’autres c’est Étienne de Ramla, moine de Mar
Chariton, le scribe de la meilleure copie manuscrite de cette œuvre qui pourrait en avoir été
l’auteur, ou, au moins, le compilateur.
Dans un article paru en 1994, Joshua Blau émet l’hypothèse que La somme des aspects de la
foi aurait été composé quelque part à l’est de la Palestine133. En effet, il cite à l’appui de son
argumentation un passage de l’œuvre retrouvé dans un autre manuscrit : MS Sinaï ar. 431, daté
du Xe siècle134, soit seulement légèrement ultérieur à MS London BL – Or. 4950, le manuscrit
le plus ancien connu contenant cette œuvre. Dans le passage concerné, relatif au tombeau de
Jésus, il est écrit : wa-ḏālika anna al-qubūr fī arḍ al-maġrib maġāyir wa-buyūt min ḥiǧāra
yulqā fī al-bayti al-wāḥid wa al- maġāra al-wāḥida bašar kaṯīr, ce qui, d’après Joshua Blau,

130
Éd. et trad. anglais, Dunlop Gibson, Margaret, Smith Lewis, Agnes, Forty-One Facsimiles of Dated Christian
Arabic Manuscripts, Cambridge, Cambridge University Press, 1907, p. 3-4.
131
Cette traduction en français du colophon issu du manuscrit MS London BL – Or. 4950. est la mienne, à partir
du texte anglais traduit par Margaret D. Gibson et Agnes S. Lewis et de leur édition du texte arabe.
132
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de Mark N. Swanson 2009, p. 791.
133
Blau, Joshua, « A Melkite Arabic Literary Lingua Franca from the Second Half of the First Millennium »,
Bulletin of the School of Oriental and African Studies, University of London, Londres, Vol. 57, No. 1, In Honour
of J. E. Wansbrough (1994), 1994, p. 16.
134
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de Mark N. Swanson 2009, p. 795.

37
signifie : « c’est parce que les tombes de la terre de l’ouest (consistent en) cavernes et grottes
funéraires de pierre, de nombreuses personnes sont mises dans une unique grotte et caverne ».
Pour Joshua Blau ce passage explique les habitudes d’inhumation de la Palestine, ici nommée
« la terre de l’ouest », donc évidemment depuis un lieu à l’est de celle-ci135.
Les recherches les plus récentes se contentent d’évoquer un « auteur actuellement inconnu »
(Griffith, Church in the Shadow of the mosque, p. 57) qui serait un chrétien melkite,
probablement un prêtre ou un moine doté de solides connaissances de la Bible et des écrits des
patriarches mais aussi du Coran et des questions débattues à l’époque dans le milieu des savants
musulmans136.
En effet, La somme des aspects de la foi est une apologie de la religion chrétienne et du
dogme chalcédonien, adressée à un public essentiellement chrétien, et en particulier à ceux qui,
au contact des musulmans, tendent à minimiser les différences doctrinales avec ces derniers.
Pour ce qui concerne les détails du contenu de cette œuvre, il s’agit d’une vaste compilation
d’écrits théologiques et apologétiques en 25 chapitres. Elle commence par un chapitre
introductif qui met en garde les chrétiens contre la tentation d’adapter leur discours au sujet de
Dieu et du Christ afin de ne pas heurter la sensibilité des musulmans. Les chapitres 2 et 3 traitent
de l’unité et de la trinité de Dieu, tandis que les chapitres suivants se concentrent sur des
problèmes d’ordre christologique, ce qui conduit à une conclusion dans le chapitre 13 qui est
un inventaire de testimonia, soit de citations de l’ancien testament qui témoignent de
l’Incarnation. Le chapitre suivant (chapitre 14) établit un inventaire strict de croyances dont les
partisans ne peuvent pas être considérés comme chrétiens. Les chapitres suivants répondent à
plusieurs types de questions : à propos de passages des évangiles, en particulier ceux qui
pourraient être utilisés par ceux qui nient la divinité du Christ (chapitre 17) ; les problèmes
posés par « les monothéistes et les dualistes », c’est-à-dire les musulmans et les manichéens
(Chapitre 18) ; à propos de la religion vraie, avec une insistance particulière sur la place du
judaïsme (chapitres 19 à 22) ; à propos de la prière (Chapitre 23). Au chapitre 25, l’ouvrage se
termine avec des extraits canoniques afin de décourager les chrétiens de se mêler à des
personnes étrangères à leur foi137.
Cette œuvre apparaît donc comme un témoignage clair de ce qui est perçu par l’auteur comme
une véritable crise dans la vie de l’Église melkite. Le sentiment d’une crise est peut-être du à

135
Blau, Joshua, op. cit., p. 16.
136
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de Mark N. Swanson 2009, p. 791-792.
137
Ibid., p. 793.

38
des conversions massives à l’islam ou en tout cas, très certainement, à un mouvement
d’assimilation des modes de pensée et de discours islamiques par les chrétiens melkites,
désormais de langue arabe et intégrés à l’espace du Dār al-Islām, ce qui conduirait à une
tendance à l’autocensure pour tout ce qui concerne le dogme chalcédonien susceptible de
susciter l’incompréhension, la moquerie, voire l’hostilité des musulmans138. Par exemple, le
culte des icônes, souvent assimilé à de l’idolâtrie par les musulmans (finir la phrase). Tous ces
éléments de l’œuvre qui nous donnent des indices quant à son contexte de rédaction sont
effectivement cohérents avec le 9e siècle, soit la période abbasside, considérée généralement
comme une période de grand dynamisme démographique et intellectuel de l’Islam.

De la nature trinitaire de Dieu l’unique


Plus d’un siècle auparavant, une autre œuvre théologique melkite en langue arabe avait
peut-être été rédigée à Mar Chariton. Il s’agit du texte apologétique intitulé en arabe Fī taṯlīṯ
Allāh al-wāḥid, traduit en anglais On the triune nature of God, et en français De la nature
trinitaire de Dieu l’unique. Cette œuvre est parvenue jusqu’à nous par un seul manuscrit
conservé à la bibliothèque du monastère Sainte-Catherine du Sinaï : MS Sinai ar. 154, folios
99r à 139v. Le texte comprend donc 41 folios et est incomplet à la fin139.
Il existe une édition et traduction ancienne en langue anglaise historiquement importante mais
incomplète car la traductrice, Madeleine D. Gibson, n’a pas transcrit 13 des 82 pages du texte.
Cette édition et traduction a pour titre complet: An Arabic version of the Acts of the Apostles
and the seven Catholic Epistles from an eighth or ninth century ms. in the convent of St
Katherine on Mount Sinai, with a treatise On the Triune nature of God with translation, from
the same codex, publiée à Londres en 1899 (et réimprimée en 2003 chez Piscataway). Par
ailleurs, il existe une traduction en italien de l’édition de Gibson, intitulée Palestinese anonimo.
Omelia arabo-christiana dell’VIII secolo, et effectuée par M. Gallo à Rome en 1994140. À ce
jour, il n’existe donc pas d’édition et de traduction complète de cette œuvre.
La datation de De la nature trinitaire de Dieu l’unique est controversée : elle est datée
de 755 ou de 788 car on constate la mention dans le texte de : « 746 ans après l’‘établissement’
du christianisme ». Selon que l’on considère que cet ‘établissement’ commence avec
l’incarnation, on obtient la date de 755 (selon Sidney Griffith dans Church in the shadow of the

138
Ibid., p. 794.
139
Mark N. Swanson, « Fī tathlīth Allāh al-wāḥid », dans Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A
Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill, 2009-2014, p. 330.
140
Ibid., p. 331.

39
mosque) ou avec la crucifixion (selon Mark N. Swanson dans « Some considerations for the
dating of Fī tathlīth Allāh al-wāḥid (Sinai ar. 154) and al-Ǧāmi‘ wujūh al-īmān (London, British
Library or. 4950) »), on obtient alors la date de 788141. Si l’on se base sur la datation de Sidney
Griffith, 755, soit le tout début de la période abbasside, cette œuvre serait alors le plus ancien
traité théologique chrétien connu rédigé en langue arabe.
L’auteur est inconnu. Il s’agit probablement d’un prêtre ou d’un moine melkite de Mar Saba ou
Mar Chariton au vu de la profondeur des connaissances bibliques et théologiques dont il fait
preuve142. Il est en effet possible qu’elle ait été rédigée à Mar Chariton (ou Mar Saba) car la
préservation de l’unique manuscrit de cette œuvre au monastère de Sainte-Catherine-du-Sinaï
suggère une connexion avec le milieu des monastères palestiniens143. En effet, la bibliothèque
du monastère Sainte-Catherine du Sinaï est devenue au cours des siècles un lieu de dépôt et de
conservation des manuscrits issus des monastères palestiniens disparus, dont Mar Chariton, ou
menacés144.
Pour ce qui concerne le contenu, cette œuvre est une apologie de la religion chrétienne adressée
à un public chrétien mais aussi musulman car on y constate la reprise de nombreux passages et
termes du Coran145. Elle est divisée en 4 parties et possède la particularité de commencer avec
une prière remplie de termes coraniques.
Le premier chapitre est consacré à la défense de la doctrine de la Trinité. Le second défend une
compréhension chrétienne de l’œuvre du Christ et de sa personne alors que le troisième, le
dernier et le plus long, est une compilation de 34 testimonia de l’ancien testament témoignant
de la vie du Christ, du baptême et de la Croix146.

Ainsi, ces deux traités théologiques issus de la production de Mar Chariton ou, au moins, du
milieu monastique du désert de Judée des 8e et 9e siècles témoignent d’un véritable souci de ces
auteurs de défendre la religion chrétienne et, plus spécifiquement, le dogme chacédonien face
à l’influence grandissante de la religion musulmane. De plus, il est significatif que ces auteurs
utilisent pour ces œuvres la langue même de la religion musulmane dont ils souhaitent se
démarquer, voire se défendre : l’arabe. L’auteur de Fī taṯlīṯ Allāh al-wāḥid va même encore

141
Ibid., p. 331.
142
Ibid., p. 330.
143
Ibid., p. 330.
144
Géhin, Paul, « La bibliothèque de Sainte-Catherine du Sinaï. Fonds ancien et nouvelles découvertes », dans Le
Sinaï durant l’Antiquité et le Moyen Âge. 4000 ans d’Histoire pour un désert, D. Valbelle et C. Bonnet (éd.), Paris,
Errance, 1998, p. 158.
145
Mark N. Swanson, « Fī tathlīth Allāh al-wāḥid », dans Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A
Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill, 2009-2014, p. 331.
146
Ibid., pp. 330-331.

40
plus loin dans ce sens car il n’hésite pas à user d’un vocabulaire et d’une phraséologie
typiquement coranique et cite directement à huit occurrences le Coran147, dont le texte n’est
d’ailleurs à l’époque pas encore totalement fixé.

Il est également intéressant de remarquer que la rédaction de ce corpus de traités apologétiques


chrétiens dans le milieu monastique du désert de Judée est contemporaine de celle du Kalām,
c’est-à-dire du corpus théologique de référence de la religion musulmane, dont elle forme un
véritable pendant chrétien148.

b) Une production hagiographique en grec et en arabe

La littérature théologique n’était pas l’unique genre cultivé par les moines de Mar Chariton,
une littérature hagiographique provenant de ce monastère est également parvenue jusqu’à nous.
Une fois de plus, on ne manquera pas de souligner le rôle crucial de la bibliothèque du
monastère de Sainte-Catherine du Sinaï dans la préservation des manuscrits issus des
monastères du désert de Judée, dont bien sûr Mar Chariton149.
On y a retrouvé deux œuvres hagiographiques probablement composées à Mar Chariton : les
‘Ağā’īb al-Qaddīs Anba Usṭrātī, en français Les miracles de Saint Eustrate, et Le paterikon de
Mar Chariton. Ces deux textes ont été édités et traduits en anglais par Alexander Treiger et
publiés dans des articles de la revue Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand,
de l’université de Balamand, au Liban, un établissement d’enseignement supérieur privé lié
au patriarcat grec-orthodoxe d’Antioche.

Les miracles de Saint Eustrate


L’œuvre a été retrouvée dans un seul manuscrit de la bibliothèque du monastère Sainte-
Catherine du Sinaï. Il s’agit du MS Sinai ar. 411, le texte étant écrit sur les folios 203r à 206v.
Ce manuscrit date du 13e siècle.
Le texte de cette œuvre a été édité et traduit en anglais par Alexander Treiger dans l’article
« Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (2): Miracles of St. Eustratius of Mar

147
Hoyland, Robert G., Seeing Islam as Others Saw It: A Survey and Evaluation of Christian, Jewish and
Zoroastrian Writings on Early Islam, Studies in Late Antiquity and Early Islam, Princeton, The Darwin Press,
1997, p. 503.
148
Géhin, Paul, « La bibliothèque de Sainte-Catherine du Sinaï. Fonds ancien et nouvelles découvertes », dans Le
Sinaï durant l’Antiquité et le Moyen Âge. 4000 ans d’Histoire pour un désert, D. Valbelle et C. Bonnet (éd.), Paris,
Errance, 1998, p. 162.
149
Ibid., p. 157-158.

41
Saba (written ca. 860) » publié dans le numéro 33 de la revue Chronos, Revue d’histoire de
l’Université de Balamand, déjà évoquée précedemment, en 2016.
Alexander Treiger suppose que cette collection de miracles a été initialement composée
en arabe plutôt qu’en grec sous le titre ‘Ağā’īb al-Qadīs Anba Usṭrātī, même s’il écrit lui-même
qu’il ne peut exclure tout à fait que le texte original ait été rédigé en grec puis traduit peu après
en arabe.
De plus, il suppose que la date de composition de l’œuvre est relativement tardive par rapport
aux autres vies de saints du milieu monastique palestinien qui nous sont parvenues. En effet, le
texte a probablement été rédigé peu après la mort du saint, soit dans les années 860150. Les
miracles de Saint Eustrate auraient ainsi été écrits sensiblement à la même époque que La
somme des aspects de la foi, évoqué précédemment, donc à l’époque abbasside. Un peu
générique
Les miracles de Saint Eustrate présentent une description de six miracles dus à l’action du saint,
dont plusieurs sont des signes de clairvoyance au cours desquels il devine une vérité cachée ou
émet des prédictions qui se réalisent151. La description de chaque miracle est relativement
variable mais toujours assez brève (de 5 à 40 lignes environ)152.
Dans le premier miracle : Eustrate ayant eu la vision qu’un moine d’une cellule voisine de la
sienne a péché (probablement le péché de fornication) lors d’un séjour à la ville (probablement
Jérusalem), il vient le voir, lui fait avouer son péché, prie pour lui. Le deuxième miracle est un
exorcisme : Eustrate libère un possédé du démon. Dans le troisième miracle, Eustrate a la vision
que deux moines deviendront évêques (Abba Élie, qui devient évêque de Nazareth et Abba
Jean, qui devient évêque d’al-Karak). Le quatrième miracle est aussi une prédiction : Eustrate
prédit que Abba Job sera ordonné évêque d’Alep. Dans le cinquième miracle, Eustrate met en
garde un autre moine qu’un malheur lui arrivera s’il reste dans la « grotte d’Abba Chariton ».
Le moine concerné refuse de s’en aller et, quelques jours plus tard, le moine est attaqué, battu
et ligoté par des voleurs qui, en outre, lui dérobent tout ce qu’il possède. Lors du sixième
miracle, Eustrate prie Dieu qu’on lui ouvre la porte du monastère de Calamon, alors que
personne auparavant n’avait répondu. Aussitôt que le saint effectue un signe de croix sur la
porte, celle-ci s’ouvre153.

150
Ibid., p. 9.
151
Ibid., p. 8.
152
Ibid., p. 9.
153
Ibid., p. 11-17.

42
L’auteur et la date de composition de l’œuvre sont inconnus. Dans son article de 2016,
Alexander Treiger suppose qu’Eustrate était un moine de Mar Saba car il l’identifie avec
Eustrate de Mar Saba, un disciple d’Étienne le Sabaïte dont nous avons évoqué l’œuvre
précédemment, et en déduit donc que Les miracles de Saint Eustrate ont été probablement écrits
au monastère de Mar Saba. Cependant, dans un article postérieur, l’édition et la traduction du
Paterikon de Mar Chariton, de 2018, il revient sur cette identification et prouve, d’après l’étude
du Paterikon de Mar Chariton, que le monastère dans lequel Eustrate a vécu est en fait celui de
Mar Chariton car une vie de ce saint figure dans cette collection de saints moines de ce
monastère154. De plus, le passage du Paterikon de Mar Chariton concernant ce saint commence
par les phrases : « Ḫabbarūnā āyḏān ruhbān al-sīq al-‘atīq ‘an qaddīs āḫar kāna fī dayrihim
yuqāla lahu Ūstrātiyus min ‘azimān āhl Siqiliya »155 c’est-à-dire « Les moines de l’Ancienne
Laure (Mar Chariton) nous ont aussi parlé d’un autre saint qui vivait dans leur monastère. Il
s’appelait Eustrate et il était un noble de Sicile. »156. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle cette
œuvre aurait été écrite à Mar Chariton devient la plus plausible.

Le Paterikon de Mar Chariton


Le Paterikon de Mar Chariton, du nom qu’Alexander Treiger lui a donné, a été retrouvé dans
trois manuscrits différents de la bibliothèque du monastère Sainte-Catherine du Sinaï : MS Sinai
ar. 563 (le texte étant contenu dans les folios de 22r à 31v), MS Sinai ar. 438 (folios 182v à
184r), et MS Sinai ar. 559 (folios 64v à 67r).
Dans le manuscrit MS Sinai ar. 563, le Paterikon de Mar Chariton est précédé et suivi d’autres
récits monastiques tirés du « Pré spirituel » de Jean Moschos, et des « Narrationes » et de
l’« Apophtegmata patrum » d’Anastase du Sinaï.
Cette œuvre jusque-là négligée de la littérature hagiographique melkite a été éditée et traduite
en anglais par Alexander Treiger dans le cadre de son article intitulé « Unpublished texts from
the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian Lavra of Mar Chariton » dans
le numéro 38 de la même revue Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand en
2018.
La langue dans laquelle Le Paterikon a été rédigé est l’arabe, et, pour son édition du texte
Alexander Treiger s’est principalement basé sur la version contenue dans MS Sinai ar. 563. En

154
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 15.
155
Ibid., p. 21. La translittération du texte arabe en caractères latin est la mienne.
156
Ibid., p. 31. La traduction de l’anglais est la mienne.

43
effet, il n’évoque les deux autres versions existantes que dans des notes de bas de page
lorsqu’elles présentent un texte différent, ce qui est assez peu fréquent.
L’œuvre relate les vies de sept saints moines de Mar Chariton : André, Constantin,
Cyriaque, Eustrate, Cosmas, Gabriel l’Ermite, Gabriel. Ces Vies sont généralement assez
brèves (d’une à 2 folios dans le texte original en arabe) sauf pour ce qui concerne la vie de saint
Eustrate (5 folios). Le premier saint est André de Mar Chariton. Il est d’origine franque et son
miracle est de faire tomber la pluie dans le désert de Judée dans les environs de la mer Morte.
Le second saint moine est Constantin de Mar Chariton. Il est d’origine byzantine et deux
histoires sont relatées à son sujet : dans la première, il est miraculeusement transporté jusqu’à
l’église du Saint-Sépulcre (l’Anastasis) à Jérusalem, probablement pour assister à une veillée,
puis ramené à sa cellule tout aussi miraculeusement. La deuxième histoire décrit l’arrivée
miraculeuse de la pluie sous l’effet de ses prières. La troisième figure de cette collection de vie
de saints est Cyriaque de Mar Chariton. Le récit de sa vie est un abrégé de certains épisodes de
sa Vie par Cyrille de Scythopolis. Après une description de ses vertus, la vie raconte qu’il
devient anachorète dans le désert, ressuscite son compagnon empoisonné en consommant des
scilles (une plante à bulbe qui pousse dans le désert), guérit des possédés puis retourne à la laure
de Mar Chariton quelque temps, puis retourne vivre au désert et commande à un lion et, enfin,
retourne mourir dans la laure de Mar Chariton à l’âge de plus de 100 ans. Le quatrième saint
moine est Eustrate de Mar Chariton. Le récit de sa vie est également un abrégé, celui des
Miracles de Saint Eustrate , déjà évoqué précédemment. Né en Sicile, il est nommé général en
chef par l’empereur byzantin. Il réalise un certain nombre de miracles et de prophéties tout au
long de sa vie. La cinquième figure sainte est Cosmas de Mar Chariton. Moine de langue
syriaque, il est originaire d’un village proche d’Alep. La partie le concernant décrit trois
« miracles » de sa part : deux miracles de clairvoyance et un miracle de faire tomber la pluie
sur le monastère de Mar Chariton lors d’une sécheresse par l’action de ses prières. Quant au
sixième saint moine, il est appelé Gabriel l’Ermite. On peut distinguer quatre épisodes de sa vie
dans le passage qui lui est consacré. Dans le premier épisode, l’auteur insiste sur le caractère
ascétique de cette figure, en particulier pour ce qui concerne son alimentation. Le
deuxième épisode raconte que Gabriel l’Ermite s’est retrouvé miraculeusement transporté à
Bethléem. Le troisième narre une prophétie : alors qu’il est gravement malade, il prédit sa
guérison prochaine. Au cours du quatrième et ultime épisode de sa vie, il meurt en martyr lors
de l’attaque et du pillage du monastère de Mar Chariton par des bédouins à la recherche de
trésors lors de la guerre civile ayant suivi de peu le décès du calife Hārūn al-Rašīd. De son
cadavre supplicié émane une odeur délicieuse. La septième et dernière figure sainte du

44
monastère est Gabriel de Mar Chariton. Il est originaire de al-Balqā’, en Transjordanie. Avant
d’être tonsuré moine, il est dit avoir été secrétaire du « gouverneur du pays ». Lors de sa charge
en tant que secrétaire, Gabriel a dû affronter la tentation en la personne de la belle femme du
gouverneur qui a tenté de le séduire. A ce moment du texte, le récit effectue une comparaison
avec l’histoire de Joseph et de la femme de Potiphar dans la Genèse. Tout comme Joseph,
Gabriel, bien sûr, résiste à la tentation. Lorsqu’il devint moine, Gabriel distribua tout ce qu’il
possède aux autres moines et aux pauvres et vécut dans une très grande pauvreté. Il avait
l’habitude de pratiquer des jeûnes extrêmes157.

c) Une activité de copie de manuscrits et de traduction de textes

Pour ce qui concerne la production littéraire en langue arabe issue du milieu monastique
du désert de Judée, il ne faut pas perdre de vue le fait que sur la soixantaine d’œuvres en « arabe
palestinien du sud » (« Old South Palestinian Arabic ») étudiées dans les années 1960 par
Joshua Blau, seulement une petite dizaine sont des compositions originales en arabe. Il s’agit
de traités théologiques, comme La somme des aspects de la foi ou Fī tathlīth Allāh al-
wāḥid déjà évoqués précédemment, ou de vies de saints, les autres textes étant des traductions
du grec ou du syriaque de textes ecclésiastiques nécessaires à la vie religieuse des chrétiens
melkites, typiquement le nouveau et l’ancien testament bien sûr, mais aussi des écrits
patristiques, homilétiques, hagiographiques ainsi que des textes canoniques, comme l’indique
Sidney Griffith158.
Au sein de cette activité de traduction des monastères du désert, il est attesté que les moines de
Mar Chariton ont participé. En effet, au moins deux manuscrits retrouvés à la bibliothèque du
monastère Sainte-Catherine du Sinaï ont été copiés à Mar Chariton. Le premier est le manuscrit
MS Sinai ar. 72, copié en l’an 284 de l’Hégire, l’ère musulmane, soit 897 après J-C, qui contient
la plus ancienne traduction arabe des évangiles connue à ce jour, réalisée par le scribe Étienne
de Ramla159, déjà évoqué pour sa copie du manuscrit MS London BL – Or. 4950, daté de 877,
également à Mar Chariton. Le second est le MS Sinai ar. 75, contenant aussi une traduction des

157
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), pp. 19-28 (texte
original en arabe), pp. 28-46 (traduction en anglais).
158
Griffith, Sidney H., « Greek into Arabic: life and letters in the monasteries of Palestine in the ninth century: the
example of the Summa theologiae arabica », Arabic Christianity in the Monasteries of Ninth-Century Palestine,
Aldershot/Brookfield, Variorum, 1992, VIII [reprint de Byzantion, 56 (1986)], p. 122-123.
159
Géhin, Paul, « La bibliothèque de Sainte-Catherine du Sinaï. Fonds ancien et nouvelles découvertes », dans Le
Sinaï durant l’Antiquité et le Moyen Âge. 4000 ans d’Histoire pour un désert, D. Valbelle et C. Bonnet (éd.), Paris,
Errance, 1998, p. 162.

45
évangiles, dont le colophon n’indique ni le nom du copiste, ni de date mais seulement le lieu de
copie du manuscrit, Mar Chariton160. Du fait que la version des évangiles de MS Sinai ar. 75
semble issue de celle de MS Sinai ar. 72, ainsi que selon d’autres considérations d’ordre
paléographiques, une datation approximative proposée pour la copie de MS Sinai ar. 75 serait
les alentours de l’an 900, soit juste après la copie de MS Sinai ar. 72, en pleine époque
abbasside161.

Il est intéressant de remarquer que ces traductions en arabe se présentent parfois accompagnées
dans les manuscrits de compositions originales, en arabe elles aussi. Ainsi, on peut retrouver, à
la suite de traductions de textes bibliques, en fin de volume de ces manuscrits, des traités
théologiques et apologétiques. Ainsi, MS Sinai ar. 72 se termine par un traité apologétique de
Théodore Abu Qurra, un dialogue entre un musulman et un chrétien à propos de la
responsabilité des juifs dans la crucifixion du Christ. De même, un autre manuscrit en arabe de
la bibliothèque du monastère de Sainte-Catherine du Sinaï contenant une traduction des
évangiles, MS Sinai ar. 154, s’achève avec le traité théologique Fī tathlīth Allāh al-wāḥid déjà
évoqué précédemment. D’après Paul Géhin, cet ordre de succession des œuvres dans les
manuscrits en arabe issus de l’Église melkite traduirait une intention de leurs élites cultivées de
fournir aux fidèles des textes sacrés dans leurs langue quotidienne, mais aussi de les armer
intellectuellement, c’est-à-dire de leur donner des arguments qui soient pertinents, dans le cadre
d’une confrontation avec l’islam162.
À côté de ce mouvement de traduction du grec et du syriaque vers l’arabe, a existé à la même
époque un mouvement de traduction de textes arabes en géorgien. Ainsi, certaines œuvres, en
particulier des vies de saints, sans doute composées initialement en arabe, ne nous sont connus
que dans leur version géorgienne163. Comme il a déjà été évoqué plus haut, il est attesté que, de
façon systématique, des œuvres en arabe ont été traduites en géorgien dans les monastères du
désert de Judée, au monastère de Sainte-Croix de Jérusalem, ainsi qu’à Sainte-Catherine du
Sinaï du VIIIe au Xe siècle164. Ces traductions en géorgien depuis l’arabe ont été faites à partir

160
Griffith, Sidney H., “The Monks of Palestine and the Growth of Christian Literature in Arabic”, The Muslim
World, Washington, Vol. 78, 1988, p. 26.
161
Ibid., p. 26.
162
Géhin, Paul, « La bibliothèque de Sainte-Catherine du Sinaï. Fonds ancien et nouvelles découvertes », dans Le
Sinaï durant l’Antiquité et le Moyen Âge. 4000 ans d’Histoire pour un désert, D. Valbelle et C. Bonnet (éd.), Paris,
Errance, 1998, p. 162.
163
Griffith, Sidney H., “The Monks of Palestine and the Growth of Christian Literature in Arabic”, The Muslim
World, Washington, Vol. 78, 1988, p. 15-16.
164
Pataridze, Tamara, « Patristique et hagiographie palestino-sinaïtique des monastères melkites (IXe-Xe
siècles) », B. Roggema and A. Treiger (éds), Patristic Literature in Arabic Translations, Arabic Christianity,
Volume 2, Leyde, Brill 2019, p. 53.

46
de textes qui sont eux-mêmes des traductions du grec (tels que les Vies des Saints et
Bienheureux pères qui furent massacrés au Sinaï et Raïthu, les Vies des saints moines
palestiniens de Cyrille de Scythopolis, la Passion des vingt moines sabaïtes, la Vie d’Étienne
le sabaïte) ou du syriaque (parfois eux-mêmes traduits du grec) ou même d’œuvres initialement
composées en arabe (la Passion de Michel le Sabaïte, La Vie de saint Romain le néomartyr, la
Passion de saint Antoine Rawḥ)165.

3) Un monastère évoqué dans des textes composés hors de Mar Chariton

a) L’évocation du monastère de Mar Chariton dans la littérature hagiographique des


monastères du désert de Judée

Le monastère de Mar Chariton n’est pas seulement un lieu de composition et de traduction de


textes de l’Église melkite, c’est aussi un lieu de vie pour ses moines, comme l’évoquent Les
Miracles de Saint-Eustrate ainsi que Le Paterikon de Mar Chariton. Cependant, d’autres
œuvres hagiographiques composées dans le milieu monastique du désert de Judée évoquent le
monastère, même si elles n’y ont probablement pas été composées.

Passion des vingt moines sabaïtes


Ainsi, la laure de Mar Chariton est évoquée dans la Passion des vingt moines sabaïtes, une
œuvre dont il est même possible qu’elle ait été rédigée à Mar Chariton. Sa langue de rédaction
est le grec et son titre original complet Exēgēsis ētoi martyrion tōn hagiōn paterōn tōn
anairethentōn hypo tōn barbarōn ēgoun Sarakēnōn en tē megistē Laura tou hosiou patros
hēmōn Saba. Le titre complet de sa traduction anglaise effectuée par Stephen J. Shoemaker est :
« An account of the martyrdom of the holy fathers slaughtered by the Saracen barbarians in the
great monastery of our holy father Saba ».
Ce texte n’a été retrouvé que dans un seul manuscrit grec du 10e siècle : Coislin 303, dans les
folios 99v à 125r. Ce manuscrit est maintenant conservé à la Bibliothèque nationale de France.
La première édition de ce texte a été publiée par les Bollandistes au 17e siècle en tant
qu’appendice des Acta Sanctorum accompagnée d’une traduction latine souvent très imprécise.
En 1907, Athanasios Papadopoulos-Kerameus a publié une édition bien meilleure,

165
Pataridze, Tamara, « Christian Literature in Arabic in the Early Islamic Period (8th-10th c.): The circulation
of texts and ideas between the Greek, Syriac, Arabic, and Georgian communities », Le Muséon, 132 (1-2), 2019,
pp. 211-212.

47
accompagnée d’une traduction beaucoup plus précise en russe par Vasilij Vasil’evič Latyšev.
Stephen J. Shoemaker s’est basé sur cette édition pour sa traduction anglaise du texte datant de
2016166.
Le texte de cette œuvre hagiographique composée aux alentours de l’an 800, soit à l’époque
abbasside, sous le règne du calife Hārūn al-Rachid, contient un récit de la razzia et du sac du
monastère de Mar Saba l’année 797 par des arabes bédouins. Au cours de cette attaque, vingt
moines du monastère trouvent la mort et sont considérés par l’auteur du texte comme des
martyrs, argumentation à l’appui167. Les évènements décrits dans le texte ont eu lieu à l’époque
du patriarche Élie, alors que Basile était l’higoumène du monastère168.
Il n’y a pas d’indication d’auteur dans le texte, mais nous savons par d’autres sources que cette
Passion a été rédigée par Étienne l’hymnographe (aussi connu sous le nom d’Étienne
Manṣūr)169. Nous savons peu de choses de sa vie, excepté qu’il a probablement vécu dans la
seconde moitié du 8e siècle jusqu’au début du 9e siècle, qu’il serait le cousin de Jean
Damascène, et qu’il serait mort moine, peut-être au monastère de Mār Saba. D’après son œuvre,
on peut déduire qu’il avait reçu une éducation très poussée en histoire et en théologie
chrétiennes ; de plus, il avait une connaissance approfondie de la langue grecque, au point de
pouvoir être considéré comme un hellénophile, en tirant une grande fierté et prompt à se moquer
des non-hellénophones170.
Comme cela a déjà été évoqué, il existe une possiblité que cette œuvre ait été composée au
monastère de Mar Chariton, même si Mar Saba est plus plausible. Le texte décrit les razzias
effectuées par les Arabes bédouins sur le monastère de Mar Chariton au cinquième paragraphe
de l’œuvre et il est écrit que celui-ci a été occupé « pendant un nombre significatif de jours »171.
Au chapitre 16, il est raconté que deux messagers provenant de l’ancienne laure (c’est-à-dire le
monastère de Mar Chariton) qui se trouve à quelques kilomètres de Mar Saba arrivent de nuit
pour prévenir les moines qu’une multitude de bédouins se dirigent vers le monastère pour

166
Shoemaker, Stephen J. (éd/trad), Three Christian martyrdoms from early Islamic Palestine: Passion of Peter
of Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs of Mar Saba, Passion of Romanos the Neomartyr, Provo, Brigham
Young University Press, 2016, p. xxx.
167
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de David H. Vila 2008, p. 394-395.
168
Ibid., p. 394.
169
Shoemaker, Stephen J. (éd/trad), Three Christian martyrdoms from early Islamic Palestine: Passion of Peter
of Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs of Mar Saba, Passion of Romanos the Neomartyr, Provo, Brigham
Young University Press, 2016, p. xxxi.
170
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de David H. Vila 2008, p. 388.
171
Ibid., p. 394.

48
l’attaquer (un peu plus tard dans la soirée, un messager provenant du monastère de Saint
Euthyme, également voisin, arrive à Mar Saba porteur de la même information)172.

Vie d’Étienne le Sabaïte


De même, dans la Vie d’Étienne le Sabaïte de Léonce de Damas, la laure de Mar Chariton est
évoquée à deux reprises. Cette œuvre a été initialement composée en grec mais il ne nous en
est parvenu qu’une version partiellement conservée. Le titre complet de la version arabe est :
Biyūs wa-tadbīr abūnā l-qiddīs al-ṭāḥir al-muhadhdhab Mār(y) Istāfanus al-sayyāḥ al-fāḍil
alladhī kāna fī sīq Abūnā Mār(y) Sābā, et dont la traduction en langue anglaise par John C.
Lamoreaux est « The Life and conduct of our holy father, the pure and upright Mār Stephen,
the virtuous anchorite who dwelt in the lavra of our father Mār Sabas ».
Deux manuscrits contenant une version en arabe de cette œuvre ont été retrouvés dans la
bibliothèque du monastère Sainte-Catherine du Sinaï. Ils datent du 13e siècle et contiennent tous
les deux une version complète de la Vie. Il s’agit de MS Sinai ar. 409, folios 22r à 160r daté de
1238 et MS Sinai ar. 505, folios 94r à 202r, daté de manière plus vague du 13e siècle. Il est
également notable qu’il existe des versions antérieures du 10e siècle : une version en grec
quasiment illisible, une version géorgienne incomplète et quelques folios en arabe. Deux
manuscrits postérieurs à l’état de fragments en arabe datant du 13e siècle ont aussi été
retrouvés173. Ainsi, c’est principalement à partir de ces versions en arabe retrouvées à Sainte-
Catherine du Sinaï que John C. Lamoreaux a effectué sa traduction anglaise de la Vie d’Étienne
le Sabaïte publiée en 1999 sur laquelle j’ai travaillé. Il existe cependant également une
traduction italienne antérieure effectuée par Bartolomeo Pirone en 1991174.
L’auteur de cette Vie, Léonce de Damas, est relativement bien connu grâce à ses indications
autobiographiques. Il serait né à Damas dans la seconde moitié du 8e siècle et décédé dans la
première moitié du 9e siècle. Léonce devient moine au monastère de Mār Saba vers la fin du 8e
siècle. Lors de sa crise spirituelle, il se tourne vers Étienne le Sabaïte, un moine plus ancien du
monastère, et grâce aux enseignements et prières d’Étienne, Léonce se retrouve bientôt libéré
de certaines pensées perturbatrices. C’est alors qu’Étienne décide de prendre Léonce pour
disciple. Ainsi, Léonce passe avec Étienne les quatre années suivantes à errer dans le désert, à

172
Ibid.; Shoemaker, Stephen J. (éd/trad), Three Christian martyrdoms from early Islamic Palestine: Passion of
Peter of Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs of Mar Saba, Passion of Romanos the Neomartyr, Provo,
Brigham Young University Press, 2016, p. xxxv.
173
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article John C. Lamoreaux 2007, p. 408.
174
Ibid., p. 409.

49
noter ses enseignements et à collecter des histoires à son propos. Plusieurs années après la mort
d’Étienne le 31 mars 794, Léonce rédige un récit de la vie, des miracles et des enseignements
de son maître175.
Ainsi, la Vie d’Étienne le Sabaïte aurait été rédigée entre 800 et 807, également sous le règne
du calife Hārūn al-Rachid. En effet, elle a certainement été rédigée après 797, l’année de
l’attaque du monastère de Mar Saba par les bédouins où les vingt moines martyrs trouvèrent la
mort car un récit de cet épisode se retrouve dans cette œuvre. De plus, vers la fin de la vie du
saint, il est relaté que Léonce a eu l’opportunité d’entrer en contact avec un certain diacre de
Jérusalem connu sous le nom de Tumayrīq en arabe et de Thomas en grec. Peu après dans le
récit, Léonce mentionne que cette personne deviendrait plus tard patriarche de Jérusalem. Ainsi,
on peut donc en déduire que Léonce a rédigé la « Vie » après que Tumayrīq soit devenu
patriarche. Cependant, il est difficile de dater précisément cet évènement. Tout au plus pouvons-
nous être certain que ce fut avant 807, date à laquelle le patriarche Tumayrīq est entré en contact
avec Charlemagne, et après 800, année où Georges, son prédécesseur, reçut une lettre d’Alcuin
(le célèbre érudit carolingien)176.
L’œuvre commence classiquement par une prière introductive, puis l’auteur indique qu’Étienne
est un moine de Mar Saba, évoque ses miracles, mentionne qu’ il serait natif de Palestine
(district d’Ascalon, village d’al-Julis). Il aurait eu une enfance exemplaire, son oncle Zacharie,
moine également, est évoqué et l’aurait accueilli au monastère comme novice. À la mort de
Zacharie, Étienne aurait donné l’intégralité de son héritage au monastère car il n’avait que
mépris pour l’argent, signe de sa sainteté. Peu après le décès de son oncle, Étienne est
finalement investi de l’habit monastique (Schema). Il devient ensuite diacre, puis
« canonarche » de l’église pendant quatre ans. Ensuite il se retira dans sa cellule, étant en charge
de la collection de livres (ou bibliothèque) de la laure. Puis il commença à avoir des disciples.
Ensuite il devient archidiacre, mais aspire à une vie retirée dans sa cellule. Cela lui est
finalement accordé et il s’installe dans un hésychastérion proche de la laure où il peut faire vœu
de silence et ne cesse de prier nuit et jour. L’auteur évoque des attaques du diable et des démons
qui cherchent à tenter le « pur » Étienne, mais celui-ci les vainc grâce à sa vie d’ascète et ses
prières. Il effectue également quelques travaux manuels. Finalement, il souhaite vivre dans le
désert une vie ascétique qu’il mène d’abord seul, puis en compagnie d’un disciple. À la fin de

175
Ibid., p. 407.
176
Ibid., p. X.

50
sa vie, le saint prend l’auteur comme disciple et ils séjournent ensemble dans le désert jusqu’à
la mort d’Étienne177.
Cette Vie constitue l’un des derniers aperçus en notre possession sur les grands monastères
palestiniens (Mār Saba, Mār Chariton, etc…) à la période islamique. En effet, il s’agit du dernier
exemple d’une longue série de vies de saints relatant la fondation et les commencements de
l’histoire de ces monastères, ceci afin d’affirmer la sainteté de leurs résidents178.
Dans le texte de cette « vie », on retrouve par deux fois des évocations du monastère de Mār
Chariton. Dans la première évocation, Léonce de Damas relate un récit qu’un certain « Abba
Eustrate » lui aurait raconté selon lequel Eustrate aurait accompagné Étienne le Sabaïte dans le
désert afin d’ouvrir le caveau de saint Théoctiste (situé dans le monastère de Mar Théoctiste,
déjà abandonné à l’époque d’Étienne le sabaïte) afin de récupérer l’un de ses os comme relique.
Au moment de l’ouverture du caveau, Étienne aurait alors reconnu et nommé les restes de saint
Théoctiste ainsi que les restes des saints moines qui l’entouraient dans le caveau. Après cela,
Eustrate serait allé se renseigner auprès des moines les plus âgés du monastère de Mār Saba et
également de Mār Chariton afin de vérifier si les informations sur les restes des saints moines
qu’Étienne lui avait dites était exactes. D’après eux, ce que lui avait dit Étienne s’avérait
rigoureusement exact, « c’était exactement comme le saint homme [Étienne le sabaïte] lui avait
dit lorsqu’il les avait nommés chacun d’eux par leurs noms »179.
La deuxième évocation du monastère de Mār Charitōn dans cette « vie » a lieu lorsque le
narrateur, Léonce de Damas, raconte qu’il accompagna Étienne le sabaïte dans les grottes de
Douka (un lieu du désert de Judée où une laure avait été fondée par saint Chariton), en
compagnie d’autres moines de Mār Saba (« notre laure ») et de Mār Chariton (« l’ancienne
laure »), cela à l’occasion de la retraite de pénitence de « notre père Mar Saba », c’est-à-dire au
moment de la fête de Saint-Sabas, le 5 décembre180.

Passion d’Antoine Rawḥ


Enfin, je tiens à évoquer une troisième œuvre hagiographique qui, si elle ne mentionne pas
explicitement le monastère de Mar Chariton, évoque les monastères du désert de Judée : la
Passion d’Antoine Rawḥ. Il s’agit d’une vie de néomartyr anonyme rédigée en langue arabe.

177
Léonce de Damas (éd/trad. Lamoreaux, John C.), “The life of Stephen of Mar Sabas”, Corpus Scriptorum
Christianorum Orientalium, Vol. 578-579, t. 51, Peeters, Louvain, 1999, pp. 1-133.
178
Ibid, p. XI.
179
Ibid., pp. 41-42, [26.4].
180
Ibid., p. 103, [65.1].

51
Six manuscrits contiennent ce récit hagiographique. Le plus ancien a été retrouvé à la
bibliothèque Sainte-Catherine du Sinaï, il s’agit de MS Sinai ar. 513, aux folios 363r à 372v et
datant du 10e siècle. L’édition de ce texte par Ignace Dick s’appuie sur ce dernier, avec des
notes indiquant les variantes issues de MS Sinai ar. 445 datant de 1233 et de MS Sinai ar.448,
du 13e siècle. Ignace Dick a également effectué la traduction du texte en français181.
Cette œuvre, composée au premier siècle abbasside, c’est-à-dire au début du 9e siècle, est
anonyme mais l’on peut déduire du texte de l’œuvre qu’il s’agit probablement d’un chrétien
melkite arabophone, un moine sans doute, décédé après le 25 décembre 799182.
Le texte est long d’environ 1600 mots (dans l’édition imprimée d’Ignace Dick). Les miracles
et les rêves jouent un grand rôle dans le récit, leur rôle est de confirmer la véracité du
christianisme par rapport à l’islam183.
Il relate la vie de Rawḥ al-Qurashī, neveu du calife Hārūn al-Rašīd résidant à Damas, musulman
qui se serait converti au christianisme et aurait pris le nom d’Antoine. Il prend également l’habit
monastique lors d’un voyage à Jérusalem et séjourne probablement dans un monastère du désert
de Judée. A son retour à Damas, il est arrêté par les autorités, emprisonné, amené à Bagdad et
finalement décapité sur ordre du calife Hārūn al-Rachid pour apostasie184.
Il s’agit d’une œuvre résolument offensive vis-à-vis de l’islam et dont le propos peut se résumer
ainsi : Peu importe la profondeur de la foi d’un fidèle auparavant musulman, n’importe quel
obstacle à la conversion au christianisme, la vraie foi, peut être surmonté. L’important est
d’embrasser la religion chrétienne, les miracles et les visions apportant une aide décisive à cette
fin185.
Cette œuvre a très probablement été rédigée dans le milieu des monastères du désert de Judée.
En outre, il est raconté dans le texte qu’Antoine, à la suite de son baptême dans le Jourdain,
prend l’habit monastique186. Il doit alors probablement résider dans l’un des monastères du
désert qui pourrait être Mar Chariton.
Ces trois récits hagiographiques qui évoquent chacun le monastère de Mar Chariton attestent
son importance, ne serait-ce que par ses liens avec le monastère voisin de Mar Saba, dans le
cadre du réseau que constituent les monastères du désert de Judée, comme le prouvent les

181
Dick, Ignace, « La passion arabe de S. Antoine Ruwaḥ, néo-martyr de Damas († 25 déc, 799) », Le Muséon 74
(1961), pp. 109-33.
182
Thomas, David (éd.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1 (600-900), Leyde, Brill,
2009-2014, article de David Vila 2007, p. 498.
183
Ibid., p. 499.
184
Ibid., pp. 498-499.
185
Ibid., p. 500.
186
Ibid., p. 499.

52
références au monastère dans la Passion des vingt moines sabaïtes et la Vie d’Étienne le Sabaïte.
La laure de Mar Chariton apparaît également comme une référence en tant que lieu dépositaire
de la mémoire du désert aux premiers siècles de la période islamique, par l’intermédiaire de ses
moines comme le montre l’évocation de la laure dans la Vie d’Étienne le Sabaïte.

b) L’évocation du monastère de Mar Chariton dans les sources byzantines

Vie et Passion de Bacchos le Jeune


Il existe également une vie de saint évoquant la laure de Mar Chariton qui a été rédigée,
non pas dans le milieu monastique du désert de Judée comme celles vues précédemment, mais
à Constantinople, la capitale de l’empire byzantin. Il s’agit de la Vie et Passion de Bacchos le
Jeune. Cette œuvre hagiographique rédigée en grec nous est parvenue dans cinq manuscrits
anciens, auxquels s’ajoutent un manuscrit ancien contenant l’Épitomé de cette œuvre ainsi
qu’un manuscrit plus récent, de la main même du premier éditeur du texte : François Combefis.
Ces manuscrits, du plus ancien au plus récent, sont :
- Istanbul, Bibliothèque du Patriarcat œcuménique, Sainte-Trinité 88. Le plus ancien
car datant de la fin du 9e au début du 10e siècle, il provient probablement du
monastère du Stoudion, la Vie et Passion de Bacchos le Jeune s’y trouve aux folios
126v à 137v.
- Paris, Bibliothèque nationale de France, grec 1180. Daté du début du 10e siècle.
Folios 132r à 141r. C’est ce manuscrit qui a servi de base à l’édition de François
Combefis parue en 1666.
- Moscou, Musée historique national, Sinod. gr. 161 (Vladimir 379). Du 11e siècle.
Folios 272r à 282v.
- Paris, Bibliothèque nationale de France, grec 1553. Daté du dernier tiers du 14e
siècle. Folios 174 à 184.
- Mont-Athos, Monè Docheiariou, 74 (Lampros 2748). Du 16e siècle. Folios 377v à
393v.
- Athènes, Bibliothèque nationale de Grèce, 2108. De la fin du 10e au 11e siècle. Il
contient le texte de l’Épitomé de la Vie et Passion de Bacchos le Jeune aux folios
126r à 129v.
- Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, 18864-18874. Daté du 17e-18e siècle.
Provenant de la bibliothèque des Bollandistes, plus précisément de la maison
professe des Jésuites d’Anvers, Il s’agit d’une copie préparatoire pour l’édition de

53
la Vie et Passion de Bacchos le Jeune d’après le manuscrit de Paris grec 1180 de la
main même de l’éditeur, François Combefis, aux folios 217r à 226v et 36,1.
D’après la nature et le faible nombre de manuscrits retrouvés de cette œuvre, André Binggeli
en conclut qu’elle a connu une circulation restreinte, limitée probablement à quelques
monastères de Constantinople et ses environs187.
Comme il a déjà été évoqué plus haut, cette œuvre a été éditée dès 1666 par le dominicain
François Combefis (1605-1679). C’est ainsi le premier des textes consacrés aux martyrs
chrétiens en Syrie-Palestine durant les premiers siècles de la domination islamique à avoir été
édité : F. COMBEFIS, Christi martyrum lecta trias, Hyacinthus Anastrensis, Bacchus et Elias,
novimartyres, Agarenico pridem mucrone sublati…, Paris 1666. Tout récemment, cette vie de
saint a fait l’objet d’une nouvelle édition, accompagnée d’une étude, sur laquelle je me suis
basé pour ce mémoire, il s’agit de : Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie,
Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre,
II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne, Byzantina Sobonensia,
2021.
L’auteur de la Vie et Passion de Bacchos le Jeune est Étienne le Diacre, membre du
clergé patriarcal de Constantinople, proche des patriarches iconodoules Taraise (784-806) et
Nicéphore (806-815)188. Il aurait rédigé cette vie de saint à Constantinople durant la période
dite « iconoclaste » de l’empire byzantin, c’est-à-dire au tournant du 9e siècle189, plus
précisément probablement durant l’« intermède iconodoule » entre 787 et 815190. De plus,
Étienne le Diacre a très probablement subi une forte influence des milieux ecclésiastiques
palestiniens émigrés à Constantinople191.
En effet, cette œuvre narre l’histoire d’un jeune homme de Palestine, né musulman, converti au
christianisme et devenu moine à la laure de Mar Saba, puis mis à mort pour apostasie en 787192.
Il s’agit d’un texte hagiographique relativement court, qui suit la trame générale du genre
littéraire mixte ou bipartite de la Vie et Passion monastique. La première moitié du texte est
consacrée aux évènements de la vie du saint avant son épreuve. La seconde partie est consacrée
au martyre proprement dit.

187
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
BYZANTINA SORBONENSIA, 2021, pp. 83-92.
188
Ibid., pp. 54-55.
189
Ibid., p. 9.
190
Ibid., p. 53.
191
Ibid., p. 55.
192
Ibid., p. 7.

54
Le premier paragraphe est un prologue rhétorique. Le récit commence par la mise en
contexte historique, la seule dans tout le texte, dont les évènements sont datés de l’an 6296 du
monde (= 787-788), sous le règne des empereurs Irène et Constantin VI et sous le patriarcat
d’Élie de Jérusalem. Originaire de Maïouma de Gaza (port côtier de Gaza), le père de Bacchos
est un apostat qui s’est converti à l’islam, sa mère, une chrétienne qui pratique sa foi en cachette.
Troisième d’une fratrie de sept enfants élevés dans la foi musulmane, Daḥḥāk, à la différence
de ses frères, refuse de se marier avec une femme musulmane. À la mort de son père, il confie
à sa mère son désir de devenir chrétien et celle-ci l’encourage dans son projet par une longue
exhortation.
Daḥḥāk se rend alors à Jérusalem pour prier à la Sainte-Anastasis où il adresse à Dieu sa
supplication pour être baptisé. Un moine de la laure de Mar Saba qui a observé la scène
interroge Daḥḥāk sur la raison de sa présence dans le lieu saint. Après avoir entendu son
histoire, il décide de l’emmener au monastère et de le présenter à l’higoumène. Ce dernier refuse
tout d’abord de lui accorder le baptême par peur des autorités arabes, mais finit par accéder à
sa demande devant l’insistance du jeune homme, qui reçoit alors pour nom de baptême Bacchos.
Une semaine plus tard, le jeune baptisé reçoit l’habit monastique et commence à mener une vie
exemplaire dans la laure de Mar Saba. Rapidement, l’higoumène craint que Bacchos ne soit
dénoncé et accusé d’apostasie, ce qui ferait courir un risque au monastère. Il lui enjoint donc de
devenir moine itinérant dans les monastères de Judée.
Sa mère, qui était partie à sa recherche, finit par le retrouver et les retrouvailles sont l’occasion
de grandes effusions de part et d’autre. À son retour à Maïouma, la mère enjoint aux frères de
Bacchos de se faire baptiser, après quoi ils partent en exil en terre étrangère. Cependant, la
femme de l’un des frères dénonce Bacchos et fait venir un apostat chargé de partir à sa
recherche. Celui-ci le retrouve priant à l’Anastasis de Jérusalem et le dénonce publiquement.
S’ensuit une seconde partie au cours de laquelle de saint est déféré devant l’émir de Jérusalem,
qui rapporte l’affaire à son supérieur, le gouverneur de Palestine à Ramla, tandis que Bacchos
est incarcéré à Jérusalem. Il est ensuite transféré à Ramla pour comparaître devant le
gouverneur. Lors du procès public, le saint professe sa foi inébranlable dans le Christ et finit
par être condamné à la décapitation. Celle-ci a lieu en dehors de la ville devant une grande foule
assemblée, toutes religions confondues ; le saint se montre exemplaire de courage et les
chrétiens s’en réjouissent. Après sa mort, ceux-ci se partagent la dépouille du martyr et
rapportent le corps du saint à Jérusalem pour l’enterrer dans l’église des Saints-Côme-et-

55
Damien. Le texte se termine, comme il a commencé, par un épilogue rhétorique, où l’auteur
s’adresse à l’auditoire rassemblé pour la fête du saint193.
Tous les évènements racontés dans la Vie et Passion de Bacchos le Jeune se situent en Palestine,
sur territoire du patriarcat de Jérusalem, on y retrouve des lieux emblématiques de la vie
chrétienne de l’époque dans la région : Jérusalem, la ville sainte, et le réseau des monastères du
désert de Judée, en premier lieu duquel figure Mar Saba194, mais aussi Mar Chariton, cité comme
souvent dans les sources sous le nom de « Vieille Laure » dans le passage suivant :

« Comme le pasteur sincère de ce monastère connaissait les recherches clandestines et


secrètes que menait la nation haïssable à Dieu au sujet de ceux qui ont pris en horreur leur
dogme infâme et ont rejoint les rangs chrétiens, […], il lui donna l’ordre de ne pas pratiquer
en un seul endroit les activités et la conduite liées à l’état monastique, mais de faire le tour
des monastères, Saint-Moïse en Arabie, Saint-Euthyme, le pré des miracles, la Vieille Laure
et le Kastellion, parfois aussi le monastère des Byzantins , et naturellement ceux qui sont
proches et regroupés dans le voisinage. Ayant reçu ce commandement, le très vénérable
Bacchos faisait la tournée (des monastères) en accomplissant sans hésitation sans hésitation
ce qui lui avait été prescrit. »195

Il est significatif de constater que, dans ce passage, la laure de Mar Chariton est présentée
avant tout comme l’un des lieux constitutifs du réseau des monastères de Judée. Les moines
passant, à l’image de Bacchos lui-même, facilement d’un monastère à l’autre196.
Il est également notable que, dans cette œuvre, est également largement évoquée la
présence musulmane en Palestine. En particulier la ville de Maïouma, port de Gaza situé
sur la côte, où Bacchos naît et grandit, et Ramla, la nouvelle capitale des gouverneurs
musulmans de Palestine, où il meurt en martyr197.

André Binggeli suppose qu’Étienne le Diacre a dû avoir connaissance de l’histoire du martyre


de Bacchos par le biais du milieu palestinien de Constantinople198.

Les figures d’origine palestinienne à Constantinople

193
Ibid., p. 45-46.
194
Ibid., p. 9.
195
Ibid., p 118, § 117-10.
196
Ibid., pp. 15-16.
197
Ibid., p. 9.
198
Ibid., p. 60.

56
Ainsi, entre la fin du 8e siècle et la première moitié du 9e siècle, on retrouve plusieurs
figures importantes d’origine palestinienne qui sont intégrées dans le milieu patriarcal de la
capitale de l’empire byzantin199.
Ce voyage d’ecclésiastiques palestiniens est à replacer dans le cadre de la migration des élites
chrétiennes de la Syrie-Palestine sous domination islamique vers l’Empire byzantin, et tout
particulièrement sa capitale Constantinople, après les conquêtes arabes et dans les siècles qui
ont suivi. Les sources historiques chrétiennes rapportent plusieurs épisodes d’exode des
populations chrétiennes vivant dans ces régions tout au long du VIIIe siècle et au début du IXe
siècle. Ces exils auraient été provoqués par des hostilités ou par un traitement oppressif plus
indirect (par les lois promulguées par les califes favorisant la conversion à l’islam) de la part
des autorités envers leurs sujets chrétiens et ne semblent pas avoir été motivées par les
perturbations, d’ailleurs presque continues durant cette période, liées aux rapports conflictuels
entre Arabes et Byzantins200. Parmi ces figures ecclésiastiques de Constantinople originaires de
Palestine, les plus célèbres sont Georges le Syncelle, ainsi que, une génération plus tard, Michel
le Syncelle et ses disciples, les frères Graptoï201. Michel le Syncelle est connu pour avoir
embrassé une carrière monastique au monastère de Mar Saba, puis dans le clergé de l’Anastasis,
où il était syncelle, c’est-à-dire secrétaire particulier, du patriarche de Jérusalem Thomas, déjà
évoqué précédemment, autour de 810. Or, en 813, il quitte la Palestine pour Constantinople.
Les raisons qui le poussèrent à ce départ ne sont pas entièrement claires, mais il est certain qu’il
a été à Constantinople l’un des champions du parti iconodoule durant le second iconoclasme202.
Georges le Syncelle, connu lui pour avoir été syncelle du patriarche de Constantinople
Taraise (784-806) s’avère être une figure particulièrement intéressante. En effet, avant de
s’installer à Constantinople et d’intégrer le milieu patriarcal, Georges, connu pour avoir été le
rédacteur d’une Chronique universelle ou Chronographie que l’on date de 807-808 ou même,
d’un peu après 810 et qui, à sa propre demande, fut continuée par Théophane le Confesseur, fut
en effet moine en Palestine, probablement à la laure de Mar Chariton, qui figure justement, sous
le nom de « Vieille Laure », dans la liste des établissements que Bacchos visite dans le récit de

199
Ibid., p. 29.
200
Ibid., pp. 27-29.
201
Auzépy, Marie-France, « From Palestine to Constantinople (Eighth-Ninth Centuries): Stephen the Sabaite and
John of Damascus », dans Languages and Cultures of Eastern Christianity: Greek, Fitzgerald Johnson, Scott (éd.),
Londres, Routledge, 2015, p. 399-442 (traduction anglaise de l’article : Auzépy, Marie-France, « De la Palestine
à Constantinople (VIIIe-IXe siècles): Étienne le Sabaïte et Jean Damascène », Travaux et Mémoires du Centre de
Recherche d'Histoire et Civilisation de Byzance, Paris, vol.12, 1994, pp. 183-218).
202
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
Byzantina Sorbonensia, 2021, p. 29.

57
sa Vie et Passion en tant que moine itinérant203. L’association possible de Georges le Syncelle
avec le monastère de Mar Chariton ressort d’une allusion faite à l’« Ancienne Laure » dans sa
Chronique universelle204. La Chronographie attribuée à Théophane le Confesseur a connu
ultérieurement un succès considérable dans l’empire byzantin, mais aussi en Occident latin par
l’intermédiaire de traductions. Ainsi, le fait qu’une partie de cette œuvre majeure ait
probablement été rédigée par un moine issu de Mar Chariton atteste de la haute culture
hellénique de ses moines au tournant du 8e-9e siècle, soit durant le premier siècle abbasside,
ainsi que du rayonnement intellectuel de ce monastère dans le monde chalcédonien, en
particulier dans l’empire byzantin.

La lettre de Théodore Stoudite à Mar Chariton


Enfin, on notera que le monastère de Mar Chariton, a été, en 818, le destinataire d’une
lettre rédigée par Théodore Stoudite, moine célèbre pour avoir été le champion du parti
iconodoule lors du deuxième iconoclasme, en particulier sous le règne de l’empereur
iconoclaste Léon V l’Arménien. En effet, sa lettre apparaît comme un appel à l’aide. Après un
tableau très sombre de la situation des iconodoules dans l’Empire Byzantin, Théodore Stoudite
supplie les moines de l’aider, cependant il ajoute : « au moins dans leurs prières »205, ce qui
tend à montrer que concrètement ceux-ci ne peuvent pas faire grand-chose pour la cause des
icônes, étant donné leur éloignement de la ville de Constantinople et leur appartenance à une
autre entité politique, le califat abbasside. En fait, Théodore aurait envoyé une lettre identique
au monastère de Saint-Euthyme et d’autres, aux contenus très proches, aux monastères de Mar
Saba et de Saint-Théodose, également en 818, tous ces monastères étant situés dans le désert
de Judée. De plus, Théodore Stoudite a aussi envoyé une lettre, au contenu plus détaillé
d’ailleurs, au patriarche Thomas de Jérusalem, que nous avons déjà évoqué précédemment,
ainsi qu’aux patriarches melkites d’Alexandrie et d’Antioche206.
Ainsi, il apparaît que la lettre envoyée par Théodore Stoudite au monastère de Mar Chariton
fait partie d’une série de lettres adressées à l’ensemble des autorités ecclésiastiques melkites au
Proche-Orient la même année 818. Le monastère est donc considéré par ce personnage très
important de la vie religieuse de l’Empire byzantin comme un interlocuteur valable, à l’égal du
monastère de Mar Saba, et au même niveau que les monastères de Saint-Euthyme et de Saint-

203
Ibid., p. 60.
204
Georgius Syncellus (éd. Mosshammer, Alden. A.), Ecloga chronographica, Leipzig, 1984, p. 12220-22.
205
Fatouros, Georgios (éd. et trad. allemand), « Theodori Studitae Epistulae », Corpus Fontium Historiae
Byzantinae, Volumen XXXI/1 et 2, Berlin, Berolini Novi Eboraci, Walter de Gruyter, 1991, pp. 322-323.
206
Ibid., pp. 319-320.

58
Théodose. Depuis l’empire byzantin, la laure de Mar Chariton serait donc considérée comme
un des quatre monastères les plus importants du désert de Judée, eux-mêmes, comme il a déjà
été évoqué précédemment, parmi les monastères les plus importants de l’Église melkite.

59
III) Jalons sur l’arabisation des melkites de Syrie-Palestine à travers l’étude d’une
œuvre liée à Mar Chariton : Le Paterikon

1) Une collection de vies de saints abrégées en arabe

Dans l’édition et la traduction anglaise d’Alexander Treiger du Paterikon de Mar Chariton, on


constate que parmi les sept saints moines de la laure dont la vie est narrée dans cette œuvre,
deux sont des abrégés ou des reprises de vies de saints connus par ailleurs. Il s’agit de saint
Cyriaque l’Anchorite (ou Kyriakos en grec, décède vers 557), dont la vie fait partie de la
collection de vies de saints rédigée par Cyrille de Scythopolis207, et de saint Eustrate dont la vie
telle qu’elle est narrée dans le Paterikon reprend certains épisodes de la vie des Miracles de
saint Eustrate, déjà évoqués précédemment208.

a) Un abrégé de la Vie de Cyriaque de Cyrille de Scythopolis

En effet, le passage concernant Cyriaque dans le Paterikon est un court abrégé de la Vie de
Kyriakos de Cyrille de Scythopolis. Cette Vie fait partie d’une collection de vies de saints des
monastères du désert de Judée rédigée par Cyrille, lui-même moine du désert, au milieu du VIe
siècle.
Cyrille de Scythopolis et ses Vies des saints moines palestiniens
Né à Scythopolis, capitale de la province byzantine de la Palestine Seconde, le futur
hagiographe est voué à Dieu dès son jeune âge et prend l’habit monastique vraisemblablement
à l’âge de 18 ans selon l’usage, dans un monastère de Scythopolis, peu avant novembre 543.
En novembre 543, il gagne Jérusalem pour visiter les lieux saints et entrer dans un monastère
de Palestine. Il va demander conseil à Jean l’Hésychaste qui séjourne alors à la laure de Mar
Saba. Celui-ci l’encourage à entrer au monastère d’Euthyme. Après un essai malheureux dans
un couvent proche du Jourdain, la laure de Calamon, où il tombe malade, il entre dans la laure

207
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the
Palestinian Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38
(2018), p. 10.
208
Ibid., p. 13.

60
d’Euthyme en juillet 544. Il y demeure onze années, de 544 à 555209. C’est là qu’il commence
à réunir les matériaux des vies d’Euthyme et de Sabas et qu’il fait la connaissance de Cyriaque
l’anachorète, dont il écrira la Vie210. Lorsque, le 21 février 555, des moines orthodoxes viennent
occuper la Nouvelle Laure après qu’en ont été chassés les origénistes, Cyrille fait partie de leur
groupe. Il demeure deux ans à la nouvelle Laure et, au début de 557, gagne la Grande Laure de
Mar Saba, qu’il ne quitte plus jusqu’à sa mort quelques années plus tard, probablement peu
après 559211. On suppose que les Vies de Théodose, de Theognios, d’Abraamios et de Cyriaque
ont dû être écrites après la Vie de Jean d’Hésychaste212.
En tout, Cyrille de Scythopolis a rédigé les Vies de sept saints moines du désert de Judée qui
sont, par ordre chronologique probable de rédaction : Euthyme, Sabas, Jean l’Hésychaste,
Cyriaque, Théodose, Théognios et Abraamios. Ces Vies vont rencontrer un très grand succès
dans le milieu monastique du désert de Judée mais également au-delà, dans l’ensemble du
monde chalcédonien, et constituer une référence en matière hagiographique pour les moines du
désert. Ceci explique d’ailleurs peut-être le fait que le Paterikon de Mar Chariton reprenne ce
chiffre, hautement symbolique, de sept figures saintes.
La traduction française de l’œuvre hagiographique de Cyrille de Scythopolis a été effectuée, à
partir d’une édition allemande de Eduard Schwartz de 1939213, par le moine dominicain André-
Jean Festugière en 1962 et 1963 et publié dans le cadre de la série Les moines d'Orient.

La Vie grecque de Cyriaque et sa version arabe


D’après Alexander Treiger, la partie sur Cyriaque du Paterikon ne dériverait pas directement
de la Vie de Kyriakos rédigée en grec par Cyrille de Scythopolis mais plutôt de sa traduction en
langue arabe. En effet, il existe certains passages de la version abrégée du Paterikon qui sont
des reprises mot à mot d’expressions de la traduction en arabe, ce qu’Alexander Treiger appelle
des « correspondances verbales » (verbal correspondences)214.
En effet, une traduction en arabe de la Vie de Kyriakos de Cyrille de Scythopolis se trouve dans
le Ménologe antiochien (Kitāb al-Dūlāb) pour le mois de septembre compilé par le moine

209
Cyrille de Scythopolis, « Les moines de Palestine, vie de Saint Euthyme », trad. fr. Festugière, André-Jean, Les
Moines d’Orient III/1, Paris, Cerf, 1962-1963, p. 9.
210
Flusin, Bernard, Miracle et Histoire dans l’œuvre de Cyrille de Scythopolis, Paris, Études Augustiniennes,
1983, pp. 30-31.
211
Cyrille de Scythopolis, « Les moines de Palestine, vie de Saint Euthyme », trad. fr. Festugière, André-Jean, Les
Moines d’Orient III/1, Paris, Cerf, 1962-1963, p. 9.
212
Flusin, Bernard, Miracle et Histoire dans l’œuvre de Cyrille de Scythopolis, Paris, Études Augustiniennes,
1983, p. 32.
213
Eduard Schwartz, Kyrillos von Skythopolis, Leipzig, J. C. Hinrichs Verlag, 1939.
214
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), pp. 10-13.

61
Yūḥannā ʿAbd al-Masīḥ215. Cette partie du Ménologe antiochien a elle-même été retrouvé dans
le manuscrit MS Sinai ar. 395, folios 125r à 134v, sous la date du 29 septembre, provenant de
la bibliothèque du monastère Sainte-Catherine du Sinaï. Ce manuscrit aurait été copié en 1328-
1329. Ce ménologe reste non édité à ce jour216.
Il existe également une version en géorgien de la Vie de Kyriakos, datée de 1034 à 1042 dont il
est attesté qu’elle a été rédigée en se basant sur la version en arabe. Par conséquent, la traduction
en arabe, nécessairement antérieure, a été rédigée au plus tard au début du XIe siècle mais plus
probablement auparavant, c’est-à-dire au IXe ou au Xe siècle217. Ainsi, le Paterikon, rédigé
probablement après la traduction arabe, pourrait être approximativement daté du IXe au XIe
siècle également.

Comparaison de la vie de Cyriaque de Mar Chariton dans le Paterikon de Mar


Chariton avec la Vie d’Abbâ Kyriakos de la laure de Souka de Cyrille de Scythopolis
Pour Cyrille de Scythopolis, la « Vie d’Abbâ Kyriakos de la laure du Souka » constitue un
complément de la Vie de saint Euthyme. Dans le Paterikon de Mar Chariton, la partie sur
Cyriaque est assez brève, un à deux folios dans le texte original en arabe, comme les parties sur
les autres saints, à l’exception notable de celle sur Eustrate, nettement plus longue.
Comme il a déjà été vu précédemment, la partie sur Cyriaque dans le Paterikon est organisée
de la manière suivante : elle commence par une description des vertus et de la renommée du
saint parmi les gens de Jérusalem et de l’ensemble de la Palestine et même « de tous les pays »
(min kāffa al-buldān)218. Puis, l’auteur raconte que Cyriaque devient anachorète dans le désert
(haraba ilā al-barrīya)219 avec un disciple où il se nourrit de « scilles » (baṣal al-fā'r)220
bouillies qu’il rend miraculeusement douces pendant quatre ans. Un jour son disciple, alors
qu’il avait mangé quelques scilles bouillies comme à l’accoutumée, sentit leur goût amer et
« s’effondra comme mort, incapable de bouger ni de parler » (waqa‘a ka-l-mayyit la yataḥarrak

215
Concernant le Ménologe antiochien (Kitāb al-Dūlāb), se référer à: Treiger, Alexander, « SINAITICA (1): The
Antiochian Menologion, Compiled by Hieromonk Yūḥannā ʿAbd al-Masīḥ (First Half of the 13th Century) »,
Christian Orient, Journal of Studies in the Christian Culture of Asia and Africa, volume 8 (XIV), Saint-
Pétersbourg, The State Ermitage Publishers, 2017, pp. 215-252.
216
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 10.
217
Ibid.
218
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 20.
219
Ibid.
220
Ibid.

62
wa-la yatakallam)221. Alors le saint pria pour lui et il se réveilla. Peu après le saint et le disciple
se remirent à consommer des scilles bouillies et elles étaient à nouveau douces une fois que
Cyriaque « les eût bénies par un signe de croix » (fa-ṣallaba ‘alayhi [al-baṣal] al-qaddīs)222.
Cette partie raconte aussi comment Cyriaque guérit le fils « possédé » (maǧnūn)223 d’un
habitant de Tekoa, qui s’empressa de raconter l’histoire au voisinage. Ensuite, on présenta
souvent des possédés au saint afin qu’il les guérisse, mais bientôt, importuné par cette situation,
il se retira dans un lieu isolé du « désert intérieur » (al-barrīya al-dāḫila)224 et y résida
« longtemps » (zamān ṭawīla)225. Puis, à la suite d’une épidémie (kuṯur al-mawt fī al-nās)226,
des moines le supplièrent de se joindre à eux et « il s’installa dans la grotte de Saint-Chariton »
(wa sakana maġāra mārī ḫarītun al-qaddīs)227, à proximité de la laure de Mar Chariton.
Finalement, à nouveau importuné, il retourne à son lieu de résidence précédent, dans le désert
intérieur, emportant avec lui « quelques graines de légumes à planter » (šay min zara‘ al-
baqal)228. Bientôt ses cultures furent mangées par des animaux sauvages (al-waḥš)229 et son
disciple s’en plaignit. C’est alors que, alors qu’il errait dans le désert, il rencontra un lion féroce
(sabu‘ hāyil)230, il ordonna alors à celui-ci de le suivre jusqu’à ses cultures et de les protéger
dorénavant des animaux sauvages. « Le lion lui obéit » (fa-imtaṯala al-sabu‘ amrahu)231. Enfin,
« à l’âge de plus de cent ans » (ǧāza al-mi’aa sana)232, « il retourna à la laure » de Mar Chariton
(raǧa‘a ilā al-sīq)233 pour y mourir.
Tous les épisodes de cette partie du Paterikon qui racontent la vie de Cyriaque sont tirés de la
Vie de Kyriakos de Cyrille de Scythopolis et considérablement abrégés. En effet, pour
commencer, la partie du Paterikon consacrée à Cyriaque ne commence réellement, après les
quelques lignes consacrées aux vertus et à la renommée du saint, que lorsqu’il décida de se
retirer au désert comme anachorète à l’âge de soixante-dix-sept ans. Ainsi, mis à part son origine
corinthienne, ne sont évoqués dans le Paterikon ni son enfance234, ni son arrivée à Jérusalem à

221
Ibid.
222
Ibid.
223
Ibid.
224
Ibid.
225
Ibid.
226
Ibid.
227
Ibid.
228
Ibid.
229
Ibid.
230
Ibid.
231
Ibid.
232
Ibid.
233
Ibid.
234
Cyrille de Scythopolis, « les moines de Palestine, Cyrille de Scythopolis, vie des Saints Jean l’Hésychaste,
Kyriakos, Théodose, Théognios, Abraamios, Théodore de Pétra, vie de saint Théodosios », trad. fr. Festugière,
André-Jean, Les Moines d’Orient III/3, Paris, Cerf, 1962-1963, pp. 39-40.

63
l’âge de dix ans235, ni son séjour au cénobion de Gérasime dans la vallée du Jourdain236, ni son
séjour ensuite à la laure d’Euthyme237, et à peine son séjour à Souka, la laure de Mar Chariton238,
toutes choses décrites dans la Vie de Cyrille de Scythopolis, parfois en détail. Cyrille effectue
également un décompte précis des années passées dans chaque monastère par Cyriaque,
accompagné parfois d’une date en utilisant le système byzantin des indictions, par exemple 9
années au cénobion de Gérasime239, puis dix à la laure d’Euthyme240, puis trente-neuf à celle
de Mar Chariton dans laquelle il entre « vers la fin de la huitième indiction » et qu’il quitte « à
la troisième indiction » (d’un autre règne d’empereur byzantin)241. Ainsi à partir de toutes ces
informations, André-Jean Festugière déduit que Cyriaque, né en 448-449 aurait quitté la laure
de Mar Chariton pour vivre en ermite en 525-526242. L’auteur du Paterikon, lui se contente
d’une mention que voici : « Il avait soixante-dix-sept ans à ce moment-là » (wa-kāna lahu min
‘umrihi ḏalika al-waqt saba‘a wa-saba‘ūn sana)243.
Même après le départ de Souka, alors que le récit abrégé du Paterikon donne plus de détails
concernant la vie de Cyriaque, les indications temporelles restent fort vagues. Ainsi, le saint
reste « longtemps » (zamān ṭawīla)244 dans le désert intérieur là où la Vie de Cyrille de
Scythopolis indique qu’« il y avait passé sept ans »245 ; là où Cyrille indique que Cyriaque
meurt alors qu’« il avait achevé sa centième septième année »246, l’auteur du Paterikon se
contente de : « à l’âge de plus de cent ans » (ǧāza al-mi’a sana)247.
À cette imprécision d’ordre temporel s’ajoute une imprécision relative aux lieux. En effet, la
Vie de Kyriakos détaille les différents lieux de vie du saint tels que Corinthe248, sa ville de
naissance, Jérusalem249, le monastère de saint Eustorge à Jérusalem250, puis dans le désert les
cénobions et laures de Gérasime, Euthyme et bien sûr Souka. Egalement dans le désert de Judée,

235
Ibid., pp. 40-41.
236
Ibid., pp. 41-42.
237
Ibid., pp. 42-43.
238
Ibid., pp. 43-44.
239
Ibid., p. 42.
240
Ibid.
241
Ibid., p. 43.
242
Ibid.
243
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 20.
244
Ibid.
245
Cyrille de Scythopolis, « les moines de Palestine, Cyrille de Scythopolis, vie des Saints Jean l’Hésychaste,
Kyriakos, Théodose, Théognios, Abraamios, Théodore de Pétra, vie de saint Théodosios », trad. fr. Festugière,
André-Jean, Les Moines d’Orient III/3, Paris, Cerf, 1962-1963, p. 45.
246
Ibid., p. 52.
247
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 20.
248
Cyrille de Scythopolis, op. cit., p. 39.
249
Ibid., p. 40.
250
Ibid.

64
Cyrille cite les déserts de Natoupha251 et de Rouba252 ainsi que le nom de lieu de sa retraite la
plus isolée dans le désert : Sousakim, avec même une description relativement précise de sa
situation géographique, accompagnée d’une citation de l’Ancien Testament : « […] là où
confluent les deux ravins, très profonds et très effrayants de la Nouvelle Laure et de la laure du
Souka. Certains veulent que ses torrents soient ceux d’Étham, sur lesquels David dit, dans le
psaume où il magnifie la puissance de Dieu : « Vous avez mis à sec les rivières d’Étham » (Ps
73, 15). »253. Enfin, il cite aussi « la cellule anachorétique de Saint-Chariton »254 Comparé à
toutes ces précisions d’ordre géographiques données par Cyrille de Scythopolis, le Paterikon
est bien parcimonieux. En effet, les seuls lieux nommés sont liés au monastère de Mar Chariton,
il s’agit du monastère lui-même et de la grotte de Saint-Chariton (maġāra mārī ḫarītun al-
qaddīs)255. Pour ce qui est du désert, il se contente du terme fort imprécis de « désert intérieur »
(al-barrīya al-dāḫila)256 et pour le lieu-dit de Sousakim, une périphrase plutôt vague, « un
endroit où aucun ermite n’allait » (haraba ilā al-barrīya al-dāḫila allatī lam yaṣīru ilayha aḥad
min al-mutawaḥḥidīn)257.
Le passage du Paterikon évoquant Cyriaque omet également plusieurs digressions présentes
dans le récit de Cyrille de Scythopolis, ainsi celles évoquant la première258 et la seconde259
visite de Cyrille auprès de Cyriaque, celle concernant la longue exposition et la réfutation de la
doctrine des origénistes par Cyriaque alors que Cyrille l’interroge à ce sujet260. L’absence de
cet épisode dans le Paterikon pourrait s’expliquer par le triomphe de l’orthodoxie en Palestine
à l’époque de sa rédaction, alors que la mouvance origéniste n’y est plus d’actualité. La dernière
digression omise est celle, aussi intéressante que curieuse, d’une anachorète femme, « la
bienheureuse Maria »261, que Cyrille rencontre de manière fortuite et qui lui raconte son histoire
et lui demande de repasser la voir plus tard. Alors que Cyrille obéit et retourne la voir, il la
retrouve morte dans sa grotte.
Enfin, le dernier miracle de la Vie de Kyriakos n’est pas mentionné dans le Paterikon. Cyriaque,
qui manquait d’eau, fait tomber la pluie sous l’action de ses prières. Cette pluie est d’ailleurs

251
Ibid., p. 44.
252
Ibid., p. 45.
253
Ibid., p. 45.
254
Ibid., p. 46.
255
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 20.
256
Ibid.
257
Ibid.
258
Cyrille de Scythopolis, op. cit., p. 46.
259
Ibid., p. 49.
260
Ibid., pp. 46-48.
261
Ibid., pp. 50-51.

65
très localisée car « il s’éleva aussitôt un petit nuage au-dessus de Sousakim, la pluie tomba tout
autour de sa cellule et remplit tous ses réservoirs dans les creux des rochers »262. Il me paraît
assez étonnant que ce passage n’ait pas été repris dans le Paterikon, l’auteur semblant
d’ordinaire friand d’épisodes miraculeux comme celui-là car, comme nous le verrons
ultérieurement, les épisodes au cours desquels les saints font tomber la pluie grâce à leurs
prières apparaissent plusieurs fois dans l’œuvre. Peut-être que l’auteur du Paterikon a jugé qu’il
avait déjà repris suffisamment de miracles de Cyriaque, que faire tomber la pluie n’était pas un
miracle assez original, ou même qu’il manquait tout simplement de place sur le manuscrit pour
le reprendre.

b) La Vie d’Eustrate de Mar Chariton, abrégé des Miracles de saint Eustrate

La section consacrée à Eustrate est de loin la plus longue du Paterikon de Mar Chariton. On
peut la diviser en dix-sept épisodes, chacun d’entre eux occupant un paragraphe du texte.
Chacun de ces épisodes peut se résumer comme suit (précisez que vous citez le résumé de
Treiger) :
1- Eustrate naît en Sicile et il devient général en chef de l’armée byzantine.
2- Eustrate devient moine et, alors qu’il était affamé dans le désert, trouve
miraculeusement une miche de pain qui le nourrit.
3- Eustrate se rend à Jérusalem et dans le désert de Judée, puis au Sinaï où il devient
ermite. Il jeûne quarante jours au bout desquels les reliques des saints Jean Climaque
et Anastase du Sinaï lui sont miraculeusement révélées.
4- Sur la route de Jérusalem, Eustrate sauve miraculeusement ses compagnons de
pèlerinage et lui-même d’un lion féroce (sabu‘ ‘aẓīm).
5- Eustrate redonne miraculeusement la capacité de parler à un enfant sourd.
6- Eustrate s’installe à Mar Chariton et s’adonne à un jeûne prolongé afin de trouver la
mort, car il pense avoir tué un oiseau par accident. Il finit par en perdre connaissance
mais est finalement sauvé par les autres moines.
7- Eustrate s’adonne à nouveau à un jeûne prolongé lors du « jeûne des apôtres ».
8- Eustrate s’abstient de soigner par ses prières le prêtre Jonas, mais par contre atteste
que celui-ci a reçu une purification d’ordre spirituelle avant de décéder.

262
Ibid., p. 50.

66
9- Eustrate refuse qu’un moine égyptien (raǧul maṣrī) de Mar Chariton obtienne le
plus haut degré du monachisme orthodoxe, le « grand habit » (al-āzkīm al-kabīr ou
al-āskim al-kabīr, plus courant), déclarant que celui-ci n’est pas même chrétien. Plus
tard ce moine retourne en Égypte et se convertit à l’islam là-bas. Cet évènement est
ainsi interprété comme une prédiction d’Eustrate (cet épisode du plus grand intérêt
pour ce mémoire sera abordé plus en détail ultérieurement).
10- Eustrate se plaint à ses frères moines que le Saint-Esprit ne descend plus sur eux
(sans doute lors de la messe) car il est miraculeusement capable de le voir.
11- Eustrate déjoue miraculeusement la tentative d’un moine de manger de la viande
que ce dernier avait auparavant achetée et cuisinée en secret. Il le réprimande
également à cette occasion.
12- Eustrate devine miraculeusement qu’un de ses frères moine a péché à la ville.
13- Eustrate prédit qu’un moine nommé Abba Job, auquel on a proposé de devenir
évêque d’Alep, ne sera pas intronisé une fois là-bas et devra retourner vivre au
monastère.
14- Un signe de croix d’Eustrate ouvre miraculeusement la porte du monastère de
Calamon, dans le désert de Judée.
15- Eustrate prédit qu’un de ses frères moine deviendra patriarche d’Antioche, « mais
seulement pour peu de temps et qu’il n’en tirera aucune joie » (wa āyyāmuka qalīla
wa laysa tafaraḥu »). Trente-cinq ans plus tard, sa prédiction se réalise.
16- Eustrate prédit qu’un de ses frères moines apprendra le syriaque et deviendra abbé
de Mar Chariton. Cette prédiction se réalise après la mort d’Eustrate (cet épisode
sera aussi développé ultérieurement).
17- Eustrate prédit à l’avance la date de sa propre mort263.

À la lecture de ces épisodes résumés, on constate que trois sont des reprises des Miracles de
Saint-Eustrate déjà évoqués précédemment, il s’agit des épisodes 12,13 et 14. Ces trois épisodes
se succèdent dans le Paterikon alors que, dans les Miracles, l’épisode 12 est le premier,
l’épisode 13 est environ au milieu de l’œuvre et l’épisode 14 est le dernier264. Ainsi, l’auteur du
Paterikon a « pioché » dans les Miracles les épisodes qui lui semblaient dignes d’intérêt. Les
critères retenus par l’auteur pour reprendre ou non un épisode ne m’apparaissent pas clairement.

263
Ibid., pp. 6-7.
264
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (2): Miracles of St. Eustratius of
Mar Saba (written ca. 860) », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 33 (2016), pp. 11-20.

67
Quoi qu’il en soit, les épisodes où Eustrate envoie un « possédé » (maǧnūn) à un ermite du
désert de Transjordanie afin qu’il l’exorcise au lieu de le faire lui-même, acte d’humilité, celui
où il prédit que les deux frères Abba Élie et Abba Jean deviendront évêques et celui où il exhorte
sans succès un des moines de la grotte de Saint-Chariton, qui y avait accumulé des « biens »
(raḥl), de s’enfuir alors que quelques jours plus tard celui-ci se retrouvera attaqué par des
« voleurs » (al-luṣūṣ)265, n’ont pas été retenus par l’auteur du Paterikon de Mar Chariton.
Les épisodes 12, 13 et 14 qui sont des reprises ont été, eux, considérablement abrégés par
rapport à leur version des Miracles, cela est particulièrement vrai pour l’épisode 13 réduit
environ au cinquième.
L’épisode 12, en revanche, est relativement détaillé par rapport à sa version des miracles car il
en fait la moitié. Quant à l’épisode 14, il est seulement un peu plus court que sa version des
miracles.
Il a déjà été mentionné qu’Alexander Treiger, dans ses commentaires de son édition et
traduction des Miracles de saint Eustrate, identifie à tort celui-ci comme Saint-Eustrate de Mar
Saba alors qu’il s’agit en fait de Saint-Eustrate de Mar Chariton, comme le prouve la mention
de cette laure dans le Paterikon selon des modalités déjà évoquées précédemment.
D’ailleurs, il existe une deuxième mention de Mar Chariton associée à Saint-Eustrate qui vient
appuyer cette assertion. Il s’agit de la mention de ce saint dans le « Synaxaire Arabe
Melkite » (Melkite Synaxaria)266, en date du 17 octobre. En effet, dans le manuscrit MS Sinai
ar. 418 au folio 31 recto, à la section du 17 octobre, on trouve la mention suivante : wa fihi
nayāḥ al-qaddīs Ūstrātiyūs allaḍī ǧāhada fī sīq Ḫārīṭun (« et ce [jour-ci est commémoré] le
décès de Saint-Eustrate qui œuvra en la laure de Chariton »). Le Saint-Eustrate dont il est
question ici est très certainement, toujours d’après Alexander Treiger, Eustrate de Mar
Chariton267.
De plus, étant donné que nous pouvons lire dans les Miracles de Saint-Eustrate que celui-ci
aurait été un contemporain du patriarcat de Job d’Antioche, qui serait décédé environ en 839,
Alexandre Treiger en déduit que Saint-Eustrate aurait vécu environ de 770 à 850 (avec des
approximations d’environ dix années autour de ces dates estimées de naissance et de décès). Il
s’agit donc clairement d’une figure sainte d’époque islamique ; assertion que vient d’ailleurs
appuyer l’épisode 9 du Paterikon dans lequel un moine égyptien de la laure se convertit à

265
Ibid.
266
Sur le Synaxaire Melkite, voir Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 3 (1050-1200),
Thomas, David (éd.), Leyde, Brill, 2011, pp. 586-591: The Melkite Synaxaria, article de Swanson, Mark N.
267
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 15.

68
l’islam ; plus précisément du premier siècle abbasside, vraisemblablement du règne d’al-
Manṣūr (754-775) à celui d’al-Mutawakkil (847-861), soit une période considérée comme
l’apogée de cette dynastie, alors que les califes gouvernent depuis l’‘Irāq.
Enfin, il est notable qu’il existe également une adaptation copte de la vie d’Eustrate, également
éditée et traduite dans une annexe de son article de 2018 présentant l’édition et la traduction du
Paterikon de Mar Chariton. Cette adaptation, également en langue arabe diffère notablement
de la version melkite. En effet, on y remarque qu’Eustrate y est considéré comme un moine du
Sinaï et que le monastère de Mar Chariton n’y est même pas mentionné, ce qui nous invite à
relativiser son importance268.

c) Une collection comprenant des vies de saints en arabe inconnues par ailleurs

Hormis Cyriaque de Mar Chariton (l’Anchorite) et Eustrate de Mar Chariton, les cinq autres
saints moines de Mar Chariton dont les vies figurent dans le Paterikon de Mar Chariton ne sont
pas connus par ailleurs. Il s’agit, dans l’ordre, d’André de Mar Chariton, de Constantin de Mar
Chariton, de Cosmas (en français Côme) de Mar Chariton, de Gabriel l’Ermite et de Gabriel de
Mar Chariton.

André de Mar Chariton

Le début du texte commence avec les miracles effectués par Abba André de Mar Chariton, un
moine du monastère d’origine « franque » (ifranjī). Il n’y a pas d’indications dans le texte sur
l’époque à laquelle Abba André vécu. Même s’il est plus probable que ce soit à la période
byzantine, il est également possible qu’il ait vécu après la conquête musulmane étant donné que
des moines « francs » (ifranjī) ont pu être présents à la Laure de Mar Chariton avant ou après
la conquête. En effet, l’un des moines le plus célèbre du monastère, Eustrate, déjà évoqué
précédemment, qui a vécu au VIIIe-IXe siècle, était originaire de Sicile269.
Comme nous l’avons déjà dit plus haut, il est narré dans le Paterikon qu’André se rend un jour
au bord de la Mer Morte avec un jeune homme en plein mois d’août dans le but de récolter du
bois. Tourmenté par la chaleur et une soif intense, le jeune homme finit par s’effondrer au sol.
Le saint se met alors à prier à prier pour son compagnon et bientôt un nuage se forme et la pluie

268
Ibid., p. 16.
269
Ibid., p. 12.

69
tombe, remplissant d’eau les vallées d’ordinaire sèches des alentours. Ils en boivent et rendent
grâce à Dieu. Une fois partis, aucune trace de pluie n’est visible à cet endroit270.

Constantin de Mar Chariton

Ensuite, nous avons deux histoires mettant en scène Abba Constantin (Qusṭanṭīn) de Mar
Chariton, une figure sainte d’origine « byzantine » (raǧul rūmī) inconnue par ailleurs.
Dans la première, il est miraculeusement transporté jusqu’à l’église du Saint-Sépulcre ou
Anastasis (al-qiyāma al-muqaddasa) à Jérusalem, probablement pour assister à une veillée, puis
ramené à sa cellule tout aussi miraculeusement271.
La deuxième histoire décrit l’arrivée miraculeuse de la pluie sur le monastère lors d’une
sècheresse sous l’effet des prières de Constantin, alors même qu’il se trouve sur son lit de mort
et décèdera peu après272.
Il n’y pas d’indication sur l’époque à laquelle il vivait. L’époque byzantine et le début de la
période musulmane semblent tout aussi plausibles273.

Cosmas de Mar Chariton

Autre moine de Mar Chariton connu pour ses miracles, Abba Cosmas (Quzmā), un moine de
langue syriaque d’un village proche d’Alep (rāhib suriānī fāḍil min ba‘ḍ qurā Halab)274.
La partie le concernant décrit 3 « miracles » de sa part :
- Le premier miracle est de donner une crosse à un homme de Rabba (proche d’Al-Karak
en Transjordanie) ; celle-ci lui permet de voyager sans encombre entre Jérusalem,
Rabba et Ascalon (sur la côte) et lui apporte tout ce dont il a besoin (car il déclare : fa-
kānat ḥawāyǧī tatahayān lī ḥayṯumān nazaltu)275 (p. 26).
- Le deuxième miracle est rapporté par un disciple de Cosmas du nom de Théodore de
Baalbek (Abbā Taḏrus Ba‘alabakī). En effet, celui-ci raconte que son maître aurait été
miraculeusement transporté à Rome (Rūmiyya) avec un autre saint moine, Abba Gabriel
l’Ermite, auquel est consacré la partie suivante du Paterikon. Les deux saints moines y

270
Ibid., p. 28.
271
Ibid., p. 19.
272
Ibid., p. 29.
273
Ibid., p. 9.
274
Ibid., p. 25.
275
Ibid., p. 26.

70
auraient passé 3 jours à prier à « la tombe des Apôtres Pierre et Paul » (qabr al-rasūlayn
Buṭrus wa Būlus)276.
- Le troisième miracle est de faire tomber la pluie sur le monastère lors d’une sècheresse
(Iḥtabasa al-maṭar). Cosmas aurait accompli ensuite d’autres miracles et prévisions,
comme connaître le moment de sa mort.277
Abba Cosmas a du vivre aux environs de l’an 800 car son compagnon Abba Gabriel l’Ermite
lors du voyage miraculeux à Rome aurait été martyrisé aux alentours ou peu après 809278.

Gabriel l’ermite

La figure sainte suivante est Gabriel l’Ermite (Ġabrīyal al-Ḥabīs). Quatre épisodes de sa vie
sont décrits dans le passage qui lui est consacré :
- Le premier épisode n’est pas précisément sur la vie de Gabriel l’Ermite mais décrit les
vertus ascétiques, avec une précision quasi chirurgicale d’ailleurs, de son disciple Abba
Jean (Abba Yūḥannā) 279, saint de l’Église orthodoxe sous le nom de saint Jean des
Anciennes grottes de Palestine. Ces « cavernes antiques » ne sont autres que la laure de
Mar Chariton elle-même, où a vécu le disciple. Il paraît assez étonnant qu’Abba Jean
n’ait pas eu droit à sa propre partie au sein du Paterikon de Mar Chariton. Une
explication possible serait que, étant donné son statut initial de disciple d’une autre
figure sainte, l’auteur a estimé qu’un simple passage sur lui serait suffisant, à moins
qu’il n’ait auparavant fait l’objet d’une Vie dans une autre œuvre.
- Le deuxième épisode relate un miracle de téléportation supplémentaire de Gabriel
l’Ermite. En effet, dans le passage précédent, consacré à Cosmas, les deux moines
Cosmas et Gabriel l’Ermite ont été téléportés à la tombe des apôtres Pierre et Paul, à
Rome. Cette fois, c’est à Bethléem (Bayt Laḥam), à quelques kilomètres de la laure, que
Gabriel l’Ermite aurait été téléporté, à la fois pour y aller et pour revenir directement
dans sa cellule. L’auteur rapporte le point de vue d’Abba Jean auquel Gabriel l’Ermite
aurait raconté ce miracle280. Ce point de vue présente de grandes similitudes avec celui
du disciple de Cosmas Théodore de Baalbek.

276
Ibid.
277
Ibid.
278
Ibid., p. 16.
279
Ibid.
280
Ibid., pp. 37-38.

71
- Le troisième épisode relate la rémission miraculeuse du saint qui, alors qu’il se trouvait
très gravement malade (maraḍa mariḍān šadīdān) déclare qu’il ne mourra pas de cette
maladie. Quelques jours plus tard le saint « guérit » (qāma min maraḍihi) et reprend ses
habitudes ascétiques (wa-aḫaḏa fī al-ǧihād allaḏī kāna fīhi) 281.
- Le quatrième et dernier épisode relatif à la vie de Gabriel l’Ermite raconte l’histoire de
son martyr lors d’une attaque de bédouins sur le monastère de Mar Chariton au moment
de la mort du calife Hārūn al-Rachid en 809 (guerre fratricide de succession entre les
deux frères al-Amīn et al-Ma’mūn). L’historien byzantin Théophane relate les attaques
bédouines de cette époque avec beaucoup d’exagération, cependant les dégâts et les
atrocités commises lors de ces attaques furent bien réels. Les circonstances du martyre
de Gabriel l’ermite ressemblent à celles des 20 martyrs de Mar Saba (martyrisés en mars
797). En effet, dans les deux cas, les bédouins en maraude ont attaqué les monastères
en quête de trésors et n’en ayant trouvé aucun, ont alors exécuté les moines sans
défense282. En effet, au cours de cette épisode, après avoir appris la mort d’Hārūn al-
Rachid (fa-adraka mawt Hārūn malik al-‘arab), les moines de la laure de Mar Chariton
sont inquiets et implorent Gabriel l’Ermite de s’enfuir avec eux. Cependant, celui-ci
refuse. Quelques jours plus tard, des bédouins (a‘rāb) attaquent la laure et torturent
Gabriel l’Ermite afin qu’il leur dise où sont cachés des trésors. N’en ayant trouvé aucun,
ils lui tranchent les artères et le pendent au-dessus de la vallée. Lorsque finalement la
corde rompt, il est précipité dans le vide et meurt. Quelques temps après, les moines
reviennent à la laure et retrouvent le corps du saint « exhalant une odeur délicieuse toute
parfumée »283(kānat tafūḥ minhi rāyiḥa ṭayyiba kull ‘aṭr)284. Ce dernier miracle est un
lieu commun de la description des corps des saints morts en martyr.
Gabriel l’Ermite a évidemment vécu à l’époque islamique car il est mort quelques jours après
le décès d’Hārūn al-Rachid, donc en 809.

Gabriel de Mar Chariton

Homonyme de Gabriel l’ermite, Gabriel (Ġabrīyal) de Mar Chariton est originaire de al-Balqā’,
en Transjordanie (rāhib min ahl al-balqā)285. Avant d’être tonsuré moine, « il fut secrétaire du

281
Ibid., p. 38.
282
Ibid., p. 17.
283
Ibid., p. 39.
284
Ibid., p. 27.
285
Ibid.

72
gouverneur du pays » (wa kāna kātibān li-l-wālī al-balad)286. Bien que cela ne soit pas explicité
dans le texte et qu’il n’apparaisse pas d’éléments permettant de dater l’époque à laquelle Gabriel
de Mar Chariton a vécu, qui peut être soit la période byzantine soit la période islamique ; il est
possible que ce gouverneur ait été un musulman. Lors de sa charge en tant que secrétaire du
gouverneur, Gabriel a du affronter la tentation en la personne de la belle femme du gouverneur
qui a tenté de le séduire. A ce moment du texte, le récit effectue une comparaison avec l’histoire
de Joseph et de la femme de Potiphar dans la Genèse. Tout comme Joseph, Gabriel, bien sûr,
résiste à la tentation. Lorsqu’il devint moine, Gabriel distribua tout ce qu’il possède aux autres
moines et aux pauvres et vécu dans une pauvreté extrême. Il pratiquait également régulièrement
des jeûnes prolongés287.

2) Ce que cette œuvre apporte à la compréhension de la situation linguistique

a) Une population monastique cosmopolite

À la lecture du Paterikon de Mar Chariton, la population monastique du monastère nous


apparaît comme résolument cosmopolite. En effet, pas un seul des sept saints moines de la laure
n’est originaire de la région de Jérusalem. Les moines originaires des régions les plus proches
sont Gabriel de Mar Chariton, originaire d’al-Balqa en Transjordanie (rāhib min ahl al-
balqā)288, Cosmas (Quzmā), originaire de la région d’Alep (rāhib suriānī, min ba‘aḏ qarā
Halab)289 et son disciple Théodore de Baalbek (Abbā Taḏrus Ba‘alabakī )290, originaire
probablement de la ville de Baalbek, dans la plaine de la Bekaa, située dans le Liban actuel.
Dans le passage sur Eustrate, est aussi évoqué un moine d’origine égyptienne, Abba Gabriel
(wa-kāna fīhum raǧul maṣrī yuqāla lahu Abbā Ġabrīyal)291. Provenant de régions plus
éloignées, Cyriaque, originaire de Corinthe (min ahl qūrinšā)292 et Eustrate, « issu d’une famille

286
Ibid.
287
Ibid., p. 18.
288
Ibid., p. 27.
289
Ibid., p. 25.
290
Ibid., p. 26.
291
Ibid., p. 24.
292
Ibid., p. 20.

73
noble de Sicile » (min ‘aẓimān ahl siqilīyya)293. Le moine André est, lui, dit d’origine
« franque » (ifranǧī), terme qui désigne à l’époque les habitants de l’Europe occidentale294.
Quant à Constantin, il est dit d’origine byzantine (raǧul rūmī)295, terme particulièrement vague
étant donné que ce saint pourrait avoir vécu tant à l’époque islamique ; auquel cas il pourrait
être originaire d’Asie Mineure ou du sud de la péninsule balkanique, les provinces byzantines
de l’époque, et encore ce n’est pas certain ; qu’à l’époque byzantine, où le terme de rūmī peut
désigner potentiellement n’importe quel habitant de l’Empire.
Ainsi, il ressort clairement de ce tableau rapide concernant la provenance géographique de ces
saints moines de la laure de Mar Chariton que ceux-ci sont d’origines pour le moins variées, de
l’Europe occidentale aux lisières de l’Arabie en passant par la Sicile, la Grèce et l’Égypte. Ce
cosmopolitisme des moines de Mar Chariton est une caractéristique originelle de son
recrutement, l’exemple étant même donné par le saint fondateur, Chariton, originaire
d’Iconium296, l’actuelle Konya, en Asie Mineure. Il se poursuit tout au long de l’époque
byzantine avec l’exemple de Cyriaque, originaire de Corinthe. À l’époque islamique suivante,
sont mentionnés des moines originaires des provinces anciennement byzantines de l’empire
islamique tels que Cosmas, originaire de la région d’Alep, son disciple Théodore de Baalbek et
le moine égyptien Gabriel ; cependant l’exemple d’Eustrate, originaire de Sicile, donc hors des
frontières de l’empire islamique, atteste que les circulations humaines avec le reste du monde
chalcédonien sont toujours possibles. Bien plus, Eustrate est dit, avant de devenir moine à Mar
Chariton, avoir été au service de l’empereur byzantin (malik al-rūm) et même général (ra’īs)
« en charge de la guerre » (tadbīr al-ḥurūb)297, soit, à minima, un haut gradé de l’armée
byzantine. Cette information semble à priori étonnante étant donné l’état de guerre quasi-
permanent entre l’empire abbasside d’une part et l’empire byzantin de l’autre aux VIIIe-IXe
siècles, époque à laquelle aurait vécu le saint.
L’auteur du Paterikon ajoute même au sujet d’Eustrate : wa-Allah yu‘ayinuhu wa-yuẓfiruhu bi-
a‘dā’ al-malik (« et Dieu l’aida et lui accorda la victoire sur les ennemis de l’empereur »)298, ce
qui implique qu’il dirigeait des armées byzantines et infligeait des défaites aux ennemis de

293
Ibid., p. 21.
294
Feodorov, Ioana, « Les Firanǧ – Francs, Européens ou catholiques ? Témoignage d’un chrétien syrien du XVIIe
siècle », Orientalia Christiana Periodica, volume 82, fascicule I, Rome, Institut Pontifical Oriental, 2016, pp. 183-
189.
295
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 19.
296
Garitte, Gérard, « La vie prémétaphrastique de S. Chariton », Bulletin de l’institut historique belge de Rome,
fascicule XXI, Bruxelles et Rome, 1941, p. 5-50, p. 11.
297
Treiger, Alexander, op. cit., p. 21.
298
Ibid.

74
l’empire, dont faisaient partie les armées de l’empire islamique. Même si cela n’est pas
complètement explicite, on peut supposer que l’auteur du Paterikon voit d’un bon œil ces
victoires byzantines car il utilise une formule avec le mot « Dieu » (Allah), qui désigne ici bien
évidemment le Dieu des chrétiens, dont l’empereur byzantin est supposé, du moins
théoriquement, être le champion.
Enfin l’auteur du Paterikon ajoute au sujet d’Eustrate que l’empereur byzantin et les nobles de
l’empire « l’aimaient beaucoup » (wa-yuḥibbūhu ǧiddān)299, ce qui traduit probablement une
grande proximité, si ce n’est une appartenance, d’Eustrate avec la cour de Byzance.
Ainsi, la lecture de ce passage du Paterikon nous montre bien qu’il était possible pour un grand
de l’empire byzantin tel qu’Eustrate de se retirer dans un monastère situé dans l’empire
islamique, généralement hostile, ce qui, a priori, ne va pas de soi. De plus l’auteur semble même
prendre le parti des Byzantins lorsqu’il évoque la carrière d’Eustrate, ce qui semble être un
indice que la domination islamique des califes abbassides sur la région du monastère de Mar
Chariton était vécue avec difficulté par l’auteur de l’œuvre et son milieu, gardant la nostalgie
de la domination byzantine, point sur lequel je reviendrai ultérieurement.
Ce passage concernant Eustrate nous invite également à nous interroger sur le type de milieux
dont provenaient les moines de Mar Chariton. En effet, Mathilde Boudier évoque dans sa thèse
la possibilité d’un caractère « aristocratique » du milieu monastique du désert de Judée300. Et
ce n’est pas une figure telle que celle de Jean Damascène, ministre des finances des califes
omeyyades, qui contredira cette assertion (référence nécessaire + prudence sur la biographie de
Jean Damascène). L’exemple d’Eustrate de Mar Chariton nous montre bien la réalité de ce
caractère aristocratique du recrutement de moines lettrés, et ce même dans un monastère moins
connu que Mar Saba, en plein premier siècle abbasside. De même, Gabriel de Mar Chariton est
dit explicitement appartenir à l’élite lettrée, étant donné qu’il a servi en tant que secrétaire
(kātib) du « gouverneur du pays » (wālī al-balad)301. L’appartenance à l’élite lettrée est
cependant moins claire pour les autres moines cités dans l’œuvre car, à ma connaissance, il
n’est pas fait mention de leur milieu d’origine.

b) La place de la langue arabe écrite et parlée


La langue arabe écrite : du moyen arabe ?

299
Ibid.
300
Boudier, Mathilde, L’Église melkite en Syrie-Palestine (VIIè-Xè siècle). Des chrétiens de Byzance à L’Islam,
2021 (non publié), p. 252.
301
Treiger, Alexander, op. cit., p. 27.

75
Le texte édité par Alexander Treiger et que celui-ci a baptisé le Paterikon de Mar Chariton est
rédigé en langue arabe. Il s’agit, cependant d’un type d’arabe spécifique : le moyen arabe
palestinien du sud, que l’on distingue de l’arabe classique coranique (al-‘arabiyya al-fuṣḥā ou
plus simplement ‘arabiyya). En effet, d’après Joshua Blau, les chrétiens melkites étaient moins
rigoureux dans leur usage de la ‘arabiyya que leurs contemporains musulmans qui souhaitaient
généralement respecter au mieux les règles de la langue coranique, considérée par eux comme
issue directement de la révélation et par conséquent parfaite. Ainsi, les auteurs chrétiens
melkites des premiers siècles de l’Islam rédigeaient des écrits contenant un certain nombre de
divergences d’ordre linguistique avec l’arabe classique. C’est cette langue, plus proche de la
langue parlée dans le sud de la Palestine à cette époque qui a été appelée par lui arabe palestinien
chrétien du sud, un type de moyen arabe, une langue intermédiaire entre l’arabe classique et les
dialectes arabes d’aujourd’hui302.
Cette conception du moyen arabe semble être issue directement de celle décrite brièvement par
le philologue allemand Johann Wilhelm Fück dans l’Encyclopédie de l’Islam, entrée
‘ARABIYYA, section « le moyen arabe », dans laquelle il écrit :
« Le moyen arabe fut […] adopté par les Chrétiens de Palestine, de Syrie et de
Mésopotamie, ainsi que par les Juifs orientaux, qui l’utilisèrent même pour leurs
activités littéraires à partir du IIe/VIIIe siècle ; cependant, chez les Arabes musulmans,
la langue classique demeurait l’idiome littéraire proprement dit. »303
Dans un article paru en 2001, l’arabisant Pierre Larcher critique largement, à la fois le concept
de moyen arabe en tant qu’intermédiaire entre la langue coranique et les différents dialectes
arabes parlés actuellement, et le principe d’une division confessionnelle nettement observable
dans les textes induisant la formation de différents types de moyen arabe selon la religion de
leur auteur304. En effet, il considère l’idée du moyen arabe comme un véritable « chaînon
manquant » (missing link)305 entre la langue du Coran et la diversité dialectale actuelle que
Johann Wilhelm Fück laisse entendre et que Joshua Blau explicite est un héritage d’une certaine

302
Blau, Joshua, « A Melkite Arabic Literary Lingua Franca from the Second Half of the First Millennium »,
Bulletin of the School of Oriental and African Studies, University of London, Londres, Vol. 57, No. 1, In Honour
of J. E. Wansbrough (1994), 1994, p. 14.
303
Encyclopédie de l’Islam en ligne (EI2), éd : P.J. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel, et W.P.
Heinrichs, Leyde, Brill, seconde édition, 1954-2005, entrée : ‘Arabiyya, langue et littérature arabes, section : A-
La langue arabe (‘Arabiyya), II- La langue littéraire, 3- le moyen arabe, passage écrit par J. W. Fück,
https://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/arabiyya-COM_0061
304
Larcher, Pierre, « Moyen arabe et arabe moyen », Arabica, t. 48, fasc. 4, Leyde, Brill, 2001, pp. 578-609.
305
Blau, Joshua, « A Grammar of Christian Arabic: Based mainly on South-Palestinian texts from the First
Millennium », Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, Louvain, 1966-1967, vol. 267, p. I.

76
« conception « allemande » du moyen arabe »,306 d’une époque où les philologues et linguistes
originaires du monde germanophone dominaient dans ce champ d’étude. De plus, Pierre
Larcher considère, à l’instar de Simon Hopkins307, que Joshua Blau a également été trop loin
dans la confessionnalisation du moyen arabe en distinguant systématiquement, l’arabe chrétien
et le judéo-arabe d’une part et l’arabe des auteurs musulmans de l’autre308.
Enfin, Pierre Larcher propose de restreindre, voire d’abandonner complètement, l’usage du
terme « moyen arabe », traduction de l’anglais Middle Arabic, et d’utiliser plutôt le terme
d’« arabe moyen », qui rend le concept anglo-saxon de Mixed Arabic. Le terme d’arabe moyen
présente l’avantage de mettre l’accent sur la dimension construite de cette langue309, entre un
désir de leurs rédacteurs auteurs de se rapprocher le plus possible du style coranique et une
réalité où les tournures et emprunts à la langue parlée sont nombreux.
Une critique encore plus radicale de la notion d’ « arabe chrétien » développée par Joshua Blau
émane de Samir Khalil Samir. En effet, pour cet auteur, de même que pour l’arabisant Gérard
Troupeau, celle-ci n’existe tout simplement pas. La langue arabe dans laquelle les œuvres
chrétiennes ont été écrites est fondamentalement la même que celle utilisée par les auteurs
musulmans, la seule différence notable provenant du vocabulaire parfois utilisé par les auteurs
chrétiens relatif à des réalités spécifiques à leur religion. S’il est parfois possible de repérer des
tournures syntaxiques dialectales dans certains textes arabes chrétiens, il en va de même pour
les textes d’auteurs musulmans de la même région et à la même époque310. Selon Samir Khalil
Samir, ce sont ses travaux sur le judéo-arabe qui ont induit Joshua Blau en erreur. En effet, par
analogie avec la situation linguistique des communautés juives du Proche-Orient ; dont les
auteurs écrivaient l’arabe en alphabet hébraïque et auraient développés une véritable langue
propre, différente de celle des musulmans, il en aurait déduit, à tort, l’existence d’un
« christiano-arabe »311.

306
Larcher, Pierre, op. cit., p. 585.
307
Hopkins, Simon, Studies in the grammar of early Arabic: based on papyri datable to before 300 A.H./912 A.D.,
London Oriental Series, Vol. 37. x1vii, Oxford, Oxford University Press, 1984, 309 pp.
308
Larcher, Pierre, op. cit., pp. 594-596.
309
Ibid., pp. 604-606.
310
Troupeau, Gérard, « La littérature arabe chrétienne du Xe au XIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale,
Poitiers, n°53, 1971, p. 5 et Samir, Samir Khalil, « Existe-t-il une grammaire arabe chrétienne ? », in Samir,
Samir Khalil (éd.), Actes du premier congrès international d’études arabes chrétiennes, dans Orientalia
Christiana Analecta, n°218, Rome, Institutum Studiorum Orientalium, 1982, p 59.
311
Samir, Samir Khalil, « Existe-t-il une grammaire arabe chrétienne ? », in Samir, Samir Khalil (éd.), Actes du
premier congrès international d’études arabes chrétiennes, dans Orientalia Christiana Analecta, n°218, Rome,
Institutum Studiorum Orientalium, 1982, pp. 56-58.

77
Quoi qu’il en soit, je constate, malgré des connaissances limitées en arabe, que la langue écrite
dénommée par Joshua Blau « arabe palestinien chrétien du sud » dans laquelle a été écrite le
Paterikon de Mar Chariton est en fait très proche d’al-‘arabiyya al-fuṣḥā. Il me paraît donc
pertinent de conserver cette appellation ; il suffit d’en retrancher le terme « chrétien », dû à une
confessionnalisation sans doute excessive de la part de Joshua Blau. J’obtiens ainsi le terme
« arabe palestinien du sud » que j’utiliserai dorénavant pour parler de l’idiome du Paterikon.
Comme vu précédemment, les épisodes du Paterikon de Mar Chariton concernant Cyriaque et
Eustrate sont probablement tirés de textes en arabe. En effet, trois épisodes du passage sur
Eustrate sont tirés des Miracles de Saint-Eustrate, une œuvre probablement composée
directement en arabe. De même, le passage sur Cyriaque est très probablement tirée d’une
traduction arabe de la Vie de Kyriakos de Cyrille de Scythopolis. Ainsi, l’on constate que le
Paterikon est une œuvre écrite en langue arabe qui puise ses références probablement dans
d’autres œuvres rédigées en arabe. Il y aurait donc eu, dès l’époque de sa rédaction, un corpus
d’œuvres rédigées en arabe palestinien du sud qui a servi de modèle et de source d’inspiration
pour son auteur anonyme.

La langue arabe parlée

Dans l’Encyclopédie de l’Islam, Johann Wilhelm Fück développe également, dans une série
d’hypothèse phonologiques et stylistiques, ce qu’aurait sans doute été la prononciation et le
style de ce « moyen arabe » ou arabe moyen ?, dont l’arabe palestinien du sud fait partie :

« [Les dialectes locaux du moyen arabe] se caractérisaient par une prononciation


simplifiée : l’occlusive glottale [hamza] était éliminée ; le [qāf], sonore dans les parlers
bédouins, devint une sourde; les sons emphatiques et leurs correspondants non-
emphatiques se trouvaient confondus, de même que ḍād et ẓā’; dans les régions où
l’araméen avait été la langue dominante, les spirantes interdentales étaient remplacées par
les occlusives correspondantes. Mais le trait le plus frappant du moyen arabe est
l’affaiblissement, puis la disparition des voyelles finales brèves finales, et concurremment,
l’abandon des flexions désinentielles (i‘rāb), qui eut des conséquences importantes sur la
structure du langage312. L’ancien système des flexions tomba en désuétude ; les cas, les
états, les modes ne se distinguèrent plus. Les fonctions correspondantes étaient désormais

312
Cantineau, Jean, « Compte rendu de Fück (1950) », Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, XLVIII, 2,
Paris, 1952, pp. 110-113.

78
exprimées par l’ordre des mots, par des expressions périphrastiques, et par d’autres
procédés familiers aux langues de type analytique. »313

Cependant, il semble, d’après Pierre Larcher, que ce système de flexion sur lequel Johann
Wilhelm Fück insiste tant ne soit en fait que d’une importance toute relative, même en arabe
classique coranique314.
Concernant la place de la langue arabe parlée dans le Paterikon, il est écrit que Gabriel de Mar
Chariton est originaire de Transjordanie, on peut donc supposer qu’il a probablement eu l’arabe
comme langue maternelle.

c) La langue grecque, autrefois prestigieuse, et désormais en


déclin ?

Il n’y a pas de traces directes de la présence de la langue grecque dans le Paterikon de Mar
Chariton, mais de nombreux mots d’origine grecque transcrits en arabe dans le texte, à
commencer par les noms des moines qui sont d’origine grecque (André, Constantin, nom
d’origine latine mais passé en grec, Cyriaque et Cosmas) et présence de nombreux mots grecs
translittérés en arabe dans le texte de l’œuvre, notamment dans le domaine liturgique et de la
vie du monastère :
- Constantin : biribaṭāra, d’après Alexander Treiger du grec epirripparion, le
manteau du moine315, al-aḏiyaquniqūn (du grec diakonikon, une pièce au sud de
l’autel de l’église dans laquelle sont conservés les habits et les livres liturgiques)316.
- Eustrate : al-kimitīr du grec koimètèrion, « le cimetière »317, wuktūriyat(ihi), peut-
être du grec oikètèrion (lieu de résidence, habitation) même si la translittération
apparaît étrange318, Īrīnī , du grec eirènè, la « paix » (wa-ḫaraǧū yu‘ṭū al-abahāt
īrīnī)319, ici utilisé dans le sens de « donner la paix », peut-être utilisé comme

313
Encyclopédie de l’Islam en ligne (EI2), éd : P.J. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel, et W.P.
Heinrichs, Leyde, Brill, seconde édition, 1954-2005, entrée : ‘Arabiyya, langue et littérature arabes, section : A-
La langue arabe (‘Arabiyya), II- La langue littéraire, 3- le moyen arabe, passage écrit par J. W. Fück,
https://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/arabiyya-COM_0061
314
Larcher, Pierre, « Moyen arabe et arabe moyen », Arabica, t. 48, fasc. 4, Leyde, Brill, 2001, pp. 583-588.
315
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 19.
316
Ibid.
317
Ibid., p. 23.
318
Ibid., p. 24.
319
Ibid.

79
équivalent de l’arabe salām, la « paix » mais avec une connotation religieuse
chrétienne. Lors de l’épisode 11, celui dans lequel un moine souhaite consommer
en cachette de la viande alors que c’est interdit dans la laure et dont Eustrate devine
l’intention et qu’il parvient à surprendre juste avant qu’il n’accomplisse son forfait :
maḥabba, l’ « amour », selon Alexander Treiger calque du grec agapè dans la
phrase ištahaytu al-yawm a‘mal ma‘aka maḥabba (« J’aimerais [partager ce repas
avec] amour avec toi aujourd’hui »)320 dans le sens des « agapes », c’est-à-dire un
repas à caractère religieux chrétien destiné à entretenir l’ « amour » dans la
communauté. L’usage de ce calque atteste, il me semble, une bonne maîtrise du grec
de l’auteur et aussi d’un certain sens de l’ironie, la consommation de viande interdite
allant évidemment totalement à l’encontre de l’idéal de ces agapes chrétiennes.
- Cosmas : Al-ibrusūḫāḏin du grec proseukhathion (oratorium, salle de prière) dans
le passage fa-l-taqaynā fī al-ibrusūḫāḏin, « nous nous sommes retrouvés dans la
salle de prière »321.

Comme il a été vu précédemment, l’épisode concernant Cyriaque est tiré originellement d’une
Vie en grec et il est même possible que l’épisode sur Eustrate ait été tiré originellement
également d’un texte en grec.
À mon avis, tous ces indices d’ordre linguistique attestent d’un maintien de la connaissance de
la langue grecque et de la culture hellénique dans le monastère de Mar Chariton au moment de
la rédaction du Paterikon, même si cette connaissance est sans doute de plus en plus restreinte
à une élite ecclésiastique.

d) La persistance de la langue syriaque (et de l’araméen


palestinien) ?

Araméen

Dans le Paterikon de Mar Chariton, on ne trouve, à ma connaissance, pas de traces du dialecte


araméen palestinien qui possédait des locuteurs aux premiers siècles de la période islamique.

320
Ibid., p. 26.
321
Ibid.

80
Cependant Cosmas est dit « moine syrien » (rāhib suriānī)322, donc sans doute locuteur du
syriaque d’après la traduction d’Alexander Treiger323, ou au moins un locuteur d’un dialecte
araméen de Syrie du Nord. De même, probablement, pour son disciple Théodore de Baalbek
(Abbā Taḏrus Ba‘albakī)324, lui aussi originaire d’une région du Proche-Orient où l’araméen
est parlé à cette époque.

Syriaque

Dans la partie du Paterikon consacrée à Eustrate, se trouve un épisode fort intéressant dans
lequel est racontée une prédiction du saint qui conseille à l’un des moines du nom d’Abramius
(Abrāmah) « d’apprendre le syriaque » (ān tata‘allam bi-l-suryāniyya) afin de « devenir abbé
du monastère » (anta takūn rā’s dayr) de Mar Chariton. Il est ensuite écrit qu’Abramius « apprit
le syriaque » (fa-ba‘d mudda ta‘allama al-suryāniyya) et « devint abbé de la laure » (ṣayyarūhu
ra’īs ‘alā al-sīq) de Mar Chariton.
Ici le terme de suryāniyya désigne la langue syriaque ; à l’origine le dialecte araméen d’Édesse
en Haute-Mésopotamie, élevé au rang de langue littéraire, qui devint, entre autres, la langue
véhicule privilégiée d’expression des Églises jacobites et nestoriennes, mais aussi utilisée aussi,
dans une moindre mesure, par les melkites325. Ce passage du Paterikon montre bien que la
maîtrise de la langue syriaque est requise pour ceux qui souhaitent monter dans la hiérarchie du
monastère.

3) La représentation de l’islam et des musulmans

a) Des maîtres ?

Le calife Hārūn al-Rašīd


Lors du passage sur le martyre de Gabriel l’Ermite, il est écrit : fa-udrika mawt Hārūn malik
al-‘arab wa-iftutinat al-dunyā326, ce qui signifie : « Puis lorsqu’on prit conscience que Hārūn
al-Rachid le roi des Arabes était mort, de grands conflits apparurent dans le monde entier ».

322
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 25.
323
Ibid., p. 35.
324
Ibid., p. 26.
325
Voir Briquel-Chatonnet, Françoise et Debié, Muriel, Le monde syriaque. Sur les routes d’un christianisme
ignoré, Paris, Les Belles Lettres, 2017.
326
Treiger, Alexander, op. cit., p. 27.

81
Alexander Treiger traduit d’ailleurs la dernière partie de la phrase de manière moins littérale
car il écrit : « […] le monde fut plongé dans la guerre » (« […] the world was plunged into
strife »)327.
On constate que, dans le texte, le calife Hārūn al-Rašīd est qualifié de « roi des Arabes » (malik
al-‘arab) et que, deux lignes plus loin, les individus qui vont torturer et assassiner Gabriel
l’Ermite sont appelés des « Arabes bédouins » par l’utilisation du terme al-a‘rāb328. Selon Peter
Webb, l’usage dans le texte de ces deux termes d’al-‘arab et d’al-a‘rāb, à priori liés car, selon
les règles morphologiques de la langue arabe, a‘rāb est le pluriel d‘arab329, est éminemment
significatif d’un moment particulier dans l’histoire de l’élaboration de l’identité arabe. Tout
d’abord, le terme al-‘arab désigne lui-même toujours un collectif. Il est rendu en français
comme « les Arabes », le mot correspondant pour désigner un seul Arabe étant ‘arabī, tout
indique donc qu’al-‘arab d’une part et al-a‘rāb de l’autre sont deux termes à l’origine
distincts330. Cette hypothèse semble corroborée par l’usage de l’adjectif ‘arabī dans le texte
coranique qui n’est jamais associé au terme a‘rāb qui désigne déjà les populations bédouines,
reprenant sans doute un usage préislamique, et semble même en opposition avec lui331. En fait
cette association des deux mots ‘arab et a‘rāb serait le fruit des recherches philologiques sur la
langue arabe effectuée dans les milieux érudits musulmans irakiens aboutissant à la construction
du concept d’arabité, lié à l’islam, à partir de la seconde moitié du IXe siècle. En effet, pour ces
philologues, la langue arabe la plus « parfaite » serait celle des parlers bédouins de l’Arabie,
par opposition à la langue des centres urbains du ‘Irāq, considérée comme corrompue. Par
glissement, les bédouins se seraient retrouvés idéalisés à partir du siècle suivant, au point de
devenir un idéal de l’identité arabe naissante et que le couple de termes ‘arab/a‘rāb se serait
retrouvés étroitement associé dans la ‘arabiyya332. Étant donné que le Paterikon a très
probablement été rédigé précisément au Xe siècle dans le milieu monastique du désert de Judée,
donc géographiquement et culturellement éloigné des élites irakiennes musulmanes,
l’utilisation de ces deux termes pour désigner deux réalités très différentes, soit d’une part une
évocation de la dimension impériale du pouvoir du calife Hārūn al-Rašīd par l’expression malik
al-‘arab et des bédouins pillards de l’autre par le terme al-a‘rāb témoigne peut-être que cette

327
Ibid., p. 38.
328
Ibid.
329
Webb, Peter, Imagining the Arabs: Arab Identity and the Rise of Islam, Édimbourg, Edinburgh University
Press, 2016, p. 121 et p. 320.
330
Ibid., p. 347, note 132.
331
Ibid., p. 121.
332
Ibid., p. 337.

82
conception nouvelle de l’arabité liée au monde bédouin n’a pas encore pénétré le milieu
monastique du désert de Judée.
Il est également intéressant de noter que le calife Hārūn al-Rašīd est nommé malik al-‘arab,
appelation qui reprend ce terme al-‘arab pour désigner le pouvoir arabo-islamique, et non pas
une translittération du terme grec de Sarakenoi ou syriaque de Ṭayyāyē, deux mots utilisés
classiquement dans ces langues pour désigner les Arabes333. En fait, le terme de al-‘arab
désigne ici probablement les musulmans334, ce qui introduit une distance avec les chrétiens
melkites des monastères du désert. En effet, si le calife est nommé par une expression le
désignant comme le « roi des musulmans », il n’est implicitement pas considéré comme un
souverain légitime par l’auteur du Paterikon, lui-même chrétien. Cette dénomination induisant
une distance, voire un manque de légitimité, contraste avec les termes élogieux, presque
chaleureux, avec lesquels sont nommés son grand rival, le malik al-rūm (« l’Empereur
byzantin »)335 dans le passage sur la vie d’Eustrate. Il est ainsi possible que cette différence de
traitement dans la façon d’évoquer les deux souverains reflète une plus grande proximité
idéologique de l’auteur du Paterikon avec l’empereur byzantin et une domination subie à regret
du calife, même si ce dernier est le souverain incontesté de la région.

Le secrétaire Gabriel de Mar Chariton


Dans le passage sur Gabriel de Mar Chariton, celui-ci est dit avoir été secrétaire (Kātib) du
gouverneur du pays (wālī al-balad) avant d’être moine336. Ce gouverneur était-il musulman ?
Oui probablement selon Alexander Treiger337, cependant cet avis doit être nuancé. En effet, il
n’existe dans le passage aucune preuve incontestable pouvant indiquer l’époque à laquelle
aurait vécu le saint. Si les termes kātib338 pour « secrétaire » et de wālī339 pour « gouverneur »
peuvent laisser penser à priori à un contexte islamique, il peut tout autant s’agir d’une
« traduction » à l’époque islamique à laquelle a été rédigée cette œuvre d’une réalité de l’époque
byzantine.

333
Ibid., p. 150-151.
334
Ibid., p. 151.
335
Treiger, Alexander, op. cit., p. 21.
336
Treiger, Alexander, op. cit., p. 27.
337
Ibid., p. 18.
338
Encyclopédie de l’Islam en ligne (EI2), éd : P.J. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel, et W.P.
Heinrichs, Leyde, Brill, seconde édition, 1954-2005, entrée : Kātib, https://referenceworks-brillonline-
com.ezpaarse.univ-paris1.fr/entries/encyclopedie-de-l-islam/katib-
COM_0466?s.num=0&s.f.s2_parent=s.f.book.encyclopedie-de-l-islam&s.q=katib
339
Ibid., entrée : Wālī, https://referenceworks-brillonline-com.ezpaarse.univ-paris1.fr/entries/encyclopedie-de-l-
islam/wali-SIM_7842?s.num=2&s.f.s2_parent=s.f.book.encyclopedie-de-l-islam&s.q=wali

83
Dans le reste de l’œuvre, cependant, il n’est pas fait mention du pouvoir musulman, il est
quasiment ignoré. Par conséquent il n’apparaît ni comme spécialement bienveillant ni comme
une menace.

b) Un danger occasionnel ? La mort en martyr de Gabriel l’Ermite

Lors du passage du Paterikon de Mar Chariton, il est écrit que le saint appelé Gabriel l’Ermite
(Ġabrīyal al-Ḥabīs) meurt à la suite d’une attaque d’Arabes (al-a‘rāb)340, c’est-à-dire de
bédouins dans ce contexte car le mot ‘arab est ici utilisé dans son sens premier d’habitant du
désert. De plus, l’attaque est dite avoir eu lieu peu après la mort d’Hārūn al-Rachid, soit en
809341. A cette date, ce n’est pas la première fois que des bédouins s’en prennent aux monastères
du désert de Judée. Déjà, avant l’islam et au moment de l’invasion perse, à la faveur du chaos
occasionné, de nombreux monastères du désert furent livrés au pillage. Plus récemment, en 797,
c’est le monastère de Mar Saba qui est pillé par les tribus bédouines avoisinantes de ce
monastère comme le relate la Passion des vingt moines sabaïtes.
Ce pillage de la laure de Mar Chariton peu après la mort d’Hārūn al-Rachid correspond avec
les informations qui nous ont été transmises par la Chronographie attribuée à Théophane le
Confesseur dans laquelle il relate la guerre civile qui faisait alors rage en Palestine à cette
époque, ce qui entraîna la destruction de nombreuses églises de Jérusalem ainsi que la
destruction des laures de Mar Chariton, Mar Saba et celle des cenobia de Saint-Euthyme et
Saint-Théodose342. Même si certains auteurs comme Sidney Griffith considèrent que le récit
attribué à Théophane le Confesseur est très exagéré343, d’après Alexander Treiger de
nombreuses exactions contre les moines du désert de Judée furent bel et bien commises durant
cette période344. Ce point de vue est d’ailleurs corroboré par le récit du martyr de Gabriel
l’Ermite, dont il est dit qu’il eut « les artères tranchées comme celles d’un mouton, attaché à
une corde et suspendu au-dessus de la vallée » (šaqquū ‘arūqahu miṯl al-šāa wa-nuwwuṭūhu bi-

340
Treiger, Alexander, op. cit., p. 27.
341
Ibid., p. 17.
342
Mango, Cyril et Scott, Roger avec l’aide de Greatrex Geoffrey, The Chronicle of Theophanes Confessor:
Byzantine and Near Eastern History AD 284-813, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 665.
343
Griffith, Sidney H., « Greek into Arabic: life and letters in the monasteries of Palestine in the ninth century: the
example of the Summa theologiae arabica », Arabic Christianity in the Monasteries of Ninth-Century Palestine,
Aldershot/Brookfield, Variorum, 1992, VIII [reprint de Byzantion, 56 (1986)], p. 117.
344
Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian
Lavra of Mar Chariton », Chronos, Revue d’histoire de l’Université de Balamand, 38 (2018), p. 17.

84
ḥabl wa-‘allaqūhu ilā al-wādī) par les bédouins, furieux de n’avoir trouvé aucun trésor.
« Quand la corde se rompit, il tomba et mourut » (fa-inqaṭa‘a al-ḥabl wa-waqa‘a fa-mawt)345.
Les bédouins à l’origine de ces atrocités étaient-ils musulmans ? D’après David Vila, qui étudia
dans un article le vocabulaire utilisé pour désigner les bédouins dans la Passion des vingt
moines sabaïtes, ceux-ci sont avant tout considérés par les moines comme « sans Dieu »
(godless ones), « porteurs de lance du Diable » (spear-bearers of the devil), « saracènes »
(saracens, terme utilisé classiquement dans la littérature de langue grecque pour désigner les
Arabes du désert) et surtout « barbares » (barbarians)346. Ainsi l’accent est mis dans cette
description des bédouins qui attaquent les monastères sur leur sauvagerie, leur caractère « sans
foi ni loi » sans référence particulière à l’islam. Pourtant, d’après Christian Sahner, il est écrit
dans la Passion des vingt martyrs sabaïtes que le premier moine de Mar Saba à avoir été
décapité l’aurait été par « un des apostats », ce qui, selon Christian Sahner, indique que les
bédouins seraient musulmans, mais seulement depuis une date récente : les tribus arabes
bédouines qui nomadisaient dans le désert de Judée et la région de la mer morte seraient passées
du christianisme à l’islam à cette période. Ainsi, les bédouins qui ont attaqué et pillé le
monastère de Mar Saba étaient loin d’être des inconnus pour les moines, car ils nomadisaient
dans la région depuis des siècles et leur conversion récente à l’islam ne semble pas avoir changé
en profondeur la nature de leurs relations avec les monastères347. Ceux-ci coexistaient
généralement pacifiquement, mais, en temps de crise et de disette, les bédouins devenaient alors
un grave danger pour les moines car ceux-ci convoitaient les richesses, réelles ou imaginaires,
des monastères.
Il est ainsi possible d’appliquer ces conclusions concernant la Passion des vingt moines sabaïtes
aux bédouins qui ont attaqué la laure de Mar Chariton, entraînant la mort de Gabriel l’Ermite,
une dizaine d’années plus tard. Ces bédouins seraient ainsi musulmans depuis peu de temps,
mais avant tout à la recherche de biens à piller avant toute considération d’ordre religieuse.

c) Des voisins ?

L’inégale islamisation de la Palestine aux premiers siècles de l’Islam

345
Ibid., p. 27.
346
Vila, David, “The Struggle over Arabisation in Medieval Arabic Christian Hagiography”, Al-Masaq: Islam and
the Medieval Mediterranean, Oxford, Vol. 15, 203, p. 37.
347
Sahner, Christian C., Christian martyrs under Islam: religious violence and the making of the Muslim world,
Princeton, Princeton University Press, 2018, pp. 821-821 (format epub).

85
Comme l’écrit le célèbre géographe musulman al-Muqaddasī, auteur d’une monumentale
description des pays de l’Islam rédigée vers 985, lui-même né à Jérusalem, dans un passage
repris par Anne-Eddé où il décrit sa ville natale :

Les savants (musulmans y) sont rares ; les chrétiens sont nombreux, et se conduisent de
manière grossière dans les lieux publics (…) Les jurisconsultes sont isolés, les lettrés sont
négligés, les écoles sont délaissées, et il n’y a pas d’instruction. Partout chrétiens et juifs
dominent. Il n’y a ni réunion ni assemblée à la mosquée. »348

Cette faible présence musulmane dans la ville et sa région constatée par le géographe vers la
fin du Xe siècle en ferait un bastion chrétien en Palestine. Cette théorie est corroborée par Milka-
Levy-Rubin, qui considère que le centre de la Palestine est resté longtemps une région à
majorité chrétienne, contrairement à la côte dépeuplée par l’émigration consécutive à la
conquête et repeuplée par des populations islamisées349. De même Gideon Avni, pour qui
Jérusalem reste largement peuplée de chrétiens et de Juifs350 malgré la construction d’imposants
monuments islamiques dans cette ville, le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa, dès le règne
des Omeyyades351.
Pourtant il n’est nul besoin d’aller bien loin de la Ville Sainte pour trouver dès cette époque
d’importantes populations musulmanes. Ainsi la ville de Ramla, fondée en 715-717, soit
environ quatre-vingts ans après la conquête par le pouvoir musulman en la personne du
gouverneur de Palestine et futur calife Sulaymān b. ‘Abd al-Malik, située à une cinquantaine
de kilomètres au nord-ouest de Jérusalem sur la route de Césarée Maritime est, bien sûr, dès
l’origine, une ville à majorité musulmane352. Dominée par la Mosquée Blanche, elle accueille
cependant probablement aussi des chrétiens et des Juifs353. Ramla, conçue dès sa création
comme la capitale de la province de Palestine (Filasṭīn) devint rapidement une ville prospère,

348
Eddé, Anne-Marie, Micheau, Françoise, Picard, Christophe, Communautés chrétiennes en pays
d’Islam. Du début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 20, voir aussi Al-
Muqaddasī, Aḥsan al-Taqāsīm fī Ma‘arifat al-Aqālīm (La meilleure répartition pour la connaissance des provinces)
traduction partielle et annotations par Miquel, André, Damas, Institut français de Damas, 1963, p. 188 (autre
traduction).
349
Levy-Rubin, Milka, « Changes in the Settlement Pattern of Palestine Following the Arab Conquest », dans
Shaping the Middle East: Jews, Christians, and Muslims in an Age of Transition 400-800 C.E., éd. Holum,
Kenneth G. et Lapin, Hayim, Bethesda, University Press of Maryland, 2011, p. 171-172.
350
Avni, Gideon, « Continuity and Change in the Cities of Palestine during the Early Islamic Period: The Cases
of Jerusalem and Ramla », Shaping the Middle East: Jews, Christians, and Muslims in an Age of Transition 400-
800 C.E., éd. Holum, Kenneth G. et Lapin, Hayim, Bethesda, University Press of Maryland, 2011, p. 116.
351
Ibid., p. 123.
352
Ibid.
353
Ibid., p. 131.

86
son centre économique, remplaçant Césarée Maritime qui tenait ce rôle à l’époque byzantine
précédente354.

La conversion à l’islam du moine Abba Gabriel

Dans le passage concernant Eustrate du Paterikon de Mar Chariton, se trouve un épisode fort
intéressant relatif aux conversions à l’islam. En effet, il relate qu’un moine « égyptien » (raǧul
maṣrī) du nom de Abba Gabriel (Abbā Ġabrīyal) se serait converti à l’islam à la suite d’un
voyage en Égypte (ḫaraǧa ilā miṣr wa-aslama bihā). Eustrate aurait su à l’avance ce qui allait
advenir et c’est pourquoi il lui aurait interdit de porter le « Grand Habit » (al-azkīm al-kabīr),
soit le grade le plus avancé du monachisme orthodoxe, et aurait déclaré abruptement : Pourquoi
l’avez-vous autorisé ? à porter le Grand Habit « alors qu’il n’est même pas chrétien » (wa-laysa
huwa naṣrānī) ? Ce terme de naṣrānī est intéressant car il s’agit d’un terme coranique servant
à désigner les chrétiens. Ce terme est en fait utilisé ici pour désigner les chrétiens par rapport
aux musulmans alors que c’est le terme de masīḥī qui est privilégié par les chrétiens pour se
définir entre eux355.
Je pense que cet épisode de la conversion à l’islam du moine Abba Gabriel en Égypte est évoqué
dans le passage du Paterikon relatif à Eustrate car celle-ci a dû faire forte impression sur l’auteur
et refléter un mouvement de conversions à l’islam parmi les chrétiens melkites important à
l’époque de sa rédaction. Cependant, il devait tout de même être rare qu’un moine, de plus
provenant d’un monastère aussi prestigieux que celui de Mar Chariton, se convertisse à l’islam.
Cette figure de moine défroqué et converti à l’islam a dû ainsi faire l’effet d’un contre-exemple,
voire d’un repoussoir marquant pour la communauté des moines de la laure de Mar Chariton à
qui étaient destinés en priorité ces vies de saints moines du Paterikon de Mar Chariton.

354
Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance, I. Vie et Passion
de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux martyrs, Paris, Éditions de la Sorbonne,
BYZANTINA SORBONENSIA, 2021, p. 17.
355
Encyclopédie de l’Islam en ligne (EI2), éd : P.J. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel, et W.P.
Heinrichs, Leyde, Brill, seconde édition, 1954-2005, entrée : Naṣārā, passage écrit par Fiey Jean-Maurice,
https://referenceworks-brillonline-com.ezpaarse.univ-paris1.fr/entries/encyclopedie-de-l-islam/nasara-
COM_0848?s.num=0&s.f.s2_parent=s.f.book.encyclopedie-de-l-islam&s.q=nasara

87
88
Conclusion

Dans le cadre de ce mémoire, j’ai tout d’abord effectué un bilan historiographique des
données rassemblées concernant le monastère de Mar Chariton à l’heure actuelle. Tout d’abord,
il a été vu que le désert de Judée abritait un ensemble d’établissements monastiques unique, au
prestige considérable dans tout le monde chalcédonien. Véritable « cité des moines » à l’époque
byzantine, ce complexe monastique a sans doute des dimensions plus modestes à l’époque
islamique suivante, bien que ce point reste discuté dans l’historiographie mais perpétue une
production textuelle importante et variée, avec une nouveauté : l’adoption de l’arabe comme
langue écrite.
Au sein du milieu monastique du désert de Judée, le monastère de Mar Chariton apparaît comme
l’un des établissements les plus anciens, les plus importants et les plus prestigieux. Cependant,
dans les sources, il reste généralement dans l’ombre de son grand rival, le monastère voisin de
Mar Saba. D’un point de vue plus global, le monastère de Mar Chariton s’insère dans le réseau
des monastères du désert de Judée. Pour ce qui concerne la situation linguistique aux premiers
siècles de l’Islam, on constate, outre l’irruption d’une nouvelle langue impériale, l’arabe, qui
acquiert le statut de langue écrite. L’usage de la langue grecque, lui, semble en déclin, réduit de
plus en plus à la liturgie. Quant à l’araméen palestinien, il s’éteint, alors que le syriaque semble
se maintenir que le géorgien est présent, à la fois comme langue parlée et écrite.

Après avoir brossé un tableau rapide de l’ensemble de la production textuelle des


monastères du désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam, en s’attardant cependant sur le
rôle essentiel joué par la bibliothèque du monastère Sainte-Catherine du Sinaï dans la
constitution de ce corpus, je me suis attaché à faire un panorama de l’ensemble des sources liées
à Mar Chariton. J’ai ainsi distingué la production textuelle provenant peut-être de Mar Chariton
de celle qui évoque seulement ce monastère. Au sein des textes provenant peut-être de Mar
Chariton, j’ai différencié deux grands types d’œuvres : des traités apologétiques de la religion
chrétienne et du dogme chalcédonien d’une part et une littérature hagiographique de l’autre.
J’ai aussi constaté l’existence probable d’une activité de copie et de traduction de textes,
notamment vers l’arabe et le géorgien, au sein du monastère.
J’ai également passé en revue les textes qui évoquent Mar Chariton mais composés hors du
monastère. Il s’agit d’œuvres hagiographiques issues du milieu monastique du désert de Judée
et de textes issus de la littérature byzantine.

89
Parmi cette production littéraire liée au monastère de Mar Chariton, j’ai étudié plus en
détail le Paterikon de Mar Chariton, issu d’un issu d’un manuscrit arabe de la bibliothèque du
monastère de Sainte-Catherine du Sinaï, et éditée et traduite par Alexander Treiger. Cette œuvre
qui narre la vie de sept saints moines de Mar Chariton a été composée à l’époque islamique et
m’a donné des jalons pour mieux comprendre le processus d’arabisation en jeu à l’époque dans
le milieu monastique du désert de Judée. En effet, cette œuvre, composée en arabe, présente des
vies de saints connus par ailleurs abrégés en arabe ainsi que des figures saintes inconnues par
ailleurs. Ainsi, les particularités de cette œuvre m’ont permis de tenter de décrire la situation
pour chacune des langues évoquées dans I. Il apparaît ainsi que l’arabe du texte est très proche
de la langue classique des auteurs musulmans de la même période, et ne s’en différencie que
par l’usage d’un lexique grec spécifique pour décrire les réalités de la vie monastique.
L’araméen palestinien semble ne plus être en usage alors que la connaissance de la langue
syriaque serait nécessaire pour gravir les échelons de la hiérarchie ecclésiastique.
Enfin, j’ai souhaité me pencher sur la représentation de l’islam et des musulmans qui ressort de
l’étude de cette œuvre. Les musulmans apparaissent ainsi dans le Paterikon en tant que maîtres,
à l’image de la figure du calife Hārūn al-Rašīd, vraisemblablement plus craint qu’aimé ou, peut-
être, de la figure d’un gouverneur de province. Ils apparaissent aussi comme un danger, en la
personne des bédouins, vraisemblablement islamisés, qui pillent épisodiquement les
monastères. Cependant, les musulmans apparaissent aussi comme des voisins, même s’ils sont
sans doute peu présents à Jérusalem et sa région à l’époque étudiée, étant, comme le suggère le
récit de la conversion à l’islam du moine Abba Gabriel, une réalité quotidienne pour les moines
de Mar Chariton aux premiers siècles de l’Islam.

Finalement, il semble que l’irruption d’une littérature en langue arabe au sein de la


production textuelle du désert de Judée reflète effectivement une arabisation de sa population
monastique aux premiers siècles de l’Islam, ces moines, d’origine cosmopolite, vont adopter la
langue arabe, sans doute pour répondre à l’usage croissant de la langue arabe dans l’empire
arabo-islamique, mais aussi peut-être comme une réponse à la menace que représentait sans
doute pour eux les conversions de plus en plus nombreuses à l’islam.
En effet, dès la période omeyyade, mais accélérés par la révolution abbasside qui pose le
principe de l’égalité de tous les musulmans, les conversions à l’islam deviennent un phénomène
social massif, comme le souligne à juste titre Tamara Pataridze. Cet état de fait entraîna comme
réponse du milieu monastique du désert de Judée la rédaction des premiers traités apologétiques
de la religion chrétienne en langue arabe. En effet, dans ces traités, leurs auteurs répondent aux

90
critiques d’ordre doctrinales développées par les musulmans, cela dans le but de défendre le
christiansme.356 De la même manière, est attesté un développement de la littérature
hagiographique à partir du VIIIe siècle avec, notamment, l’apparition de la figure du
néomartyr357.

Il apparaît difficile de tirer plus de conclusions de cette étude. En effet, il serait


souhaitable de rédiger une thèse sur le sujet, en particulier pour ce qui concerne Mar Chariton,
un monastère qui continue pour le moment de rester dans l’ombre de celui de Mar Saba, selon
une expression que j’ai déjà utilisé dans le développement de ce mémoire. Ce projet de thèse
se heurte cependant à plusieurs difficultés majeures. Tout d’abord la connaissance de
nombreuses langues est requise pour réaliser une étude de qualité. Ainsi, la connaissance de
l’arabe, si elle est indispensable, n’est probablement pas suffisante car il faudrait lui adjoindre
au minimum celle du grec et, dans l’idéal, celle du syriaque et du géorgien, toutes langues
écrites dans le milieu monastique du désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam. De plus,
comme le souligne Samir Khalil Samir, il faudrait une connaissance approfondie de la littérature
arabe chrétienne de cette époque, mais aussi profane et même musulmane358.

Ainsi, un chantier aussi passionnant qu’ardu s’ouvre maintenant devant celle ou celui
qui souhaite étudier plus en détail la production textuelle des monastères du désert de Judée, et
en particulier celle liée au monastère de Mar Chariton, aux premiers siècles de l’Islam.

356
Pataridze, Tamara, « Christian Literature in Arabic in the Early Islamic Period (8th-10th c.): The circulation
of texts and ideas between the Greek, Syriac, Arabic, and Georgian communities », Le Muséon, 132 (1-2), 2019,
p. 208.
357
Ibid., p. 209.
358
Samir, Samir Khalil, « La littérature arabe médiévale des Chrétiens », ‘Ilu, Revista de Ciencias de las
Religiones, IV, Madrid, 2001, p. 25.

91
BIBLIOGRAPHIE

Sources

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Euthyme, Sabas, Jean l’Hésychaste, Kyriakos, Théodose, Théognios, Abraamios)
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Binggeli, André, Efthymiadis, Stéphanos, Métivier, Sophie, Les nouveaux martyrs à Byzance,
I. Vie et Passion de Bacchos le Jeune par Étienne le Diacre, II. Études sur les nouveaux
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Traduction française partielle et annotations par Miquel, André, Damas, Institut français de
Damas, 1963.

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Édition et traduction allemande par Fatouros, Georgios, « Theodori Studitae Epistulae »,
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92
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Traduction anglaise et commentaires par Mango, Cyril et Scott, Roger avec l’aide de Greatrex
Geoffrey, The Chronicle of Theophanes Confessor: Byzantine and Near Eastern History AD
284-813, Oxford, Clarendon Press, 1997.

De la nature trinitaire de Dieu l’unique (Fī taṯlīth Allāh al-wāḥid)


Gibson, Margaret D., An Arabic version of the Acts of the Apostles and the seven Catholic
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1899 (rééd. Piscataway, 2003)

Les miracles de Saint Eustrate


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165-173 [édition géorgienne, non consultée].
Traduction latine par Peeters, Paul, « La passion de S. Michel le Sabaïte », Analecta
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Traduction anglaise par Blanchard, Monica J., « The Georgian Version of the Martyrdom of
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la version géorgienne].

Passion de Romain le néomartyr


Traduction latine par Peeters, Paul, « S. Romain le Néomartyr (1 mai 780) d'après un
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93
Édition et traduction anglaise par Shoemaker, Stephen J., Three Christian Martyrdoms from
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Saba, Passion of Romanos the Neo-Martyr, Chicago, University of Chicago Press, 2017, pp.
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Passion des vingt moines sabaïtes


Édition de Papadopoulos-Kerameus, Athanase, Syllogè Palaistinès kai Syriakès hagiologias,
Saint-Pétersbourg, 1907-1913, I, p. 1-41.
Édition et traduction anglaise par Shoemaker, Stephen J., Three Christian Martyrdoms from
Early Islamic Palestine. Passion of Peter of Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs of Mar
Saba, Passion of Romanos the Neo-Martyr, Chicago, University of Chicago Press, 2017, pp.
67-147 [texte grec et traduction anglaise en regard].

Paterikon de Mar Chariton


Édition et traduction anglaise par Treiger, Alexander, « Unpublished texts from the Arab
Orthodox tradition (3): The Paterikon of the Palestinian Lavra of Mar Chariton », Chronos,
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Édition et traduction anglaise, Gibson, Margaret D., Lewis, Agnes S., Forty-One Facsimiles
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4.

Vie prémétaphrastique de saint Chariton


Garitte, Gérard, « La vie prémétaphrastique de S. Chariton », Bulletin de l’institut historique
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Vie de saint Anastase le Perse


Édition et traduction française par Flusin, Bernard, Saint Anastase le Perse et l’histoire de la
Palestine au début du VIIe siècle, t. I, Les Textes, Paris, Éditions du CNRS, 1992

Instruments de travail

94
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Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, vol. 1-6 (600-1600), Thomas,


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Encyclopédie de l'Islam, nouvelle édition, comité de rédaction : Gibb, Hamilton A. R.,


Kramers, Johannes H., Lévi-Provençal, Évariste, Schacht, Joseph, Leyde-Paris, 1991, 13
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Auzépy, Marie-France, « From Palestine to Constantinople (Eighth-Ninth Centuries): Stephen


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100
Table des matières

Introduction p. 3

I. Le monastère de Mar Chariton : un établissement monastique prestigieux de


la « cité des moines » du désert de Judée. Bilan historiographique p. 10

1) La « cité des moines » du désert de Judée p. 10


a) Une implantation d’établissements monastiques unique par sa
localisation, son prestige et son influence p. 10
b) Le désert de Judée aux premiers siècles de l’Islam, entre héritage de
l’époque byzantine précédente et intégration au nouvel empire
islamique p. 15

2) L’« ancienne laure » de Mar Chariton p. 19


a) Une laure dans l’ombre du monastère de Mar Saba (« la grande
laure ») ? p. 19
b) Une laure ancienne et prestigieuse p. 20
c) Une laure bien insérée dans le réseau de la « cité des moines » du désert
de Judée p. 22

3) La situation linguistique et ses enjeux p. 23


a) La place de la langue arabe écrite et parlée aux VIIe-VIIIe siècles p. 23
b) La langue grecque, autrefois prestigieuse, et désormais en déclin ? p. 25

101
c) L’effacement de l’araméen palestinien et la persistance de la langue
syriaque ? p. 28
d) Une présence de la langue géorgienne dans les monastères p. 29

II. Le monastère de Mar Chariton dans les sources textuelles à la période


islamique p. 32

1) Vue d’ensemble de la production textuelle issue des monastères du désert


de Judée aux premiers siècles de la période islamique p. 32

2) Mar Chariton : une production textuelle limitée mais de premier ordre p.


35
a) Une production apologétique et de controverse en arabe p. 35
b) Une production hagiographique en grec et en arabe p. 41
c) Une activité de copie de manuscrits et de traduction de textes p. 45

3) Un monastère évoqué dans des textes composés hors de Mar Chariton p. 47


a) L’évocation du monastère de Mar Chariton dans la littérature
hagiographique des monastères du désert de Judée p. 47
b) L’évocation du monastère de Mar Chariton dans les sources byzantines
p. 53

III. Jalons sur l’arabisation des melkites de Syrie-Palestine à travers l’étude d’une
œuvre liée à Mar Chariton : Le Paterikon p. 60

1) Une collection de vies de saints abrégées en arabe p. 60


a) Un abrégé de la Vie de Cyriaque de Cyrille de Scythopolis p. 60
b) La Vie d’Eustrate de Mar Chariton, abrégé des Miracles de saint
Eustrate p. 66
c) Une collection comprenant des vies de saints en arabe inconnues par
ailleurs p. 69

2) Ce que cette œuvre apporte à la compréhension de la situation linguistique


p. 73
a) Une population monastique cosmopolite p. 73
b) La place de la langue arabe écrite et parlée p. 75

102
c) La langue grecque, autrefois prestigieuse, et désormais en déclin ? p. 79
d) La persistance de la langue syriaque (et de l’araméen palestinien) ? p.
80

3) La représentation de l’islam et des musulmans p. 81


a) Des maîtres ? p. 81
b) Un danger occasionnel ? La mort en martyr de Gabriel l’Ermite p. 84
c) Des voisins ? p. 85
Conclusion p. 89

Bibliographie p. 92

103

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