Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Rome. Antiquité
Résumé
Michel Humm, Appius Claudius Caecus et la construction de la via Appia, p. 693-746.
La construction de la via Appia par Appius Claudius Caecus est l'une des rares certitudes historiques à notre disposition sur
l'activité du célèbre censeur de 312 av. J.-C. La confrontation des sources littéraires avec les principales données
archéologiques confirme l'importance des travaux de construction dont la tradition historiographique a su garder le souvenir, et
les inévitables anachronismes ne permettent pas de remettre en cause la validité de leur témoignage. D'autre part, le contexte
historique dans lequel s'est inscrite la construction de cette route permet de mieux comprendre les motivations d'Appius
Claudius Caecus : outre les nécessités politiques et stratégiques du moment, le constructeur de la via Appia a également
répondu aux besoins d'une partie de la noblesse romaine, déjà fascinée et at-
(v. au verso) tirée par les activités du monde grec d'Italie du Sud. Mais surtout, les symboles politiques et culturels qui ont alors
été rattachés à la construction de la via Appia révèlent l'adoption par une partie de l'aristocratie romaine, à commencer par
Appius lui-même, d'un système de valeurs idéologiques déjà proprement hellénistiques.
Humm Michel. Appius Claudius Caecus et la construction de la via Appia. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome.
Antiquité, tome 108, n°2. 1996. pp. 693-746;
doi : 10.3406/mefr.1996.1958
http://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_1996_num_108_2_1958
MICHEL HUMM
logie. En effet, une étude sur la construction de la via Appia doit sans doute
s'appuyer en priorité sur des données archéologiques; celles-ci ont été
établies essentiellement par des archéologues italiens, notamment par les
travaux de G. Lugli et de L. Quilici, et par les mises au point développées à
l'occasion d'un colloque organisé à Rome, en 1989, par le Centro di studio
per l'archeologia etrusco-italica et consacré précisément à la via Appia6.
Mais les données archéologiques sont parfois insuffisantes, et le
recours aux sources littéraires et épigraphiques reste indispensable.
Malheureusement, les sources littéraires sont de plusieurs siècles postérieures
à la construction de la via Appia, et nécessitent une analyse critique à la
fois interne et externe, ainsi qu'une recherche de leurs propres sources
lorsqu'elles tendent à apporter des jugements de valeur sur les hommes et
les événements du passé. Quant aux sources épigraphiques, elles sont
extrêmement rares pour une époque aussi haute et apportent généralement
un témoignage relativement tardif.
La philologie et l'étude des sources ne permettent cependant pas de
comprendre dans leur ampleur et leur complexité les objectifs ainsi que les
intentions du constructeur de la via Appia : Appius Claudius Caecus est un
personnage charismatique, dont l'activité politique fut fortement
controversée dès l'Antiquité. Celle-ci ne peut être réellement comprise
aujourd'hui qu'en étant replacée dans le cadre d'une histoire culturelle qui ferait
la part entre traditions romaines et influences d'origine étrangère. Le
contexte culturel dans lequel s'est inscrite la construction de la via Appia
peut ainsi fournir de nouvelles clés pour une meilleure compréhension de
l'activité édilitaire, mais aussi politique, d'Appius Claudius Caecus.
Cette étude doit ainsi permettre de mesurer la valeur des sources,
notamment littéraires, à la lumière des principales données archéologiques;
celles-ci apportent certes des réponses insuffisantes pour déterminer avec
exactitude et sur toute sa longueur le parcours initial de la via Appia au
moment de sa construction, mais l'itinéraire de la route peut être
reconstitué en fonction de ses objectifs politiques et stratégiques, dans le
contexte déjà bien étudié de la naissance de l'impérialisme romain vers la fin
du IVe siècle av. J.-C. Il s'agira surtout d'évaluer la part d'innovation propre
La construction de la route.
La source littéraire la plus ancienne à rapporter la construction de la
via Appia et à l'attribuer au censeur Appius Claudius Caecus est fournie par
Diodore de Sicile (XX, 36, 2) :
< "Αππιος Κλαύδιος > μετά δε ταϋτα τη"ς άφ'έαυτοο κληθείσης Άππίας όδοΰ
το πλεΐον μέρος λίθοις στερεοΐς κατέστρωσεν άπο 'Ρώμης μέχρι Καπύης, όντος
του διαστήματος σταδίων πλειόνων ή χιλίων, και των τόπων τους μεν
υπερέχοντας διασκάψας, τους δε φαραγγώδεις ή κοίλους άναλήμμασιν άξιολόγοις
έξισώσας κατηνάλωσεν άπάσας τας δημοσίας προσόδους, αύτοΰ δε μνημεΐον άθά-
νατον κατέλιπεν, είς κοινήν εΰχρηστίαν φιλοτιμηθείς.
(Ensuite, <Appius Claudius> pava avec de solides pierres la plus grande
partie de la via Appia, qui reçut son nom de lui, et qui allait de Rome à Capoue sur
une distance de plus de mille stades; pour avoir entaillé les collines de la région
en nivellant les endroits ravinés ou encaissés par de remarquables travaux de
terrassement, il dépensa tous les revenus publics, mais laissa en souvenir de lui
un monument immortel, en ayant été ambitieux pour le bien de tous.)
Ό δέ δια τής Λατίνης όδοΰ άπήγε το στράτευμα, την Άππίαν όδον άφείς έν
αριστερά, ήν Άππιος ό 'Ρωμαίων ύπατος έννακοσίοις ένιαυτοΐς πρότερον έποίησέ
τε καί έπώνυμον έσχεν. Έστι δέ ή Άππία οδός ήμερων πέντε εύξώνφ άνδρί · έκ
Ρώμης γαρ αύτη ές Καπύην διήκει. Εύρος δέ έστι τής όδοϋ ταύτης οσον άμαξας
δύο άντίας ίέναι άλλήλαις, καί έστιν αξιοθέατος πάντων μάλιστα. Τον γαρ λίθον
άπαντα, μυλίθην τε όντα και φύσει σκληρον, έκ χώρας άλλης μακράν ούσης τεμών
"Αππιος ενταύθα έκόμισε. Ταύτης γαρ δη τής γής ούδαμή πέφυκε. Λείους δέ τους
λίθους καί ομαλούς έργασάμενος, έγγωνίους τε τή εντομή πεποιημένος, ές
αλλήλους ξυνέδησεν, ούτε χάλικα εντός ούτε τι άλλο έμβεβλημένος. Οί δέ άλλήλοις
ούτω έμπεφύκασιν
άλλ' τε ασφαλώς συνδέδενται
άλλήλοις, δόξαν
καί μεμύκασιν,
τοις όρώσι ώστε
παρέχονται
ότι δη ούκ
· καιείσίν
χρόνου
ήρμοσμένοι,
τριβέντος
συχνού δη ούτως άμάζαις τε πολλαΐς και ζώοις άπασι διαβατοί γινόμενοι ές ήμέραν
έκάστην ούτε τής αρμονίας παντάπασι διακέκρινται ούτε τινί αυτών διαφθαρήναι
ή μείονι γίνεσθαι ξυνέπεσεν, ού μήν ουδέ τής άμαρυγής τι άποβαλέσθαι.
(Celui-ci [se. Bélisaire] détourna son armée par la voie Latine, ayant laissé
la voie Appienne sur sa gauche, route qu'Appius, un consul de Rome, avait faite
neuf cents ans auparavant et à laquelle il avait donné son nom. La voie
Appienne nécessite cinq jours de marche pour un homme pressé; elle s'étend
en effet de Rome à Capoue. La largeur de cette route est si grande que deux
chariots peuvent se croiser l'un l'autre en sens contraire, et est digne d'être admirée
plus que tout. En effet, pour ouvrir cette route, Appius ramena là d'une autre
région, éloignée, toutes les pierres, et de la pierre à meule naturellement dure.
Il n'y en a en effet nulle part naturellement dans cette région. Après avoir fait
polir les pierres et les avoir fait égaliser, puis les avoir fait tailler à angle droit, il
les fit assembler les unes aux autres, en les faisant ajuster sans chaux ni rien
d'autre. Celles-ci restent unies et adhérentes les unes aux autres si solidement,
que celui qui les observe ne croit pas qu'on les a juxtaposées, mais qu'elles vont
naturellement ensemble. Et malgré le temps écoulé et le grand nombre de
chars qui les ont parcourues chaque jour, leur assemblage n'a été en aucune
façon disloqué et elles n'ont rien perdu de leur polissage.)
Fig. 1 - Dallage de la via Appia superior entre la Piazza dei Paladini et Fondi
(cliché M. Humm).
une route»12, ce qui, dans le cas de la via Appia, serait selon lui
anachronique pour l'époque d'Appius Claudius Caecus : les sources, évidemment
tardives, auraient projeté dans le passé l'image anachronique d'une route
entièrement pavée dès l'origine, d'autant qu'à l'époque d'Auguste la via
Appia apparaissait déjà bien vieille et qu'une telle œuvre était alors
facilement attribuée au célèbre censeur13. En fait, il n'est pas sûr que le pavage
de la route soit une opération technique si anachronique à la fin du IVe ou
au début du IIIe siècle avant J.-C. : d'après Tite-Live (X, 23, 12), les Ogulnii
auraient consacré en 296 le produit des multae au dallage du chemin
(semita) qui conduisait de la porte Capène au temple de Mars14, à la
hauteur du premier mille de la via Appia : stemere semitam saxo quadrato. À
peine quelques années plus tard, en 293, le pavement de la route fut
prolongé jusqu'à Bovilles (Liv., X, 47, 4) : via ..silice... perstrata est. Comme la
deuxième décade de Tite-Live est perdue et que le récit de l'historien
s'interrompt précisément en 293, nous n'avons plus aucune mention historio-
graphique sur des travaux de construction ou de réfection de la via Appia
avant le début du IIe siècle : en 189 avant J.-C, les censeurs adjugèrent à
des entrepreneurs privés le pavement de la route de la porte Capène au
temple de Mars, et les censeurs de 174 avant J.-C. furent les premiers à
mettre en adjudication le pavement des rues à l'intérieur de Rome et l'ins-
sor aquam Claudiam induxit et viam Appiam stravit : «Par la suite, les Samnites
furent vaincus par le consul L. Papirius, et on en a fait passer sept mille d'entre eux
sous le joug. À cette époque-là, le censeur Appius Claudius amena Vaqua Claudia
dans Rome et construisit la via Appia.»; Auct. de Vir. ill., 34, 6 : <Appius Claudius>
viam usque Brundisium [sic] lapide stravit, unde Ma Appia dicitur, aquam Antenem
[sic] in urbem induxit : «<Appius Claudius> construisit une route en la faisant paver
de pierres jusqu'à Brindisi, et de là vient qu'on l'appela via Appia; il amena en Ville
l'eau de l'Anio».
12 G. Radke, V.P.R., p. 50; en fait, sternere signifie d'abord «répandre» ou
«étendre quelque chose sur le sol» : cf. A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire
étymologique de la langue latine, Paris, 1967, s.v. «sterno», p. 647 : «étendre, coucher à
terre», ou «joncher de» fréquent dans sternere viam (lapidibus).
13 L. Quilici, Evoluzione della tecnica stradale nell'Italia centrale, dans L. Quilici
et S. Quilici Gigli éd., Tecnica stradale romana, Rome, 1992, p. 27.
14 Le temple de Mars au premier mille de la via Appia était devenu, depuis la
création de cette cérémonie en 304 par le censeur Q. Fabius Rullianus, le point de
départ annuel de la transvectio equitum : cf. Liv., IX, 46, 15; Val.-Max., II, 2, 9; Plin.,
N.H., XV, 4; il est possible que la semita mentionnée par Tite-Live ne concerne en
fait que la bordure de la route, qui aurait été dallée et aménagée comme un trottoir
(sur la technique de construction des «marciapiedi», destinés à donner un aspect
monumental au premier tronçon de la via Appia, de la sortie de Rome au LXe mille,
cf. L. Quilici, // rettifìlo della Via Appia tra Roma e Terracina. La tecnica costruttiva,
dans S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, op. cit. , p. 44-50).
700 MICHEL HUMM
tallation d'une assise de gravier sur les routes à l'extérieur de la ville ainsi
que leurs accotements15. L'expression viam stemere pour désigner le
pavement systématique de la via Appia est par conséquent une expression qui,
si elle ne remonte peut-être pas à la construction de la route par Appius
Claudius, est certainement historiquement exacte pour les travaux de
réfection du début du IIe siècle, voire déjà pour ceux du début du IIIe siècle.
L'expression viam munire utilisée par Cicéron, Tite-Live et Frontin à
propos de la construction de la via Appia16 semble en fait beaucoup plus
ancienne, puisque déjà attestée chez Caton (Agr., II, 4) : viam publicam
muniri, et surtout dans un fragment des XII Tables (VII, 7) : viam
muniunto. Selon G. Radke, cette expression peut signifier «construire une
route», mais aussi «entretenir une route»; en tout état de cause, viam
munire peut avoir de nombreux sens17 et semble toujours indiquer des
travaux de terrassement sur une route : on retrouve ainsi la description faite
par Diodore (άναλήμμασιν άξιολόγοις έξισώσας).
morum, Rome (PMAAR, 27), 1979, p. 208; on a coutume d'identifier cet Acilius avec
le sénateur du même nom qui servit d'interprète à l'ambassade de Camèade en 155
(Plut., Cat. M., XXII); Cicéron (de Off., Ill, 115) évoque un certain Acilius, qui grasce
scripsit historiam; la Periocha 53 de Tite-Live mentionne pour l'année 142 qu'un
C. Iulius senator graece res Romanas scribit : comme aucun sénateur ni aucun
historien de ce nom n'est connu, il s'agit sans doute de C. Acilius.
25 Acilius, frg. 6 P. (ap. Dion. Hal., Ill, 67, 5) : έγωγ' ούν έν τρισί τοις μεγα-
λοπρεπεστάτοις κατασκευάσμασι τής 'Ρώμης, έξ ών μάλιστα το τής ηγεμονίας
εμφαίνεται μέγεθος, τάς τε τών υδάτων άγωγας τίθεμαι και τας τών οδών στρώσεις και τας
τών υπονόμων εργασίας, ού μόνον είς το χρήσιμον τής κατασκευής την διάνοιαν άνα-
φέρων, υπέρ ού κατά τον οίκείον καιρόν έρώ, άλλα και είς την τών άναλωμάτων πολυτέ-
λειαν, ήν έξ ενός έργου τεκμήραιτ' άν τις Γάιον Άκίλλιον ποιησάμενος [τοο μέλλοντος
λέγεσθαι] βεβαιωτήν, δς φησιν άμεληθεισών ποτέ τών τάφρων καί μηκέτι διαρρεο-
μένων τους τιμητας την άνακάθαρσιν αυτών και την έπισκευήν χιλίων μισθώσαι
ταλάντων : «Pour moi, en effet, je considère que les trois ouvrages les plus magnifiques
de Rome, à partir desquels la grandeur de son empire est la plus perceptible, sont les
aqueducs, les pavements des routes (τας τών οδών στρώσεις) ainsi que les
aménagements de conduits souterrains; je rappelle cela non seulement pour la conception
utile de leur construction, dont je parlerai en son temps à la place qui lui revient,
mais aussi pour l'ampleur des dépenses que l'on peut juger à partir d'un fait, si on
considère Gaius Acilius [dont je vais parler] comme une autorité sûre : celui-ci dit
qu'un jour, comme les fosses <des égouts> avaient été négligées et n'avaient plus
d'écoulement, les censeurs mirent en adjudication (μισθώσαι) leur nettoyage complet et
leur restauration pour mille talents».
26 Les deux mots sternere et καταστρώννυμι ont en effet la même étymologie : cf.
A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique, s.v. «sterno», p. 647-648, qui
rapprochent les expressions viam sternere et όδον στορέννυμι; le premier texte à
employer l'expression viam stravit pour désigner la construction de la via Appia par Ap-
pius Claudius est ï'elogium du Forum d'Auguste; or l'auteur des elogia du Forum
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 703
Fig. 2 - Le tracé rectiligne de la via Appia entre Rome et Terracine (carte extraite de
L. Quilici, // rettifìlo della Via Appia tra Roma e Terracina. La tecnica costruttiva, dans
S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, Rome, 1990, p. 59).
MEFRA 1996, 2 46
706 MICHEL HUMM
Fig. 3 - Coupe de la via Appia au pont sur la Schiazza, dans la zone pontine (dessin
extrait de D. Sterpos, La route romaine en Italie, Rome, 1971, p. 28, d'après M. de
Prony, l'Atlas des Marais Pontins, Paris, 1823, pi. XIV).
34 Cf. L. Quilici, // rettifilo della via Appia..., dans S. Quilici Gigli éd., La Via
Appia, op. cit. , p. 41-60, et F. Castagnoli, // tracciato della via Appia, dans Capitolium,
XLIV (n° 10, 11 et 12), 1969, p. 89; sur l'hypothèse d'un «itinéraire sinueux [de la via
Appia], différent du tracé rectiligne connu» (afin sans doute d'éviter la zone des
Marais Pontins), cf. encore récemment G. Chouquer, M. Clavel-Lévêque, F. Favory et
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 707
d'après la planche publiée par M. de Prony en 1823 dans 1Άί/α5 des Marais
Pontins, «tout ce qui se voit en-dessous de la ligne E est considéré comme
«sol naturel»; nous ignorons si la couche E est un dépôt alluvionnaire ou
une couche artificielle; par contre, la strate F est sûrement artificielle : une
couche haute d'un mètre, de terre mêlée de gravier, apportée de la
montagne voisine, constitue le remblai apporté par Appius Claudius pour
mener la route à travers la plaine marécageuse; le sommet du terre-plein
porte deux assises de blocs (I) destinés à contenir un cailloutis; puis c'est la
superstructure composée essentiellement d'un conglomérat de pierres
calcaires et de cailloux compacts mais non cimentés; on remarque à
l'intérieur de cet ensemble deux autres assises de blocs (H) qui ont dû être les
bords supérieurs, délimitant le revêtement de la voie appienne primitive»35;
la construction de la via Appia avait donc bien nécessité des travaux de
terrassements comme le suggéraient l'expression viam munire et surtout la
description faite par Diodore (άναλήμμασιν άξιολόγοις έξισώσας), car la
traversée des marais Pontins avait obligé les ingénieurs romains à
surélever la chaussée sur un important remblai de terre que l'on appelait limes
ou agger36;
- la Piazza dei Paladini, au-delà du saltus ad Lautulas, entre Terracine
et Fondi (cf. carte fig. 4) : il s'agit d'une place semi-circulaire de 22 m de
rayon, en partie taillée dans le rocher, qui a été aménagée par les
constructeurs de la route pour permettre aux animaux et aux hommes qui venaient
de Terracine ou de Fondi de se reposer après la difficile montée qu'ils
venaient de parcourir37; les restes du mur de soutènement en appareil poly-
Fig. 5 et 6 - La via Appia superior à son passage au lieu-dit Piazza dei Paladini, avec
l'entaille du rocher et des éléments du mur de soutènement en appareil polygonal
(clichés M. Humm).
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 711
Fig. 7 - La via Appia superior et la Piazza dei Paladini : la descente vers Fondi
(cliché M. Humm).
fait, le contexte historique, assez bien connu pour cette époque, peut
suppléer ici les lacunes des sources et la difficulté d'interprétation de trop
rares témoignages archéologiques : dans le contexte politique et militaire
de la seconde moitié du IVe siècle, où les guerres samnites ont suivi la
prétendue deditio de Capoue en 343/342, il n'est guère douteux que la
construction de la via Appia répondait à une nécessité à la fois politique et
stratégique et qu'elle était d'abord destinée à assurer la «continuité
territoriale» entre Rome et la Campanie42. La construction de la via Appia fut
d'ailleurs de peu précédée par une grave défaite romaine en 315 aux Lau-
tulae, véritables «Thermopyles de l'Italie centrale»43 (cf. fig. 4). Cette
défaite fut elle-même suivie en 314 par la défection de Capoue et la
découverte d'une coniuratio associant des éléments de l'aristocratie campanienne
à une partie de l'aristocratie romaine44. C'est dans ce contexte que
πλειόνων ή χιλίων; Front., Aq., I, 5, 1 : viam Appiam a porta Capena usque ad urbem
Capuam muniendam curavit; Auct. de Vir. ill, 34, 6 : viam usque Brundisium lapide
stravit, unde ilia Appia dicitur; Proa, Goth., I, 14, 6 : έκ 'Ρώμης γαρ αΰτη ές Καπύην
διήκεί;.
42 L'expansion romaine vers la Campanie et l'Italie du Sud dans la seconde
moitié du IVe siècle ainsi que la menace samnite ont certainement poussé Appius
Claudius à construire une route offrant une alternative plus rapide et plus sûre que la via
Latina : celle-ci empruntait la vallée du Trerus (Sacco) puis du Liris, avant de
rejoindre la plaine du Volturne (Garigliano) à la hauteur de Teanum (fig. 1); la via
Latina était ainsi plus longue de 15 milles (22 km), soit 147 milles (218 km) contre 132
milles (196 km) pour la via Appia; enfin, la route construite par Appius Claudius
emprunta en réalité le tracé d'une ancienne «route côtière» qui a dû préfigurer celui de
la via Appia et qui est à plusieurs reprises évoquée par les sources (cf. Liv., VII, 39, 7-
16; Vili, 14, 10; Dion. Hal., XV, 4, 1) : cf. D. Sterpos, Roma-Capua, comunicazioni
stradali attraverso i tempi, Novara, 1966, p. 7-10; S. Mazzarino, dans Helicon, 8, 1968,
p. 181, parle à ce sujet de «préhistoire de la via Appia»; F. Castagnoli, dans Capito-
lium, XLIV (n° 10, 11 et 12), 1969, p. 77-82, suppose également l'existence très
ancienne d'un lien routier entre les cités albaines et Rome et qui aurait à peu près
correspondu au tracé actuel de la via Appia sur ce tronçon; enfin la protohistoire de la
route côtière qui reliait l'Étrurie méridionale, le Latium et la Campanie, a été étudiée
par A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1965, p. 187-192, ainsi que par
L. Quilici dans Civiltà del Lazio primitivo, Rome, 1976, p. 11-15.
43 Cf. Diod., XIX, 72, 3-9; l'expression a connu un grand succès : utilisée une
première fois par H. Nissen, Italische Landeskunde, II, Berlin, 1902, p. 642, elle fut
ensuite reprise par : G. De Sanctis, Storia, op. cit., p. 305; G. Lugli, Ager Pomptinus,
op. cit., p. 202, n. 1; G. Uggeri, dans S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, op. cit., p. 21.
44 Diod., XIX, 76, 3-5; Liv., IX, 26, 5-22; la coniuratio de 314 semble traduire les
difficultés d'intégration dans la citoyenneté romaine des éléments les plus
«philoromains» des notables campaniens installés à Rome : cf. G. Clemente, Basi sociali e
assetti istituzionali, dans A. Schiavone éd., Storia di Roma, IL, L'impero mediterraneo,
1, La repubblica imperiale, Turin, 1990, p. 44; L. Loretto, Sui meccanismi della lotta
714 MICHEL HUMM
politica a Roma tra il 314 e il 294 a. C, dans AFLF, 24, 1991, p. 61-65; G. Radke,
V.P.R., p. 135 avait déjà souligné le lien qu'il a pu y avoir entre la défaite romaine aux
Lautulae en 315/314, la défection de Capoue en 314/313 et la construction de la via
Appia à partir de 312.
45 Cf. M. Frederiksen, Campania, p. 213-215; F. Coarelli, dans DArch, III, 6, 2,
1988, p. 35-48; G. Uggeri, La Via Appia nella politica espansionistica di Roma, dans
S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, op. cit., p. 21-28.
46 De nombreuses hypothèses ont été proposées à ce sujet : G. Radke, V.P.R.,
p. 134-140, a imaginé que la via Appia a été construite par tronçons successifs, en
suivant la carrière politique d'Appius Claudius Caecus : le censeur de 312 aurait
d'abord construit sa route jusqu'à Formies, puis l'aurait complétée pendant son
consulat de 307 en construisant le tronçon entre Minturnes et Calés via Suessa Aurunca, et
aurait enfin aménagé le détour par Sinuessa et Pons Campanus au cours de son
second consulat, en 296, ou de sa preture, en 295 (fig. 11); T. P. Wiseman, dans PBSR,
38, 1970, p. 130-131 (= Id., Roman Studies, p. 134-135), montre l'impossibilité
technique de l'existence d'une route côtière et d'un pont sur l'impétueux Volturne dès la
fin du IVe siècle av. J.-C. : la via Appia devait primitivement passer par Suessa
Aurunca et Calés, colonies latines fondées respectivement en 313 et 334; Sinuessa a dû
alors être reliée à la via Appia par une route transversale à partir de Suessa, et
n'aurait été desservie par une route côtière qu'avec la création de la via Domitiana, peut-
être vers 162 avant J.-C; mais l'opinion majoritaire estime généralement que si le
tracé de la via Appia passait effectivement à l'origine à l'est du mont Massico, près de
Suessa Aurunca, il fut par la suite détourné par Sinuessa, après la fondation de la
colonie en 296 : cf. G. Radke, V.P.R., p. 137-138; D. Sterpos, Roma-Capua, p. 16;
M. Frederiksen, Campania, p. 38-39; F. Castagnoli, dans F. Castagnoli, A. M. Colini
et G. Macchia éd., La Via Appia, Rome, 1972, p. 68; enfin W. Johannovsky, Problemi
archeologici campani, dans RAAN, η. s. 50, 1975, p. 3-38 (cf. surtout p. 14-17 et 30-
31), estime au contraire que le premier tracé de la via Appia, s'il menait bien dès
l'origine de Rome à Capoue, passait en fait directement de Sinuessa à Capoue à travers
Yager Falernus, via le pons Campanus et Casilinum, bien à l'abri des attaques sam-
nites derrière la ligne de défense constituée par les colonies latines de Suessa
Aurunca, Teanum et Calés (fig. 12).
47 Sur les liens entre la fondation de la colonie de Terracine et la construction de
TELAMOi
trmr./J
Fig. 10 - L'Italie centrale : la via Appia, la via Pond
Latina, les colonies et les nouvelles tribus
romaines (carte extraite de L. R. Taylor, The voting
Districts of the roman Republic (P.M.A.A.R., 20),
Rome, 1960).
716 MICHEL HUMM
Strada costruita
Popilius nel 316 B.C.
da
Fig. 11 - La via Appia entre Formies et Capoue : les itinéraires possibles selon
G. Radke (Croquis extrait de G. Radke, ViaepublicaeRomanae, Bologne, 1981, p. 139;
cf. aussi G. Radke, «Viae publicae Romanae», dans RE, Suppl. XIII, 1973, col. 1499).
la via Appia, cf. M.-R. de LaBlanchère, Terracine, Terracine, op. cit., p. 52-54; S. Maz-
zarino, dans Helicon, 8, 1968, p. 178-180; M. I. Pasquali, La via Appia e il Capitolium di
Terracina, dans A. R. Mari, R. Malizia, P. Longo et M. I. Pasquali éd., La Via Appia a
Terracina. La strada romana e i suoi monumenti, Casamari, 1988, p. 153-154; il est par
ailleurs évident que la création des tribus Oufentina et Falema (en 318) a précédé et
conditionné la construction de la via Appia : cf. M. Humbert, Municipium, p. 200-
204; L. Loretto, dans A&R, 36, 1991, p. 185, n. 23; enfin M. Cancellieri, // territorio
pontino e la Via Appia, dans S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, op. cit. , p. 61-71, a
analysé les relations qui ont pu exister entre la via Appia et l'organisation agraire qui la
précédait dans la zone des Marais Pontins : des photographies aériennes ont révélé
l'existence d'un quadrillage du parcellaire agricole que la via Appia coupe avec un angle de
45° en fractionnant les parcelles, ce qui ne pourrait s'expliquer que si le parcellaire
agricole était antérieur à la construction de la route et datait de la distribution viritim
du territoire privernate en 340, avant que l'établissement de citoyens romains sur ces
terres n'amenât la création de la tribu Oufentina en 318.
Fig. 12 - La via Appia à travers lager Falernus selon W. Johannovsky (carte extraite de W. Johanno
RAAN, n.s. 50, 1975, fig. 1).
718 MICHEL HUMM
59 L. Quilici, dans S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, op. cit., p. 42;
l'identification du temple de Diane sur l'Aventin comme point de mire d'origine, à partir de
Rome en direction des monts albains, reste cependant hypothétique : cf. Id., La pos-
terula di Vigna Casali nella pianificazione urbanistica dell'Aventino e sul possibile
prospetto del tempio di Diana, dans L'Urbs, espace urbain et histoire, Actes du
colloque international, Rome, 1985 (C.E.F.R., 98), Rome, 1987, p. 713-745.
60 En fait, à partir du tombeau de Cecilia Metella (3e mille), le tracé de la via
Appia correspond, jusqu'aux Frattochie (Bovillae), à une longue coulée de lave dite de
Capo Bove (du nom précisément des reliefs à têtes de bœufs représentés sur la
tombe de Cecilia Metella) : celle-ci fut manifestement utilisée comme assise routière
pour la via Appia à cause de sa position légèrement surélevée par rapport aux zones
environnantes et aussi parce que le sol, par lui-même solide et plat, a constitué un
terrain naturel optimal pour le soubassement de la route : cf. G. Caselli,
Caratteristiche idrogeomorfologiche del terrìtorìo, dans V. Calzolari éd., Piano per il parco del-
l'Appia antica, Rome, 1984, p. 33-39.
61 Sur la groma et son utilisation par les arpenteurs romains, cf. notamment
J.-P. Adam, La construction romaine, p. 10-16.
MEFRA 1996, 2 47
722 MICHEL HUMM
pit4k 141
xJe
Κ
Ζ
4 + χν ♦
• + 4
3
+ ♦χ
.1
Α.
• Ι *
Fig. 13 - Exécution du tracé rectiligne d'une route avec une groma (croquis de
G. Tibiletti, Problemi gromatici e storici, dans RSA, 2, 1972, pp. 87-96, fig. 1-2).
67 Cf. Cic, Tusc, IV, 4 : Mihi quidem etiam Appi Caeci carmen, quod valde Panae-
tius laudai epistula quadam quae est ad Q. Tuberonem, Pythagoreum videtur : «A moi
aussi du moins, le poème d'Appius Caecus, que Panétius loue vivement dans une
lettre adressée à Q. Tubéron, me semble pythagoricien»; sur l'influence du
pythagorisme à Rome dès le IVe siècle avant J.-C, voir notamment : A. Gianola, La fortuna di
Pitagora presso i Romani, Catane, 1921, p. 18-20; L. Ferrerò, Storia del pitagorismo
nel mondo romano (dalle origini alla fine della Repubblica), Turin, 1955, p. 153 et 167-
172; J. Carcopino, Les origines pythagoriciennes de l'Hercule romain, dans Aspects
mystiques de la Rome païenne, Paris, 1962, p. 173-206; Id., La basilique
pythagoricienne de la Porte Majeure, Paris, 1963, p. 182; nous nous permettons également de
renvoyer le lecteur à M. Humm, Les origines du pythagorisme romain : problèmes
historiques et philosophiques, dans LEC, 64, 1996, p. 339-353, etLEC, 65, 1997, p. 25-42;
Id., Appius Claudius Caecus et l'influence du pythagorisme à Rome fin IVe-début IIIe
siècles av. J.-C, dans C.-M. Ternes éd., Le pythagorisme dans l'espace spirituel romain,
Actes du colloque international de Luxembourg (décembre 1994), à paraître dans
Études classiques (Luxembourg), VIII, 1996.
68 Hor., Sat, I, 5, ν. 1-26; cf. aussi Strab., Geogr., V, 3, 6 (C 233) : Πλησίον δε τής
Ταρρακίνης βαδίζοντι έπί xfjç 'Ρώμης παραβέβληται τη όδφ τη" Άππία διώρυξ έπί
πολλούς τόπους πληρούμε νη τοις έλείοις τε καί τοις ποταμίοις ϋδασι · πλειται δε μάλιστα
μεν νύκτωρ, ώστ' έμβάντας άφ 'εσπέρας έκβαίνειν πρωίας και βαδίζειν το λοιπόν xf[ όδφ,
άλλα καί μεθ'έμέραν · ρυμουλκεί δ'ή μιόνιον : «Près de Tarracina dans la direction de
Rome, la Via Appia est bordée d'un canal alimenté en plusieurs endroits par les eaux
stagnantes et courantes. On y navigue surtout la nuit, les voyageurs embarquant le
soir et débarquant le lendemain matin pour faire à pied le reste de la route, mais
aussi parfois le jour. Le bateau est hâlé par un petit mulet» (trad, de F. Lasserre, éd.
de Strabon, Géographie, tome III, Paris, 1967, p. 85-86).
69 Cf. Proc, De bell, goth., 1, 11, 2 : ρεΐ δε καί ποταμός, όν Δεκεννόβιον τη Λατίνων
(poûvfi καλοϋσιν οι έπιχώριοι, οτι δήέννεακαίδεκα περιιών σημεία, οπερ ξύνεισιν ές
τρισκαίδεκα καί εκατόν σταδίους, οΰτω δή έκβάλλει ές θάλασσαν, άμφί πόλιν Ταρα-
κίνην; un mille romain a la longueur de mille pas et correspond à 1481,5 m (cf.
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 725
SULMO
Fig. 14 - Le Decennovium et le canal le long de la via Appia entre Forum Appi et Fe-
ronia (en hachuré le long de la route) avec son prolongement moderne (en hachuré
plus espacé) (carte extraite de G. Di Vita-Evrard, Inscriptions routières de Nerva et de
Trajan sur l'Appia Pontine, dans S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, Rome, 1990, p. 74).
726 MICHEL HUMM
tance qui séparait Forum Appi (au 43e mille) de Terracine (au 62e mille), et
désignait par conséquent une section peut-être particulière de la via Appia
entre ces deux étapes70; quant au canal, nous savons par Horace qu'il
commençait à Forum Appi et qu'il s'étendait jusqu'au Fanum Feroniae, à 3
milles de Terracine71. Le canal avait par conséquent une longueur de 16
milles, et avait en son milieu (au 51e mille, à 8 milles de Forum Appi) une
station qui s'appelait Ad Médias (auj. Mesa), et qui était probablement un
relais de halage72.
C'est pourquoi, il n'y a sans doute pas de rapport entre le fameux mil-
liaire trouvé près de Posta di Mesa et le canal : l'inscription (fig. 15)
indique les noms des édiles P. Claudius et C. Furius, respectivement
IJI/K
Κ
Fig. 15 - L'inscription du milliaire trouvé près de Posta di Mesa (C.I.L., F, 21).
consuls en 249 et 251 av. J.-C. et sans doute édiles en 255 ou 253 av. J.-C.73;
le premier n'est d'ailleurs autre que P. Claudius Pulcher, l'un des fils de
Caecus, ce qui prouve pour le moins un intérêt familial pour la via Appia.
Selon F. Coarelli, ce milliaire pourrait être en rapport avec le canal74; il
porte en effet une double numérotation, comme les milliaires d'époque
impériale de la via Appia : le premier chiffre indiquerait la distance de 53
milles avec Rome, le second le 10e mille du Decennovium (entendu comme
le canal), ce qui confirmerait «l'esistenza praticamente ab origine del
canale». Contre le témoignage d'Horace, celui-ci aurait commencé à Tri-
d'eau : M.-R. de La Blanchère, Terracine, op. cit., p. 81-82 et p. 191; Id., dans MEFR,
8, 1888, p. 66-67.
73 CIL, X, 6838 = CIL, F, 21 = I.L.L.R.P., 448; le lieu exact où fut découvert le
milliaire est en fait inconnu; sur P. Claudius et C. Furius, cf. T.R.S. Broughton, M.R.R.,
1, p. 211; S. Mazzarino, dans Helicon, 8, 1968, p. 184; selon F. Coarelli, dans DArch,
III, 6, 2, 1988, p. 37, les caractéristiques paléographiques et morphologiques de
l'inscription ne permettent pas de lui donner une date postérieure aux dernières
décennies du IIIe s. av. J.-C.
74 F. Coarelli, dans DArch, III, 6, 2, 1988, p. 37.
728 MICHEL HUMM
pontium (au 39e mille) et aurait donc eu une longueur de 19 milles75; mais
le 53e mille de Rome ne correspondrait pas dans ce cas au 10e mille du
canal. D'autre part, on voit mal pourquoi les Romains auraient tenu à
marquer par ce jalon le 10e mille du canal, alors que son milieu se trouvait à Ad
Médias, au 8e mille : il ne peut donc s'agir que de l'existence d'une mutatio,
à 10 milles de Forum Appi et à 9 milles de Terracine, à mi-parcours de la
section de route connue plus tard sous le nom de Decennovium76. La
présence du milliaire pourrait ainsi s'expliquer par l'achèvement d'importants
travaux d'entretien ou de réfection de la route, un demi-siècle après sa
construction.
Même si le canal ne doit pas être confondu avec le Decennovium, il
semble toutefois hautement improbable qu'on ait pu construire une route à
travers les Marais Pontins sans en assurer le drainage ou au moins une
bonne régulation des eaux : la construction de la route et celle du canal ont
par conséquent dû aller de pair77.
Plusieurs éléments semblent en effet indiquer une construction
précoce du canal. Ainsi, une petite notice de la Souda indique-t-elle (s.v.
«Άππία οδός») :
Άππία όδος. Ούτως έκαλεΐτο άπο Άππίου, Ρωμαίου τιμητοΰ, ος λιθομυλία
ταύτην κατέστρωσεν, καί ύδατος οχετούς κατεσκεύασεν.
(Via Appia. Elle tient son nom d'Appius, un censeur romain, qui la fit
paver de pierres et l'équipa de 'canalisations d'eau'.)
L'expression ύδατος οχετούς utilisée par la Souda n'a jamais été relevée.
Fig. 16, 1 - La via Appia à Forum Appi (Fàiti), peu avant le pont sur le canal
de la Cavata, avec mur de terrassement in situ.
2»
vecchio letto dell'
livello del terreno
anteriore alla costruzione
della via appia
Fig. 16, 3 - Vue de la via Appia et du canal après Fig. 16, 4 - Image du début du siècle, avec le tra-
Bocca di Fiume. fie des bacs sur le canal le long de la via Appia.
Fig. 16 - La via Appia à Forum Appi, le canal le long de la route et la coupe de la via Appia au pont sur la
Schiazza (clichés et dessin extraits de L. Quilici, // rettifilo della Via Appia tra Roma e Terracina. La tecnica
costruttiva, dans S. Quilici Gigli éd., La Via Appia, Rome, 1990, p. 56-57).
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 731
lement par les fouilles menées à Musarna82. Bref, les nécessités techniques
liées à la morphologie et à l'hydrographie de la région autant que la
vraisemblance historique incitent à penser à la construction simultanée de la
route et du canal, et par conséquent à des travaux d'ingénierie d'une
ampleur tout à fait considérable et inhabituelle pour l'époque.
contestée par certains historiens pour des raisons juridiques liées au droit
public romain : ne disposant pas de Yimpenum, le célèbre censeur n'aurait
pas eu les pouvoirs nécessaires pour étendre son domaine de compétence
en dehors du territoire romain proprement dit. Mais devant la nécessité
urgente de mener à bien la construction de cette route, en pleine guerre
samnite, les autorités romaines de l'époque n'ont pas dû s'embarrasser de
pareilles arguties juridiques, d'autant que par la suite les censeurs étaient
généralement chargés (sous le contrôle du Sénat) de gérer les recettes et les
dépenses publiques et d'assurer au nom de l'État l'adjudication des grands
travaux publics, et notamment la construction ou l'entretien des routes85. Il
est enfin incontestable que la politique de grands travaux et de réformes
organisée par Appius Claudius a donné à la censure un prestige et une
autorité qu'elle n'avait pas auparavant : c'est sans doute aussi ce qui
explique que l'image que ce personnage a laissée dans l'historiographie
romaine soit si controversée.
En effet, Appius Claudius a sans doute été le premier censeur à
prolonger la durée de la censure, fixée à 18 mois par la lex Aemilia*6, pour
pouvoir achever les travaux entrepris, à commencer par la via Appia*7.
L'achèvement des travaux est peut-être aussi la raison pour laquelle Appius
Claudius a assumé le consulat aussitôt après sa censure, en 307 (Liv., IX,
42, 3-4)88.
85 Cf. Th. Mommsen, Le droit public, II, p. 108-119; exemples de réfection censo-
riale de la via Appia par adjudication en 189 (Liv., XXXVIII, 28, 3) et en 174 (Liv.,
XLI, 27, 5).
86 D'après la tradition, la lex Aemilia qui limite la durée de la censure à 18 mois
aurait été proposée par L. Aemilius Mamercinus en 434 (Liv., IV, 24, 6) : G. Rotondi,
Leges publicae populi Romani, Milan, 1912, p. 211 ; Th. Mommsen, Le droit public, IV,
Paris, 1894, p. 25 et n. 1, estime que dans le cas d'Appius Claudius, il ne s'agit que
d'une «prorogation d'une longueur inusitée, et que c'est de cette mouche que les
annales [récentes] ont fait un éléphant»; J. Suolahti, The Roman Censors. A Study on
Social Structure, Helsinki, 1963, p. 26-29, considère que la durée de 18 mois a été la
durée initiale de la censure, mais qu'on a eu tendance à prolonger cette durée lors-
qu'ont commencé à se développer les grands travaux publics à Rome, et que le
premier exemple a pu être celui d'Appius Claudius Caecus pour la construction de
Vaqua Appia et de la via Appia.
87 Cf. Liv., IX, 33, 4 : Ap. Claudius censor circumactis decent et octo mensibus,
quod Aemilia lege finitum censurae spatium temporis erat, cum C. Plautius, collega
eius, magistratu se abdicasset, nulla vi compelli, ut abdicaret, potuit : cf. également
chez Tite-Live, IX, 33, 5-9 et IX, 34, 1-22, le long réquisitoire du tribun Sempronius
contre Appius, parce que celui-ci refuse de démissionner après les 18 mois prévus
par la loi (ou le mos maiorum?); Frontin., Aq., I, 5, 3 : multis tergiversationibus, ex-
traxisse censurant traditur, donec et viam et huius aquae ductum consummaret.
88 Cf. T. R. S. Broughton, M.R.R., 1, p. 165.
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 733
On s'est aussi interrogé pour savoir quels pouvaient être les pouvoirs
constitutionnels autorisant Appius Claudius à dépenser les deniers publics
pour financer ses grands travaux, étant donné que le contrôle financier
devait normalement être exercé par le Sénat. La controverse sur ce sujet
subsiste d'ailleurs dans le récit que Diodore de Sicile fait de la censure
d'Appius89.
Selon S. Mazzarino, Appius Claudius a réussi à contrer l'opposition du
Sénat grâce à sa lectio senatus, par ailleurs si controversée, et sans laquelle
il n'y aurait pas eu de via Appia90. Il est possible aussi qu'Appius ait été
obligé d'accroître les disponibilités financières de l'État en ouvrant la vie
politique à de nouvelles catégories de contribuables, non propriétaires
fonciers : la «petite bourgeoisie» de commerçants et d'artisans qui avait tout à
gagner d'une ouverture économique sur la Campanie et l'Italie du Sud91, et
qui compose peut-être cette forensis factio que la censure d'Appius a
favorisée et qui est si vivement dénoncée par Tite-Live (IX, 46, 10-13).
Il est possible enfin qu'Appius ait accru les moyens financiers de l'État
en développant pour la première fois à Rome le monnayage de l'argent.
M. H. Crawford a pu démontrer que la série de didrachmes d'argent
(R.R.C. n° 13) portant l'effigie de Mars sur l'avers et une tête de cheval sur
le revers, avec la mention ROMANO, serait datable des années 310
environ. Il s'agit d'une émission unique, alignée sur le standard monétaire
de Naples, mais relativement abondante, à en juger d'après le nombre
d'exemplaires retrouvés jusqu'en Italie du Sud. Or, une émission unique de
cette sorte ne pouvait se justifier que par de vastes dépenses publiques :
pour M. H. Crawford, celle-ci ne peut donc s'expliquer que par les
dépenses engagées pour la construction de la via Appia entre 312 et 308 av.
J.-C.92. L'une des toutes premières émissions monétaires au nom de l'État
romain serait donc liée à la construction de la première route romaine : la
monnaie était en effet un instrument de la politique de l'État, pour
subvenir à ses besoins et manifester sa puissance93. La construction de la via
89Diod., XX, 36, 1 : τφ δήμω γαρ το κεχαρισμένον ποιών ούδένα λόγον έποιεϊτο
τής συγκλήτου. [...] και πολλά των δημοσίων χρημάτων είς ταύτην την κατασκευήν
άνήλωσεν άνευ δόγματος τής συγκλήτου, et XX, 36, 2 : κατηνάλωσεν άπάσας τας
δημοσίας προσόδους.
90 S. Mazzarino, dans Helicon, 8, 1968, p. 176-177.
91 Cf. E. S. Staveley, dans Historìa, 8, 1959, p. 426; F. Cassola, / gruppi politici
Romani nel III secolo A.C., Trieste, 1962, p. 121-137.
92 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, Londres,
1985, p. 28-29; cf. aussi A. Burnett, La numismatique romaine, Paris, 1988, p. 20.
93 Sur le rôle de la monnaie dans l'économie antique, et en particulier dans
l'économie romaine, cf. C. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen : 264-
734 MICHEL HUMM
27 av. J.-C, 1, Les structures de l'Italie romaine, Paris, 1977, p. 164-166; S. Balbi De
Caro, Cause sociali ed economiche alla base della politica monetaria di Roma (IV e II
secolo a.C), dans I. Dondero et P. Pensabene éd., Roma repubblicana fra il 509 e il
270 a.C, Rome, 1982, p. 110-111, voit dans ces premières émissions monétaires «un
mezzo di propaganda politica» à destination des populations campaniennes,
soumises ou alliées à Rome, et qui avaient depuis longtemps l'habitude d'utiliser des
monnaies grecques.
94 Cf. dans le même sens T. Hölscher, dans Akten des XIII. internationalen
Kongresses, 1990, p. 79, même si cet auteur ne tient compte que de la première frappe
officielle de l'argent à Rome dans la première moitié du IIIe siècle avant J.-C.
95 C'est précisément pour l'année 310 que Tite-Live mentionne l'existence sur le
Forum, sans doute le long du clivus argentarius, de tabemae appartenant à des
argentoni (Liv., IX, 40, 16) : ces derniers devaient être des «changeurs», ce qui suppose la
circulation à Rome de pièces d'argent étrangères qui ne pouvaient provenir que du
monde grec d'Italie du Sud; cf. A. Burnett, The coinages of Rome and Magna Grecia
in the late fourth and early third Centuries B.C., dans SNR, 56, 1977, p. 92-121;
T. Hölscher, dans MDAI(R), 85, 1978, p. 353; F. Coarelli, // Foro Romano, 2, p. 142;
J. Andreau, La vie financière dans le monde romain. Les métiers de manieurs d'argent
(IVe siècle avant J.-C. - IIIe siècle apuis J.-C), Rome, (BEFAR, 265), 1987, p. 337-346.
96 Cf. G. Radke, dans R.E., Suppl. XIII, loc. cit., col. 1478; F. Coarelli, Roma,
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 735
Mais la via Appia fut la première route romaine à porter le nom de son
constructeur, et la seule à porter son prénom97. G. Radke avoue ignorer
pourquoi la via Appia a emprunté son nom au praenomen d'Appius
Claudius Caecus, plutôt qu'à son nomen9S. Pourtant, Appius Claudius n'a pas
seulement donné son prénom à la route qu'il a fait construire, mais aussi
au premier aqueduc de Rome ainsi qu'au forum installé au 43e mille de la
via Appia. G. Radke souligne en effet avec justesse que les fora semblent
toujours avoir été construits au moment de la construction des routes, ce
qui explique qu'ils aient généralement reçu le nom de leur constructeur :
Forum Appi doit donc son nom également à Appius Claudius Caecus". Via
Appia, aqua Appia, Forum Appi : l'identification systématique de ces
grandes réalisations édilitaires à la personne de leur constructeur évoque
davantage l'évergétisme d'un monarque hellénistique que l'austère mos
maiorum d'un aristocrate romain... Le fait qu'un membre de l'aristocratie
romaine ait pu, pour la première fois, donner son nom (et même son
prénom100) à des monuments publics qu'il a fait construire, révèle à la fois
la force de sa personnalité et l'introduction à Rome de mœurs politiques
nouvelles101 : quelques années plus tôt, Philippe de Macédoine et Alexandre
le Grand donnèrent leurs noms à des villes qu'ils avaient fait construire...
ante quern pour ce type d'équipement, même si rien n'indique que la via
Appia fut jalonnée de milliaires dès sa construction. T. Pekary a supposé
que les Romains avaient découvert les routes macédoniennes lors de la
guerre contre Antiochos III, en 190 av. J.-C, et qu'ils en auraient rapporté
l'idée de construire les premières routes romaines jalonnées de bornes
milliaires107. Si l'archéologie et la cohérence historique empêchent absolument
d'accepter la chronologie basse de T. Pekary, le «modèle» est peut-être le
bon et on peut penser qu'Appius Claudius Caecus ou ses successeurs
immédiats ont pu vouloir donner à «leur» route l'allure d'une grande route
royale macédonienne.
Un autre indice du caractère «hellénistique» de cette route, et surtout
de son constructeur, figure dans le témoignage controversé de Suétone
(Tibère, 2) qui indique qu'un Claudius Drusus, statua sibi diademata ad
Appii forum posita, Italiani per clientelas occupare temptavit. Depuis
Th. Mommsen, beaucoup ont voulu reconnaître dans ce Claudius le
censeur qui a fait construire la route ainsi que le forum du 43e mille108. L'école
«hypercritique» a cependant considéré l'existence de cette statue d'Appius
Claudius Caecus cum diademate comme une information hautement
suspecte, et a voulu y voir l'œuvre de l'historiographie tardive, d'autant que le
cognomen Drusus dont on a affublé ce Claudius n'a été porté que
tardivement, et par les parents maternels de Tibère109.
C. Edson, The Location ofCellae and the Route of the Via Egnatia in Western
Macedonia, dans CPh, 46, 1951, p. 4 et p. 11-12.
107 T. Pekary, Römischen Reichsstrassen, p. 63.
108 Le nom Drus* us a une lettre grattée dans le manuscrit principal; aussi
Th. Mommsen, Die patricischen Cloudier, dans les Römische Forschungen, I, Berlin,
1864, p. 308-309, proposait-il de lire rursus, car aucun Claudius Drusus n'est connu
pour une époque aussi ancienne : il s'agirait donc d'Appius Claudius Caecus rursus,
puisque déjà cité plus haut par Suétone (cf. déjà B.G. Niebuhr, Hist, rom., tr. fr.,
t. V, p. 420); dans le même sens : L. R. Taylor, The Voting Districts of the Roman
Republic, Rome, 1960, p. 137; B. MacBain, dans CQ, 30, 1980, p. 362 sq.; Ο. Hirschfeld,
Antiquarisch-kritische Bemerkungen zu römischen Schriftstellern, dans Kleine
Schriften, Berlin, 1913, p. 795-796 proposait de lire Crassus, c'est-à-dire le cognomen
original de Caecus (cf. Frontin., Aq., I, 5, 1) : cf. aussi F. Münzer, s.v. Claudius, n° 91, dans
R.E., III, 1899, e. 2681.
109 Contre l'interprétation mommsénienne : A.-G. Amatucci, Appio Claudio
Cieco, dans RFIC, 22, 1893-94, p. 250-251; P. Lejay, Appius Claudius Caecus, dans R.Ph.,
44, 1920, p. 100-101; cf. surtout E. Pais, Storia critica, vol. IV, p. 178 (en note); Id.,
Storia di Roma, vol. V, p. 194, η. 1; voir aussi A. Garzetti, Appio Claudio Cieco nella
storia politica del suo tempo, dans Athenaeum, 25, 1947, p. 197; M. Ihm, Suetoniana,
dans Hermes, 36, 1901, p. 303, a proposé de lire Claudius Russus (=Rufus), le fils aîné
d'Appius Claudius Caecus, consul en 268, mort mystérieusement en fonction (cf.
T. R. S. Broughton, M.R.R., 1, p. 199-200) : dans le même sens également T. P. Wise-
MEFRA 1996, 2 48
738 MICHEL HUMM
man, Historiography and imagination. Eight Essays on Roman Culture, Exeter, 1994,
p. 39-44.
110 Les débuts de l'art du portrait à Rome dans la seconde moitié du IVe siècle
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 739
fait placer des imagines clipeatae de ses ancêtres, et peut-être aussi de lui-
même, dans la cella du temple de Bellone consacré vers 293 m. Or,
Th. Mommsen a justement essayé de montrer que l'attribution du nom du
constructeur à un édifice ou à un lieu public est un honneur qui se rattache
au ius imaginum112. L'existence d'une statue d'Appius à Forum Appi, au
bord de la via Appia, peut par conséquent être corroborée par le nom que le
constructeur a donné aussi bien à la route qu'au bourg du 43e mille : la
statue honorifique et l'éponymie seraient ainsi indissociables...
Reste le problème de la représentation du diadème : spontanément,
l'historien moderne aurait plutôt tendance à croire à un anachronisme,
sinon à une affabulation anti-claudienne. Pourtant, les représentations du
sont l'expression de la nouvelle nobilitas issue des lois licinio-sextiennes : cf. G. Haf-
ner, dans MDAI(R), 77, 1970, p. 46-71 + pi. h. t. 20-31 (qui a notamment cru
identifier un portrait d'Appius Claudius Caecus dans un buste du musée Chiaramonti!);
F. Zevi, dans Roma medio repubblicana, Aspetti culturali di Roma e del Lazio nei
secoli IV e III a. C, Rome, 1973, p. 31-32 (à propos du «Brutus» capitolin); T. Hölscher,
Die Anfänge römischer Repräsentationskunst, dans MDAI(R), 85, 1978, p. 324-344 et
354-357; Id., Monumenti statali e pubblico, Rome 1994, p. 24-39; K.-J. Hölkeskamp,
Die Entstehung der Nobilitai. Studien zur sozialen und politischen Geschichte der
Römischen Republik im 4. Jhdt v. Chr., Stuttgart, 1987, p. 233-236.
111 Le temple de Bellone fut voué par Appius Claudius Caecus en 296 au cours de
combats contre les Étrusques et les Samnites (Liv., X, 19, 17; elog. For. Aug., dans
CIL, F, p. 192, X = ILS, 54 = Inscr. It., XIII, 3, n° 12); il fut dédié quelques années
plus tard, sans doute après 293 (cf. A. Ziolkowski, The Temples of mid-republican
Rome and their Historical and Topographical Context, Rome, 1992, p. 18-19); une
notice controversée de Pline (Ν. Η., XXXV, 12) rapporte qu'un Appius Claudius
suspendit dans le temple de Bellone les imagines clipeatae de ses ancêtres; il est impossible
de reprendre ici toute la discussion suscitée par ce passage, mais l'hypothèse la plus
probable et la plus en accord avec l'évolution socio-culturelle mentionnée plus haut
est qu'il faille associer ces imagines clipeatae avec le développement du ius imaginum
au sein de la nobilitas du IVe siècle et donc les attribuer au fondateur du temple de
Bellone, Appius Claudius Caecus : cf. Th. Mommsen, Le droit public, II, p. 91 et n. 1;
F. Zevi, Considerazioni sull'elogio di Scipione Barbato, dans Studi Miscellanei, 15,
1970, p. 71; T. Hölscher, dans MDAI(R), 85, 1978, p. 327; K.-J. Hölkeskamp, Die
Entstehung der Nobilitai, p. 221-224; G. Hafner, Drei Gemälde im Tempel der Bellona,
dans MDAI(R), 94, 1987, p. 241-265 + pi. h. t. 116-121.
112 Th. Mommsen, Le droit public, II, p. 76; mais le ius imaginum ne pouvait
normalement s'exercer que si le personnage ainsi honoré était mort : cf. Id., ibid.,
p. 89-90 : «L'exposition de statues et de bustes de personnages vivants dans des lieux
publics, ou même dans les parties des maisons qui étaient accessibles à tous les
visiteurs, était probablement absolument interdite dans l'État romain, à l'époque
ancienne»; par conséquent (ibid., p. 90, n. 2), «lorsque Claudius Drusus, ou plutôt
Claudius Caecus statua sibi diademata ad Appii forum posita, Italiani per clientelas
occupare temptavit (Suét., Tib. 2), ce n'est sans doute pas seulement le diadème, mais
aussi l'érection même de la statue qu'on lui reproche. »
740 MICHEL HUMM
diadème ne sont pas rares à Rome dès le début du IIIe siècle, voire la fin du
IVe siècle av. J.-C. : des diadèmes servent en effet de motifs décoratifs à des
plats en céramique à vernis noir (ou brun-roux), appartenant au groupe
des céramiques dites «de Genucilia», découverts dans la nécropole de l'Es-
quilin et datant précisément de cette époque; de même, une statuette en
terre cuite datant de la même époque et provenant selon toute probabilité
du milieu artistique tarentin représente un buste féminin dont la tête est
couronnée d'un diadème113. Bien plus, il semble bien que la statue de Mar-
syas découverte à Paestum porte également le diadème114 : or, M. Torelli et
F. Coarelli ont montré qu'il s'agit de la représentation exacte du Marsyas
qui se trouvait sur le Comitium du Forum Romain et qui a dû y être placé
par C. Marcius Censorinus lors de sa première censure en 294 (le choix de
Marsyas s'expliquerait d'ailleurs par une «pseudo-étymologie» qui
cherchait à lier la gens Marcia à ce silène)115. Il reste que le port du diadème par
un aristocrate romain (ou sa représentation figurée) à la fin du IVe siècle
prendrait, si l'information s'avérait exacte, une dimension éminemment
politique qui ne pourrait se comprendre que dans une perspective cultu-
(Guide archeologiche Laterza), 1988, p. 233; T. Hölscher, dans Akten des XIII.
Internationalen Kongresses, 1990, p. 76, insiste à ce propos sur le rôle de «modèle» que
cette galerie de portraits du temple d'Athéna de Syracuse a pu jouer dans
l'introduction à Rome de la coutume de décorer l'intérieur des temples avec des portraits
peints.
121 Cf. F. Coarelli, // sepolcro degli Scipioni, dans DArch, VI, 1972, p. 42-50; Id.,
dans Roma medio repubblicana, p. 234-235; F. Zevi, dans ibid., p. 236-239; E. La
Rocca, Linguaggio artistico e ideologia politica a Roma in età repubblicana, dans
G. Pugliese Carratelli éd., Roma e l'Italia : radices impeni, Milan (coll. Antica Madre),
1990, p. 354-355.
122 Illustrations dans E. Gabba et G. Vallet éd., La Sicilia antica, II, 1, fig. 98-104,
et commentaire par F. Coarelli et M. Torelli, Sicilia, p. 240 et 296.
123 CIL, I2, 7 - CIL, VI, 1285 = I.L.L.R.P., 309 = ILS, 1; R. Wächter, Altlateinische
Inschriften, Bern, 1987, p. 301-342, estime, après une longue démonstration qui
prend en compte des arguments historiques, paléographiques et linguistiques, que
l'inscription n'est pas de beaucoup postérieure à la mort de L. Cornelius Scipio
Barbatus, mais abaisse la date de celle-ci vers 260 environ.
124 F. Zevi, dans Roma medio repubblicana, p. 238-239; Id., dans Studi
miscellanei 15, 1970, p. 70-71, y voit la transposition romaine de l'hellénique καλοκαγαθία; il
met ensuite cette formule en parallèle avec la personnalité hellénisante d'Appius
Claudius Caecus, eloquentia civilibusque artibus haud dubie praestans (Liv., X, 15,
12), et fait le rapprochement avec l'installation sur le Comitium, bello samniti, d'une
statue d'Alcibiade (cf. Plin., N.H., XXXTV, 26; Plut., Num., VIII, 12), «le plus coura-
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 743
de la via Appia, à moins d'un mille de la porte Capène, n'est pas non plus un
hasard et doit permettre d'associer les Sciptones Barbati aux projets
d'expansion de Rome vers l'Italie du Sud que matérialisait cette route et qui
étaient certainement explicitement voulus par son constructeur125. Et c'est
pratiquement au même moment, à quelques dizaines de milles de là, mais
au bord de la même route, qu'Appius Claudius Caecus est censé s'être fait
représenter par une statue diademata...
Tout porte donc à croire qu'Appius Claudius Caecus, tout en
répondant aux nécessités géopolitiques ou géostratégiques du moment, a
également construit cette route à des fins personnelles. Une interprétation
suggestive de L. R. Taylor voyait dans la statua diademata de Forum Appi
l'œuvre de petites gens, d'affranchis ou de descendants d'affranchis
constituant la clientèle d'Appius Claudius, qui honorèrent leur patron pour le
remercier de leur avoir donné la possibilité d'exercer leurs droits politiques
à Rome, tout en habitant sur les terres de Yager Pomptinus, grâce à la via
Appia126. B. MacBain est allé plus loin encore, en essayant d'expliquer la
construction de la via Appia par la seule ambition démagogique d'Appius
Claudius, uniquement désireux d'obtenir, grâce à ses grands travaux, le
soutien inconditionnel d'une masse d'affranchis devenus ses clients127. De
fait, il est possible que les affranchis aient joué un rôle dans la carrière
politique d'Appius Claudius Caecus, par ailleurs accusé par
l'historiographie romaine de les avoir introduits jusque dans le Sénat par une prava
lectio™ : ceux-ci ont également pu constituer, comme le suggère la notice
geux des Grecs», mais aussi princeps forma in ea aetate (Plin., N.H., XXXVI, 28);
quoi qu'il en soit, la beauté physique devient alors une nouvelle valeur au sein de la
nobilitas romaine : c'est à cette époque que les Romains commencent à se raser la
barbe (cf. Varr., Res rust., Π, 11, 10; Plin., Ν. H., VII, 211; le surnom deBarbatus
pourrait d'ailleurs s'expliquer par le maintien chez L. Cornelius Scipio Barbatus, pontifex
maximus en 304 et père du consul de 298, du port de la barbe, «indice
evidentemente di un inveterato tradizionalismo» : E. La Rocca, dans G. Pugliese Carratelli
éd., Roma e l'Italia, p. 350) et cette coutume venue de Grèce a sans doute été diffusée
par l'image d'Alexandre le Grand (T. Hölscher, dans Akten des XIII. Internationalen
Kongresses, 1990, p. 77); c'est aussi à la même époque que P. Claudius, le fils de
Caecus, prend le surnom de Pulcher, peut-être par ressemblance avec le visage juvénile
et imberbe d'Alexandre (cf. G. Hafner, dans MDAI(R), 77, 1970, p. 46 et 65).
125 Cf. en ce sens F. Zevi, dans Studi miscellanei, 15, 1970, p. 73, repris par
F. Coarelli, dans DArch, VI, 1972, p. 39.
126 L. R. Taylor, The Voting Districts, p. 137.
127 B. MacBain, dans CQ, 30, 1980, p. 356-372.
128 Cf. Diod., XX, 36, 3; Diod., XX, 36, 5; Liv., LX, 29, 6-7; Liv., IX, 30, 1-2; Liv.,
LX, 46, 10-11; Suet., Claud., XXIV; Auct. de Vir. ill, 34, 1; mais J. Cels-Saint-Hilaire,
La République des tribus, p. 251-283, ne voit pas nécessairement dans ces libertini
744 MICHEL HÜMM
(ou απελεύθεροι chez Diod.) des affranchis ou des descendants d'affranchis, mais
des citoyens de fraîche date et donc des «Italiens naturalisés» dans la cité romaine;
une autre hypothèse pourrait assimiler ces libertini à des éléments de la plèbe
(urbaine ou rurale) libérés de l'esclavage pour dettes à la suite de l'abolition du nexum
par la loi Poetelia de 326, confirmée par la loi Marcia de 309 contre les usuriers et
commémorée par l'érection de la statue de Marsyas sur le Comitium, symbole de li-
bertas (cf. C. Nicolet, dans Latomus, 20, 1961, p. 691; F. Coarelli, // Foro Romano, 2,
p. 103-111; M. Denti, dans AION (Arch, e stor. ant), 13, 1991, p. 180-183); ces libertini
affranchis du nexum ont pu constituer un enjeu politique de première importance
pour la nobilitas romaine, et notamment pour Appius Claudius Caecus, pour qui ils
pouvaient former une importante masse de manœuvre en entrant dans le système
clientélaire : c'est en effet sans doute d'eux dont il s'agit lorsque Tite-Live évoque les
opes urbanae qu'Appius Claudius aurait tenté de faire entrer au Sénat, puis les hu-
miles qu'il répartit à travers toutes les tribus, favorisant ainsi l'élection à l'édilité
curule d'un Cn. Flavius, pâtre libertino humili fortuna ortus (Liv., IX, 46, 1-11); c'est
d'eux enfin dont il peut être question lorsque Suétone rapporte, à propos de la statua
diademata de Forum Appi, que Italiani per clientelas occupare temptavit (Suet., Tib.,
Π) : on connaît les liens qui associaient les Claudii aux Pacuvii de Capoue en 216, et
sans doute encore à l'époque de Cicéron (cf. Liv., XXIII, 2, 2-4; J.-M. David, Le
patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome (BEFAR, 277), 1992,
p. 872) et il est très vraisemblable que ces liens pouvaient remonter à la construction
de la via Appia par le censeur de 312 (jusqu'à la première guerre punique, Italia ne
désignait que la partie méridionale de la péninsule, y compris la Campanie mais à
l'exclusion du Latium : cf. H. Kiepert, Manuel de géographie ancienne, Paris, 1887,
p. 207-208; W. Hoffmann, Rom und die griechische Welt im 4. Jahrhundert, dans Phi-
lologus Supplement, XXVII, 1, Leipzig, 1934, p. 127).
129 Diod., XX, 36, 2 : κατηνάλωσεν άπάσας τας δημοσίας προσόδους, αύτοϋ δε
μνημείον άθάνατον κατέλιπεν, είς κοινήν εύχρηστίαν φιλοτιμηθείς : «il dépensa tous
les revenus de l'État, mais laissa en souvenir de lui un monument immortel, en ayant
été ambitieux pour le profit de tous»; cf. G. Clemente, Basi sociali e assetti
istituzionali nell'età della conquista, dans A. Schiavone éd., Stona di Roma, II, L'impero
mediterraneo, 1, La repubblica imperiale, Turin, 1990, p. 43 : «Nella concezione di Appio,
ragioni politiche e culturali dovevano fondersi; esse appaiono anche nella sua
opposizione alla elezione di un console plebeo, e nell'intensa attività edilizia della sua
APPIUS CLAUDIUS CAECUS ET LA CONSTRUCTION DE LA VIA APPIA 745
censura, tipica del desiderio di legare il proprio nome ad una forma di evergetismo a
beneficio della communità cittadina».
no ρ Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique,
Paris, 1976, p. 488 (cf., sur l'évergétisme de l'oligarchie républicaine à Rome, p. 375-
387).
131 K.-J. Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilitai, p. 182-183; cf. dans le même
sous T. Hölscher, Monumenti statali, p. 46-47.
132 F. Altheim, Rom und der Hellenismus, p. 96-106.
746 MICHEL HUMM
Michel Humm
133 Cf. Enn., Ann., VI, v.202-203; de, Brut, 55 et 61; Cat. M., 16; Ined. Vat., dans
Fr. Gr.H. 839, 2; Liv., Per., XIII, 6; Elog., dans CIL, F, p. 192, X = ILS, 54 = Inscr. It.,
XIII, 3, n° 12; Ον., Fast, VI, v.199-204; Val. Max., VIII, 15, 5; Quint., Inst, II, 16, 7;
Suet., Tib., II; Plut., Pyrr., XVIII, 7 - XIX, 5; Flor., I, 13, 20; Αρ., Samn., Χ, 2; Amp.,
19, 2; Pomp., αρ. Dig. I, 2, 2, 36; Auct. de Vir. ill, 34, 9; Isid., Etym., I, 38, 2; Zon., 8,
4.
134 A. Passerini, Sulle trattative dei Romani con Pino, dans Athenaeum, 21, 1943,
p. 110-111.
135 Cf. Stat., Sylv., II, 2, 11; cette interprétation du discours d'Appius, et de sa
réelle portée, fut reprise par F. Cassola, Gruppi politici, p. 167-168.