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La richesse selon 1 Timothée.

6, 6-10 et 6, 17-19
Samuel Bénétreau
Dans Études théologiques et religieuses 2008/1 (Tome 83), pages 49 à 60
Éditions Institut protestant de théologie
ISSN 0014-2239
DOI 10.3917/etr.0831.0049
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ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES


83e année – 2008/ 1 – P. 49 à 60

LA RICHESSE SELON 1 TIMOTHÉE


6, 6-10 ET 6, 17-19

La Première épître à Timothée offre deux sections sur le thème de la


richesse, proches l’une de l’autre mais nettement séparées. Samuel
BÉNÉTREAU * s’étonne de cette dualité. Faut-il parler de redondance ou, au
contraire, de tension ou même d’opposition ? Cette étude cherche à montrer
ce qui distingue les deux passages, le premier comme appendice de la polé-
mique antihérétique, le second comme recommandation visant la catégorie
des riches dans l’Église. Les destinataires ne sont pas identiques, mais le
message de base reste le même : le désir de possession constitue un piège
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pour tous, qu’on cherche à devenir riche ou qu’on le soit déjà. Comptent,
avant tout, l’orientation du cœur et les priorités. Pour le riche se pose en
outre la question concrète de l’utilisation de ses biens.

6, 6-10
6
Certes, elle est d’un grand profit, la piété, pour qui se contente de ce
qu’il a. 7En effet, nous n’avons rien apporté dans le monde et nous
n’en pouvons rien emporter. 8Si donc nous avons nourriture et vête-
ment, nous nous en contenterons. 9Quant à ceux qui veulent s’enrichir,
ils tombent dans la tentation, dans le piège et dans de nombreux désirs
insensés et pernicieux, qui plongent les hommes dans la ruine et la
perdition. 10Car l’amour de l’argent est racine de tous les maux. Pour
s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligés
de multiples tourments.
6, 17-19
Aux riches du monde présent, enjoins de ne pas s’enorgueillir et de
17

ne pas mettre leur espérance dans une richesse incertaine, mais en

* Samuel BÉNÉTREAU est professeur émérite de Nouveau Testament de la Faculté libre de


théologie évangélique de Vaux-sur-Seine.

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Dieu, lui qui nous dispense tous les biens en abondance, pour que
nous en jouissions. 18Qu’ils fassent le bien, s’enrichissent de belles
œuvres, donnent avec joie, partagent avec les autres. 19Ainsi amasse-
ront-ils pour eux-mêmes comme trésor un beau fonds pour l’avenir,
afin d’obtenir la vie véritable.
La première surprise est la dualité. Pourquoi deux développements consa-
crés à la richesse, séparés « brutalement » par des exhortations de caractère
très personnel débouchant sur une doxologie (v. 11-16), apparemment indé-
pendants l’un de l’autre ? On touche ici au problème de la composition de
l’Épître. On constate, d’un côté, une grande liberté de l’auteur qui passe
parfois d’un sujet à un autre sans ménager les articulations qu’on aimerait
trouver et, d’un autre côté, la présence d’exposés construits où la progression
de la pensée est claire, telle la série de recommandations visant plusieurs
catégories de membres de l’Église (5, 1-6, 2). À vrai dire, des considérations
voisines peuvent être faites sur beaucoup des lettres du Nouveau Testament.
Quoi qu’il en soit, le fait est là : ces deux passages, à la fois voisins et nette-
ment distincts, abordent un même sujet et mettent en garde contre les dangers
afférents. Faut-il conclure à une répétition superflue, comme on a pu le
penser 1 ? Font-ils vraiment double emploi ? C’est loin d’être évident, d’au-
tant que beaucoup de commentateurs sont plutôt sensibles à une tension entre
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les deux, voire à une opposition. L’idée souvent exprimée est que le premier
texte (v. 6-10) porterait un jugement beaucoup plus sévère que le second
(v. 17-19). Le premier, en effet, paraît radical quand il voit dans l’argent
« [la] racine de tous les maux » et invite le croyant à se satisfaire d’un mini-
mum, alors que le second envisagerait la possibilité de vivre en bonne intelli-
gence avec l’argent et d’en jouir, à condition de le gérer sagement et généreu-
sement. Avant d’évaluer les rapports entre ces passages, il convient de
s’assurer d’une juste compréhension.

I. 6, 6-10

Prolongeant la critique vigoureuse portée contre les faux docteurs, le


verset 6 introduit habilement un nouveau motif. Il ne s’agit pas d’un exposé

1. C. SPICQ (Les Pastorales, Paris, Gabalda, 1943, p. 209) note que Harnack et Falconer,
gênés par cette dualité, considéraient 17-19 comme une interpolation (von Soden suggérait de
déplacer ces trois versets). J. R O L O F F (Der erste Brief an Timotheus, EKKNT,
Zurich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchen, coll. « EKKNT », 1988, p. 366) écarte la
solution d’une interpolation, avancée par Harnack, car ces versets correspondent au style et à la
théologie des Pastorales. L’effort de P. DSCHULNIGG (« Warnung vor Reichtum und Ermahnung
der Reichen. 1 Tim. 6, 6-10.17-19 im Rahmen des Schlussteils 6, 3-21 », Biblische Zeitschrift
37, 1993, p. 60-77) pour repérer en 6, 3-21 une structure rhétorique et une unité centrée sur 11-
16 n’est pas très convaincant.

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sur la richesse voulu au départ pour lui-même, indépendant, mais d’un


appendice (consistant !) de la polémique anti-hérétique relancée à partir du
verset 3 ; la fin du passage (10b) montre que l’intérêt pour ces opposants que
combattent énergiquement les Pastorales ne se dément pas. La notion de
profit (porismos) assure la transition. Aux sévères critiques déjà dirigées dans
l’Épître contre les faux docteurs, un reproche majeur est ajouté : ils sont
cupides, cultivant une sorte de piété propre à leur valoir – du moins l’espè-
rent-ils – des avantages matériels (des contributions de leurs adeptes ?).
L’auteur montre ce qu’il y a de fallacieux et de ruineux dans ce rapport établi
entre les deux notions piété et profit. Il se fait un devoir de promouvoir un
autre rapport, authentique et favorable. Pour cela, il faut avoir une conception
juste de ce que porte chacun de ces termes.
Aucune précision n’est donnée ici sur la piété, mais c’est une des inten-
tions majeures des Épîtres pastorales de dire ce qu’elle est en vérité 2. C’est
un mot clé, abondamment utilisé (rare ailleurs dans le Nouveau Testament !),
dont les deux directions sont clairement indiquées. Est véritablement pieux,
en premier lieu, celui qui s’est tourné vers Dieu, qui reste en communication
avec lui par l’accueil de la Parole, la prière, s’ouvrant ainsi à l’action de son
Esprit. Cet aspect ressort particulièrement en 2 Timothée 3, 4-5, dans ce
reproche adressé aux faux docteurs : parce qu’ils ne cherchent pas à être
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avant tout « amis de Dieu », ils n’ont que les apparences de la piété et « ont
renié ce qui en fait la force ». La véritable piété est celle qui entretient une
relation avec le Dieu vivant et reçoit de lui la force indispensable autorisant
une vie différente 3. Sur l’orientation verticale de l’approche du Seigneur
vient alors se greffer l’horizontalité d’une conduite approuvée dans la
famille, dans l’Église, dans la société ; de nombreuses exhortations appellent
à une mise en œuvre pratique.
La notion de profit mérite aussi examen. Au verset 5, où s’explicite la
mentalité des faux docteurs, le mot porte son sens courant. Porismos (seuls
emplois dans le Nouveau Testament aux versets 5 et 6) est « l’action de se
procurer », le plus souvent de l’argent, des biens. Deux idées s’attachent au
mot (cf. porizô, se procurer [BAGD, Bailly, Lidell-Scott]) : la première est
l’augmentation d’un avoir, l’amélioration d’une situation, la seconde celle
d’un progrès dû à l’effort et à l’habileté de qui en bénéficie. Le terme fran-
çais « profit » souligne aussi le premier aspect : « Augmentation des biens
que l’on possède ou amélioration de situation qui résulte d’une activité »
(dict. Le Robert ; le latin proficere a comme sens premier « progresser »). Le
second aspect y est moins marqué. Porismos évoque donc un enrichissement,

2. Cf. l’excursus de I. H. MARSHALL, « Eusebeïa in the Pastoral Epistles » in The Pastoral


Epistles, Édimbourg,T.& T. Clark, coll. « ICC », 1999, p. 135-144.
3. C’est là que se situe la différence majeure avec les moralistes de l’Antiquité.

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un avantage, qui s’accompagne généralement de la satisfaction d’une entre-


prise dont on s’attribue la réussite, de l’orgueil d’un succès considéré comme
personnel. Mais le terme peut revêtir une portée plus haute.
Au tableau d’une piété superficielle et intéressée (pas seulement « l’appa-
rence » de la véritable piété, 2 Tm 3, 5) le verset 6 en oppose un autre. Oui !
Il y a bien un rapport entre piété et profit, un remarquable rapport, si la piété
est saine et si le profit acquiert une autre dimension. « Profit » conserve
l’idée d’avantage, de bénéfice, mais les aspects d’extension d’un avoir maté-
riel et de succès d’une entreprise personnelle sont évacués : le profit est
grand « pour qui se contente de ce qu’il a ». Et « ce qu’il a », il le reçoit. Les
traducteurs peinent à rendre explicite ce que le grec évoque en deux mots :
meta autarkeïas, « avec autarcie » 4. Autarkeïa, terme de la philosophie
grecque au moins depuis l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, peut désigner
simplement la situation de celui qui dispose du nécessaire (2 Co 9, 8), mais
vise plutôt ici une attitude intérieure, le « contentement » découlant du senti-
ment que ce nécessaire est disponible et suffisant (cf. le verset 8 « nous nous
en contenterons » et l’adjectif correspondant en Philippiens 4, 11 : « J’ai
appris en toute situation à me suffire »). À l’évidence, on est loin de l’autar-
cie valorisée par le stoïcisme comme liberté intérieure à l’égard des circons-
tances. Ici, les circonstances ne sont pas ignorées, le regard prend en compte
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« ce qu’on a réellement, » ce qu’on a reçu », la liberté et la paix procédant de
la conscience de l’origine des biens 5 – origine que va attester à sa manière le
verset suivant – et de la communion avec le Christ, « mystère de la piété »
(3, 16). L’argument du verset 7 retrouve la morale la plus ordinaire : « En
effet, nous n’avons rien apporté dans le monde et nous n’en pouvons rien
emporter. » À toutes les époques, les moralistes ont invité les hommes à
réfléchir à leur origine modeste et surtout à ce fait inéluctable qui devrait
induire une certaine sagesse : le dépouillement opéré par la mort 6. La logique

4. Les traductions sont proches : « pour qui se contente de ce qu’il a » (BJ ; TOB) ; « si
l’on se contente de ce qu’on a » (BC et NBS) ; « quand on sait être content de ce qu’on a »
(BSM) ; « s’il se contente de ce qu’il a » (BFC). On peut noter l’effort de C. SPICQ : « avec [la]
suffisance [de ce qu’on a] ». M. D IBELIUS et H. C ONZELMANN , (The Pastoral Epistles,
Hermeneia, Philadelphie, Fortress Press, 1972, p. 84) citent un texte de Stobée et un autre attri-
bué à Épictète qui mettent en valeur l’autarkeïa.
5. G. FEE (1 and 2 Timothy, Titus, NIBC, Peabody, Hendrickson, 1988, p. 143) exprime
ainsi la différence : « not “self-sufficiency” but “Christ-sufficiency” ».
6. Cf., entre autres, Job 1, 21 ; Sagesse 7, 7 ; Philon, De Specialibus Legibus 1.294 ;
Sénèque, Œuvres morales, 102.25 ; Polycarpe, Philippiens 4, 1 (reprenant 1 Tm 6, 7 ?). On a
dans l’Évangile selon Thomas le logion 76 : « Parce qu’ils sont venus au monde vides (kenoï),
ils cherchent encore à sortir du monde vides. » P. H. TOWNER (The Letters to Timothy and Titus,
Grand Rapids/Cambridge, W. B. Eerdmans, coll. « NICNT », 2006, p. 505-506), qui s’intéresse
à cette parole, estime qu’il n’y a pas lieu d’admettre de relation directe avec 1 Tm 6, 7, mais
qu’il n’est pas impossible d’envisager une parole de Jésus présente dans la tradition (orale ?) au
premier siècle, reprise d’une certaine façon en 1 Timothée et d’une autre façon dans l’Évangile
selon Thomas.

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de la phrase n’est pas évidente : on ne voit pas pourquoi le fait de naître


démuni s’opposerait au désir de posséder (cela pourrait même le stimuler !)
et le rapport entre les deux assertions reste problématique. Le hoti qui les
relie n’offre pas un sens aisé 7. Les deux affirmations sont pourtant limpides
en elles-mêmes, et l’intention de l’auteur reste claire. Il rappelle la nudité de
l’homme aux deux points extrêmes de son existence pour dire que tout est
grâce, don de Dieu, et non réelle possession 8. Le « contentement » décrit au
verset 8, reprenant la notion d’autarkeïa, paraît aux modernes vraiment
modeste : « [la] nourriture et [le] vêtement ». On prolongerait volontiers et
considérablement l’énumération (en particulier le logement !), mais c’est un
résumé de l’essentiel, de ce qui permet de vivre. Jürgen Roloff, nous semble-
t-il, durcit inutilement le sens de ce verset en voyant en arkesthèsometha un
futur à valeur impérative 9. Il s’agirait d’une règle ferme pour le croyant et en
particulier pour les responsables de la communauté : ne posséder rien de plus
que l’indispensable 10. L’exigence serait comparable à celle des philosophes
itinérants de l’école cynique : une stricte frugalité. Il suffit, pensons-nous, de
voir dans ce verset 8 une invitation à s’estimer satisfait et reconnaissant à
partir du moment où l’indispensable est assuré. La dimension impérative
qu’on peut reconnaître au futur porte non pas sur l’obligation de ne posséder
rien d’autre que la nourriture et le vêtement, mais de s’en contenter dès qu’ils
sont disponibles. S’il y a plus que l’indispensable, une reconnaissance encore
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plus grande sera de saison (les anciens de l’Église méritants ont droit à une
gratification, « un double honneur », 5, 17 ; les diacres doivent se garder des
gains seulement s’ils sont « honteux », 3, 8). L’interprétation rigoriste de
Roloff, qui n’est pas partagée par de nombreux commentateurs, le conduit à
une double complication. Il est obligé, d’une part, de construire une opposi-

7. I. H. MARSHALL, op. cit., p. 646-647, recense jusqu’à 9 propositions de solution pour la


valeur de ce hoti. Il conclut : « Aucune solution n’est totalement satisfaisante. »
8. C. SPICQ, op. cit., p. 190, soucieux de garder son sens causal le plus courant à hoti,
propose l’explication suivante sur le dessein de Dieu à l’égard de l’homme : « Si Dieu ne l’a
pas davantage comblé à sa naissance, c’est qu’il sera obligé de tout abandonner à sa mort. »
L. OBERLINNER (Die Pastoralbriefe. Erste Folge. Kommentar zum ersten Timotheusbrief,
Fribourg, Herder, coll. « HKNT XI/2 », 1994) retient un sens consécutif pour hoti : « de sorte
que nous ne pouvons rien emporter » (BAGD 1.g). On suggère aussi une sorte d’ellipse à com-
bler, ainsi G. W. KNIGHT (The Pastoral Epistles, Grand Rapids/Carlisle, W. B. Eerdmans/The
Paternoster Press, coll. « NIGTC », 1999, p. 254) qui propose : « et il est manifeste que nous ne
pouvons rien emporter » ; ou J. ROLOFF (op. cit., p. 335-336) : « nous n’avons rien apporté dans
le monde pour nous faire connaître que nous ne pouvons rien emporter ». ROLOFF (p. 335-336),
à la lumière de HERMAS, (Similitudes, 1.6), insiste sur le statut « d’étranger » pour le croyant
(cf. HERMAS : « Puisque tu habites sur une terre étrangère, ne te réserve rien de plus que le strict
nécessaire. »)
9. Op. cit., p. 336.
10. J. ROLOFF limite l’exigence de frugalité à la situation des responsables, des « officiels »
dans l’Église, et conteste l’élargissement de la perspective à l’ensemble des croyants à partir du
v. 7. P. DSCHULNIGG ne le suit pas, estimant que le « contentement » est demandé à tous les
chrétiens (op. cit., p. 73).

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tion avec ce qui a été proclamé en 4, 3-4, sur l’excellence de la création de


Dieu dont il faut savoir jouir, contrairement à l’ascétisme prôné par les oppo-
sants, et, d’autre part, d’affirmer une tension avec le développement de 17-19
sur l’utilisation de la richesse, conçu par lui comme un « correctif » de 6, 6-
10, l’auteur craignant qu’on ait vu dans ce texte un accord avec l’ascétisme
des faux docteurs.
Avec le verset 9, la ligne majeure du développement devient parfaitement
claire. L’intérêt se porte prioritairement sur l’orientation du cœur, sur le but
que chacun se fixe. À l’opposé du contentement reconnaissant se trouve la
volonté déterminée de s’enrichir, de posséder, d’assurer son propre avenir.
Cette volonté suscite « de nombreux désirs insensés et pernicieux ». La
possession exerce un attrait, on ne peut le nier, une « tentation », et beaucoup
« tombent dans le piège ». La pente est glissante comme le montre la
séquence « tentation », « piège », « ruine », « perdition » (l’image est celle
d’un bateau qui sombre) 11. Le désir peut être si impérieux qu’il peut porter le
nom d’amour. Certes, ce n’est pas le mot agapè qui est employé, mais philar-
guria, « amour de l’argent », phileô pouvant exprimer toutefois un attache-
ment très fort puisqu’il signale, à l’occasion, l’amour pour le Seigneur
(1 Co 16, 22) ou pour les frères en la foi (Tt 3, 15). On en arrive ainsi à la
célèbre formule : « L’amour de l’argent est racine de tous les maux ».
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La première remarque à son propos est qu’on est encore en présence d’un
lieu commun 12. C’est une évidence pour une foule de moralistes. On s’inter-
roge, toutefois, sur la portée exacte de la thèse. Les traductions courantes,
« est la racine de tous les maux », proposent un sens qu’on ressent comme
notoirement excessif. On ne peut rattacher tous les maux qui frappent l’hu-
manité à cette cause unique. On a cherché à adoucir la thèse de deux
manières : voir en pantôn non une totalité numérique, mais l’indication d’une
diversité : « la racine de toutes sortes de maux » (ainsi George W. Knight 13).
Mais la présence de l’article devant kakôn rend cette solution peu recevable.
L’autre possibilité est de jouer sur l’absence de l’article devant rhiza et de
lire « une racine de tous les maux » : « L’absence de l’article devant rhiza
précise que la cupidité n’est pas l’unique racine du malheur, mais qu’il n’y a
pas de maux qu’elle ne puisse engendrer », écrit Ceslas Spicq 14. Mais on sait
que les raisons de l’absence de l’article devant les substantifs grecs ne sont
pas faciles à élucider (BDF § 257-259) ; rhiza pourrait être sans article sim-
plement en tant qu’attribut placé avant le verbe. Les locutions proverbiales

11. H. ROUX, Les épîtres pastorales, Genève, Labor et Fides, 1959, p. 99 : « Tentation,
désirs pernicieux, ruine et perdition, ces termes accumulés au verset 9 mettent en effet en
lumière l’origine démoniaque de cette “volonté de s’enrichir”. »
12. Pour des listes de formules comparables dans l’Antiquité, on peut consulter les com-
mentaires de Spicq, Dibelius et Conzelmann, Marshall.
13. G. W. KNIGHT, op. cit., p. 257-258.
14. C. SPICQ, op. cit., p. 192.

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retiennent souvent l’attention par la radicalité de leurs propositions : il reste


ensuite, après l’interpellation qu’elles suscitent, à envisager des applications
circonstancielles. Le lecteur comprend aisément l’avertissement : la cupidité
porte des fruits redoutables, dans de nombreux domaines. Comme le note
Hébert Roux : « Si l’amour de l’argent est ici condamné, c’est parce qu’il est
“racine” et comme tel plonge au cœur de l’homme et sert de support et d’ali-
ment à sa volonté mauvaise de puissance et de possession 15. »
Il ne s’agit donc pas de disserter sur la richesse en tant que telle ou sur les
riches en tant que catégorie, mais d’avertir d’un piège dans lequel peuvent
tomber autant ceux qui ne sont pas riches mais qui désirent ardemment le
devenir (les diacres de l’Église ne doivent par « rechercher des gains
honteux », 3, 8) que les nantis ardents à agrandir leur domaine. Il est peu
probable que les faux docteurs – l’exemple proposé – aient appartenu, pour
la majorité d’entre eux, à la classe des riches. C’est en s’abandonnant à cette
passion de l’argent (10b) que certains se sont égarés loin de la foi (dans les
Pastorales, la foi est en même temps l’attachement au Christ et l’adhésion à
l’Évangile reçu de l’apôtre Paul) et ont connu de nombreux tourments. Les
« multiples tourments » qu’ils « se sont infligés » 16, ne sont pas tellement les
soucis du riche, que la sagesse populaire a souvent soulignés, mais tout ce
que la passion de l’argent elle-même produit comme désordres dans la
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pensée, la conduite, les relations, les actions. Il n’est pas certain qu’il y ait
une allusion au jugement divin puisque c’est l’effet sur eux-mêmes produit
par la fixation sur la possession matérielle qui est signalé. Au
« contentement » de celui qui rend grâces pour l’indispensable qu’il a reçu de
Dieu, s’opposent les affres des hommes enrôlés au service de Mammon.

II. 6, 17-19

On sait quelles personnes sont visées : « [les] riches du monde présent ».


Ces versets n’introduisent pas « un corps étranger » (formule de Roloff), ni
un effort pour amender l’avertissement de 6-10, mais ajoutent une instruction
ciblée dont Timothée devra se charger. La précision « de l’âge présent »
prépare la qualification introduite plus loin : adèlotès, « le caractère
incertain », « la précarité ». À cette précarité de la richesse de « ce monde-
ci » fera contraste, au verset 19, le « beau fonds », le solide trésor qu’on peut

15. Op. cit., p. 99-100.


16. Peripeïrô, hapax biblique, « percer de part en part », « enfoncer », « transpercer ».
Plusieurs commentateurs voient aussi dans les « tourments » une allusion aux remords de la
conscience du parvenu convaincu de s’être comporté de façon indigne. C’est oublier, d’une
part, que le passage ne disserte pas sur le riche mais sur celui qui convoite la richesse, et,
d’autre part, qu’il appartient à la polémique anti-hérétique.

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« [amasser] pour l’avenir ». La première recommandation désigne deux


dangers : l’orgueil et un espoir mal placé. L’orgueil est un piège universel,
mais le riche est une victime particulièrement vulnérable, compte tenu de ses
conditions de vie supérieures, de l’étendue de son domaine et surtout du sen-
timent que sa fortune est en rapport avec ses qualités et ses capacités propres.
Même si l’héritage a fourni l’essentiel de ses biens, il estime volontiers être
pour quelque chose dans ses privilèges. On retrouve la notion de « profit »,
augmentation des possessions par implication personnelle. Si l’orgueil s’ap-
puie sur le passé et sur un présent favorable, l’autre danger concerne la
manière d’envisager l’avenir. Quelle est l’espérance ? La tentation du riche
sera de croire que cet argent qui règle « magnifiquement » tous les problèmes
présents constituera une garantie pour le futur. Un choix s’impose : ou l’on
s’en remet à cette richesse qui donne un si fort sentiment de sécurité, ou l’on
s’attend au Dieu de qui procèdent, en définitive, tous les biens. Même
« l’abondance » (souvent « injuste », Lc 16, 9 !) du riche, est une grâce
accordée par celui qui fait pleuvoir sur les méchants comme sur les bons. Il
n’est pas interdit de « jouir » des biens. Pas d’ascétisme, de mépris des réali-
tés matérielles : le riche n’est pas condamné à se priver de certains des avan-
tages qu’il possède. Le terme rare apolausis, « jouissance », est positif, évo-
quant non seulement un usage, mais un usage dont on tire un avantage, des
satisfactions 17. On le voit, avec ces termes « orgueil », « espérance » ; le
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premier souci du riche devrait être de veiller sur lui-même, sur son « cœur » :
quelle attitude devant Dieu et devant les hommes ? Où est le trésor, et quelle
est l’attente ?
Après ce qui est décisif, l’orientation donnée à l’existence, les riches
reçoivent une autre et ferme exhortation qui touche à l’emploi de leurs pos-
sessions. Il ne faudrait pas se contenter de jouir de l’abondance accordée, il
faut s’en servir et le programme est exigeant. Il est significatif qu’avant des
indications concrètes sur l’utilisation souhaitable des richesses, l’attention se
fixe d’abord sur le comportement global, touchant à l’ensemble de la vie.
Contrairement à ceux qui lisent dans la mention du « bien » et des « belles
œuvres » déjà un appel caractérisé à une juste utilisation des richesses 18, nous
pensons que ces notions conservent ici l’ampleur qu’elles ont habituellement,
entre autres dans les Pastorales (cf. « belles ou bonnes œuvres » : 2, 10 ;
3, 1 ; 5, 10.25 ; 2 Tm 2, 21 ; 3, 17 ; Tt 1, 16 ; 3, 1). Faire le bien est accom-
plir tout ce que Dieu approuve. S’enrichir de belles œuvres est tout aussi
englobant, l’accent étant placé sur l’engagement concret. Les femmes riches,
en 2, 10, ne doivent pas faire étalage de leur luxe, mais « se parer » de

17. En Hébreux 11, 25 est stigmatisée « la jouissance momentanée du péché », jouissance


passagère mais indubitable. Le terme s’applique aussi aux plaisirs des sens.
18. Voir J. N. D. KELLY, The Pastoral Epistles, Londres, Adam & Charles Black, coll.
« BNTC », 1972, p. 148.

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bonnes œuvres, marques d’une authentique piété. Même pour les riches, la
gestion de leurs biens n’est pas le tout de l’existence ; elle doit s’inscrire à
l’intérieur d’une attitude d’ensemble. (cf. 1 Co 13, 3). Les deux dernières
expressions du verset 18, « [donner] avec joie », « [partager] avec les
autres », abordent directement la question de l’usage des biens matériels (cer-
tains commentateurs donnent aussi une dimension spirituelle aux notions de
« don » et de « partage », mais, dans ce contexte, cela paraît peu opportun),
sans pour autant fournir des consignes sur les modalités. Si l’intention est
évidente, inciter à une libéralité abondante, on s’interroge sur le poids à don-
ner aux expressions. La première s’intéresse plus aux dispositions intimes
qui commandent les dons qu’à leur valeur : l’adjectif composé eumetadotous
(hapax biblique) associe à l’idée de « don », de « transfert », celle de « bon-
heur » (la BJ le rend par « qui donnent de bon cœur »). La dernière expres-
sion koïnônikous (hapax biblique également), « ceux qui mettent en com-
mun », « qui partagent », implique la prise de conscience des autres, de leurs
besoins, et la volonté de les aider. Jusqu’où ira cette volonté ? Agir ainsi sup-
pose au moins une liberté acquise par rapport à l’argent, fondée sur une espé-
rance placée en Dieu, avec un regard compatissant dirigé vers le monde.
Jouant à nouveau avec l’idée de richesse (après « la richesse en belles
œuvres », v. 18), voici la constitution d’un autre trésor (apothèsaurizontas,
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« amassant un trésor », autre hapax néotestamentaire, mais cf. thèsaurizô,
2 Co 12, 14). Voilà le paradoxe : en faisant bénéficier les autres de leur for-
tune, ils amassent des biens pour eux-mêmes (heautoïs), dont ils n’auront
jamais à se séparer ! Si la notion de « trésor » s’inscrit dans le verbe, curieu-
sement, le complément d’objet exprimé relève d’une image différente, du
moins au départ : themelion, « fondation », « fondement », « base indispen-
sable », d’où l’idée de « réserve », de « fonds ». On en arrive au concept
d’une sorte de « capital », qualifié de « beau », « bon », avec deux indica-
tions du plus haut intérêt. La première situe l’entrée en jouissance du trésor :
non pas maintenant (ce n’est pas le principe revendiqué par certains : plus je
donne, plus je reçois, matériellement, présentement !), mais « pour l’avenir »,
un avenir qui est en Dieu (cf. Mt 6, 19-21). La deuxième indication donne
une fin remarquable à un exposé qui s’intéresse aux « riches de ce monde-
ci » : ce n’est plus le langage des biens, de l’argent, mais celui de la vie, la
vie véritable. Les philosophes savent enseigner que « la vie » compte beau-
coup plus que la possession. En perspective chrétienne, c’est encore plus vrai
dans la mesure où la vie prend une dimension d’éternité, cette vie que le
Christ a mise en évidence selon 2 Timothée 1, 10 : « Il a fait briller la vie et
l’immortalité par l’Évangile. » Faut-il reprocher à ces versets 17-19 une pers-
pective individualiste (mettre l’accent sur le « pour eux-mêmes ») où domi-
nerait l’attente de privilèges personnels futurs ? Faut-il regretter l’absence
d’une éthique sociale et d’un souci pour le bien-être communautaire ? Parler
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d’un « déficit théologique 19 » ? Le même reproche pourrait alors être adressé


à beaucoup d’autres passages du Nouveau Testament qui se réjouissent d’un
avenir enviable pour quiconque place son espérance en Dieu. La motivation
paraît ici restreinte – il n’y a pas lieu, pour autant, de minimiser l’exhortation
au don et au partage – mais, comme le note Peter Dschulnigg, elle n’est pas
nécessairement explicite dans chaque texte. Le verset 17 renvoie au Dieu
créateur et providence et le contexte n’oublie pas l’attente de la « manifesta-
tion de notre Seigneur Jésus-Christ » (v. 14) 20 .

CONCLUSION

Quels rapports entre ces deux textes ? Ils sont distincts quant au genre de
discours (en 17-19, c’est le ministère même de Timothée qui est en cause) et
quant aux destinataires. Le climat n’est pas le même et les accents ne sont
pas placés aux mêmes endroits. L’avertissement prédomine dans l’un, l’inci-
tation dans l’autre. Mais les deux textes s’accordent sur un point considéré
comme essentiel : pour tout homme, compte avant tout la direction qu’il
donne à sa vie, le service dans lequel il entre. Avant de regarder son avoir, il
importe pour chacun d’évaluer l’état de son « cœur » et son orientation. Une
intériorité en bonne santé se marque, selon le premier texte, par le contente-
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ment reconnaissant et, dans le second, par une espérance placée en Dieu. Un
cœur malade est miné par des « désirs insensés » (v. 9) ou par un espoir situé
dans une richesse incertaine (v. 17). Les deux passages reconnaissent, parmi
les pièges nombreux et divers qui guettent le croyant tout au long de son
pèlerinage, l’attrait particulièrement vif de la possession matérielle.
Quiconque cherche à tout prix à s’enrichir tombe dans « le piège » et la
« ruine » (v. 9), et le riche, s’il n’amasse pas un « capital » en donnant, risque
de ne pas obtenir « la vie véritable » (v. 17,19). La richesse mal gérée devient
aussi un piège mortel.
La Première à Timothée se situe dans la ligne moyenne, ou plus exacte-
ment la mieux représentée, dans la réflexion et l’instruction néotestamen-
taires sur la place des biens de ce monde. On est loin des critiques véhé-
mentes de Jacques 5, 1-6 (« votre richesse est pourrie ! » ; « vous avez retenu
le salaire des ouvriers ! »), texte qui ne dénonce pas, apparemment, une
classe de membres de l’Église mais une tare sociale. On est loin de la sévé-
rité de certaines consignes de Jésus (Mc 6, 7-9 ; Mt 10, 9-10 ; Lc 9, 2-3),

19. J. ROLOFF, op. cit., p. 368-369. I. H. MARSHALL, op. cit., p. 673, trouve la critique peu
opportune.
20. P. DSCHULNIGG, op. cit., p. 63. L. OBERLINNER, op. cit., p. 307-308, souligne aussi
l’enracinement théologique des exhortations. L’Épître poursuit un combat contre l’ascétisme
des opposants, insiste sur le lien nécessaire entre la foi et la vie, n’invite pas à fuir le monde,
mais appelle à une attitude responsable vis-à-vis de l’Église et vis-à-vis du monde.

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mais elles s’appliquent à des missions limitées et itinérantes. Les deux textes
des Pastorales sont, par contre, relativement proches des recommandations
pour la vie quotidienne adressées aux disciples dans le Sermon sur la mon-
tagne (Mt 6, 25-34 ; Lc 12, 22-32), dans la mesure où il s’agit toujours de
l’absence d’inquiétude et de la recherche prioritaire du « Royaume de Dieu et
de sa justice » 21. On est tenté de creuser la distance avec le partage des biens
pratiqué dans l’Église de Jérusalem selon Actes 2, 44-45 et 4, 32-35 (èn
autoïs hapanta koïna, « pour eux, tout était commun »), car, là, la nature du
partage est clairement précisée, comportant la vente des propriétés, l’appau-
vrissement au bénéfice des frères et sœurs en la foi. Une mesure aussi dras-
tique s’éclaire si l’on prend en compte la situation économique et sociale
d’une partie de la population de Jérusalem à l’époque (cf. Ac 11, 29) et ne
situe pas nécessairement la pensée lucanienne sur le sujet. Dans son étude
d’ensemble Possessions and the Poor in Luke-Acts, David P. Seccombe,
après avoir noté ce qu’il y a de « révolutionnaire » dans la perspective intro-
duite chez Luc par le message du Royaume, conclut que « les actes de charité
qui procèdent du cœur, qui rompent avec les conventions sociales de par leur
ampleur et leur portée, manifestent la réalité du Royaume dans la vie des dis-
ciples et actualisent ses valeurs et son action dans le monde ». On retrouve la
ligne de 1 Timothée 17-19 lorsque Seccombe ajoute : « Ceux qui ne perdent
pas de vue la situation que propose l’eschatologie utilisent sagement leurs
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possessions par des actes de compassion qui seront richement récompensés à
la fois ici-bas et dans le siècle à venir. Pour ceux qui négligent les pauvres,
la perspective est celle d’un jugement certain 22. » C’est aussi le genre
d’exhortation qu’on trouve en Romains 12, 13 (taïs chreïaïs tôn hagiôn koï-
nônountes, « en partageant, subvenir aux besoins des saints »), sans consigne
sur les modalités, avec toutefois une différence, la limitation au cercle de
l’Église, alors que la formule de 1 Timothée reste ouverte 23. La recommanda-
21. P. DSCHULNIGG, op. cit., fait du rapport entre l’enseignement des Pastorales sur la
richesse et les traditions relatives aux paroles de Jésus un axe majeur de son étude. Pour lui,
sans nier la proximité avec la philosophie stoïco-cynique et la littérature sapientiale, ce sont les
discours de Jésus sur le sujet qui fournissent l’arrière-plan le plus éclairant, même s’il n’y a pas
de citation précise. 1 Timothée serait, dans le Nouveau Testament, le meilleur représentant des
données et des directives de la tradition synoptique, adoucissant parfois quelque peu les
demandes les plus exigeantes (p. 77). Parler, avec Dibelius, d’une forme « chrétienne » de
Bürgerlichkeit dans les Pastorales se comprend jusqu’à un certain point à partir de certaines
considérations sur la société et ses autorités, mais, pour Dschulnigg, ces Épîtres traduisent
encore plus la radicalité du message de Jésus.
22. D. P. S ECCOMBE , Possessions and the Poor in Luke-Acts, Linz, Fuchs, coll.
« StNTU B/6 », 1982, p. 195-196.
23. L’incitation au partage des richesses est un thème connu chez les philososphes de
l’Antiquité. Ainsi ARISTOTE, Éthique à Nicomaque. On connaît la maxime pythagoricienne
koïna tôn philôn (C. SPICQ, p. 212). R. M. KIDD, (Wealth and Beneficence in the Pastoral
Epistles: A « Bourgeois » Form of Early Christianity ?, Atlanta, Scholars Press, coll.
« SBLDS 122 », 1990, p. 160) juge, à propos des Pastorales, que « l’éthique de la richesse dans
ces Épîtres ne soutient pas davantage ni ne critique davantage le statu quo qu’elle ne le fait
dans les lettres dites authentiques ».

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tion d’Hébreux 13, 5 (« Que l’amour de l’argent n’inspire pas votre


conduite ; contentez-vous de ce que vous avez »), proche de 1 Timothée 6, 7-
10 pour la formulation, ne demande pas le partage comme c’est le cas en
1 Timothée 6, 18.
Dans les Pastorales, le climat social semble apaisé (cf. 1 Tm 2, 1-2 : la
prière pour les autorités et l’idéal d’une vie paisible), l’épiphanie-parousie du
Christ n’est pas ressentie comme imminente ; les riches ont l’occasion de
faire un usage généreux de leurs biens. Cependant, pour tout croyant, l’argent
reste un dangereux vis-à-vis ; mais il peut aussi devenir serviteur.
Samuel BÉNÉTREAU
Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine
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