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Le pèlerinage ignatien : entre ascèse, identité et mystique

André Brouillette
Dans Nouvelle revue théologique 2018/1 (Tome 140), pages 91 à 106
Éditions Nouvelle revue théologique ASBL
ISSN 0029-4845
DOI 10.3917/nrt.401.0091
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NRT 140 (2018) 91-106
A. Brouillette s.j.

Le pèlerinage ignatien :
entre ascèse, identité et mystique

Le pèlerinage est aujourd’hui un sujet d’actualité. Une multitude


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d’hommes et de femmes prennent la route de Saint-Jacques de Compos-
telle chaque année. Les musulmans se rendent aussi en grand nombre à
la Mecque. La recherche universitaire n’est pas en reste, puisque les
études sur le pèlerinage se multiplient sans cesse1. Le monde ignatien est
pour sa part familier du pèlerinage, depuis l’emploi du terme de « pèle-
rin » par Ignace de Loyola, pour se désigner lui-même dans le récit
autobiographique qu’il fit à Luis Gonçalves da Câmara2, en passant par
l’expériment de pèlerinage du noviciat jésuite, jusqu’à son utilisation
comme leitmotiv pour parler de l’identité jésuite ou ignatienne3.
L’intérêt académique multidisciplinaire renouvelé et la polysémie du
pèlerinage ignatien nous invitent à relire à frais nouveaux le pèlerinage
comme lieu théologique. Dans son essence, le pèlerinage est défini
comme une quête du divin qui met en marche. Sans quête, sans inten-
tion ou désir, il ne peut y avoir de pèlerinage. Mais l’objet du pèlerinage
peut être divers : lieu physique, question existentielle, intention de prière
particulière. La quête s’inscrira dans une démarche qui met en marche

1. Dans l’univers anglophone, en particulier, on peut penser au développement du


champ des Pilgrimage studies qui disposent de leurs propres conférences et fourmillent
de nouvelles publications (voir p. ex. D. Albera et J. Eade, dir., New Pathways in Pil-
grimage Studies, New York, Routledge, 2017). Dans l’univers francophone, on peut men-
tionner la publication récente de D. Julia, Le voyage aux saints. Les pèlerinages dans
l’Occident moderne : xve-xviiie siècle, Paris, Seuil - EHESS - Gallimard, 2016.
2. Récit, § 15 (désormais R). Il existe diverses éditions du Récit (du pèlerin) dicté par
Ignace de Loyola à Louis Gonçalves da Câmara ; la référence au numéro de paragraphe
est plus usuelle que la référence à la page, comme c’est le cas pour les Exercices spirituels
ou les Constitutions. Pour l’édition originale critique en espagnol et en italien du Récit
(et la traduction latine première), voir « Acta Patris Ignatii scripta a P. Lud. Gonzalez de
Camara (1553/1555) », dans Fontes Narrativi de S. Ignatio de Loyola et de Societatis Iesu
Initiis, vol. 1, Rome, Monumenta Historica Societatis Iesu, 1943, p. 364-506.
3. On peut penser à l’importance de la mobilité apostolique pour Jérôme Nadal (voir
J.W. O’Malley, « To Travel to Any Part of the World: Jeronimo Nadal and the Jesuit
Vocation », Studies in the Spirituality of Jesuits 16/2, 1984) jusqu’au décret 2 (§ 28) de
la 36e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus (2016). L’Église n’est pas en reste
avec la mention du pèlerinage dans les prières eucharistiques pour des circonstances
particulières ou encore dans la Constitution dogmatique Lumen gentium du concile
Vatican ii.

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littéralement ou métaphoriquement. Dans le cadre ignatien, une atten-


tion plus détaillée aux multiples facettes du pèlerinage permet d’y lire
une transition entre le Moyen Âge et l’époque moderne, entre une forme
marquée par l’ascèse et une autre marquée par la quête identitaire, par
le biais d’une radicale confiance en Dieu en vue du discernement du lieu
apostolique. Ignace lui-même incarne cette transition qui conserve la
forme médiévale tout en l’intégrant dans une visée plus vaste.
Dans le but de mettre en lumière cette transition pèlerine entre ascé-
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tisme, identité et mystique, à l’œuvre dans le Récit du pèlerin, nous élu-
ciderons dans un premier temps les diverses acceptions du pèlerinage
ignatien, tant dans l’expérience propre d’Ignace que dans les usages qu’il
a intégrés dans la Compagnie naissante. Dans un deuxième temps, nous
définirons la dimension médiévale du pèlerinage. Dans un troisième
temps, l’élan moderne du pèlerinage ignatien, tant dans sa forme aux
accents pédagogiques que dans sa recherche identitaire, sera exploré.
Finalement, sa composante proprement mystique sera mise en avant. En
conclusion, nous poserons la question de l’apport pour aujourd’hui
d’une telle gradation du pèlerinage ignatien.

I. — Les pèlerinages ignatiens

Le pèlerinage chrétien ne se réduit évidemment pas au contexte igna-


tien, mais ce dernier en est tout spécialement imprégné. Cependant, le
pèlerinage ignatien au singulier porte à confusion et masque une poly-
sémie radicale du pèlerinage au regard de l’expérience d’Ignace lui-même,
des textes fondamentaux de la Compagnie de Jésus, de l’expérience de
la Compagnie naissante, jusqu’aux emplois plus contemporains. La
diversité d’expériences de pèlerinage ne peut être réduite à des linéaments
seulement généraux ou à une lecture d’emblée métaphorique. De
l’expérience ignatienne originelle, il convient d’explorer d’abord les
multiples facettes du pèlerinage d’Ignace lui-même, avant de voir les
usages qu’il adopta pour la Compagnie naissante.

1.1. Les trois pèlerinages d’Ignace selon le Récit du pèlerin


Au soir de sa vie, répondant à la demande de livrer un « testament » à
ses compagnons4, Ignace de Loyola dicta en quelques mois à son confrère
Luis Gonçalves da Câmara un récit qui se concentre principalement sur
la période qui va de sa blessure au siège de Pampelune jusqu’à son arrivée

4. « Préface du Père Nadal », § 2, dans Ignace de Loyola, Récit, Paris, Desclée de


Brouwer, 1988, p. 46.

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à Rome, comme jeune prêtre diplômé de Paris. Ignace s’y présente


constamment à la troisième personne, se qualifiant dans les premiers
paragraphes de « blessé » (el herido, R 5) ou de « malade » (el enfermo,
R 3), avant d’adopter le terme de « pèlerin » (el peregrino) qu’il conserve
jusqu’à la fin (R 15-99)5, alors même qu’il décrit ses années de stabilité
romaine. Une analyse du Récit permet de dégager trois acceptions dis-
tinctes du pèlerinage qui s’y font jour.
Le premier pèlerinage d’Ignace est celui qui le conduit de Loyola à
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Jérusalem en 1522-1523 (R 1-53). Au sens strict, il s’agit de l’unique
long pèlerinage qu’il fit. En prenant la route de la Terre sainte, Ignace
s’inscrivait dans une tradition déjà millénaire6. La manière de vivre ce
pèlerinage fut marquée par la pénitence et l’imitation. Pénitence par
l’idée de ne manger que des herbes (R 8) et la pratique de voyager à
pied7, vêtu grossièrement (R 16), en mendiant (R 19, 36, 39, 42). La
forme adoptée est en ce sens tout à fait médiévale. Quant à l’imitation,
elle se lit tant dans le désir d’imiter les saints (R 7) que dans une mimê-
sis du Christ. Ignace, fasciné par le Christ8, veut l’imiter en tout, jusqu’à
vivre là même où il a vécu, pour y « aider les âmes» (R 45). Jérusalem,
comme lieu de vie du Christ, est l’aimant qui attire sans cesse Ignace.
Dans l’optique d’Ignace, le pèlerinage à Jérusalem n’aurait été qu’un aller
simple, et il aurait trouvé en la Terre sainte le lieu de Dieu pour lui9.
Cependant, Ignace est forcé de retourner en Europe et mettra donc fin
à cette expérience de pèlerinage, qui continuera cependant de l’animer10.
Un échec – son retour – fut nécessaire pour l’amener à modifier l’objet
de sa quête. En ce pèlerinage à Jérusalem, Ignace était guidé par un saint
désir, mais un désir qui était sien. L’objet de la quête de ce pèlerinage

5. Ignace s’était aussi qualifié de « pèlerin » dans une lettre à Inés Pascual en 1524,
trente ans plus tôt, ce qui laisse soupçonner que ce qualificatif provient bien d’Ignace et
qu’il n’était pas nouveau pour lui pour désigner son identité (cf. Ignace de Loyola,
Écrits, Paris, Desclée de Brouwer, 1991, p. 630).
6. La tradition du pèlerinage en Terre sainte prend forme au ive s. (voir D. Julia, Le
voyage aux saints, cité n. 1, p. 11 ; P. Maraval, « Comment s’est constituée une “identité
pèlerine” chez les chrétiens des premiers siècles ? », dans C. Vincent (dir.), Identités
pèlerines : Actes du colloque de Rouen, 15-16 mai 2002, Rouen, Publications de l’Univ. de
Rouen, 2004, p. 22s).
7. Laissant derrière soi la monture (R 17).
8. De la copie des paroles du Christ en encre de couleur (Récit, § 11) jusqu’à la
centralité de la contemplation de la vie et de la passion du Christ dans les Exercices spi-
rituels jusqu’au nom même de Compagnie de Jésus, le christocentrisme d’Ignace est bien
établi.
9. Ignace mentionne ce désir au responsable franciscain (Récit, § 45). St Jérôme, mille
ans avant Ignace, avait fait le même choix.
10. Le pèlerinage à Jérusalem faisait partie des vœux des premiers compagnons à
Montmartre en 1534, vœu qu’ils ont tenté en vain de réaliser en se rendant à Venise en
1537.

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était d’abord le lieu saint par excellence, Jérusalem, et le désir de « cap-


turer » le divin par l’imitation de la personne du Christ dans un mou-
vement d’ascèse.
Le deuxième pèlerinage qui se fait jour dans le Récit se déploie de
Loyola à l’arrivée à Rome et couvre la majeure partie du narratif, prin-
cipalement de 1521 à 1538. Ce « second » pèlerinage inclut celui de
Jérusalem tout en se poursuivant au-delà. Forcé par l’obéissance – sous
peine d’excommunication – à retourner vers l’Espagne, Ignace doit don-
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ner à sa vie une nouvelle orientation, se demandant explicitement « quid
agendum ? » (R 50), que faire ? La réponse qu’il discerne est discrète, du
plus faible niveau possible d’indication spirituelle de la volonté de
Dieu11 : une « inclinaison » à étudier12. Ignace, qui avait jeté son dévolu
sur Jérusalem tôt dans sa convalescence à Loyola, histoire de bien mar-
quer son changement de vie, ne sait pas très bien où il va ; il doit se
mettre à l’écoute d’un Autre qui, malgré sa discrétion, lui fournit des
indices de sa présence et de sa volonté13. D’une part, ce pèlerinage pour-
suit la lignée du précédent par la forme adoptée (pauvreté, à pied…),
bien que cette dernière doive s’adapter à la condition estudiantine
d’Ignace14, et la destination ultime qui est envisagée demeure : toujours
Jérusalem ! D’autre part, une réalité nouvelle émerge : les études, des
groupes de compagnons stables, une forme plus installée d’apostolat par
le biais des Exercices spirituels, et un itinéraire universitaire non-planifié
de Barcelone à Paris en passant par Alcala et Salamanque. Bien qu’Ignace
demeure tendu vers le lieu saint de Jérusalem, une réalité nouvelle se
développe où il fait montre d’une écoute, dans une certaine aridité, de
la volonté de Dieu, qui prépare le terrain du fruit de la disponibilité15.
Un décentrement progressif se fait jour, alors qu’Ignace s’ouvre plus réso-
lument à autrui : son désir d’« aider les âmes » – qui a motivé ses études –
l’occupe grandement et détermine le choix de ses lieux successifs16. Des
compagnons et allié(e)s se joignent à lui. Ce décentrement s’accompagne

11. Voir ES 175-178.


12. « se inclinaba más a estudiar » (R 50).
13. Les grandes consolations furent présentes à Manrèse, à Jérusalem, et à la fin du
Récit (Venise, Rome), mais les études furent davantage austères, les consolations cessant.
14. P. ex., en ce qui a trait à la pauvreté, Ignace choisit de mendier en un seul voyage
annuel la somme nécessaire pour couvrir les études, plutôt que de vivre à l’« hôpital » et
quêter quotidiennement (R 76).
15. L’Ignace du pèlerinage à Jérusalem ne laisse pas transparaître une liberté intérieure
à accueillir ce que Dieu lui propose comme voie à suivre (bien qu’il ait soupesé l’hypo-
thèse du pèlerinage en regard de celle de l’entrée à la Chartreuse ; R 12). Dans le Récit,
c’est seulement au retour de Jérusalem, lorsque son saint projet fait face à un échec,
qu’Ignace se pose de manière emphatique la question de savoir ce qu’il doit faire.
16. Le motif du départ d’Alcala puis de Salamanque résidait dans les entraves posées
à l’activité apostolique d’Ignace (R 63, 70-71).

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d’une plus grande attention à Dieu. Du saint désir du premier pèleri-


nage, Ignace passe progressivement à un désir de Dieu. Ce désir trouve
finalement son contentement dans la vision de la Storta, alors qu’Ignace,
maintenant aux portes de Rome, voit le Père le mettre (mettere) avec le
Fils, ce qu’il avait demandé instamment en prière à la Vierge. Ignace y
voit confirmée son identité de compagnon de Jésus. La vision le dispose
en son nouveau lieu, avec le Christ, mais le situe aussi dans un lieu
physique différent : Rome17. De Jérusalem, comme destination éphé-
mère tant désirée du premier pèlerinage, Ignace voit désignée par la
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vision Rome comme lieu voulu par Dieu. La relation détaillée de la
chronologie du cheminement d’Ignace prend alors fin dans le Récit (97),
suivie par quelques paragraphes mettant en lumière certains éléments des
quinze années suivantes (R 98-101)18. La quête de ce second pèlerinage
avait trouvé sa résolution dans un lieu présenté par Dieu, Rome, et dans
une vocation : prêtre, religieux, fondateur, auteur des Exercices spirituels.
Dans le Récit, en parlant de ses ultimes années au présent, Ignace se
désigne toujours comme « le pèlerin » (R 99), alors même que ses péré-
grinations à travers l’Europe ont pris fin et qu’il est d’une stabilité
romaine exemplaire. Le pèlerinage, donc la quête, n’a cependant pas pris
fin. Ignace n’est pas un « pèlerin sédentaire », seulement nostalgique ; s’il
se dit toujours pèlerin, c’est qu’il est encore en chemin, mais sur un autre
chemin. On trouve donc dans ces derniers paragraphes le troisième sens
du pèlerinage ignatien, qui couvre cette fois l’ensemble de la vie d’Ignace.
Le point d’arrivée qu’il habite ne se mesure pas en un lieu à atteindre ou
une vocation, mais dans l’arc tendu entre la recherche initiale de Dieu
et sa « visitation » (visitación) divine à Loyola (R 10), et le fait de « trou-
ver » (trovare) finalement Dieu en tout temps de manière habituelle
(R 99). Le désir de Dieu d’Ignace s’est mué en désir en Dieu, et en une
grande intimité avec Dieu. Toujours en quête de Dieu, il le trouve sans
cesse et confirme par cette quête son identité profonde de pèlerin, qui
vit en celui qui est objet de sa quête.
La trajectoire qui s’esquisse ainsi entre ces trois volets de pèlerinages est
celle d’une désinstallation progressive, d’un désencombrement, même de
soi. Le pèlerinage premier vers Jérusalem demeure formateur et marquant,
comme en témoigne l’espace que l’Ignace avancé en âge lui consacre dans
le Récit, mais il s’approfondit, sans jamais être simplement dépassé, en

17. Diego Laínez, qui était présent au moment de cette vision, relate qu’Ignace enten-
dit aussi le Seigneur lui dire : « Ego ero vobis Romae propitius », « je vous serai propice à
Rome » (Fontes Narrativi de S. Ignatio de Loyola et de Societatis Iesu Initiis, vol. 2, Rome,
Monumenta Historica Societatis Iesu, 1951, p. 133).
18. Ignace indique au préalable que d’autres pourront raconter la suite (R 98).

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une recherche du lieu voulu par Dieu, jusqu’à une habitation en Dieu
même19.

1.2. La pratique du pèlerinage dans la Compagnie naissante


Bien que l’expérience d’Ignace exprimée dans le Récit soit fondatrice,
le pèlerinage a aussi marqué la Compagnie naissante d’autres manières,
à l’instigation du fondateur. Les premiers compagnons avaient fait vœu
de se rendre à Jérusalem, et la première partie de ce pèlerinage fut le
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trajet de Paris à Venise pour venir y rejoindre Ignace en 1537. Allant à
Rome, puis à Venise, puis de nouveau à Rome, la démarche apostolique
pèlerine des premiers compagnons devait pour certains marquer leur
existence entière20. Par-delà l’envoi missionnaire à la manière pèlerine de
compagnons, trois usages du pèlerinage se démarquent dans le gouver-
nement d’Ignace : dans le style médiéval, la pénitence et la prière d’in-
tercession, puis, dans le cas de jésuites en formation, le discernement et
le renvoi, et finalement l’expériment de pèlerinage du noviciat propre-
ment dit.
Ignace a parfois ordonné à des compagnons d’effectuer un pèlerinage,
le plus souvent à Lorette, comme mesure pénitentielle après des gestes
graves21. Le pèlerinage avait parfois été imposé comme mesure discipli-
naire au Moyen Âge, jusque par les autorités civiles22. Dans une telle
veine médiévale, Ignace a aussi envoyé des compagnons dans le cadre
d’une prière de demande, pour obtenir une faveur. Ainsi, deux groupes
de deux compagnons entreprirent le pèlerinage vers Lorette dans l’inten-
tion d’obtenir le rétablissement de la santé du pape Marcel, en vain23.
Ces exemples tardifs de pèlerinage – contemporains de la rédaction du
Récit – montrent qu’Ignace en conservait la dimension médiévale alors
même qu’il développait d’autres harmoniques.

19. La question du « non-dépassement » du premier pèlerinage peut se lire à travers


le constant discernement de la pauvreté qu’Ignace doit faire, non seulement pour lui-
même à travers le Récit, mais par la suite pour la Compagnie naissante (voir en particu-
lier le Journal spirituel).
20. On peut penser à François Xavier envoyé en Asie, Pierre Favre parcourant le Saint
Empire romain germanique et bien d’autres encore.
21. Louis Gonçalves da Câmara, Mémorial, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, § 403,
p. 251. Voir les lettres envoyées de la part d’Ignace aux supérieurs des maisons de Pérouse
(Éverard Mercurian) et de Lorette (Olivier Manare), où les deux jeunes jésuites incrimi-
nés étaient envoyés (Ignace de Loyola, Epistolae et Instructiones, vol. 9, Madrid, Monu-
menta Historica Societatis Iesu, 1909, p. 30 : Lettre 5360, 2 mai 1555 et p. 49 :
Lettre 5374, 18 mai 1555).
22. V. et E. Turner, Image and Pilgrimage in Christian Culture: Anthropological Pers-
pectives, New York, Columbia University Press, 1978, p. 195, D. Julia, « Identité pèle-
rine, identité du passage », dans C. Vincent (dir.), Identités pèlerines (cité n. 5), p. 235.
23. Mémorial, § 336-338, p. 228-230.

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Le deuxième type d’usage nous met sur la voie d’une dimension for-
mative de quête de Dieu. Face à des compagnons qui s’interrogeaient sur
leur appel dans la Compagnie, Ignace n’hésitait pas à les encourager à
entreprendre un pèlerinage vers un lieu saint pour les aider à clarifier
l’appel de Dieu en leur vie24. La manière d’entreprendre ce pèlerinage se
voulait ascétique25. De manière plus surprenante, selon les propos
recueillis par Câmara dans le Mémorial, Ignace usait aussi du pèlerinage
à l’aube d’un renvoi de la Compagnie, soit parce que la personne désirait
quitter la Compagnie, soit parce qu’Ignace jugeait que la personne n’était
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pas apte à être jésuite26. Câmara rapporte qu’Ignace désirait que les per-
sonnes quittant la Compagnie le fassent en bons termes27. Le fait de
mettre en route de nouveau un individu sur le point de quitter la Com-
pagnie cristallise l’effort de recherche renouvelé de l’appel de Dieu que
cette personne devra entreprendre, par-delà l’échec d’une incorporation
dans la Compagnie. Plutôt que de rester sur l’échec, le pèlerinage final
relance la quête et s’inscrit dans le deuxième mouvement de pèlerinage,
de recherche identitaire, vécu par Ignace lui-même.
Finalement, le pèlerinage est inscrit par Ignace au cœur même de la
formation du noviciat. Dès la Délibération des premiers pères de 1539,
le pèlerinage se démarque comme l’un des trois expériments fondamen-
taux qui incarnent la vie jésuite, avec les Exercices spirituels de trente
jours et le service des pauvres à l’hôpital28. Ce noyau embryonnaire tra-
versera les diverses évolutions des structures de formation jusqu’aux
Constitutions29, et par là, jusqu’à nos jours. Face au triptyque originel des
pèlerinages d’Ignace, la question se pose alors de savoir laquelle des
dimensions sert ici de modèle. Les documents insistent davantage sur la
première acception, axée sur la manière de vivre en route : mal manger,
mal dormir, etc30. Cependant, une ouverture plus fondamentale à la
quête de Dieu – la deuxième instance du pèlerinage d’Ignace – n’est pas
à dédaigner, comme nous le verrons plus loin.

24. Ibid., § 58, 127-128, 371, p. 82, 118-119, 242.


25. Ibid., § 128, p. 119. Ignace insiste sur ce point, renchérissant sur les conseils de
sa consulte.
26. Ibid., § 61, p. 84-85.
27. Ibid., § 61, p. 84-85.
28. Ignace de Loyola, « Determinationes Societatis » (1539), § 9, dans Constitutiones
Societatis Iesu, vol. 1, Monumenta Historica Societatis Iesu, Rome, 1934, p. 12.
29. Constitutions de la Compagnie de Jésus, § 65-67. On peut trouver les Constitutions
dans Ignace de Loyola, Écrits (cité n. 5), p. 393-603.
30. Constitutions, § 67.

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II. — La dimension médiévale du pèlerinage

Le pèlerinage chrétien au Moyen Âge est une réalité polymorphe


constituée d’itinéraires et de rituels locaux ou internationaux31. Certaines
caractéristiques se dégagent toutefois autour de l’intention, de la forme
et de la destination. L’intention se décline comme accomplissement d’un
vœu, prière de demande, désir – ou obligation – d’expiation, voire
comme simple participation à une fête. La forme comporte une ouver-
ture à la vulnérabilité personnelle, surtout pour les longs pèlerinages. Le
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trajet se réalisait souvent à pied32, parfois en mendiant, souvent exposé
aux risques de vol sur des routes peu sûres33, et avec un réel risque de
non-retour – pour cause de mort34. Malgré une structure d’accueil
potentielle par le biais des « hôpitaux35 » et établissements religieux, le
pèlerin s’exposait aux éléments en entreprenant un périple qui serait vécu
à l’aune de l’ascèse. Quant à la destination, elle était un lieu sacré,
sanctifié par des reliques, une statue miraculeuse, ou le souvenir d’un
événement de foi important – qui faisait alors de ce lieu entier une
relique. Le pèlerin médiéval cherchait par sa visite au lieu saint une
proximité plus grande, incarnée, avec le divin.
Ignace se retrouve tout à fait dans cette vision du pèlerinage. Il a
envoyé des compagnons en pèlerinage en leur confiant une intention. La
forme ascétique de l’acte pèlerin lui était non seulement familière, mais
fondamentale pour lui. Quant à la destination et à sa recherche d’une
proximité avec Dieu à travers les reliques – l’aspect le moins « moderne »
du pèlerinage médiéval –, Ignace en était fervent. Envoyant un prêtre
flamand qui doutait de sa vocation en pèlerinage à Lorette, il insista pour
que ce dernier se décide non en chemin, mais au sanctuaire même, face
à la statue de la Vierge Marie – comme sa consulte l’avait suggéré36 –
puisque « Dieu se montre habituellement davantage secourable (Dios
suele acudir más) là où il est vénéré37 ». Quant à son propre pèlerinage

31. La bibliographie sur le sujet est abondante. On peut mentionner entre autres textes
récents : A. Dupront, Du sacré : croisades et pèlerinages, images et langages, Paris, Galli-
mard, 2012 ; B.E. Whalen (dir.), Pilgrimage in the Middle Ages: A Reader, Toronto,
Univ. of Toronto Press, 2011 ; L. Taylor (dir.), Encyclopedia of Medieval Pilgrimage,
Leiden - Boston, Brill, 2010.
32. Les pèlerins de Jérusalem voyageaient en partie par voie maritime, avec les risques
que la traversée comportait.
33. M. Robinson, Sacred Places, Pilgrim Paths: An Anthology of Pilgrimage, Londres,
Robinson, 1997, p. 75-77.
34. Ibid., p. 51.
35. L’hôpital du xvie siècle faisait office de refuge pour déshérités : pèlerins, pauvres,
malades, personnes âgées.
36. Mémorial, § 128, p. 118-119.
37. Ibid., p. 119 (trad. légèrement modifiée, je souligne).

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Le pèlerinage ignatien 99

aux lieux saints de Jérusalem, Ignace note sa grande dévotion et conso-


lation en les parcourant. Laínez mentionne cependant, comme pour
excuser Ignace, que si ce dernier n’en avait pas rapporté de reliques,
contrairement aux autres pèlerins, c’est parce qu’il comptait y vivre tou-
jours38.
Dans son pèlerinage de type médiéval vers Jérusalem, Ignace fait aussi
ressortir d’autres éléments importants. D’une part, son orientation vers
Jérusalem exprime un désir du Christ qui s’apparente à une imitation
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formelle qu’on pourrait qualifier d’identité-mêmeté39. L’identité avec le
Christ est alors à saisir dans son entièreté de manière littérale, sans dis-
cernement personnel approfondi, et cristallisée éminemment dans le
lieu. L’identité recherchée – être comme le Christ ou ses saints (R 8, 11) –
l’est à l’extérieur, dans une imitation sans imagination. Elle révèle aussi
un désir de Dieu qui passe par la réalisation du désir propre d’Ignace.
Cette recherche n’ouvre pas non plus encore au désir de faire l’œuvre du
Christ – malgré la concession faite par Ignace d’un désir d’aider les âmes
une fois rendu à Jérusalem (R 45) – ; elle cherche d’abord à imiter la
personne du Christ, mais sans encore s’ouvrir à un autrui plus vaste. En
ce sens, Ignace illustre bien le mouvement médiéval du pèlerin qui
recherche assurément le divin et qui veut même être transformé ponc-
tuellement par lui (par exemple par une guérison, l’obtention d’indul-
gences), mais ne cherche pas d’abord à être transformé intérieurement
par sa démarche pèlerine ou à y forger son identité.
Cela dit, face à une certaine extériorité de la pratique religieuse incar-
née par le pèlerinage, un tournant intérieur s’annonçait à la fin du
Moyen Âge par le biais d’une version intimiste de la vie spirituelle
distillée entre autres par la devotio moderna. La spiritualité du Moyen
Âge tardif fut largement diffusée par la suite en langue vernaculaire, donc
accessible aux laïcs40. Les excès, voire les abus, associés au pèlerinage
médiéval furent ensuite dénoncés vigoureusement par Érasme, Luther et
Calvin41, introduisant par la Réforme protestante une distinction confes-
sionnelle dans la manière de concevoir le pèlerinage42. Le pèlerinage

38. D. Laínez, « Epistola Patris Laynez de P. Ignatio » (16 juin 1547), § 21, dans
Fontes Narrativi de Sancto Ignatio de Loyola, vol. 1 (cité n. 2), p. 90.
39. Pour reprendre – assez librement – une distinction développée par Paul Ricœur
dans Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
40. Ignace eut ainsi accès aux trésors médiévaux de la Vita Christi et de la Légende
dorée, traduites au début du xvie s. en espagnol.
41. G. Tomlin, « Protestants and Pilgrimage », dans C.G. Bartholomew et
F. Hughes (dir.), Explorations in a Christian Theology of Pilgrimage, Burlington, Ashgate,
2004, p. 110-125.
42. Le rejet protestant du pèlerinage a ouvert la voie à une version « intérieure » du
pèlerinage (voir p. ex. l’ouvrage de J. Bunyan : The Pilgrim’s Progress, 1678).

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100 A. Brouillette

ignatien se situe à ce point de rupture possible, mais parvient à faire le


pont vers une conception du pèlerinage qui soit ancrée dans la tradition
médiévale tout en ouvrant à l’intériorité moderne de manière résolue.

III. — Vers le pèlerinage moderne

Ignace fit usage du pèlerinage de manière renouvelée comme lieu de


formation et de construction identitaire43. Cette transition s’apprécie
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particulièrement dans le cas du pèlerinage ignatien du noviciat, vu à la
lumière des pèlerinages d’Ignace lui-même44.

3.1. Une forme aux accents pédagogiques


Alors que le pèlerinage médiéval est foncièrement marqué par l’attrait
de la destination, ce lieu où le miraculeux attend le pèlerin, le pèlerinage
ignatien met davantage l’accent sur la démarche vécue comme désinstal-
lation. Par l’attention portée à la démarche – voire à la marche –, Ignace
anticipe l’intuition contemporaine de nombre de pèlerins pour qui l’ar-
rivée à la destination paraît « anti-climatique » au regard du chemin
parcouru45. L’essence du pèlerinage ignatien est donc à chercher davan-
tage dans le chemin que dans la destination. Dans son propre Récit,
Ignace relate avec verve ses péripéties en route vers Jérusalem, davantage
qu’il ne décrit les lieux saints visités46. De plus, rien n’est prescrit par
Ignace quant à la destination du pèlerinage47.
La forme du pèlerinage se veut une école de formation à la vie reli-
gieuse48 : à pied, sans argent, parfois en mendiant, en étant disposé à mal

43. L’attention à l’identité constitue l’une des marques de l’époque moderne


(Cf. C. Taylor, Les sources du moi, Montréal, Boréal, 1998).
44. Questionné sur le motif de l’expériment de pèlerinage, Ignace en appelle à sa
propre expérience : « J’en ai expérimenté moi-même l’utilité, et (…) je m’en suis bien
trouvé » (Mémorial, § 137, p. 124).
45. L’attrait du chemin en lui-même par rapport à la destination est notable sur le
chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Plusieurs pèlerins poursuivent même leur route
jusqu’à Finisterre, sur la côte atlantique, par-delà le lieu sacré du tombeau présumé de
l’apôtre. Julia note le même renversement entre chemin et destination dans le cadre des
communications faites lors d’un colloque à Rouen (D. Julia, « Identité pèlerine, identité
du passage », cité n. 22, p. 232).
46. Contrairement à nombre de récits de voyageurs médiévaux faisant la part belle à
des descriptions détaillées de la Terre sainte.
47. Bien qu’Ignace envoie habituellement les jésuites sous sa gouverne vers Lorette, à
environ 300 km au nord-est de Rome.
48. L’initiation à la vie religieuse jésuite que représente le pèlerinage se rapproche du
concept de « liminalité » que l’anthropologue Victor Turner assigne au pèlerinage (voir
V. et E. Turner, Image and Pilgrimage in Christian Culture, cité n. 22, p. 249-250).

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Le pèlerinage ignatien 101

manger et à mal dormir49. Il faut aussi le plus souvent faire communauté


avec le compagnon d’envoi, être à la merci des éléments et des personnes
rencontrées. Une première version des instructions sur le pèlerinage met-
tait l’accent, quelque peu virilement peut-être, sur le fait que si quelqu’un
ne pouvait être un jour sans bien manger et bien dormir, il ne semblait
pas qu’il puisse persévérer en cette Compagnie50. Cependant, un autre
élément essentiel se pointait, positif celui-là : apprendre à mettre son
espérance en Dieu seul51. Entre le document sur la Fondation des col-
lèges de 1541 et l’Examen général des Constitutions (1558), l’aspect de
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la confiance en Dieu est davantage mis en valeur52 et marque le fonde-
ment d’une visée nouvelle : de la préoccupation de soi – même dans
l’ascèse –, on passe à une attention confiante à Dieu. C’est à cette
conversion que convie le pèlerinage.
Une forme radicale de désinstallation est mise en avant, le novice se
rendant souvent là où la Compagnie n’est pas présente. Cette désinstal-
lation introduit à une manière d’être compagnon de Jésus. Jerónimo
Nadal, grand propagateur des Constitutions de la Compagnie de Jésus,
voyait d’ailleurs dans l’être pèlerin l’une des caractéristiques essentielles
de l’être jésuite53. Contrairement à la tradition monastique où l’insertion
dans un lieu précis et un rythme quotidien alliant prière et travail ini-
tient au mouvement de la vie religieuse, il est notable que le pèlerinage
soit excentré du cadre religieux habituel de la communauté. Le pèleri-
nage propulse le jésuite en formation littéralement hors du cloître, hors
d’un cadre établi et protecteur. Comme pèlerin, il est exposé à toutes les
vicissitudes du monde, mais aussi confronté aux limites propres de sa
condition et de sa personnalité. Aucun des trois expériments ignatiens
initiaux ne se déroule dans l’ordonnancement régulier du rythme com-
munautaire : ni la retraite de trente jours des Exercices spirituels, qui
suppose une dévotion totale à la prière, ni le mois de service à l’hôpital,
qui exigeait une attention soutenue aux plus pauvres, ni le pèlerinage,
hors de la communauté et en route pour un mois.

49. Constitutions, § 67.


50. Ignace de Loyola, « Fundación de Colegio » (1541), § 6, dans Constitutiones
Societatis Iesu, vol. 1 (cité n. 28), p. 54.
51. « porque toda su esperanza ponga en su Criador y Señor » (« Fundación de
Colegio », 1541, § 6, dans Ignace de Loyola, Constitutiones Societatis Iesu, vol. 1, cité
n. 28, p. 54)
52. « porque dexando toda su speranza que podría tener en dineros o en otras cosas
criadas, la ponga enteramente, con verdadera fe y amor intenso, en su Criador y Señor. »
(Constitutions, § 67).
53. Voir J. O’Malley, « To Travel to Any Part of the World » (cité n. 3).

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102 A. Brouillette

La désinstallation à l’œuvre dans le pèlerinage forme aussi à la dispo-


nibilité pour la mission54, le jésuite formé étant appelé, en particulier par
le 4e vœu – le vœu spécial d’obéissance au pape pour la mission –, à ne
pas s’enraciner dans un lieu ou une tâche de telle manière qu’il perde sa
flexibilité d’être envoyé ailleurs lorsque la mission le requiert. Par sa
forme en mouvement, le pèlerinage introduit aussi à une recherche de
Dieu dans la désinstallation. La chapelle communautaire n’est pas tou-
jours à portée de main, mais Dieu est à rechercher et à prier là où l’on
se trouve, comme sa main est à trouver à travers le pèlerinage et ses
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rencontres, joies et épreuves. En fait, le déracinement quotidien du pèle-
rinage invite à trouver un enracinement en cheminant avec Dieu, et non
dans un lieu, ouvrant à une manière itinérante de rencontrer Dieu.
Par sa forme, le pèlerinage ignatien se veut ainsi un lieu de formation
à une manière d’être apostoliquement en mouvement, disponible pour
la mission, et en recherche dynamique de Dieu55. Un agir pèlerin s’es-
quisse.

3.2. De l’imitation à l’écoute : fonder une identité pèlerine


La dimension proprement moderne du pèlerinage ignatien, à l’instar
de la recherche identitaire à l’œuvre dans le Récit du pèlerin, se décline
principalement dans la formation d’une identité – et manière d’être –
pèlerine, sous-jacente à l’agir pèlerin précédemment souligné.
Le passage effectué au cœur du pèlerinage ignatien est celui de l’imi-
tation à l’écoute. La forme pèlerine peut s’imposer extérieurement, et le
pèlerinage comme expériment – ou épreuve – inclut le fait d’endurer
certaines difficultés et souffrances, mais ne s’y limite pas56. Le pèlerinage
est plus qu’un test à passer ; s’y joue un enjeu de transformation de soi,
à l’image des Exercices spirituels57, mais qui se déploie ici sur la base

54. La thèse de L. A. Sardi, La prueba de la peregrinación en el noviciado de la Com-


pañía de Jesús: su actualidad para la formación en Indonesia (Madrid, Univ. Pont. Comillas,
2015) explore en détail, en son troisième chapitre (p. 249-336), la littérature récente à
ce propos.
55. Sardi insiste pour sa part sur l’importance de la rencontre (encuentro) dans le cadre
du pèlerinage, offrant en conclusion de sa thèse une réflexion sur la théologie de la
rencontre (L. A. Sardi, La prueba de la peregrinación, p. 505-555).
56. Ignace, face à des souffrances trop grandes de jésuites en formation – et quelques
décès – laissa dans ses ultimes années une grande marge de manœuvre au responsable
pour s’assurer que l’expérience ne se fasse pas au détriment de la santé (Sardi, La prueba
de la peregrinación, p. 321), et puisse même être substituée par une autre, comme le
prévoyait déjà la Délibération des premiers pères (Ignace de Loyola, « Determinationes
Societatis », 1539, § 9, dans Constitutiones Societatis Iesu, vol. 1, cité n. 28, p. 12).
57. Il ne viendrait à personne l’idée de ne voir dans les Exercices spirituels qu’un mois
à traverser sans s’y engager de tout son être. De même, le « but » du pèlerinage, pour

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Le pèlerinage ignatien 103

d’une expérience concrète qui fonde l’espérance en Dieu. Une telle expé-
rience radicale de confiance en Dieu constituera le socle nécessaire à la
poursuite du chemin de recherche.
Si Ignace peut aisément imposer le pèlerinage dans sa première accep-
tion – la forme médiévale qu’il a connue dans sa route vers Jérusalem –,
il ne peut que la proposer dans sa seconde acception, celle d’une
recherche et d’une écoute attentive de la volonté de Dieu sur soi par le
discernement. Le fruit – et non le commencement – de cette écoute sera
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la disponibilité, vécue authentiquement comme une disposition perma-
nente d’écoute. Par la sortie de soi, la confrontation avec soi (ses limites,
ses forces) et autrui qu’entraîne le pèlerinage, Ignace espère ouvrir par la
concrétude une brèche dans le pèlerin qui le mette en route aussi vers la
destination qui sera le « lieu » choisi par Dieu – à l’image de la quête
d’Ignace qui se conclut à la Storta, aux portes de Rome. Au terme du
pèlerinage ignatien, plus que toute destination physique, il y a Dieu qui
est celui qu’on désire in fine rencontrer. Évidemment, cette quête ne sera
que mise en route par le pèlerinage, comme le réalisa pour Ignace le
pèlerinage initial à Jérusalem, mais elle sera appelée à croître par-delà le
seul expériment de pèlerinage et à se transformer en un habitus de quête
de Dieu.
Au cœur du pèlerinage se déploie donc l’enjeu de l’identité, une iden-
tité à découvrir à l’écoute de Dieu. Cette question demeure d’actualité
pour le pèlerin contemporain qui peut tenir son expérience à distance et
entre parenthèses du reste de sa vie. Le pèlerinage questionne-t-il qui je
suis en profondeur ? L’identité recherchée par le biais du pèlerinage est à
la fois l’objet d’une question, mais surtout la réception d’un don de Celui
qui est le véritable objet de la quête. Elle est nourrie du mouvement, des
événements, de l’apport d’autrui, accueillis et discernés. Contrairement à
l’identité d’imitation, qui se veut mêmeté, elle est identité-ipse, qui admet
la transformation tout en restant elle-même – et fidèle à ce qui la consti-
tue. Encore faut-il parvenir d’abord à toucher ce centre. Pour Ignace, la
figure du pèlerin est celle qui synthétisera ce rapport existentiel à Dieu,
depuis la quête initiale jusqu’à l’intimité finale. Le pèlerinage, comme
discernement d’une identité voulue par Dieu, devient pour Ignace l’iden-
tité elle-même58. Ç’aurait pu être le pauvre, le prêtre, le fondateur, le

Ignace, n’est pas d’endurer des épreuves, ce qui serait ne lui attribuer qu’une valeur
pénitentielle.
58. C’est pourquoi Ignace utilise le « pèlerin » au présent pour se désigner même après
des années de stabilité romaine. S’il ne le faisait qu’en rapport à son pèlerinage à
Jérusalem (ou vers Rome), il se situerait dans le registre de la nostalgie. Mais comme sa
quête est toujours active – même dans le trouver Dieu – il demeure pèlerin dans le sens
plein du terme.

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mystique – et ce pourrait l’être pour un autre – mais l’identité d’Ignace


devant Dieu est celle du pèlerin qui a cherché depuis longtemps, et qui
trouve finalement en tout temps. Ce faisant, sans imposer cette identité
à tout ignatien, il veut cependant mettre chacun(e) sur cette voie pèlerine
du discernement d’une destination qui soit volonté et lieu de Dieu,
jusqu’à atteindre cet « habiter » en Dieu.
En ce sens, le pèlerinage ignatien se dégage d’un héritage purement
ascétique – sans le renier – pour devenir lieu de discernement de la
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volonté de Dieu jusqu’en son inhabitation. Il ouvre à une identité igna-
tienne foncièrement marquée par cette recherche incarnée et patiente du
lieu de Dieu.

IV. — « Trouver » : un horizon mystique d’inhabitation


Au-delà de la dichotomie entre une vision ascétique du pèlerinage,
ancrée dans le Moyen Âge, et la dimension de formation identitaire qui
annonce la modernité, Ignace ouvre un horizon proprement mystique
d’inhabitation divine comme destination dynamique. Le Journal spiri-
tuel, sans aucun doute, témoigne de l’intimité avec Dieu qu’atteint
Ignace. Cependant, le Récit offre, en un paragraphe fulgurant, l’apport
le plus concentré à cette recherche, alors qu’Ignace présente son être-
pèlerin actuel comme un « trouver » Dieu en tout moment (R 99).
Ignace décrit ainsi ce point d’arrivée spirituel auquel il se situe :
il croissait toujours en dévotion, c’est-à-dire dans la facilité à trouver Dieu,
et maintenant plus que jamais durant toute sa vie. Toutes les fois et à toute
heure où il voulait trouver (trovare) Dieu, il le trouvait. Et il dit que main-
tenant encore, il avait très souvent des visions, surtout (…) [du] Christ
(…). Et cela lui arrivait souvent quand il était en train de parler de choses
importantes ; cela le faisait venire in confirmatione59.

Le point d’arrivée est donc hautement dynamique : Ignace parle de


croissance, de recherche (vouloir trouver) et de confirmation. En ce sens,
il est clair qu’Ignace se situe toujours dans l’ordre de la quête, qui est
l’essence même du pèlerinage. Un mouvement vers Dieu s’esquisse tou-
jours. Mais ce mouvement n’est pas une tension vers un objet indéfini
– comme c’est le cas dans la recherche identitaire vécue dans le discer-
nement – ou hors d’atteinte ; le Dieu cherché est trouvé de manière
habituelle, il se fait voir en Jésus-Christ, il agit en confirmant. L’intimité
qui se fait jour dans ce « trouver » de tout instant marque la proximité
atteinte entre Ignace et Dieu. Une telle forme d’inhabitation ne se

59. Ibid. Au paragraphe suivant (§ 100), Ignace mentionne de nouveau les visions et
les larmes.

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Le pèlerinage ignatien 105

décline toutefois pas sous la figure du repos ou d’un accomplissement,


mais sous celle d’un mouvement qui trouve sans cesse sa destination sans
s’interrompre toutefois60. Ignace, toujours pèlerin, est constamment
tendu vers ce Dieu qui est tout proche. La recherche et le discernement
identitaire du deuxième moment du pèlerinage trouvent ainsi leur
accomplissement dans une concordance avec Dieu qui ouvre à l’inhabi-
tation.
Au final, ce troisième moment du pèlerinage d’Ignace ouvre un hori-
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zon proprement mystique. Cet horizon est souvent ignoré dans la consi-
dération du pèlerinage ignatien, où l’on peut se centrer trop sur le mou-
vement/déplacement et la dimension formative, et pas assez sur cet
horizon final, non pas d’inquiétude ou d’indéfini, mais de recherche et
de repos dans la recherche. Le discernement de l’identité qui se faisait
jour au deuxième moment, par la recherche du lieu vocationnel ou du
lieu d’incarnation, n’a alors d’objet principal qu’un être en Dieu. Il ne
cesse pas, mais va jusqu’à la source même.
La démarche entière du pèlerinage ignatien selon Ignace passe donc
par un moment ascétique, puis identitaire (par le discernement), mais se
poursuit jusqu’à l’inhabitation divine, qui sera cependant reçue plus
qu’elle ne puisse être atteinte, d’où la brièveté de sa mention dans le
Récit. Au lieu final de ce testament d’Ignace que constitue le Récit, Ignace
le pèlerin situe un être-pèlerin en Dieu, horizon mystique par excellence.

Conclusion : Le pèlerinage ignatien


comme lieu théologique actuel
Ignace accordait une grande importance à la question du pèlerinage,
comme en témoignent son Récit, ses envois en pèlerinage de divers com-
pagnons, de même que la place prévue pour le pèlerinage parmi les
moments initiaux de formation du compagnon de Jésus. En s’appuyant
sur des caractéristiques essentielles du pèlerinage médiéval, il fit cepen-
dant prendre un tournant identitaire éminemment moderne, dans une
optique qui symbolise l’essence même du projet nouveau de vie reli-
gieuse qu’il désirait : mobile, itinérante, légère, disponible, désinstallée
et ne s’appuyant qu’en Dieu seul, jusqu’à atteindre – potentiellement –
l’inhabitation divine.
Le pèlerinage ignatien, tel qu’il nous apparaît au sortir de cette étude,
embrasse une large polysémie, mais invite aussi à ne pas se satisfaire de

60. En ce sens, Ignace se rapproche davantage de la vision d’un « repos dynamique »


de l’inhabitation utilisée par Maxime le Confesseur que d’une forme plus statique de
« demeurer » johannique.

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106 A. Brouillette

clichés ou d’une dimension purement extérieure (mouvement, peu de


moyens matériels, etc.). Usant de moyens divers, Ignace y inscrit de
manière radicale une expérience de Dieu dont on peut espérer qu’elle
mène à terme, par-delà l’ascèse, puis le discernement identitaire, à une
expérience personnelle de grande intimité avec Dieu.
Dans un monde qui est marqué profondément par le mouvement,
mouvement des biens, des idées, des personnes, quelle place peut occu-
per le pèlerinage ignatien dans toute son extension? La transition entre
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le monde médiéval et l’époque moderne qu’Ignace fit faire au pèlerinage
ne peut que nous interpeller dans une Église appelée à la confiance et à
la transformation au cœur d’une réalité de restructuration radicale, où
des repères séculaires sont mis à mal. Le pèlerinage ignatien nous convie
peut-être à nous remettre en route de manière simplifiée, discernant en
chemin la volonté et le lieu de Dieu, en mettant radicalement notre
confiance en lui seul pour le trouver sans cesse et nous trouver en Lui.

USA – Boston, MA 02135 André Brouillette s.j.


Simboli Hall, 9 Lake Street Boston College
andre.brouillette@bc.edu

Résumé. — Le texte du Récit du pèlerin de St Ignace de Loyola, se situant au


croisement du pèlerinage médiéval et de la modernité, présente trois instances
distinctes : la démarche ascétique, la recherche d’identité et la quête mystique.
L’analyse de l’usage du pèlerinage par Ignace dans la Compagnie de Jésus nais-
sante montre cependant que le pèlerinage y touche principalement les dimen-
sions ascétique et identitaire, oblitérant ainsi le sommet proprement mystique
du cheminement d’Ignace qui ouvrait à un pèlerinage intérieur sans limite.

Mots-clés. — Pèlerinage | Ignace de Loyola (1591-1656) | Spiritualité | Mys-


tique | Récit du pèlerin

A. Brouillette s.j., The Ignatian Pilgrimage : Between asceticism, identity,


and mysticism

Summary. — The text of the Autobiography of St. Ignatius of Loyola, situated


at the crossroads of the medieval pilgrimage and modernity, comprehends three
distinct instances of pilgrimages: the ascetical process, the search for identity,
and the mystical quest. An analysis of Ignatius’ use of pilgrimages in the nascent
Society of Jesus reveals, however, that they mainly touched upon the dimensions
of asceticism and identity, thus obliterating the genuinely mystical summit of
Ignatius’ journey, which was ushering into an infinite inner pilgrimage.

Keywords. — Pilgrimage | Ignatius of Loyola (1591-1656) | Spirituality | Mys-


ticism | Autobiography

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