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Le renouveau catéchétique

À propos d’une thèse récente


André Fossion
Dans Revue Lumen Vitae 2007/2 (Volume LXII) , pages 223 à 239
Éditions Université catholique de Louvain
ISSN 0024-7324
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10 Fossion.qxd 14/06/2007 14:37 Page 223

Revue Lumen Vitae


Vol. LXII, n° 2 – 2007 (pp. 223-239)

Chronique

Le renouveau catéchétique
À propos d’une thèse récente

Par André FOSSION 1


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L e 8 janvier dernier, à l’Institut catholique de Paris, a été
présentée par Ugo Lorenzi une thèse de doctorat en
théologie qui a l’ambition de repenser les fondements de
l’acte catéchétique. Dirigée par Henri Jérôme-Gagey, la thèse a pour
titre « L’héritage du renouveau catéchétique et le caractère perfor-
matif de la parole en catéchèse ».

1 André FOSSION est prêtre jésuite, professeur au Centre International Lumen Vitae.
Il enseigne aussi les sciences religieuses aux Facultés universitaires de Namur. Il
a été directeur du Centre Lumen Vitae de 1992 à 2002 et président de l’Équipe
Européenne de Catéchèse de 1998 à 2006. Il est l’auteur de Lire les Écritures,
Bruxelles, Lumen Vitae, 1980 ; La catéchèse dans le champ de la communication,
coll. Cogitatio Fidei, Cerf, Paris, 1990 ; Dieu toujours recommencé. Essai sur la
catéchèse contemporaine, Bruxelles/Paris/Montréal, Lumen Vitae/Cerf/Novalis,
1997 ; Une nouvelle fois. Vingt chemins pour recommencer à croire, Bruxelles/
Paris/Montréal, Lumen Vitae/Éd. de l’Atelier/Novalis, 2004. Il est un collaborateur
régulier de la revue Lumen Vitae. Il a dirigé et participé à la rédaction d’une
vingtaine de manuels catéchétiques pour l’enseignement religieux : les collections
Passion de Dieu, passion de l’homme (De Boeck/Lumen Vitae) ou Manuels de
catéchèse (Desclée) et la collection Champs de grâce (De Boeck/Lumen Vitae).
- Adresse : Lumen Vitae, 184-186, rue Washington, B-1050 Bruxelles.

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L’événement mérite d’être souligné car il est rare et ardu de


revisiter, à un niveau de recherche doctorale, la problématique caté-
chétique dans une période de mutation culturelle et de crise de la
transmission de la foi. La thèse plonge dans l’actualité et ne craint pas
de mettre en débat voire en opposition des auteurs contemporains qui
s’expriment, notamment, dans la revue et par les Éditions Lumen
Vitae. Dans cette chronique, j’essayerai de rendre compte, autant que
je le puis, de la problématique de la thèse en soulignant la pertinence
des questions posées, mais aussi en exprimant des désaccords de
fond tant sur le contenu que sur la manière. L’enjeu est l’évaluation du
mouvement catéchétique contemporain et son avenir. Il vaut donc la
peine de peser les choses. En outre, personnellement impliqué dans
le débat, je serai amené à redresser sur certains points la lecture qui
est faite de mes écrits lorsque cette lecture me semble erronée voire
injuste. Mais ce qui importe davantage, ce sont les enjeux, les problé-
matiques, les orientations de fond et, bien entendu, le dialogue. Dans
cet esprit, je saisirai la thèse d’Ugo Lorenzi comme le moment d’un
débat qui n’est pas clos, en sachant que l’auteur, comme tout un
chacun, conserve sa liberté de bouger sans être rivé à un texte qu’il a
pu livrer à un moment donné de son parcours de recherche.
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La première partie de la thèse veut cerner la spécificité de la
situation catéchétique contemporaine. Le premier chapitre part de
l’idée que le renouveau catéchétique post-conciliaire, à dominante
anthropologique selon l’auteur, est en crise. Ce renouveau serait
désormais en porte-à-faux par rapport à l’évolution culturelle de la
société. D’où, la nécessité d’élaborer un « nouveau paradigme caté-
chétique ». Ce nouveau paradigme (catéchèse de proposition, caté-
chèse liturgique, catéchèse initiatique, présentation organique du
mystère chrétien) serait tout particulièrement exprimé par l’équipe de
l’ISPC de l’Institut catholique de Paris en symbiose étroite avec les
Évêques et les chrétiens de France avec comme documents cataly-
seurs La Lettre aux catholiques de France (1996) et Aller au cœur de
la foi (2003)2. Dans le chapitre 2, pour appuyer cette thèse, Lorenzi,
tout en se réjouissant de la communauté de recherche qui existe à
l’échelle de la francophonie occidentale, s’emploie aussitôt à

2 Lettre des ÉVÊQUES AUX CATHOLIQUES DE FRANCE, Proposer la foi dans la société
actuelle, Paris, Cerf, 1996 ; COMMISSION ÉPISCOPALE DE LA CATÉCHÈSE ET DU
CATÉCHUMÉNAT DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE FRANÇAISE, Aller au cœur de la foi.
Questions d’avenir pour la catéchèse, Paris, Cerf-Bayard-Mame, 2003. On peut
regretter que la thèse n’ait pas eu le temps de prendre acte de la parution du Texte
national pour l’orientation de la catéchèse en France voté par la Conférence des
Évêques de France à leur Assemblée de Lourdes en novembre 2005 et approuvé
par le Saint-Siège en 2006.

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construire une opposition binaire par laquelle il divise les catéchètes


« en deux constellations, de pensée bien distinctes dont les positions
sont construites suivant des architectures assez précises qui tiennent
aux positions théologiques et anthropologiques de fond. Une constel-
lation a comme foyer l’Institut catholique de Paris, notamment l’ISPC
et la faculté de théologie. La deuxième rassemble les catéchètes de
l’Institut Lumen Vitae de Bruxelles, de la faculté de Laval au Québec
et de l’Institut de Montréal »3. Du côté parisien, il y aurait Henri-Jerôme
Gagey, directeur de la thèse, Denis Villepelet, directeur de l’ISPC et
Joël Molinario. Du côté belgo-québécois, André Fossion, Henri
Derroitte, Gilles Routhier et Paul-André Giguère4. L’idée fondamentale
est que, sur divers paramètres (analyse du présent, idée de l’évangé-
lisation, rapport aux textes scripturaires et magistériels, notion d’expé-
rience, type de pédagogie, etc.) les seconds resteraient attachés à un
modèle catéchétique à dominante anthropologique qui postule une
convergence entre les expériences humaines et la foi, mais qui,
aujourd’hui, bloque le renouveau catéchétique en en perpétuant ainsi
la crise, tandis que les premiers, au contraire, prôneraient un modèle
renouvelé de catéchèse kérygmatique, plus directement testimonial,
plus ajusté au monde contemporain lequel, culturellement ne mani-
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feste plus de convergence entre les expériences de vie et la foi. Ainsi
se trouve campée l’épopée parisienne dans le dépassement de la
crise de la transmission de la foi. Cette entrée en matière, comme des
membres du jury de la thèse l’ont souligné, est plus que contestable.
Il y a là, en effet, d’entrée de jeu, une reconstruction imaginaire, un
artifice rhétorique, qui consiste, en choisissant tel ou tel texte5, en
privilégiant telle ou telle citation, en tordant parfois même leur sens6,

3 En italiques dans la thèse, pp. 39 et 40.


4 Pour élaborer cette constellation d’auteurs, seuls ont été retenus les intervenants
au colloque de l’ISPC en 2003 sur le thème « Catéchèse en mutation ». De ce fait,
de nombreux catéchètes pourtant bien connus et reconnus de Belgique, du
Québec ou de France sont ignorés.
5 Mon article “Vers des communautés catéchisées et catéchisantes” (dans La
Nouvelle Revue Théologique, sept.-oct. 2004, pp. 598-613) est connu par l’auteur,
mais, étrangement, n’a pas été retenu dans l’analyse. Pourtant, cet article, traduit
en plusieurs langues en diverses revues européennes et cité par Mgr Ricard à
l’issue de l’Assemblée des Évêques de France à Lourdes en 2004, concerne
directement le nouveau paradigme catéchétique dans le contexte culturel
contemporain. Cet article, sans doute, n’a pas été retenu faute de pouvoir cadrer
avec les propos de la thèse.
6 Voici un exemple précis qui me concerne. À la page 96 de la thèse, l’auteur me
cite : « Les chrétiens n’apportent rien aux autres sinon la reconnaissance de ce
qui est déjà secrètement offert à tous depuis l’aube de la création ». La citation,
d’abord, est tronquée. Il fallait lire, en effet, « … sinon la reconnaissance, pour leur
plus grande joie, de ce qui… ». Ainsi se trouve effacé l’élément de la phrase qui

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à forcer les oppositions, à dégager des constellations d’auteurs, en


les fixant là où ils ne sont pas, pour les besoins de la thèse qui, sur ce
point, prend clairement des allures politiciennes. La réflexion, pour-
tant, n’est pas inutile. Elle permet de faire émerger des idées-types
qui donnent à penser, mais qui, en aucun cas, ne devraient servir de
tiroirs où ranger à demeure des auteurs toujours en pleine activité. En
réalité, l’ensemble des auteurs invoqués qu’ils soient français, belges
ou québécois sont soucieux, selon leurs talents propres, à la fois, de
l’annonce évangélique et de l’écoute des situations humaines. Quant
aux évêques de France, s’agissant des directions nouvelles de la
catéchèse, il est notable qu’ils puisent leur bien où ils veulent, bien
éloignés des constellations imaginées ainsi qu’en témoigne le dis-
cours de clôture de Mgr Ricard président de la Conférence épisco-
pale, à l’issue de son assemblée, le 9 novembre 2004 à Lourdes7.
Après avoir campé les deux constellations d’auteurs en
question sur des bases plus que contestables, la thèse, en son cha-
pitre troisième, s’arrête à l’historiographie du renouveau catéchétique
tout particulièrement à partir de mon ouvrage La catéchèse dans le
champ de la communication8, issu d’une thèse de doctorat de théo-
logie présentée à l’Institut catholique de Paris, en 1989. Lorenzi, je lui
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en sais gré, reconnaît que cet ouvrage jouit d’une autorité incontestée
depuis plus de quinze ans. Il témoigne, dit-il, d’une pensée mûre,
cohérente et claire. Mais, l’ouvrage n’a jamais été discuté dans ses
choix, ses démarches et ses présupposés. À cette fin, Lorenzi retrace,
tout d’abord, le parcours des trois parties de l’ouvrage : l’analyse de
la communication catéchétique selon l’exhortation apostolique
Catechesi Tradendae de Jean-Paul II, le repérage de quatre courants
catéchétiques contemporains – kérygmatique, catéchuménal, anthro-

souligne la performativité de la reconnaissance de foi. Mais, plus grave encore, la


citation tronquée est utilisée pour laisser entendre que ma théologie est
redondante par rapport à l’anthropologie et dissout finalement la spécificité du
message chrétien. Or, dans le contexte, la phrase incriminée souligne, à l’inverse,
que la reconnaissance de ce qui est donné apporte une nouveauté radicale et
transformante. Voici exactement ce qui est dit dans le contexte immédiat qui
souligne bien la puissance performative de la foi : « La foi est transformation
radicale de l’existence. Elle reconfigure l’existence à sa racine en lui ouvrant des
perspectives inouïes : l’amour personnel et infini de Dieu, sa puissance de
création et de résurrection, le royaume déjà présent et encore à venir »
(A. FOSSION, Dieu, toujours recommencé, Bruxelles, Lumen Vitae, 1997,
pp. 92-93). Ainsi, la citation est-elle tirée dans un sens qui n’est pas le sien.
7 Pour avoir accès au texte de ce discours, sur Google tapez : CEF Assemblée
2004 Lourdes.
8 A. FOSSION, La catéchèse dans le champ de la communication. Ses enjeux pour
l’inculturation de la foi, coll. Cogitatio fidei, Paris, Cerf, 1990, 514 p.

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pologique et historico-prophétique – et enfin le regard prospectif sur


l’avenir de la catéchèse selon trois axes : l’inculturation des lieux de
la catéchèse, de son contenu et de sa pédagogie. Des remarques cri-
tiques sont énoncées. Par exemple, le recours au schéma de la
communication de R. Jakobson ne sert qu’à établir les angles
d’approche de Catechesi Tradendae. Mon analyse du courant kéryg-
matique9 de la catéchèse s’appuie exclusivement sur les conclusions
de la Semaine internationale catéchétique d’Eischtätt (1960). Il est
vrai qu’il y a place, à cet égard, pour une analyse approfondie des
soixante années de catéchèse qui ont précédé particulièrement dans
l’ère germanophone. Lorenzi fera d’ailleurs cette analyse avec brio
dans le chapitre suivant. Lorenzi conteste aussi les liens de continuité
que je souligne entre le courant kérygmatique de la catéchèse et le
courant anthropologique. Dans mon ouvrage, en effet, j’établis des
rapports dynamiques entre les quatre courants catéchétiques précé-
demment nommés. Dans la perspective qui est la mienne, la caté-
chèse kérygmatique est considérée comme la matrice des trois autres
courants : catéchuménal, anthropologique et historico-prophétique.
Lorenzi, à l’inverse, voit une fracture entre le courant kérygmatique et
le courant anthropologique. Selon lui, comme il le dira plus loin, le
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modèle kérygmatique s’est effondré dans le courant des années 60,
étant donné la révolution culturelle de l’époque, pour laisser place au
modèle, dominant jusqu’à nos jours, de la catéchèse anthropologique.
Je ne partage pas cette manière de considérer les choses à nouveau
polarisante et donc fatalement réductrice. Certes, il y a des diffé-
rences entre le modèle kérygmatique de la catéchèse et le modèle
anthropologique. Mais, le modèle kérygmatique, qui met en valeur
l’annonce directe de la Bonne Nouvelle, ne s’est pas effondré ; il est
entré, sans se perdre, dans une tension féconde avec cette autre exi-
gence de rejoindre les personnes dans leurs aspirations, dans leur
contexte de vie ; ce qui a donné lieu à l’émergence du modèle anthro-
pologique. C’est ce qui me permet de dire qu’entre le modèle kéryg-
matique et le modèle anthropologique, il n’y a pas d’opposition, mais
que les deux vivent de leur interaction. C’est d’ailleurs cette voie de la
tension féconde que le magistère a toujours promue depuis le Concile
en avalisant la loi de la double fidélité à mettre en œuvre en caté-
chèse : fidélité à Dieu, fidélité à l’homme.

9 Notons, comme un membre du jury l’a souligné, que les Éditions et la revue
Lumen Vitae ont particulièrement contribué à faire connaître le courant kéryg-
matique de la catéchèse au public francophone.

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A. Fossion

Mais, à rebours de ce principe de la double fidélité, Lorenzi pose


la question de savoir si le souci de fidélité à l’homme en catéchèse
n’en est pas venu, subrepticement, par glissements successifs, à
émousser voire à rendre impossible la fidélité à Dieu, son droit à la
parole. L’auteur, à cet égard, déploie toute une réflexion sur le lien, sur
la rencontre, incontournable par ailleurs, en catéchèse, de l’anthro-
pologie et de la théologie. L’anthropologie, en offrant un cadre à la
catéchèse – aussi bien dans son contenu que dans sa pédagogie –
n’est-elle pas un écran au droit de la Parole de Dieu ? En recourant
aux sciences humaines – sociales, linguistiques, pédagogiques, etc. –
ne risque-t-on pas d’enfermer la Parole de Dieu dans des catégories
qui la filtrent et finalement réduisent ce qu’elle peut avoir de nouveau
et d’abrupt ? Est-ce que l’anthropologie ne va pas réduire la théologie
à redire en d’autres mots, de manière redondante, ce que l’anthropo-
logie peut énoncer par elle-même en rendant ainsi finalement la
théologie inutile, superfétatoire. S’interrogeant sur les présupposés de
mon ouvrage, Lorenzi discerne un schéma anthropologique de base
qui est l’échange symbolique : donner/recevoir/rendre. Dans mon
ouvrage, en effet, de manière explicite et consciente, l’échange
symbolique constitue la trame commune de l’intelligence du dogme,
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de la vie en église, du rapport au monde, du contenu de la catéchèse
comme de sa pédagogie. Mais c’est ici que se manifeste, chez
Lorenzi, une divergence radicale d’interprétation. Il voit dans la struc-
ture matricielle de l’échange symbolique (donner/recevoir/rendre)
l’imprégnation d’un modèle anthropologique (qui, de surcroît, serait de
type structuraliste, avec le fantasme de l’évacuation du sujet et de la
dissolution des contenus dans les fonctionnements). Il y aurait là, dit-
il, « une fondation de la démarche théologique sur un “noyau dur”
fourni par l’anthropologie ». Il ajoute : « La conséquence est que le
caractère singulier des contenus est évacué. (…) Nous sommes en ce
sens face à un fonctionnement réductionniste de la démarche théo-
logique »10. Lorenzi insiste en disant que cette réduction apparaît
clairement (sic) à l’analyse de la notion de « Pâque » et de « mort de
Jésus ». Au fond, selon lui, la figure personnelle du Christ disparaîtrait
au profit du seul fonctionnement anthropologique de l’échange. Le
Christ serait réduit à un exemple de « communication maximum ».
Ces mises en cause sont radicales, mais l’incompréhension est totale.
L’auteur, en effet, se laisse ici emporter par sa propre logique en se
rendant incapable de lire, en projetant dans le texte ce qui conforte
ses craintes. Pourtant mes propos sont clairs et parfaitement

10 P. 167.

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Le renouveau catéchétique

conformes à la foi11. Pour sortir de cette incompréhension qui apparaît


récurrente tout au long de la thèse, il aurait pourtant suffi de
comprendre que, lorsque j’adopte le schéma de base donner/recevoir/
rendre, je ne suis pas un disciple de Marcel Mauss, de Roman
Jakobson, du courant structuraliste ou d’une quelconque « idéologie
de la communication », mais tout simplement disciple de la tradition
chrétienne qui me parle d’un Dieu qui est en lui-même communica-
tion, se communique et nous donne de vivre en communication.
Comme le dit si bien le théologien et cardinal Jean Daniélou, cela est
« une révélation prodigieuse » : « Que ce qui est absolument premier,
ce soit des personnes et la réciproque adhésion et communication

11 Je me permets de citer ici un seul paragraphe du chapitre central (pp. 372-414)


de mon ouvrage La catéchèse dans le champ de la communication qui traite de
l’inculturation du contenu de la foi : « La vie de Jésus de Nazareth, sa mort en
croix, la parole de miséricorde qu’il prononce au moment même ou l’ingratitude
abonde, témoignent de l’insistance gratuite et luxueuse de l’amour divin qui s’offre
à nouveau en dépit de l’abondance du péché et de ses effets de morts. La foi des
chrétiens, c’est de reconnaître que Dieu se révèle comme amour et gratuité sans
calcul, par-delà toute stricte justice et malgré le péché. « Ceci est mon corps
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donné pour vous » (Lc 22,19) – « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner
sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). La mort du Christ est ainsi
communication maximum. Elle témoigne d’un amour qui malgré l’ingratitude et
contre les puissances du mal, excuse tout, croit tout, espère tout, endure tout
(1 Co 13,7). (…) La résurrection de Jésus apparaît justement comme l’attestation
par Dieu lui-même, du fait que l’économie du don n’est pas rompue, que ni la mort
ni le péché ne détiennent le dernier mot. La résurrection elle-même est œuvre de
communication. Jésus ne s’est pas ressuscité lui-même. Il a donné sa vie et sa
vie lui a été rendue luxueusement par un autre ; la résurrection est l’œuvre du
Père. En le ressuscitant, en l’élevant à sa droite comme Seigneur de l’histoire, le
Père rend témoignage devant tous à l’œuvre du Christ. La résurrection manifeste
que le Père était à ses côtés, qu’il était engagé dans son œuvre pour manifester
aux hommes la gratuité et la proximité de son amour paternel. La résurrection
rend ainsi témoignage au lien de filiation unique de Jésus et de Dieu : Dieu est le
Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi, les chrétiens confessant la
résurrection de Jésus, reconnaissent-ils en Lui le Christ, le Fils unique de Dieu,
« le Chemin, la Vérité et la vie », le premier-né d’entre les morts, ouvrant aux
hommes l’espérance insoupçonnée de prendre part, par sa grâce, à sa
résurrection et de trouver accès à la vie éternelle. La résurrection – celle qui nous
est donnée d’espérer à la suite du Christ ressuscité – apparaît ainsi comme le
redoublement excessif du don gratuit de la création elle-même à partir de rien ;
une recréation. Elle est une gratuité supplémentaire par rapport à la générosité du
don et au luxe déjà inclus dans la création elle-même » (A. FOSSION, La catéchèse
dans le champ de la communication, op. cit., p. 394).
Ces affirmations de foi énoncées ici ont été constamment et constitutivement
présentes dans tous mes écrits, livres, articles ou manuels catéchétiques. Je
trouve incompréhensible que l’on ne puisse pas lire, dans la totalité de mes écrits,
la centralité de la figure personnelle du Christ, du mystère pascal et de la
révélation trinitaire.

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A. Fossion

entre ces personnes, que cette communion des personnes soit le fond
même, l’archétype de toute réalité, ce à quoi par conséquent tout doit
se configurer, est le fond même de la révélation chrétienne »12. La Tra-
dition, d’ailleurs, ne craint pas de parler du mystère chrétien comme
d’un admirable échange en acte – admirabile commercium – ainsi
qu’en témoigne, par exemple, cette merveilleuse prière sur les
offrandes : « Accepte, Seigneur, ces offrandes pour cette Eucharistie
où s’accomplit un admirable échange. En offrant ce que tu nous as
donné, puissions-nous te recevoir toi-même »13. Comment dès lors
peut-on me suspecter de dissoudre le contenu de la foi dans la
dynamique relationnelle s’il est vrai que le christianisme, par la grâce
du Christ, conduit à une manière d’être et de se reconnaître en rela-
tion fraternelle entre nous et filiale envers Dieu que l’on peut appeler
« Père » ?
Dans la continuité avec la problématique communicationnelle
de mon ouvrage – mais aussi en rupture par rapport à la manière dont
celui-ci serait déterminé par les sciences humaines –, la deuxième
partie de la thèse propose une retraversée du renouveau catéché-
tique en s’arrêtant à deux figures distinctes de catéchètes du courant
kérygmatique, d’une part, et du courant anthropologique, d’autre part,
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toujours donc sous le régime de la pensée binaire. Ainsi, le premier
chapitre de cette partie est-il consacré à la pensée de Josef Andreas
Jungman (1889-1975) théologien, liturgiste et catéchète, souvent cité
comme l’inspirateur du courant kérygmatique. Lorenzi resitue, avec
finesse, l’œuvre de Jungman dans le contexte socioculturel et ecclé-
sial de l’époque. Jungman pense la catéchèse dans le cadre d’une
théologie de la Parole de Dieu qui, par elle-même, est à la fois un
message et une action. Cette force tient au message lui-même,
capable de configurer un cadre de communication où l’interpellation
de Dieu se fait présente à celui qui l’entend. Il y a, en ce sens, une
performativité propre à la Parole de Dieu. Dans cette perspective,
Jungman vise à retrouver la circulation vitale qui existait dans le
christianisme ancien entre la catéchèse, l’homilétique et la liturgie.
Mais, étant donné le contexte de l’époque, souligne Lorenzi, la caté-
chétique de Jungman est restée théorique et n’a pas pu prendre
véritablement corps dans la pratique. Il lui a été aussi reproché
d’isoler le message chrétien dans une sphère religieuse autonome,
séparée du monde profane.

12 J. DANIÉLOU, La trinité et le mystère de l’existence, Paris, Desclée de Brouwer,


1968, pp. 52-53.
13 Prière sur les offrandes du 20e dimanche ordinaire.

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Le renouveau catéchétique

Le chapitre suivant s’arrête à un autre auteur, Jean Le Du, né


en 1927, professeur à l’ISPC au début des années 60 et considéré ici
comme un représentant emblématique du courant anthropologique de
la catéchèse14. L’œuvre de Jean Le Du est tout d’abord resituée dans
le contexte catéchétique français de l’époque : Le Fonds obligatoire,
le catéchisme de 1968 relevant de la pédagogie des signes selon la
séquence tripartite : expérience, révélation, retour à l’expérience.
Comme le soulignent à juste titre Gilbert Adler et Gérard Vogeleisen15,
ce catéchisme de 1968 gardait une veine kérygmatique tout en
s’efforçant de faire droit à l’expérience humaine. L’œuvre de Jean Le
Du apparaît comme s’appuyant délibérément sur les sciences
humaines (pédagogie, psychanalyse…) et sur les expériences de
groupe pour sortir la catéchèse des difficultés croissantes qu’elle
rencontrait dans l’annonce du message. Le Du veut sauver le langage
de la foi de son épuisement de sens. La perspective de Le Du est de
faire faire des expériences qui ouvrent l’espace d’une écoute renou-
velée du message chrétien (un langage plein) au-delà de ses expres-
sions conventionnelles et stéréotypées qui ne passent plus. Le
catéchiste est au service de cette réappropriation, mais il n’en est pas
le maître. Il doit, en ce sens, s’effacer. La visée de Le Du n’est pas de
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suspendre l’annonce de l’Évangile, mais de travailler aux conditions
qui la rendent possible, notamment par le recours aux documents,
aux récits de vie, au sein d’une pédagogie d’animation, en dehors
d’une relation éducative de type autoritaire et spéculaire. Mais,
souligne Lorenzi, les perspectives de Jean Le Du sont critiquables. Il
y a chez lui une « utopie instituante » qui consiste à vouloir refonder
le langage chrétien dans l’expérience d’aujourd’hui. N’est-ce pas
donner abusivement à l’expérience une fonction régulatrice de la foi ?
Chez Jungman et chez Le Du, deux épistémologies bien diffé-
rentes sont à l’œuvre, qui, toutes deux, ont leurs limites voire leurs
dérives. Dans les deux cas, la notion de performativité – le dire est aussi
un faire – est présente. Chez Jungman, c’est la performativité de la
Parole. Chez Le Du, la performativité réside dans la pratique du groupe.

14 On peut s’interroger sur le choix de Jean Le Du comme figure emblématique de


la catéchèse anthropologique. Pourquoi pas Joseph Colomb lui-même ? Ou
Georg Baudler concernant la problématique de la corrélation ?
15 Un siècle de catéchèse en France, 1893-1980, Paris, Beauchesne, 1980. L’ana-
lyse de Gilbert Adler et Gérard Vogeleisein conforte l’idée que le courant kéryg-
matique ne s’est pas effondré mais s’est élargi à l’exigence de prendre davantage
en compte l’expérience humaine ; ce qui a donné lieu à l’émergence de la
catéchèse anthropologique. L’œuvre de Jean Le Du s’inscrit effectivement dans
ce mouvement, mais avec une originalité propre, intéressante, qui n’a jamais fait
l’unanimité et qui, en ce sens, ne peut être érigée en modèle reconnu de la
catéchèse anthropologique.

Lumen Vitae 2007/2 231


A. Fossion

La troisième partie de la thèse consistera précisément à creuser


la notion de performativité à partir des sciences linguistiques et de la
philosophie du langage et à considérer ensuite comment le concept
de performativité peut être repris en théologie et ensuite dans la
catéchétique. Pour ce qui concerne la reprise en théologie de la
notion de performativité, l’auteur analyse l’œuvre de Louis-Marie
Chauvet16. Cette œuvre est également fondée sur la notion d’échange
symbolique que l’on peut voir à l’œuvre, de manière spécifique, dans
l’économie sacramentaire. Les sacrements sont des actes qui
instituent l’identité chrétienne, refont les relations en positionnant les
personnes vis-à-vis de Dieu et des autres. Lorenzi critique la pensée
de Louis-Marie Chauvet d’une manière analogue aux critiques qui
m’ont été adressées auparavant. Ici aussi l’adoption de l’échange
symbolique (donner/recevoir/rendre) comme matrice conceptuelle
pour penser les sacrements est suspectée d’entraîner une inféodation
de la théologie à l’anthropologie. Pourtant, comme je l’ai dit plus haut,
cette matrice conceptuelle est adoptée en raison de sa pertinence
théologique ; elle est la trace dans l’humain d’un Dieu qui est commu-
nication. Dans cette perspective, les sciences humaines peuvent
réellement contribuer à l’affinement de la pensée théologique sans
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pour autant s’instituer en instance régulatrice de la pensée théo-
logique elle-même. Les sciences humaines « donnent à penser »
dans le champ théologique sans se le rendre dépendant.
Le dernier chapitre de la thèse s’efforce de récolter les résultats
du parcours suivi jusque-là pour penser la catéchèse à nouveaux frais
comme « espace performatif de communication ». Il s’agit de la
possibilité de comprendre la catéchèse comme une action qui articule
une théologie de la Parole de Dieu avec la prise en compte appro-
fondie du champ de la communication humaine. Ce chapitre final
ouvre des perspectives intéressantes pourvu qu’il soit délesté de deux
aspects agaçants. D’une part, cette manière de distribuer aux uns et
aux autres des bons et mauvais points selon une échelle de vérité
prétendument détenue. D’autre part, cette prétention à vouloir
« remettre la catéchétique sur ses assises théologiques »17 comme si
auparavant le mouvement catéchétique, dominé par le paradigme

16 En particulier, Symbole et sacrement, coll. Cogitatio fidei, Paris, Cerf, 1987.


17 P. 525. Cette affirmation selon laquelle la catéchétique doit « être remise sur ses
assises théologiques » est sévère pour le passé. À l’analyse, elle s’avère pourtant
injustifiée et injuste à l’égard des nombreux théologiens qui sont sur le terrain
catéchétique depuis longtemps comme aussi à l’égard de l’épiscopat lui-même
qui, il faut le rappeler, n’a pas cessé de piloter le renouveau catéchétique.

232 Lumen Vitae 2007/2


Le renouveau catéchétique

anthropologique, n’avait été qu’errance. Lorenzi rappelle à juste titre


que la catéchétique est une discipline théologique. À mon sens, il en
a toujours été ainsi. Le renouveau catéchétique n’a pas dévié de cette
ligne. Le lieu adéquat pour penser l’acte de catéchèse comme un acte
de communication performative est, effectivement, la théologie fonda-
mentale de l’acte de foi18. Lorenzi a tout à fait raison de le souligner,
mais, de cette affirmation, il tire une conclusion qui ne me paraît pas
exacte : les sciences humaines, soutient-il, dans la catéchétique
comme dans la théologie en général, peuvent avoir une fonction
analytique et critique, mais non constructive19. Je dirais plutôt qu’en
théologie les sciences humaines ne peuvent pas être érigées en
instance régulatrice, mais, ceci étant dit, leur apport est essentiel pour
construire la théologie. Que serait, par exemple, l’exégèse, sans
l’apport constructif de l’histoire et des sciences du texte ? Que serait
la catéchétique sans l’apport constructif des sciences pédagogiques ?
D’ailleurs, Lorenzi lui-même s’appuie sur la notion de performativité
des sciences de la communication pour penser théologiquement, en
conformité avec la tradition biblique, l’efficacité spécifique de
l’annonce et de la foi : l’unité indissociable de son sens et de son
action. C’est là, d’ailleurs, l’apport et le point fort de la thèse qu’il faut
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souligner et retenir. Elle montre comment l’espace catéchétique peut
être vu comme un espace performatif de parole et de communication.
Cet espace ne peut être cloisonné ; il prend place à l’intérieur du
ministère de la Parole dans l’Église, en lien étroit avec l’action litur-
gique, les sacrements, la prière et la prédication. « Il nous faut, écrit-
il, des approches catéchétiques qui permettent aux catéchisants de
se reconnaître constitués par ce qu’ils reçoivent, et de ce qu’ils
recevront dans les sacrements. Ils y recevront le don de Dieu et, en
même temps, se recevront « autres » dans la rencontre avec Jésus-
Christ »20. Plus concrètement, l’opérativité de la parole est envisagée
par l’auteur sous une double polarité : le récit et l’annonce qui sont, en
quelque sorte, les deux phases d’une même respiration. Récit de
l’histoire de Jésus et annonce du Christ ressuscité qui, en référence
aux événements fondateurs, se répercutent de proche en proche en
récits de vie et en témoignages. Lorenzi revoit aussi dans ces pers-

18 Les pages 402-414 de mon ouvrage La catéchèse dans le champ de la commu-


nication abordent la question de l’acte de foi (fides qua) et de sa performativité
propre.
19 On pourra lire d’autres perspectives sur les rapports entre la théologie et les
sciences dans l’article émanant des professeurs de la Faculté de théologie de
Louvain (UCL ) « Une recherche et un enseignement en théologie : pourquoi ? »,
dans Revue Théologique de Louvain, 38, 2007, pp. 29-40.
20 P. 507.

Lumen Vitae 2007/2 233


A. Fossion

pectives le rôle de témoignage du catéchiste au sein de l’espace per-


formatif de la catéchèse ; les événements fondateurs du christianisme
portés par la foi des témoins y rejoignent le catéchisé. Double autorité
donc dont la plus ancienne fonde celle du catéchiste et en constitue
le principe permanent. Les deux construisent ensemble l’espace per-
formatif où la Parole de Dieu circule au sein de la communication des
hommes.
Je conclus cette présentation forcément trop brève et réductrice
de la thèse de Lorenzi en trois points : ses apports, ses limites et ses
erreurs.

Les apports

Outre l’analyse intéressante qui est faite des antécédents et des


circonstances de l’émergence du courant kérygmatique de la caté-
chèse, l’originalité de la thèse est d’avoir considéré la catéchèse
comme un espace performatif de la communication de la foi. La pro-
blématique n’est pas neuve. Mais la thèse de Lorenzi, particulière-
ment au chapitre huitième dont je viens d’évoquer quelques axes, la
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déploie de manière riche et prometteuse. On peut être reconnaisssant
à Lorenzi d’offrir un appareillage conceptuel pour penser et laisser se
déployer l’efficacité performative de la Parole, l’unité de son sens et
de son action. Définir la catéchèse comme un espace performatif,
situer la catéchèse dans le champ complexe du ministère de la
Parole, envisager les diverses modalités d’opérativité de la parole
(récit, annonce, etc.), analyser la chaîne de communication qui s’éta-
blit entre les événements fondateurs, les témoins et les catéchisés,
etc., sont autant d’avenues pour mieux saisir ce qui passe et ce qui se
passe dans l’acte catéchétique. Cet apport décisif de la thèse que je
souligne est heureusement séparable des limites et des erreurs
qu’elle charrie.

Les limites

Je l’ai dit en commençant cette chronique, la thèse est marquée


par un parisianisme maladroit qui, je suppose, est gênant pour
l’équipe des catéchètes de l’ISPC. Henri-Jerôme Gagey, notamment,
directeur de la thèse, est le seul théologien systématicien toujours
vivant qui soit invoqué positivement. Faudra-t-il, pour assumer le défi
catéchétique contemporain, que l’intelligence soit à ce point
concentrée et si peu répandue ? C’est négliger ou ignorer les

234 Lumen Vitae 2007/2


Le renouveau catéchétique

multiples recherches qui sont faites ici et là pour repenser toujours à


nouveau la catéchétique, y compris dans la mouvance dite anthropo-
logique si nettement décriée et mise en cause par la thèse. Je pense,
par exemple, aux recherches menées par les catéchètes comme
N. Mette, F.F. Schweitzer, A. Dillen, J. Maex ou encore Didier Pollefeyt
de la Faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain
(KULeuven) avec sa vision fort intéressante de la multi-corrélation
entre foi en vie par opposition à la mono-corrélation et ses effets
bloquants. Je pourrais aussi évoquer la dynamique originale –
figuration, configuration, transfiguration – présentée par Jean-Paul
Laurent qui s’inscrit dans une problématique linguistique et rhétorique
pour penser la proposition de la foi dans une culture pluraliste21.
Une autre limite de la thèse, bien que son auteur soit italien, est
qu’elle n’est pas du tout marquée par tous les apports de la problé-
matique de l’enseignement religieux scolaire. La laïcité à la française,
on le sait, représente un cas particulier. Les autres pays européens
ont tous un enseignement religieux organisé à l’école. Bien entendu,
une distinction est à faire et est effectivement faite entre enseigne-
ment religieux et catéchèse. Pour autant, l’enseignement religieux
peut pleinement entrer dans une pastorale d’humanisation, d’évan-
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gélisation et de catéchèse. Cet aspect est complètement absent de la
thèse. Elle privilégie d’emblée le modèle kérygmatique de la caté-
chèse, son aspect testimonial et notamment son lien à la liturgie. Mais
elle néglige par le fait même tous les espaces institutionnels publics
où le modèle kérygmatique n’est ni possible ni opportun. Dans l’es-
pace des médias, dans l’espace de l’enseignement scolaire, dans
l’espace culturel en général, le modèle anthropologique de la parole
chrétienne, sans prétention d’être l’unique, est et demeure
incontournable.
Autre limite encore, la perspective de la thèse est complètement
séparée du service diaconal de l’Église. Cela est étonnant pour une
thèse qui entend souligner la performativité de la Parole de Dieu. La
foi, en effet, comme sa transmission, procède par la charité. La tradi-
tion du message chrétien est inséparable de la tradition de la charité.
Jésus lui-même, ne l’oublions pas, commence son ministère non pas

21 Jean-Paul LAURENT, “Du côté de la pastorale : pour une pédagogie de la figu-


ration”, dans Lumen Vitae, 60, 2005, pp. 325-339. L’article est également paru
dans un ouvrage tout récent, préfacé par Monseigneur Daucourt, évêque de
Nanterre, Pour « une nouvelle présence » de l’enseignement catholique au sein
de la laïcité, coll. Haubans n° 1, Bruxelles/Paris, Lumen Vitae/Éd. de l’Atelier,
2007.

Lumen Vitae 2007/2 235


A. Fossion

par la prédication, mais par l’attention aux malades et aux infirmes.


Cet aspect des choses – la solidarité dans les tâches d’humanisation,
l’engagement pour la justice, l’option préférentielle pour les pauvres –
n’est pas intégré dans la thèse de Lorenzi comme condition et comme
bain de la catéchèse. Si l’annonce de la Parole n’est pas elle-même
ancrée dans l’exercice de la charité, comment pourrait-elle être
crédible ? Si l’Église comme corps n’était pas engagée dans de mul-
tiples tâches d’humanisation, si elle n’était pas reconnue par les
pauvres, quel crédit, quel autorité aurait sa parole ? Dans l’optique
même de la performativité de la Parole, ne faudrait-il pas souligner
que l’annonce de la foi est indissociablement liée au service et qu’elle
est, elle-même, un acte de charité où le témoin livre à l’autre ce qu’il
porte de meilleur, non pas d’abord pour le convertir, mais pour témoi-
gner de l’amour qu’il lui porte. La tâche s’impose – que la thèse
n’assume pas – de penser le lien entre l’engagement pour un monde
plus humain et l’annonce de la foi. L’humanisation est une fin en soi.
Mais de surcroît, elle ouvre un espace de solidarité humaine où
l’annonce explicite de l’Évangile devient audible. Et cette annonce
explicite donne des motivations nouvelles, supplémentaires et déci-
sives pour s’engager, a fortiori, à plus forte raison, dans toutes les
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tâches d’humanisation. Mais l’auteur le reconnaît lui-même, le courant
historico-prophétique de la catéchèse qui met en valeur la dimension
de l’action est le grand absent de la thèse22.
Une quatrième limite, comme un des membres du jury l’a
souligné, est que l’affirmation de la crise du renouveau catéchétique
aussi bien que l’affirmation de la pertinence du modèle kérygmatique
renouvelé manquent de vérification sur le terrain. Cette vérification est
pourtant décisive dans une démarche de théologie pratique.

Les erreurs

Je crois l’avoir montré, la thèse comporte un ensemble d’erreurs


graves. L’erreur fondamentale me paraît résider dans l’antagonisme
qui est construit artificiellement entre le modèle kérygmatique et le
modèle anthropologique de la catéchèse. En fait, les différents cou-
rants catéchétiques généralement cités (kérygmatique, catéchumé-
nal, anthropologique, historico-prophétique, doctrinal, etc., la liste
n’est pas exhaustive) désignent chaque fois des configurations
catéchétiques qui ont leur cohérence théologique, pédagogique et

22 P. 531.

236 Lumen Vitae 2007/2


Le renouveau catéchétique

culturelle propre, de la même manière qu’il existe légitimement, au sein


du christianisme, des théologies différentes. Ou encore, si l’on veut
une comparaison, le Nouveau Testament compte quatre évangiles qui
ont leurs perspectives propres sans être contradictoires ; ils œuvrent
tous à une même foi. Il en va de même pour les courants catéché-
tiques ; ils représentent diverses manières cohérentes de mettre en
œuvre la catéchèse. C’est pourquoi j’estime que c’est un mauvais
service rendu à la catéchèse que d’en avoir extrait deux, de les avoir
mis en position antagoniste, en considérant le premier comme théolo-
giquement prometteur et en présentant le second comme théologique-
ment délétère23. C’est aussi un très mauvais service rendu à la
catéchèse que d’avoir divisé les catéchètes selon ce même antago-
nisme, en laissant entendre que les catéchètes de la constellation dite
belgo-québécoise sont des réductionnistes toujours soumis à des
schèmes anthropologiques qui bloquent l’annonce de la foi et le
renouveau catéchétique attendu. Personnellement, en tout cas, je
refuse catégoriquement d’être rangé dans la constellation anthropolo-
gique telle qu’elle est définie par la thèse. Dans ma perspective, selon
les circonstances, en fonction de l’opportunité, je puis être tantôt plus
doctrinal, tantôt plus kérygmatique, tantôt plus catéchuménal, tantôt
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plus anthropologique, tantôt plus historico-prophétique, mais toujours
sous la même règle de foi. Dans cette optique, il me paraît absurde de
dresser un courant contre l’autre en disant que le premier « remet » la
catéchétique sur ses assises théologiques.
En fait, la critique qui est faite du courant dit anthropologique ne
porte pas sur la définition que j’en donne dans mon ouvrage La
catéchèse dans le champ de la communication. Tel qu’il est exprimé
là, dans les pages 204-216, le modèle anthropologique de la caté-
chèse est théologiquement irréprochable, même si, comme tout cou-
rant, il a ses limites et ses dérives possibles. En réalité, la critique de
la thèse porte sur l’usage qui est fait en catéchétique des sciences
humaines. Sur ce point, en prenant comme exemple Jean Le Du, qui
est fort stimulant, mais qui, effectivement, a poussé sa propre problé-
matique anthropologique d’une manière qui ne fait pas l’unanimité, la
thèse a beau jeu de créer un climat de suspicion sur le modèle en
question. « Anthropologique » en arrive alors à rimer avec « non-théo-

23 On peut regretter, à cet égard, que les rapports entre le courant kérygmatique et
le courant anthropologique de la catéchèse aient été interprétés à l’intérieur de
l’opposition entre la théologie dite « dialectique », d’une part, qui envisage volon-
tiers la foi comme une parole, à contre-courant de la culture ambiante, qui appelle
à la conversion et, la théologie dite « libérale », d’autre part, qui, au contraire,
valorise l’expérience subjective ainsi que la raison philosophique ou scientifique,
au détriment des médiations objectives de la foi.

Lumen Vitae 2007/2 237


A. Fossion

logique » ou « théologiquement déficient ». D’où, dans la foulée, les


suspicions portées, par, exemple sur le schéma de l’échange sym-
bolique. Pour ce qui me concerne, faut-il le répéter, je récuse absolu-
ment l’idée qu’en adoptant le schéma de l’échange symbolique
donner/recevoir/rendre pour penser l’acte catéchétique dans sa
complexité et sa profondeur, je sois prisonnier d’un schéma anthro-
pologique érodant le spécifique chrétien. Le concept de performativité
utilisé abondamment dans la thèse est, d’ailleurs, lui aussi un concept
anthropologique. Pourtant, il n’empêche nullement de penser le mys-
tère chrétien et en particulier la spécificité propre de l’action de la
Parole de Dieu. Il en va de même pour le concept d’échange
symbolique.
La mise en cause du modèle dit anthropologique tient aussi à
l’affirmation selon laquelle il n’y aurait plus aujourd’hui de conver-
gence entre la culture et la foi. Les catéchètes classés dans la
constellation dit anthropologique seraient dans l’illusion en croyant
qu’il faut d’abord creuser et recreuser toujours à nouveau l’expérience
humaine pour faire apparaître la foi dans sa vérité et sa splendeur,
comme s’il y avait une convergence spontanée entre le souci de
l’humain et l’adhésion à la foi chrétienne. Les catéchètes de la
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constellation dite anthropologique seraient à la remorque de
l’évolution culturelle présente en s’imaginant que la reconnaissance
de foi se trouve au bout du chemin, alors qu’ils feraient mieux de
constater l’écart grandissant entre la foi et la culture et de rendre à
l’Évangile « sa force de frappe » en tant que Parole neuve, instaura-
trice et restauratrice. Ce diagnostic tranché n’est pas exact. Tout
d’abord, parce qu’aucun catéchète n’est dans l’illusion naïve de cette
continuité directe entre foi et culture. Tous sont sensibles au caractère
incontournable de l’annonce dans ce qu’elle peut avoir d’inaugural au
regard de l’expérience humaine. Et ensuite, parce que, dans la foi
elle-même, on ne peut pas renoncer à l’idée de convergence entre la
foi et la vie. Notre culture dans ses mutations elle-mêmes est évan-
gélisable et l’homme d’aujourd’hui, dans son contexte, reste
« capable de Dieu ». L’évangélisation ne commence pas par détester
le monde ni par le convaincre de péché pour qu’il se convertisse.
Évangéliser, c’est d’abord et avant tout se solidariser avec tout autre,
se déplacer dans son lieu (« Voici que je me tiens à la porte et que je
frappe » Ap. 3,20), dialoguer avec lui, rendre témoignage de la foi, en
cherchant avec lui les traces du ressuscité dans la vie où toujours il
nous précède. En ce sens, évangéliser implique que l’on se laisse
aussi évangéliser par ceux et celles que l’on s’efforce d’évangéliser.
Comme le disait Monseigneur Billé dans son discours d’ouverture de

238 Lumen Vitae 2007/2


Le renouveau catéchétique

l’assemblée des évêques de France à Lourdes en 2000, « Un même


Esprit est à l’œuvre chez l’évangélisateur et chez l’évangélisé et le
premier, s’il sait ce qu’il propose, accepte aussi d’être converti par
celui qui veut bien l’écouter »24. Le postulat de cette convergence est
essentiel au regard de la foi elle-même. Catéchiser, certes, c’est
proposer la foi, c’est l’annoncer dans ce qu’elle a d’inaugural, mais
c’est aussi s’employer à la rendre possible, compréhensible, prati-
cable, désirable au regard de l’expérience humaine. La foi vient de ce
que l’on entend. Certes. Mais ce que l’on entend doit pouvoir être
reconnu, avec toute la puissance de la raison humaine, comme juste
et bon pour la vie. Ces deux versants sont indissociables. D’où, l’im-
possibilité de principe d’opposer le kérygmatique à l’anthropologique.
Qu’advient-il dès lors de la question posée, dès le premier cha-
pitre de la thèse, du « nouveau paradigme catéchétique » ? Je crois
que nul ne le détient, ni un catéchète particulier ni une école parti-
culière. Il réside plutôt dans l’orientation commune que nous tracent
les pasteurs de l’Église lorsque, après avoir plaidé pour la restauration
du catéchuménat durant le Concile, ils l’ont défini, lors du Synode sur
la catéchèse de 1977 et ensuite dans le nouveau Directoire Général
pour la Catéchèse de 1997, comme le modèle inspirateur de toute
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catéchèse25. La mise en valeur paradigmatique du catéchuménat
aurait permis à la thèse d’Ugo Lorenzi d’échapper à l’opposition
construite entre le kérygmatique et l’anthropologique et de déployer
de manière sereine, au-delà de cette opposition, toutes les
dimensions de l’initiatique. Cette mise en valeur paradigmatique du
catéchuménat, de surcroît, aurait permis à la thèse de rejoindre
directement les perspectives du nouveau Texte national pour
l’orientation de la catéchèse en France26 qui précisément fait « l’option
d’une pédagogie d’initiation ».
Même si c’est de manière critique, j’ai pris ici la peine d’honorer
la thèse d’Ugo Lorenzi. J’espère de tout cœur que, de cette thèse
décantée, une fois dégagée de ses limites et de ses erreurs, sortira
un ouvrage stimulant qui mettra en valeur son apport propre, pour le
bien et pour le renouveau du mouvement catéchétique. La belle
conférence d’Ugo Lorenzi lors du dernier colloque de l’ISPC des 21
au 24 février derniers à Paris le laisse présager.

24 Les temps nouveaux pour l’Évangile, Assemblée plénière, Lourdes 2000, Paris,
Bayard/Centurion/Cerf/Fleurus-Mame, 2001, p. 21.
25 Voir à ce propos “Le catéchuménat : modèle pour la catéchèse ?”, dans Lumen
Vitae, 61, 2006, pp. 253-267.
26 Paris, Éd. Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, 2006.

Lumen Vitae 2007/2 239

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