Vous êtes sur la page 1sur 22

JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS.

RÉFLEXIONS AUTOUR DE
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME D’ADOLF VON HARNACK

Dan Jaffé

Institut protestant de théologie | « Études théologiques et religieuses »

2017/3 Tome 92 | pages 587 à 607


ISSN 0014-2239
DOI 10.3917/etr.923.0587
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-
religieuses-2017-3-page-587.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


Distribution électronique Cairn.info pour Institut protestant de théologie.
© Institut protestant de théologie. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page587

ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES


92e année – 2017/3 – P. 587 à 607

Jésus dans le monde juif de son temps


Réflexions autour de L’Essence du christianisme
d’Adolf von Harnack

Dan JAFFÉ* analyse ici le célèbre ouvrage L’Essence du christianisme écrit,


voilà plus d’un siècle, par Adolf von Harnack. Son objectif est de faire ressortir
les aspects les plus cruciaux développés par l’auteur et de comprendre les inten-
tions et les principales lignes idéologiques d’Harnack. Ce livre qui a marqué son
époque, voire les suivantes, est coloré d’un antisémitisme enveloppé d’évidentes
notions théologiques. Il fait état d’une approche qui influença le monde germa-
nique et le protestantisme libéral duquel provient Harnack.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


À la mémoire de Michel,
avec le souvenir de l’exaltation du livre et de l’étude

L’Essence du christianisme d’Adolf von Harnack, paru pour la première fois


en 1900, a reçu un accueil favorable par un grand nombre de chrétiens qui se
réclamaient d’une « théologie libre ». Au-delà de ces cercles, il bénéficia d’un
grand succès ; en témoignent les dix-huit rééditions du vivant de son auteur. Il
fut traduit en quatorze langues jusqu’en 1930. Cet ouvrage fut au premier abord
conçu comme un cours public destiné aux auditeurs de l’université de Berlin.
Dans ce livre, Harnack se situe en deçà des formulations dogmatiques qui
définissent le christianisme et s’interroge à nouveaux frais sur la définition de
l’identité chrétienne. Comme le souligne Jean-Marc Tétaz dans la récente réédi-
tion de l’ouvrage, la définition de l’essence du christianisme est une sorte de

*
Dan JAFFÉ est maître de conférences en Histoire des religions à l’université Bar-Ilan, Tel-Aviv.
L’auteur remercie Pierre Gisel pour la relecture attentive de son article.

587
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page588

DAN JAFFÉ ETR

contrepartie positive de la critique négative des dogmes mise en œuvre par


Harnack1.
Dans cette étude, nous nous proposons de reprendre certains arguments que
l’ouvrage développe en centrant notre propos sur des questions majeures
relatives au monde juif dans lequel évoluait Jésus.

JÉSUS ET LES PHARISIENS

La question de l’autorité de Jésus est des plus complexes : il parle en son


propre nom sans référence à un maître qui l’ait précédé, alors qu’en monde
pharisien, le renvoi à une autorité est requis afin de se rattacher à la tradition
des Pères. On considère d’ailleurs que cette tradition est ininterrompue depuis
la révélation sinaïtique. Cette approche vise à la constitution d’une chaîne de
la tradition et représente une façon de s’inscrire dans la paradosis (transmis-
sion). Cette tradition des Pères délivrée oralement par Moïse est perçue par les
pharisiens comme une transmission sans faille au fil des générations. Or, Jésus
semble déroger à cette instruction en proclamant son enseignement en son
propre nom. La formule on vous a dit… et moi je vous dis se démarque de
l’énonciation protocolaire de rigueur chez les pharisiens puis au sein des Rabbis
du Talmud. Chez ces derniers, la formule consacrée est Rabbi untel dit au nom
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


d’untel qui dit au nom d’untel, etc. Bien sûr, cette façon de se rattacher à une
chaîne qui serait ininterrompue est une vue de l’esprit ; elle permet aux phari-
siens, et plus tard aux Rabbis, de légitimer leur propos et de leur donner plus
de poids. Elle confère au prédicateur une teneur particulière : son enseigne-
ment (totalement novateur) a déjà été promulgué à Moïse, et lui ne fait que
l’expliciter afin de le rendre compréhensible et applicable au plus grand
nombre. Le maître pharisien ne se veut donc pas à proprement parler législa-
teur, mais didacticien de la Loi. Cette Loi est vécue comme un absolu qui est
au-delà de tout autre précepte.
Selon Harnack, la prédication de Jésus est plus élevée que celle de Jean le
Baptiste. Bien que se démarquant des approches pharisiennes, Jean le Baptiste
ne crée pas de césure, celle-ci ne survenant qu’avec Jésus. Jésus s’oppose aux
pharisiens de son temps en ce qu’il élabore une nouvelle humanité en opposi-
tion à l’ancienne, il est celui qui inaugure un nouvel éon plus libre et plus
proche du divin. Il désenclave la loi emprisonnée par les pharisiens et modifie
la perception du divin. C’est donc en termes de transition depuis un « Dieu
comme le despote qui veille au respect du cérémoniel de son règlement de

1
Voir Adolf von HARNACK, L’Essence du christianisme. Textes et débats. Édition, traduction, intro-
duction et notes de Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, coll. « Histoire et Société », 2015, p. 27.

588
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page589

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

maison » jusqu’à un Dieu présent tel « l’air que l’on respirait » qu’il y a lieu
d’appréhender la prédication de Jésus. Dieu n’est plus étriqué parmi « un
labyrinthe de défilés étroits, d’impasses et d’issues secrètes », il sort de la loi
qui l’enferme et se trouve enfin libéré grâce au message de Jésus. Jésus
inaugure la présence d’un Dieu vivant annonçant « la noblesse de l’âme » et clôt
l’« industrie terrestre » du divin2.
Il est évident que ces propos choisis parmi tant d’autres du même acabit
sont de l’ordre du jugement de valeur. La perspective d’Harnack est de dresser
une ligne de démarcation entre une approche archaïque et surannée et une autre,
épanouissante et libératrice. La question est toutefois complexe : certaines
modalités d’expression et d’enseignement de Jésus se démarquent in situ de
celle des pharisiens. Cependant cela n’empêche nullement de situer l’homme
Jésus au sein de ce mouvement. On sait en effet que le mouvement pharisien
était loin de représenter une entité monolithique ; il était plutôt composite et
ramifié. Il n’y avait donc pas une école pharisienne, mais des écoles phari-
siennes. Ces écoles se composaient de nombreuses ramifications différentes
les unes des autres, des différences qui, d’ailleurs, se retrouvent parmi les
figures rabbiniques plus tardives. Jésus trouve sa place au sein de cette plura-
lité, il partage avec d’autres pharisiens la croyance en la résurrection des corps
plutôt que la croyance dans l’immortalité de l’âme (que l’on trouve chez les
esséniens). Jésus est également influencé par les modes de raisonnements
textuels et les modèles interprétatifs qui ont cours chez les pharisiens. Il
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


présente donc de sérieuses affinités avec ce mouvement, et qui veut affilier
Jésus à l’un des mouvements juifs de son temps doit avoir tout cela à l’esprit.
Il convient également de prendre ces éléments en considération lorsqu’on
s’intéresse aux luttes entre Jésus et les pharisiens. Jésus profère sa prédication
en utilisant deux méthodes qui sont propres aux pharisiens : il commente les
textes canoniques qu’il cite, et il utilise des mashalim (paraboles). Par là, Jésus
demeure pleinement dans la ligne des docteurs de la Loi, ses contemporains.
Une certaine effervescence dans le monde juif caractérise l’époque de Jésus.
C’est le temps de l’élaboration de la halakha et de l’herméneutique rabbinique
qui constituent la Loi orale. Cette époque d’intense créativité intellectuelle
s’exprime dans une tradition orale qui sera plus tard consignée dans la littéra-
ture talmudique. La méthode interprétative des Sages dans la fixation de la
halakha a précisément pour objet le commentaire systématique de la Bible3.

2
Ibid., p. 119. Caractérisant cette industrie terrestre dont il affuble les pharisiens, Harnack ajoute
qu’« il n’y a rien de plus odieux ».
3
Voir Max KADUSHIN, The Rabbinic Mind, New York, The Jewish Theological Seminary of
America, 1952, p. 59-98 ; Ephraïm E. URBACH, « La “drasha” comme fondement de la Halakha et le
problème des Sofrim », Tarbiz 27 (1958), p. 166-182 [en hébreu] (= Ephraïm E. URBACH, Le monde des
Sages. Recueil d’études, Jérusalem, Magnes Press, 2002, p. 50-66 [en hébreu]) ; ID., « Tradition et

589
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page590

DAN JAFFÉ ETR

Jésus utilise fréquemment les paraboles et les récits anecdotiques ; elles sont
pour lui des moyens d’expliciter, d’exemplifier ou d’illustrer son propos. Elles
ont valeur d’enseignement. On peut donc se demander d’où lui vient cette
habitude. Cette méthode se retrouve dans la littérature midrashique ; le midrash,
certes de rédaction plus tardive, comprend des matériaux littéraires bien
antérieurs à Jésus. Ainsi, il n’est pas surprenant qu’il soit imprégné de ces
procédés oraux (aggadoth) qui sont courants à son époque et qu’il en fasse un
usage très fréquent4.
L’enseignement de Jésus se retrouve donc dans la fragmentation socioreli-
gieuse des pharisiens. Quant à son autorité, bien que ne se réclamant d’aucun
maître pharisien, elle est fondée sur l’interprétation de l’Écriture telle que les
pharisiens la pratiquaient. On ne doit pas non plus oublier qu’un effet littéraire
est attaché au type d’autorité que les Évangiles attribuent à Jésus et qui provient
de la tradition kérygmatique plus tardive. On ne peut évidemment comprendre
ce dernier point que si l’on replace les textes des Évangiles à l’époque de leur
rédaction, c’est-à-dire quelques décennies après la crucifixion de Jésus.
Dans une perspective purement historique, on peut prétendre que Jésus est
un pharisien en lutte avec d’autres pharisiens. Trois attestations littéraires du
Talmud permettent d’imaginer la pluralité et la fragmentation du mouvement
pharisien de l’époque de Jésus :
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


Talmud de Jérusalem, Berakhot, 9, 7 (5), 14b :

Il existe sept sortes de pharisiens [perushin] : le pharisien prétentieux [qui


aime se mettre en évidence], le pharisien hautain, le pharisien teneur de livres,
le pharisien parcimonieux, le pharisien qui veut rembourser son dû, le phari-
sien qui a la crainte, le pharisien qui aime.

Halakha », Tarbiz 50 (1980/1981), p. 136-163 [en hébreu] (= Le monde des Sages, op. cit., p. 67-94) ;
Salomon SCHECHTER, Aspects of Rabbinic Theology, New York, Schocken Books, 1961, p. 116-147 ;
Shmuel SAFRAI, « La communauté comme facteur dans la fixation de la halakha », in Zeev Safrai, Avi Sagi
(éd.), Entre l’autorité et l’autonomie dans la tradition juive, Tel-Aviv, Hakibbutz Hameuchad, 1998,
p. 493-500 [en hébreu] ; Jacob NEUSNER, The Halakhah. An Encyclopedia of the Law of Judaism, t. 1, Leyde,
E. J. Brill, 2000 ; Dan JAFFÉ, Le Talmud et les origines juives du christianisme. Jésus, Paul et les judéo-
chrétiens dans la littérature talmudique, Paris, Cerf, 2007, p. 38-45.
4
Voir Elimelech HALEVI, Le monde de la aggada. La aggada dans les sources grecques, Jérusalem,
Dvir, 1972 [en hébreu] ; ID., La aggada historique et biographique à la lumière des sources grecques
et latines, Jérusalem, Dvir, 1975 [en hébreu], ainsi que l’œuvre de Jonah FRAENKEL, Le midrash aggada,
t. 1-3, Tel-Aviv, Open University, 1996 [en hébreu] ; Jonah FRAENKEL, Le récit aggadique – harmonie
de forme et de contenu, Tel-Aviv, Hakibbutz Hameuchad, 2001 [en hébreu]. Citons enfin Joshua
LEVINSON, Le récit qui n’est pas raconté. L’art de l’exégèse narrative dans le midrash rabbinique,
Jérusalem, Magnes Press, 2005 [en hébreu].

590
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page591

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

Le pharisien prétentieux exhibe ses actions sur son épaule [pour que chacun
puisse les voir], le pharisien hautain fait attendre et n’a pas de temps pour toi car
il doit accomplir un commandement, le pharisien teneur de livres paie sa dette
[son péché] en accomplissant les observances, le pharisien parcimonieux dit :
du peu que je possède, je donne de mes biens pour les bonnes actions, le phari-
sien qui veut rembourser son dû demande aux gens de lui énoncer les péchés
qu’il a commis, le pharisien qui a la crainte est le disciple de Job, et le pharisien
qui aime est le disciple d’Abraham. Aucun n’est autant aimé de Dieu que le
pharisien qui aime [qui est l’émule d’]Abraham.

Talmud de Babylone, Sotah, 22b :

Nos maîtres ont enseigné : il y a sept sortes de pharisiens. Le pharisien


prétentieux, le pharisien hautain, le pharisien teneur de livres, le pharisien parci-
monieux, le pharisien qui veut rembourser son dû, le pharisien qui aime, et le
pharisien qui a la crainte.

Le pharisien prétentieux se comporte comme Sichem (de même que Sichem


a pratiqué la circoncision de façon intéressée, ce pharisien se comporte pudique-
ment et également de façon intéressée), le pharisien hautain se blesse les pieds
[et les traîne pour feindre une attitude sobre et humble], le pharisien teneur de
livres (R. Nahman bar Isaac dit : il se fait saigner sur les murs [car il ferme les
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


yeux pour feindre une grande sobriété et une grande pudeur et se cogne la tête
sur les murs en marchant]), le pharisien parcimonieux (R. Rabah bar Shelah
dit : il courbe [la tête, et plie le corps en feignant une grande crainte du péché]),
le pharisien qui veut rembourser son dû (on pose la question : C’est une qualité
[que de vouloir rembourser sa dette ?] En fait il dit : Quelle est la dette que je
peux encore rembourser ? [Il se considère comme parfait et désire que les gens
le sachent ainsi il demande ce qu’il peut encore rembourser]), le pharisien qui
aime et le pharisien qui a la crainte [accomplissent les commandements de façon
désintéressée].

Abbayé et Rava ont dit au tana : N’enseigne pas [dans la Baraïta] « le phari-
sien qui aime et le pharisien qui a la crainte » [bien qu’ils n’agissent pas complè-
tement de façon désintéressée], car R. Judah a enseigné au nom de Rav : On
pourra étudier la Torah et pratiquer les commandements bien que cela soit
intéressé car [on commencera] à être intéressé et on en arrivera à être désinté-
ressé. R. Nahman bar Isaac a dit : Le voilé est voilé et le dévoilé est dévoilé. Le
grand tribunal [qui est dans les cieux] demandera des comptes à ceux qui se
vêtissent des vêtements des pharisiens.

Alexandre Jannée a dit à sa femme avant sa mort : Ne crains pas les phari-
siens, ne crains pas non plus ceux qui ne sont pas pharisiens. Crains cependant

591
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page592

DAN JAFFÉ ETR

ceux qui ressemblent à des pharisiens et dont les actions sont telles les actions
de Zimri mais qui demandent la récompense [le salaire] de Phinéas [en référence
à Nb 25,6-15 où il est question de Zimri qui se livre à un acte immoral avec
Kozbi et qui est décapité par Phinéas le zélateur].

Mishna, Sotah, 3 :

Il disait [R. Yehoshua] : Un pieux imbécile [hasid shoteh] [qui refuse de


sauver une vie du fait d’une trop grande piété], un mécréant dénudé [qui se livre
à des actions illicites malicieusement], une femme pudique [perusha = phari-
sienne], et des coups pudiques [perushim] [qui se flagelle seulement pour qu’on
puisse le voir et supposer une grande piété] sont des destructeurs du monde.

Ces trois passages présentent une caractéristique commune : ils épinglent


l’hypocrisie de certains pharisiens, hypocrisie qui n’est pas sans rappeler le
célèbre passage du chapitre 23 de l’Évangile selon Matthieu. Sans entrer dans
les complexités inhérentes à ces trois passages, on peut remarquer que Jésus a
pu parfaitement s’adresser à l’un de ces groupes pharisiens en appartenant
lui-même à un autre groupe. On doit certes garder à l’esprit que certains de ces
textes sont de facture tardive et ne reflètent pas précisément la réalité de
l’époque de Jésus. Mais il n’est pas aberrant de penser qu’ils évoquent une
situation historique qui a perduré et dont les antécédents remontent à une date
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


fort reculée. Il est également intéressant de souligner que la littérature talmu-
dique émane elle-même de milieux pharisiens, et cela bien que ses rédacteurs
les vilipendent sans ambages. En outre, Jésus s’en prend à d’autres pharisiens
à une époque où la société juive n’est pas encore sous la férule d’un des groupes
pharisiens qui survivra à la destruction du Second Temple. Ce sera progressi-
vement le cas après 70, lorsque l’enseignement pharisien de la lecture du texte
biblique s’enracinera parmi les Rabbis5.

5
La littérature critique sur les mouvements pharisiens étant très abondante, on ne citera ici que les
travaux qui ont particulièrement marqué la recherche : Robert Travis HERFORD, The Pharisees, New
York, Alle and Unwin, 1924 ; Louis FINKELSTEIN, The Pharisees. The Sociological Background of their
Faith, 2 vol., Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1962 ; Samuel UMEN, Pharisaim and
Jesus, New York, Philosophical Library, 1963 ; Elias RIVKIN, « Defining the Pharisees: The Tannaitic
Sources », Hebrew Union College Annual 40-41 (1969/1970), p. 205-249 ; Jacob NEUSNER, The
Rabbinic Tradition about the Pharisees before 70, 3 vol., Leyde, E. J. Brill, 1971 ; Elias RIVKIN, A
Hidden Revolution. The Pharisee’s Search for the Kingdom Within, Nashville, Abingdon, 1978 ; Albert
BAUMGARTEN, « The Name of the Pharisees », Journal of Biblical Literature 102 (1983), p. 411-428 ;
ID., « The Pharisees Paradosis », Harvard Theological Review 80 (1987), p. 63-77 ; Steven MASON,
Flavius Josephus on the Pharisees, Leyde, E. J. Brill, 1991 ; Albert I. BAUMGARTEN, « Rivkin and
Neusner on the Pharisees », in Peter Richardson (éd.), Law in Religious Communities in the Roman
Period, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 1991, p. 109-126 ; Steven MASON, « Chief Priests,

592
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page593

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

JÉSUS ET LA HALAKHA

Notons pour ouvrir cette nouvelle section que l’on ne peut non plus séparer
Jésus des autres groupes pharisiens au motif qu’il n’observait pas la loi. On
peut même prétendre au contraire qu’il fut tout au long de son existence fidèle
à l’accomplissement de la loi juive, la halakha. Une lecture des Évangiles à la
lumière du corpus tannaïtique montre que Jésus a scrupuleusement respecté la
loi juive, cela même à propos de l’arrachement des épis le jour du sabbat. La
pratique du froissement des épis avec la main était tolérée dans la tradition
halakhique galiléenne à laquelle Jésus appartenait, elle est attestée notamment
par R. Yosi le Galiléen. Certains pharisiens l’ont donc critiqué parce qu’il
suivait la tradition de la région dont il était originaire, la Galilée. De même les
ablutions avant le repas ne constituaient nullement une obligation halakhique.
Les pharisiens eux-mêmes considéraient les ablutions avant le repas comme
recommandées, mais estimaient obligatoires seulement celles après le repas.
Les ablutions avant le repas étaient donc à l’époque de Jésus une coutume
relative à la pureté qui n’avait pas force de loi pour tous. On ne peut dès lors
imputer le malentendu sur l’ablution des mains à la tradition synoptique. D’un
point de vue méthodologique, on peut aussi conjecturer que le désaccord sur les
ablutions des mains peut relever d’un conflit entre chrétiens et
pharisiens/tannaïtes qui se trouve postérieur à Jésus. C’est sans doute ce conflit
entre chrétiens et pharisiens, auquel renvoie Mc 7,1-23, qui explique que les
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


chrétiens des années 60-90 ont tenu à faire remonter cet épisode à Jésus6. Selon
David Flusser, à aucun moment, Jésus n’a voulu ou même pensé abroger la loi
juive. Il adresse en revanche des critiques à d’autres pharisiens sur l’obser-
vance stricte de la pureté rituelle qui peut engendrer un certain laxisme dans le
comportement moral. On peut d’ailleurs ajouter que les attaques de Jésus contre
des pharisiens sont beaucoup moins virulentes que les critiques des esséniens
à l’adresse de ces mêmes pharisiens7. Les esséniens rejetaient clairement les
doctrines pharisiennes. Jésus, au contraire, reconnaissait les pharisiens comme
les héritiers de l’enseignement mosaïque et recommandait même de s’aligner
sur leurs enseignements. Nous nous inscrivons dans les propos de Flusser, selon

Sadducees, Pharisees and Sanhedrin in Acts », in Richard BAUCKAM (éd.), The Book of Acts in Its First
Century Setting, t. 4 : The Book of Acts in Its Palestinian Setting, Grand Rapids, Mich., Eerdmans,
1995, p. 119-177 ; Eyal REGUEV, « The Saducees, The Pharisees, and the Sacred : Meaning and Ideology
in the Halakhic Controversies between the Saducees and Pharisees », Review of Rabbinic Judaism,
Ancient, Medieval and Modern 9 (2006), p. 126-140.
6
Simon C. MIMOUNI, Pierre MARAVAL, Le christianisme des origines à Constantin, Paris, Presses
universitaires de France, 2006, p. 103.
7
Sur ces questions, voir les remarques éclairantes de David FLUSSER, « Polémique de Jésus avec
les Pharisiens », in ID., Les sources juives du christianisme. Une introduction, Paris/Tel-Aviv, Éditions
de l’Éclat, 2003, p. 41-49 [traduit de l’hébreu].

593
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page594

DAN JAFFÉ ETR

lequel Jésus restait fondamentalement enraciné « dans le judaïsme universel et


non sectaire, dont la pensée et la pratique étaient celles des Pharisiens8 ».
Dans une contribution publiée en 1954, Hans-Joachim Schoeps traite de
l’épineux problème de la relation entre Jésus et la loi juive9. Il ouvre son étude
par une observation capitale tant du point de vue méthodologique que du point
de vue historique. Le passage mérite d’être cité in extenso :

Pour bien situer la question de l’attitude prise par Jésus de Nazareth à l’égard
de la Loi juive, il faut la replacer au milieu des discussions qui, durant plus de
trois cents ans, de l’époque des Macchabées à la clôture de la Mishna, ont
accompagné, orienté et finalement stabilisé ce courant. La façon d’expliquer
maintes prescriptions de la Thora, qu’il ne fallait pas transmettre sans avoir fixé
avec précision quelle était leur application adéquate, et, à l’occasion aussi, la
révision de prescriptions devenues périmées (par exemple Deut. 21,1ss., révisé
en Sota 9, 9 ; Deut. 26, 12-15 [les dîmes], révisé en Sota 9, 10, au IIe siècle avant
Jésus-Christ) : tels sont les thèmes des débats des Pharisiens et de leurs décisions
d’école. [...] La thèse que nous défendons dans la présente étude est la suivante :
la critique que Jésus fait de la Loi, les divergences existant entre sa pensée ou
son attitude et la tradition juive tournent entièrement autour de parties de la Loi
qui ne constituaient pas encore de son vivant une halacha définitivement
stabilisée. De plus, Jésus s’oppose jusqu’à un certain point aux principes de la
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


tradition rabbinique, mais ces « principes » n’en étaient pas encore de son temps.
Ce qui était sans doute établi dès cette époque, c’était le principe de la tradition
orale, selon lequel des débats sur la Loi, les votes et les décisions des écoles
n’étaient pas simplement l’expression d’opinions personnelles, mais avaient un
caractère inspiré. C’était aussi l’idée que toutes les halachot des rabbins [l’ensei-
gnement oral] n’étaient que l’exposition détaillée de la Thora sinaïtique (la
Mishna sera leur forme fixée) et avaient déjà été révélées par Dieu à Moïse – et
que par conséquent une interprétation avait d’autant plus de valeur qu’on
pouvait la suivre plus haut sur la chaîne de la tradition. [...]
Toute cette évolution, que naturellement nous ne pouvons apercevoir qu’à
partir de son aboutissement, était encore en cours à l’époque de Jésus, et le
principe qui lui sert de base, celui de l’autorité de la tradition, n’était sûrement
pas encore admis par tous sans résistance. C’est ce principe qui est en jeu, nous

8
David FLUSSER, Jésus, Paris, Éditions de l’Éclat, 2005, p. 65. Flusser ne manque pas de remar-
quer fort pertinemment que les écoles pharisiennes étaient nombreuses et que le groupe pharisien n’était
pas monolithique. On consultera également avec profit David FLUSSER, « Jésus entre le monde du
judaïsme rabbinique et le monde des esséniens », in ID., Les sources juives du christianisme, op. cit.,
p. 57-64, et ID., « Jesus in the Context of History », in Judaism and Christianity. Collection of Articles,
Jérusalem, Academon Press, s. d., p. 20-41.
9
Hans-Joachim SCHOEPS, « Jésus et la Loi juive », Revue d’histoire et de philosophie religieuses
33 (1954), p. 1-20. Cette étude a été traduite de l’allemand par le regretté Étienne Trocmé.

594
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page595

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

semble-t-il, dans le conflit qui oppose Jésus aux autorités rabbiniques de son
temps, les Pharisiens : Jésus se refuse à reconnaître aux halachot des rabbins
alors en train de prendre forme – et donc à l’enseignement oral – l’autorité de
la Thora. Les conflits qu’il a soutenus à propos de la Loi, tout en portant sur des
matières d’actualité, dérivent tous de cette différence fondamentale. Cela ne
signifie naturellement pas que Jésus n’ait prêté aucune attention aux disposi-
tions de la Loi orale, en particulier au cérémonial quotidien prescrit par les
rabbins, ainsi que le montrent beaucoup de détails de son comportement que
nous rapportent les évangiles (bénédiction du vin et du pain, consommation de
l’agneau pascal, récitation du Hallel, etc.)10.

Cette observation de départ est fondamentale pour bien saisir la relation de


Jésus à la loi. En effet, comme le souligne fort judicieusement Schoeps, la loi juive
est à l’époque de Jésus entièrement en gestation. La loi rabbinique ou loi orale, qui
est le fruit de spéculations, d’interprétations, de réformes et de remaniements
bibliques, était au temps de Jésus encore en pleine élaboration11. Ces jalons posés,
on comprend mieux comment et selon quelles modalités Jésus regardait la loi. De
plus, Schoeps remarque à juste titre que Jésus s’opposait à certaines interprétations
novatrices des Sages de son temps. Or, on sait que d’autres Sages s’opposaient
également à l’interprétation post-pharisienne de certains de leurs condisciples.
Comme il a été déjà souligné, selon la plupart des Rabbis, les modèles exégétiques
des pharisiens émanent en droite ligne de la révélation sinaïtique. Ces modèles
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


novateurs se heurtaient à des voix discordantes plus conservatrices qui n’enten-
daient pas accepter ces approches réformatrices12.

10
Ibid., p. 1-4. On pourrait ajouter que nombre d’enseignements (halakhot) n’ont pas été fixés dans la
Mishna mais le furent quelques siècles plus tard dans le Talmud, voire postérieurement à la clôture du Talmud.
11
Voir sur ce dossier Jacob NEWMAN, Halachic Sources. From the Beginnings to the Ninth Century,
Leyde, E. J. Brill, 1969, et Martin S. JAFFEE, « The Taqqanah in Tannaitic Literature: Jurisprudence and
the Construction of Rabbinic Memory », Journal of Jewish Studies 41 (1990), p. 204-225.
12
L’exemple le plus significatif est celui de R. Eliezer ben Hyrcanus, dépositaire de modèles interpré-
tatifs en totale inadéquation avec ses condisciples de l’époque de Yabneh. Ainsi, après avoir été rejeté de la
maison d’étude par les autres Sages et vu ses décisions halakhiques évincées, il vécut reclus dans la ville de
Lod en Judée. Le passage de Nidah 7b à propos de sa mort témoigne de l’attitude des Sages envers lui et
son enseignement : « Durant toute la vie de R. Eliezer, on fixait [la halakha] selon R. Yehoshua [son condis-
ciple]. Après la mort de R. Eliezer, R. Yehoshua remit les choses à leur place. Pourquoi ne fixait-on pas [la
halakha] selon R. Eliezer de son vivant ? Car R. Eliezer était shamuti [vocable qui peut avoir deux signifi-
cations qui se recoupent : le fait d’être excommunié, ou d’appartenir à l’école de la maison de Shammaï et
non à celle de Hillel selon laquelle la halakha est fixée]. Ainsi R. Yehoshua pensait que si l’on procédait selon
son avis dans un domaine, on procéderait selon son avis dans d’autres domaines. Or, on n’aurait pas pu
empêcher cela à cause de l’honneur dû à R. Eliezer. Après sa mort, où l’on put empêcher cela [la pratique
de son enseignement], il devient possible de remettre les choses à leur place [ce qui revient à dire : réhabi-
liter le rang et l’honneur de R. Eliezer] ». Sur R. Eliezer ben Hircanus et son enseignement conservateur
antagoniste par rapport aux nouveaux modèles de l’assemblée de Yabneh, voir Benjamin LAU, Les Sages.
De l’époque de Yabneh jusqu’à l’insurrection de Bar-Kokhba, Jérusalem, Yediot Aharonot Press, 2007,
p. 94-106 [en hébreu] et l’excellente monographie que lui a consacrée Isaac D. GILAT, R. Eliezer ben
Hircanus. A Scholar Outcast, Ramat-Gan, Bar-Ilan Press, 1984.

595
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page596

DAN JAFFÉ ETR

Certaines des pratiques attribuées à Jésus dans le Nouveau Testament trouvent


un écho dans la littérature talmudique. Prenons un exemple : Geza Vermes et
Shmuel Safrai ont montré que des pratiques de Jésus, telles les guérisons à
distance, la relation filiale entretenue avec Dieu – où Jésus s’adresse au divin
comme à son Père –, ou encore la capacité à modifier le cycle naturel de la nature,
se retrouvent de façon déclinée chez des personnages du Talmud tels Honi
ha-Meagel ou encore Hanina ben Dosa, des personnages qui font partie d’un groupe
distinct, nommé hassidim. Il ne s’agit pas de pointer arbitrairement des similitudes
entre des pratiques ou des attestations littéraires ; il s’agit plutôt de mettre en relief
un continuum entre pratiques et enseignements de différents groupes dont chacun
forme la mosaïque propre au monde juif de la fin de l’époque du Second Temple13.
Les hassidim représentent une forme de piétisme se caractérisant par différentes
pratiques que l’on peut énumérer succinctement de la façon suivante :
- une localisation topographique de ce mouvement en Galilée ;
- une vie de grande pauvreté ;
- une place prééminente des femmes dans les sources relatives aux hassidim ;
- une profonde piété accompagnée d’actions charismatiques ;
- une priorité donnée à l’action plutôt qu’à l’étude ;
- des guérisons miraculeuses effectuées quelquefois à distance ;
- une faculté à intercéder pour faire survenir les pluies ;
- une relation privilégiée avec le divin s’illustrant par un rapport filial ;
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


- un mode d’expression avec Dieu considéré comme trivial, voire irrespectueux,
par les autres Sages ;
- un élan total vers le divin basé principalement sur la prière et non sur l’étude du
texte révélé.

Selon Harnack, l’autorité de Jésus réside dans sa réduction radicale du


message des prophètes et des enseignements de la tradition juive. Cette réduc-
tion radicale serait constitutive de l’autorité de sa prédication. Ce n’est donc pas
l’aspect novateur de son message qui marque les esprits, mais bien sa purifi-
cation de la tradition juive. Comme le souligne Jean-Marc Tétaz en reprenant
les termes wébériens, le secret du charisme de Jésus réside dans cette réduction.
Harnack admet que la prédication de Jésus peut se retrouver parmi les prophètes
bibliques, cependant sa réduction radicale du message des prophètes lui
confère toute son originalité14.
On peut toutefois s’interroger sur le sens de l’expression réduction
radicale ; selon quel procédé peut-on concentrer un message édificateur pour

13
Voir notre article « L’identification de Jésus au modèle du Hasid charismatique Galiléen : les
thèses de Shmuel Safrai et de Geza Vermes revisitées », New Testament Studies 55 (2009), p. 218-246.
14
A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 53, et p. 116 pour le texte même.

596
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page597

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

en extraire une réduction radicale ? Celui-ci serait-il similaire à une peau de


chagrin ? Quels seraient les critères qui permettraient d’effectuer une inélucta-
ble sélection ? De plus, à quelle tendance rattacher historiquement les termes
tradition juive ? S’agit-il de la tradition des prophètes ? des traditions apoca-
lyptiques ? des traditions pharisaïques ? des traditions judéo-hellénistiques ? des
traditions qumrâniennes ? des traditions sadducéennes ? Toutes sont issues de
la société juive de la fin de l’époque du Second Temple. Il se dégage l’impres-
sion, à la lecture d’Harnack, que les concepts de tradition juive ou de réduction
radicale sont utilisés arbitrairement et sans aucun discernement. On ne parvient
pas à savoir précisément ce à quoi ils renvoient. Ajoutons que les invectives et
les réprimandes que Jésus adresse trahissent une influence des messages
prophétiques, tels qu’ils sont mentionnés dans la Bible.
Harnack clame une opposition de Jésus au judaïsme qui peut être théorisée
par la formule suivante, que l’on emprunte ici à Jean-Marc Tétaz : « L’individu
est l’agent d’une réduction par laquelle il met un terme à une institution et à des
traditions qui sont depuis longtemps atteintes d’obsolescence », et cela afin
d’« opérer une métamorphose historique dont résultent de nouvelles institu-
tions »15. Autrement dit, le judaïsme est agonisant et étouffé par la surabon-
dance de ses propres traditions.
Là encore, on assiste à un jugement de valeur éloigné de toute véracité histo-
rique, on ne comprend pas selon quels critères historiques Harnack énonce son
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


argumentaire. Comment peut-on juger de l’agonie d’une tradition religieuse ?
C’est une nouvelle fois de façon dichotomique que procède Harnack, il y aurait
un judaïsme agonisant face à un christianisme vivifiant. On pourrait aisément
opposer aux thèses d’Harnack la vitalité que connaissait le judaïsme de la fin de
l’époque du Second Temple. Marcel Simon a notamment montré qu’une longue
lignée historiographique s’évertuait à voir dans le judaïsme une tradition
exsangue une fois supplantée par l’émergence du christianisme. Le judaïsme
serait tel un fossile sans aucune force d’attraction et évoluant hermétiquement
face à la compétition religieuse ambiante. L’étude des relations entre juifs et
chrétiens fit découvrir à Simon l’étonnant dynamisme du judaïsme des premiers
siècles, de sorte que les diatribes antijuives doivent se comprendre comme le
reflet de la concurrence entre judaïsme et christianisme16. Comme le note
Guy Stroumsa, Simon a bien analysé les présupposés confessionnels et théolo-
giques de ces conceptions, qui sont de surcroît historiquement indéfendables17.

15
Ibid., p. 64.
16
Marcel SIMON, Verus Israel. Étude sur les relations entre juifs et chrétiens dans l’Empire romain
(135-425), Paris, Éditions E. de Boccard, 1948.
17
Guy G. STROUSMA, Le rire du Christ. Essais sur le christianisme antique, Paris, Bayard, 2006,
p. 155-159.

597
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page598

DAN JAFFÉ ETR

Selon Harnack, Jésus a substitué l’éthique aux exercices rituels qui


engluaient les pharisiens. Jésus n’aurait entretenu que mépris pour le culte juif
et l’aurait remplacé par l’exigence d’amour gratuit et désintéressé. Dans la
pensée harnackienne, tout se passe comme si Jésus était une sorte d’électron
libre sans un quelconque ancrage ; il serait un réformateur qui aurait révolu-
tionné la vie spirituelle de son temps. Cela entraîne Harnack à une lecture
tendancieuse selon laquelle on trouve d’un côté « les formes pétrifiées du
rituel » et de l’autre « l’amour [qui] est déjà la vie nouvelle »18. Parfois Harnack
glisse même vers des invectives en employant un langage plus agressif :

Les prêtres et les pharisiens tenaient le peuple enchaîné et tuaient son âme.
Face à ces autorités illégitimes, Jésus fit preuve d’une absence de respect vérita-
blement libératrice et rafraîchissante. Il ne s’ait jamais lassé – il s’est même
élevé jusqu’à la plus sainte colère – de combattre ses « autorités », de mettre à
jour leur rapacité et leur hypocrisie et de leur annoncer le jugement proche19.

Dans une note, Jean-Marc Tétaz souligne qu’Harnack reprend à son compte ce
que Luther disait de l’autorité temporelle : « Là où par une loi humaine on prétend
imposer aux âmes de croire telle ou telle chose, au gré de la volonté humaine, la
parole de Dieu n’est sûrement pas présente. […] Il en résulte que, par ce comman-
dement impie, le pouvoir temporel pousse les âmes à la mort éternelle20 ».
On notera la véhémence du propos : les autorités pharisiennes acheminent les
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


âmes de leurs ouailles à la damnation éternelle. Les juifs d’obédience pharisienne
s’en trouvent instrumentalisés par des dirigeants leur imposant leur volonté humaine
de croire telle ou telle chose au détriment de la parole divine qui s’en trouve
bafouée. Les décrets émanant des pharisiens sont désignés comme des comman-
dements impies. Harnack s’inscrit de nouveau dans les pas de Luther et ne peut
concéder le moindre sentiment de rectitude aux pharisiens. On retrouve dans cette
totale refonte historique l’approche binaire d’Harnack : des ténèbres à la lumière,
du judaïsme obscur et hermétique au Christ libérateur. Alors qu’à son époque des
historiens de confession juive ou chrétienne s’évertuent à appréhender le Jésus de
l’histoire et à le contextualiser dans ses origines juives, Harnack, qui semble ou qui
feint d’ignorer ces travaux, présente des thèses totalement incongrues21.

18
A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 132 et 133. Ajoutons avec Jean-Marc
Tétaz que cette idée simplificatrice se trouve déjà en germe chez Augustin d’Hippone (voir ibid.,
p. 133, n. 89).
19
Ibid., p. 153.
20
Martin LUTHER, De l’autorité temporelle [1523], MLO IV, p. 31 sq. (= WA 11, 262), cité par
Jean-Marc Tétaz in A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 153, n. 154.
21
La bibliographie sur les « quêtes » contemporaines du Jésus de l’histoire étant très abondante, on
se bornera à ne citer que les principales publications en langue française. Voir ainsi Charles PERROT,

598
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page599

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

L’HÉRITAGE MARCIONITE

Il convient de s’interroger sur la nature des thèses développées par Harnack.


On ne peut en effet s’empêcher de penser que ses nombreux travaux sur Marcion
de Sinope l’ont grandement influencé. Comme le souligne Pierre Gisel à propos
du judaïsme : « Le canon proposé par Marcion ? Pas de reprise d’un canon juif,
pas d’“Ancien Testament” donc, mais seulement un canon spécifique, nouveau et
valant pour lui-même. […] L’enjeu est assez évident : la proclamation d’une
nouveauté. En rupture avec ce qui précède. Valant du coup en et pour elle-
même22 ». Notons qu’Harnack ne s’expose pas, ce qui pourrait poser problème à
un catholique ne lui en pose pas : son protestantisme libéral lui permet d’assumer
l’héritage marcionien « catalogué hérétique23 ». Pour Harnack, l’absence de résur-
gence de « l’Évangile marcionite » est « un signe d’apathie religieuse ». Il ira
jusqu’à écrire qu’« aussi bien pour la dogmatique chrétienne que pour la philoso-
phie de la religion se pose sérieusement la question de savoir si le marcionisme
[…] n’est pas réellement la solution recherchée »24.

Jésus et l’histoire, Paris, Desclée, 1979, p. 21-80 ; Vittorio FUSCO, « La quête du Jésus historique. Bilan et
perspectives » et Élian CUVILLIER, « La question du Jésus historique dans l’exégèse francophone. Aperçu histo-
rique et évaluation critique », in Daniel Marguerat, Enrico Norelli, Jean-Marc Poffet (éd.), Jésus de Nazareth.
Nouvelles approches d’une énigme, Genève, Labor et Fides, 1998, respectivement p. 25-57 et p. 59-88 ;
Daniel MARGUERAT, « La “Troisième quête” du Jésus de l’histoire », Recherches de science religieuse 87
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


(1999), p. 397-421, repris in Pierre Gibert, Christoph Theobald (éd.), Le cas Jésus-Christ. Exégètes, histo-
riens et théologiens en confrontation, Paris, Bayard, 2002, p. 105-139 ; Daniel MARGUERAT, L’aube du chris-
tianisme, Paris, Bayard, 2008, p. 111-136 et son étude « Jésus connu et inconnu. À la recherche du Jésus de
l’histoire » (p. 137-153) ; Jean-Noël ALETTI, « Exégète et théologien face aux recherches historiques sur Jésus »,
Recherches de science religieuse 87 (1999), p. 423-444, repris in P. Gibert, Chr. Theobald (éd.), Le cas Jésus-
Christ, op. cit., p. 141-170 ; Daniel MARGUERAT, « Jésus historique : une quête de l’inaccessible étoile ? Bilan
de la “troisième quête” », Théophilyon 6 (2001), p. 11-55 ; Charles PERROT, « La quête historique de Jésus du
XVIIIe siècle au début du XXe siècle », in P. Gibert, Chr. Theobald (éd.), Le cas Jésus-Christ, op. cit., p. 47-74.
En langue anglaise, on consultera l’article de synthèse de James Carleton PAGET, « Quests for the Historical
Jesus », in Markus Bockmuehl (éd.), The Cambridge Companion to Jesus, Cambridge, Cambridge University
Press, 2001, p. 138-155. Sur le regard des historiens juifs sur Jésus, on consultera Donald A. HAGNER, The
Jewish Reclamation of Jesus. An Analysis and Critique of the Modern Jewish Study of Jesus, Grand Rapids,
Mich., Academic Books, 1984, ainsi que notre ouvrage Jésus sous la plume des historiens juifs du XXe siècle.
Approche historique, perspectives historiographiques, analyses méthodologiques, Paris, Cerf, 2009.
22
Pierre GISEL, « Antijudaïsme dans le christianisme. Une récurrence inavouée de marcionisme :
qu’en penser et qu’en faire ? », in Danielle Cohen-Levinas, Antoine Guggenheim (éd.), L’Antijudaïsme
à l’épreuve de la philosophie et de la théologie, Paris, Seuil, 2016, p. 191-208, spécialement p. 192
(sauf mention contraire, c’est l’auteur qui souligne).
23
Ibid., p. 199-200.
Adolf von HARNACK, Marcion. L’Évangile du Dieu étranger. Contribution à l’histoire de la fonda-
24

tion de l’Église catholique, Paris, Cerf, 2003 (1921), p. 254 sq., cité par Pierre GISEL, « Antijudaïsme
dans le christianisme. Une récurrence inavouée de marcionisme… », art. cit., p. 199. Pierre Gisel cite
un autre passage du Marcion d’Harnack, où l’hérésiarque est glorifié en tant que rédempteur qui a
« démasqué le dieu juste du monde et de la Loi ». Comme le rapporte Gisel, pour Harnack, « ce n’étaient
pas seulement les lois cérémonielles qui étaient écartées, mais aussi tout un vaste ensemble d’énoncés
vétérotestamentaires insupportables » (p. 200 et n. 29). On ne peut qu’acquiescer à l’analyse de Pierre
Gisel qui décèle chez Harnack un antijudaïsme.

599
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page600

DAN JAFFÉ ETR

Pierre Gisel a montré combien la figure de Marcion a accompagné Harnack


tout au long de sa réflexion. Harnack écrira de Marcion qu’il est « la figure la
plus significative de l’histoire de l’Église entre Paul et Augustin » ou, encore,
que l’« on ne peut lui comparer aucune autre personnalité religieuse de
l’Antiquité – après Paul et avant Augustin »25.
Il n’est pas superflu de relever, avec Gisel, certains points significatifs qui
ressortent du Marcion d’Harnack. Ces éléments tracent une toile de fond dans
l’œuvre d’Harnack et servent d’indicateurs pour bien saisir les enjeux de son
Essence du christianisme :
- un biblicisme de fait, lié à une démarcation à l’égard de la philosophie et
plus spécifiquement de la métaphysique ;
- une critique et un refus de l’allégorie ;
- la recherche d’un fondateur en la personne de Marcion ;
- une définition de la critique en tant que soustraction, voire comme épuration.

Ce qui en découle est une sorte d’exclusivisme de Marcion, et par là même


du Nouveau Testament, qui ne permet aucune comparaison possible de l’ordre
du rationnel. Bien entendu, ces quelques données ne font que renforcer l’idée
d’une forte influence de l’hérésiarque dans les thèses harnackiennes26.

HARNACK ANTISÉMITE ?
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


À la question de savoir si Harnack est antisémite, Jean-Marc Tétaz répond
par la négative et préfère le taxer d’antijudaïsme : ce qui lui semble assuré est
qu’Harnack considère le judaïsme comme une religion inférieure au christia-
nisme27. Harnack écrit, en ce sens :

La nouvelle expérience vive de la relation immédiate à Dieu – elle rend inutile


l’ancien culte avec ses médiations et ses prêtres. […] Par ce moyen, on pouvait en
effet arriver à se libérer progressivement du judaïsme historique et de ses lois
religieuses obsolètes. Mais rien ne garantissait qu’on finirait par y parvenir. Tant
qu’on ne déclarait pas ouvertement que l’ancienne religion est abolie, il fallait
constamment craindre que, à la génération suivante, les anciennes déterminations

25
A. von HARNACK, Marcion, op. cit., p. 12 et 38, cités par Pierre GISEL, « Deux postures différentes
dans la relecture du christianisme : Harnack et Troeltsch », in ID., Du religieux, du théologique et du
social. Traversée et déplacements, Paris, Cerf, 2012, p. 135-157, ici p. 145.
26
Pour tout ce développement, voir P. GISEL, Du religieux, du théologique et du social, op. cit.,
p. 144-151. A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 96-97 nous assure même que la
prédication de Jésus est distante et éloignée du judaïsme de son temps !
27
A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 68.

600
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page601

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

ne fassent retour dans leur sens littéral. […] Il n’y avait donc rien de durable à
attendre, à l’époque apostolique, des tentatives pour tordre ou réinterpréter la Loi
afin de faire place à côté d’elle à une nouvelle foi ou afin d’en rapprocher l’ancienne
religion. Il fallait qu’un homme se lève et déclare que ce qui est ancien est aboli ;
il fallait qu’il déclare comme péché le fait de lui rester plus longtemps fidèle ; il
fallait qu’il montre que tout est devenu neuf28.

Dans un passage subséquent, Harnack radicalise son propos en déclarant que


« le temps du judaïsme est révolu » et que l’Église « se sait être le vrai Israël »29.
On retrouve là des propos acrimonieux qui sont bien connus dans la littérature
patristique qui expose clairement les griefs de ses auteurs contre les juifs et le
judaïsme30. Il semblerait qu’un pas soit franchi : Harnack reprend à son compte la
veille tradition chrétienne du Verus Israel, son analyse progresse crescendo, il
montre le dépassement d’une religion sur l’autre, pour enfin convenir que c’est en
terme de substitution qu’il y a lieu d’entrevoir la relation christianisme-judaïsme.
Il ne convient pas d’entrer dans l’épineux problème de la définition de
l’antisémitisme, nous nous contenterons de mentionner les propos de Pierre
Gisel qui écrit non sans pertinence :

Notons que ce motif de dépassement travaille au cœur du protestantisme


libéral, implicitement ou explicitement, selon une ligne volontiers évolutive :
[…] le christianisme comme dépassement du judaïsme – l’archaïsme de ses
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


formes ritualistes, légalistes et particularistes –, via une moralisation (le
Décalogue et non les 613 commandements) et une spiritualisation (« la circon-
cision du cœur » ; le sacrifice externe transmué en « vivante offrande » de soi)31.

Il ne s’agit pas non plus d’entrer dans la question soulevée par Gisel sur le
protestantisme libéral, cependant force est de constater qu’Harnack est certai-
nement l’un des principaux représentants de ce genre de conception.

OUVERTURES HISTORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Bien qu’Harnack n’explique pas clairement cette formule, il considère que


« les évangiles ne sont pas des “écrits de parti” ». Cette approche constitue une

28
Ibid., p. 198-199.
29
Ibid., p. 201 et 204.
30
La littérature sur ce dossier est immense, on se contentera de renvoyer au recueil de Denise
JUDANT, Judaïsme et christianisme. Dossier patristique, Paris, Éditions du Cèdre, 1969, qui regorge de
textes patristiques véhéments contre les juifs et le judaïsme.
31
P. GISEL, Du religieux, du théologique et du social, op. cit., p. 136 (et l’auteur d’indiquer en quoi
cette ligne se poursuit, aux yeux du même protestantisme libéral).

601
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page602

DAN JAFFÉ ETR

critique des thèses de Ferdinand Christian Baur qui présentait au contraire les
Évangiles comme des écrits retraçant l’histoire de partis en conflit au sein du chris-
tianisme primitif32. Si Harnack entend par « partis » différentes tendances proto-
chrétiennes après la crucifixion et qu’il les nie au profit de la « pureté » d’une « forme
d’exposition » qu’il dit « primaire », on ne peut que réfuter son approche. Il suffit
en effet de renvoyer au Nouveau Testament pour se rendre compte combien le
premier christianisme était diversifié. Les pauliniens, pétriniens et autres jacobiens
expriment à n’en pas douter cette pluralité. En outre, l’incident d’Antioche
mentionné en Ga 2 et en Ac 15 illustre mieux que tout autre la plurivocité des concep-
tions sur des questions aussi cruciales que les critères à imposer aux païens afin de
les accepter dans la communauté des croyants. La question des observances des
préceptes du judaïsme (tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque) a assurément séparé
les premières communautés chrétiennes ainsi que leurs dirigeants33. On peut donc
affirmer que les premières communautés chrétiennes offrent une pluralité rituelle et
doctrinale. Comme l’a montré Bauer dans son livre pionnier, c’est l’hétérodoxie qui
prime, et elle laisse progressivement place à l’orthodoxie triomphante34, schéma
d’ailleurs valable pour les trois religions monothéistes. On peut également renvoyer
à l’évangéliste judéo-chrétien Matthieu et à sa communauté d’appartenance au sujet
desquels de nombreux témoignages patristiques évoquent un « évangile destiné aux
disciples juifs de Jésus et de langue hébraïque35 ».
Harnack entend expliquer le christianisme à l’aide de « la science histo-
rique et avec l’expérience de vie acquise au contact de l’histoire vécue » ; or,
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


la lecture de cette phrase entraine au moins deux remarques : d’une part le
propos d’Harnack est d’ordre confessionnel (et ne fait donc pas œuvre
d’historien) ; d’autre part est-il probant d’analyser scientifiquement un
phénomène en se fondant sur son propre vécu ? L’approche scientifique ne se
situe-t-elle pas aux antipodes de « l’expérience de vie » du chercheur ? Harnack
expose d’ailleurs clairement son point de vue en clamant que « l’apologétique
a sa place nécessaire dans la science des religions36 ».

32
A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 100-101, n. 8.
33
Voir notamment L. Michael WHITE, From Jesus to the Christianity, San Francisco, Harper Collins,
2004.
34
Walter BAUER, Orthodoxie et hérésie aux débuts du christianisme, Paris, Cerf, 2009 (publié initiale-
ment en allemand sous le titre Rechtgläubigkeit und Ketzerei im ältesten Christentum à Tübingen en 1934).
35
Sur ce dossier, on renverra aux analyses de Dominique BERNARD, Les disciples juifs de Jésus du
Ier siècle à Mahomet. Recherches sur le mouvement ébionite, Paris, Cerf, 2017.
36
A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 90. Les citations allant dans ce sens
abondent, notamment quand Harnack déclare dans la même page que « la religion chrétienne est une
chose sublime ». Voir également les remarques suggestives sur « théologie ou science » face à la question
de la recherche historique dans les Facultés de théologie en Allemagne à la fin XIXe, chez Marino
PULLIERO, Une modernité explosive. La revue Die Tat dans les renouveaux religieux, culturels et
politiques de l’Allemagne d’avant 1914-1918, Genève, Labor et Fides, 2008, p. 557-562 (nous remer-
cions Pierre Gisel de nous avoir fait découvrir cet ouvrage).

602
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page603

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

Bien qu’Harnack assure qu’il fait œuvre d’historien, on n’aura aucune difficulté
à protester qu’il n’en est rien ; il procède tel un théologien, où la foi est au centre
de ses préoccupations. Outre ses présupposés confessionnels, sa démarche ne peut
être assimilée à celle d’un historien. Cette imbrication de l’engagement axiolo-
gique et de la connaissance historique sera à l’époque d’Harnack au cœur de
nombreux débats. Le philosophe néo-kantien Heinrich Rickert (1863-1936) a
proposé une classification binaire de cette question entre « relation de valeur »
indispensable pour la constitution de l’analyse historique et « jugement de valeur »
exprimant l’engagement axiologique du chercheur37. Comme l’écrit de nouveau
Tétaz, c’est précisément pour combattre cette imbrication dont il contestait la justi-
fication épistémologique que Max Weber a imposé que les sciences sociales
respectent le principe de neutralité axiologique38.
Dans l’esprit qui est le sien, Harnack suggère d’utiliser les récits évangé-
liques de miracles en tant que source historique. Cette approche qui ne manque
pas de stupéfier est expliquée par Harnack de la façon suivante :
1. les miracles étaient quasi-quotidiens à l’époque des Évangiles ;
2. les récits de miracles sont parfois rapportés concomitamment à leur réalisation ;
3. les miracles font partie de l’ordre naturel du monde et n’en constituent pas
un bouleversement ;
4. le personnage charismatique ou divin peut employer les forces de la
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


nature à des fins ultimes et ainsi concourir à faire le bien ;
5. les récits de miracles montrent la grandeur de celui qui les a accomplis ;
6. la foi permet de comprendre le miracle non comme illusion mais comme
illustration de sa foi39.
On reste de nouveau interloqué par les arguments d’Harnack. En quoi les
récits de miracles peuvent-ils constituer un élément à prendre en considération
pour qui veut faire de l’histoire40 ? Selon notre opinion, cela est antithétique.
C’est d’ailleurs ce qu’écrit pertinemment Leo Baeck dans sa célèbre recension
de L’Essence du christianisme :

37
Heinrich RICKERT, Science de la culture et science de la nature. Suivi de Théorie de la définition, Paris,
Gallimard, 1997 cité par Jean-Marc Tétaz in A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 48,
n. 161. On renverra également à l’article fort suggestif de Jean-Marc TÉTAZ, « La logique de l’historisme
entre épistémologie transcendantale et philosophie de l’histoire », Divinatio 13 (2001), p. 123-149.
38
Max WEBER, « Essai sur le sens de la “neutralité axiologique” dans les sciences sociologiques et
économiques », in ID., Essais sur la théorie de la science, Paris, Agora, 19922, cité par Jean-Marc Tétaz
in A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 48, n. 162.
39
A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 102-105.
40
Sauf à entendre ces récits au plan de l’usage qu’en font les communautés de l’époque et de la fonction
qui est celle de cette évocation de miracles, visant ainsi à rendre compte de formes de croyance historiques ;
mais ce plan devrait alors être explicité, ce qui n’est pas le cas dans l’argumentation d’Harnack.

603
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page604

DAN JAFFÉ ETR

à la lecture s’impose le regret de se voir confronté à une atopie, à une contra-


diction entre le titre et le contenu. Et ce regret augmente à chaque nouvelle
lecture. Le plan obéissant à un dessein précis et les développements métho-
diques sont en contradiction marquée l’un avec l’autre : une œuvre dont le profil
est purement apologétique se présente à nous avec la prétention d’offrir de la
pure histoire. La tendance apologétique est pourtant expressément récusée et le
caractère historique souligné. La préface ainsi que le premier cours le souli-
gnent avec décision : « Qu’est-ce-que le christianisme ? – c’est dans un sens
seulement historique que nous voulons essayer de répondre ici à cette question,
c’est-à-dire avec les moyens de la science historique et avec l’expérience de vie
acquise au contact de l’histoire vécue. Cela exclut toute considération apologé-
tique ou toute approche relevant de la philosophie de la religion ». Mais cela
reste un simple idéal de l’éclat duquel le lecteur peut se réjouir41.

Baeck écrit à juste titre qu’Harnack fait œuvre de théologien convaincu de sa


foi et non d’historien. Ajoutons d’ailleurs que de nombreux critiques admiratifs du
livre d’Harnack ont également relevé son aspect théologique. Tel est le cas d’Ernst
Troeltsch qui écrit que « le livre d’Harnack est en quelque sorte le livre symbo-
lique du courant historicisant de la théologie »42. Dans ce même état d’esprit,
Rudolf Bultmann écrivait en 1950, dans la préface pour la réédition de L’essence
du christianisme à l’occasion des cinquante ans de la première parution :
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


Ce livre est un document de la plus haute importance pour l’histoire de la
théologie, un document que tout théologien devrait connaître s’il veut être au
clair sur la situation théologique actuelle et sur ses origines – et cela fait évidem-
ment partie d’une formation théologique sérieuse43.

Bultmann reconnait donc les bienfaits de l’ouvrage, mais écrit simplement


qu’il se situe dans le champ de la théologie et non dans celui de l’histoire des
religions. On ne peut certes pas reprocher à Harnack de glorifier la foi qui
l’anime et d’en clamer les vertus, on peut cependant rester dubitatif face à la
volonté de faire un travail d’historien là où prime la théologie44.

41
A. von HARNACK, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 283. Notons que Leo Baeck, rabbin
libéral de son état, est loin d’être lui-même exempt de présupposés confessionnels et pêche par ce qu’il
reproche : l’apologie. Il procède par jugements de valeur et cherche souvent à montrer l’originalité et
la grandeur du judaïsme.
42
Ernst TROELTSCH, « Que signifie “essence de christianisme” ? » (1903), in A. von HARNACK,
L’Essence du christianisme, op. cit., p. 307-354, ici p. 309 [NdE : le « livre symbolique » au sens où le
protestantisme qualifie de Symboliques les Confessions de foi de référence du christianisme, tel le
« Symbole des Apôtres »].
43
Ibid., p. 355-365, ici p. 357.
44
C’est dans ce sens qu’écrit Leo Baeck : « Le théologien juif considérera lui aussi que c’est une
œuvre bonne et noble pour un chrétien que d’écrire une apologie, un livre à la gloire de sa religion. Ce

604
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page605

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

Depuis près d’un siècle, des pas de géants ont été accomplis dans la
recherche sur le Jésus de l’histoire. Tout d’abord, il y a lieu de mentionner la
sortie de Jésus du carcan de la théologie pour le faire entrer dans l’histoire en
tant que personnage historique. Les « quêtes » du Jésus de l’histoire ont permis
d’élaguer le Christ de la foi et des présupposés confessionnels pour ne traiter
que de l’homme Jésus. Le chercheur, quelle que soit sa confession religieuse,
est d’abord et avant tout un critique des sources. En ce sens, il se doit de tendre
à l’impartialité et à l’objectivité s’il veut s’inscrire dans une perspective scien-
tifique. Dans une certaine mesure, il n’est pas erroné de considérer que le
critique des sources est celui qui déconstruit les normes établies : si sa démarche
est sous-tendue par son appartenance religieuse, il n’est pas historien mais
théologien. Cela ne veut pas pour autant dire que l’historiographie sur Jésus
est dénuée de toute influence implicite du milieu, de l’éducation ou de la
confession du chercheur ; cela signifie que la méthodologie employée, les
questions posées et les problématiques soulevées par les chercheurs sont de
l’ordre du travail de l’historien et non du théologien. Cela est déjà un pas impor-
tant d’accompli. Depuis quelques décennies, la recherche s’engage dans une
mise en perspective du personnage de Jésus. On a tenté de contextualiser Jésus
dans la société juive de son temps, et cela à l’aide des matériaux littéraires,
épigraphiques et archéologiques à notre disposition. Comme le note fort à
propos Alan Segal :
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


Faire de l’histoire est-il impossible ou seulement très, très difficile ? Et si
c’est extrêmement difficile, mais possible, nous devrions essayer de rendre
toutes nos hypothèses conscientes, travail aussi difficile que d’écrire impartia-
lement, de contrôler tous les présupposés personnels, et de souhaiter aller un
peu plus de l’avant avec chaque intuition. Peut-être que l’objectivité est impos-
sible, mais une étude impartiale est un but qui peut être atteint, si, de fait, un livre
résiste et survit à tous les examens minutieux durant des décennies. S’il en est
ainsi, les historiens doivent apprendre les très difficiles leçons du futur aussi
bien que du passé45.

Une plus grande lumière a été faite sur le personnage grâce aux Rouleaux
de Qumran et à la littérature intertestamentaire, fruits du foisonnement litté-
raire de la fin de l’époque du Second Temple. De même, la prise en considéra-
tion de la littérature talmudique s’est avérée salutaire. Il est capital de déceler

contre quoi il proteste, c’est seulement que l’apologie se fasse passer pour de l’histoire et qu’elle croie
avoir le droit de se servir comme arme de l’injustice historique », in A. von HARNACK, L’Essence du
christianisme, op. cit., p. 305.
45
Alan F. SEGAL, « Paul et ses exégètes juifs contemporains », Recherches de science religieuse 94
(2006), p. 413-441, ici p. 440-441.

605
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page606

DAN JAFFÉ ETR

les strates les plus anciennes de la Mishna, de la Tosefta ou des Midrash


Halakha afin de saisir les éléments qui ont pu avoir une influence sur la façon
de penser, sur l’enseignement, la sensibilité et le message de Jésus. Malgré
cela, on ne peut qu’acquiescer aux propos d’Étienne Trocmé :

Les historiens n’en sauront jamais beaucoup plus sur Jésus. Beaucoup
d’entre eux se rebellent contre l’impossibilité où ils se trouvent de dresser une
véritable biographie de ce grand homme. De là les tentatives répétées […] pour
trouver la clé d’un personnage aussi mystérieux. Cette clé n’existe pas. Il n’y a
que des points de vue d’où l’on peut jeter un regard sur le Nazaréen, sans jamais
s’approcher de très près46.

Dans le foisonnement religieux de son temps, Jésus offre une approche que
l’on a trop longtemps qualifiée de singulière. Selon notre opinion, son ensei-
gnement s’inscrit dans la pluralité du monde juif de son époque. Soulignons un
point crucial : une lecture des prophètes comme toile de fond est vitale pour
comprendre des enseignements de Jésus tels le rapport à Dieu, la repentance ou
la relation à l’autre. On a souvent le sentiment que derrière certains enseigne-
ments de Jésus se cachent des enseignements bibliques ou prophétiques.
Ajoutons qu’avec Jésus apparaît un point fondamental que l’on pourrait quali-
fier de dépassement de la Loi, une conjoncture dans laquelle la Loi, dans sa
littéralité, n’est pas l’ultime façon d’établir un lien avec Dieu, mais peut être
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)


surpassée par l’exigence envers l’autre. Ces catégories, dégagées par Shalom
ben Chorin dans son ouvrage Bruder Jesus (Munich, 1967), sont fort perti-
nentes. Ben Chorin développe deux concepts clés : celui de troisième autorité
et celui d’intériorisation de la Loi. Au jugement de ben Chorin les méthodes
d’enseignement de Jésus émanent d’une autorité qui existe en plus de celles de
Hillel et de Shammaï. Jésus représenterait une troisième autorité en ne se récla-
mant justement pas d’un maître attesté et reconnu, tout en ayant sa propre légiti-
mité au sein de la nation juive. Il n’est absolument pas à considérer comme un
marginal du point de vue des modalités d’exégèse qui ont cours dans le monde
juif de cette époque. Il offre plutôt une autre voix dans la polyphonie juive de
l’interprétation de la Loi à la fin de l’époque du Second Temple. Dans le
concept d’intériorisation de la Loi, ben-Chorin n’accepte pas l’idée d’un Jésus
qui n’adhère qu’à une pratique intérieure de la Loi et qui délaisse les obser-
vances extérieures que sont les préceptes de la Torah écrite ou orale.
L’expression intériorisation de la Loi ne doit pas s’entendre dans son sens ritua-
liste ou existentiel, mais plutôt dans une perspective plus psychologique. Jésus

46
Étienne TROCMÉ, Jésus de Nazareth vu par les témoins de sa vie, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé,
1971.

606
p587_607_JAFFE_Mise en page 1 04/08/17 14:25 Page607

2017/ 3 JÉSUS DANS LE MONDE JUIF DE SON TEMPS

prône d’intérioriser la Loi au point de ne faire qu’un seul être avec elle ; il
préconise de facto une parfaite intégration de l’Être et de la Lettre. Pour lui, tout
manquement ou tout acte qui n’est pas scrupuleusement conforme à la Loi est
objet de condamnation. Dans cette perspective, ses vitupérations proscrivent
et rejettent avec violence ce qui lui semble une attitude hypocrite ou non
conforme à la stricte observance. Notons que l’on peut retrouver cette intério-
risation de la Loi dans différentes paroles que les Évangiles lui attribuent,
notamment en Mt 5,20-48 ou encore en Mt 23,16-32.
La fin de cette étude nous ramène à ce que nous écrivions voici quelques
années et qui est important pour qui s’intéresse au Jésus de l’histoire. En effet,
nous concluions notre ouvrage en soulignant combien la recherche du Jésus
historique est à la fois passionnante et déconcertante. Le chercheur procède à
des analyses textuelles ainsi qu’à des recoupements littéraires. Il scrute les
sources dans une perspective historique et philologique. Il convoque également
les sciences sociales. Malgré tous ces efforts déployés, le sentiment qui l’anime
est que cette recherche reste asymptotique47.

Dan JAFFÉ
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 24/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.7)

47
D. JAFFÉ, Jésus sous la plume des historiens juifs du XXe siècle, op. cit., p. 352-353.

607

Vous aimerez peut-être aussi