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Jacqueline Assaël
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ETUDES
THÉOLOGIQUES
& RELIGIEUSES
TOME 84 2009/ 2
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3. Sauf indication contraire, toutes les traductions de passages cités du NT sont nôtres.
4. Sur l’utilisation chez Matthieu de la source marcienne, cf. Élian CUVILLIER, « L’Évangile
selon Matthieu », in Daniel MARGUERAT, éd., Introduction au Nouveau Testament, Genève,
Labor et Fides, [2000], 2004, p. 70 sqq. et sa bibliographie.
5. Pour rendre leur lecture plus aisée aux non-hellénistes, toutes les mentions de substantifs
isolés sont présentées au nominatif singulier et les citations des verbes sont faites à l’infinitif
présent actif exclusivement.
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LA PISTIS DE JÉSUS-CHRIST
Cette formulation : « la pistis de Dieu » figure telle quelle dans deux ver-
sets du Nouveau Testament. En effet, une expression strictement comparable
à celle qui est contenue dans le passage marcien se trouve en Romains 3, 3.
Dans cet exemple, le contexte immédiat éclaire la nuance de sens, car il est
alors établi que l’« incroyance des hommes ne remet pas en cause la “fidé-
lité”/“fiabilité” de Dieu ». Par ailleurs, dix autres occurrences sont à rappro-
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14. Pour justifier ce phénomène, certains ont inventé une catégorie grammaticale. Cf.
Xavier LÉON-DUFOUR, Épître aux Romains, rééd. avec des modifications [texte dactylographié],
Fourvière-Lyon, Faculté de Théologie de la Compagnie de Jésus, 1970, p. 37. L’auteur précise
que « pistis de Jésus-Christ » dans Romains 3, 22 est « habituellement traduit par “foi en J.-C.”
= foi que possède le chrétien du fait de sa communion avec J.-C. : “génitif mystique” ». Mais
adapter la grammaire quand elle résiste à une interprétation qui peut être erronée constitue un
procédé bien désespéré et illégitime.
15. Cf. Romains 3, 22 ; 3, 26 ; Galates 2, 16 (2 occurrences) ; 2, 20 ; 3, 22 ; Philippiens
3, 9 ; Colossiens 2, 12 ; Jacques 2, 1 ; Apocalypse 14, 12 (+ une tournure proche : Actes 3, 16).
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16. Au verset 25, eis, qui indique le but, l’objectif, le dessein, est traduit par l’expression
« avoir à cœur de » ; et, au verset 26, pros, qui met en relation deux occurrences du mot
endeixis (« démonstration ») placées en miroir, est traduit avec une certaine redondance par les
idées de « cohérence » et de « conformité », afin de rendre, en plus du sens de la préposition,
l’effet produit par la récurrence lexicale.
17. Idem en Philippiens 3, 9. Au prix de quelque liberté prise avec la syntaxe et de quelque
détachement par rapport à la lettre du texte, Karl BARTH superpose à ces versets pauliniens une
interprétation marquée par une vraie spiritualité : « Mais maintenant, indépendamment de la
loi, est révélée la justice de Dieu, qui est attestée par la loi et les prophètes, à savoir la justice de
Dieu par sa fidélité en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient. » in L’Épître aux Romains, trad.
Pierre JUNDT, Genève, Labor et Fides, [1922] 1967, p. 91. Très heureusement, il trouve une
solution qui lui permet de rapporter à Dieu la substance du mot pistis.
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Il est vrai que les glissements de sens qui se produisent entre les diverses
occurrences de cette notion grecque sont d’autant plus difficiles à cerner que,
pour les chrétiens, l’intercession de Jésus, objet d’un article de foi, suscite
aussi une infinie gratitude confiante 18. Ainsi, dans une certaine mesure, toutes
les nuances sont intriquées. Il convient néanmoins de les distinguer, dans ce
texte paulinien, pour comprendre la subtilité de la démonstration et pour en
percevoir tout le relief. Sans quoi, la consistance même de son écriture est
perdue. En effet, dans ce passage de l’Épître aux Romains, au verset 22, Paul
joue de la proximité ménagée, dans sa phrase, entre le substantif pistis et le
verbe correspondant (pisteuein). Une traduction fondée sur une interprétation
unilatérale de ce concept prête à l’apôtre une prédication bien plate, peu
alerte, promettant, dans un style indigent, pléonastique, presque tautologique,
« la justice de Dieu à travers la foi en Jésus-Christ, pour tous ceux qui
croient… » !
Or, tout le registre sémantique qui se développe dans ce passage indique
que la « pistis de Jésus » est représentée très concrètement dans l’esprit de
Paul comme l’enjeu métaphorique d’une trans-action. De fait, le caractère
objectif donné à cette réalité spirituelle est matérialisé par l’équivalence de
sens posée dans ce texte entre plusieurs expressions définissant le rôle de
Jésus dans la justification de l’humanité. Ainsi, dans ces versets, il est succes-
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18. Dans les controverses opposant la justification par la foi et la justification par les
œuvres, le raccourci d’expression ne doit pas occulter le fait que l’attitude du croyant s’en
remettant au Christ n’est qu’une condition subsidiaire mise à sa justification, acquise préalable-
ment et fondamentalement par Jésus. Martin LUTHER le rappelle clairement, quand il commente
les Épîtres de Paul ou les Psaumes : « Ainsi donc par la foi en Christ, la justice du Christ
devient notre justice et tout ce qui est à lui, oui, lui-même, devient nôtre » ; ou, à propos du
Psaume 30 et de l’expression « dans ta justice, délivre-moi » : « [Le psalmiste] ne dit pas “dans
ma [justice]”, mais “dans ta [justice]”, c’est-à-dire dans la justice du Christ mon Dieu, celle qui
est devenue nôtre par la foi, la grâce et la miséricorde de Dieu. » in « Sermon sur la double jus-
tice », Œuvres, vol. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 210 et
211).
19. Cf. Frederick Fyvie BRUCE, L’Épître aux Romains, Cergy-Pontoise, Sator, 1986, p. 81 :
« La rédemption (apolutrôsis) désigne l’acte d’acquisition d’un esclave en vue de lui accorder
la liberté […]. Dans la LXX, ce mot et ses dérivés sont fréquemment employés pour désigner le
rachat d’une personne par celui qui a envers elle des obligations particulières du fait de sa
parenté. »
20. Cf. notamment Néhémie 11, 23 et, sur le sujet, David Hendrik VAN DAALEN, « The
Emunah/Pistis of Habakkuk 2.4 and Romans 1.17, in Fifth International Congress on Biblical
Studies, Oxford, 1973 », Texte und Untersuchungen zur Geschichte der Altchristlichen
Litteratur, Berlin, 126, 1982, p. 523-527.
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21. Au verset 16, eis est traduit d’une manière excessivement développée pour souligner la
différence structurelle qui existe en grec entre deux types d’expression notant la foi en Christ ou
la créance du Christ.
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LA PISTIS DE DIEU
22. En tenant compte, dans la pensée chrétienne, du rôle du Christ intervenant comme
moyen terme, cet enchaînement fonctionne de la même manière que les enseignements expri-
més dans la Bible hébraïque, en 2 Chroniques 20, 20 : « Ayez confiance (haaminu) dans le
Seigneur votre Dieu, et vous serez soutenus (teamenu, littéralement, à peu près : vous serez
stables) » et Isaïe 7, 9, tels que les commente Martin BUBER, op. cit., p. 46 : « Dans cette
parole, les deux significations différentes du verbe renvoient à un seul et unique sens originel :
tenir ferme […]. Il faut en outre considérer que le concept englobe les deux aspects d’une réci-
procité dans la stabilité : l’aspect actif, la “fidélité”, et l’aspect réceptif, la “confiance”. »
23. Sur la solennité de cette formule hébraïque, cf. Jean-Marc BABUT, op. cit., p. 262.
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laquelle toute prière doit s’attendre à être exaucée ; rien d’autre ne vient jus-
tifier sa conclusion « en vertu de quoi, je vous déclare… », si ce n’est ce ser-
ment, par lequel, en tant que Christ, il produit verbalement l’assurance que
Dieu offre aux humains : « Appropriez-vous la créance de Dieu, car il en est
ainsi 24 ! je vous en apporte sa garantie quand je vous déclare… » 25
Si la prière a droit d’exaucement en tant que telle, Dieu la reconnaît donc
comme une créance qu’un croyant peut faire valoir auprès de lui. Mais la
relation est plus complexe, car Dieu se place spontanément en position de
débiteur, de gracieux fournisseur de créance et il inspire les vœux qui trouve-
ront une réalisation. Le texte de Marc l’indique en tout cas. En fait, la prière
dont il est question surgit en l’homme presque comme une impulsion, à l’ins-
tar de l’imprécation lancée contre le figuier stérile, et le sentiment de son
exaucement s’impose à l’avance, comme une certitude intérieure ; de la sorte,
aucun tremblement incertain ne peut venir troubler le cœur des croyants et
compromettre l’accomplissement de tels vœux. Dans ce type de situation, la
raison est donc hors-jeu, car elle ne peut guère imaginer, d’elle-même, la
migration des montagnes ! C’est pourquoi Jésus choisit cet exemple invrai-
semblable. Mais l’intériorité profonde de l’être, mue par Dieu, peut accueillir
cette éventualité 26. La foi à laquelle les formes du verbe pisteuein font réfé-
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24. Le verset 23 est asyndétique, ce qui en grec constitue un effet stylistique remarquable.
Le génie du français étant différent, il vaut mieux expliciter le lien logique entre les phrases, en
établissant l’enchaînement causal des propositions : « Je vous apporte sa garantie, en effet ! […]
C’est pourquoi, je vous déclare : “Ayez la ferme perception […] et vous serez exaucés.” » En
revanche, il est probablement préférable de souligner la valeur intraduisible de l’« Amen »
hébraïque, telle que l’apôtre la fait ressortir dans le texte grec, quitte à devoir gloser en com-
mentaire ou en note.
25. À la suite de la tradition attestée dans la Bible hébraïque où Dieu peut être défini
comme l’Amen (cf. Isaïe 65, 16), certains auteurs du Nouveau Testament nomment ainsi Jésus
(cf. 2 Corinthiens 1, 20 et Apocalypse 3, 14). Sur le sujet, cf. Christian BRIEM : « Toutes les
promesses de Dieu trouvent dans le Seigneur Jésus leur confirmation et leur sûreté. Christ est,
pour ainsi dire, le dernier mot de Dieu, son Amen. […] Christ garantit, en tant qu’Amen et sur
la base d’une rédemption accomplie, la réalisation de toutes les promesses que Dieu a faites
aux Siens. » in « Apocalypse 3, 14-22. La lettre à Laodicée. La chrétienté dans sa dernière
phase », Messager Évangélique 2002, p. 334 sqq.
26. Cf. Jean-Marc BABUT, op. cit., p. 262 : « Il va de soi que Jésus n’offre pas ici à ses audi-
teurs une garantie aussi stupéfiante pour justifier de leur part n’importe quelle fantaisie. Ce
serait mettre Dieu à l’épreuve, ce que Jésus a lui-même formellement refusé dans son face-à-
face avec le Tentateur […]. L’image quasi surréaliste qu’il propose doit fonctionner comme une
sorte de parabole, laquelle offre une image visible d’une réalité sinon invisible du moins non
perçue par le commun des auditeurs du Maître, à savoir la basileia. »
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quant une forme d’opinion, de croyance, est en tant que tel suivi d’un infini-
tif. Mais il peut aussi admettre une autre construction qui le fait entrer dans la
catégorie des verbes de perception par l’esprit ou par les sens ; or, tel est le
cas dans le texte de Marc, où une conjonction de subordination, hoti, intro-
duit une complétive. Ainsi, la tournure se rapporte à un croyant qui « reçoit
comme perception la ferme assurance que les paroles qu’il formule advien-
nent ». De même, au verset 24, Jésus explique que le solide sentiment, l’in-
tuition certaine d’un exaucement sont le gage véridique d’un tel accomplisse-
ment. En conséquence, la prière se présente comme un processus au cours
duquel, si l’homme éprouve en lui-même un plein accord avec Dieu, il est
assuré de réussir dans toutes ses entreprises 27. L’engagement de Dieu se
manifeste alors sous la forme de la foi qu’il inspire ; elle cristallise en
quelque sorte la prise de conscience profonde d’une promesse et l’impression
d’une immense force sereine reposant sur la possession d’une créance
offerte, et déjà honorée par le créateur de chaque essence et de tout phéno-
mène vivant. Effectivement, sur l’échelle du temps, le futur ne saurait déce-
voir l’espérance, puisqu’un sentiment anticipé d’exaucement révèle par
avance la réalisation, comme dans un passé déjà accompli, des demandes
humaines encouragées par Dieu auxquelles désormais il se doit d’accéder,
pourvu seulement que les cœurs ne tremblent pas. À travers tout un travail
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27. À propos de l’assertion « Tout est possible auprès de Dieu », cf. Martin BUBER, op. cit.,
p. 40 : « Cela ne vaut précisément que dans la mesure où [celui qui croit] a été admis dans la
sphère de Dieu. Il ne détient pas le pouvoir de Dieu ; bien plutôt, c’est le pouvoir de Dieu qui le
tient : chaque fois qu’il s’est abandonné à lui et aussi souvent qu’il s’abandonne. »
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28. Pierre BONNARD, L’Évangile selon saint Matthieu, Genève, Labor et Fides, coll.
« Commentaire du Nouveau Testament 1 », 20023, p. 308.
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ANNEXE
LES EMPLOIS DE PISTIS DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
PARTICULARITÉS GRAMMATICALES ET SÉMANTIQUES
Pistis dans le NT Avec génitif Avec génitif Sans « Avoir la « Foi en... »
(243) possessif complément construction foi » (= croire
de nom au génitif en...)
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