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POURQUOI J’ESTIME QUE LA THÉOLOGIE PRÉSENTE AUJOURD’HUI UN

INTÉRÊT RENOUVELÉ

Joseph Doré

Institut Catholique de Paris | « Transversalités »

2017/3 n° 142 | pages 143 à 155


ISSN 1286-9449
ISBN 9791094264126
DOI 10.3917/trans.142.0143
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-transversalites-2017-3-page-143.htm
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Transversalités, Avril-Juin 2017, n° 142, p. 143-155

pOuRQuOI J’EStImE QuE


La théOLOgIE pRéSEntE auJOuRD’huI
un IntéRêt REnOuvELé

Joseph DOré
Archevêque émérite de Strasbourg
Doyen honoraire du theologicum –
Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses
Institut Catholique de Paris
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J’estime que la théologie présente aujourd’hui un intérêt renouvelé1. tout
simplement parce qu’il me semble qu’à des conditions et selon des modalités
qu’elle est tout à fait en mesure de préciser, elle est effectivement susceptible
de servir efficacement la foi. J’ai certes bien conscience que le seul énoncé
d’un tel propos peut suffire à déclencher parmi nous une réticence de fond :
mais, est-ce que les évolutions du monde laissent vraiment aujourd’hui une
chance à la foi ?

1. Cet article reprend une conférence donnée d’abord à l’Institut catholique de Paris à
l’occasion du 40e anniversaire du CetAD (Centre d’enseignement théologique à distance)
à la demande de son directeur M. Alain robert le 20 novembre 2013. Mise depuis à l’épreuve
de  différents  publics  en  différents  lieux,  elle  exploite,  prolonge  et  actualise  la  réflexion
méthodologique  que  je  proposais  sous  le  titre  «  La  responsabilité  et  les  tâches  de  la
théologie », dans Joseph DOré, Introduction à l’étude de la théologie, Paris, Desclée, 1992,
t. II, p. 343-430 (bibliographie). Je suis reconnaissant à la revue Transversalités et à Olivier
Artus, son directeur de la rédaction, de publier cette réflexion sur l’intérêt et l’importance de
la  tâche  théologique  aujourd’hui,  45  ans  exactement  après  mes  premières  interventions
d’enseignement  en  ce  qui  était  alors  l’uer  de  théologie  et  de  sciences  religieuses  de
l’Institut catholique de Paris.

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Encore une chance pour la foi aujourd’hui ?


Déclarons-le  donc  tout  de  go :  à  vrai  dire,  tout  se  passe  comme  si  la
question de la foi n’était aujourd’hui ni évacuée ni invalidée. Il est clair que
la croyance a reculé, l’incroyance s’est développée, la sécularisation s’est
étendue et l’exculturation de la foi chrétienne s’est aggravée. un double
constat s’impose pourtant. D’une part certes (et comment ne pas le déplorer),
la religiosité et la crédulité, voire la superstition, se sont trouvées relancées
plutôt qu’éteintes dans notre société. Mais d’autre part aussi – or cela est d’un
tout autre ordre –, toutes les formes de la critique et toutes les modalités de
la crise ont bien plutôt exacerbé qu’évacué la question, sinon d’emblée de
la foi, du moins de la confiance et du faire-confiance : à qui ou à quoi peut-
on vraiment se fier dans la vie ? Pourquoi et au nom de quoi ? Comment et
jusqu’où ?  On  a  beau  s’arranger  pour  le  faire  taire,  le  contourner  ou  le
différer, un tel questionnement apparaît même chez beaucoup à la fois plus
vif et plus évident que jamais. J’en donnerai deux illustrations, prises dans
mon expérience de pasteur.
1. quand, nommé archevêque de strasbourg, il m’a incombé de célébrer
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pour la première fois, devant les autorités politiques locales, la traditionnelle
« messe pour la France » le dimanche le plus proche du 14 juillet, je me suis
bien demandé à quoi j’allais consacrer la grande prédication de circonstance.
J’ai alors tout simplement décidé de poser la question suivante : avons-nous
toujours une âme ? une telle formulation pouvant certes paraître, disons, trop
particulière, j’en ai sur le champ proposé une autre : avons-nous toujours une
conscience  (morale) ?  Il  était  déjà  sans  doute  plus  difficile  de  récuser
purement et simplement l’interrogation. Pour le cas cependant où l’indiffé-
rence aurait encore pu persister dans mon auditoire, j’ai finalement demandé:
avons-nous toujours un cœur, ce lieu intime, unique, imprenable, où s’élabo-
rent nos convictions, se déclarent nos générosités, se prennent nos décisions,
se tiennent nos engagements – bref: se définit la personnalité propre et finale-
ment se décide le destin de chacun de nous ? ‒ La réponse ne pouvant plus
bien sûr alors être qu’évidente, la seconde question fut : dans une société
comme la nôtre, qui s’en occupe, et à quel titre ?
2. Autre contexte, même type d’interrogation. J’accomplissais la « visite
pastorale » d’un ensemble de paroisses du sud de l’Alsace. Les animateurs
ayant bien fait leur travail, j’avais devant moi 260 garçons et filles de 14 à
18 ans. Après les inévitables questions sur le préservatif, le mariage des
prêtres et la place des femmes dans l’église, voici ‒ je ne les pas oubliées

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‒ les questions qui ont fusé : la fidélité, vous y croyez, vous ? À la télé, ils


ont parlé de la réincarnation ; est-ce que c’est la même chose que la résurrec-
tion ?  Dieu  s’occupe-t-il  aussi  des  méchants ?  Nous,  dans  la  vallée  de  la
Doller, on a un copain qui s’est suicidé : vous avez quelque chose à nous dire
à ce sujet ? Je sentais qu’autour de moi les accompagnateurs se demandaient
bien comment j’allais réagir ; mais personnellement, sur le coup, mon seul
sentiment  était  d’être  honoré.  Honoré,  oui,  qu’on  m’estime  assez,  moi
évêque, pour m’interroger de la sorte ! J’ai joué le jeu ; je me suis jeté à l’eau ;
j’ai dit ce que je croyais pouvoir répondre, sans chercher ni à prendre la
tangente ni à imposer mon point de vue. Aucun de mes auditeurs n’a quitté
la  salle ;  à  un  certain  moment,  ils  ont  même  applaudi.  Comme  je  m’en
étonnais malgré tout quelque peu en fin de rencontre, les animateurs m’ont
répondu  en  chœur :  mais  ces  questions-là,  à  qui  voulez-vous  qu’ils  les
posent aujourd’hui ?
On  me  dira :  que  des  circonstances  comme  celles  que  vous  venez
d’évoquer manifestent à l’évidence que la question du croire (ou du moins
celle d’un vrai faire-confiance) garde une pertinence dans le monde où nous
vivons est une chose… mais en quoi cela pourrait-il être à porter au crédit
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de la foi chrétienne, même éclairée par la théologie ? Je réponds que c’est
très exactement ici que la question de l’intérêt de la théologie prend aujour-
d’hui pour moi tout son sens.

Quelle théologie pour quelle foi ?


On dit très généralement que la théologie est la science de la foi, ou bien
qu’elle se caractérise par la recherche et le déploiement de l’intelligence de
la foi. toute la question est, cependant, de savoir comment on comprend la
foi que l’on prétend ainsi éclairer. À vrai dire, lorsqu’on s’exprime de la
sorte, on a tout spontanément tendance à considérer que la foi en cause est
purement et simplement celle qui est toujours-déjà exprimée ès qualités dans
les textes du magistère et, au-delà d’eux, dans ceux de l’écriture et de la
tradition ! Il n’y aurait donc qu’à la chercher là… pour se mettre en devoir
de l’expliquer à d’autres si l’on est théologien, prédicateur ou catéchiste. Ou
bien en vue de s’en laisser fournir par de plus compétents l’énoncé et la
justification si, simple croyant, on est pourtant désireux d’y voir plus clair
en la matière. Le malheur est qu’une telle façon de comprendre les choses
risque toujours de faire, et en réalité a souvent fait, au moins trois victimes.

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1. La foi elle-même, pour commencer. Dans une telle optique en effet,
elle n’apparaît guère que comme un ensemble de propositions et d’énoncés
clos sur eux-mêmes et organisés en un corps de doctrines toutes faites, en
un  système  de  connaissances  existant  déjà  «  à  part  »,  et  toujours
« ailleurs ». Mais comment ne pas se demander alors de quelle manière
cette foi-là pourrait bien nous concerner si, se présentant comme un lieu
ou  un  domaine  du  vrai  toujours-déjà  constitué  en  soi  et  pour  soi,  elle
n’appelle d’autre attitude qu’une simple obéissance, voire qu’une simple
prise de connaissance se contentant toujours de n’être qu’un pur « tenir-
pour-vrai » ?
2.  Mais  la  théologie  est  victime  elle  aussi.  On  peut  certes  toujours
essayer  de  faire  valoir  que  cet  ensemble  de  propositions  doctrinales  que
représenterait donc ici « la foi » requiert un acte d’adhésion hors duquel
n’interviendrait pas le tenir-pour-vrai sollicité. Le problème sera alors de
préciser  comment,  par  rapport  à  un  tel  acte,  pourra  exactement  se  situer
l’opération  théologique  comme  telle.  Faudra-t-il  comprendre  qu’elle  ne
peut venir qu’après la foi elle-même, celle-ci fournissant d’abord le matériau
sur lequel la théologie ne pourra réfléchir qu’ensuite ?… Mais est-ce que cela
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ne  voudrait  pas  dire  que  la  théologie,  cédant  alors  toute  la  place  soit  au
discours pieux ou mystique soit au simple commentaire des écritures, ne
pourra jamais être comme telle une mise en œuvre, et donc en lumière, de
la foi ?
3. Il y a une troisième victime. À considérer que la foi fournit la réponse
sur laquelle la théologie devrait ensuite travailler, on donne à penser que cette
dernière  culminerait  dans  l’explication,  l’élaboration,  l’organisation,  la
systématisation de connaissances. Comment s’étonner de voir dans ce cas
s’instaurer un divorce entre elle et l’annonce ecclésiale de la foi, et finale-
ment  même  avec  toute  la  pratique  pastorale ?  estimer  que  la  tâche  de  la
théologie serait ici de fournir d’abord, sous une forme intellectuellement
élaborée et « noble », le matériau qui lui aurait été fourni à elle-même préala-
blement  par  la  foi,  entraînerait  que  la  communication  concrète  de  la  foi
comme telle n’aurait jamais, pour sa part, qu’à transposer, adapter, monnayer.
Ce serait condamner toute la pastorale de l’église – troisième victime – à
n’être rien d’autre que le domaine de l’application de la recette, donc de
l’aléatoire et de l’à-peu-près.
Finalement, si la foi apparaît ici en bien fâcheuse posture, la théologie
se  retrouve  elle-même  dans  un  total  porte-à-faux,  puisqu’elle  n’est  plus

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correctement articulée ni sur la foi (qui est pourtant censée lui fournir au
départ son objet), ni sur l’action pastorale (qu’au bout du compte elle est
pourtant réputée avoir à servir).

Comment alors comprendre et articuler correctement foi et théologie ?


Il est bien certain que la théologie se présente comme un travail qui est
de l’ordre de la rationalité, étant entendu qu’ici c’est la foi elle-même qui
sollicite  la  raison.  elle  élabore  des  éléments  notionnels,  elle  agence  des
concepts  qu’elle  tente  de  déployer  dans  la  cohérence ;  elle  est  donc,
autrement dit, vraiment discours/logos.
1. Il est essentiel, cependant, de ne pas oublier qu’elle est par définition
appelée à être discours de la foi. Or cette expression est susceptible d’un
double sens. D’abord, un sens objectif : la foi est certes « ce que dit la foi »,
et qui pourra constituer l’objet d’un discours articulant en effet concepts et
connaissances. Il faut toutefois faire place aussi à un sens subjectif de ce
même génitif ; la foi est alors une démarche, un engagement d’existence qui
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induit  une  expérience  qui  à  son  tour  conduit  à  des  pratiques  éthiques  et
rituelles-sacramentelles en lesquelles elle prend corps. La théologie la plus
traditionnelle ne distinguait-elle pas elle-même entre une fides quae creditur /
la foi qui est crue et une fides qua creditur / la foi par laquelle on croit (ou :
qui croit) ? Or on peut dire que tout l’enjeu est ici de comprendre que si ces
deux aspects sont certes à distinguer, ils ne sont aucunement séparables. et
qu’il incombe donc à la théologie de se définir par rapport aux deux à la fois,
et de ne se déployer elle-même qu’en les articulant.
La foi que l’on croit renvoie bien à l’ordre de la connaissance et, particu-
lièrement au niveau théologique, elle se formule bien en un discours qui
manie des idées, des notions, des concepts et qui ne cesse d’argumenter ;
mais  tous  les  moyens  de  connaissance  qu’elle  utilise  ont  toujours  à  être
soutenus  par  l’acte  même  qui  les  pose,  les  agence  et  les  déploie.  Les
concepts doivent toujours être enracinés dans l’expérience vécue du sujet
lui-même ;  il  leur  faut  toujours  être  portés  par  un  engagement  de  son
existence propre. en théologie, il leur revient de n’être rien d’autre que la
diction,  que  l’articulation  dans  un  discours  sensé,  de  l’expérience,  des
pratiques et de l’engagement de la foi. sinon, le discours ne portera toujours
que sur des abstractions, il ne mettra aucunement en relation avec l’objet dont
il prétend traiter. Il sera vide.

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quant à la foi qui croit, elle est certes un engagement d’existence qui


repose  sur  une  décision,  inclut  incessamment  une  expérience,  et  renvoie
toujours  à  des  pratiques  (on  vient  de  le  dire).  Mais  elle  n’est  cela  qu’en
comportant toujours-déjà un aspect de connaissance. L’acte et l’engagement
se reconnaissent toujours, disons, un objet, un répondant, un corrélat, un vis-
à-vis – dont l’agent a nécessairement une représentation formulable en une
parole ! sinon, l’acte en question serait aveugle.
2. si donc on veut éviter que le discours soit ou vide ou aveugle, il faut
bien  qu’il  y  ait  renvoi  constant  de  l’engagement  et  de  l’expérience  à  la
connaissance  et  au  discours  –  et  inversement.  De  sorte  que  le  discours
théologique  ne  peut  être  rien  d’autre  qu’un  acte  de  la  foi  elle-même,  et
même qu’une modalité de l’effectuation de la foi qui croit, c’est-à-dire qui
déclare une adhésion et se « com-pro-met ». La spécificité de la théologie
et de sa méthode, ce qui la définit précisément comme théologie et la rend
intéressante pour la foi, ne consiste pas en ce que, à la différence d’autres
discours systématiques et scientifiques, elle devrait d’abord recevoir son
objet de la foi… après quoi ‒ comme n’importe quel autre discours qui
prétendrait à la scientificité ‒ elle fonctionnerait elle aussi selon une pure
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rationalité, avec simplement quelques procédures et quelques critères qui
lui seraient propres. La spécificité de la théologie se marque au fait que son
acte vise à pousser aussi loin qu’il est possible – jusqu’à la plus précise
scientificité historique et jusqu’à la plus technique élaboration spéculative
–  l’investigation  intellectuelle  et  l’articulation  conceptuelle  de  l’aspect
d’intelligence  qui  est  essentiel  à la foi comme telle,  dès  son  premier
moment. saint thomas était plein de respect pour la foi de la vetula, la
vieille femme croyante !
À telle enseigne qu’il faut dire que le théologien ne peut pas cesser d’être
croyant dans son acte même de théologiser, si technique soit-il – et, corréla-
tivement, que le « simple croyant » ne peut être tenu pour étranger, si peu
intellectuel soit-il, à ce dont il s’agit avec la théologie. La théologie n’a pas
autre  chose  à  faire  qu’à  pousser  le  plus  loin  possible  le  «  moment  »  ou
l’aspect d’intelligence qui est essentiel déjà au premier acte de la foi. Aussi
bien la théologie ne devrait jamais oublier que, sous peine de se manquer
elle-même, elle ne peut pas être autre chose que la mise en forme, aussi
intellectuellement appareillée que souhaitable, d’un type de connaissance et
d’intelligence auquel tout croyant a, comme tel, déjà accès. De même qu’il
n’y  a  pas  moins  d’intelligence  dans  la  foi  digne  de  ce  nom  que  dans  la

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théologie,  de  même  il  ne  devrait  pas  y  avoir  moins  de  foi  dans  la  vraie
théologie que dans la foi.
3. Il résulte clairement de là que la méthode théologique ne peut jamais
être conçue seulement comme la mise en œuvre et l’articulation de connais-
sances  et  de  procédures  intellectuelles,  qu’elles  soient  de  l’ordre  de  la
recherche  historique  (et  plus  largement  des  sciences  humaines)  ou  bien
qu’elles se donnent la forme d’une élaboration spéculative systématique. La
foi est appelée à y jouer à tout moment un rôle premier comme engagement
d’existence comportant à ce titre même, une requête d’intelligence. tant et
si bien que se mettre à faire de la théologie, ce ne sera pas quitter la foi mais
s’efforcer de la promouvoir dans un certain ordre qui lui reste rigoureuse-
ment homogène.
Il résulte de là que la discipline intellectuelle ainsi nommée ne saurait se
constituer en un espace autonome comme pourrait l’être un univers de purs
concepts. Puisqu’elle est incessamment rapportée à une démarche de foi
qu’elle ne peut jamais quitter, il faut bien admettre qu’elle a son lieu dans
la foi même. Autant dire qu’elle n’est pas seulement discours sur la foi et
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discours par la foi ; elle est aussi discours dans la foi.

Une mise en discours de la foi comme foi


1. Lorsqu’on tend en somme à n’attribuer à la foi d’autre fonction par
rapport à la théologie que celle de lui fournir un matériau que cette dernière
traiterait ensuite indépendamment de la foi, on fait comme si l’on estimait
qu’une telle opération élèverait la foi à un niveau plus noble, à savoir celui
de la pure discursivité, de l’abstraction, du concept. Or si une telle opération
réussissait, le malheur serait que la théologie parviendrait au bout du compte
à arracher la foi à la foi dans le moment même où elle prétendrait pourtant
lui  assurer  son  «  vrai  statut  »  (dès  lors  accessible  seulement  aux  gens
vraiment intelligents ou suffisamment formés !). Disons-le clairement : si
l’opération réussissait, c’est ailleurs et autrement que là où la foi est foi,
qu’elle  serait  ainsi  promue.  elle  n’honorerait  sa  propre  requête  qu’en  se
dénaturant elle-même.
C’est le mouvement inverse qu’il convient au contraire d’adopter. en
théologie, la recherche et la réflexion sont conviées à ne jamais s’évader,
à  ne  jamais  s’installer  dans  un  ciel  d’idées  et  d’abstraction  où  devrait
« passer » la foi. La théologie n’a de sens qu’à se mettre au service de la

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foi très concrètement là où et comme elle est toujours appelée à être foi –


c’est-à-dire : proposée comme foi, annoncée comme foi, interrogée comme
foi, pratiquée comme foi, célébrée comme foi. À savoir sur la terre, dans
l’histoire et l’existence des hommes, et non pas toujours-déjà-seulement dans
des définitions, des décrets, des systèmes de connaissances. bref, si la foi
fournit son objet à la théologie, ce n’est pas autrement qu’en appelant la
théologie  à  venir  travailler  dans  son  propre  lieu,  afin  d’y  jouer  le  rôle
spécifique qui peut et doit y être le sien.
2. Dans la mesure où la foi cherche à connaître et à comprendre, elle ne
peut pour autant se limiter ni à un commentaire pieux ni à une exégèse savante
des textes du passé. une place est d’emblée faite en elle pour la théologie
entendue comme la discipline intellectuelle caractérisée – il faudra y revenir
– par le double souci de promouvoir la foi comme foi, et de le faire avec l’aide
des meilleures ressources de la rationalité humaine. Cela étant, et dans la
mesure même où cette foi qui cherche à connaître et à comprendre n’est autre
que la foi qui croit, qui confesse, qui prie, qui célèbre, qui œuvre et qui opère,
il est tout aussi clair que la théologie comme opération de connaître et de
comprendre n’a aucune consistance propre en dehors de la foi.
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On peut en déduire clairement que la foi qui est en jeu avec la théologie
– et qui donc entre avec la théologie en travail de discours – est à comprendre
selon toutes les modalités (parlées et pratiquées, ritualisées et instituées)
qu’elle comporte au titre de son identité même de foi. Il s’agit bel et bien de
la foi qui, se présentant assurément comme recherche de vérité, ne peut se
produire  et  s’exprimer  parmi  les  hommes  qu’en  étant  en  même  temps
espérance vécue, amour pratiqué, culte célébré et œuvre pour la justice.
Le lieu de la théologie
Ce  qui  vient  d’être  établi  invite  de  soi  à  décrire  avec  un  peu  plus  de
précision encore ce lieu, cet espace ‒ celui même de la foi ! ‒ où et à partir
duquel la théologie est appelée à se produire comme telle. À ce lieu, on peut
reconnaître trois dimensions.
1. Aucun  croyant  ne  suffit  à  assurer  à  lui  tout  seul  l’ensemble  des
modalités de la foi à laquelle est référée la théologie. elles sont par essence
l’affaire de tous les croyants, le fait de l’église. Il s’agit en effet bel et bien
de l’ensemble des conduites, comportements et pratiques dans lesquels – à
travers  énoncés,  concepts  et  discours  mais  au-delà  d’eux  –  les  croyants
expriment leur foi. Car si cette dernière n’est pas un pur corps de doctrines

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héritées du passé, elle n’est pas non plus une pure décision individuelle, prise
dans un présent ponctuel. La foi avec laquelle doit s’articuler la théologie
digne de ce nom n’est autre que la fides ecclesiae viventis. Il s’agit de tout
ce  en  quoi  la  foi  prend  consistance  et  corps  en  s’exprimant  elle-même
parmi les hommes, dans notre histoire concrète, c’est-à-dire dans la vie des
croyants et de leurs communautés, au sein des courants, des débats et des
structures  de  la  société  d’aujourd’hui,  mais  aussi  dans  la  conversation
quotidienne  et  la  convivance  organisée  des  contemporains.  Il  s’agit
autrement dit de ce qu’on peut appeler globalement le fait historico-social-
chrétien.
2. La foi à laquelle la théologie doit se rapporter n’est cependant pas à
comprendre  seulement  comme  un  fait  social  présent ;  elle  est  aussi  dans
l’histoire. La fides ecclesiae et les multiples expressions institutionnelles,
langagières, sociales, etc., qu’elle s’est données à travers les siècles préexis-
tent à toute tentative de la porter aujourd’hui théologiquement au discours.
Potentiellement au moins, la théologie est donc appelée à se responsabiliser
aussi par rapport à l’ensemble des mises en œuvre et en pratique historiques
de la foi – ce qu’on appelle « le donné » de « la tradition », domaine propre
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de ladite « théologie positive ».
3. Puisque le fait historico-social-chrétien n’a de réalité et d’effectivité
qu’en  tant  qu’il  est  dans le monde,  c’est  par  essence  et  d’emblée  que  la
théologie aura à s’occuper aussi du monde tel qu’il est et des « hommes de
ce temps », de leurs mentalités et de leurs attentes, des réussites et des échecs
de leurs entreprises de tout genre. La théologie n’est donc pas appelée à s’en
rapporter au monde au titre seulement où il oppose à la foi des objections,
des résistances ou des doutes. Pas non plus seulement parce qu’il arrive aux
chrétiens  de  se  laisser  prendre  par  «  le  monde  »  et  qu’il  faut  donc  les
appeler à se recentrer sur leur foi. Le monde n’est pas seulement pour la foi
un champ de résistances, de difficultés et d’oppositions ni simplement un
espace à conquérir. Il est le lieu même où il s’agit pour elle d’exister, de faire
ses  preuves,  de  se  transmettre,  et  de  faire  vivre  ceux  qui  en  ont  fait  ou
pourraient en faire le choix.
Cela vaut tout particulièrement du point de vue intellectuel et réflexif qui
est  celui  de  la  théologie.  si  philosophie,  histoire  et  sciences  humaines  en
général sont (aujourd’hui) autonomes par rapport à la foi, elles peuvent aussi
lui offrir non seulement de nouveaux champs d’expansion, mais également les
moyens d’une intelligence renouvelée et enrichie. Il faut y insister. Puisque la

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théologie traite d’une révélation accomplie et à accueillir dans l’histoire, elle
ne peut se dispenser de s’en rapporter à la science historique ; et puisqu’elle
prétend  pousser  au  plus  loin  l’intelligence  de  cette  foi,  il  lui  faut  aussi
fréquenter la discipline appelée philosophie. Mais puisque la foi en cause est
affaire de langage, s’inscrit dans des psychismes, n’existe qu’en référence à
des institutions, se traduit dans des rites, etc., la théologie digne de ce nom doit
de surcroît dialoguer aussi, selon les cas, avec les sciences humaines autres que
l’histoire : linguistique, psychologie, sociologie, ritologie, etc.

Le déploiement de la théologie
Dans ce lieu, qui est donc celui de la foi et de ses expressions, comment
celui  qui  s’aventure  dans  une  réflexion  théologique  ainsi  comprise  est-il
appelé à « se positionner » puis à « procéder » ?
1. La première opération à réaliser sera pour lui de repérer avec précision
sa propre situation.  C’est-à-dire :  de  mettre  au  jour  par  quel  biais,  sous
quelle forme, dans quelle mesure, il est effectivement touché, lui, par la fides
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ecclesiae viventis, par le fait historico-social-chrétien. C’est à cette condition
seulement que la réflexion qui suivra pourra n’être pas seulement pour lui un
discours sur des discours, aussi autorisés qu’ils puissent être à leur titre propre.
Comme  catholique,  j’estime  certes  avoir  à  m’en  rapporter  à  toute  la
tradition de l’église, et je reconnais bien que l’écriture, Ancien et Nouveau
testament, est révélation de Dieu. Mais tant que je n’aurai pas pris la peine
de me préciser à moi-même en quoi cela m’atteint, me concerne, m’inter-
pelle, m’éclaire ou peut m’éclairer, moi, ici et aujourd’hui, ma « théologie »
ne sera jamais que reprise et répétition de propositions abstraites, « dés-
engagées », et finalement vides. elle ne pourra pas être un moyen de rendre
compte  de  déterminations  qui  affectent  de  fait  ma  propre  existence
historique, dans les conditions effectives où il me revient de l’assumer et de
lui donner sens.
2. une deuxième condition sera d’être tout simplement honnête avec les
questions qui surgissent alors. renvoyé à sa propre situation historique, celui
qui prétend faire de la théologie est invité à entreprendre une opération-
vérité. Il s’agira désormais pour lui, luttant contre tous les a priori, autocen-
sures  et  pseudo-évidences,  de  laisser  venir  au  jour  et  d’enregistrer
honnêtement les questions qui se lèvent dès lors en lui, puis de rechercher
les moyens de les identifier avec le plus de lucidité possible avant de les

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affronter en toute honnêteté intellectuelle. elles seront nécessairement de
deux ordres.
Il y aura d’un côté les/des questions posées par le fait historico-social-
chrétien lui-même : comment se fait-il qu’il m’atteigne comme il m’atteint ;
pourquoi les discours qu’il véhicule, les expériences qu’il suscite en moi, les
pratiques auxquelles il m’appelle, les regroupements auxquels il me convie,
m’apportent-ils à moi – dans la mesure où ils le font – quelque chose de vital,
voire de décisif, pour mon existence ? sur la lancée viendra vite le moment
où, réfléchissant ainsi, on en arrivera à reconnaître que, puisque Jésus est à
la racine du fait historico-chrétien, il faut bien se demander à quel titre il l’a
été dans le passé et peut le demeurer toujours… s’enclenchera alors toute
la question christologique, qui conduira à s’interroger : déjà, sur la figure
historique de  ce  Jésus ;  ensuite,  sur  sa fonction aujourd’hui même  par
rapport à nos vies et à leur « sens » possible, sur son identité réelle, sur la
nature et les moyens du salut qu’il est censé apporter ; enfin, sur le visage
du  Dieu qu’il  est  venu  révéler.  –  On  sera  alors  face  à  ce  qui  constitue
l’objet propre de  la  foi  chrétienne,  à  savoir  le  Dieu  de  Jésus  Christ,
l’homme, et leurs rapports.
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Mais  il  y  aura  aussi,  d’un  autre  côté,  les/des  questions  actuellement
posées au fait chrétien par la culture qui est la nôtre : conquêtes scientifiques
et techniques, sécularisation, soupçons, verdicts portant et sur le passé et sur
le présent du christianisme, etc. Il s’agira cette fois, honnêtement toujours,
de  prendre  acte  des  difficultés  qui  en  résultent  pour  continuer  à  habiter
responsablement  le  «  fait  chrétien  »,  et  de  s’employer  à  leur  chercher
réponse pertinente pour aujourd’hui. et l’on sera alors en condition pour
honorer  la composante subjective qui  définit  la  théologie,  à  savoir  la
démarche de foi, l’intelligence humaine, et leurs rapports.
D’un côté, questions posées par le fait chrétien par lequel je me suis
reconnu concerné ; de l’autre, questions posées au fait chrétien par lesquelles
je me reconnais interpellé : d’où pourra venir la réponse ? C’est à s’interroger
ainsi – troisième étape – qu’en arrivera logiquement celui qui cherche à faire
de la théologie. Il lui reviendra là d’être bien conscient que rien d’autre que
sa propre décision ne pourra finalement trancher.
3. et alors, de deux choses l’une. Ou bien je considérerai que, si le fait
chrétien demeure suscitant pour moi, qui me reconnais touché par lui, c’est
parce  que  –  conformément  à  ce  que  m’annonce  le  discours chrétien  –,
Jésus n’est pas simplement un personnage du passé au message duquel, à

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l’occasion, on s’intéresserait (plus ou moins) mais sur le destin duquel la
mort aurait définitivement mis le sceau : il est le Christ-Messie ressuscité
et Fils de Dieu par lequel continuent de s’accomplir, à travers les généra-
tions de l’église, la révélation et la présence actives à l’histoire, de « ce que
les hommes nomment Dieu » (thomas d’Aquin). Je serai alors en position
de déployer un discours proprement théologique dans toute son ampleur :
de  la  foi  christologique  et  théologale  à  l’espérance  eschatologique,  en
passant par l’anthropologie et la morale, l’ecclésiologie et la sacramentaire
chrétiennes.
Ou bien au contraire je considérerai que je ne puis aucunement admettre
qu’un homme comme Jésus soit la révélation de Dieu dans l’histoire, ni
même affirmer l’existence de quelque Dieu que ce soit. Alors il ne pourra
y avoir pour moi au mieux qu’une jésulogie, et éventuellement qu’un traite-
ment plus ou moins conséquent de telle ou telle des « choses de la foi » par
les  sciences  humaines.  Je  n’entrerai  alors  aucunement  en  théologie
chrétienne, puisque je ne serai jamais passé à la décision croyante qui la
rendrait possible.
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4. Concluons : c’est par l’intervention de la foi comme acte d’un sujet
croyant (la décision de croire) que, dans la foi comme fait (le corps historico-
social-chrétien),  la  foi  comme  discours (la  réflexion  théologique)  sera
effectivement  une  authentique  manière  de  se  rapporter  à  la  foi  comme
objet, à savoir la réalité même de Dieu, de son Christ et de leur église… et
sera donc effectivement théologie !
À  partir  de  ce  moment,  la  théologie  pourra  être  perçue  et  pratiquée
comme le déploiement organique d’une réflexion dans laquelle une décision
croyante se met en travail d’intelligence en se donnant pour tâche non pas
de transmuer la foi en autre chose qu’elle-même, mais bien de la promou-
voir précisément comme foi.

Quels fruits, alors, pour la foi ?


Comment une telle théologie pourra-t-elle s’avérer en mesure de servir
la foi dans le monde d’aujourd’hui ? C’est bien là qu’il nous faut en venir
pour boucler la boucle de cette déclaration d’estime en faveur de la théologie.
Conçue  comme  je  viens  de  le  dire,  cette  discipline  intellectuelle  sui
generis ne peut se présenter autrement que comme une manière de traiter le

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fait historico-social-chrétien dans son actualité présente relue à la lumière
d’une  positivité  elle-même  historique qui  est  celle  de  Jésus,  de  tout  le
Nouveau  testament  et  de  toute  la  tradition  ecclésiale.  Cela,  en  vue  de
permettre de prendre personnellement position à son égard. C’est-à-dire de
gérer lucidement et responsablement la manière qu’on a et qu’on aura soi-
même  de  se  reconnaître  concerné  par  lui,  de  s’y  rapporter,  d’y  adhérer,
d’opérer en lui. Au résultat, ou bien l’on sera plus et mieux chrétien, ou bien
on aura décidé – mais en sachant alors vraiment pourquoi ‒ de prendre ses
distances par rapport à la foi des chrétiens
Me mettre de cette manière à la recherche de Dieu à partir du fait chrétien
et en lui me conduira assurément à me demander dans quelle mesure l’Église
qui se réclame de Jésus lui reste fidèle dans ce qu’elle dit, annonce, fait et
célèbre.  Il  me  reviendra  dès  lors  d’apprécier  si  et  comment  cette  église
prend de fait en compte les requêtes et les questionnements de mes contem-
porains, que je n’ai aucune envie de quitter. et cela ne manquera pas de me
conduire à me demander quelles transformations sont requises dans l’ordre
et des discours et des pratiques au sein du christianisme d’hier et d’aujour-
d’hui s’il veut gagner en crédibilité aux yeux de ceux qu’il ne touche pas déjà.
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Mais corrélativement, m’engager dans une telle réflexion m’amènera à
m’interroger aussi sur moi-même, sur ma propre manière non seulement de
conceptualiser la foi, mais de la mettre en œuvre et en pratique par et dans
ma vie. Accomplissant un tel retour sur moi (du reste soutenu par la rencontre
de frères et éclairé par le conseil spirituel), je pourrai m’impliquer davantage
dans  un  processus  de  conversion  personnelle  et  d’engagement  ecclésial
plus motivés.
quant à la théologie elle-même, elle n’apparaîtra plus alors ni comme
inopérante par rapport à la tâche pastorale d’annonce et de communication
de la foi, ni comme étrangère à l’existence de celui qui s’est mis à son étude
– tout au contraire ! Faire de la théologie sera une manière de devenir moi-
même plus chrétien, en travaillant pour ma part à ce que le fait chrétien
progresse,  au  sein  de  ce  monde,  dans  sa  propre  christianité. Au  bout  du
compte, la théologie ne se présentera plus seulement comme un discours sur
la foi, par la foi, dans la foi. On la pratiquera désormais également comme
un discours pour la foi ‒ selon toutes les dimensions de la foi.

Joseph DOré

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