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INTÉRÊT RENOUVELÉ
Joseph Doré
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Joseph DOré
Archevêque émérite de Strasbourg
Doyen honoraire du theologicum –
Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses
Institut Catholique de Paris
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1. Cet article reprend une conférence donnée d’abord à l’Institut catholique de Paris à
l’occasion du 40e anniversaire du CetAD (Centre d’enseignement théologique à distance)
à la demande de son directeur M. Alain robert le 20 novembre 2013. Mise depuis à l’épreuve
de différents publics en différents lieux, elle exploite, prolonge et actualise la réflexion
méthodologique que je proposais sous le titre « La responsabilité et les tâches de la
théologie », dans Joseph DOré, Introduction à l’étude de la théologie, Paris, Desclée, 1992,
t. II, p. 343-430 (bibliographie). Je suis reconnaissant à la revue Transversalités et à Olivier
Artus, son directeur de la rédaction, de publier cette réflexion sur l’intérêt et l’importance de
la tâche théologique aujourd’hui, 45 ans exactement après mes premières interventions
d’enseignement en ce qui était alors l’uer de théologie et de sciences religieuses de
l’Institut catholique de Paris.
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1. La foi elle-même, pour commencer. Dans une telle optique en effet,
elle n’apparaît guère que comme un ensemble de propositions et d’énoncés
clos sur eux-mêmes et organisés en un corps de doctrines toutes faites, en
un système de connaissances existant déjà « à part », et toujours
« ailleurs ». Mais comment ne pas se demander alors de quelle manière
cette foi-là pourrait bien nous concerner si, se présentant comme un lieu
ou un domaine du vrai toujours-déjà constitué en soi et pour soi, elle
n’appelle d’autre attitude qu’une simple obéissance, voire qu’une simple
prise de connaissance se contentant toujours de n’être qu’un pur « tenir-
pour-vrai » ?
2. Mais la théologie est victime elle aussi. On peut certes toujours
essayer de faire valoir que cet ensemble de propositions doctrinales que
représenterait donc ici « la foi » requiert un acte d’adhésion hors duquel
n’interviendrait pas le tenir-pour-vrai sollicité. Le problème sera alors de
préciser comment, par rapport à un tel acte, pourra exactement se situer
l’opération théologique comme telle. Faudra-t-il comprendre qu’elle ne
peut venir qu’après la foi elle-même, celle-ci fournissant d’abord le matériau
sur lequel la théologie ne pourra réfléchir qu’ensuite ?… Mais est-ce que cela
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correctement articulée ni sur la foi (qui est pourtant censée lui fournir au
départ son objet), ni sur l’action pastorale (qu’au bout du compte elle est
pourtant réputée avoir à servir).
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théologie, de même il ne devrait pas y avoir moins de foi dans la vraie
théologie que dans la foi.
3. Il résulte clairement de là que la méthode théologique ne peut jamais
être conçue seulement comme la mise en œuvre et l’articulation de connais-
sances et de procédures intellectuelles, qu’elles soient de l’ordre de la
recherche historique (et plus largement des sciences humaines) ou bien
qu’elles se donnent la forme d’une élaboration spéculative systématique. La
foi est appelée à y jouer à tout moment un rôle premier comme engagement
d’existence comportant à ce titre même, une requête d’intelligence. tant et
si bien que se mettre à faire de la théologie, ce ne sera pas quitter la foi mais
s’efforcer de la promouvoir dans un certain ordre qui lui reste rigoureuse-
ment homogène.
Il résulte de là que la discipline intellectuelle ainsi nommée ne saurait se
constituer en un espace autonome comme pourrait l’être un univers de purs
concepts. Puisqu’elle est incessamment rapportée à une démarche de foi
qu’elle ne peut jamais quitter, il faut bien admettre qu’elle a son lieu dans
la foi même. Autant dire qu’elle n’est pas seulement discours sur la foi et
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héritées du passé, elle n’est pas non plus une pure décision individuelle, prise
dans un présent ponctuel. La foi avec laquelle doit s’articuler la théologie
digne de ce nom n’est autre que la fides ecclesiae viventis. Il s’agit de tout
ce en quoi la foi prend consistance et corps en s’exprimant elle-même
parmi les hommes, dans notre histoire concrète, c’est-à-dire dans la vie des
croyants et de leurs communautés, au sein des courants, des débats et des
structures de la société d’aujourd’hui, mais aussi dans la conversation
quotidienne et la convivance organisée des contemporains. Il s’agit
autrement dit de ce qu’on peut appeler globalement le fait historico-social-
chrétien.
2. La foi à laquelle la théologie doit se rapporter n’est cependant pas à
comprendre seulement comme un fait social présent ; elle est aussi dans
l’histoire. La fides ecclesiae et les multiples expressions institutionnelles,
langagières, sociales, etc., qu’elle s’est données à travers les siècles préexis-
tent à toute tentative de la porter aujourd’hui théologiquement au discours.
Potentiellement au moins, la théologie est donc appelée à se responsabiliser
aussi par rapport à l’ensemble des mises en œuvre et en pratique historiques
de la foi – ce qu’on appelle « le donné » de « la tradition », domaine propre
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théologie traite d’une révélation accomplie et à accueillir dans l’histoire, elle
ne peut se dispenser de s’en rapporter à la science historique ; et puisqu’elle
prétend pousser au plus loin l’intelligence de cette foi, il lui faut aussi
fréquenter la discipline appelée philosophie. Mais puisque la foi en cause est
affaire de langage, s’inscrit dans des psychismes, n’existe qu’en référence à
des institutions, se traduit dans des rites, etc., la théologie digne de ce nom doit
de surcroît dialoguer aussi, selon les cas, avec les sciences humaines autres que
l’histoire : linguistique, psychologie, sociologie, ritologie, etc.
Le déploiement de la théologie
Dans ce lieu, qui est donc celui de la foi et de ses expressions, comment
celui qui s’aventure dans une réflexion théologique ainsi comprise est-il
appelé à « se positionner » puis à « procéder » ?
1. La première opération à réaliser sera pour lui de repérer avec précision
sa propre situation. C’est-à-dire : de mettre au jour par quel biais, sous
quelle forme, dans quelle mesure, il est effectivement touché, lui, par la fides
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affronter en toute honnêteté intellectuelle. elles seront nécessairement de
deux ordres.
Il y aura d’un côté les/des questions posées par le fait historico-social-
chrétien lui-même : comment se fait-il qu’il m’atteigne comme il m’atteint ;
pourquoi les discours qu’il véhicule, les expériences qu’il suscite en moi, les
pratiques auxquelles il m’appelle, les regroupements auxquels il me convie,
m’apportent-ils à moi – dans la mesure où ils le font – quelque chose de vital,
voire de décisif, pour mon existence ? sur la lancée viendra vite le moment
où, réfléchissant ainsi, on en arrivera à reconnaître que, puisque Jésus est à
la racine du fait historico-chrétien, il faut bien se demander à quel titre il l’a
été dans le passé et peut le demeurer toujours… s’enclenchera alors toute
la question christologique, qui conduira à s’interroger : déjà, sur la figure
historique de ce Jésus ; ensuite, sur sa fonction aujourd’hui même par
rapport à nos vies et à leur « sens » possible, sur son identité réelle, sur la
nature et les moyens du salut qu’il est censé apporter ; enfin, sur le visage
du Dieu qu’il est venu révéler. – On sera alors face à ce qui constitue
l’objet propre de la foi chrétienne, à savoir le Dieu de Jésus Christ,
l’homme, et leurs rapports.
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l’occasion, on s’intéresserait (plus ou moins) mais sur le destin duquel la
mort aurait définitivement mis le sceau : il est le Christ-Messie ressuscité
et Fils de Dieu par lequel continuent de s’accomplir, à travers les généra-
tions de l’église, la révélation et la présence actives à l’histoire, de « ce que
les hommes nomment Dieu » (thomas d’Aquin). Je serai alors en position
de déployer un discours proprement théologique dans toute son ampleur :
de la foi christologique et théologale à l’espérance eschatologique, en
passant par l’anthropologie et la morale, l’ecclésiologie et la sacramentaire
chrétiennes.
Ou bien au contraire je considérerai que je ne puis aucunement admettre
qu’un homme comme Jésus soit la révélation de Dieu dans l’histoire, ni
même affirmer l’existence de quelque Dieu que ce soit. Alors il ne pourra
y avoir pour moi au mieux qu’une jésulogie, et éventuellement qu’un traite-
ment plus ou moins conséquent de telle ou telle des « choses de la foi » par
les sciences humaines. Je n’entrerai alors aucunement en théologie
chrétienne, puisque je ne serai jamais passé à la décision croyante qui la
rendrait possible.
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fait historico-social-chrétien dans son actualité présente relue à la lumière
d’une positivité elle-même historique qui est celle de Jésus, de tout le
Nouveau testament et de toute la tradition ecclésiale. Cela, en vue de
permettre de prendre personnellement position à son égard. C’est-à-dire de
gérer lucidement et responsablement la manière qu’on a et qu’on aura soi-
même de se reconnaître concerné par lui, de s’y rapporter, d’y adhérer,
d’opérer en lui. Au résultat, ou bien l’on sera plus et mieux chrétien, ou bien
on aura décidé – mais en sachant alors vraiment pourquoi ‒ de prendre ses
distances par rapport à la foi des chrétiens
Me mettre de cette manière à la recherche de Dieu à partir du fait chrétien
et en lui me conduira assurément à me demander dans quelle mesure l’Église
qui se réclame de Jésus lui reste fidèle dans ce qu’elle dit, annonce, fait et
célèbre. Il me reviendra dès lors d’apprécier si et comment cette église
prend de fait en compte les requêtes et les questionnements de mes contem-
porains, que je n’ai aucune envie de quitter. et cela ne manquera pas de me
conduire à me demander quelles transformations sont requises dans l’ordre
et des discours et des pratiques au sein du christianisme d’hier et d’aujour-
d’hui s’il veut gagner en crédibilité aux yeux de ceux qu’il ne touche pas déjà.
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