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QUELLE HISTOIRE DE L'HÔPITAL AUX XXE ET XXIE SIÈCLES ?

Sophie Chauveau

Presses de Sciences Po | « Les Tribunes de la santé »

2011/4 n° 33 | pages 81 à 89
ISSN 1765-8888
DOI 10.3917/seve.033.0081
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dos s ier

Santé et histoire
Quelle histoire de l’hôpital
aux XXe et XXIe siècles ?
Sophie Chauveau

Plutôt que de s’inscrire dans la tradition de


l’histoire des hôpitaux en France, il est proposé
de considérer l’hôpital à la fois comme une
institution et une organisation. Cette grille
d’analyse permet de montrer que l’hôpital a
conservé sa double fonction de lieu de soins et
d’accueil malgré une structure administrative de
plus en plus complexe. De plus, si l’hôpital est
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devenu le lieu d’élection d’une médecine de pointe,
les transformations de l’économie et de la société
au cours du XXe siècle ont obligé à concevoir de
nouvelles règles de gestion des hôpitaux afin que
celui-ci puisse continuer à offrir à tous des soins
de qualité.

1. Imbert J., Les


hôpitaux en France,
L’histoire de l’hôpital en France doit beaucoup à la Société française
PUF, coll. Que sais- d’histoire des hôpitaux (SFHH) et aux travaux de son fondateur, Jean Im-
je ? 1996 (7e éd.) ;
Imbert J. (dir.), bert (1919-1999). Juriste de formation, Jean Imbert s’est en effet intéressé
Histoire des hôpitaux
en France, Privat,
à l’histoire de l’hôpital comme institution et lieu d’assistance pour les plus
1982. démunis, en analysant en particulier les transformations de l’administration
2. Cf. Revue de la de l’hôpital et les mutations de ses fonctions. Plusieurs de ses ouvrages font
société française autorité pour aborder l’histoire de l’hôpital1.
d’histoire des
hôpitaux (www. Ses travaux ont fortement influencé l’histoire des hôpitaux : celle-ci
biusante.
parisdescartes.fr/
s’attache en particulier à l’analyse des formes d’assistance et aux questions
sfhh/revue.htm). d’administration, sans négliger l’histoire des personnels et des populations
3. Steudler hospitalisées ni la diffusion des pratiques médicales ou encore les spécificités
F., L’hôpital en
observation, Armand
locales2. Toutefois, cette histoire peut s’enrichir, pour la période la plus ré-
Colin, 1974. cente, des apports de la sociologie3 et de l’économie de la santé4, et s’ouvrir
4. Benamouzig D., ainsi à l’ensemble des sciences sociales.
La santé au miroir Cette démarche nous semble d’autant plus pertinente si l’on souhaite com-
de l’économie, PUF,
2005. prendre la place de l’hôpital dans nos sociétés et l’attachement des popula-

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5. Peneff J., L’hôpital tions et des professionnels à ces établissements. Mais l’hôpital est aussi un
en urgence, Paris,
Metailié, 1992 ; Les lieu de tensions qui sont la reproduction, plus ou moins fidèle, des tensions
malades des urgences,
Paris, Metailié,
de notre société5. Tout en adoptant le regard du sociologue, du gestionnaire
2000. et de l’historien, il est possible d’insister sur un certain nombre de traits
propres à l’hôpital au XXe siècle.
Ainsi, faire l’histoire de l’hôpital à l’époque contemporaine, c’est souligner
tout d’abord la continuité des missions de l’hôpital, lieu d’accueil de popu-
lations rendues vulnérables par la maladie ou par leur place dans la société
(populations âgées, handicapées, etc.). Ce faisant, l’hôpital devient le miroir
de nos sociétés, en particulier des problèmes ou des défaillances que l’ordre
social ne parvient pas à prendre en charge. L’histoire de l’hôpital permet
ensuite de retracer nombre de conquêtes dans le domaine de la santé : la dif-
fusion de l’asepsie et de l’antisepsie dès la fin du XIXe siècle, la médicalisation
de l’accouchement ou, au cours du XXe siècle, l’épanouissement d’une méde-
cine de pointe. L’histoire de l’hôpital est constitutive de l’histoire du système
de soins : l’hôpital est un agent de propagation des soins, permettant une
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amélioration de l’état de santé des populations. Mais le fonctionnement de
l’hôpital est particulièrement coûteux et souvent critiqué : sa contribution
aux dépenses de santé en France est considérable, ce qui explique que dès les
années 1960 des solutions aient été recherchées pour faire des économies et
rationaliser ses dépenses.
Plutôt que retracer rapidement l’histoire de ces activités et de ces voca-
tions, nous préférons insister sur la double dimension de l’hôpital, à la fois
institution et organisation, et montrer, à partir de ces cadres, comment son
histoire se singularise dans l’histoire de la santé à l’époque contemporaine.
Notre analyse privilégie l’hôpital public, sans ignorer les cas particuliers des
établissements spécialisés ou du secteur privé.
6. Touraine A., Penser l’hôpital comme institution6, c’est envisager en premier lieu un bâ-
La société post-
industrielle, Le Seuil, timent construit au Moyen Âge dans de nombreuses villes et fréquemment
1969, p. 199 et dénommé Hôtel-Dieu : un lieu d’asile ou un hospice, souvent fondé par une
sq. Le propos de
Touraine concerne congrégation religieuse, dont la gestion va incomber de façon croissante aux
l’entreprise, il
est ici appliqué
édiles municipaux. Cette réalité n’a pas disparu lorsque la fonction soignante
à l’hôpital. Voir de l’hôpital s’est affirmée au cours du XIXe siècle jusqu’à devenir sa fonction
également Thuderoz
C., Sociologie des principale et exclusive. L’hôpital continue à s’incarner dans une adminis-
entreprises, La
Découverte, 2005,
tration, dans des bâtiments mais aussi dans une fonction qui, au-delà des
p. 23-26. soins dispensés, participe du contrôle social : on naît et on meurt à l’hôpital.
L’hôpital est également un lieu de rapports de forces entre des soignants et
des soignés, et un endroit où se manifestent des hiérarchies, entre méde-
cins d’une part, et entre le personnel soignant, le personnel administratif et

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le corps médical d’autre part. Mais l’hôpital est aussi une organisation qui
produit des soins et met en œuvre des solutions thérapeutiques, qui prend
en charge des individus malades ou accidentés. Cette activité est organisée
suivant un ensemble de règles et de normes qui touchent à la fois à la défi-
nition des métiers et des professions qui s’exercent à l’hôpital et au respect
de contraintes économiques et financières ainsi que d’exigences relevant de
l’ordre social et de l’éthique. Le fonctionnement de cette organisation est dès
lors révélateur d’une conception de la santé, et en particulier de la tension
qui s’exerce entre la conception d’une santé comme bien de consommation
ou comme bien commun à tous, échappant aux règles du marché.
Notre propos ici ne sera pas de retracer une histoire déjà bien connue dans
ses grandes lignes, qui va du lieu d’accueil au lieu de soins, de l’établissement
géré par les communes au CHU, ni de s’attacher aux mutations des fonc-
tions hospitalières. Nous souhaiterions plutôt mettre en avant les problèmes
spécifiques à l’hôpital en tant qu’institution et organisation. L’institution
hospitalière a subi au cours du XXe siècle des transformations majeures qui
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résultent des transformations de la société, des attentes en matière de soins
et des inflexions des politiques publiques en matière de santé. L’organisation
de l’hôpital a été bouleversée par la modernisation continue de l’offre thé-
rapeutique et l’épanouissement d’une médecine de pointe qui s’appuie sur
des technologies de plus en plus sophistiquées. Ces changements ont rapi-
dement exigé, notamment en raison de leurs coûts pour la collectivité et des
exigences de qualité et de sécurité sanitaire, la recherche et l’élaboration de
méthodes de gestion et de management spécifiques au monde hospitalier.

Une institution

L’institution hospitalière s’incarne à l’origine dans des bâtiments destinés


à recevoir les pauvres et les malades. Cette mission d’assistance a marqué
l’histoire de l’hôpital : au milieu du XIXe siècle encore, alors que s’affirme la
fonction soignante de l’hôpital, la loi de 1851 prévoit que les hôpitaux ac-
cueillent les malades de la commune sans condition de ressources. La loi du
21 décembre 1941 ouvre l’hôpital aux malades payants et accélère sa trans-
formation en établissement de soins. L’hôpital tire désormais l’essentiel de ses
ressources de ses activités de soins, organisées au sein de différents services
et rémunérées par des prix de journée. Le personnel hospitalier bénéficie en
outre d’un statut propre assimilé à la fonction publique. En 1958, la création
des centres hospitalo-universitaires (CHU) fait entrer l’enseignement et la
recherche au sein de l’hôpital tout en permettant aux praticiens de choisir de
pratiquer le plein temps à l’hôpital. Enfin, la loi de 1970 organise un service

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public hospitalier qui s’appuie à la fois sur les hôpitaux et les cliniques pri-
vées. Ces transformations successives de l’hôpital permettent de comprendre
que sa place dans la société a changé ; elles ont aussi imposé une adaptation
de son administration.

L’hôpital dans la société


La place de l’hôpital dans la société relève d’un ensemble de représenta-
tions et de fonctions assignées à cette institution.
Tout d’abord, l’hôpital est perçu comme un lieu où est proposé un service
public. Les soins qui y sont dispensés sont accessibles à tous, et en fonc-
tion de la couverture sociale dont les individus bénéficient il est fréquent
qu’ils ne paient qu’une partie des frais d’hospitalisation. Les populations sont
d’autre part très attachées à leurs hôpitaux, et l’annonce de la fermeture d’un
établissement ou de services au sein d’un hôpital est souvent mal reçue par
les populations qui considèrent qu’elles sont abandonnées. Ces réactions
s’expliquent par les choix politiques en matière d’offre de soins qui ont été
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affirmés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La mise en place de
la sécurité sociale s’accompagnait d’un effort considérable pour offrir à tous
l’accès au plus grand nombre de soins, en particulier grâce à la modernisation
de l’hôpital.
L’effort d’équipement et de création d’infrastructures hospitalières a permis
de préciser les attributions de l’hôpital. Il accueille des populations très hété-
rogènes : individus accidentés (en particulier des accidentés de la route), per-
sonnes atteintes de maladies graves (cancer, maladies chroniques, maladies
dégénératives, etc.), et enfin de très nombreux patients qui viennent consul-
ter des spécialistes à l’hôpital et subir des examens plus approfondis. L’hôpital
accueille également les femmes sur le point d’accoucher ou des personnes
âgées dont l’état général exige des soins constants. L’hôpital est devenu le
lieu où l’on naît et celui où l’on meurt.
Pour autant, la fonction asilaire n’a pas disparu. Certes, l’hôpital n’est plus
un lieu d’enfermement comme l’a décrit Michel Foucault, mais il continue
à accueillir des individus marginalisés par leur état de santé psychique ou
physique. Et l’hôpital est aussi devenu au cours des dernières décennies un
lieu de substitution à la médecine générale ou à la pédiatrie pour des popula-
tions dont le rapport à la maladie et au soin a considérablement changé. Les
7. Peneff J., Les
malades des urgences,
services d’urgences sont devenus le réceptacle des misères sociales et morales,
op.cit. en particulier dans les grandes villes7.
Même si les évolutions récentes ont renforcé la fonction médicale de l’hô-
pital, l’institution hospitalière demeure un miroir des problèmes sociaux à

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un moment donné. Certes, l’hôpital est devenu un lieu d’exercice d’une mé-
decine de spécialité et de haute technologie, mais il reste néanmoins un lieu
d’accueil pour les plus vulnérables. On consulte le spécialiste plus volontiers
à l’hôpital qu’à son cabinet de ville pour des raisons de prix. On y meurt
(on y finit ses jours) dans des services de gériatrie faute de pouvoir accéder à
d’autres formes d’hébergement.
Cette ambivalence de l’hôpital s’ancre dans une histoire longue. L’hôpital
d’aujourd’hui est le lieu où sont réalisées les premières médicales, comme les
greffes du visage. Mais il n’a pas définitivement rompu avec des fonctions
asilaires, qui perdurent, en dépit des réformes organisationnelles, dans les
services d’urgence et de gériatrie.

L’administration de l’hôpital
À partir du milieu du XIXe siècle, la fonction soignante de l’hôpital tend à
8. Frioux S., se différencier de plus en plus nettement de son rôle d’asile. Cette distinction
Fournier P.,
résulte des acquis de la médecine, et en particulier du prestige de l’anatomo-
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Chauveau S.,
Hygiène et santé en pathologie, du développement des activités d’enseignement au sein de l’hô-
Europe de la fin du
XVIIIe siècle aux pital et de la réforme de l’administration. Si les élites locales dominent les
lendemains de la
Première Guerre
commissions administratives des hôpitaux au XIXe siècle, les médecins y sont
mondiale, Sedes, également présents8.
2011, p. 119-138.
Les mutations de l’administration de l’hôpital ont permis de répondre,
plus ou moins efficacement, aux transformations des missions de l’hôpital.
Ces fonctions administratives se sont longtemps exercées à l’échelle locale.
Jusqu’en 1941, les établissements sont gérés par des commissions administra-
tives élues. À partir de 1941, le directeur d’hôpital est nommé par le préfet,
représentant de l’État. Cette intervention de l’État dans la gestion de l’hô-
pital et dans la politique hospitalière ne va cesser de se renforcer. Dès les
années 1950 est mise en place une commission pour l’équipement sanitaire
qui s’occupe du classement des hôpitaux et de la recension des besoins en
équipements.
La diversification des activités de soins à l’hôpital, et en particulier la
création de services spécialisés, puis la création des CHU, s’accompagne à
l’échelle des établissements d’un accroissement considérable des fonctions et
des effectifs administratifs. Dès la Libération, ces cadres administratifs sont
9. L’ENSP est formés à l’École nationale de santé publique (ENSP)9. À l’échelle de la na-
devenue en 2008
l’École des hautes tion, le suivi des besoins en équipements hospitaliers est assuré jusqu’à la fin
études en santé des années 1960 par la direction générale de la santé. Toutefois, l’augmenta-
publique (EHESP).
tion des effectifs de personnel de statut hospitalier, la complexité de ces sta-
tuts et la nécessité d’élaborer une politique hospitalière ambitieuse incitent

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à mettre en place, non sans difficultés, une direction des hôpitaux au début
des années 1970. Celle-ci commence par veiller à la mise en application de
la loi du 31 décembre 1970 qui organise un secteur public hospitalier, dessine
les grandes lignes d’une carte sanitaire et enfin introduit dans l’administra-
tion des établissements l’obligation de constituer une commission médicale
et une commission technique paritaire. La direction des hôpitaux et des soins
ne s’occupe pas seulement de la planification des besoins en équipements
hospitaliers, elle travaille également à la maîtrise des dépenses d’hospitalisa-
tion.
Pour autant, tous les établissements hospitaliers ne se conforment pas à un
modèle unique d’administration. À Strasbourg, à Marseille ou encore à Lyon,
plusieurs établissements hospitaliers sont réunis dans des entités distinctes,
10. Salaün F. (dir.),
Accueillir et soigner,
dénommées « hospices civils », témoins des liens étroits que les villes ont
L’AP-HP, 150 ans entretenu depuis toujours avec leurs hôpitaux. Mais c’est à Paris que l’ex-
d’histoire, Doin
et AP-HP, 1999 ; ception administrative est la plus affirmée, l’Assistance publique-Hôpitaux
Chevandier C., de Paris s’efforçant de préserver sa spécificité administrative et son statut à
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L’hôpital dans la
France du XXe siècle, part10.
Perrin, 2009.
Depuis deux décennies, enfin, un échelon intermédiaire a vu le jour dans
l’administration hospitalière. Les agences régionales d’hospitalisation ont
pour mission d’encourager les collaborations entre les hôpitaux de manière à
optimiser l’offre de soins et à mieux la gérer, dans un contexte de maîtrise des
dépenses de santé.

Une organisation

L’hôpital est une organisation qui dispose d’infrastructures et de moyens


humains et financiers mis en œuvre pour offrir des soins aux populations
dans le respect de plusieurs règles et normes. En effet, cette offre de soins
est soumise à une tarification particulière, élaborée pour permettre un finan-
cement de ces dépenses par la collectivité tout en rémunérant le personnel
hospitalier. L’offre de soins doit également répondre à des exigences de qua-
lité et de sécurité sanitaire. Afin d’être en mesure de répondre à ces exigences
multiples, l’organisation hospitalière est devenue le lieu privilégié d’exercice
d’une médecine de pointe. C’est également à l’hôpital que sont conçues et
mises en application des méthodes de management spécifiques.

Les soins et la médecine de pointe


Dès le début du XIXe siècle, l’hôpital s’est distingué comme le lieu d’exer-
cice d’une médecine de pointe : l’école de Paris se singularise par l’ensei-
gnement de la clinique. Mais c’est véritablement au XXe siècle que l’hôpital

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devient le lieu d’élection d’une médecine spécialisée, mettant en œuvre les
11. Bonah
C., Histoire de techniques les plus complexes et les plus récentes.
l’expérimentation
humaine en France,
Le rôle de l’hôpital dans la recherche médicale est antérieur aux ordon-
Discours et pratiques, nances de 1958 qui consacre sa vocation pour la recherche. Les services
1900-1940, Les
Belles Lettres, 2007. hospitaliers ont offert de tout temps des lieux d’expérimentation et d’obser-
12. Picard J.-F.,
vation pour des techniques médicales ou des thérapeutiques, non sans poser
Mouchet S., La des problèmes d’ordre éthique11. Dans les années 1950 à Paris, l’Association
métamorphose de la
médecine, PUF et Claude-Bernard promeut la recherche à l’hôpital et recommande de trouver
Inserm, 2009, des solutions organisationnelles qui permettent de concilier la recherche et
p. 102 et sq.
les soins12.
En 1958, la création des CHU permet de mieux organiser les activités
de recherche à l’hôpital et de favoriser l’épanouissement d’une médecine
de pointe. La transformation de l’INH en Inserm quelques années plus tard
facilite la constitution de nouvelles unités de recherche, dont plusieurs se
placent très vite parmi les plus renommées en médecine. L’hôpital Necker
se distingue ainsi en néphrologie ainsi que l’hôpital Saint-Louis en hémato-
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logie. Toutefois, l’essor de cette recherche médicale ne doit pas tout à la vo-
lonté publique. Ainsi, au début des années 1980, les premières recherches sur
13. Favereau É., le sida voient le jour à l’hôpital Claude-Bernard où sont accueillis dans un
Nos années sida, service de médecine tropicale les premiers malades, grâce à l’esprit curieux de
Vingt-cinq ans de
guerres intimes, La quelques médecins13.
Découverte, 2006.
L’hôpital accueille également les appareils et dispositifs de diagnostic les
plus complexes et les plus coûteux. La répartition de ces équipements a été
l’un des enjeux de l’élaboration de la carte sanitaire au début des années
1970. Le maintien de ces équipements tout comme l’offre de services spécia-
lisés demeure une des spécificités de l’hôpital, aujourd’hui planifiée par les
agences régionales d’hospitalisation.
Toutefois, l’hôpital ne saurait se résumer à une organisation chargée de
proposer au plus grand nombre une médecine de pointe. L’accueil de malades
âgés, qui constituent désormais près du tiers des populations hospitalisées,
oblige à revoir l’organisation des soins et à remettre en question certains
cadres. Ces populations souffrent en effet d’une multiplicité de maladies qui
ne justifient pas qu’elles soient suivies dans un service particulier et qui re-
quièrent une prise en charge plus globale. D’autre part se pose le problème de
l’accompagnement des malades en fin de vie et du développement d’unités
de soins palliatifs, qui demeurent encore exceptionnelles.

Gérer l’hôpital
À partir des années 1960, l’hôpital est devenu le lieu d’élection d’une mé-

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decine de pointe qui se doit, au nom d’une santé conçue comme un bien
public, d’être accessible à tous. Cela explique en partie les choix opérés en
matière de carte sanitaire. Toutefois, la maîtrise des coûts supplémentaires
engendrés par le développement de soins plus perfectionnés et offerts au plus
grand nombre (IRM, scanners, plateaux techniques en chirurgie, etc.) rend
très rapidement inévitable l’adaptation des règles budgétaires propres à l’hô-
pital. En outre, depuis les années 1960, les effectifs des personnels salariés de
l’hôpital, en particulier les médecins, se sont considérablement accrus.
Des années 1950 au milieu des années 1970, les dépenses totales des hôpi-
taux ont été multipliées par quatre en francs constants. Les hôpitaux sont fi-
nancés par le versement de prix de journée dont le montant est négocié entre
les hôpitaux et leur tutelle. Le prix de journée sert de base pour le rembour-
sement des soins par l’assurance maladie, mais il n’est nullement un outil de
maîtrise des dépenses de l’hôpital. Toutefois, dès le début des années 1970 les
pouvoirs publics se sont inquiétés de la croissance des dépenses d’hospitalisa-
tion et de leur poids dans les dépenses de l’assurance maladie. L’instauration
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d’un taux directeur pour le prix de journée doit permettre de maîtriser la
croissance de ces dépenses. Cela ne suffit pas : au début des années 1980, les
hôpitaux se voient imposer une dototation globale, autrement dit un budget
a priori sans aucune possibilité de correction en cours d’exercice.
Depuis, l’hôpital est devenu un lieu d’expérimentation d’outils de régu-
lation des dépenses de plus en plus sophistiqués, empruntant souvent à des
dispositifs déjà expérimentés outre-Atlantique14. Ces nouvelles règles comp-
14. Moisdon J.-C.,
Tonneau D., La tables prennent en compte les caractéristiques des populations hospitalisées
démarche gestionnaire et imposent aux praticiens de rechercher les solutions thérapeutiques les plus
à l’hôpital, Recherches
sur la gestion interne, rentables. Par ailleurs, la contractualisation des activités au sein des hôpitaux
Seli Arslan, 1999 ;
Van Lerberghe
est encouragée, ainsi qu’une réorganisation des services par activité et non
R.-M., Oui, la pas seulement en fonction des spécialités. Ces nouvelles formes de mana-
réforme est possible !
Quatre années à la gement suscitent chez les praticiens hospitaliers des critiques vigoureuses,
tête des hôpitaux de
Paris, Albin Michel,
comme en témoignent les réactions à la mise en œuvre de la tarification à
2007. l’activité (T2A)15 dans un contexte de réduction des effectifs.
15. Sedel L., Il faut Enfin, l’affirmation des droits des malades et les exigences en matière de
sauver les malades ! qualité et de sécurité des soins ont créé depuis une dizaine d’années des
Chronique optimiste
d’une catastrophe contraintes nouvelles pour la gestion des hôpitaux. Les populations hospi-
annoncée, Albin
Michel, 2011.
talisées ne sont plus seulement des patients mais des usagers d’un service
public, dont ils attendent une qualité de prestations digne d’un service mar-
chand soumis à la concurrence.
L’histoire récente de l’hôpital montre que celui-ci est devenu un lieu d’af-
frontement entre les logiques de marché et celles du service public. Les ré-

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formes successives montrent la volonté de concilier tant bien que mal ces
dynamiques.
Mais l’hôpital n’est pas seulement une institution dominée par les ten-
sions. Au fil du temps, il continue à remplir le rôle de régulateur de l’ordre
social, en conservant notamment une fonction d’accueil des populations
vulnérables. L’hôpital est aussi une organisation complexe qui est parvenue
tant bien que mal à s’adapter aux transformations de l’offre de soins et aux
attentes des patients et des usagers. Enfin et surtout, l’hôpital demeure dans
nos sociétés l’un des derniers lieux où les individus sont confrontés aux li-
mites de la condition humaine : c’est sans doute l’un des derniers endroits où
l’on affronte et l’on pense les fins de vie.

contact
sophie.chauveau@wanadoo.fr

Sophie Chauveau est actuellement professeure d’histoire des sciences


et des techniques à l’Université technologique de Belfort-Montbéliard
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(UTBM). Spécialiste de l’histoire de la santé en France au cours du second
XXe siècle, elle vient de publier L’affaire du sang contaminé (1983-2003)
(Les Belles Lettres, 2011).

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