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Sophie Chauveau
2011/4 n° 33 | pages 81 à 89
ISSN 1765-8888
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2011-4-page-81.htm
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Santé et histoire
Quelle histoire de l’hôpital
aux XXe et XXIe siècles ?
Sophie Chauveau
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doss ier Santé et histoire
5. Peneff J., L’hôpital tions et des professionnels à ces établissements. Mais l’hôpital est aussi un
en urgence, Paris,
Metailié, 1992 ; Les lieu de tensions qui sont la reproduction, plus ou moins fidèle, des tensions
malades des urgences,
Paris, Metailié,
de notre société5. Tout en adoptant le regard du sociologue, du gestionnaire
2000. et de l’historien, il est possible d’insister sur un certain nombre de traits
propres à l’hôpital au XXe siècle.
Ainsi, faire l’histoire de l’hôpital à l’époque contemporaine, c’est souligner
tout d’abord la continuité des missions de l’hôpital, lieu d’accueil de popu-
lations rendues vulnérables par la maladie ou par leur place dans la société
(populations âgées, handicapées, etc.). Ce faisant, l’hôpital devient le miroir
de nos sociétés, en particulier des problèmes ou des défaillances que l’ordre
social ne parvient pas à prendre en charge. L’histoire de l’hôpital permet
ensuite de retracer nombre de conquêtes dans le domaine de la santé : la dif-
fusion de l’asepsie et de l’antisepsie dès la fin du XIXe siècle, la médicalisation
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Quelle histoire de l’hôpital aux XXe et XXIe siècles ? dos s ier
le corps médical d’autre part. Mais l’hôpital est aussi une organisation qui
produit des soins et met en œuvre des solutions thérapeutiques, qui prend
en charge des individus malades ou accidentés. Cette activité est organisée
suivant un ensemble de règles et de normes qui touchent à la fois à la défi-
nition des métiers et des professions qui s’exercent à l’hôpital et au respect
de contraintes économiques et financières ainsi que d’exigences relevant de
l’ordre social et de l’éthique. Le fonctionnement de cette organisation est dès
lors révélateur d’une conception de la santé, et en particulier de la tension
qui s’exerce entre la conception d’une santé comme bien de consommation
ou comme bien commun à tous, échappant aux règles du marché.
Notre propos ici ne sera pas de retracer une histoire déjà bien connue dans
ses grandes lignes, qui va du lieu d’accueil au lieu de soins, de l’établissement
géré par les communes au CHU, ni de s’attacher aux mutations des fonc-
Une institution
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doss ier Santé et histoire
public hospitalier qui s’appuie à la fois sur les hôpitaux et les cliniques pri-
vées. Ces transformations successives de l’hôpital permettent de comprendre
que sa place dans la société a changé ; elles ont aussi imposé une adaptation
de son administration.
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Quelle histoire de l’hôpital aux XXe et XXIe siècles ? dos s ier
un moment donné. Certes, l’hôpital est devenu un lieu d’exercice d’une mé-
decine de spécialité et de haute technologie, mais il reste néanmoins un lieu
d’accueil pour les plus vulnérables. On consulte le spécialiste plus volontiers
à l’hôpital qu’à son cabinet de ville pour des raisons de prix. On y meurt
(on y finit ses jours) dans des services de gériatrie faute de pouvoir accéder à
d’autres formes d’hébergement.
Cette ambivalence de l’hôpital s’ancre dans une histoire longue. L’hôpital
d’aujourd’hui est le lieu où sont réalisées les premières médicales, comme les
greffes du visage. Mais il n’a pas définitivement rompu avec des fonctions
asilaires, qui perdurent, en dépit des réformes organisationnelles, dans les
services d’urgence et de gériatrie.
L’administration de l’hôpital
Europe de la fin du
XVIIIe siècle aux pital et de la réforme de l’administration. Si les élites locales dominent les
lendemains de la
Première Guerre
commissions administratives des hôpitaux au XIXe siècle, les médecins y sont
mondiale, Sedes, également présents8.
2011, p. 119-138.
Les mutations de l’administration de l’hôpital ont permis de répondre,
plus ou moins efficacement, aux transformations des missions de l’hôpital.
Ces fonctions administratives se sont longtemps exercées à l’échelle locale.
Jusqu’en 1941, les établissements sont gérés par des commissions administra-
tives élues. À partir de 1941, le directeur d’hôpital est nommé par le préfet,
représentant de l’État. Cette intervention de l’État dans la gestion de l’hô-
pital et dans la politique hospitalière ne va cesser de se renforcer. Dès les
années 1950 est mise en place une commission pour l’équipement sanitaire
qui s’occupe du classement des hôpitaux et de la recension des besoins en
équipements.
La diversification des activités de soins à l’hôpital, et en particulier la
création de services spécialisés, puis la création des CHU, s’accompagne à
l’échelle des établissements d’un accroissement considérable des fonctions et
des effectifs administratifs. Dès la Libération, ces cadres administratifs sont
9. L’ENSP est formés à l’École nationale de santé publique (ENSP)9. À l’échelle de la na-
devenue en 2008
l’École des hautes tion, le suivi des besoins en équipements hospitaliers est assuré jusqu’à la fin
études en santé des années 1960 par la direction générale de la santé. Toutefois, l’augmenta-
publique (EHESP).
tion des effectifs de personnel de statut hospitalier, la complexité de ces sta-
tuts et la nécessité d’élaborer une politique hospitalière ambitieuse incitent
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doss ier Santé et histoire
à mettre en place, non sans difficultés, une direction des hôpitaux au début
des années 1970. Celle-ci commence par veiller à la mise en application de
la loi du 31 décembre 1970 qui organise un secteur public hospitalier, dessine
les grandes lignes d’une carte sanitaire et enfin introduit dans l’administra-
tion des établissements l’obligation de constituer une commission médicale
et une commission technique paritaire. La direction des hôpitaux et des soins
ne s’occupe pas seulement de la planification des besoins en équipements
hospitaliers, elle travaille également à la maîtrise des dépenses d’hospitalisa-
tion.
Pour autant, tous les établissements hospitaliers ne se conforment pas à un
modèle unique d’administration. À Strasbourg, à Marseille ou encore à Lyon,
plusieurs établissements hospitaliers sont réunis dans des entités distinctes,
10. Salaün F. (dir.),
dénommées « hospices civils », témoins des liens étroits que les villes ont
Une organisation
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Quelle histoire de l’hôpital aux XXe et XXIe siècles ? dos s ier
devient le lieu d’élection d’une médecine spécialisée, mettant en œuvre les
11. Bonah
C., Histoire de techniques les plus complexes et les plus récentes.
l’expérimentation
humaine en France,
Le rôle de l’hôpital dans la recherche médicale est antérieur aux ordon-
Discours et pratiques, nances de 1958 qui consacre sa vocation pour la recherche. Les services
1900-1940, Les
Belles Lettres, 2007. hospitaliers ont offert de tout temps des lieux d’expérimentation et d’obser-
12. Picard J.-F.,
vation pour des techniques médicales ou des thérapeutiques, non sans poser
Mouchet S., La des problèmes d’ordre éthique11. Dans les années 1950 à Paris, l’Association
métamorphose de la
médecine, PUF et Claude-Bernard promeut la recherche à l’hôpital et recommande de trouver
Inserm, 2009, des solutions organisationnelles qui permettent de concilier la recherche et
p. 102 et sq.
les soins12.
En 1958, la création des CHU permet de mieux organiser les activités
de recherche à l’hôpital et de favoriser l’épanouissement d’une médecine
de pointe. La transformation de l’INH en Inserm quelques années plus tard
lonté publique. Ainsi, au début des années 1980, les premières recherches sur
13. Favereau É., le sida voient le jour à l’hôpital Claude-Bernard où sont accueillis dans un
Nos années sida, service de médecine tropicale les premiers malades, grâce à l’esprit curieux de
Vingt-cinq ans de
guerres intimes, La quelques médecins13.
Découverte, 2006.
L’hôpital accueille également les appareils et dispositifs de diagnostic les
plus complexes et les plus coûteux. La répartition de ces équipements a été
l’un des enjeux de l’élaboration de la carte sanitaire au début des années
1970. Le maintien de ces équipements tout comme l’offre de services spécia-
lisés demeure une des spécificités de l’hôpital, aujourd’hui planifiée par les
agences régionales d’hospitalisation.
Toutefois, l’hôpital ne saurait se résumer à une organisation chargée de
proposer au plus grand nombre une médecine de pointe. L’accueil de malades
âgés, qui constituent désormais près du tiers des populations hospitalisées,
oblige à revoir l’organisation des soins et à remettre en question certains
cadres. Ces populations souffrent en effet d’une multiplicité de maladies qui
ne justifient pas qu’elles soient suivies dans un service particulier et qui re-
quièrent une prise en charge plus globale. D’autre part se pose le problème de
l’accompagnement des malades en fin de vie et du développement d’unités
de soins palliatifs, qui demeurent encore exceptionnelles.
Gérer l’hôpital
À partir des années 1960, l’hôpital est devenu le lieu d’élection d’une mé-
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doss ier Santé et histoire
decine de pointe qui se doit, au nom d’une santé conçue comme un bien
public, d’être accessible à tous. Cela explique en partie les choix opérés en
matière de carte sanitaire. Toutefois, la maîtrise des coûts supplémentaires
engendrés par le développement de soins plus perfectionnés et offerts au plus
grand nombre (IRM, scanners, plateaux techniques en chirurgie, etc.) rend
très rapidement inévitable l’adaptation des règles budgétaires propres à l’hô-
pital. En outre, depuis les années 1960, les effectifs des personnels salariés de
l’hôpital, en particulier les médecins, se sont considérablement accrus.
Des années 1950 au milieu des années 1970, les dépenses totales des hôpi-
taux ont été multipliées par quatre en francs constants. Les hôpitaux sont fi-
nancés par le versement de prix de journée dont le montant est négocié entre
les hôpitaux et leur tutelle. Le prix de journée sert de base pour le rembour-
sement des soins par l’assurance maladie, mais il n’est nullement un outil de
croissance de ces dépenses. Cela ne suffit pas : au début des années 1980, les
hôpitaux se voient imposer une dototation globale, autrement dit un budget
a priori sans aucune possibilité de correction en cours d’exercice.
Depuis, l’hôpital est devenu un lieu d’expérimentation d’outils de régu-
lation des dépenses de plus en plus sophistiqués, empruntant souvent à des
dispositifs déjà expérimentés outre-Atlantique14. Ces nouvelles règles comp-
14. Moisdon J.-C.,
Tonneau D., La tables prennent en compte les caractéristiques des populations hospitalisées
démarche gestionnaire et imposent aux praticiens de rechercher les solutions thérapeutiques les plus
à l’hôpital, Recherches
sur la gestion interne, rentables. Par ailleurs, la contractualisation des activités au sein des hôpitaux
Seli Arslan, 1999 ;
Van Lerberghe
est encouragée, ainsi qu’une réorganisation des services par activité et non
R.-M., Oui, la pas seulement en fonction des spécialités. Ces nouvelles formes de mana-
réforme est possible !
Quatre années à la gement suscitent chez les praticiens hospitaliers des critiques vigoureuses,
tête des hôpitaux de
Paris, Albin Michel,
comme en témoignent les réactions à la mise en œuvre de la tarification à
2007. l’activité (T2A)15 dans un contexte de réduction des effectifs.
15. Sedel L., Il faut Enfin, l’affirmation des droits des malades et les exigences en matière de
sauver les malades ! qualité et de sécurité des soins ont créé depuis une dizaine d’années des
Chronique optimiste
d’une catastrophe contraintes nouvelles pour la gestion des hôpitaux. Les populations hospi-
annoncée, Albin
Michel, 2011.
talisées ne sont plus seulement des patients mais des usagers d’un service
public, dont ils attendent une qualité de prestations digne d’un service mar-
chand soumis à la concurrence.
L’histoire récente de l’hôpital montre que celui-ci est devenu un lieu d’af-
frontement entre les logiques de marché et celles du service public. Les ré-
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Quelle histoire de l’hôpital aux XXe et XXIe siècles ? dos s ier
formes successives montrent la volonté de concilier tant bien que mal ces
dynamiques.
Mais l’hôpital n’est pas seulement une institution dominée par les ten-
sions. Au fil du temps, il continue à remplir le rôle de régulateur de l’ordre
social, en conservant notamment une fonction d’accueil des populations
vulnérables. L’hôpital est aussi une organisation complexe qui est parvenue
tant bien que mal à s’adapter aux transformations de l’offre de soins et aux
attentes des patients et des usagers. Enfin et surtout, l’hôpital demeure dans
nos sociétés l’un des derniers lieux où les individus sont confrontés aux li-
mites de la condition humaine : c’est sans doute l’un des derniers endroits où
l’on affronte et l’on pense les fins de vie.
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