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© Unité de Recherche CONFLUENCE : Sciences et Humanités [EA 1598] - UCLy | Téléchargé le 04/01/2024 sur www.cairn.info via Université Catholique de Lyon (IP: 91.231.228.218)
Emmanuel d’Hombres, Riccardo Rezzesi
Dans Revue CONFLUENCE : Sciences & Humanités 2023/1 (N° 3), pages 11 à 21
Éditions Unité de Recherche CONFLUENCE : Sciences et Humanités [EA 1598] -
UCLy
ISSN 2826-4029
DOI 10.3917/confl.003.0011
Distribution électronique Cairn.info pour Unité de Recherche CONFLUENCE : Sciences et Humanités [EA 1598] - UCLy.
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R E V U E C O N F L U E N C E S C I E N C E S & H U M A N I T É S - NEMMANUEL
° 3 - AV R I LD'HOMBRES,
2 0 2 3 - P AGRICCARDO
E S 1 1 / 2 6 REZZESI 11
Introduction
Le travail : entre agir et pâtir
Emmanuel d’HOMBRES
UR CONFLUENCE : Sciences et Humanités [EA 1598]
UCLy, Lyon, France
Riccardo REZZESI1
UCLy, Lyon, France
Résumé
Tout au long de l’histoire de la pensée, du fond de l’âge grec, depuis Hésiode et
au-delà, comme dans la tradition biblique, nous retrouvons trace de l’ambivalence
du travail, bipolarité inscrite au cœur même de l’expérience laborieuse. Le travail
est une activité tantôt rangée du côté de l’action, voire de la création, dans ce que
ces registres contiennent d’éminemment positif pour l’être humain, tantôt du côté
de l’infortune et de la nécessité, nous rappelant à notre finitude ; tantôt considérée
comme une punition, une calamité, un malheur, accidentel ou principiel, tantôt
comme un moyen de salut, de libération, d’accès à la sphère éthique et à la
reconnaissance, à la vie plénière de l’être. Par-delà leur diversité d’approche et de
terrain, les études réunies dans ce numéro se retrouvent dans l’exigence d’honorer
la bipolarité de l’agir et du pâtir qui caractérise la question (les questions) du
travail. C’est à l’analyse de cette bipolarité, ou ambivalence, de l’expérience
laborieuse que nous avons consacré cette introduction, en interrogeant, en même
temps, la « place » (sens, valeur, réaffirmation ou perte de sa centralité) que le
travail occupe dans nos sociétés.
Discipline : PHILOSOPHIE
Mots-clés : TRAVAIL, AGIR, PÂTIR, AMBIVALENCE, HUMANISME
1 - Ce travail a été réalisé dans le cadre d'un post-doctorat au sein de la Chaire d'Université Vulnérabilités
de l'UCLy.
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12 DOSSIER - INTRODUCTION
D
’Aristote à Marx, de la Grèce antique à nos jours, le travail s’est
imposé comme un thème récurrent de l’histoire de la pensée
(Vatin, 2008 ; Fischbach et al., 2022). Qu’il s’agisse d’interroger
son rôle dans la genèse ou la consolidation du lien social ou
dans la définition de l’identité individuelle, qu’il s’agisse de
lui reconnaître une rationalité strictement fonctionnelle et instrumentale
ou d’inclure dans sa compréhension d’autres fins, par exemple, éthique et
politique (Habermas, 1999) ; de l’envisager comme répondant à des nécessités
biologiques ou à des motifs qui dépassent l’intérêt individuel (Dejour, 2009 ;
Vatin, 2014) ; que l’on décide de lui accorder une place prééminente ou
marginale dans la structuration des différents collectifs, de la famille à l’État,
en passant par l’entreprise et la société civile (Hegel, 1817 ; Hughes, 1958),
composant la société, ou encore de lui attribuer ou non un statut privilégié en
tant que voie d’accès au domaine métaphysique ou à la vie spirituelle (Weil,
1943), les controverses n’ont cessé, en Occident tout du moins, concernant
l’extension, la compréhension et la portée du travail, assurément « sujet de
réflexion majeur » (Fischbach et al., 2022, pp. 10-12), véritable topique du
débat intellectuel et public.
Les études rassemblées dans ce numéro s’inscrivent dans cette longue
généalogie réflexive en puisant dans les différentes traditions disciplinaires
des sciences sociales (économie, psychologie, sciences de gestion, droit), de la
philosophie et de la théologie, les ressources permettant d’éclairer différents
aspects de cette expérience et institution fondamentale qu’est le travail humain
dans toute l’amplitude de sa phénoménalité, c’est-à-dire non seulement de
son « essence » (le travail en soi), mais aussi à partir des conditions effectives
et concrètes de sa réalisation, à la lumière de contextes modernes ou plus
anciens. Si certains articles s’en tiennent à une approche empirique et
descriptive conforme aux canons méthodologiques disciplinaires, d’autres
assument volontiers une posture normative et critique, amenant leurs auteurs
à diagnostiquer des dysfonctionnements de l’expérience laborieuse en lien
avec certains contextes institutionnels, à poser des jugements sur l’évolution
passée, présente ou à venir du travail, voire à avancer des propositions de
transformation comme autant de remèdes ou de thérapeutiques face à ce qui
s’apparente à une pathologie du travail. Mais par-delà leur diversité d’approche
et de terrain, les études réunies conjuguent toutes le même souci d’honorer la
bipolarité de l’agir et du pâtir inscrite selon nous au cœur de la problématique
du travail. C’est à approfondir l’analyse de cette bipolarité que nous voudrions
à présent consacrer les lignes qui vont suivre à l’abord de ce numéro.
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2 - « Soli omnium otiosi sunt qui sapientiae vacant, soli vivunt » (les seuls hommes qui aient du loisir sont
ceux qui se reposent dans la sagesse, seuls ils vivent) (Sénèque, 1989 : chapitre XIV).
3 - Rappelons que pour Locke, chaque homme « a un droit particulier sur sa propre personne, sur
laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous
le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu’il a tiré de l’état de nature, par sa peine et son industrie,
appartient à lui seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule,
personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s’il reste
aux autres assez de semblables et d’aussi bonnes choses communes » (1999 [1690], II, § 27).
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4 - Il est notable qu’une partie des critiques adressées au travail se concentrent, en réalité, moins sur
le travail en soi, sur le fait de travailler, que sur les conditions effectives dans lesquelles le travail est
exercé, ce qui ouvre droit à une reconquête du sens bien plutôt qu’à une volonté de dépassement. Dans
cette hypothèse, nous serions confrontés aujourd’hui moins à une éclipse du travail humain censée être
bientôt surmontée ou dépassée par la prochaine vague d’avancement technologique, qu’à une crise de sens
alimentée par la fragilisation de ses modalités d’exercice (Clot, 1995), voire à une perte de sens, nourrie
par un sentiment d’inutilité associé à un certain travail, un travail n’ayant pas un impact réel sur la société
(Graeber, 2018).
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et Dylan Michot, aux formes d’articulation les plus dialectiques, les moins
disjonctives (conduisant par exemple à penser le travail comme une modalité
indissociablement « active-passive », comme en psychanalyse on parle du travail
de la peine ou du travail du deuil), instaurant des zones grises de transition où
se retrouvent la grande majorité des travaux humains.
2) un agir et un pâtir dans le rapport au travail, selon que la relation entre
ces affects fondamentaux et le travail est assimilée à un rapport intrinsèque et
catégorique (comme dans la notion de « travail ramifié » du philosophe Joseph
Vialatoux (1953), selon lequel le travail est source en tant que telle d’« agir
social », de solidarité, quel que soit l’environnement institutionnel où il s’inscrit),
ou bien à un rapport plus ou moins extrinsèque, accidentel et hypothétique
(notamment dans la sociologie institutionnaliste néo-durkheimienne, attentive
à replacer les jugements bons ou mauvais sur le travail au sein d’un contexte
culturel et historique qui les conditionne). Poursuivant cette ligne, on peut
être amené à complexifier et subdiviser le clivage, par exemple à valoriser
des formes de travail reconnues cependant comme pénibles (travail agricole
chez les anciens par exemple, dans la mesure où il est le fait d’indépendants ;
travail ouvrier chez les modernes, dans la mesure où il est attaché à un statut
salarial) et à dévaloriser des formes de travail pourtant jouissives ou en tout
cas moins pénibles et davantage rémunératrices (le commerce chez les anciens
par exemple).
3) un agir et un pâtir du travail versus des travaux, selon que l’on envisage
l’activité de travail dans une perspective unitaire et monolithique, consistant
à voir cette dernière comme une pratique fondamentalement clivée au plan
axiologique (rapprochant ainsi le travail d’autres activités, tel le sport), par-
delà la pluralité de ses expressions (Vernant, 1965 ; Finley, 1984), ou que l’on
adopte une approche nominaliste et pluraliste consistant à apprécier et à classer
les différents métiers ou travaux à l’aune de ce double critère de l’agir et du
pâtir. Le curseur de l’actif et du passif, ou pour parler en termes utilitaristes, de
la peine et du plaisir dans le travail, pouvant alors révéler des écarts importants,
au point de nous interroger sur l’idée même d’une catégorie générale et unifiée
de travail.
4) Un agir du pâtir du travail, pour autant que le pâtir ne se réduit pas
nécessairement à une pure passivité ou négativité, qu’une opérativité ou une
positivité propre au pâtir est pensable et justifiable, qu’on peut défendre l’idée
d’un travail de la peine s’effectuant pour le bien du sujet dans différentes
situations de l’existence (travail, emprisonnement, maladie). Cette approche,
défendue aujourd’hui par certaines écoles de criminologie et de psychanalyse
(Garapon, 2001 ; Salas, 2005), conduit à rapprocher la peine du travailleur de la
peine du criminel, de celles du malade ou de l’homme pécheur ; elle convoque
un modèle thérapeutique d’inspiration à la fois platonicienne (République, I)
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18 DOSSIER - INTRODUCTION
Contexte du projet
Certaines des contributions ici rassemblées ont fait l’objet d’une première
élaboration lors d’une journée d’étude franco-italienne de philosophie
économique tenue à l’Université catholique de Lyon le 7 janvier 2021 dans
le cadre des travaux de l’IHRC (International Human Being Research Center),
fruit d’un partenariat de recherche entre l’Università degli Studi di Perugia,
l’Université Catholique de Lyon, la Pontifícia Universidade Católica do Rio
de Janeiro et l’Istituto Universitario Sophia di Loppiano. L’évènement,
organisé par l’Unité de Recherche CONFLUENCE : Sciences et Humanités
de l’Université catholique de Lyon, associait des chercheurs français et
italiens issus de différentes universités (IUS, UNIPG, UCLy). S’adressant
à des philosophes et à des économistes en premier lieu, mais ouverte
également aux sociologues, aux psychologues et aux théologiens intéressés
par la problématique du travail, cette journée d’étude articulait des approches
« terrain » et des approches plus théoriques et spéculatives sur la question du
travail et de sa dualité fondamentale. Ce sont ces dernières, quatre au total,
trois écrites par des philosophes (Massimiliano Marianelli, Serena Meattini,
Emmanuel Gabellieri), une par un économiste (Giuseppe Argiolas), qui ont
été finalement retenues au terme du processus de sélection dans le présent
numéro, les auteurs susnommés ayant accepté de conformer leurs études aux
règles éditoriales et aux exigences scientifiques de la Revue CONFLUENCE
Sciences & Humanités. Nous les remercions de leurs engagements.
D’autres contributeurs non issus de l’équipe initiale, théologien, juriste
psychologue, sont venus ensuite s’associer au projet. Intéressés de quelque
manière par le sujet, ils ont répondu à l’appel à proposition de numéro
thématique et soumis une proposition qui a été finalement retenue. Leurs
apports ont permis d’enrichir les points de vue, de multiplier les approches, de
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découvrir de nouveaux terrains. Ils ont été décisifs pour que se réalise ce projet
éditorial. Que ces auteurs soient également remerciés.
Arrivés au terme de cette introduction, nous voudrions pour finir dire quelques
mots sur chacune des contributions du présent numéro, en incluant dans le
panel l’entretien avec Pierre-Yves Gomez. Il ne s’agit pas de proposer des
résumés – ils feraient doublons avec ceux des auteurs, lesquels se sont fort
bien acquittés de cette tâche, et souffriraient sans doute de la comparaison avec
ces derniers –, mais de souligner succinctement la façon dont ces études font,
chacune à leur manière, jouer (raisonner ?) cette ambivalence de l’agir et du
pâtir dans les analyses qu’elles développent sur le travail.
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22 DOSSIER - INTRODUCTION
6 - Dans le sillage de l’humanisme civil italien, l’économie civile est une école de pensée économique
qui plonge ses racines dans l’œuvre d’Antonio Genovesi (1712-1769), dont les Lezioni di economia civile
(Genovesi, 2013 [1765]) inscrivent le marché (affaire de fides, régie par le principe de réciprocité et
d’entraide) au sein de la société civile. À l’encontre de la philosophie individualiste qui préside la naissance
de la Political Economy, les économistes civils soulignent le sens (télos) relationnel de l’économie, pensant
ensemble ce que la pensée libérale à tendance à séparer, à savoir la politique, l’économie et l’éthique.
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elle est animée, de manière plus ou moins explicite, par une anthropologie
personnaliste. Nous ajoutons : par une intelligence de la relation, à laquelle
souscriraient certainement les « partisans » de l’économie civile. Profondément
influencé par la pensée de Simone Weil (qu’il fait traduire en italien), Olivetti
se fait porteur d’un nouvel humanisme du travail, incarné par l’organisation
de l’usine d’Ivrée, véritable site d’expérimentation, où l’entrepreneur veut bâtir
une « communauté concrète » (voir infra) : démocratique, décentralisée, au
service de l’épanouissement des travailleurs. Comme l’art et la science, et
contrairement à la philosophie de Hannah Arendt, le travail est, pour Olivetti,
une médiation, un metaxy (selon les termes de Platon), un pont entre l’esprit
et la matière, orienté éminemment vers un au-delà qui en constitue le sens ;
il est à la fois expérience de liberté et de communion, source de création
collective et de réalisation personnelle, et principe de communauté. Dans
la partie finale de sa contribution, Serena Meattini souligne, non pas tant
l’actualité de l’humanisme d’Olivetti que sa postérité, relevée par le lien entre
le monde de l’art, l’expérience du travail et le projet entrepreneurial.
La contribution suivante est celle du juriste et ethnologue Didier Prince-
Agbodjan. L’auteur développe un concept original et suggestif pour notre
thème, celui de « risque pâtissant de l’agir laborieux » (voir infra). Plus que
toute autre, le travail est une « activité à caractère pâtissant » (voir infra), d’où la
nécessité de protéger celui qui l’exerce (droit au travail) et symétriquement, de
lui laisser le libre choix de son travail (liberté du travail). Réaliser ces conditions
suppose donc un droit et des institutions ad hoc. L’auteur rappelle à cet effet les
grands textes législatifs et constitutionnels qui, depuis plus de deux siècles, ont
institué un droit au travail en France, et les institutions qui historiquement s’y
rattachent : des Ateliers nationaux de la Révolution à l’OIT aujourd’hui. Didier
Prince-Agbodjan revient aussi sur ce vieux dilemme juridico-philosophique
entre droit au travail et droit du travail (Supiot, 1994), et sur le clivage institué
par le droit au travail en voie de constitutionnalisation entre les pauvres valides
(aptes au travail) et les pauvres invalides, seuls éligibles au secours (Castel,
1995). Il soutient la thèse polémique d’un effacement maximal, quoique non
absolu (sauf à revenir au « travail forcé ou obligatoire ») du dilemme, jugeant
que le droit au travail est déjà dès l’origine un droit des conditions de travail
(durée, rémunérations, conditions d’hygiène et de sécurité font partie de ce
dont il traite), tout en soulignant symétriquement la subordination de la
liberté de choix à l’existence d’institutions effectives garantissant une allocation
de ressources. Il s’agit toujours, au fond, de reconnaître « un lien entre ces
conditions macrosociales et politiques et l’effectivité d’un agir laborieux
jugulant le risque pâtissant » (voir infra). Illustration intéressante : le concept
de liberté forgé par Amartya Sen à partir de sa capability approach, exemple
même d’une notion incluant les deux dimensions de l’agir et de la protection
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