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Le débat sur les institutions culturelles et scientifiques

fédérales : une étude de l’Académie flamande


Étude rédigée à la demande de l’Académie royale flamande de Belgique des Sciences et des Arts d’
Els Witte
Dans Courrier hebdomadaire du CRISP 2015/39 (n° 2284-2285), pages 5 à 54
Éditions CRISP
ISSN 0008-9664
DOI 10.3917/cris.2284.0005
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Courrier hebdomadaire
n° 2284-2285 • 2015

Le débat sur les institutions


culturelles et scientifiques fédérales :
une étude de l’Académie flamande

Étude d’Els Witte


rédigée à la demande
de l’Académie royale
flamande de Belgique
des Sciences et des Arts
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Courrier hebdomadaire
Rédacteur en chef : Cédric Istasse
Assistante éditoriale : Fanny Giltaire
Le Courrier hebdomadaire répond à un cahier des charges méthodologique défini
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Il bénéficie des remarques et suggestions faites par l’équipe de recherche du CRISP
et par des spécialistes bénévoles choisis en fonction des sujets traités.
Le Courrier hebdomadaire est soutenu par l’Administration générale de l’Enseignement
et de la Recherche scientifique de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il est également
publié avec l’aide financière du Fonds de la recherche scientifique–FNRS.
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y compris la photographie et le microfilm, réservés pour tous pays.
ISSN 0008 9664
TABLE DES MATIÈRES

PRÉSENTATION 5

INTRODUCTION 7

1. QUELQUES DONNÉES CONTEXTUELLES 9


1.1. Un modèle complexe 9
1.2. Les institutions et leur fonctionnement 11
1.3. Aspects politiques 13

2. DES ANTÉCÉDENTS CONFLICTUELS 17


2.1. Le plan de réorganisation de BELSPO 17
2.2. Les plans au sein du pôle Art 20

3. LA POLITIQUE DE RECONFIGURATION DU GOUVERNEMENT MICHEL 25


3.1. Économies et tours de vis 26
3.2. Le débat dans le monde culturel 28
3.3. Le débat dans les institutions scientifiques 30
3.4. Réactions dans les cercles gouvernementaux 32

4. POINTS DE FRICTION 35
4.1. Fédéral, communautaire ou régional ? 35
4.2. Des institutions autonomes ? 37
4.3. Collaboration avec les Communautés et les Régions 38
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5. QUELQUES POINTS DE VUE 43

ANNEXE 47
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PRÉSENTATION

La présente livraison du Courrier hebdomadaire est quelque peu atypique puisqu’elle


constitue la traduction d’une étude parue en néerlandais. L’intérêt de celle-ci a poussé
le CRISP à la porter à la connaissance du public francophone.
Dans sa série « Standpunten », la Koninklijke Vlaamse Academie van België voor
Wetenschappen en Kunsten (KVAB, Académie royale flamande de Belgique des Sciences
et des Arts) publie des études réalisées par certains de ses membres ou de ses groupes
de travail sur des thèmes actuels liés à la société ou aux arts. Ces études sont approuvées
pour publication par une ou plusieurs classes de la KVAB. Les auteurs traitent les thèmes
de façon scientifique, dans une totale liberté académique, et écrivent en leur propre nom.
Avec cette série, la KVAB souhaite contribuer au débat social, sans pour autant prendre
position en tant qu’organisation.
En 2015, la Klasse van de Menswetenschappen (Classe des Sciences humaines) de la KVAB
a pris l’initiative d’analyser le débat relatif aux institutions culturelles et scientifiques
fédérales mené au niveau du gouvernement fédéral, ainsi que dans diverses assemblées
parlementaires du pays et dans les médias. Il s’agit en effet d’un thème bénéficiant d’une
grande attention dans les cercles académiques. Il a alors été demandé à l’historienne
Els Witte de se charger de cette tâche. Membre de cette Classe depuis 1988, E. Witte
a publié de nombreux travaux sur la politique belge et bruxelloise contemporaine et,
en tant que rectrice honoraire de la Vrije Universiteit Brussel (VUB), est familiarisée avec
le monde scientifique. Sa contribution a été approuvée pour publication par la KVAB,
après avoir été soumise à une relecture par les pairs (peer review) et débattue au sein de
la Klasse van de Menswetenschappen *.
L’auteure a fondé son étude sur la littérature et diverses sources, telles que les comptes
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rendus des différents débats parlementaires, des articles de presse émanant de médias
tant néerlandophones que francophones et des documents administratifs internes.
Elle lui a donné la structure suivante. Tout d’abord, elle évoque la place spécifique des
institutions culturelles et scientifiques fédérales dans le modèle fédéral belge et les
problèmes qui en découlent. Ensuite, elle analyse les plans de réorganisation proposés
par la direction du département de la Politique scientifique fédérale et par le directeur
du pôle Art, projets qui ont engendré de nombreuses réactions dans le monde politique
et dans les milieux culturels et scientifiques. Cette synthèse est utile, dans la mesure
où ce débat est en partie à l’origine de la politique menée dans ce domaine par le
gouvernement fédéral Michel (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) et, plus précisément, par
sa secrétaire d’État à la Politique scientifique, Elke Sleurs (N-VA). Les réactions suscitées
par les plans du gouvernement Michel dans les secteurs concernés sont ensuite examinées.
Elles permettent de recenser une série de points de friction, sur lesquels l’auteure se penche
en guise de conclusion. L’étude a été clôturée en juillet 2015.

CH 2284-2285
6 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Outre l’importance du sujet traité, ce sont aussi les débats qu’il a déjà commencé à
susciter qui ont poussé le CRISP à publier en langue française l’étude réalisée par E. Witte
pour la KVAB.
Par ailleurs, le 11 décembre 2015, la KVAB a présenté le « standpunt » d’E. Witte à la
secrétaire d’État et à la presse. E. Sleurs a ensuite pris la parole, afin de réagir à cette
étude et de faire part de ses projets relatifs aux institutions scientifiques fédérales.
Ce discours est reproduit en annexe, également en traduction française.

(*) E. WITTE, Het debat rond de federale culturele en wetenschappelijke instellingen (2010-2015), Bruxelles,
Koninklijke Vlaamse Academie van België voor Wetenschappen en Kunsten, Collection « Standpunten »,
n° 37, 2015.
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CH 2284-2285
INTRODUCTION

La Belgique a derrière elle une très longue période d’agitation, de conflits et de négociations
communautaires : il y a eu la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-
Vilvorde et la réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, la sixième réforme
de l’État, son impact sur la formation difficile du gouvernement Di Rupo et la genèse
de cette révision de la Constitution. Tout cela a été suivi d’une campagne électorale
largement tournée vers le confédéralisme. Le gouvernement Michel a calmé les tensions
communautaires et s’est principalement concentré sur les aspects sociaux, économiques
et financiers de la politique. De récentes enquêtes électorales ont d’ailleurs montré que
les thèmes communautaires intéressaient fort peu l’électeur en ce moment 1.
Toutefois, un problème que l’on peut qualifier de communautaire, sans pour autant
en exagérer l’ampleur, couve. Il ne s’agit pas d’un de ces grands thèmes qui remettent
en question la construction fédérale, déclenchent de violents conflits ou mobilisent les
foules. Pourtant, il révèle une zone critique : celle des restes fédéraux des compétences
entre-temps communautarisées et régionalisées dans le domaine culturel et scientifique.
Différentes visions de la place de ces institutions dans notre modèle fédéral se heurtent,
les attaques réciproques deviennent plus véhémentes et les discours plus agressifs. De plus,
le gouvernement Michel est en train d’imprimer un changement de gestion et de modifier
la structure des organisations, donnant ainsi au débat une dimension politique non
négligeable. Il semblerait que nous ayons abordé une phase importante pour le futur de
ces institutions.
Il y a là suffisamment de motifs pour évoquer le sujet au sein de l’Académie royale
flamande, d’autant plus que la matière concernée – les sciences et les arts – intéresse
directement ses membres. Quel est le contexte de ce débat ? Quels sont les antécédents
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conflictuels des actuelles mesures gouvernementales ? En quoi consistent les projets de
remaniement du gouvernement Michel et quelles réactions suscitent-ils ? Et, enfin, quels
sont les points de vue et les points de friction intervenant dans cette prise de décision
et susceptibles d’être importants pour l’évolution future de la problématique ? Voilà
les questions auxquelles je souhaite donner une (ébauche de) réponse dans cet aperçu.

1
K. DE SCHOUWER et al., De kiezer ontcijferd, Tielt, 2015 ; M. SWYNGEDOUW et al., Het communautaire
in de verkiezingen van 25 mei 2014, Onderzoeksverslag CESO/IPSO, 2015, p. 1.

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1. QUELQUES DONNÉES CONTEXTUELLES

1.1. UN MODÈLE COMPLEXE

La raison pour laquelle ces institutions posent problème du point de vue politique est
étroitement liée à la façon dont l’État unitaire belge a été transformé en un État fédéral.
Depuis la fin des années 1960, les crises et les compromis successifs ont débouché sur
une répartition des compétences entre le niveau fédéral, d’une part, et les Communautés
et les Régions, d’autre part. Progressivement, le centre a été partiellement dépouillé
de ses compétences, tandis que celles des Communautés et des Régions se sont élargies
à chaque réforme, jusqu’à être aujourd’hui très étendues. La double logique des
Communautés (pour la culture et les matières personnelles) et des Régions (liées à
l’économie au sens large) a accouché d’un modèle complexe et asymétrique. Cela apparaît
également lorsque l’on regarde les matières dont il est question ici. Ainsi, toutes
les compétences culturelles ressortissent des Communautés flamande, française ou
germanophone mais, en région bilingue de Bruxelles-Capitale, elles sont gérées par
des Commissions communautaires distinctes. Depuis 1989-1993, l’enseignement, et
donc aussi les universités et la recherche fondamentale qui y est liée, dépendent également
des Communautés flamande ou française. La recherche appliquée, si importante pour
le développement des plans d’innovation au bénéfice de l’économie de la connaissance
des Régions, a également été, pour sa plus grosse part, transférée aux Régions dès 1993.
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2
Ce processus a encore été approfondi en 2000 .
Lors de ces opérations, le transfert des institutions culturelles et scientifiques fédérales
s’est avéré une affaire délicate, et cela pour plus d’une raison. Leurs fonctions ne
correspondent pas tout à fait à la double logique du modèle fédéral. Certaines institutions
fonctionnent entièrement dans le secteur culturel, d’autres ont en plus un lien direct
avec la recherche et comptent aussi bien la recherche fondamentale que la recherche
appliquée dans leurs activités principales. Elles exercent en outre des activités qui
dépassent le cadre des Communautés et Régions et elles sont également importantes
au niveau belge, européen et international. Il s’agit également d’institutions très anciennes,
dont la création est parfois antérieure à 1830. Au fil des décennies, elles ont amassé un
patrimoine à la fois artistique, historique et scientifique. Leurs collections forment un
tout et sont difficiles à diviser. La situation géographique de ces institutions complique
encore le problème. En effet, elles se trouvent presque toute sur le territoire de la Région

2
Pour une synthèse, cf. E. WITTE, A. MEYNEN, J. CRAEYBECKX, Politieke geschiedenis van België van 1830 tot
heden, Anvers, 2010, p. 419-454.

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10 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

de Bruxelles-Capitale (RBC), dont les compétences sont uniquement régionales et qui ne


3
peut pas gérer de patrimoine belge . Bref, elles sont difficilement attribuables à une seule
Communauté ou Région. Dans la première moitié des années 1980, le gouvernement
avait chargé l’ancien conservateur de la Bibliothèque royale de Belgique, Herman Liebaers,
d’élaborer un plan de restructuration. Son projet ayant été jugé insuffisant, il a cependant
été enterré. Lors de la réforme de l’État de 1993, la recherche spatiale et les institutions
scientifiques et culturelles fédérales impliquées sont restées nationales. Depuis lors, elles
constituent ce que l’on appelle les compétences fédérales résiduelles, liées à un patrimoine
national ou international 4.
Quelles sont les institutions faisant aujourd’hui encore partie de ces compétences
fédérales ? Lorsque c’était possible, ces institutions ont été intégrées dans le modèle
des Communautés et des Régions. Le Conservatoire royal de Bruxelles constitue un
exemple représentatif. Il a été scindé et transféré aux Communautés flamande et française.
Les deux « nouvelles » institutions restent établies dans le même (ancien) bâtiment, dont
la restauration, plus que nécessaire, a nécessité la création d’une structure spéciale
regroupant la Régie (fédérale) des bâtiments et les deux Communautés.
Une structure très spécifique a été créée pour le Jardin botanique de Meise (anciennement
Jardin botanique national de Belgique). L’institution avait son siège à Bruxelles depuis
1829 mais, lorsque le Ministère de l’Agriculture a été régionalisé en vertu de l’accord
d’Hermes (2000), elle a été transmise à la Flandre. Des différences d’interprétation,
principalement liées au cadre linguistique, ont mené à un blocage de plusieurs années,
qui a fortement nui au fonctionnement et à l’infrastructure de l’institution. Il a fallu
attendre 2012 pour qu’un compromis complexe entre Communautés flamande et française
apporte une solution. La Flandre a fondé une agence externe autonome et est très
largement majoritaire dans les conseils mais, en raison de la présence de personnel
francophone et de liens avec les universités francophones, il existe aussi des « lignes
directes » avec la Communauté française. Le bâtiment Flagey, à Ixelles, est un autre
exemple de solution spécifique. Il a un passé de télé-radiodiffusion nationale et a continué
à être utilisé tant par la BRT que par la RTB après la scission, jusqu’à ce que la nécessité
d’une rénovation coûteuse vienne obscurcir son avenir en tant que bâtiment culturel.
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Après bien des palabres, les deux Communautés ont accepté d’y aller de leur poche, aidées
par la Région de Bruxelles-Capitale, qui a investi dans le bâtiment et l’asbl Flagey. Le
co-communautaire et le régional y fonctionnent désormais ensemble 5. Enfin, il y a aussi
des institutions scientifiques qui dépendent entièrement des départements ministériels
fédéraux, Défense, Justice ou Santé publique. Tant que ces départements ne sont pas
scindés, ces institutions continuent à fonctionner au niveau fédéral sous la tutelle du
ministère compétent 6.

3
M. BEUMIER, N. BRYNAERT, « Les établissements scientifiques fédéraux », Courrier hebdomadaire, CRISP,
4
n° 1855-1856, 2004, p. 6-8.
5
Ibidem, p. 6-8, 19 et 22-24.
J.-P. NASSAUX, « Les aspects bruxellois de l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 »,
Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2129-2130, 2012, p. 26-27 ; « Nationale Plantentuin van België »,
6
notice Wikipedia, juillet 2014.
M. BEUMIER, N. BRYNAERT, « Les établissements scientifiques fédéraux », op. cit., p. 8.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 11

1.2. LES INSTITUTIONS ET LEUR FONCTIONNEMENT

Venons-en aux institutions qui sont au cœur du débat actuel. Elles peuvent également
être réparties en deux catégories. Le Palais des beaux-arts (BOZAR), le Théâtre royal de
la Monnaie et l’Orchestre national de Belgique forment un groupe distinct. Ils remplissent
des fonctions culturelles, mais se distinguent des autres institutions par le fait qu’ils
n’exercent pas d’activités scientifiques et ne conservent pas de collections. Comme leurs
activités sont de nature nationale et internationale, ils ont été soustraits aux Communautés
et transformés en sociétés anonymes de droit public à finalité sociale. Leurs conseils
d’administration reflètent les forces sociales des Communautés. À leur tête, on a placé
des figures qui ont construit à la fois une carrière et une excellente réputation dans
le secteur artistique concerné, en l’occurrence Bernard Foccroulle, Paul Dujardin et
Peter De Caluwe. Les présidents des conseils d’administration sont également des
personnages influents – par exemple, Étienne Davignon remplit cet office pour BOZAR.
Depuis 2004, ces trois institutions culturelles fédérales dépendent du Premier ministre
7
et d’un vice-Premier ministre .
Le second groupe comprend les dix autres institutions rangées dans la rubrique
« Institutions scientifiques fédérales ». Leurs fonctions sont parallèles (gestion de collections
et de données, recherche fondamentale et/ou appliquée, participation à des réseaux
internationaux, prestations de service), mais elles sont actives dans des domaines très
divers. Les Archives générales du royaume (AGR) et la Bibliothèque royale de Belgique
(KBR) font partie du secteur « Documentation ». Les Musées royaux des beaux-arts
de Belgique (MRBAB), les Musées royaux d’art et d’histoire (MRAH, Musée du
Cinquantenaire), le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) à Tervuren et l’Institut
royal du patrimoine artistique (IRPA) constituent un deuxième groupe, tandis que
l’Institut royal météorologique de Belgique (IRM), l’Observatoire royal de Belgique
(ORB), l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique et l’Institut d’aéronomie spatiale
de Belgique (IASB) forment le troisième. Certaines institutions font aussi office de
coupoles : par exemple, la Porte de Hal, les Musées d’Extrême-Orient (composés
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de la Tour japonaise, du Pavillon chinois et du Musée d’art japonais) et le Musée des
instruments de musique dépendent des Musées royaux d’art et d’histoire, tandis que
des institutions telles que le Musée Wiertz, le Musée Meunier et le Musée Magritte
dépendent des Musées royaux des beaux-arts de Belgique. L’autorité de tutelle de ces
institutions est en revanche toujours la même. Dans son rapport, Herman Liebaers avait
déjà proposé de fonder un service administratif distinct pour chapeauter ces institutions.
En 1987, ce service a été confié aux deux ministres de l’Enseignement et, en 1994, une
administration distincte a vu le jour au sein du Ministère de la Politique scientifique
(le futur BELSPO). Ces dix institutions conservent donc le statut de service public fédéral
et dépendent de la Politique scientifique fédérale 8.

7
Ibidem, p. 6 ; N. RYELANDT, « Le Groupe Wallonie-Bruxelles et le débat sur les institutions francophones »,
Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2009-2010, 2009, p. 38 et 71 ; Conseil des ministres, « Actualisation
8
des statuts du Palais des beaux-arts (BOZAR) », 29 mars 2013, www.presscenter.org.
M. BEUMIER, N. BRYNAERT, « Les établissements scientifiques fédéraux », op. cit., p. 5, 7-8, 10-11, 16 et 36.

CH 2284-2285
12 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Cela signifie aussi qu’elles évoluent au gré des réformes appliquées à l’ensemble des
institutions fédérales. Vers 2000, les critiques à l’encontre d’un appareil administratif
dominé par la pilarisation politique se sont renforcées. Elles ont débouché sur la réforme
Copernic, qui consistait concrètement à créer des services efficaces et mieux organisés,
fonctionnant de façon plus flexible et plus performante. La nécessité d’une gestion plus
transparente, évaluée en fonction de ses résultats objectifs, s’imposait et le contact avec
le public devait également être amélioré. Les ministères ont été remplacés par des services
publics fédéraux (SPF) dotés de conseils de gestion. Les fonctions dirigeantes ont été
ouvertes à des personnes externes et ont été transformées en mandats. Au départ, les
bureaux d’évaluation privés ont joué un rôle important dans le processus 9. Un directeur
général ayant gagné ses galons dans le secteur concerné a été nommé à la tête des
institutions fédérales. Pour les Archives générales du royaume et la Bibliothèque royale
de Belgique, on a recruté Karel Velle et Patrick Lefèvre, deux historiens connus. Pour
l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, on a choisi Camille Pisani, qui avait
fait une carrière dans les musées équivalents de Paris. Guido Gryseels présentait le profil
adapté pour le Musée royal de l’Afrique centrale et la direction des Musées royaux des
beaux-arts de Belgique a été confiée à Michel Draguet, professeur à l’ULB et spécialiste
de la peinture moderne et contemporaine 10.
Des conseils scientifiques ont aussi permis de nouer des liens avec des experts des
disciplines impliquées. Ce sont généralement les universités qui désignent les membres
externes de ces conseils, où les chefs de section des institutions siègent également sur
une base paritaire. Un jury, lui aussi composé d’experts, aide au recrutement du personnel
scientifique. Les institutions sont aussi liées au Fonds de la recherche scientifique
(FRS-FNRS) et au Fonds voor Wetenschappelijk Onderzoek (FWO). Cela nous amène
à la question du personnel. Environ 2 500 personnes travaillent pour les dix institutions.
Il s’agit de statutaires mais aussi, pour beaucoup, de contractuels. Ce sont en bonne
partie des gens hautement qualifiés et des spécialistes. Les institutions fédérales doivent
évidemment respecter les équilibres linguistiques et, malgré la réforme Copernic, les
sensibilités politiques n’ont pas disparu.
La tutelle de ces institutions incombe au ministre fédéral de la Politique scientifique.
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Les institutions fortement axées sur la culture n’ont d’ailleurs pas de ministre propre,
ce qui peut ouvrir la porte à une plus grande participation à la gestion et à davantage
d’autorité chez les directeurs généraux 11.
À partir de 1987, des pôles d’attraction interuniversitaires (PAI) ont été créés dans le cadre
de la Politique scientifique fédérale. Ils ont représenté au bout d’un temps 300 postes
à temps plein environ. Une collaboration du même type a été instaurée avec le secteur
industriel. En 2010, il existait ainsi des dizaines de réseaux et plus de 300 groupes de
recherche, des structures au sein desquelles universités et institutions fédérales scientifiques
travaillent ensemble.

9
M. PARYS et al., « Onderzoeksrapport: veranderingsmanagement en de federale overheid. Casestudy van
10
de Copernicushervorming », KULeuven, 2005, 78 p.
Le Soir, 6 novembre 2014 ; Le Vif/L’Express, 9 janvier 2015 ; De Tijd, 6 novembre 2014 ; LaLibre.be,
19 mai 2005 (C. Pisani) ; J. Van Hove in De Standaard, 13-14 décembre 2014 ; Belga, 26 janvier 2001
(G. Gryseels) ; J.-M. Wynants in Le Soir, 20 juillet 2001 (P. Dujardin) ; « Peter De Caluwe », notice
11
Wikipedia, mars 2014 ; « Paul Dujardin », notice Wikipedia, juillet 2001.
M. BEUMIER, N. BRYNAERT, « Les établissements scientifiques fédéraux », op. cit., p. 10-16.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 13

En 2002, la Politique scientifique fédérale a reçu le statut qu’elle possède aujourd’hui. Cette
administration coupole était avant tout chargée de l’assistance juridique, technologique
et financière et devait en outre servir de centre d’information commun. Avant les dernières
mesures d’économie, les crédits fédéraux impartis à la Politique scientifique fédérale
représentaient 25 à 30 % du budget total « Recherche et développement ». Ce n’est
donc pas un secteur insignifiant. Comme nous le verrons, ces institutions scientifiques
n’ont pas non plus été épargnées par les diverses opérations d’austérité. Cela a eu des
conséquences négatives pour le cadre du personnel. Un exemple : les Archives générales
du royaume ont perdu au cours des dix dernières années 20 % de leur corps d’archivistes.
Ces institutions connaissent également des problèmes d’infrastructure. La plupart de
leurs bâtiments sont vétustes et exigent des rénovations coûteuses et à grande échelle.
Elles tentent donc de figurer dans la liste des priorités de la Régie des bâtiments. Mais
de ce côté non plus, les possibilités financières ne sont pas illimitées 12.

1.3. ASPECTS POLITIQUES

Une relation étroite s’est établie au fil des années entre les institutions fédérales à forte
vocation culturelle – comme BOZAR, le Théâtre royal de la Monnaie, le Musée du
Cinquantenaire et les Musées royaux des beaux-arts de Belgique – et la Région de
Bruxelles-Capitale. Cela tient avant tout au rôle central joué par Bruxelles dans le modèle
fédéral belge et à ses fonctions de capitale européenne et internationale. Elle est le lieu
de rencontre des communautés et est également amenée, par son rôle international,
à dépasser le niveau local. En 1993, on a donc créé BELIRIS, un cadre de coopération
paritaire situé entre le niveau fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale, doté d’un budget
annuel de 125 millions d’euros. Bien que BELIRIS ait surtout pour vocation d’entreprendre
de grands projets, l’institution joue également un rôle important dans la revalorisation du
patrimoine culturel et architectural bruxellois, ainsi qu’en témoignent les investissements
consentis à BOZAR et aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique 13. Comme toutes
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les grandes agglomérations urbaines, la Région de Bruxelles-Capitale a aussi découvert
la plus-value économique de la culture et son impact sur le tourisme, l’emploi, le secteur
horeca, le développement urbanistique et le patrimoine architectural. Elle peut stimuler
certaines activités culturelles grâce au budget « Image », mais il va de soi qu’elle voudrait
pouvoir en faire plus.

12
A. VINCENT, « Les acteurs de la recherche en Wallonie et à Bruxelles », Courrier hebdomadaire, CRISP,
13
n° 2016-2017, 2009, p. 15-18 et 23-25 ; « Carte blanche », Le Soir, 4 novembre 2014.
Cf. K. LENAERTS, C. VANDERMOTTEN, « The Legal Status of Brussels as European “Capital” » et J. POIRIER,
« La coopération “Bruxelles–Europe” : chronique d’un dialogue amorcé », in R. DE GROOF (dir.), Brussels
and Europe: The Position of Brussels in the World City Network. Interactions between the European
Institutional Presence and the Brussels-Capital Region. Bruxelles et l’Europe : la position de Bruxelles dans le
réseau des villes mondiales. Interactions entre la présence institutionnelle européenne et la Région de Bruxelles-
Capitale [Actes du colloque : Centre de conférence Albert Borschette, Bruxelles, 18-19 décembre 2006],
Bruxelles, 2008, p. 127-152 et 333-358 ; S. GOVAERT, « Les discussions communautaires sous les
gouvernements Verhofstadt III, Leterme et Van Rompuy », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2024-2025,
2009, p. 15 ; Sénat, Question écrite à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-11042, 5 février 2014
(et réponse de la ministre à cette question) ; Le Soir, 28 octobre 2014.

CH 2284-2285
14 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

D’autant que la conception de Bruxelles a changé au cours de ces dernières années. Sous
l’influence des vagues migratoires successives venant d’Europe et d’ailleurs, la région
de Bruxelles-Capitale se change depuis quelques années en agglomération plurilingue
et multiculturelle. Dans certains cercles intellectuels, on plaide non seulement pour une
attitude ouverte vis-à-vis de toutes ces cultures, mais on trouve aussi que la dualité des
institutions communautaires ne correspond plus à la réalité et n’est plus non plus adaptée
à la nouvelle politique culturelle : une « Communauté bruxelloise » unique devrait voir
le jour. Dans les cercles politiques, la pensée communautaire récolte peu de succès ;
elle n’a pas non plus reçu un grand soutien électoral, ce qui ne l’empêche pas de gagner
du terrain 14. Par exemple, le collège de la Commission communautaire flamande (Vlaamse
Gemeenschapscommissie, VGC) estime désormais aussi que les artistes et les initiatives
culturelles ne doivent pas être soumis à des répartitions de compétences rigides et que
Bruxelles doit aussi s’intéresser davantage aux institutions culturelles fédérales. Lors
de la sixième réforme de l’État, la Région de Bruxelles-Capitale a vu le financement de
l’infrastructure muséale s’ajouter à ses compétences 15.
Chaque secteur de gestion – y compris celui dont il est question ici – subit l’influence
directe de la constellation politique, de l’accord gouvernemental et des mandataires
politiques qui tirent les ficelles. On note ainsi une nette différence entre la politique du
gouvernement tripartite Di Rupo et celle du gouvernement Michel, qui est composé
de nationalistes et de démocrates-chrétiens flamands ainsi que de libéraux flamands
et francophones. Lors des négociations préalables à la formation du premier de ces
gouvernements, le secteur avait déjà été fortement assaini et on avait pris en compte
les résolutions flamandes de 1999, qui demandaient que l’on poursuive le transfert de
la Politique scientifique fédérale aux Communautés et aux Régions. Des accords dans
ce sens avaient été conclus concernant les PAI. Du côté francophone, en particulier au PS,
la tendance a été au renforcement structurel du SPP (Service public de programmation)
Politique scientifique fédérale. La Régie des bâtiments était aux mains du CD&V, mais
les autres positions clés avaient été attribuées à des membres du PS. Le ministre Paul
Magnette avait reçu la Politique scientifique fédérale et, quand il est devenu bourgmestre
de Charleroi et président faisait fonction du PS, Philippe Courard, un socialiste wallon,
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16
avait hérité de cette compétence . Leur collègue de parti Philippe Mettens, jusque-là

14
E. WITTE, R. DE GROOF, « Vlamingen denken over Brussel (1995-2005) », in R. DE GROOF et al. (dir.),
Politiek, taal, onderwijs en samenleving in beweging, Bruxelles, collection « Brusselse Thema’s / Thèmes
bruxellois / Brussels Themes », n° 14, 2005, p. 39-62 ; J.-P. NASSAUX, « Le nouveau mouvement bruxellois »,
Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2103-2104, 2011, 88 p.
15
J. FRANSEN, « Cultuur en stedelijke heropleving: een evaluatie van de beleidspraktijk van het Brussels
Hoofdstedelijk Gewest (1995-2005) », in R. DE GROOF (dir.), Politiek, taal, onderwijs en samenleving
in beweging, op. cit., p. 145-184 ; Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général
des dépenses pour l’année budgétaire 2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim :
Politique scientifique). Rapport fait au nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique,
de l’Éducation, des Institutions scientifiques et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture,
DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ; P. Close (président du groupe PS au Parlement de la Région
de Bruxelles-Capitale) in Le Soir, 25-26 octobre 2014 ; Région de Bruxelles-Capitale, « Note au Comité
de concertation », 15 janvier 2015 (AGR, dossier « Institutions fédérales ») ; Collège de la Commission
communautaire flamande, « Bijdrage aan de visienota van de Vlaamse minister van Cultuur », 26 février
16
2015 (Greffe de la VGC).
J.-P. NASSAUX, « Les aspects bruxellois de l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 »,
op. cit., p. 22 et 26-27 ; G. Sels in De Standaard, 10 décembre 2014 ; R. Torfs in Le Soir, 28 octobre 2014 ;
R. Torfs in Morgen, 27 octobre 2014 ; BELSPO, « The Interuniversity Attraction Poles are in Threat
Once Again », 2014 (AGR, dossier « Institutions fédérales »).

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LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 15

collaborateur de cabinet, était resté à la tête de l’administration 17. Laurette Onkelinx,


entre-temps devenue l’une des figures clés du PS bruxellois, dirigeait les institutions
culturelles fédérales, tandis que la Région de Bruxelles-Capitale avait pour ministre-
président Charles Picqué (PS), suivi plus tard par Rudi Vervoort (PS lui aussi).
Lors de la campagne électorale de 2014, la N-VA s’est prononcée en faveur de l’instauration
du confédéralisme et s’en est violemment prise au PS, avec lequel elle voulait éviter une
collaboration politique éventuelle. Les institutions scientifiques et culturelles fédérales
ont également été visées. Bien entendu, le parti souhaitait qu’elles soient autant que
possible démantelées. Non seulement en raison du rôle limité reconnu par son programme
libéral à l’administration publique, mais aussi en vertu de sa politique confédérale.
Comme nous le verrons, le directeur général des Musées royaux des beaux-arts de
Belgique, Michel Draguet, avait mené une politique controversée. La N-VA a profité du
mécontentement suscité par celle-ci pour s’attaquer à toutes les institutions scientifiques
et culturelles fédérales, ce qui n’a pas été apprécié par les intéressées. Le secrétaire
du groupe N-VA à la Chambre des représentants, Johan Swinnen, et les parlementaires
du parti, dont Siegfried Bracke, ont principalement dirigé leurs flèches vers Michel Draguet
lui-même, mais l’ancien journaliste nationaliste flamand Jean-Pierre Rondas a pris ces
accusations comme prétexte pour accuser l’ensemble des institutions fédérales de mauvaise
18
gestion. Tous ont dénoncé la « prise de pouvoir » du PS sur les biens nationaux .
Lors de la répartition des portefeuilles au sein du gouvernement Michel, la N-VA a pris
les commandes de ce secteur contesté par le parti. La Politique scientifique fédérale
a en effet été attribuée à la secrétaire d’État N-VA Elke Sleurs, qui a à son actif une
carrière dans le secteur médical. Des adversaires de la politique antérieure ont également
intégré son cabinet. Les Finances et la Régie des bâtiments – qui sont, comme nous l’avons
vu, des départements ministériels cruciaux pour les institutions fédérales – sont passées
dans les mains de la N-VA par le biais de Johan Van Overtveldt et de Jan Jambon.
Le vice-Premier ministre libéral francophone Didier Reynders est en charge des trois
institutions culturelles fédérales. Il en a reçu la tutelle, ainsi que celle de BELIRIS. L’accord
gouvernemental fait balancer le secteur entre maintien et démantèlement. Nous verrons
plus loin en quoi consiste concrètement cette politique. Par ailleurs, il n’y a plus de
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congruence entre les coalitions gouvernementales, si bien que la coalition bruxelloise
répond à une autre dynamique. Le PS y reste aux commandes et Rudi Vervoort est
toujours ministre-président. Cette constellation, verrons-nous, est en soi porteuse de
19
conflits .

17
Selon Rik Torfs, recteur de la KULeuven, il s’est entouré d’une équipe PS et a privilégié le champ de
recherche francophone. P. Mettens lui-même nie et les autres recteurs flamands ne font pas la même
analyse sévère (R. Torfs in « Terzake » [émission de la VRT], 7 avril 2015 ; entretien avec le recteur
18
P. De Knop, président du VLIR, 14 avril 2014).
J. SWINNEN, « Leren drinken met de hik. De grondslagen van de federale musea en institutions in vraag
gesteld », in J.-P. RONDAS (dir.), Land op de tweesprong. Manifesten ter ontgrendeling van Vlaanderen,
Kapellen, Gravensteengroep, 2012 ; J. Swinnen in Doorbraak.be, 19 mai 2012 ; J.-P. Rondas in
De Standaard, 24 octobre 2014 ; J. De Troyer in La Libre Belgique, 14 février 2014 ; La Libre Belgique,
7 octobre 2014, 25-26 octobre 2014, 4 novembre 2014 et 7 novembre 2014 ; B. Foccroulle in Le Soir,
19
28 octobre 2014 ; Le Soir, 30 octobre 2014 et 15-16 novembre 2014 ; Le Vif/L’Express, 9 janvier 2015.
Entretien avec J. Swinnen, 30 mars 2015 ; Le Vif/L’Express, 9 janvier 2015 ; G. Sels in De Standaard,
10 décembre 2014.

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2. DES ANTÉCÉDENTS CONFLICTUELS

Toute analyse de la politique du gouvernement Michel en matière d’institutions


scientifiques et culturelles fédérales doit tenir compte des conflits qui se sont produits
précédemment dans le secteur. Ils sont avant tout liés au Service public de programmation
Politique scientifique fédérale (BELSPO) et au rôle plus affirmé que son président, Philippe
Mettens, a voulu faire jouer à cette institution. P. Mettens avait au départ des bons contacts
avec le noyau de pouvoir du PS (Elio Di Rupo, Rudy Demotte, Paul Magnette). Par
ailleurs, l’accord gouvernemental fédéral du 1er décembre 2011 précisait aussi qu’une
meilleure synergie devait être développée entre les institutions scientifiques fédérales
et que celles-ci devaient être de mieux en mieux intégrées dans le monde européen et
international de la recherche. En d’autres mots, P. Mettens recevait le feu vert pour
améliorer les performances et renforcer le rôle des institutions dépendant de BELSPO 20.

2.1. LE PLAN DE RÉORGANISATION DE BELSPO

Son plan de réorganisation, que le ministre P. Magnette avait approuvé, portait avant
tout sur le renforcement des services de soutien existants : informatique, publications,
gestion financière, infrastructure, ressources humaines, communication, assistance
juridique. Le tout était assorti d’un vaste projet de digitalisation. Dans le domaine
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de la recherche, BELSPO devait également développer une vision commune, intégrée
et cohérente sur les thèmes de recherche fondamentaux et stratégiques, contribuer au
renouveau scientifique et, enfin, lancer, valoriser et évaluer des programmes de recherche.
Le but principal consistait à faire jouer à la recherche fédérale un rôle plus significatif.
L’accroissement d’échelle prévu par le plan semblait assez radical. Pour permettre des
économies au niveau du management et améliorer la coordination et la collaboration
des institutions, celles-ci devaient être regroupées et rassemblées selon une logique
thématique en ensembles plus cohérents, appelés « pôles ». Chaque pôle serait confié
à un directeur général responsable de l’ensemble et doté d’un organe de gestion. Les
activités apparentées seraient réunies 21.

20
BELSPO, « Projet de note au Conseil des ministres portant sur la réforme de la gestion et la structure
de gestion de la politique scientifique fédérale », 2013 (AGR, dossier « Institutions fédérales ») ; Sénat,
21
Question écrite à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-5694, 28 octobre 2014.
« Oriëntatienota met betrekking tot de hervorming van het beheer en de interne beheers-structuur
van het federale wetenschapsbeleid » [Note d’orientation portant sur la réforme de la gestion et

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18 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Quatre pôles devaient être créés. Les Archives générales du royaume et la Bibliothèque
royale de Belgique devaient être réunies en un tout. Le Centre d’études et de
documentation guerre et sociétés contemporaines (CEGES), centre d’étude et de
documentation qui mène des recherches sur les guerres du XXe siècle et leurs
répercussions sur la société belge, pose depuis toujours problème : il n’a en effet pas
de statut. Fin 2002, la loi-programme avait projeté d’en faire un département
spécialisé des Archives générales du royaume, mais cette proposition avait suscité peu
d’enthousiasme auprès du CEGES. Le nouveau plan de réorganisation voulait à nouveau
protéger le CEGES et l’intégrait dans le pôle en tant que composante des Archives
22
générales du royaume . Pour la Cinémathèque royale de Belgique, qui est une fondation
d’utilité publique mais financée par la Politique scientifique fédérale, possédant de riches
archives cinématographiques et un important centre de documentation, on prévoyait
une intégration dans la Bibliothèque royale de Belgique, qui devait également se charger
du projet de digitalisation. Ces institutions formaient ensemble le pôle Documentation.
Le pôle Art était aussi étendu, si pas plus : il comprenait l’Institut royal du patrimoine
artistique, les Musées royaux des beaux-arts de Belgique et les Musées royaux d’art et
d’histoire, ainsi que leurs « dépendances », comme la Porte de Hal, les Musées Wiertz,
Meunier et Magritte, le Pavillon chinois, la Tour japonaise et le Musée des instruments
de musique. Le pôle Nature regroupait l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique
et le Musée royal de l’Afrique centrale. Quant au pôle espace, il comprenait l’Observatoire
royal de Belgique, l’Institut royal météorologique de Belgique et l’Institut d’aéronomie
spatiale de Belgique 23.
Ces réformes fondamentales ont fait naître l’inquiétude et de nombreuses protestations
dans les institutions concernées. Vingt-cinq universitaires reconnus ont exprimé leur
mécontentement dans une lettre ouverte, mais les objections les plus critiques sont venues
des différents conseils scientifiques. Les Archives générales du royaume ont notamment
formulé un avis très négatif. La Bibliothèque royale de Belgique s’est montrée diplomate
mais a également rejeté la proposition. L’Institut royal des sciences naturelles de Belgique,
le Musée royal de l’Afrique centrale et les institutions du pôle Espace ont tous réagi
négativement, suivis par l’Institut royal du patrimoine artistique. Le CEGES, à qui on
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n’avait pas demandé son avis, a été le plus catégorique dans son refus ; visiblement, il
fallait éviter une fusion classique avec les Archives générales du royaume. Les arguments
invoqués par tous ces conseils scientifiques étaient similaires 24. Tous se plaignaient du

la structure de gestion interne de la politique scientifique fédérale], 2014 (AGR, dossier « Institutions
22
fédérales »).
M. BEUMIER, N. BRYNAERT, « Les établissements scientifiques fédéraux », op. cit., p. 25 ; « Oriëntatienota
met betrekking tot de hervorming van het beheer en de interne beheers- structuur van het federale
wetenschapsbeleid » [Note d’orientation relative à la réforme de la Politique scientifique fédérale],
2014, passim (AGR, dossier « Institutions fédérales ») ; Avis du conseil scientifique du Centre d’études
et de documentation guerre et sociétés contemporaines (CEGES), 28 octobre 2013 (AGR, dossier
23
« Institutions fédérales »).
« Oriëntatienota met betrekking tot de hervorming van het beheer en de interne beheers- structuur
van het federale wetenschapsbeleid » [Note d’orientation relative à la réforme de la Politique scientifique
24
fédérale], 2014 (AGR, dossier « Institutions fédérales »).
Sénat, Question écrite à la ministre de la Politique scientifique, DOC 6-143 et suivants, 28 octobre
2014 ; Avis du conseil scientifique des Archives générales du royaume (AGR), 20 septembre 2013 ;
Avis du conseil scientifique du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), 11 octobre 2013 ; Avis du
conseil scientifique des Musées royaux des beaux-arts de Belgique (MRBAB) et des Musées royaux
d’art et d’histoire (MRAH), La Libre Belgique, 19-20 décembre 2013 ; Avis du conseil scientifique du

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 19

manque de concertation et de transparence : le fait que l’on puisse proposer une réforme
aussi fondamentale sans information ni consultation approfondie était pour eux
incompréhensible. L’autonomie des institutions était menacée, affirmait-on, tandis que
leur appartenance et leur soumission au niveau fédéral augmentaient. Enfin, BELSPO
soignait ses propres intérêts : non seulement les fonctions de direction augmentaient
en nombre, mais la direction s’arrogeait le droit de déterminer elle-même les objectifs
scientifiques. BELSPO renforçait donc son emprise sur les institutions. Les « fusions
contre nature » étaient aux yeux des conseils scientifiques le principal problème. Les plans
faisaient l’impasse sur la complexité du monde de la recherche, compromettaient la
spécificité des institutions et, donc, aussi leur crédibilité et leur plus-value. Là où c’était
possible, on travaillait d’ailleurs déjà ensemble, rappelait-on ; surtout dans le pôle Espace,
qui partageait le même site (à Uccle).
Après de nombreuses concertations et réunions, P. Mettens avait donc proposé une version
du plan fortement amendée, qui avait obtenu un consensus au sein des institutions et
pouvait dès lors être soumise au ministre et au Conseil des ministres. Deux institutions
– les Musées royaux des beaux-arts de Belgique et les Musées royaux d’art et d’histoire –
se rejoignaient avec enthousiasme dans le pôle prévu. Nous verrons plus loin pourquoi
il en était ainsi. L’Institut royal du patrimoine artistique, qui voulait conserver son
expertise (à laquelle il est fait appel de toute la Belgique), recevait une position particulière
dans le pôle Art. Les mêmes situations d’exception s’appliquaient aux autres pôles.
Que ce soit pour la Documentation ou pour la Nature, le pôle ne représentait plus
qu’un niveau de coordination intermédiaire, doté d’un organe de concertation propre
chargé de veiller à la synergie. Dans le pôle Espace, les accords de coopération existants
étaient intégrés dans la nouvelle structure, mais, du point de vue scientifique, les
institutions conservaient leur identité. Les conseils scientifiques des institutions qui
n’étaient pas complètement regroupées étaient d’ailleurs tous maintenus en place. La
Cinémathèque royale de Belgique et le CEGES devenaient seulement des directions
opérationnelles, la première au sein de la Bibliothèque royale de Belgique, le second au
sein des Archives générales du royaume. Ils ne perdaient pas non plus leur autonomie
scientifique. Bref, ont avait tenu compte des objections des institutions à un tel point qu’il
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ne restait pas grand-chose du concept original dans le nouveau plan de réorganisation,
devenu moins cohérent et assez confus 25.
Lorsque, en février 2014, le ministre P. Courard a été prié de présenter le projet au Conseil
des ministres, il a refusé. On est évidemment en droit de se demander si le conflit opposant
P. Mettens et le ministre wallon Paul Furlan n’y était pas pour quelque chose. La Région
wallonne avait introduit une interdiction de cumul pour les bourgmestres qui étaient
également hauts fonctionnaires. P. Mettens ayant refusé de s’y plier, il avait été révoqué
en tant que bourgmestre de Flobecq, mais le Conseil d’État lui avait ensuite donné

Centre d’études et de documentation guerre et sociétés contemporaines (CEGES), 28 octobre 2013 ;


P. Lefèvre au ministre P. Courard, 9 novembre 2013 ; « Oriëntatienota met betrekking tot de hervorming
van het beheer en de interne beheers- structuur van het federale wetenschapsbeleid » [Note d’orientation
relative à la réforme de la Politique scientifique fédérale], version amendée, janvier 2014 (AGR,
dossier « Institutions fédérales ») ; La Libre Belgique, 12 novembre 2013.
25
« Oriëntatienota met betrekking tot de hervorming van het beheer en de interne beheers- structuur
van het federale wetenschapsbeleid » [Note d’orientation relative à la réforme de la Politique scientifique
fédérale], version amendée, janvier 2014 (AGR, dossier « Institutions fédérales »).

CH 2284-2285
20 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

raison. Ce conflit avait vraisemblablement affaibli sa position au sein du PS 26. P. Courard


trouvait que le plan de P. Mettens était beaucoup trop ambitieux et qu’il n’était pas
suffisamment mûr. Il renfermait trop d’incohérences et n’était pas suffisamment supporté
par les institutions, leurs directions et leur personnel. L’avenir de 4 000 personnes était
en jeu. Les institutions scientifiques fédérales devaient conserver leur autonomie, estimait
le ministre. Il trouvait en outre que le moment – à la veille des élections de mai 2014 –
était particulièrement mal choisi. Dans sa forme d’alors, le plan risquait en effet d’être
exploité politiquement. Une telle réforme devait être mise en œuvre dans le calme et
non dans un climat électoral tendu. Selon lui, il était préférable que ce soit le prochain
gouvernement fédéral qui prenne l’affaire en main 27. Et c’est ce qui s’est passé.

2.2. LES PLANS AU SEIN DU PÔLE ART

Un deuxième conflit s’est cristallisé autour des projets du directeur général des Musées
royaux des beaux-arts de Belgique, Michel Draguet, qui s’inscrivaient entièrement dans
la structure du pôle Art. Cette structure avait déjà fait l’objet d’un remaniement lors
de la mise à la retraite anticipée du directeur général du Musée du Cinquantenaire.
Dans l’attente de pouvoir poser sa candidature à la direction du pôle Art, M. Draguet
avait pu, au début 2012, devenir directeur général ad interim des Musées royaux d’art
et d’histoire, cumulant ainsi la direction de deux institutions 28. Les plans de M. Draguet
étaient ambitieux, étendus, innovants et placés très haut dans sa liste de priorités. « Un
visionnaire », ainsi que le nommaient ses partisans. Les collections des deux musées
formaient à ses yeux un ensemble daté, qui devait être réuni en un même lieu. La
répartition des collections entre musées remonte à leur constitution au XIXe siècle et
présente un besoin urgent de renouveau et d’une plus grande cohérence intellectuelle.
M. Draguet est un grand défenseur de l’« art total », dans lequel différentes expressions
artistiques sont rassemblées. Selon lui, il faut aussi mettre davantage l’accent sur
les points forts des collections. Un trop grand nombre de pièces magnifiques sont
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sous-exploitées et doivent devenir prioritaires. Des musées thématiques, touristiquement
attirants, doivent voir le jour. M. Draguet rejoint par là ceux qui veulent faire de Bruxelles
une ville de musées et du Mont des Arts un centre artistique vivant. Le mécénat,
le sponsoring et le co-financement des différentes autorités doivent fournir les fonds
29
nécessaires .

26
« Flobecq : la révocation du bourgmestre Philippe Mettens jugée illégale », RTBF.be, 10 juin 2014.
27
Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-5694, 5-5695, 5-5696 et 5-5700,
28 février 2012 ; DOC 5-5906 et 5-5907, 19 mars 2012 ; DOC 5-5169, 27 avril 2012 ; Le Vif/L’Express,
9 janvier 2015.
28
Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-5696, 5-5697, 5-5699 et 5-5700,
29
28 février 2012 ; DOC 5-5907, 19 mars 2012.
Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-5695, 5-5697, 5-5699 et 5-5700,
28 février 2012 ; « Oriëntatienota met betrekking tot de hervorming van het beheer en de interne
beheers- structuur van het federale wetenschapsbeleid » [Note d’orientation relative à la réforme de la
Politique scientifique fédérale], version amendée, janvier 2014 (AGR, dossier « Institutions fédérales »).

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 21

Comment M. Draguet concevait-il l’avenir des musées ? Aux Musées royaux des beaux-
arts de Belgique, il voulait surtout mettre l’accent sur les primitifs flamands et sur les
peintres flamands des XVIe et XVIIe siècles, qui seraient exposés dans les salles vides
actuellement en cours de désamiantisation. Les réalisations de la Belgique entre 1880
et 1940 devaient « garnir » un musée Fin-de-siècle et Art nouveau, qui serait installé
dans le bâtiment Art nouveau Old England et relié par un passage souterrain aux Musées
royaux des beaux-arts de Belgique, avec lesquels il formerait un complexe. La collection
d’art nouveau des Musées royaux d’art et d’histoire en constituerait le fonds principal.
Les Musées du Cinquantenaire devaient devenir un musée de la civilisation, où les riches
e
collections d’art décoratif, qui vont de l’art mosan au début du XX siècle, côtoieraient
l’art japonais et chinois. L’ensemble deviendrait ainsi un musée unique, centré sur
l’influence des civilisations en Europe. Quant à lui, le Musée des instruments de musique
quitterait l’Old England pour rejoindre le cœur de la ville, où un centre musical serait
créé en synergie avec le Théâtre royal de la Monnaie. Le bâtiment Vanderborght, ancienne
propriété de Dexia rachetée par la Ville, pourrait éventuellement être utilisé à cette fin.
En collaboration avec la Ville de Bruxelles, une plus grande visibilité serait également
donnée au musée de la Porte de Hal 30.
Quelles ont été les réalisations de Michel Draguet sous les précédents gouvernements ?
Il est un fait que ses plans renferment une vision à long terme et que les actuels bâtiments,
vieillissants, y posent des limites. La Régie des bâtiments y organise des désamiantisations
et des rénovations par phases, si bien que les salles restent vides pendant plusieurs années
et que l’« Extension » des Musées royaux des beaux-arts de Belgique ne pourra être prête
qu’à la fin 2016.
M. Draguet s’est d’abord centré sur deux projets thématiques, dont le Musée Magritte
est celui qui récolte le plus de succès. Il a pu fonder ce musée, situé place Royale, grâce
à l’aide financière de la Régie des bâtiments, au mécénat d’Electrabel (GDF Suez) et aux
collectionneurs qui ont accepté de prêter leurs œuvres pour une longue durée. De même
qu’Amsterdam a son Musée Van Gogh, M. Draguet a fait connaître Bruxelles à l’échelle
mondiale avec son Musée Magritte. Étant donné sa fréquentation élevée, ce musée est
entre-temps devenu financièrement autosuffisant. Le Musée Fin-de-siècle a également vu
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le jour fin 2013. Ses collections propres, complétées par celle du baron et de la baronne
Gillion Crowet – un prêt consenti en échange du règlement de droits de succession –
montrent que l’art, l’architecture et le design ont connu une rare floraison dans la Belgique
e e
de la fin du XIX siècle et du début du XX siècle. Ce musée n’est pas aussi visité que
le Musée Magritte, mais M. Draguet peut quoi qu’il en soit se targuer d’avoir doublé le
chiffre de fréquentation de « ses » musées en deux ans, ce qui a permis que la part des
dotations de l’État dans les revenus totaux de ces institutions diminuent de 54 à 32 %.
Le succès du Musée Magritte lui a valu une aura particulière. Pendant cette période faste,
il passait pour le plus puissant directeur de musée de Belgique. Ses bonnes relations avec
les ministres PS ainsi qu’avec le ministre D. Reynders ont également contribué à faire
de lui une figure connue dans les médias bruxellois 31.

30
31
Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-5699 et 5-5700, 28 février 2012.
LaLibre.be, 10 décembre 2014 ; Le Vif/L’Express, 9 janvier 2015 ; « Musée Magritte », notice Wikipedia,
avril 2014.

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22 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Mais cette médaille a son revers. Dans la perspective des réformes et des rénovations,
plusieurs bâtiments et sections ont été fermés. C’est notamment le cas du musée de la
Porte de Hal, du Pavillon chinois, de la Tour japonaise et des sections « céramique » et
« art mosan » du Musée du Cinquantenaire. Dans ce dernier, on avait travaillé pendant
plusieurs années avec le soutien du Fonds InBev-Baillet Latour à l’aménagement de
nouvelles salles destinées à l’art nouveau et à l’art déco, qui devaient s’ouvrir en juin 2012.
Jusqu’à ce que les plans de M. Draguet en décident autrement. Les investissements du
Fonds ont alors été arrêtés, les activités également et le responsable a perdu sa mission.
M. Draguet a dû annuler d’autres projets encore. Les expositions prévues de longue
date sur Gustav Klimt et sur le surréalisme n’ont pas eu lieu, ce qui a rendu tout le
travail préparatoire inutile. En raison des manœuvres à venir, des parties du patrimoine
ont dû être stockées dans les dépôts. Il a fallu renoncer à certaines réparations urgentes,
si bien que des infiltrations d’eau ont mis les collections en danger. Le fait que M. Draguet
ait dû fermer, pour ce motif, la prestigieuse exposition Rogier van der Weyden quelques
32
semaines à peine après son ouverture a quelque peu écorné sa réputation .
Mais ce qui a causé le plus d’émoi, c’est la fermeture de la section « art moderne et
contemporain », qui a dû faire place au Musée Fin-de-siècle. Ces collections ont donc
perdu leur public et leur cadre d’exposition : les Permeke et les Delvaux ont pris la
direction des réserves. Le monde politique a estimé qu’il fallait chercher une solution
à ce problème. La Ville de Bruxelles, la Région de Bruxelles-Capitale et les autorités
fédérales ont offert leur aide à M. Draguet. Lui-même jugeait la collection suffisamment
importante pour justifier la construction d’un nouveau musée. Vu la symbolique de
l’endroit, le Cinquantenaire remportait la préférence de la Belgique fédérale. Cela exigeait
toutefois un coûteux investissement, à coupler avec le recouvrement du tunnel automobile.
Le démocrate-chrétien flamand Stefaan De Clerck, connaisseur du monde de l’art et
président de Belgacom et de son importante collection d’art contemporain, avait pour
sa part pensé au palais de justice. C’était évidemment un lieu stratégique, mais il a été
jugé peu approprié par les connaisseurs et il s’agit en outre d’un bâtiment protégé. Un
réaménagement du bâtiment Vanderborght semblait nettement plus réaliste. La Ville
paraissait disposée à le louer si les autorités fédérales assumaient les frais de rénovation.
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Une étude (coût : 750 000 euros) chiffrait le coût du réaménagement à 7 millions d’euros.
Cette solution ne serait cependant que temporaire 33.
Le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale avait entre-temps émis une
nouvelle idée : le bâtiment Citroën, sur le canal. La plupart des mandataires politiques
PS la soutenaient, mais aussi certains membres du MR et tous les partis bruxellois
flamands, hormis la N-VA. Ils comptaient sur le fait que la collection des Musées
royaux des beaux-arts de Belgique y serait transférée et misaient aussi sur les précieuses
collections de Belgacom et de Belfius. Cela formerait un ensemble fort, dont Bruxelles
tirerait une renommée internationale. Le projet cadrait aussi avec leur souhait de donner
priorité à la zone de développement située en bordure du canal. Un musée devait

32
Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-5694, 5-5695, 5-5696 et 5-5700,
28 février 2012 ; DOC 5-5906 et 5-5907, 19 mars 2012 ; DOC 5-5169, 27 avril 2012 ; Le Vif/L’Express,
9 janvier 2015.
33
Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-6902, 24 août 2012 ; DOC 5-11042,
5 avril 2013 ; L’Écho, 6 novembre 2014 ; De Standaard, 29 octobre 2014 ; G. Sels in De Standaard,
er
9 décembre 2014 ; W. Adriaenssens in De Standaard, 1 décembre 2014.

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LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 23

contribuer à procurer une dimension internationale à cette partie de la ville et relier


entre elles les deux zones du canal. R. Vervoort comptait aussi sur BELIRIS et souhaitait
acquérir le bâtiment par le biais de la Région de Bruxelles-Capitale. Lui aussi pensait
que le bâtiment Vanderborght pourrait offrir une solution temporaire 34.
En raison de tous ces développements, M. Draguet a eu à gérer bien des oppositions.
D’après le sénateur Bert Anciaux (SP.A), il a semé le trouble et l’incertitude au sein
du personnel. Il communiquait sur ces projets dans les médias, mais le faisait peu en
interne. De plus, M. Draguet avait interdit au personnel de réagir publiquement aux
projets de réforme. On craignait des représailles, si bien que les relations se sont détériorées
et que la confiance a disparu. L’action de protestation organisée chaque mercredi devant
les portes du musée après la fermeture de la section « art moderne et contemporain »
a fait sensation. Comme nous l’avons dit, c’est de la part de la N-VA que l’offensive
contre M. Draguet a été la plus dure, n’excluant pas les attaques personnelles. Le discours
de J. Swinnen dans Land op de tweesprong, une publication du groupe « Gravensteen »,
un groupe nationaliste flamand d’orientation sociale, était représentatif de cette agressivité.
Mais par ailleurs, la confiance diminuait également dans la presse francophone. La Libre
Belgique ne faisait pas mystère des critiques d’une partie du monde de l’art, résultat de
conflits personnels, d’incidents et d’erreurs. Manifestement, M. Draguet n’était pas un
35
bon manager de crise . Lorsque le ministre P. Courard a refusé les plans de réforme
de P. Mettens, M. Draguet a démissionné de son poste de directeur ad interim du Musée
du Cinquantenaire : si le pôle Art n’était pas créé, il ne voulait plus cumuler les deux
fonctions. Eric Gubel, un professeur de la VUB qui a dirigé pendant plusieurs années
le département des antiquités, a été nommé à sa succession en mars 2014 et a été chargé
d’établir un masterplan pour le musée 36.
Qu’apprenons-nous de ces deux situations conflictuelles ? Que, indéniablement, il existe
dans la direction du PS, et en particulier à la tête de sa section bruxelloise, un désir
très clair de renforcer le niveau culturel et scientifique fédéral localisé dans la région
capitale. Deux hauts fonctionnaires, P. Mettens et M. Draguet, incarnent cette dynamique.
Non sans résultat. BELSPO a gagné en visibilité et en importance, les deux nouveaux
musées sont incontestablement des succès. Mais les deux figures agissent de manière peu
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subtile et peu coordonnée, et ils n’ont pas réussi à rallier l’ensemble des institutions à
leur cause. La critique interne gagne de larges cercles au moyen des médias traditionnels
et modernes, fragilisant leur politique. Leurs adversaires font usage de ces faiblesses.
L’offensive de la N-VA sera la plus efficace et lui permettra d’imposer sa vision sur le
rôle de ces institutions dans le gouvernement Michel.

34
De Tijd, 6 novembre 2014 et 12 mars 2015 ; Le Soir, 24 octobre 2014, 6 novembre 2014 et 12 mars
2015 ; La Libre Belgique, 5 novembre 2014 ; La Libre.be, 10 décembre 2014 ; G. Sels in De Standaard,
35
9 décembre 2014 et 10 décembre 2014 ; De Morgen, 25 octobre 2014.
Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique, DOC 5-5694, 5-5695, 5-5696 et 5-5700,
28 février 2012 ; J. Swinnen in Doorbraak.be, 19 mai 2009 ; J. SWINNEN, « Leren drinken met de hik.
De grondslagen van de federale musea en institutions in vraag gesteld », op. cit. ; J.-P. Rondas in
De Standaard, 24 octobre 2014 ; J. Van Hove in De Standaard, 13-14 décembre 2014 ; B. De Baere in
De Morgen, 29 octobre 2014 ; G. Sels in De Standaard, 9 décembre 2014 ; De Standaard, 24 octobre
2014 ; La Libre Belgique, 14 février 2014, 5 novembre 2014, 7 novembre 2014 et 10 décembre 2014 ;
Le Soir, 30 octobre 2014 ; Le Vif/L’Express, 9 janvier 2015.
36
« Michel Draguet weg bij Jubelparkmuseum », De Redactie.be [VRT], 19 mars 2015. Le mandat d’Eric
er
Gubel en tant que directeur faisant fonction a été de courte durée : le 1 août 2015, il a été remplacé
par Alexandra De Poorter, jusqu’alors cheffe de département des collections mérovingienne et médiévale.

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3. LA POLITIQUE DE RECONFIGURATION
DU GOUVERNEMENT MICHEL

Inutile d’insister davantage sur l’importance de la vision politique de la N-VA concernant


les institutions fédérales. Le sujet a été abordé dès le congrès du parti sur le confédéralisme.
Les points de vue définis ont ensuite été repris et complétés dans le programme. Une
partie a été intégrée dans ce dernier sans susciter de forte opposition, puis concrétisée
dans le projet de loi de la secrétaire d’État Elke Sleurs, débattu le 15 décembre 2014 en
commission de la Chambre des représentants 37.
Comment expliquer que ces propositions politiques aient suscité si peu de résistance à
la table de négociation ? Du côté libéral, on était manifestement prêt à laisser la N-VA
prendre le dessus dans ce domaine. La négociatrice flamande, Maggie De Block, a fait
un ajout, mais ne s’est pas écartée de la ligne proposée. Le CD&V ne s’est pas opposé
lui non plus. Dans les cercles universitaires, on n’a pas mené de lobbying énergique en
faveur du maintien de la Politique scientifique fédérale. Le recteur de la KUL, Rik Torfs,
n’a pas caché son point de vue, à savoir que le centre de gravité de la recherche devait
se trouver du côté des Communautés et des Régions. L’ancien recteur et actuel président
de l’Associatie KULeuven, André Oosterlinck, avait émis le même point de vue bien
auparavant. Les recteurs flamands et francophones étaient néanmoins inquiets du maintien
des fonds de la politique de recherche fédérale et de leur transfert aux universités. Ils
ne voulaient à aucun prix les perdre et n’avaient pas non plus envie qu’ils aboutissent
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dans l’escarcelle du FWO et du FRS-FNRS. Les universités devaient conserver l’initiative 38.

37
Entretien avec J. Swinnen, 30 mars 2015 ; Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget
général des dépenses pour l’année budgétaire 2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique
(partim : Politique scientifique). Rapport fait au nom de la Commission de l’Économie, de la Politique
scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques et culturelles nationales, des Classes moyennes et
de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014.
38
Entretien avec le recteur P. De Knop, président du VLIR, 14 avril 2015 ; entretien avec J. Swinnen,
30 mars 2015 ; R. Torfs in De Morgen, 28 octobre 2014 ; R. Torfs in « Terzake » [émission de la VRT],
7 avril 2015.

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26 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

3.1. ÉCONOMIES ET TOURS DE VIS

Comme on le sait, le gouvernement Michel a suivi la stricte politique d’austérité


européenne et les déficits budgétaires ont dû être réduits en un court laps de temps.
Les institutions scientifiques et culturelles fédérales n’ont pas échappé aux mesures
d’économie : en 2015, elles ont vu sans période de transition leurs frais de personnel,
de fonctionnement et leurs investissements respectivement rabotés de 4 %, 20 %
et 22 %. En comparaison avec les économies du gouvernement Di Rupo, cela faisait
une augmentation de 2 %, 5 % et 2 %. Au total, les institutions devaient se passer de
12 millions d’euros. Mais il faudrait également se serrer la ceinture les années suivantes,
si bien que l’on pouvait s’attendre au total à 30 à 34 % d’économie.
Ces interventions soudaines et draconiennes ne tenaient pas compte du fait que
les institutions établissaient leur programmation quelques années à l’avance. Le plan
d’austérité était en outre accompagné d’un gel des recrutements, plus précisément en
ce qui concerne le personnel de niveau A, important pour ces institutions ; les réserves,
le plus souvent constituées dans le but de permettre des initiatives concrètes, ne pouvaient
plus non plus être utilisées. Le programme spatial devait lui aussi renoncer à 6,3 millions
d’euros. Comparées aux économies imposées aux institutions flamandes, celles du niveau
fédéral allaient beaucoup plus loin. Le plan d’économie touchait les institutions dans
leur core business, intervenait à l’improviste et semblait de plus particulièrement difficile
39
à mettre en œuvre .
En ce qui concerne la recherche de financement alternatif, des solutions libérales classiques
ont été proposées. Le secteur privé devait être davantage sollicité et son rôle devait être
renforcé. Pour approcher ce secteur de manière plus constructive et gagner sa confiance,
on pouvait faire appel au mécénat, au sponsoring et au crowd funding. Les institutions
devaient chercher ces moyens elles-mêmes, une responsabilité qui incombait aux
directions. Les musées, en particulier, devaient montrer que la culture rapporte, que
conquête du public pouvait allait de pair avec hausse des tarifs et que l’on pouvait faire
participer financièrement des citoyens à des projets concrets. Autrement dit, la rentabilité
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de la culture devenait une priorité 40.
D’importants éléments de la politique antérieure ont été abandonnés. BELSPO a été
partiellement démantelé. Le lourd encadrement administratif avait été jugé trop peu
au service des institutions. Il n’y avait pas besoin d’une structure hiérarchique si étendue
ni d’une administration qui attirait l’attention sur elle. Il était préférable que l’argent
consacré au bâtiment coûteux et sous-utilisé de l’avenue Louise ainsi qu’au développement
de l’image de BELSPO aille directement aux institutions. Une série de services (juridique,

39
Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire
2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim : Politique scientifique). Rapport fait au nom
de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques
et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ;
40
Le Soir, 28 octobre 2014 ; De Tijd, 25 octobre 2014.
Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire
2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim : Politique scientifique). Rapport fait au nom
de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques
et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 27

financier, logistique) ont été maintenus, mais le personnel restant a été transféré dans
les institutions ou d’autres départements. P. Mettens ne pouvait pas non plus conserver
son poste. On a fortement coupé dans les programmes de recherche 41. Alors que
la régionalisation et la communautarisation des PAI avait été programmée par le
gouvernement Di Rupo pour 2018, elle devait à présent intervenir un an plus tôt.
Concernant la façon dont le transfert et le financement des programmes en cours
devaient se dérouler, il n’y avait toutefois pas encore grand-chose de fixé, pas plus
que concernant le mode de réalisation des nouveaux projets. Le financement futur
de la recherche dans les institutions n’était pas non plus très clair 42. Une chose était
en revanche certaine : une Agence spatiale interfédérale devrait désormais travailler en
collaboration avec les Régions. La clé de répartition dépendrait de leur expertise
technologique et des projets mis en œuvre. La station polaire belge en Antarctique
devait être privatisée. Non seulement dans le domaine de la recherche, mais dans celui
de leur politique générale, les institutions devaient bénéficier d’une plus grande autonomie
et pouvoir décider de leurs activités, qui seraient évaluées et valorisées par le gouvernement
fédéral après coup. L’autonomie et la responsabilité devaient donner lieu à une
organisation dynamique et à un management moderne 43.
Le projet de loi de la secrétaire d’État E. Sleurs allait également à l’encontre de la politique
de Michel Draguet. Le riche patrimoine fédéral, tant les collections que les bâtiments,
devait être protégé et rénové là où il y avait urgence. La collection d’art moderne et
contemporain devait continuer à former un tout et redevenir accessible au public dans
le lieu où elle avait toujours été exposée, c’est-à-dire aux Musées royaux des beaux-arts
de Belgique. Cette décision d’Elke Sleurs avait un effet domino sur les autres collections
et annonçait une série d’autres problèmes. Le Musée Fin-de-siècle devait en effet faire
place à la collection d’art moderne et contemporain. Devait-il pour autant disparaître ?
L’accord avec le baron et la baronne Gillion Crowet stipulait pourtant que cette collection
devait être exposée aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique. Le prêt de leurs neuf
Magritte n’allait-il pas également être remis en cause, avec d’éventuels effets négatifs
sur les autres propriétaires et prêteurs de collections privées ? Un accord avait été signé
entre la Régie des bâtiments, la Ville de Bruxelles et la Région de Bruxelles-Capitale au
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sujet du bâtiment Vanderborght ; 750 000 euros y avaient déjà été investis et 7,7 millions
d’euros avaient été réservés. Il fallait à présent mettre fin à cette collaboration. Le
nouveau bâtiment projeté au Cinquantenaire n’avait plus aucune utilité et le projet de
Rudi Vervoort concernant le bâtiment Citroën était également compromis. La décision
d’E. Sleurs privait en effet le ministre-président bruxellois de la collection des Musées
royaux des beaux-arts de Belgique. La piste d’un musée bruxellois d’art contemporain
44
semblait d’ailleurs abandonnée .

41
42
Ibidem.
Ibidem ; Belga, octobre 2014 ; entretien avec le recteur P. De Knop, président du VLIR, 14 avril 2015.
43
Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire
2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim : Politique scientifique). Rapport fait au
nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques
et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ;
44
La Libre Belgique, novembre 2014.
Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire
2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim : Politique scientifique). Rapport fait au
nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques
et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ;

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28 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Bref, la secrétaire d’État mettait un terme aux réformes fondamentales programmées


– et déjà partiellement réalisées – au sein de BELSPO et dans le monde muséal. Mieux
que ça, elle en inversait les objectifs et mettait à présent l’accent sur la conservation
du patrimoine. Une bonne part de responsabilité politique reposait désormais sur
les institutions elles-mêmes. Toutes devaient désigner un change manager et établir
des masterplans. Autrement dit, les cartes étaient entièrement redistribuées. Comme
on pouvait s’y attendre, la déclaration politique d’E. Sleurs s’est heurtée à de nombreuses
protestations.

3.2. LE DÉBAT DANS LE MONDE CULTUREL

Du côté des institutions culturelles fédérales, c’est le directeur du Théâtre royal de la


Monnaie, Peter De Caluwe, qui a ouvert le feu à la fin octobre 2014 avec une lettre
ouverte véhémente publiée à la fois dans De Morgen et dans Le Soir. Dans un cri de
détresse, il annonçait le début d’un véritable black-out culturel et affirmait aussi voir
dans cette politique d’austérité drastique une guerre d’épuisement idéologique et un
règlement de compte de la part d’un gouvernement peu favorable au secteur. Cette
lettre a eu un grand retentissement, tant dans la partie néerlandophone que dans la partie
francophone du pays 45. P. De Caluwe a fait des émules, en l’occurrence son prédécesseur
B. Foccroulle ainsi que les présidents du Théâtre royal de la Monnaie et de BOZAR,
qui ont également fait part de leur indignation publiquement. Des professeurs et des
publicistes spécialistes du monde artistique, comme le sociologue de la culture français
Frédéric Martel, S. de Ville, B. Van Looy et H. Capron, ont pris la parole, de même
que des artistes comme Anne Teresa De Keersmaeker, Luc Tuymans et Martine Wijckaert.
De Morgen, De Standaard, De Tijd, Trends, Le Soir, La Libre Belgique, L’Écho et Le Vif :
tous se sont montrés ouverts au débat, qui a trouvé un prolongement dans les médias
sociaux 46.
Quels étaient les thèmes abordés dans ce débat ? La plupart des protestations faisaient
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écho au scénario catastrophe envisagé par P. De Caluwe. Le secteur était déjà mal en
point et accomplissait un travail remarquable avec peu de moyens ; ces économies
brutales allaient donc détruire le matériel lui-même, mettre fin aux activités et forcer
à tailler dans la production. Bref, cela causerait une coupe claire sans perspectives
d’avenir. La fin de la culture était ni plus ni moins en vue. P. De Caluwe évoquait
la vision bleu foncé de la culture, qui n’était plus conçue qu’en termes économiques.
Il abordait ainsi un thème central. Les défenseurs de la pensée de marché comme ceux
de l’intervention étatique ont exprimé leur point de vue. Jo Libeer, du Vlaams Netwerk

La Libre Belgique, 26 octobre 2014 ; LaLibre.be, 10 décembre 2014 ; L’Écho, 19 décembre 2015 ;
45
De Standaard, 25-26 octobre 2014.
P. De Caluwe in Le Soir, 23 octobre 2014 ; P. De Caluwe in De Morgen, 23 octobre 2014 ; L’Écho,
46
23 octobre 2014 ; Trends, 20 novembre 2014 ; De Morgen, 14 novembre 2014.
C. de Salle in La Libre Belgique, 27 octobre 2014 ; B. Foccroulle in Le Soir, 28 octobre 2014 ; P. Mettens
in Le Soir, 23 octobre 2014 ; Brusselse Kunstenoverleg, Réseau des arts à Bruxelles et al., in Brussel
deze Week, 6 novembre 2014 ; M. Wijckaert in La Libre Belgique, 25-26 octobre 2014 ; Trends,
2 octobre 2014 et 20 novembre 2014 ; De Morgen, 14 novembre 2014 ; De Tijd, 20 décembre 2014 ;
De Standaard, 24 octobre 2014 ; Le Soir, 24 octobre 2014.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 29

van Ondernemingen (VOKA), se joignait à ceux pour qui la culture pouvait naître sans
subsides. Pour qu’un soutien des autorités puisse intervenir, la barre devait selon lui être
placée suffisamment haut. L’analyse de la rentabilité de l’art faite par H. Capron était
commentée, tandis que F. Martel contestait pour sa part la possibilité que la culture puisse
vivre sans subsides. Selon B. Van Looy, certaines formes d’art ne pouvaient même pas
du tout se passer du soutien de l’État. M. Wijckaert allait jusqu’à parler de « l’expression
barbare de toute une caste inféodée aux lois du marché et du banditisme organisé » et
de « gens de droite arrogants, qui n’aimaient pas les artistes ». Mais dans la plupart des
discours, un même son de cloche revenait : même si la rentabilité économique de l’art
ne devait pas être sous-estimée, les lois du marché ne pouvaient en aucun cas dominer.
Même aux États-Unis, ce n’était pas le cas 47.
Contrairement à l’esprit international et cosmopolite, la pensée nationaliste n’était pas
non plus applaudie dans les discours. Cela aussi, on pouvait s’y attendre. En janvier 2011,
des artistes et des intellectuels avaient organisé au Koninklijke Vlaamse Schouwburg
(KVS) à Bruxelles la manifestation « Niet in onze naam / Pas en notre nom », en
protestation contre le nationalisme et la scission de la Belgique – le secrétaire du groupe
N-VA à la Chambre des représentants, J. Swinnen, avait alors parlé de la « nostalgie
de la Belgique » régnant dans ces cercles, qui craignaient en outre le repli sur soi et
les frontières 48. Cette vision réapparaissait clairement dans le débat de la fin 2014.
Le monde culturel bruxellois, fortement ancré dans la ville multiculturelle, a fait savoir
par le biais de ses organisations coupoles qu’il continuerait de lutter pour promouvoir
la richesse culturelle à un niveau national et international. La ville était et restait le lieu
de rencontre ouvert de deux communautés. Dans plus d’un discours, la crainte que
tout ne se résume pas à des mesures d’économie transparaissait également. Surtout
après que le journaliste J.-P. Rondas avait prétendu ouvertement qu’il s’agissait aussi
d’une attaque contre les artistes anti-nationalistes et qu’il avait dénié à P. De Caluwe
le droit de parler. Bart Somers et Jean-Jacques De Gucht, membres de l’Open VLD,
ont vivement réagi à ses propos, ainsi que Marc Hooghe, professeur de la KULeuven,
qui a défendu la liberté d’expression. L’ancien ministre flamand de la Culture Bert Anciaux
(SP.A) a également parlé de revanche contre un secteur qui s’était opposé à la N-VA.
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B. Foccroulle et M. Wijckaert voyaient là une attaque pure et simple contre le volet
fédéral de la culture. Beaucoup, en particulier dans les médias francophones, mais aussi
dans De Standaard, étaient d’avis que l’on assistait probablement à un règlement de
49
compte politique .

47
Pour cette analyse, nous nous sommes basée sur les textes mentionnés dans les notes 44 et 45.
48
S. GOVAERT, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010-
décembre 2011) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2144-2145, 2012, p. 39 ; B. Foccroulle in Le Soir,
28 octobre 2014 ; F. Martel in Le Soir, 29 octobre 2014 ; J. Swinnen in Doorbraak.be, 19 mai 2012 ;
49
J. De Troyer in La Libre Belgique, 7 octobre 2014.
P. De Caluwe in De Morgen, 23 octobre 2014 ; Le Soir, 28 octobre 2014, 30 octobre 2014 et 15-16 novembre
2014 ; La Libre Belgique, 25-26 octobre 2014 ; De Standaard, 25-26 octobre 2014.

CH 2284-2285
30 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

3.3. LE DÉBAT DANS LES INSTITUTIONS SCIENTIFIQUES

Le projet de loi d’Elke Sleurs a parallèlement déclenché de vives réactions dans les cercles
des institutions scientifiques fédérales, qui se voyaient confrontées au même régime
draconien ainsi qu’au démantèlement des programmes de recherche et du cadre
administratif de BELSPO. D’autres protestations sont venues du milieu universitaire.
Les recteurs ne s’opposaient pas à l’affaiblissement de BELSPO, mais plaidaient clairement
pour le maintien des programmes de recherche, même si ceux-ci devaient prendre la
voie des Communautés et des Régions. Les professeurs et les chercheurs impliqués dans
ces programmes ont organisé des pétitions en ligne et ont envoyé des lettres ouvertes à
la presse. Des campagnes de soutien ont également été organisées par BELSPO, recueillant
quelques milliers de signatures. Le Premier ministre et la secrétaire d’État ont reçu des
pétitions. Le fait que le frère du président de la N-VA, l’historien et professeur gantois
Bruno De Wever, ait participé au lancement d’une pétition visant à défendre le CEGES
50
n’est pas passé inaperçu . L’ensemble des échevins de la Culture des différentes
communes bruxelloises ont réclamé le maintien du Musée Fin-de-siècle, tandis que la
Région de Bruxelles-Capitale a jugé les problèmes suffisamment sérieux pour demander
une concertation avec le gouvernement fédéral 51. Mais cette fois encore, ce sont les
directeurs généraux qui ont protesté le plus vivement. Les institutions de ce qui aurait
dû devenir le pôle Espace se sont montrées assez réservées, mais les autres ont contacté
la presse et trouvé audience dans les journaux et hebdomadaires qui avaient déjà relayé
les protestations des institutions culturelles.
Les articles visaient avant tout à montrer que les mesures d’économie portaient atteinte
à leurs activités spécifiques et n’étaient pas réalisables. Ils mettaient en garde contre
l’« intervention comptable aveugle ». Le scénario mis en perspective était tout aussi
dramatique que celui de leurs collègues des institutions culturelles. Selon le directeur
du CEGES, Rudi Van Doorslaer, le plan d’économie signait la fin de son institution.
Tout ce que les générations précédentes avaient construit allait disparaître. Il arrêtait
d’ores et déjà la publication sur papier du Bulletin et annonçait que l’importante
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Revue belge d’histoire contemporaine qu’il éditait allait subir le même sort. Karel Velle
et Patrick Lefèvre voyaient également l’avenir de façon très sombre. « Catastrophique
et irresponsable » : c’est ainsi que le directeur général de la Bibliothèque royale de
Belgique décrivait cette politique, qui allait l’obliger à couper dans les abonnements
de périodiques et les achats de livres. Pour Karel Velle, la seule solution consisterait
à fermer une partie des archives de l’État dans les provinces. Guido Gryseels, du Musée

50
J.-L. Tilson, F. Dehairs et al. in Le Soir, 4 novembre 2014 ; R. Torfs in De Morgen, 28 octobre 2014 ;
entretien avec le recteur P. De Knop, président du VLIR, 14 avril 2015 ; Le Soir, 23 octobre 2014,
28 octobre 2014 et 4 novembre 2014 ; La Libre Belgique, 9 décembre 2014 ; De Morgen, 27 octobre 2014 ;
51
De Tijd, 15 novembre 2014.
Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire
2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim : Politique scientifique). Rapport fait au
nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques
et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ;
J. Van Hove in De Standaard, 13-14 décembre 2014 ; G. Sels in De Standaard, 9 décembre 2014 ;
C. Herscovici in LaLibre.be, 23 octobre 2014 ; Région de Bruxelles-Capitale, « Note au Comité de
concertation », 15 janvier 2014 (AGR, dossier « Institutions fédérales ») ; La Libre Belgique, 10 février 2015 ;
LaLibre.be, 10 décembre 2015 ; Le Vif/L’Express, 9 janvier 2015.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 31

royal de l’Afrique centrale, parlait d’un chemin de croix de quatre ans. Il n’était pas en
2
mesure de réaliser ces économies, surtout à présent que 5 000 m d’espace accessible
public s’ajoutaient au reste suite à la rénovation. À l’Institut royal des sciences naturelles
de Belgique, Camille Pisani s’était déjà montrée tout aussi pessimiste : les collections
ne seraient plus accessibles et les salles seraient fermées. Bien logiquement, les critiques
les plus dures étaient toutefois émises par Philippe Mettens et Michel Draguet. P. Mettens
parlait d’un « véritable cataclysme », et même d’un « saccage ». M. Draguet annonçait
que certaines expositions seraient annulées et décrivait la politique visée comme une
« modernité barbare sans culture et recherches ». « Un pendu au bout de la corde est
aussi autonome », commentait-il, amer, au sujet de l’autonomie renforcée dont jouiraient
les institutions 52.
Les scientifiques évoquaient bien entendu surtout les inconvénients du démantèlement
de la politique de recherche fédérale. Séparément, la Flandre et la Belgique francophone
n’auraient plus autant de poids sur la scène internationale. Le niveau fédéral avait plus
de potentiel et pouvait mobiliser une masse critique plus importante que les fonds de
recherche communautaires (FWO et FRS-RNRS) afin d’élargir les pôles d’excellence.
Le démantèlement des PAI et autres programmes de recherche fédéraux entraînait
la disparition de précieux réseaux et de recherches d’excellence. Ce discours avait déjà
été utilisé précédemment pour défendre les PAI. En vain, semblait-il 53.
Comme on l’a entendu dans le secteur culturel, les cercles scientifiques parlaient
également de règlement de compte, voire d’un agenda caché de la part du gouvernement
Michel et de la N-VA en particulier. Selon P. Mettens et M. Draguet, mais aussi selon
Jean-Marc Delizée (PS), on commençait par démanteler les institutions, avant de contester
leur utilité et de les éliminer ensuite complètement. Pour M. Draguet, il s’agissait
également d’une attaque contre Bruxelles. Le directeur du CEGES, R. Van Doorslaer,
supposait également que l’on voulait mettre les institutions à genoux. Concernant la
sienne, il allait plus loin encore : acceptait-on encore que des recherches soient menées
sur les années sombres du XXe siècle ? Telle était la question rhétorique qu’il posait au
gouvernement, et plus spécifiquement aux ministres N-VA 54.
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52
G. Gryseels in La Libre Belgique, 7 novembre 2014 ; R. Van Doorselaer in Le Soir, 28 octobre 2014 ;
CEGES, Berichtenblad, décembre 2014, p. 14 ; M. Draguet in Le Soir, 6 novembre 2014 ; De Morgen,
27 octobre 2014 ; La Libre Belgique, 25-26 octobre 2014, 27 octobre 2014 et 9 décembre 2014 ; LaLibre.be,
23 octobre 2014 ; Le Soir, 20 octobre 2014, 25-26 octobre 2014 et 29 octobre 2014 ; De Tijd,
25 octobre 2014, 6 novembre 2014 et 20 décembre 2014 ; De Standaard, 24 octobre 2014 et
53
4 novembre 2014 ; Brussel deze Week, 15 janvier 2014 et 6 novembre 2014.
J.-L. Tilson, F. Dehairs et al. in Le Soir, 4 novembre 2014. J. Dehairs a lancé une pétition à la VUB et
54
à l’ULB (décembre 2014).
M. Draguet in LaLibre.be, 23 octobre 2014 ; La Libre Belgique, 24 octobre 2014 ; Le Soir, 23 octobre 2014,
24 octobre 2014 et 28 octobre 2014.

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32 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

3.4. RÉACTIONS DANS LES CERCLES GOUVERNEMENTAUX

Ces protestations ne sont pas restées sans effet. La Libre Belgique a même utilisé le mot
de « fronde » à leur sujet. Le ministre D. Reynders a été le premier à réagir, visant à
raison P. De Caluwe et sa lettre enflammée. Le directeur du Théâtre royal de la Monnaie
aurait dû au préalable parler à son ministre de tutelle. Celui-ci – D. Reynders, donc –
était en effet connu comme un défenseur de la culture. Parallèlement, D. Reynders
a cherché une solution pour « ses » institutions. Il a porté l’affaire devant le Comité
ministériel restreint et a obtenu une mesure d’exception. Les économies imposées au
Théâtre royal de la Monnaie, à BOZAR et à l’Orchestre national de Belgique seraient
réduites de près de la moitié. Au lieu de 5,1 millions d’euros, ces institutions ne devraient
en épargner que 2,7 millions. Les efforts supplémentaires à fournir sur le poste Personnel
– en gros le plus important du budget – pourraient être supprimés. Le ministre flamand
de la Culture, Sven Gatz, est également intervenu dans ce débat et a tenté d’aider
BOZAR et le Théâtre royal de la Monnaie. Du côté francophone, le ministre-président
de la Communauté française, Rudy Demotte (PS), n’a en revanche rien voulu savoir :
« Nous ne voulons pas jouer les pompiers des économies que la droite flamande veut
réaliser », a-t-il répondu en guise de refus. Lors du contrôle budgétaire de mars 2015,
D. Reynders a encore pu libérer 1,5 million d’euros, si bien que les économies ont pu
55
être ramenées de 10 % à 3 % .
Les mesures d’exception de D. Reynders ont provoqué le mécontentement de la N-VA
et de la secrétaire d’État E. Sleurs, qui lui ont reproché de ne pas s’en tenir aux accords
de base conclus au sein du gouvernement Michel. Elke Sleurs pouvait toutefois
difficilement s’opposer à une proposition visant à adoucir les mesures d’austérité. Elle
a fait savoir qu’elle ferait des propositions concernant la répartition de l’enveloppe qu’elle
avait reçue. Il s’agirait dans un premier temps de 15 millions d’euros. Elle avait donc
l’intention d’accorder aux institutions des one shots sur la base des listes de priorités
qui lui seraient soumises. Des accords tenant compte de la spécificité de l’institution
seraient signés. E. Sleurs voulait ainsi avant tout assurer leur avenir et répondre aux
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masterplans et aux audits demandés. Une enquête déterminerait qui recevrait quoi.
Il n’était donc pas question d’adaptations structurelles, de sorte que les économies
continuaient à peser lourdement sur le fonctionnement quotidien. Après le contrôle
budgétaire de la fin mars 2015, les 15 millions d’euros ont été ramenés à 11,2 millions,
une somme prélevée sur le montant non dépensé affecté à la conquête spatiale 56. Les
fonds en question ont été distribués en juin 2015. Ils sont principalement allés
à l’informatique, à la numérisation et à la conservation des collections appartenant
aux institutions scientifiques 57.

55
J.-P. Rondas in De Standaard, 24 octobre 2014 ; De Standaard, 7 novembre 2014, 14 novembre 2014
et 7 avril 2015 ; De Morgen, 23 octobre 2014 ; De Tijd, 7 novembre 2014 ; La Libre Belgique, 25-26 octobre
2014, 5 novembre 2014, 6 novembre 2014 et 7 novembre 2014 ; LaLibre.be, 24 octobre 2014 et 5 novembre
2014 ; Le Soir, 28 octobre 2014 et 7 novembre 2014.
56
La Libre Belgique, 7 novembre 2014, 14 novembre 2014, 3 février 2015 et 31 mars 2015 ; LaLibre.be,
57
26 octobre 2014, 5 novembre 2014 et 13 janvier 2015 ; Le Soir, 7 novembre 2014 ; L’Écho, 6 novembre 2014.
Le Soir, 17 juin 2015 ; La Libre Belgique, 17 juin 2015 ; De Standaard, 17 juin 2015 ; De Tijd, 17 juin 2015.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 33

En ce qui concerne le projet de musée d’art moderne et contemporain, les problèmes


ont mené à une véritable impasse. Le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort a choisi
la fuite en avant. Une somme avait été réservée chez BELIRIS à l’achat du bâtiment
Citroën, mais D. Reynders s’opposait à cette opération. Invoquant la sixième réforme
de l’État, qui autorisait la Région de Bruxelles-Capitale à acquérir des infrastructures à
des fins biculturelles, R. Vervoort a recapitalisé la société chargée des achats immobiliers
de la Région. En mars 2015, le bâtiment a été acheté et les études préliminaires ont pu
être entamées. La société Citroën a elle-même pris en charge l’assainissement des sols
pollués. Selon R. Vervoort, un musée pouvait être créé même sans les collections des
Musées royaux des beaux-arts de Belgique : il était en effet possible de négocier un accord
avec Belfius et Belgacom concernant leurs riches ensembles 58.
Tous les ingrédients d’un conflit politique étaient donc réunis. La politique de la N-VA,
qui avait contrecarré les plans existants et choisi une piste peu évidente – les locaux
destinés à la collection d’art moderne et contemporain n’étaient pas disponibles
immédiatement et la fermeture du Musée Fin-de-siècle n’était pas une décision
populaire –, avait abouti à un conflit ouvert avec la majorité au sein de la Région de
Bruxelles-Capitale et entre cette majorité et le MR. Les échanges animés se sont prolongés
jusque sur Facebook et Twitter. Sans concertation, le blocage était total. La secrétaire
d’État l’avait manifestement compris elle aussi. Elle a donc évoqué à plusieurs reprises
la nécessité de réunions et a pris ses distances vis-à-vis des parlementaires N-VA trop
intransigeants, tout en s’en tenant au plan annoncé. Le ministre flamand de la Culture,
S. Gatz, est resté optimiste et a proposé sa médiation. La bonne nouvelle, c’est que
personne n’a prononcé d’exclusive, a-t-il affirmé 59. Bref, un dossier épineux, pour lequel
il n’y a [en juillet 2015] pas de solution en vue.
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58 er
W. Adriaenssens in De Standaard, 1 décembre 2014 ; G. Sels in De Standaard, 9 décembre 2014 ;
De Standaard, 24 octobre 2014 ; De Tijd, 12 mars 2014 ; De Morgen, 25 octobre 2014 ; L’Écho,
6 novembre 2014 ; Le Soir, 24 octobre 2014, 12 mars 2015 et 17 mars 2015 ; La Libre Belgique, 12 mars
59
2015 ; LaLibre.be, 25 octobre 2014.
Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Compte rendu intégral. Séance plénière, 10 décembre 2014 ;
Vlaams Parlement. Handelingen plenaire vergadering, 10 décembre 2014, p. 13 ; LaLibre.be, 24 octobre
2014 et 10 décembre 2014 ; De Tijd, 20 décembre 2014 ; G. Sels in De Standaard, 10 décembre 2014 ;
De Standaard, 24 octobre 2014.

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4. POINTS DE FRICTION

Tout cela montre que le débat relatif aux institutions culturelles et scientifiques fédérales
est encore loin d’être bouclé. Il est en revanche assez avancé pour énumérer quelques
points de friction et formuler des points de vue.

4.1. FÉDÉRAL, COMMUNAUTAIRE OU RÉGIONAL ?

Commençons par la question la plus cruciale : la recherche et les institutions fédérales


sont-elles sur le point d’être intégrées aux structures régionales et communautaires ?
L’avenir de la recherche organisée par BELSPO semble assez clair. Le démantèlement de
BELSPO, la suppression des fonds destinés à la recherche, le sort des PAI, le remplacement
de P. Mettens et la participation des Régions à l’Agence spatiale interfédérale en projet
sont autant de signes de communautarisation et de régionalisation futures. La façon
dont les choses vont se passer concrètement dépendra de la phase d’exécution. Dans
les cercles scientifiques, on espère que les réformes ne supprimeront pas les possibilités
de collaboration entre chercheurs flamands et francophones au sein de centres d’excellence
et n’aboutiront pas à une fuite des cerveaux.
La situation est nettement moins claire au niveau des institutions fédérales. Les cercles
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francophones sont particulièrement méfiants à l’égard des intentions réelles du
gouvernement Michel. Que ce soit dans les journaux ou à la RTBF, on parle d’indices
annonçant un transfert aux Régions et Communautés. Le démantèlement d’une partie
de BELSPO et le transfert de la politique de recherche fédérale renforcent évidemment
cette crainte. Il en va de même concernant le rôle dévolu aux Régions dans la future
Agence spatiale interfédérale. Le fait que les collections fédérales doivent être échangées
entre les musées communautaires est interprété de la même façon, ainsi que le constat
selon lequel on ne touche pratiquement pas aux grandes institutions culturelles flamandes,
conçues comme des cartes de visite internationales. L’investissement consenti par
le ministre flamand N-VA du Tourisme dans un pavillon d’accueil pour le Musée royal
de l’Afrique centrale à Tervuren suscite également bien des arrière-pensées. La RTBF
n’hésite pas à parler de « flamandisation » de l’établissement. Les déclarations d’autres
hommes politiques N-VA renforcent cette méfiance. Un membre du groupe Gravensteen
a, par exemple, déclaré que les institutions fédérales étaient une anomalie dans le paysage
belge, les prototypes mêmes de la gestion à la belge, particulièrement calamiteuse. Pour
éviter de tels désastres, il fallait opter pour la communautarisation. Le lecteur a d’ailleurs
encore à l’esprit le programme de parti de la N-VA concernant les institutions fédérales.

CH 2284-2285
36 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Pendant les négociations de 2008, le ministre-président flamand, Kris Peeters (CD&V),


avait également préconisé une redistribution des activités et collections des institutions
entre les Communautés et les Régions 60.
Néanmoins, il y a aussi des indices qui laissent penser que ces institutions conserveront
leur statut fédéral sous la présente législature, et ce pas uniquement parce que les
directions des institutions y sont favorables. P. De Caluwe et G. Gryseels se disent par
exemple résolument « pour ». Mais même dans les rangs de la N-VA, on partage cette
opinion. J. Swinnen parle par exemple d’institutions détenant de vastes et précieuses
collections, à l’unité caractéristique, établies dans de magnifiques bâtiments. Elles ont
beau être l’héritage de la Belgique d’autrefois, il n’est pas partisan d’une scission :
ces collections sont difficilement attribuables à une seule Communauté 61. La secrétaire
d’État E. Sleurs ne dit pas autre chose. Les institutions fédérales ne seront pas démantelées,
elles méritent au contraire une nouvelle dynamique. Une fois les économies réalisées,
elles pourront grandir. E. Sleurs dit vouloir donner des impulsions positives, de manière
à ce que les collections soient mieux valorisées, et s’attaquer aux problèmes, afin de faire
des institutions fédérales des institutions florissantes, aux performances optimales.
Les anciens bâtiments retrouveront leur grandeur passée. Ce sera la fin d’une longue
période de négligence et l’on investira dans des rénovations dont le besoin est criant.
L’infrastructure actuelle reçoit la priorité sur les nouvelles initiatives. Le masterplan
de Tervuren est un bel exemple de cette politique. Cette vision de la secrétaire d’État tend
à rejoindre les critiques formulées contre M. Draguet : celui-ci s’était trop peu soucié
des problèmes fondamentaux, ainsi que l’avaient montré la fermeture prématurée de
l’exposition Van der Weyden, les dégâts encourus par quelque 300 peintures sur bois
et le vol d’œuvres au Musée du Cinquantenaire. Dans le domaine de la gestion du
personnel aussi, il fallait manifestement viser une autre politique de stabilité. P. Mettens
doit céder sa place et la position de M. Draguet reste également contestée dans l’entourage
de la secrétaire d’État. Les deux directeurs ad interim, Eric Gubel aux Musées royaux
d’art et d’histoire et Christina Ceulemans à l’Institut royal du patrimoine artistique,
62
sont maintenus, même si le premier a entre-temps été remplacé .
Toutefois, la disparité, ou plutôt le contraste entre ce discours et les importantes économies
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exigées est frappant. Si l’on veut que ces institutions grandissent, ne doivent-elles pas
recevoir la marge financière nécessaire ? Ne faut-il pas veiller à minimiser l’impact
de ces lourdes mesures d’austérité avant qu’elles ne causent des dégâts irrémédiables ?

60
S. GOVAERT, « Les discussions communautaires sous les gouvernements Verhofstadt III, Leterme et
Van Rompuy », op. cit., p. 12-13 ; Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général
des dépenses pour l’année budgétaire 2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim :
Politique scientifique). Rapport fait au nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique,
de l’Éducation, des Institutions scientifiques et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture,
DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ; J.-P. Rondas in De Standaard, 24 octobre 2014 ; R. Torfs in
De Morgen, 28 octobre 2014 ; LaLibre.be, 19-20 décembre 2013, 23 octobre 2014, 24 octobre 2014 et
61
30 octobre 2014 ; Le Soir, 24 octobre 2014 ; De Morgen, 27 octobre 2014.
62
J. Swinnen in Doorbraak.be, 19 mai 2012.
Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire
2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim : Politique scientifique). Rapport fait au
nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques
et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ;
De Standaard, 25-26 octobre 2014 ; De Tijd, 25 octobre 2014 ; LaLibre.be, 26 octobre 2014. Concernant
le remplacement d’E. Gubel par A. De Poorter, cf. LaLibre.be, 24 juillet 2015 ; Brussel deze Week,
13 août 2015.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 37

Est-il réaliste de placer autant d’espoir dans le secteur privé ? Ne s’agit-il pas de wishful
thinking ? Ces institutions et activités ne jouissent en effet pas toutes d’une grande
notoriété et n’attirent pas toutes autant le public. La rentabilité économique ne doit pas
non plus être surestimée. Les directions de ces institutions pourront peut-être répondre
adéquatement à ces questions et évaluer les répercussions négatives des mesures
d’économie. Leur réponse à la secrétaire d’État devra donc être examinée avec attention.
Cela vaut aussi pour les masterplans que la secrétaire d’État demandera et qui auront
notamment pour objet la rénovation des bâtiments. Elke Sleurs devra en tout cas
convaincre son collègue J. Jambon, ministre de tutelle de la Régie des bâtiments,
d’accorder la priorité à ces plans.

4.2. DES INSTITUTIONS AUTONOMES ?

Une deuxième question importante concerne l’autonomie dont disposeront les


institutions. Rappelons que la demande d’autonomie rejoint la tendance également
observée dans les universités et les institutions scientifiques. Dans le prolongement
du processus de Bologne, on a résolu d’encourager par ce biais les institutions de
recherche à relever les défis de la société de connaissance, d’améliorer leur efficacité
et de leur offrir un plus grand espace dans lequel développer leur profil. De plus, elles
s’occupent d’activités créatives peu adaptées à une gestion thématique hiérarchisée.
L’autonomie est donc considérée comme un gage de qualité.
Qu’implique précisément cette indépendance ? En premier lieu, une responsabilisation
vis-à-vis de leurs propres moyens, ce qui augmente évidemment le poids de la « pensée
budgétaire » et renforce le rôle de l’inspection financière. Les principes de transparence,
d’efficience, de bonne gestion et de contrôle bénéficient d’une grande attention. Les
institutions sont évaluées sur leur efficacité et ont besoin de capacité de gestion. Une
grande responsabilité repose donc sur la direction de l’institution, loin de tout centralisme
démodé ou de participation du personnel restant limitée. Les petites institutions ont plus
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de mal à gérer cette autonomie que les autres. L’accroissement d’échelle reste donc
nécessaire, estime-t-on. La question de la subsistance individuelle des petites institutions
reste d’actualité. L’intérêt public des institutions légitime l’implication particulière
de la société. Les autorités interviennent à titre de partenaire privilégié dans l’organe de
gestion le plus élevé, moteur de l’institution. Cet organe doit aussi compter une présence
suffisante d’éléments critiques externes 63. Les conseils scientifiques actuels, avec leurs
experts et leur lien avec les universités, répondent-ils suffisamment à ce modèle ?

63
Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire
2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim : Politique scientifique). Rapport fait au
nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique, de l’Éducation, des Institutions scientifiques
et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture, DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014 ;
G. AELTERMAN, A. OOSTERLINCK, L. VAN DEN BERGHE, J. DE GROOF, « Beginselen van goed bestuur
voor universiteiten, hogescholen en institutions scientifiques in de Vlaams Gemeenschap. Proeve van
aanbevelingen door een werkgroep samengesteld uit », 2011.

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38 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Au sein des institutions concernées, on avertit toutefois que l’autonomisation n’est pas
un concept fourre-tout, mais qu’elle correspond à une réalité complexe. Une enquête
a montré qu’il n’existait pas de modèle idéal pour les organisations qui aspiraient
à une certaine forme d’autonomisation et étaient engagées dans un processus dans ce
sens ; le mieux est de définir pour chacune une série de conditions spécifiques. Cette
forme de gestion a également de nombreuses conséquences sur la relation entre les
institutions et le monde politique, la façon dont le contrôle administratif et financier
s’exerce (plutôt un contrôle ex-post, en l’espèce), les aptitudes dont les managers doivent
disposer et ce genre de choses. Du côté des directions, on redoute la politique de la
sanction financière ; les incitants et la politique de gratification attirent davantage 64.
Bref, l’octroi d’une autonomie accrue aux institutions ne va pas sans une réflexion
approfondie et un planning soigneusement pensé, adapté à chaque cas.
Beaucoup de points doivent en outre être clarifiés à présent que la coordination assurée
par BELSPO disparaît pour une part. Il reste en effet encore une bonne part de recherche
fédérale inscrite dans des cadres européens. Les institutions devront désormais répondre
elles-mêmes à la demande variable de ces initiatives européennes. Elles pourront
rassembler et répartir les fonds en lien étroit avec leur spécificité. Des clés de répartition
seront-elles utilisées à cette fin et, si oui, lesquelles ? La question de la conception
internationale de la science et la culture se posera encore après la réforme. Comment
viser à la formation de centres de gravité dans les réseaux internationaux ? Quels rôles
peuvent éventuellement jouer les fonds de recherche et les universités ? L’ingérence
politique ne risque-t-elle pas de devenir plus forte ? Autant de questions qu’il faut
absolument évoquer et qui attendent des réponses pertinentes.

4.3. COLLABORATION AVEC LES COMMUNAUTÉS ET LES RÉGIONS

Dans la perspective de l’autonomie accrue dont ces institutions scientifiques fédérales


vont disposer, le problème du manque de collaboration avec les Communautés risque
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de se faire ressentir plus cruellement, en particulier dans le secteur muséal. Ce n’est pas
neuf. La question a déjà souvent été posée au Sénat. Lorsque Michel Draguet ferme
la section « art moderne et contemporain », ouvre le Musée Fin-de-siècle et qu’il est
question d’un nouveau musée d’art contemporain, certains signalent que les matières
culturelles sont concernées et que, donc, les Communautés devraient pouvoir intervenir.
La rencontre entre le niveau fédéral et le niveau régional bruxellois fait de la question
une affaire trop bruxelloise, dans laquelle les Communautés n’ont pas leur mot à dire,
estiment les critiques. Une critique qui est également exprimée au Parlement flamand.
Les réponses des ministres restent toutefois vagues. D’autres cercles pensent également
que les institutions fédérales ne servent pas suffisamment les Communautés et ne sont
pas assez connectées au reste du pays. À Anvers, on affirme sans détour que les musées
fédéraux font preuve d’hyper-indépendance, si pas d’autisme. Il n’est pas évident de
collaborer avec eux. Le fait que, entre-temps, des accords culturels puissent enfin être

64 st
K. VERHOEST, S. VAN THIEL, G. BOUCKAERT, P. LAEGREID, Governing Public Agencies in the 21 Century:
International Lessons and Policy Recommendations by the COST Action IS0601, Louvain, COST-
CRIPO/COBRA-Network, 2011, 47 p.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 39

conclus entre Communautés flamande et française incite d’autres mandataires politiques


à recommander une concertation structurelle. Monica De Coninck (SP.A) plaide pour
une attitude plus constructive et Joëlle Milquet (CDH) estime également qu’il y a trop peu
de synergie entre niveau fédéral et Communautés. Le ministre Sven Gatz est évidemment
du même avis 65. Au début du mois de novembre 2014, cette critique a débouché au
Sénat sur la demande d’un « Rapport d’information concernant la nécessaire collaboration
entre, d’une part, les institutions culturelles et scientifiques fédérales et, d’autre part, les
Communautés ». Pour développer une politique culturelle plus forte, la coopération
66
doit aller davantage de soi .
Ce n’est pas seulement la vision de l’opposition. Les partis de la coalition fédérale partagent
ce point de vue. Nous avons déjà vu que la secrétaire d’État E. Sleurs souhaitait
récompenser financièrement la volonté de coopération. Maggie De Block (Open VLD)
a également formulé une proposition dans ce sens au cours des négociations
gouvernementales. D’autres mettent en avant le modèle des institutions culturelles
fédérales, dont les conseils d’administration sont représentatifs des différentes tendances.
En vertu du Pacte culturel, la N-VA y siégera également, fait savoir le ministre
D. Reynders. De plus, BOZAR travaille déjà avec les Communautés, cela à hauteur
d’un million d’euros avec la Flandre et d’un demi-million avec la Belgique francophone.
Le ministre D. Reynders est également un grand défenseur de ce modèle. Les présidents
de BOZAR et du Théâtre royal de la Monnaie sont tout aussi positifs à ce sujet et
Stefaan De Clerck (CD&V) trouve quant à lui que ceux-ci sont devenus des institutions
modèles, pouvant servir d’exemple aux autres 67. En résumé, un certain consensus se
dessine pour dire que, en ce qui concerne la structure future des institutions scientifiques
fédérales, il faut regarder du côté des institutions culturelles fédérales, dont les possibilités
sont élargies par la collaboration avec les Communautés. Impossible de dire à présent
si ce modèle sera effectivement copié. Il semble néanmoins probable que l’on se dirige
vers des solutions permettant d’initier une collaboration et une concertation avec les
Communautés, où un grand savoir-faire est disponible dans ce domaine. Il s’agit là
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65
Sénat, Demande d’établissement d’un rapport d’information concernant la nécessaire collaboration entre,
d’une part, les institutions culturelles et scientifiques fédérales et, d’autre part, les Communautés (et la
Région de Bruxelles-Capitale) et concernant l’avenir de la politique culturelle dans notre pays. Note explicative,
DOC 6-109/1, 7 novembre 2014 ; Sénat, Questions écrites à la ministre de la Politique scientifique,
DOC 5-4518, 23 décembre 2011 ; DOC 5-6902, 24 août 2012 ; DOC 5-11042, 5 février 2014 ; B. De Baere
in De Standaard, 29 octobre 2014 ; J.-P. Rondas in De Standaard, 24 octobre 2014 ; J. Milquet in Le Soir,
66
17 novembre 2014 ; De Standaard, 24 octobre 2014.
Sénat, Demande d’établissement d’un rapport d’information concernant la nécessaire collaboration entre,
d’une part, les institutions culturelles et scientifiques fédérales et, d’autre part, les Communautés (et la
Région de Bruxelles-Capitale) et concernant l’avenir de la politique culturelle dans notre pays. Note explicative,
DOC 6-109/1, 7 novembre 2014 ; Chambre des représentants, Projet de loi contenant le budget général
des dépenses pour l’année budgétaire 2015. Avis sur la section 46 – SPP Politique scientifique (partim :
Politique scientifique). Rapport fait au nom de la Commission de l’Économie, de la Politique scientifique,
de l’Éducation, des Institutions scientifiques et culturelles nationales, des Classes moyennes et de l’Agriculture,
DOC 54 0496/041, 15 décembre 2014.
67
Sénat, Demande d’établissement d’un rapport d’information concernant la nécessaire collaboration entre,
d’une part, les institutions culturelles et scientifiques fédérales et, d’autre part, les Communautés (et la
Région de Bruxelles-Capitale) et concernant l’avenir de la politique culturelle dans notre pays. Note explicative,
DOC 6-109/1, 7 novembre 2014 ; P. Close au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale in La Libre
Belgique, 25-26 octobre 2014 ; le ministre D. Reynders in La Libre Belgique, 5 novembre 2014 ; Le Soir,
24 octobre 2014 ; LaLibre.be, 14 novembre 2014 ; De Standaard, 14 novembre 2014.

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40 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

d’une évolution positive, dans la mesure où cela augmentera la légitimité, la marge de


manœuvre, le dynamisme et la stabilité des institutions scientifiques fédérales.
En ce qui concerne la collaboration avec les Régions, la demande de coopération est
tout aussi forte du côté flamand. La recherche appliquée doit y être transférée et c’est
visiblement dans ce sens que la future Agence spatiale interfédérale est poussée. Avec
la Région de Bruxelles-Capitale, la relation est cependant conflictuelle, surtout en ce
qui concerne les institutions culturelles fédérales et les musées en particulier. La Région
n’avait à l’origine pas reçu de compétence culturelle mais, au fil des années, on a vu se
développer autour de ces compétences des zones grises, où la séparation entre matières
régionales et communautaires est devenue plus floue et où la Région bruxelloise a acquis
un certain pouvoir. La frontière s’est donc déplacée 68. La possibilité qu’a la Région de
Bruxelles-Capitale d’échanger des droits de succession contre une collection d’art
l’illustre déjà, mais BELIRIS y a également contribué et la sixième réforme de l’État
a transféré à la Région de Bruxelles-Capitale des compétences culturelles supra-locales
et lui a en outre donné la compétence de construire un musée. Le projet de musée d’art
moderne et contemporain dans le bâtiment Citroën en est la conséquence directe. Le
fait que, en mars 2015, le collège de la Commission communautaire flamande (Vlaamse
Gemeenschapscommissie, VGC) ait estimé que les institutions scientifiques et culturelles
fédérales exigeaient une approche plus ancrée dans la réalité bruxelloise traduit bien
69
l’impact de cette tendance .
En dehors de Bruxelles, et en particulier dans les cercles nationalistes flamands, on
considère ni plus ni moins cette évolution comme un processus de bruxellisation. Une
poignée de Bruxellois prennent les décisions sans tenir compte de la Flandre ni de la
Wallonie. Ils considèrent que le patrimoine national leur appartient et se voient comme
le noyau d’une Bruxelles appelée à devenir entièrement autonome. Pour eux, ce sont avant
tout des projets régionaux qui peuvent faire connaître la ville internationalement et
y promouvoir le tourisme. Bref, ce courant va diamétralement à l’encontre de la pensée
dualiste flamande et s’appuie en revanche sur la pensée communautaire bruxelloise.
Une pensée communautaire qui s’immisce via la Région de Bruxelles-Capitale dans
le secteur culturel, y compris dans les institutions fédérales. Ainsi voit-on les choses
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du côté nationaliste flamand.
Pour sortir du conflit qui oppose le gouvernement fédéral et la Région de Bruxelles-
Capitale, celle-ci saisit le Comité de concertation réunissant le niveau fédéral et les entités
fédérées. Il faut en effet veiller à ce que les entités ne se mettent pas mutuellement
en danger, un problème qui, selon la Région bruxelloise, se pose dans le cas présent.
Le ministre flamand de la Culture et des Affaires bruxelloises, Sven Gatz (Open VLD),
pense pouvoir sortir de l’impasse grâce à un nouveau modèle de concertation. Il est
soutenu en cela par le ministre bruxellois Pascal Smet (SP.A). S’inspirant de deux autres

68
J. FRANSEN, « Cultuur en stedelijke heropleving: een evaluatie van de beleidspraktijk van het Brussels
Hoofdstedelijk Gewest (1995-2005) », op. cit. ; J.-P. NASSAUX, « Les aspects bruxellois de l’accord de
réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », op. cit. ; Région de Bruxelles-Capitale, « Note au
Comité de concertation », 15 janvier 2014 (AGR, dossier « Institutions fédérales ») ; Vlaams Parlement,
Handelingen plenaire vergadering, 10 décembre 2014.
69
Collège de la Commission communautaire flamande, « Bijdrage aan de visienota van de Vlaamse minister
van Cultuur », 26 février 2015 (Greffe de la VGC) ; Assemblée de la Commission communautaire
er
flamande, Procès-verbal, 1 avril 2015, 12 mai 2015 et 26 mai 2015 (Greffe de la VGC).

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 41

capitales fédérales, Washington et Berlin, S. Gatz propose aussi pour Bruxelles une
structure juridique coupole, au sein de laquelle la Région de Bruxelles-Capitale et les
Communautés flamande et française pourraient prendre des décisions communes au
sujet des musées fédéraux. Cela apparaît encore plus clairement dans la contribution
de la VGC à sa note de vision : le profil international de Bruxelles sur le plan culturel
doit idéalement être défini en collaboration avec la Région de Bruxelles-Capitale, les
gouvernements flamands et wallons, tant du point de vue du contenu qu’en ce qui
concerne le volet promotion. Au sujet des institutions fédérales, des accords seront
pris concernant la gestion des bâtiments ainsi que la conservation et la valorisation des
collections. Cette structure doit être dirigée par des conservateurs et des scientifiques
internationaux qui ouvrent les trésors artistiques de la Belgique au monde et attirent
le monde à Bruxelles 70. En d’autres termes, il faut mettre en place une gestion commune
qui profite à tous les partenaires, aux entités fédérées et à l’Autorité fédérale. Nous nous
situons donc ici à un échelon supérieur. Il ne s’agit plus seulement des institutions
scientifiques et culturelles fédérales qui se concertent au sein de leur structure avec les
Communautés. Elles doivent, en tant qu’institutions, faire partie d’une structure coupole
qui s’occupe du rayonnement international de la ville. La note de la VGC se focalise
surtout sur les musées. Les autres institutions culturelles et les institutions scientifiques
ne sont-elles donc pas concernées ? Cette imprécision, ajoutée au fait que la proposition
de la Commission communautaire flamande doive obtenir à la fois l’aval de la Région
de Bruxelles-Capitale et du gouvernement fédéral et qu’elle alourdisse une fois de plus
les structures de l’État, laisse prévoir bien d’autres discussions. Mais il n’est pas exclu que,
dans le climat actuel, cette piste de réflexion soit empruntée sous l’une ou l’autre forme.
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70
Collège de la Commission communautaire flamande, « Bijdrage aan de visienota van de Vlaamse
minister van Cultuur », 26 février 2015 (Greffe de la VGC) ; Le Soir, 15-16 novembre 2011 ; De Tijd,
20 décembre 2014.

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5. QUELQUES POINTS DE VUE

Dans le prolongement de cet inventaire des points de friction, nous formulons pour
terminer quelques points de vue.
1. Dans les cercles des institutions scientifiques et culturelles fédérales, on craint de perdre
le statut fédéral et d’être transféré vers les Régions et les Communautés. La politique étant
difficile à prévoir, l’évolution à long terme du statut de ces institutions est totalement
incertaine. Mais, à moyen terme, il est important de constater que le parti qui prône
résolument la voie du confédéralisme (la N-VA) opte aujourd’hui clairement pour le
maintien de ces institutions dans le giron fédéral. Il soutient ainsi tous ceux qui craignent
des scénarios de scission pénibles et d’inextricables opérations de répartition, avec des
années de discussion et d’impasses dues aux différences d’interprétation et des solutions
insatisfaisantes, hautement dommageables au fonctionnement et à la survie même des
institutions. Ces dernières ne sont pas compatibles avec la double logique qui caractérise
la Belgique fédérale. Leurs missions sont nationales, européennes et internationales et
dépassent les compétences des Communautés et des Régions. Elles ne peuvent pas être
régionalisées ou communautarisées sans difficultés majeures. Il va de soi que le premier
point de vue formulé prend cette même direction : le maintien du caractère fédéral
des institutions culturelles et scientifiques fédérales.
2. Cette option de base n’empêche pas de plaider en faveur de meilleurs accords
de coopération avec les Communautés et les Régions. Les critiques à cet égard sont
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particulièrement justifiées en qui concerne les Communautés, d’autant plus qu’elles ont
désormais la possibilité de conclure des accords culturels entre elles. Que ce soit dans
le secteur culturel ou dans le secteur scientifique, une grande quantité de savoir-faire
est pour l’instant inutilisée. Un ancrage plus solide de ces institutions dans les
Communautés serait donc le bienvenu. Il faut par conséquent réfléchir au type de
structure dans lequel ce lien doit être établi. Celle des institutions culturelles fédérales
peut d’ores et déjà être jugée sur ses mérites. Il est difficile de savoir si cela est dû ou
non à leur lien plus étroit avec les Communautés, mais on constate que les institutions
culturelles subissent nettement moins l’impact des mesures d’économie. Si l’on opte,
également dans le cas des institutions scientifiques fédérales, pour une structure dont
les conseils de gestion reflètent davantage la société, il faudra être attentif à ce que les
exigences scientifiques et professionnelles continuent de primer et ne soient en aucun
cas dominées par le jeu politique.
Le lien avec la Région de Bruxelles-Capitale doit aussi retenir l’attention. Non seulement
parce que, en dehors du Musée royal de l’Afrique centrale (situé à Tervuren, en Région
flamande), toutes les institutions ont leur siège central sur le territoire de la Région de

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44 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Bruxelles-Capitale, mais aussi et surtout parce que les musées contribuent largement
au rayonnement national et international de cette Région. Coopérer avec les institutions
qui gèrent le riche patrimoine de Bruxelles et de ses communes ne peut être que bénéfique.
Le résumé des récents conflits montre ce qu’il ne faut pas faire : politique séparée,
querelles stériles, rivalités communautaires, distanciation entre Bruxelles et la Flandre,
élargissement et exploitation de zones grises, impasses et surtout blocage réciproque
des projets. Des relations de ce genre sont évidemment néfastes pour l’ensemble des
institutions. Il faut donc chercher à conclure des accords transparents. Si les organes
existants doivent être adaptés ou que l’on ne peut faire autrement que de créer un
nouvel organe de concertation, cela doit être envisagé, mais en gardant à l’esprit que
les exigences professionnelles doivent toujours prévaloir. Les situations pénibles, comme
celle que nous avons connue en 2014-2015, sont à éviter à tout prix.
3. On ne peut que partager l’inquiétude des institutions concernant leur financement.
Si les trois institutions culturelles fédérales ont été relativement épargnées, les dix
institutions scientifiques fédérales sont confrontées à des mesures d’économie d’une
ampleur injustifiée. L’expertise de ces institutions repose sur la présence d’un personnel
hautement qualifié. Couper dans celui-ci à grande échelle reviendrait à atteindre leur
core business, surtout si aucune source sérieuse de financement alternatif n’est disponible
et qu’une pensée de marché trop radicale et irréaliste n’offre pas non plus de solutions.
Les interventions drastiques qui ont été planifiées et déjà en partie exécutées exerceront
à n’en pas douter une influence négative sur l’évolution future des institutions scientifiques
fédérales. Pour éviter que les dégâts occasionnés ne soient encore plus difficiles à réparer,
les directions doivent être soutenues lorsqu’elles demandent que l’on mette fin aussi
rapidement que possible au régime draconien auquel elles sont soumises contrairement
aux institutions culturelles fédérales. Les pourcentages d’économie doivent aussi vite
que possible être ramenés à un niveau raisonnable et les institutions scientifiques fédérales
doivent figurer sur la liste des priorités des opérations de rattrapage. Sans un financement
durable, solide, elles ne sont pas en état de fonctionner. Un tel refinancement peut
éventuellement être couplé à une redistribution après évaluation de l’actuelle politique
de dotation.
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4. Chacune dans son domaine spécifique, les institutions scientifiques fédérales jouent
sur la scène nationale et internationale un rôle important en matière de recherche. Elles
le font grâce à l’expertise qu’elles ont accumulée en interne et par le biais des réseaux et
centres d’excellence nationaux, européens et internationaux auxquels elles appartiennent.
Il va de soi que tout doit être mis en œuvre pour préserver et élargir leurs liens avec
le monde universitaire et scientifique. La recherche prospère plus que jamais dans des
cadres de coopération élargis. Même à présent que les possibilités d’investissement de
BELSPO se sont réduites, les institutions scientifiques fédérales doivent pouvoir continuer
à compter sur des fonds de recherche. Une concertation intensive avec les réseaux
disciplinaires reste donc d’importance cruciale. Le but des autorités est de permettre
à ces institutions de jouer dorénavant un rôle central. Leur taille doit être suffisante
pour cela. Les petits établissements ont donc intérêt à réfléchir à leur collaboration avec
de plus grandes institutions. Si un lien trop étroit avec les instances politiques est peu
productif sur le plan de la recherche, cela ne signifie pas que les instances de contrôle
et d’évaluation doivent être éliminées. On ignore pour l’instant si BELSPO continuera
à jouer un rôle dans ce domaine. Quoi qu’il en soit, il est évident qu’il faut veiller à la
mise en place de ces importantes procédures d’évaluation et de contrôle.

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LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 45

5. La secrétaire d’État E. Sleurs se rallie à la tendance générale voulant que l’on accorde
davantage d’autonomie aux institutions scientifiques et culturelles fédérales. Ce ne sera
pas un changement facile à concrétiser. Il exigera un important travail de réflexion
préalable, car de nombreuses conditions doivent être remplies. Une chose est sûre :
le temps des hiérarchies rigides et d’une centralisation tout aussi stricte est révolu. Les
chercheurs et les collaborateurs qualifiés fonctionnent mieux lorsqu’ils ont droit à une
participation suffisante et bénéficient en même temps d’un management professionnel
qui crée pour eux un environnement où ils peuvent effectuer leur travail créatif dans
de bonnes conditions. Les pressions politiques sont incompatibles avec un tel
environnement, de même que les incertitudes et l’agitation. Les conflits que nous avons
résumés montrent ce qu’il faut surtout éviter. Une responsabilité particulière incombe
donc au management. Les figures controversées, les projets grandioses qui ne rencontrent
pas suffisamment d’adhésion, les erreurs de gestion qui déchaînent les critiques et
permettent à l’adversaire de parler de mauvaise gestion générale : nous avons rencontré
tous ces cas de figure. Ils se sont avérés particulièrement contre-productifs. Les directions
doivent en être particulièrement conscientes en cette période de changement, d’autant
que l’on attend d’elles qu’elles rédigent des masterplans qui seront déterminants pour
l’avenir des institutions concernées. On ne peut qu’approuver le principe des masterplans
soigneusement préparés et discutés. Il ne peut toutefois pas s’agir de plans à long terme.
On ne peut pas se permettre de gaspiller un temps précieux. La plupart des bâtiments
ont, par exemple, un besoin urgent de rénovation.
6. Ces points de vue ont été établis dans le cadre de la mission de la Koninklijke
Vlaamse Academie van België voor Wetenschappen en Kunsten (KVAB), qui consiste
à attirer l’attention du public sur des problèmes actuels. Les articles dans lesquels
l’auteur examine la question en détail et recense les points de friction doivent pouvoir
mener à la formulation d’une série de points de vue qui servent à leur tour de base à
un débat. Nous espérons que ce texte pourra servir d’amorce à un tel débat réunissant
les acteurs des différents secteurs et que ceux-ci pourront y trouver une série de points
de repère utiles 71. La KVAB peut éventuellement jouer un rôle de médiation dans
l’organisation d’un tel forum de discussion.
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71
L’enquête a été bouclée en juillet 2015. Lors de ma collecte d’informations pour réaliser cet article, j’ai
pu compter sur un très grand soutien : K. Velle, archiviste général de l’État et administrateur de la
Klasse van de Menswetenschappen (Classe des Sciences humaines) de la Koninklijke Vlaamse Academie
van België voor Wetenschappen en Kunsten (KVAB, Académie royale flamande de Belgique des
Sciences et des Arts), m’a non seulement procuré les sources concernant BELSPO et les réformes
planifiées, mais aussi un recueil de coupures de presse. Au Parlement flamand, j’ai reçu l’aide du
député K. Segers et, au Sénat, c’est M. De Laet, secrétaire du groupe SP.A, qui m’a aidée. Le greffier
D. Buyle m’a remis les documents du collège de la Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC, Commission
communautaire flamande). J’ai aussi pu m’entretenir avec plusieurs protagonistes : le président du
Vlaamse Interuniversitaire Raad (VLIR, Conseil interuniversitaire flamand), le recteur P. De Knop,
le président de l’Associatie KULeuven, A. Oosterlinck, le secrétaire du groupe N-VA à la Chambre des
représentants, J. Swinnen, et la directrice de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques
de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, ma collègue G. Kurgan.
Je les remercie tous chaleureusement. Je remercie également les membres de la Commission de publication
de la série des Standpunten de la KVAB, mes collègues J. Billiet, M. Lamberigts, L. Simons, P. Van Rompuy
et K. Velle, pour leurs commentaires éclairants.

CH 2284-2285
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ANNEXE

Discours de la secrétaire d’État fédérale à la Politique scientifique, Elke Sleurs,


lors de la séance organisée par la Koninklijke Vlaamse Academie van België
voor Wetenschappen en Kunsten le 11 décembre 2015

Cher président,
Chers membres de l’Académie,
(Chers recteurs,)
Chère professeure Witte,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole ici cet après-midi.


Avant toute chose, je souhaite remercier la professeure Els Witte pour le « standpunt »
qu’elle a écrit au sujet des institutions culturelles et scientifiques fédérales.
Madame Witte, (…) j’ai (…) lu votre article avec un soin tout particulier. Il énumère
une série d’enjeux et d’orientations possibles. Comme le président de l’Académie, Hubert
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Bocken, l’a indiqué (…), il s’agit d’une synthèse, mais qui n’est pas de nature à clore le
débat. C’est au contraire une synthèse qui vise à ouvrir celui-ci. Une invitation à laquelle
je réponds bien volontiers.
Je voudrais revenir sur quelques éléments qui ont été soulignés dans vos conclusions,
notamment dans le but de répondre à certaines questions que vous avez soulevées.
J’expliquerai notamment pourquoi il est souhaitable d’accorder l’autonomie administrative
aux institutions scientifiques fédérales. J’aborderai aussi le sujet de la coopération avec
les Communautés et Régions, ainsi que, plus brièvement, celui de la coopération avec
les universités. J’évoquerai également la question – vous parlez de la crainte – de la perte
éventuelle de leur statut actuel par les institutions scientifiques fédérales.
Au préalable, et pour prévenir tout malentendu, je voudrais insister sur le fait que mon
discours portera exclusivement sur les institutions scientifiques fédérales. Je n’évoquerai
les institutions culturelles fédérales – BOZAR, le Théâtre royal de la Monnaie et l’Orchestre
national de Belgique – que de façon marginale, et ce pour la simple raison que les
institutions culturelles relèvent des compétences de mon collègue Didier Reynders.

CH 2284-2285
48 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

Mesdames, Messieurs,
Comme vous le savez, la réforme de la politique scientifique fédérale représente l’une
de mes priorités et l’une de celles de ce gouvernement. C’est une mission énorme qui,
comme l’indique la professeure E. Witte, (je cite) « exigera un important travail de réflexion
préalable, car de nombreuses conditions doivent être remplies » (…).
J’ai néanmoins pris, au cours de l’année dernière, une série de mesures qui annoncent
pour la politique scientifique fédérale un avenir plus radieux.
En 2015, je me suis principalement concentrée sur diverses mesures à la fois nécessaires
et urgentes, destinées à garantir la continuité des activités de la politique scientifique
fédérale et des institutions scientifiques fédérales. J’ai également analysé la situation
existante et esquissé une réforme globale de la politique scientifique fédérale. Les grands
axes autour desquels je compte développer mes initiatives sont les suivants :
- le Service public de programmation de la Politique scientifique fédérale,
- les institutions scientifiques fédérales,
- les programmes scientifiques fédéraux,
- et la politique spatiale belge.
L’exécution de la réforme globale de la politique scientifique fédérale étant entamée
dès 2016, j’aimerais vous en exposer les principaux éléments. Comme cela sort du
cadre de cette séance, je ne parlerai pas de la politique spatiale, sauf pour signaler que
je travaille à la fondation d’une Agence spatiale interfédérale, dans laquelle les Régions
et les Communautés seront également impliquées.
Je commencerai donc par l’autonomisation des institutions scientifiques fédérales (ou ISF,
comme je les nommerai désormais).
Les ISF occupent une place à part dans le paysage scientifique, en raison des collections
(musée, archives, bibliothèque) et des données (météorologiques et spatiales) dont elles
disposent. Non seulement les collections des musées sont précieuses en termes d’histoire
de l’art, mais elles représentent également une part considérable du patrimoine mobilier
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de l’État fédéral.
Les ISF disposent en outre d’expertises spécifiques, grâce auxquelles elles ont acquis leur
reconnaissance scientifique. Leurs domaines de recherche peuvent susciter l’intérêt des
autres musées et institutions de connaissance, un intérêt qui ne manquera pas d’augmenter
une fois leur organisation et leur infrastructure modernisées.
Soyons honnêtes : les ISF n’ont pour l’instant pas la capacité de fournir des performances
conformes aux standards actuels. Le SPP Politique scientifique fédérale, qui a été fondé
dans la conviction que la centralisation mènerait à un gain d’efficacité, a fortement limité
l’autonomie de décision opérationnelle des ISF.
Pire encore, la centralisation a eu pour effet de mêler dans une large mesure la structure
financière publique et la gestion opérationnelle des ISF. Dans le modèle actuel, c’est
le SPP Politique scientifique fédérale qui commande les ISF. Concrètement, le président
du SPP Politique scientifique fédérale est également celui du comité de direction des
ISF. Et le SPP Politique scientifique fédérale est également présent dans les comités de
gestion.

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 49

Tout cela conduit à une situation – je pèse mes mots – non souhaitable. Le SPP Politique
scientifique fédérale est l’organe d’évaluation qui est chargé de juger les dossiers
scientifiques. Mais, en raison de la présence du président du SPP dans le comité de
direction des ISF et de collaborateurs du SPP dans les organes de gestion des ISF, il est
trop étroitement lié au niveau opérationnel. Cela peut mener à une dépendance unilatérale
des ISF vis-à-vis du financement fédéral et de l’administration de la Politique scientifique
fédérale, voire à un « conflit d’intérêt » en ce qui concerne la compétence décisionnelle
et l’octroi de subsides.
Les ISF, qui ont toujours dû conserver le statut de service public fédéral, ne sont pas
à même, dans ce contexte, de mener une politique individuelle et autonome remportant
une large adhésion. Pour cela, il faudrait créer un lien plus étroit avec plusieurs
intervenants.
Comparons avec le fonctionnement des institutions culturelles fédérales, BOZAR,
le Théâtre royal de la Monnaie et l’Orchestre national de Belgique. Celles-ci ont été
transformées en organisations indépendantes ; dans le cas de BOZAR, il s’agit même
d’une société anonyme de droit public à finalité sociale. Leurs conseils d’administration
reflètent les forces sociales et leurs directions sont occupées par des personnes qui ont
fait une carrière et ont acquis une excellente réputation dans le secteur artistique. Les
institutions elles-mêmes disposent d’une grande autonomie décisionnelle.
L’autonomie et la responsabilisation sont indispensables pour une bonne gestion des ISF.
Je vais, par conséquent, les rendre autonomes. Inutile de préciser que cette autonomisation
ne pourra pas être réalisée sur une année.
Au cours de ce processus, les institutions devront pouvoir continuer à fonctionner de
manière professionnelle. C’est pourquoi j’ai pris cette année deux séries de décisions
fondamentales.
Premièrement, j’ai prévu des investissements supplémentaires uniques d’une valeur
de 11,25 millions d’euros. Ce montant représente 30 % de plus que la dotation reçue
par les ISF en 2015. Il permettra un mouvement de rattrapage dans le domaine des
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investissements, point qui a été négligé pendant des années.
Deuxièmement, une task force sera fondée avec la Régie des bâtiments, dans le but de
placer dans ses priorités la rénovation du patrimoine immobilier des ISF.
Voilà pour les mesures à court terme. À plus long terme, j’envisage une réforme radicale.
Celle-ci doit conduire à :
1. des entités autonomisées, disposant d’une plus grande indépendance opérationnelle,
2. une gestion centrée sur l’amélioration des résultats,
3. la préservation du caractère public des activités,
4. un fonctionnement plus efficace vis-à-vis du public,
5. une collaboration plus intense avec les entités fédérées.
Les ISF ont été créées en tant que services publics dotés d’une administration distincte
au sein d’un service centralisé, à savoir le Service public de programmation de la Politique
scientifique fédérale. Bien que ces services publics disposent aujourd’hui d’une série
de règles budgétaires et comptables, ils n’ont pas de personnalité juridique.

CH 2284-2285
50 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

J’ai l’intention de changer les ISF en entités autonomisées, disposant donc de leur propre
personnalité juridique. Chaque entité sera pourvue d’un conseil d’administration, d’un
comité de direction, d’un ou plusieurs conseils consultatifs de soutien et d’un service
« shared services ». Outre le gouvernement fédéral, les intervenants pertinents – comme
les milieux scientifiques ou le monde entrepreneurial – seront aussi impliqués.
Le rôle du conseil d’administration consistera à déterminer la politique générale des
entités autonomisées en fonction de lignes directrices définies par le gouvernement.
Il exercera également un contrôle sur les entités autonomisées en général et sur le comité
de direction en particulier. Le conseil d’administration établira notamment le budget
annuel et en contrôlera l’exécution.
Le(s) conseil(s) consultatif(s) rendra(ont) des avis sur les dossiers scientifiques et sociaux,
soit sur demande, soit de sa(leur) propre initiative. Ils seront composés d’experts
indépendants, extérieurs aux ISF, et seront dirigés par un président qui soumettra les
avis au conseil d’administration.
En échange de cette autonomie élargie, les entités autonomisées devront justifier de
leurs résultats. Elles seront évaluées en fonction d’un accord de gestion conclu avec
le gouvernement fédéral. Cet accord comprendra des objectifs concrets, qui pourront
être contrôlés par le gouvernement et éventuellement imposés.
Les différentes prestations de service et la recherche scientifique des ISF poursuivent
des objectifs communs. Il convient donc d’adopter une politique commune pour les
institutions entre lesquelles il existe un lien étroit, et ce sur la base de missions clairement
définies. Nous y parviendrons en réunissant les institutions au sein de clusters. Sans entrer
dans le détail, je peux déjà affirmer que chaque cluster décidera de façon autonome de
sa gestion financière et de sa gestion des ressources humaines, pour autant que cette
politique cadre avec l’accord de gestion. En d’autres mots, il n’y aura pas dix conseils
d’administration, mais un seul par cluster. Au sein de ce groupe, les institutions
individuelles décideront comment parvenir à des gains d’efficacité mesurables.
Je peux vous rassurer. Les moyens de dotation utilisés seront les mêmes que ceux qui
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sont accordés actuellement. Ils ne seront en principe pas modifiés.

Mesdames, Messieurs,
Voilà pour les grandes lignes de la réforme au niveau des institutions. J’en arrive à présent
à la deuxième partie de mon exposé.
Je partirai cette fois de deux citations tirées de l’article de la professeure E. Witte. Je suis
heureuse de lire (je cite) : « [Nous plaidons] en faveur de meilleurs accords de coopération
avec les Communautés et les Régions. Les critiques à cet égard sont particulièrement
justifiées en qui concerne les Communautés, d’autant plus qu’elles ont désormais la
possibilité de conclure des accords culturels entre elles (…). Un ancrage plus solide
de ces institutions dans les Communautés serait donc le bienvenu » (…).
Mais ailleurs, la professeure E. Witte évoque, sur un ton quelque peu dramatique, (je cite)
« la question la plus cruciale » : « La recherche et les institutions fédérales sont-elles sur
le point d’être intégrées aux structures régionales et communautaires ? » (…).

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 51

Voici ma réponse :
« Ces institutions conserveront leur statut fédéral sous la présente législature. » Que se
passera-t-il sous la prochaine ? Je l’ignore. Ce que je sais en revanche, c’est qu’un très
grand savoir-faire culturel et scientifique est présent dans les institutions scientifiques et
pour l’instant non utilisé. Il faudra donc y remédier dans le futur, en cas d’éventuelle
nouvelle réforme de l’État.
Je pense que ce débat doit être dédramatisé et que nous devons discuter de manière
rationnelle. Il n’est pas question que les collections des actuelles institutions fédérales
soient scindées. Le spectre de la bibliothèque universitaire dont les numéros de cote
pairs vont à une entité fédérée et les impairs à l’autre peut être écarté. Cela ne s’est
d’ailleurs pas non plus passé avec les plantes du Jardin botanique de Meise. En cas de
nouvelle réforme de l’État, les institutions ne seront pas démantelées et les collections
ne seront pas scindées. Tant les institutions que les collections peuvent parfaitement
être gérées conjointement par les entités fédérées.
Le souci de la cohésion des collections est d’ailleurs ce qui m’a incitée à ne pas accéder
à la demande de la Région de Bruxelles-Capitale, qui souhaitait se voir céder la collection
d’art moderne et contemporain pour un futur musée à fonder dans le garage Citroën.
Par ailleurs, je ne vais pas non plus prêter une collection qui peut parfaitement être
exposée aux Musées royaux des beaux-arts pour qu’elle se retrouve ensuite dans un
garage. Un garage n’est pas un musée. Le bâtiment est totalement inadapté à cette fonction.
« Ceci n’est pas un musée. »
Différents architectes et spécialistes de l’art l’ont confirmé. Je voudrais que quelqu’un
m’explique ce qu’une collection d’art irait faire dans un garage. Je serais curieuse
d’entendre les arguments.
Ce que je vais en revanche faire, c’est rénover les 3 000 m² actuellement inutilisés des
Musées royaux des beaux-arts et rouvrir la collection d’art moderne, qui se compose
surtout d’œuvres belges. Cela pourra se faire dans des conditions optimales. Tout le
monde en tirera profit, tant les Bruxellois que les Belges et la communauté internationale.
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J’ai d’ailleurs appris hier par la presse que la Ville de Bruxelles voulait vendre le bâtiment
Vanderborght. C’est étonnant, dans la mesure où le plan bruxellois consistait à y établir
la collection dans un premier temps, en attendant l’inauguration du bâtiment Citroën.
J’espère ainsi pouvoir enfin mettre un terme à cette polémique. Mais pas avant de
préciser un point qui me tient à cœur dans ce débat. Il est tout de même paradoxal
que mon parti soit accusé de vouloir dépouiller l’État fédéral mais que, lorsque je veux
garder des collections fédérales unies, cela soit également critiqué.

Mesdames, Messieurs
Je vous avais promis d’aborder brièvement le sujet de la collaboration de la Politique
scientifique fédérale avec les universités.
Au sujet des pôles d’attraction interuniversitaires, je peux vous dire ceci. En vertu de
la sixième réforme de l’État, ils ont été transférés aux entités fédérées. Ce transfert aura
lieu en étroite concertation avec le Fonds voor Wetenschappelijk Onderzoek (FWO)
et le Fonds de la recherche scientifique (FRS-FNRS). Tous les recteurs (donc y compris

CH 2284-2285
52 LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES

les wallons) ont indiqué qu’ils voulaient parvenir à un accord de coopération constructif
concernant les PAI. La proposition de nouveau modèle de coopération a entre-temps
été transmise aux ministres compétents des gouvernements flamand et de la Communauté
française. Nous organiserons prochainement une concertation à ce sujet. Notre objectif
est que le nouveau modèle soit approuvé par les Communautés au printemps 2016.
Y a-t-il un risque de hiatus entre les PAI en cours et la nouvelle forme de collaboration ?
Officiellement, les projets PAI se terminent le 30 septembre 2017. Le nouveau modèle
de coopération ne pourra être opérationnel qu’à partir du 1er janvier 2018 (ainsi que
cela est précisé dans la sixième réforme de l’État). En d’autres termes, nous risquons
d’avoir un hiatus de quelques mois. Les promoteurs de ces projets recevront toutefois
la possibilité de prolonger leurs projet en cours, sans incidences sur le budget, jusqu’à
la fin du mois de décembre 2017. À partir de 2018, les PAI relèveront de la compétence
et de la responsabilité des Communautés. Les moyens financiers resteront quoi qu’il
en soit garantis.
La loi spéciale de financement stipule en effet que, à partir de l’année budgétaire 2018,
17,7 millions d’euros et 13,9 millions d’euros seront respectivement transférés à la
Communauté flamande et à la Communauté française. De plus, ce montant sera indexé
à partir de 2019.
En ce qui concerne les autres formes de coopération, je pars du cadre réglementaire du
programme de recherche « Chercheurs scientifiques supplémentaires » dans les instituts
d’enseignement universitaire et les ISF. Ce cadre n’était plus actuel. À l’occasion de
l’avis négatif rendu par l’Inspection des finances, j’ai pris l’initiative d’adapter l’arrêté
royal qui règle les modalités du financement de ces chercheurs supplémentaires.
Dans son avis, l’Inspection des finances a toutefois affirmé que ce programme devait
être progressivement démantelé. Les moyens financiers ainsi libérés seront affectés
à de nouvelles initiatives scientifiques, notamment dans le cadre de la FED-TWIN, qui
prévoit une nouvelle forme de coopération structurelle entre les dix ISF et les universités
des deux grandes Communautés, cinq en Flandre et six en Belgique francophone.
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Il s’agit de fonctions de recherche permanentes liées à des post-doctorats, exécutés pour
50 % dans une ISF et pour 50 % dans une université.
Au cours des trois premiers tours de sélection, répartis sur trois ans, 75 emplois FED-
TWIN ont été attribués. À l’occasion des quatre tours suivants, il y en aura encore au
moins 50. En ce qui concerne le budget, 3,2 millions d’euros sont prévus la première
année. Ils augmenteront après quatre ans, jusqu’à atteindre environ 12 millions par an.
S’agit-il d’un nouveau budget ? Non, la mise en place de FED-TWIN est tout à fait
parallèle au démantèlement du programme « Chercheurs scientifiques supplémentaires ».
Il s’agit donc d’un système de « vases communicants ».
La nouvelle forme de coopération procure une situation win-win aux ISF et aux universités.
Pour les ISF, les bénéfices seront les suivants :
- elles auront accès à une expertise complémentaire à l’université ;
- elles auront indirectement accès aux fonds du FWO et du FRS-FNRS et à des
fonds intra-universitaires ;

CH 2284-2285
LE DÉBAT SUR LES INSTITUTIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES FÉDÉRALES 53

- le passage de jeunes chercheurs (y compris des étudiants et des stagiaires) des


universités aux ISF sera favorisé ;
- en général, la mobilisation des fonds internationaux externes sera facilitée par
la collaboration avec les universités.
Pour les universités, les bénéfices seront les suivants :
- l’accès aux collections et à l’expertise des ISF sera facilité. Cela créera de nouvelles
possibilités de post-docs consacrés à des thèmes qui n’appartiennent pas encore
au domaine des universités ;
- les nouvelles nominations inciteront d’autres chercheurs universitaires à se diriger
vers les thèmes des ISF ;
- de nouvelles possibilités d’emploi seront créées pour de jeunes chercheurs (par
exemple, des postes de conservateur), ce qui peut avoir un impact positif sur
certaines formations.
Dans une phase ultérieure, ce programme pourra aussi, moyennant une évaluation
positive, être élargi aux institutions de recherche et autres entités.

Mesdames, Messieurs,
Il est temps de conclure. Les évolutions – techniques, économiques ou sociales –
importantes ne peuvent intervenir que dans un climat où le chercheur peut se consacrer
dans les meilleures conditions, et de façon totalement indépendante, à une recherche
scientifique innovante.
Pour créer ou renforcer ce climat de recherche, des investissements sont nécessaires. Je
suis fermement convaincue que les réformes en cours doteront les ISF d’un management
moderne et offriront de nouvelles perspectives prometteuses aux chercheurs. La politique
scientifique fédérale, les universités, les autres instituts de connaissance et, pourquoi pas,
les acteurs privés contribueront chacun à leur façon à la création de ce climat. En effet, nous
ne sommes ni des rivaux ni des concurrents dans ce contexte, mais bien des partenaires.
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(…)

Elke Sleurs

Le texte complet de ce discours en néerlandais figure sur le site Internet de la secrétaire d’État : www.elkesleurs.be.

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Derniers numéros parus
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envers le fédéralisme belge après la sixième réforme de l’État
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(« décret Marcourt »)
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2271-2272 Les projets de fusion dans l’enseignement supérieur en Hainaut
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2268 Les dynamiques de fusion dans l’enseignement supérieur francophone
de 1999 à 2009
Jean-Émile Charlier et Michel Molitor
2266-2267 La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État :
état des lieux, débats et perspectives
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2264-2265 Les élections sociales de 2004, 2008 et 2012
Pierre Blaise

CENTRE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION


SOCIO-POLITIQUES
Fondateur : Jules Gérard-Libois
Président : Vincent de Coorebyter
Équipe de recherche :
Étienne Arcq, Pierre Blaise (secrétaire général), Fabienne Collard, Vaïa Demertzis,
Jean Faniel (directeur général), Christophe Goethals (coordinateur du secteur Économie),
Cédric Istasse, John Pitseys, Marcus Wunderle
Conseil d’administration :
Louise-Marie Bataille, Jacques Brassinne de La Buissière (vice-président honoraire),
Vincent de Coorebyter (président), Francis Delpérée, Hugues Dumont, Éric Geerkens,
Nadine Gouzée, Serge Govaert, Laura Iker, Patrick Lefèvre, Michel Molitor (vice-président),
Solveig Pahud, Pierre Reman, Robert Tollet (vice-président), Els Witte, Paul Wynants
Supplément au Courrier hebdomadaire n° 2284-2285 1

Monsieur Michel Draguet, directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique,
nous demande de porter les éléments repris ci-après, aux pages 2 à 10, à la connaissance
de nos lecteurs.

Cette lettre est suivie, en page 11, de la réponse apportée par Monsieur Freddy Dumortier,
secrétaire perpétuel de l’Académie royale flamande de Belgique des Sciences et des Arts
(KVAB).
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1
« Le débat sur les institutions culturelles et scientifiques fédérales : une étude de l’Académie flamande »,
étude d’Els Witte rédigée à la demande de l’Académie royale flamande de Belgique des Sciences et des Arts,
Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2284-2285, 2015, 53 p.
2

À l’attention de Monsieur Jean Faniel


Directeur
CRISP

Lettre ouverte

J’ai pris connaissance de la traduction en français du texte publié en décembre 2015 par
Madame Els Witte sous l’égide de la Koninklijke Vlaamse Academie van België voor
Wetenschappen en Kunsten (KVAB). Long de vingt-huit pages, celui-ci se veut un
« Standpunt ». C’est d’ailleurs en ce sens que Monsieur Freddy Dumortier avait répondu
à ma lettre du 14 janvier 2016, dans laquelle je m’étonnais des lacunes dans l’analyse
proposée. Interpellée lors de la présentation du 11 décembre 2015 à la KVAB, Madame
Witte n’avait pas dit autre chose. De là mon étonnement de voir que la traduction en
français a abandonné toute réserve en la matière pour faire de ce texte, ici, une « étude »,
là, une « analyse » au demeurant « intéressante » où les « auteurs traitent les thèmes de
façon scientifique ». Étonnement qui se double de celui de voir le discours de la secrétaire
d’État, Elke Sleurs, joint en annexe, alors qu’aucune des réactions suscitées par ce texte
n’a fait l’objet ne serait-ce que d’une mention dans votre présentation. En ce qui me
concerne, je m’en étonne d’autant plus que ma lettre au secrétaire perpétuel de la KVAB
a fait l’objet d’une large diffusion au sein de l’académie flamande, mais aussi francophone.
Étant directement mis en cause par Madame Witte, je m’étonne de la manière dont le
CRISP rend compte de ce texte ainsi que de la légitimité qu’il lui apporte.
Alors que le « Standpunt » permet à l’auteur de prolonger la vision développée depuis
des décennies par le monde culturel et scientifique flamand, la validation, par la KVAB
d’abord, par le CRISP ensuite, dote le « point de vue » – par essence partiel et partial –
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d’une aura scientifique dont le principe même réside dans l’objectivité des faits relatés.
Autrement dit, le « point de vue » prend ici la consistance d’une étude dont la méthode
détermine la pertinence et fait date, comme cela avait été le cas avec la dernière étude que
le CRISP avait consacrée aux établissements scientifiques fédéraux… en 2004. Or, c’est
là que le bât blesse, rendant difficilement recevable la copie.
Lors de sa présentation orale, Madame Witte déclarera avoir voulu poser une « synthèse »
de la communication « sans apporter d’interprétation ». L’argument est pour le moins
spécieux. Il constitue ou bien une marque de naïveté difficilement compatible avec la
trajectoire académique de l’auteure ou bien un argument rhétorique qui vise à créer
une illusion de rigueur là où il n’y aurait que communication politique. La présence, moins
de quinze jours après sa présentation à la presse, du texte de Madame Witte dans la seconde
mouture de la « Visienota voor de hervorming van het federale wetenschapsbeleid » de
la secrétaire d’État Elke Sleurs laisse à penser que le « Standpunt » répondait bien à une
attente politique au-delà de toute logique de parti. Sa traduction en français la double
d’une légitimité scientifique.
3

Deux raisons me poussent à réagir à cette stratégie. Premièrement, contrairement à ce


que dit la présentation – même si elle souligne le caractère « atypique » de la livraison –,
cette « étude » n’est pas menée de manière scientifique. Ce texte se veut d’abord politique.
En tant que fonctionnaire fédéral, il ne m’appartient pas de critiquer l’analyse faite de
l’ambition destructrice prêtée à la N-VA à l’égard de la politique scientifique fédérale
ni de relever les éléments d’une critique, défendue par une large part du monde politique
et intellectuel flamand, de ce qui apparaît à d’aucuns comme des « compétences usurpées »
qui échapperaient au contrôle des Communautés et Régions.
La deuxième raison qui m’a poussé à réagir tient à la position singulière que ce texte
me donne en regard des neuf autres directeurs d’établissements scientifiques fédéraux ainsi
que du président du comité de direction du SPP Politique scientifique fédérale (Belspo).
La description de mon action y est faussée et porte un préjudice à ma réputation ainsi
qu’à l’action que j’ai menée à la tête des Musées royaux des beaux-arts depuis 2005. Je
ne m’intéresserai donc pas au « point de vue politique » ni n’entrerai dans quelque débat
communautaire. Je m’attacherai à la méthode et reviendrai sur certains propos dont la
teneur me semble à la limite de la diffamation.
Reprenons la méthodologie, qui n’est d’ailleurs nulle part explicitée dans le texte. Tout
au plus peut-on la déduire de l’ultime note en bas de page (note 71, p. 45). Grâce au
support de l’archiviste général du royaume, Karel Velle, lui-même membre de la KVAB
et professeur en archivistique à l’Universiteit Gent et à la VUB, l’auteure dispose d’une
documentation qui se compose essentiellement des comptes rendus des débats de la
Chambre des représentants et du Sénat, ainsi que d’une compilation d’articles de presse.
D’un côté, le résumé des débats politiques ; de l’autre, un ensemble (non exhaustif)
des interventions des médias. Pour Madame Witte, là se trouve l’établissement du fait
hors de toute interprétation. Objectif ? On peut en douter, d’autant que ces sources, nous
le verrons, font parfois l’objet d’une interprétation spécieuse, quand il ne s’agit pas
d’une réécriture sommaire. À cet ensemble ont été ajoutés des documents venus de la
Commission communautaire flamande (Vlaamse Gemeenschapscommissie, VGC), ainsi
que des interviews qualifiées « d’utiles » avec une série de personnalités. Les personnes
nommément mises en cause dans le texte ? Certainement pas. Celles sollicitées sont :
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le recteur de la VUB, Paul De Knop, par ailleurs président du Conseil interuniversitaire
flamand (Vlaamse Interuniversitaire Raad), le président de l’Associatie KULeuven, Auguste
Oosterlinck, ainsi que le secrétaire du groupe N-VA à la Chambre, Johan Swinnen.
D’aucuns seraient tentés d’objecter que ce panel s’avère exclusivement flamand. Il n’en
est rien, puisque Els Witte a pris soin d’interroger Régine Kurgan, autre historienne
spécialiste de la période contemporaine et, par ailleurs, directrice de la Classe des Lettres
de l’Académie royale de Belgique. Singulier équipage qui a été ainsi interviewé alors que
les personnes mises en cause dans ce « point de vue », à savoir le président du comité
de direction du SPP Politique scientifique fédérale alors en fonction et moi-même, n’avons
nullement été sollicités. Pas plus d’ailleurs qu’un grand nombre d’acteurs de la recherche
qui, contrairement à ceux mentionnés, connaissent de l’intérieur les établissements
scientifiques fédéraux : membres des commissions, jurys, conseils… Aucun document
ne nous a d’ailleurs été demandé.
4

À aucun moment, Madame Witte n’a cherché à recouper ses sources, à vérifier le
bien-fondé des assertions relayées par une presse souvent partisane et généralement
alimentée par des rumeurs diffamatoires. Pour qui a vécu de l’intérieur les années
auxquelles s’attache l’auteure, on s’étonnera de la candeur qui vise à prendre pour faits
réels les propos relayés par la presse ou instrumentés par quelques parlementaires.
Madame Witte s’est-elle interrogée sur la provenance de ces ragots ou sur la nature des
questions posées, majoritairement, par la N-VA ? Imagine-t-elle seulement que les auteurs
des uns comme des autres – des fonctionnaires fédéraux au sein desdits établissements –
ne sont qu’une seule et même personne ? Et qui sait, peut-être même des collaborateurs
de l’actuelle secrétaire d’État ? Ainsi, le « Standpunt » reprend à son compte des assertions
calomnieuses nourries par autant de rancœurs toujours actives. Cela ne serait rien si ces
propos diffamatoires ne cautionnaient pas une certaine politique et si la contribution
du CRISP, après celle de la KVAB, ne leur donnait une légitimité surprenante.
De travail d’historien, il n’est pas réellement question : sources de deuxième main, absence
de recoupement, disparition de toute évaluation chiffrée... Dès lors, pourquoi cet « essai » ?
Sans doute pas pour apporter sa contribution à une stratégie politique identifiée comme
N-VA (Madame Witte est effectivement critique sur ce plan), mais pour participer à
une opération plus diffuse qui conduit à discréditer ce qui est réalisé sous l’égide de la
Politique scientifique fédérale en s’appuyant sur des compétences jugées usurpées. Pour
désintégrer la politique scientifique fédérale telle qu’elle existe – avec ses défauts et ses
imperfections –, il faut en démontrer l’inefficacité et l’inadaptation. Et en minimiser
voire en nier les acquis. Une partie de l’argument de Madame Witte évolue dans le
même sens que l’action politique désormais menée. Le dossier relatif à la création de
l’Agence spatiale interfédérale témoigne de la méthode suivie pour « réformer » notre
administration. Pour donner un fondement à cette initiative jamais chiffrée (mais qui
annonce déjà que ses frais de personnel seront supérieurs à ce qu’ils étaient dans la formule
Belspo), il semble d’abord nécessaire de discréditer l’ancien mode de fonctionnement. Pas
pour l’améliorer, mais bien pour l’éradiquer. Dans ce contexte, le travail de dénigrement
ne s’accompagne jamais d’un diagnostic chiffré précis. L’accusation répétée en boucle de
« mismanagment » se suffit à elle-même. Dans sa note du 8 septembre 2015, l’Inspection
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des Finances – corps auquel Madame Witte ne fait jamais allusion – n’a pas manqué
d’épingler l’absence de précisions quant aux dysfonctionnements attribués, sans plus
de démonstration, à la structure de Belspo. Il faut casser et on casse. La diffamation fait
office de mode d’analyse. Je ne puis, dès lors, que regretter personnellement de voir le
CRISP publier un texte qui, pour les chercheurs futurs, fera autorité puisque légitimé par
une institution dont la rigueur fait la réputation.
Dans sa mise en contexte, Madame Witte épingle le fait – mais sans en tirer les questions
qu’on attendrait d’un esprit critique – que je suis devenu une cible de la N-VA durant
la période qui a préludé à la campagne électorale de 2014. Cela est correct pour autant
qu’on considère que celle-ci a commencé dès 2011 (les dates livrées dans ce « point
de vue » sont souvent fantaisistes). On est toutefois en droit de se demander si le
calendrier ainsi mis en lumière n’en dit pas plus que les arguments alors avancés.
D’autant qu’une fois le succès électoral de la N-VA consommé et le gouvernement Michel
formé, la campagne a pris une tournure nouvelle en martelant le leitmotiv de ce « mauvais
5

management », qui relève davantage de l’invective que de la démonstration. Grâce à des


fuites incessantes et diffamatoires, organisées par certains membres du personnel, ma
gestion a été critiquée par des acteurs politiques provenant essentiellement de la N-VA.
Dès 2011, ces interpellations ont tourné au harcèlement.
Je vais en prendre un exemple concret, que Madame Witte cite (p. 23) avec une assurance
malvenue. Le 21 septembre 2011, est paru dans De Morgen un article intitulé « Directeur
federale musea legt personeel zwijgen op ». Bientôt suivi d’une interpellation parlementaire
de la députée N-VA Kathy Coudyzer relative au fait que j’aurais interdit au personnel de
s’exprimer devant la presse. Avec pour « preuve » une note adressée à ce même personnel
en date du 13 septembre 2011. Il est amusant (a posteriori) de remarquer que cette note
n’était que la reprise verbatim (mais sans guillemets) d’un passage de l’arrêté royal réglant
les devoirs et obligations d’un agent de l’État (arrêté royal du 2 octobre 1937 portant
le statut des agents de l’État, art. 10). Malgré la réponse à la Chambre de la ministre
Sabine Laruelle, l’accusation d’autoritarisme restera jusque sous la plume de Madame
Witte. Pour sa synthèse, celle-ci a eu accès à l’ensemble de ces documents. Elle a retenu
la charge et omis les réponses. Mieux, elle en a travesti la formulation en liant l’interdiction
de s’exprimer à la réforme des établissements scientifiques fédéraux, dont il n’était pas
question alors. Ce qui n’apparaît donc ni dans les articles mentionnés ni même dans
les interpellations parlementaires. Lorsque l’auteure poursuit en parlant de « représailles »,
elle se fait l’écho de propos diffamatoires jamais démontrés.
Pour Madame Witte, il semble dès lors clair que le directeur s’est isolé face à son personnel,
qui l’aurait largement désavoué. D’où Madame Witte tire-t-elle ces indications ? Pas
d’une enquête sur le bien-être au travail au Musée du Cinquantenaire rendue publique
2
en 2013 que l’auteure se garde d’évoquer . 62 % du personnel s’y disaient « satisfaits »
des conditions de travail, dont 38 % allaient jusqu’à en être « contents ». Ce chiffre peut
être considéré comme élevé en regard de l’état du bâtiment, des économies imposées
et d’une certaine désaffection du public à l’endroit des Musées royaux d’art et d’histoire
(MRAH). Procès à charge, disais-je, qui vise, je le crains, à conforter l’idée que, lorsqu’elle
est assumée par des francophones, la gestion fédérale ne peut être que cataclysmique.
De là l’affirmation par la secrétaire d’État Elke Sleurs d’une réforme qui, calquée sur
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le modèle de Bozar, garantira une gestion performante sous forme de société anonyme
d’intérêt public. À nouveau, la réalité des chiffres ne semble pas peser lourd !
Tout en me reconnaissant des succès (passés), le texte de Madame Witte dresse un
panorama sombre du présent, qui reprend à son compte le leitmotiv de la « mauvaise
gestion » que la N-VA n’a cessé de répéter à mon encontre. Sous couvert de son
apparente objectivité scientifique, Madame Witte avance ses références : Johan Swinnen,
Siegfried Bracke, ou encore Jean-Pierre Rondas lorsqu’il s’agit d’épingler ma contribution
à la « prise de pouvoir du PS sur les biens nationaux » (p. 15). Madame Witte oublie, ou
feint d’ignorer, que sur les onze ans de mandat écoulés, les deux tiers se sont déroulés
sous la tutelle de ministres libéraux dont les évaluations de mon travail ont toujours été
excellentes. N’y avait-il pas matière pour une historienne à apporter de la nuance dans des

2
Réponse à la Question parlementaire 5-4314.
6

propos relayés comme des faits avérés auxquels sa réputation et son aura professionnelles
donnent désormais force de vérité ? De là le désagréable sentiment que suscite la lecture
de bien des passages à charge, pour lesquels l’auteure n’a jamais cherché à connaître le
point de vue adverse.
La question est essentielle car elle donne un crédit inattendu à des personnalités – dont
Siegfried Bracke, président de la Chambre, dans son style caractéristique – qui ont
régulièrement mis en avant mon « mismanagement » sans en apporter la moindre
démonstration. À ces accusations toujours violentes et jamais argumentées, j’ai répondu
sans émotion par des chiffres. Rien que des chiffres. Depuis lors, Siegfried Bracke ne
s’est d’ailleurs plus prononcé sur le sujet. Madame Witte ne l’ignore pas mais prend
soin, elle aussi, de laisser les chiffres de côté.
Pour m’en tenir aux éléments qui m’apparaissent diffamatoires dans la présentation
univoque de Madame Witte, je souhaite reprendre le texte relatif à mon passage à la
3
tête du Cinquantenaire – sans entrer dans le détail des approximations – et au dossier
des salles art nouveau que j’aurais bloqué en des termes que je souhaite reprendre :
« On avait travaillé pendant plusieurs années avec le soutien du Fonds Inbev-Baillet Latour
à l’aménagement de nouvelles salles destinées à l’art nouveau et à l’art déco, qui devait
s’ouvrir en juin 2012. Jusqu’à ce que les plans de M. Draguet en décident autrement.
Les investissements du Fonds ont alors été arrêtés, les activités également et le responsable
à perdu sa mission » (p. 22). Singulière présentation. Ce dossier, qui traînait depuis
vingt ans au Cinquantenaire, avait été lancé sans aucun respect des marchés publics.
En tant que fonctionnaire, il était hors de question que je m’engage en ce sens, même
si la ministre Laruelle avait été contrainte de couvrir les engagements inconséquents
de la précédente direction. Je n’ai pas bloqué le projet, mais je l’ai repositionné dans le
plan global de l’institution, qui n’existait pas à l’époque. D’autant que ces salles étaient
ridiculement placées non pas en continuité des arts décoratifs européens du Moyen Âge
e
au XVIII siècle, mais entre Chine et Tibet au cœur du département des arts non européens.
J’ai donc, avec l’accord des membres du département et des représentants du Fonds
Inbev-Baillet Latour, déplacé les salles pour les ramener à leur place logique. Un concours
d’architecte a été organisé, la lauréate a travaillé avec les responsables des collections et
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un projet a, non sans peine, été élaboré. À mon départ, il ne manquait que l’engagement
de la Régie des bâtiments puisque, avant de rénover des salles, il faut rénover les toitures
et pourvoir aux problèmes de stabilité et de gros œuvre. Ce qui n’a pas toujours été le cas
aux MRAH ! Le responsable du projet n’a pas perdu sa mission. Celle-ci a été redéfinie
de manière collégiale au sein du département et les attributions de ce dernier ont été
revues. Insatisfait, ledit responsable a intenté une action devant le Conseil d’État qui
l’a débouté. Dont acte !
Madame Witte évoque, dans la foulée, les expositions abandonnées relatives au Palais
Stoclet – et non à Klimt – et au surréalisme. Sans signaler que la première a été arrêtée
à la demande de la famille, qui ne souhaitait plus collaborer avec une institution publique
belge suite à des décisions de justice qui l’opposaient à la Communauté française, et que

3
Aucun bâtiment n’a été fermé « dans la perspective des réformes et des rénovations » (p. 22). Ni la
Porte de Hal, ni l’art mosan n’ont d’ailleurs été fermés. La Tour japonaise l’a été en raison de problèmes
de stabilité, le Pavillon chinois en raison de balcons qui menaçaient de s’effondrer. Et la salle de céramique
– qui accueillait moins de cent visiteurs par mois – l’a été pour laisser la place aux salles art nouveau dont
on m’accuse d’avoir voulu bloquer le dossier !
7

la seconde l’a été dans le cadre des premières coupes budgétaires et des procédures de
contrôle qui ne permettaient pas de mener correctement le travail préparatoire propre
à une exposition. Madame Witte ignore sans doute que nous sommes aujourd’hui dans
une situation financière qui fait que les expositions doivent contribuer au budget de
l’institution à hauteur de 500 000 euros par an. Et ce alors que nous ne disposons d’aucune
dotation spécifique pour les expositions. Nous annulons donc régulièrement des projets
lorsque le risque financier s’avère trop lourd.
Madame Witte considère aussi que ma politique a eu pour effet de stocker dans des dépôts
des œuvres promises à des « manœuvres à venir » (p. 22) et qu’il « a fallu renoncer à
certaines réparations urgentes si bien que des infiltrations d’eau ont mis les collections
en danger ». Ces accusations ne résistent pas plus à la relation des faits. Les œuvres
stockées dans des réserves provisoires le sont suite à la découverte d’amiante dans les
extensions… en 2004. Soit un an avant mon arrivée ! Si la Régie a laborieusement mené
à bien le désamiantage, rien n’est en place pour la poursuite des travaux malgré des études
annoncées en mars 2015 pour octobre de la même année et qui, en mars 2016, n’ont
toujours pas fait l’objet d’un marché ! Si j’en crois la presse, l’ensemble se trouve désormais
dans l’enveloppe globale dégagée par le gouvernement, qui ira de 2017 à 2021. Les œuvres
ne sont donc pas stockées en vue d’un redéploiement. Mais il est clair que sans celui-ci,
on peinera à les sortir des installations du Mont-des-Arts pour effectuer (enfin) ces travaux.
Imaginer qu’un directeur d’institution diffère des réparations urgentes pour s’adonner
à son jeu de chaises musicales me semble une grave accusation. Celle-ci fait sens à la
lecture du « point de vue ». En effet, il faut démontrer que le succès des Musées royaux
des beaux-arts de Belgique n’est qu’événementiel et qu’il se joue au détriment des
collections. Nous y reviendrons. Mais je puis affirmer qu’à aucun moment, je n’ai reporté
des travaux urgents que la Régie aurait voulu mener au sein des Musées royaux des beaux-
arts de Belgique. Qu’il s’agisse des extensions de 1974 ou du bâtiment appelé Ballat.
Au contraire. La question reste là essentiellement budgétaire et on se rappellera qu’il ne
nous est légalement pas donné de changer les affectations des crédits en fonction de nos
priorités et urgences. L’ensemble des travaux programmés par la Régie qui ont eu lieu
sous mes deux mandats de directeur général remontait à des projets largement antérieurs,
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saucissonnés en phases pour répondre aux restrictions budgétaires. Les autres interventions
de la Régie – Musée Magritte, Musée Fin-de-siècle – se sont faites sur d’autres crédits liés
à des mécénats de compétence, à des investissements en propre de l’institution ou à
des gestes de mécènes comme la famille Gillion-Crowet.
Venons-en au Musée d’art moderne. Il n’a pas perdu sa place au bénéfice du Musée
Fin-de-siècle, puisque les œuvres conservées dans celui-ci figuraient dans celui-là. Il s’agit
d’un redéploiement qui vise à affirmer l’identité des collections, comme cela avait été
le cas pour le Musée Magritte en 2009. Madame Witte ne s’en rend pas compte, mais
la progression du nombre de visiteurs aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique
est essentiellement le fait des collections permanentes et non des expositions temporaires,
de plus en plus difficiles et onéreuses à monter.
Sans entrer dans le détail du résumé qui est livré (p. 22-23), je constate que, à nouveau,
il faut dénoncer les signes de mauvaise gouvernance. Quitte à forcer la réalité et à
commettre de singulières erreurs. Ainsi, peut-on lire dans le texte de Madame Witte :
« Une étude (coût 750 000 euros) chiffrait le coût du réaménagement [des anciens
Magasins Vanderborght] à 7 millions d’euros ». À nouveau, il s’agit de dénoncer, sans
8

clairement le dire, la gabegie d’une administration assise sur ses « compétences usurpées ».
À tort. Madame Witte prend en fait le problème à l’envers. Les coûts d’études sont
toujours évalués globalement à 10 % du budget total estimé. De là une estimation – ces
études n’ayant pas été réalisées, l’argent n’a pas été dépensé, contrairement à ce qui est
dit à la p. 27 – de 750 000 euros pour une installation nullement temporaire.
Quelle est la visée de ces approximations, qui ne sont que le lointain remugle des ragots
qui agitèrent le petit monde des conservateurs de musées ? Accumulant « conflits
personnels, incidents et erreurs », j’aurais ainsi fait la démonstration de mon incompétence
comme manager de crise (p. 23). Et à travers moi, ce serait le plan échafaudé par la
« direction du PS, et en particulier [par] la tête de sa section bruxelloise » qui se serait
enlisé. Je laisse Madame Witte à ses interprétations politiques. Je n’ai jamais incarné une
quelconque politique autre que celle du musée dont j’ai la responsabilité : valoriser les
collections, les étudier et les mettre à disposition du public le plus large. Les chiffres
présentés et validés par la Commission de gestion, par l’Inspection des Finances et par
la Cour des comptes sont accessibles à tous. Madame Witte pouvait recouper ses
affirmations. Et notamment celle selon laquelle la politique de l’actuelle secrétaire
d’État « inverserait [mes] objectifs et mettrait à présent l’accent sur la conservation du
patrimoine ». Plus loin, le propos, toujours mal informé, se fait clairement diffamatoire
en abordant la préservation du patrimoine : « [M. Draguet] s’était trop peu soucié
des problèmes fondamentaux, ainsi que l’avaient montré la fermeture prématurée de
l’exposition Van der Weyden, les dégâts encourus par quelque 300 peintures sur bois
et le vol d’œuvres au Musée du Cinquantenaire » (p. 36). Dans le premier cas, les Musées
royaux des beaux-arts de Belgique sont en justice car l’accident a été causé par une
cascade de sous-traitants qui n’ont respecté ni les délais ni les cahiers des charges ; dans
le deuxième cas, nous avons gagné en première instance contre le fournisseur du matériel
de contrôle des réserves (chantier Régie des bâtiments) ; et le troisième exemple relève
quant à lui d’un pur fantasme, même pas étayé par la presse. Durant mes trois ans
d’intérim à la tête des MRAH – de 2010 à 2013 et non pas à partir de 2012 comme
l’écrit Madame Witte –, aucune œuvre n’a été volée. Au contraire, en renvoyant les
conservateurs à leurs inventaires et en déposant systématiquement plainte pour vol
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lorsqu’une œuvre manquait au recollement, nous avons pu récupérer des œuvres volées
dans le passé. Dont, entre autres, La tête de Livie, ramenée de Berlin, et qui avait été
dérobée… en 1976. L’argumentaire de Madame Witte, on le voit, ne fait pas l’économie
des propos diffamatoires les plus invraisemblables sans qu’il ne soit jamais question de
recouper sources et informations.
Qu’ai-je fait d’autre que défendre le patrimoine, que ce soit avec le Musée Magritte ou
avec le Musée Fin-de-siècle ? Sur les 750 000 visiteurs accueillis en 2015 (contre 300 000
en 2003), moins de 200 000 sont venus pour les expositions. La politique que je mène ne
s’est jamais détournée des collections, et si celles-ci sont dans un triste état de présentation
– quoique bien conservées et sécurisées grâce au dévouement de l’ensemble des équipes
et à des investissements permanents longtemps financés par la Loterie nationale –, c’est
bien une faillite du politique dans le domaine des bâtiments publics qu’il faut incriminer.
Mais cela ne retient pas Madame Witte, dont la vision relève des idées toutes faites.
L’autonomie la plus large – mais sans moyens – au sein d’une société anonyme – qui
redistribuerait les revenus propres entre des institutions disparates – garantirait le salut ?
Pour qui ? Comment ? Je suis pour ma part convaincu que celui-ci ne viendra pas s’il n’y
a pas d’investissements suffisants dans les infrastructures. Le point noir des musées réside
9

dans les bâtiments, sur lesquels nous n’avons pas la main. En tant que directeur général
des Musées royaux des beaux-arts de Belgique, je ne puis qu’assister à la dégradation
progressive de l’outil. Mais peut-être est-ce voulu ? On pourra alors dire que la mauvaise
gestion menace le patrimoine et qu’il serait mieux traité à un autre niveau de pouvoir.
Madame Witte exprime clairement son enthousiasme pour l’avenir qui se dessine : « Une
bonne part de la responsabilité politique reposait désormais sur les institutions elles-
mêmes. Toutes devaient désigner un change manager et établir des masterplans » (p. 28).
Que croit Madame Witte ? Que nous n’avions rien réalisé dans le domaine du change
management ? Que les équipes n’ont pas été professionnalisées ? Que nous n’avions pas
de masterplan ? Que le projet Vanderborght – contrairement à d’autres projets – n’avait
pas été supporté par un business plan soumis à l’Inspection des Finances ? Et comment
ne pas ancrer plus avant la question en développant les coupes budgétaires qui sont
imposées à ces établissements scientifiques fédéraux depuis 2011 ? Situation qui ne lasse
pas de surprendre quand on compare le traitement de ces établissements qui conservent
le patrimoine fédéral avec les faveurs dont bénéficient les institutions biculturelles. Au-
delà du compte rendu des positions idéologiques des uns et des autres, il y a une réalité
économique qui ne compte pour rien dans ce « point de vue ». Le passage relatif à la
question ne comprend même aucun chiffre ! Les établissements scientifiques fédéraux
sont pour Madame Witte « des anomalies dans le paysage belge » (p. 35). Portées par
une vision de l’État PS, elles sont mal gérées. À l’image des Musées royaux des beaux-
arts de Belgique. A contrario, le cas de Tervueren se révèle exemplaire à ses yeux (p. 36).
Madame Witte a raison, mais pas dans le sens où elle le pense. Que n’adoptons-nous pas
la même technique – un emprunt – pour rénover les autres établissements scientifiques
fédéraux ? Une récente intervention de Bruno Colmant montre qu’au vu des taux
d’intérêts pratiqués, ce serait le moment. Mais aujourd’hui, l’État ne peut plus s’endetter
et il est probable que ce qui vaut pour Tervueren ne vaut pas pour les autres établissements
scientifiques installés à… Bruxelles.
Car c’est là que se joue une grande part du fantasme qui alimente ce texte. Les
établissements scientifiques fédéraux manqueraient d’esprit de collaboration avec les
Communautés et les Régions (p. 38). Nous ne serions pas à l’écoute des besoins des
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entités fédérées. Les Musées royaux des beaux-arts de Belgique travaillent avec toutes
les universités, accueillent dans leur bibliothèque des étudiants du pays entier, prêtent
à toutes les expositions en Belgique (28 en 2015, dans les limites des normes de
conservation). On est loin de la « bruxellisation » stigmatisée. Je ne résiste pas à conclure
en mettant en lumière le grotesque de certaines assertions : « À Anvers, nous dit Madame
Witte, on affirme sans détour que les musées fédéraux font preuve d’hyper-indépendance,
si pas d’autisme » (p. 38). Je me contenterai de signaler que Manfred Sellink, le directeur
du Koninklijk Museum voor Schone Kunst d’Anvers, musée important qui bénéfice
d’investissements majeurs pour sa rénovation, est président du conseil scientifique des
Musées royaux des beaux-arts de Belgique. Pour ma part, je n’ai été invité à participer
à aucun comité, commission ou conseil d’aucun musée belge. En Wallonie comme en
Flandre ou à Bruxelles !
On le voit : d’analyse, il n’est pas question. C’est un procès à charge que livre l’essai de
Madame Witte. La place qu’elle m’accorde dans son « point de vue » semble
proportionnelle à la nécessité de démontrer l’anomalie que constitue un musée des
beaux-arts dans le paysage belge. Ma mauvaise gouvernance s’enracinerait dans une
compétence à ses yeux usurpée par l’État belge. À la liberté du pamphlet – ce à quoi ce
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texte se résume fondamentalement –, l’auteure préfère l’apparence de la rigueur avec


des sources, des références et des notes en bas de page. Critique à l’égard de la N-VA,
ce texte conforte en réalité une politique de démembrement qui se met en place en liant
appauvrissement et autonomie. La stratégie formaliste qui préside à ce « point de vue »
apporte à une réforme mal engagée une béquille bien approximative. Ce texte valait-il
un Courrier hebdomadaire du CRISP ? En l’état, j’en doute et je déplore qu’il ne livre
au lecteur qu’une partie de la réalité. Espérons qu’un jour, un historien entamera cette
étude en repartant des faits et des chiffres.

Michel Draguet,
directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique,
professeur à l’Université libre de Bruxelles,
membre de la Classe des Arts de l’Académie royale de Belgique
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Monsieur le Directeur,

Nous vous remercions de nous avoir informés de la lettre dans laquelle Monsieur Draguet
réagit à la publication par le CRISP de l’étude de la professeure E. Witte « Le débat sur
les institutions culturelles et scientifiques fédérales : une étude de l’Académie flamande »,
et de nous donner l’occasion d’y répondre.
Monsieur Draguet reproche à Madame Witte une méthode non scientifique, une
représentation sélective de l’histoire récente des institutions culturelles et scientifiques
fédérales et un manque d’objectivité inspiré par des motifs politiques. Nous soulignons que
Madame Witte, comme l’indique le titre de son étude, n’a pas étudié le fonctionnement
des institutions culturelles et scientifiques fédérales mêmes, mais bien le débat social et
politique qui a été mené dans la période comprise entre 2010 et 2015 au sujet de ces
institutions, et qui a précédé la décision au sein du gouvernement fédéral actuel. Elle l’a
fait à l’aide de sources adéquates pour une analyse de discours : la presse et des documents
parlementaires. Si les sources contemporaines ne mentionnent pas certains éléments que
Monsieur Draguet cite maintenant publiquement, on ne peut pas reprocher à l’historienne
d’avoir utilisé ces sources.
Monsieur Draguet affirme également que Madame Witte soutient une politique visant
à démanteler les institutions culturelles et scientifiques fédérales. En réalité, il ne s’aperçoit
pas que Madame Witte plaide pour davantage d’attention et pour un meilleur financement
de ces institutions.
Madame Witte est unanimement appréciée en tant qu’historienne. Ses mérites scientifiques
et son apport à la société ont d’ailleurs été reconnus récemment par la Région de Bruxelles-
Capitale, qui lui a décerné le prix Atomia.
Madame Witte est un membre respecté et actif de l’Académie royale flamande de Belgique
des Sciences et des Arts (KVAB), qui réitère sa confiance en elle. De surcroît, son étude
a été abordée lors de l’assemblée générale de la Classe des Sciences humaines de notre
Académie, et la publication de son étude a été approuvée par le comité de rédaction de
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cette Classe.

Veuillez croire, Monsieur le Directeur, à mes sentiments distingués,

Freddy Dumortier,
secrétaire perpétuel de l’Académie royale flamande de Belgique
des Sciences et des Arts (KVAB)
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