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Violence et politique en Islam

Yadh Ben Achour


Dans Lignes 1995/2 (n° 25), pages 159 à 173
Éditions Éditions Hazan
ISSN 0988-5226
ISBN 9782850254055
DOI 10.3917/lignes0.025.0159
© Éditions Hazan | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221)

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YADH BEN ACHOUR

VIOLENCE ET POLITIQUE EN ISLAM


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La question de savoir quelle est la position de l'Islam sur telle ou telle question
est souvent et légitimement posée. Ce qui n'est pas légitime, c'est de prétendre
répondre péremptoirement à semblable question. On serait en droit de dire : telle
est la réponse des théologiens à telle ou telle époque, telle est la position de tel ou
tel auteur, telle est la croyance majoritaire, telle est la réponse de telle secte, de tel
rite, de telle école ... mais nul n'est en droit d'affirmer : telle est la position de
l'Islam. Certes, il existe un texte, le Coran. Mais comme tout texte, ce dernier est
interprétable et peut être lu de plusieurs manières, indépendamment du fait qu'il
est loin d'être homogène1• Pour sortir de quelques impasses embarrassantes, les
premiers interprètes parmi les compagnons du Prophète mais surtout, par la suite,
les théologiens, ont élaboré la théorie du Naskh (abrogation), admettant que le
Coran abroge le Coran, mais, ce qui est bien plus étonnant, que le Hadith 1 peut
également le faire. Quant au Hadith, institué tardivement, il ne fait pas l'objet
d'un accord général et n'utilise pas les mêmes sources. Ce qui est authentique
pour les sunnites ne l'est pas pour les shiites. Sauf sur les questions fondamentales

1. Ce qui est admis par le Coran lui-même:<< C'est lui qui te révéla le Livre. Parmi ses versets, il
en est des catégoriques ; ce sont l'originel du Livre. D'autres sont ambigus ... » Sourate de la
Famille de Umrâm, verset 7.
2. C'est-à-dire les dires authentiques du Prophète.

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3. Violence et communautés

du culte, telles que prières, jeûne et pèlerinages - encore qu'il y ait, même sur ces
questions, à redire- toute analyse doit reconnaître qu'elle est l'analyse d'une cer-
taine opinion, d'une certaine lecture possible du texte, étant entendu que ce texte
reste ouvert à d'autres lectures. Que des lectures soient exclues, leurs partisans
condamnés, leur diffusion impossible relève du pur phénomène politique et de
l'histoire des mouvements sociaux. Que telle lecture soit même unanime n'en fait
pas pour autant l'essence de l'Islam, mais la maintient, quelle que soit sa durée,
dans le statut toujours changeable d'une opinion des musulmans, quel que soit
leur nombre, et non d'un impératif catégorique de l'Islam.
Par conséquent, les réflexions que je vais présenter dans ce qui suit sur: « vio-
lence et politique en Islam » procède d'un certain angle d'attaque du sujet. Le
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voici : qu'est-ce qui rend possible, d'un certain point de vue textuel, certaines pra-
tiques spécifiques de violence dans la civilisation islamique, compte-tenu en par-
ticulier des événements politiques de notre fin de siècle3 ?
Il est évident que ce point de vue n'est pas partagé par tous. Muhamed
Mahmud Taha a payé de sa vie pour avoir osé le dire clairement. Il est non moins
évident, à mon sens, qu'on peut démontrer avec autant de force que le texte cora-
nique est aussi plein de compassion et de paix. La lecture que nous allons donc
présenter est la lecture historiquement majoritaire, pratiquée plus ou moins rigou-
reusement selon les circonstances et aléas de l'histoire, suspendue par le réfor-
misme et la colonisation, revivifiée aujourd'hui par la pratique de l'État, sous la
pression de ce qu'on appelle l'intégrisme et, d'après ma conviction personnelle,
condamnée à disparaître. Étudions de plus près cette lecture gouvernante.

Instauration, désinstauration
Une vérité première de cette lecture gouvernante: la vie politique est implici-
tement admise comme une prière collective. La vie est un don, la seule vie possible
est collective, la seule collectivité est politique. C'est ce que théologiens, juristes et
philosophes reconnaissent lorsqu'ils disent : « Al insân madaniyun bit-tab' >>
(l'homme est civique par nature). Mais nous savons que cette nature est précisé-
ment un don et une grâce.

3. Notamment les revendications et pratiques politiques des mouvements islamistes et les pra-
tiques officielles de violence pénale des régimes politiques, tels que ceux du Soudan, de l'Arabie
saoudite ou du Pakistan.

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Cette vérité emporte des conséquences importantes et nombreuses. Nous
retiendrons d'une manière particulière :
1. Que la question du pouvoir islamique est une question théologique, étudiée
comme telle dans les livres de théologie (Kalâm) et d'hérésiographie et non dans
les livres de droit (Fiqh).
Les catégories de la raison politique et de la raison théologique sont iden-
tiques. Le monde du divin et du politique partagent un patrimoine commun dont
la structure thématique se ramène à quatre clés essentielles :
-l'instauration des choses (ordre de l'univers, ordre de la cité)
-la souveraineté (grandeur de l'autorité créatrice, soumission des êtres)
-l'existence de la norme (licite et illicite divins et politiques)
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-la rétribution (sanction- récompense).
Ces quatre clés règlent le jeu de trois acteurs : Dieu, le chef politique et l'être
humain ; trois réalités intelligentes et hiérarchisées, ayant chacune un statut parti-
culier par rapport à l'instauration (instaurateur absolu, instaurateur de l'ordre
politique, instaurés), à la Souveraineté (suprême souveraineté, moindre souverai-
neté, absence de souveraineté), à la norme (inconditionné, partiellement soumis,
totalement soumis) et à la rétribution (non justiciable, justiciable de Dieu seul,
totalement justiciable).
2. Qu'historiquement la querelle du pouvoir politique a créé les grands
schismes de l'Islam, ce qui montre qu'elle est dogmatique et non pas simplement
constitutionnelle.
3. Que la constitutionnalité islamique idéale est représentée par un modèle
républicain et ecclésial, le Califat, dont les principes sont tirés de l'expérience du
gouvernement de Médine et des quatre Califes successeurs. C'est par rapport à cet
étalon qu'on juge les divers degrés de corruption de la politique réelle. Ce modèle
représente le souverain bien. Les autres en dérivent.
Deuxième vérité. Le monde est soumis à la corruption; il est corruption. La
vie, le temps, la nature, l'espace, la mort en sont les signes et ceci par rapport à ce
qui n'est pas corruptible, c'est-à-dire le non-temps et le non-espace que sont
l'éternité et l'infinité, toutes deux expressions de l'immobile divin. Le monde est
une chute entre deux infinités dans lesquelles Dieu et l'homme sont réunis :
l'homme immortel au départ, l'homme immortel à l'arrivée. La vie terrestre, qui
représente l'homme désuni de Dieu, est donc fondamentalement inacceptable.
Elle est tolérée par contrainte, nécessité et soumission. L'homme y est esclave
(Abd). Mais esclave en situation d'attente et d'examen. Dans cette phase d'attente,

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3. Violence et communautés

il n'est cependant pas totalement coupé de Dieu. Ce dernier continue d'agir pour
le ramener à lui, à lui dicter des normes, par des messages successifs. Cette cor-
ruption en effet n'est pas absolue. C'est ce qui explique la présence de la norme.
En effet, pour que la corruption reste dans les limites du temps, c'est-à-dire du
provisoire, il faut que l'homme démontre qu'il a compris Dieu-législateur et qu'il
se soumet à ses normes, sinon l'homme sera voué à l'éternelle corruption et mau-
dit pour toujours, par le fer et par le feu de l'enfer, violence de toutes les violences
contre laquelle il n'y a point de salut, sauf décision souveraine de Dieu.
Reconnaître et adorer Dieu, c'est donc faire en sorte que le principe de cor-
ruption ne se transforme pas en mal absolu. Témoigner envers Dieu consiste à se
prémunir du mal (Fasâd-Sharr) qui continue toujours à poursuivre l'homme. Se
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prémunir du mal consiste les indications du Dieu-législateur, soit celles qui sont
déposées dans le cœur des justes, des amis de Dieu, sous forme de Raison (Aq[) ou
d'amour (hubb) qui sont les deux rameaux de la connaissance. Connaître, c'est
connaître cette volonté de Dieu, deviner ses tendances, les appliquer par l' exhor-
tation, l'ordre, l'injonction, la violence en dernier lieu.
La violence est un concept théologique et politique central puisqu'il est direc-
tement rattaché à deux dogmes : l'ordre et la norme. Il y aura une violence repro-
chable qui provoque le tort, l'injustice, le préjudice (jasâd) et une violence irré-
prochable qui fait revenir au juste, au bon (salâh) ; l'ordre et la norme étant les
deux critères de jugement de la violence honnie et de la violence juste. L'un
désordonne, égare, viole l'ordre et la norme que Dieu établit dans l'univers cor-
ruptible, l'autre rétablit l'ordre et la norme.
Un grand théologien du XX' siècle définit ainsi l'objectif général de laShari'a:
« La conservation de l'univers et la maintenance de son bon ordre par la rectitude
de celui qui en est le maître, c'est-à-dire le genre humain. Cette rectitude com-
prend celle de sa raison, de son action et de ce qu'il détient entre ses mains parmi
les choses du monde dans lequel il vit'.»
Le bon ordre de l'univers s'obtient, par conséquent, par une action duelle
sur l'homme lui-même qui consiste à « réformer, redresser la situation de
l'homme » et à « rejeter son Fasâd » (mal, égarement, violation, violence). La
violence redresse l'homme comme le feu est redressé à l'enclume. Mais qu'est-ce
que le bon ordre ?

4. Sheikh Tabar Ibn Ashûr: Maqâsid a sharî'a al islamiya, 1' ed., Tunis, 1366 H, p. 63.

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Le bon ordre, c'est ce qui est instauré. Le Fasâd, son contraire, c'est ce qui
désinstaure. Il faut donc forcément connaître ce qui est instauré. Les éléments
constitutifs de l'instauration sont les suivants:
-La vie : son principe est qu'elle ne nous appartient pas. Par conséquent, est
« Fasâd >>tout ce qui la supprime arbitrairement ou la réduit ou l'empêche de se déve-
lopper selon la loi biologique naturelle (homicide, agression physique, rapt, etc.)
-Le bonheur: il provient de l'absence de souffrance, de la jouissance corpo-
relle et morale et de la connaissance des choses. Les nourritures terrestres (tayyi-
bât, khayrât, matâ'), les ornements de la vie (zîna), les biens (rizq, mâl) en sont les
éléments essentiels. La tempérance doit régler leur utilisation. Nous verrons que
l'excès et la prodigalité (lsrâf) dénaturent le bonheur et le pervertissent.
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- La cité politique : la cité politique fait partie de l'instauration. C'est elle en
effet qui permet à l'homme de s'accomplir, c'est-à-dire :permettre la vie, le bon-
heur et témoigner collectivement. C'est pour cette raison que je disais en com-
mençant que la vie politique est une prière collective. Précisons le sens du
témoignage.
- Le témoignage (Shahâda) : il est une reconnaissance de Dieu et de son
Prophète ainsi que de la grandeur des choses qu'il a instaurées et qui attestent de
mille manières son existence. On témoigne individuellement (Imân) de sa foi.
Mais on témoigne de même politiquement. Maintenir l'ordre de la cité est une
manière de témoigner, et de rendre grâce à Dieu. Zakât, prières du vendredi,
jihâd, institution des peines pénales, lutte contre les dissidences et schismes sont
des obligations politiques et des actes de foi. La foi est un mouvement de la
conscience solitaire, aussi bien qu'une attitude communautaire, ecclésiale.
Le pouvoir politique : l'institution du pouvoir politique, disent les auteurs sun-
nites, est une obligation religieus~. Sa mission est religieuse, parce qu'il veille à la
conservation de ce qui a été instauré au niveau de l'individuel, du domestique et du
collectif. Pour cela, il a le pouvoir de blâmer, d'ordonner, de punir. Il doit combattre
tout ce qui désinstaure la vie, le bonheur, la nature, l'ordre politique. Or, c'est par
~olence qu'on désinstaure, mais c'est également par violence qu'on restaure. Et
Dieu restaure par l'intermédiaire du pouvoir politique. Dans sa mission de guide, de
pasteur (Râ 't), le pouvoir politique est aidé par les Écritures saintes (Coran, Hadith)
dont il se doit d'exécuter les normes cultuelles, morales et juridiques (civiles,

5. Thèse combattue en 1925 par Ali Abdurrâziq.

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3. Violence et communautés

pénales, familiales, successorales), par la sagesse de la nation majoritaire, attachée à


la Sunnah et à la tradition des anciens, par les principes de la raison légiférante (ijti-
had) guidées par les« ultimités »du Shar' (ordre juridique islamique).
Pour cette raison, on peut dire que la violence constitue l'une des raisons du
pouvoir, non pas de sa légitimité mais de sa raison d'être. L'homme étant par
nature agressif, la seule manière d'arrêter sa violence est de la casser par la violence
du pouvoir. La légitimité dérive de la conformité au modèle constitutionnel. Mais
la violence du pouvoir constitue un titre d'exercice. Il donne droit à l'obéissance
même s'il viole la constitutionnalité. Il en est ainsi de la royauté dynastique, pour-
tant contraire au modèle républicain du Califat régulier. Il en est de même de
l'accession au pouvoir par violence. Le jugement des hommes, dans ce cas, est
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limité par l'exigence d'effectivité et d'ordre dans la théorie classique.

Violence « reprochable »
La violence qui désinstaure est diversement qualifiée par la terminologie cora-
nique. Le terme générique est« Fasâd »,au sens de violation, transgression, dégâts.
C'est en ce sens qu'il est utilisé dans le verset 11 de la Sourate de la Génisse:
« Si on leur dit : gardez-vous de faire violence à la terre, ils disent : nous la
réinstaurons. Mais ils sont bien des destructeurs sauf qu'ils ne le savent pas >>.
Il est également utilisé au verset 30 de la Génisse :
« Lorsque ton seigneur dit aux anges :Je vais instituer un successeur sur la
terre. Ils dirent : vas-tu donc y créer celui qui y installera la destruction et répan-
dra le sang, alors que nous, nous te rendons grâce et te célébrons.
Il dit alors :Je sais ce que vous ne savez pas. >>
Mais la violence qui désinstaure reçoit, dans le Coran, des qualifications spéci-
fiques. Parmi ces qualifications nous pouvons retenir celle de « Ihlâk >> qui signi-
fie la destruction des biens et des êtres. Elle est utilisée, par exemple, dans les ver-
sets 204 et 205 de la Génisse :
« Il en est parmi les hommes dont le discours sur la vie terrestre te séduit et qui
prend Dieu à témoin du fond de son cœur, alors qu'il est le plus acharné des dis-
putants. Dès qu'il a le dos tourné, il se répand sur la terre pour l'abîmer, pour
détruire (Yuhlik) les champs et les êtres. Dieu n'aime pas la malfaisance (Fasâd) >>.
Autre forme spécifique de violence: l'« Isrâf >>,qui signifie l'abus, la prodiga-
lité, la violence à l'ordre des biens matériels. « Mangez et buvez mais ne soyez pas
prodigues >> (Sourate al A 'râf, verset 31 ). L'excès en toutes choses est malfaisance,
violence à l'ordre de la nature, de la cité ou des désirs.

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La violence non légitime du pouvoir politique figure parmi les violences
désinstauratrices les plus couramment évoquées dans le texte coranique, qu'elle
prenne la forme de l'injustice (dhulm) de l'outrance (tughyân), de la force cœrci-
tive (bavs), de la violence physique (batsh), de la violence au droit (l'tidâ). La
figure emblématique de ce pouvoir outrancier est celle de Pharaon.
Les mouvements islamistes ont repris, contre les régimes politiques établis,
l'utilisation de cette image pharaonique du pouvoir.
Il faut évoquer également la violence fratricide qui doit se régler par la paix
ou la contreviolence6•
La violence directement contraire à l'ordre politique a lieu essentiellement
sous les formes suivantes :
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-La première, la plus grave, est le reniement du témoignage. L'apostasie est
le plus haut degré de reniement. La liberté religieuse que certains auteurs musul-
mans considèrent comme l'essence même de l'islam est une liberté pour les
autres, non pour les musulmans par l'origine ou la conversion. Mais l'apostasie
ne consiste pas simplement à nier Dieu, mais à nier ses normes, ou celles du
Prophète, ou à faire outrage à l'un ou l'autre. L'affaire Rushdie est un exemple
de contreviolence à l'outrage fait au prophète. Elle a pris la forme d'une licita-
tion de la violence par l'État qui est en charge des affaires de la religion et des
affaires terrestres. L'État islamique ne correspond pas tout à fait au modèle éta-
tique internationalement reconnu. Il ne reconnaît que très relativement le prin-
cipe de territorialité des compétences, la nationalité, la compétence exclusive,
comme le reconnaît le droit international, auquel pourtant il demande à partici-
per. Quand il parle au nom du divin, quand il témoigne, il s'adresse à l' Ummah,
par dessus les frontières. La noble politique est délocalisée. L'apostat est donc
victime d'une violence d'opinion que l'État alimente et sanctifie. En 1993, un
jeune universitaire marxiste égyptien présente une thèse à l'université du Caire.
Sa demande est rejetée pour athéisme. Il est poursuivi devant un tribunal pour
apostasie et le divorce est demandé, contre l'avis de sa femme. Université et jus-
tice joignent donc leurs voix à celle du fondamentaliste. Rushdie, Taslima
Nasreen, Faraj Foda, Djaout sont menacés et exécutés par l'opinion, pour vio-
lence faite au témoignage.

6. Voir Sourate des hujurât, verset 9.

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3. Violence et communautés

- La deuxième forme est la violence faite à la norme et à l'ordre social instauré.


Il s'agit essentiellement de la sexualité illicite (Zina), de l'homicide (qat! a nafs) des
coups et blessures (jirah), de la rébellion (Muhâraba).

La violence irréprochable
La violence irréprochable est donc celle qui réinstaure. À ce niveau, il faut net-
tement distinguer l'action restauratrice proprement politique dans laquelle la vio-
lence est une vertu, et la présence de Dieu dans l'histoire, sous forme de violence
restauratrice ou de vengeance.
En effet, la présence de Dieu dans l'histoire a lieu, entre autres, par violence. À
la Sourate des Burûj, il est dit aux versets 12 à 16: «La violence de ton Dieu est
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assurément grande. C'est bien lui qui crée et recrée. Lui l'indulgent, lui le compa-
tissant. Au trône glorieux. Agent de son propre vouloir >>. On remarquera la dua-
lité violence, compassion; souveraineté infinie, douceur ; dualité que nous retrou-
verons à travers la figure du chef politique.
À tous les violents, peuples ou rois, il est constamment rappelé qu'il existe
une plus irrésistible violence, celle par exemple qui détruisit Sodome et
Gomorrhe, le peuple de 'Ad, le peuple de Thamûd, le peuple de Noé. C'est une
violence vengeresse qui se manifeste par les cataclysmes tels que tremblements de
terre, raz de marée, déluges, incendies, par les épidémies, ou les défaites par les-
quelles Dieu punit les injustes et les orgueilleux. Dieu est le plus grand violent,
mais sans reproche, le plus grand stratège et le plus grand vengeur. « Que de
générations avant eux avons-nous détruites, alors qu'elles étaient bien plus vio-
lentes» (Sourate qâf, verset 36). De même, il rappelle au prophète:
« Combats donc dans la voie du Seigneur. Et ne charge que toi même. Incite
les croyants. Peut-être que Dieu arrêtera la violence des infidèles. Dieu est
encore plus grand en violence et plus grand en dissuasion >> (Sourate des
Femmes, verset 84).
Un fidèle de la nation de Pharaon avait déjà eu l'intuition de cette plus grande
force. Il dit à son peuple :
« 0 mon peuple la royauté aujourd'hui vous appartient et vous dominez le
monde. Mais qui nous prêtera main forte contre la force (ba~s) de Dieu, au cas où
elle adviendrait sur nous.
0 mon peuple je crains pour vous un jour comme celui des coalisés. Comme
ce qui arriva aux peuples de Noé, de 'Ad, de Thamud et de leurs suivants ... ».
(Sourate de Ghâfir, verset 29).

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Ces peuples et ces coalisés iniques et violents ont été vaincus non par la
contreviolence des hommes niais la contreviolence de Dieu. Et cette contre-
violence s'abat sur l'homme ou bien par le jeu direct de la providence divine, ou
bien lorsqu'il plaît à Dieu d'assister l'homme dans l'exercice de la violence
légitime.
Exemple: «Vous ne les avez point tués mais c'est Dieu qui les tue. Tu n'as
pas décoché lorsque tu tiras à l'arc mais c'est Dieu qui décocha » (Sourate Al
Anfal, verset 17).
Cette violence est donc décidée par le tribunal divin qui juge l'histoire de
l'homme. C'est la justice suprême dans l'histoire. C'est la justice que tout musul-
man espère lorsque tous les recours ont été épuisés, toutes les portes fermées.
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Elle empêche le désespoir. En tout état de cause le désespoir en Islam n'existe
pas. Car, quand bien même la justice immanente de Dieu ne se manifesterait pas,
puisqu'elle n'est pas certitude mais possibilité, il existe toujours, cette fois-ci à
titre certain, une justice transcendante qui distribue félicité et cruauté selon les
œuvres. Un monde tortionnaire attend les pécheurs. Sa violence déchire, brûle
les entrailles et la peau, ressuscite pour mieux faire souffrir, régénère pour recom-
mencer la torture :torture par le feu, l'eau bouillante, le fer, les épines avalées par
les scélérats, et tant d'autres poisons infernaux.
La violence irréprochable de l'homme quant à elle va de pair avec le système
de législation. Elle est symbolisée par le Fer, au service du Livre, et la Balance. Il
existe un fabuleux verset de la sourate du Fer qui dit :
« Nous avons envoyé nos prophètes avec des preuves. Nous avons fait des-
cendre avec eux le Livre et la Balance pour que les hommes accomplissent l'équité.
Nous avons fait descendre le Fer dans lequel il y a grande violence et grand bien
pour les êtres humains, afin que Dieu sache qui prend pour lui fait et cause, dans
le mystère ... ». (Sourate al hadîd, le Fer, verset 25).
La violence est donc en quelque sorte un don de Dieu. Le fer est sacré
puisqu'il accomplit la révélation. Comme il existe un devoir d'équité, il existe
également un devoir de violence. Ce devoir vise tous ceux qui s'écarte du Livre,
et ceci permettra à Ibn Taymiya de commenter le verset 25 en écrivant:
« Qui dévie du Livre sera redressé par le fer. Pour cette raison, le fondement
de la religion est par le texte coranique et le sabre (le Livre et l'épée)>>,
Le fer institue donc le dressage, en dernière instance, au politique. Ce dres-
sage au politique se fait, en effet, par l'éducation, l'exhortation, la conduite, la
correction légère ou plus lourde.

167
3. Violence et communautés

Catégories et techniques de la violence


Les catégories et les techniques de la violence sont extrêmement ouvertes. Je
me contenterai ici de quelques indications. S'agissant des catégories de la violence,
il faudrait distinguer la violence militante, la violence pénale, la violence correc-
tive, la violence restitutive.
La violence militante est collective, donc militaire. Elle met en jeu le combat-
tant pour la foi et pour l'ordre islamique. Elle se manifeste à plusieurs niveaux.
Tout d'abord la lutte qu'il faut engager contre la division des rangs et la possible
sécession. C'est la violence arbitrale.
«Si deux camps parmi les croyants se combattent, réconciliez-les. Si l'un d'eux
outrepasse ses droits au détriment de l'autre, combattez-le jusqu'à ce qu'il
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revienne à l'ordre de Dieu. S'il revient, réconciliez-les en toute justice et soyez
équitable. Dieu aime les équitables » (Les pièces - 9). Cette violence militante est
évidemment problématique. Deux camps, cela exige un troisième camp arbitre qui
joindra ses forces au clan opprimé. Qui décide ? Selon quels critères ? Que faire
dans l'hypothèse du quatrième, cinquième... clan etc. ? Dans les faits, ce verset a
servi à justifier l'action du pouvoir, contre les forces d'opposition au pouvoir. Il
ne s'agit plus alors de violence arbitrale, mais de violence répressive qui vient
rejoindre les autres formes de violence interne.
Les autres formes de violence interne militante sont celles que Mawerdi
appelle les « guerres d'intérêt public >>. Il les classe en trois espèces : guerre contre
les renonçants, guerre contre les schismatiques, guerre contre les hors-la-loi. Les
renonçants sont ceux qui remettent en cause un dogme de l'Islam ou qui quittent
la religion islamique>. Les combattre, avec intention de les mettre à mort et non
simplement les vaincre, est une obligation impérative. Certains ont assimilé cette
obligation au jihad•, sur la foi d'un hadith du Prophète : « Qui change de religion,
tuez-le>>, Les Fuqaha ont discuté la manière de les faire mourir: doit-on leur lais-
ser l'occasion (trois jours) de se repentir ou les exécuter dès leur capture ? Les
décapiter ou les battre à mort ?
Quant aux schismatiques, l'obligation de les combattre s'impose dès qu'ils
entreprennent une action et après mise en demeure. Autrement dit, c'est à partir
du moment où ils s'affirment comme séparatistes, qu'ils renient l'unité politique

7. Qu'il soit d'origine musulmane ou qu'il s'y soit converti.


8. C'est le cas d'Ibn Taymiya.

168
en instituant des chefs, en levant l'impôt et en appliquant leurs propres règles, que
naît l'obligation de les combattre, pour les faire revenir. L'objectif ici n'est donc
pas la mise à mort, mais la victoire.
Enfin, les hors-la-loi. Dans ce cas la guerre n'est pas idéologique, mais stricte-
ment de police. Ceci explique que la question ait été discutée parfois comme cas
de guerre interne (comme chez Mawerdi) et parfois comme simple cas de justice
pénale. Il va sans dire que les événements et le degré de stabilité de la société
influent considérablement sur le traitement de la question. Les hors-la-loi ont fait
l'objet du verset 33 de la Sourate de la Table:
« La rétribution de ceux qui combattent Dieu et le Prophète, et se répandent
en violence sur la terre, c'est qu'ils soient tués, ou crucifiés ou amputés des mains
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et des pieds en diagonale, ou bannis. Ce sera pour eux ignominie sur terre et dans
l'au-delà, ils recevront un châtiment terrible».
On imagine aisément l'ampleur des discussions qu'un tel verset peut provo-
quer entre hommes de loi, chefs politiques ou militaires, policiers. On notera deux
faits : le premier, c'est la mise en opposition de la violence et de la contreviolence,
cette dernière prenant l'allure du supplice destiné à frapper l'opinion. Le
deuxième, c'est que ce verset a alimenté un imaginaire tortionnaire, à mettre en
équivalence avec celui qui s'est élaboré autour de l'enfer. L'ordre dans la cité
dépend donc d'une heureuse comptabilité du plaisir et de la peine. La figure du
Prince dans la littérature politique islamique juxtapose le Saint (Umar Ibn Abd al
Aziz) et l'irascible vengeur (Al Hajaj ibn Yûssuf), l'un formant les têtes, l'autre les
faisant tomber.
Les techniques de la violence sont infinies et fort discutées : « Qu'ils soient
tués >>, veut-il dire par noyade, par le feu, par strangulation, décapitation, écartè-
lement ? Crucifiés : tués puis crucifiés, mis en croix vivants et abandonnés, mis en
croix et tués, après combien de temps, comment ? Question juridico-policières
d'une incroyable complexité, mais dont on justifie l'emploi par la vengeance,
l'exemple, la satisfaction de Dieu. La conservation de l'ordre islamique par la ven-
geance et l'exemple satisfait Dieu.
La deuxième forme militante de violence est la violence prosélytique, le ]ihâd.
Elle a connu des extensions et des rétrécissements de sens considérables et fait
aujourd'hui l'objet de remise en texte, pour des objectifs propres à notre temps.
Dans la théorie classique (reprise invariablement jusqu'à l'ouverture du XX'
siècle), il s'agit d'une obligation de combat contre les polythéistes (mushrikîn-
Kuffâr) (associassionistes et infidèles) d'après le texte coranique.

169
3. Violence et communautés

Le ]ihâd vise donc à instaurer la foi en Dieu unique, contre le paganisme.


C'est en ce sens qu'on dit qu'il est un combat« dans la voie de Dieu» (Fi sabil
Allah). Le Mûjâhid est celui qui se lève pour cette cause, par opposition aux
assis. Cette cause doit donc viser à ce que toute la foi soit pour Dieu seul, que la
parole de Dieu soit la plus haute.
Toujours dans la théorie classique les gens du Livre et les Sabéens sont com-
battus jusqu'à leur islamisation ou leur soumission par le payement de l'impôt
per capita (jizya), conformément au verset 29 de la Sourate du Repentir:
« Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu, ni au jour dernier, qui n'inter-
disent pas ce que Dieu et son Prophète ont interdit, qui ne croient pas en la reli-
gion authentique parmi les gens du Livre, jusqu'à ce qu'ils payent la Jizya en
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étant soumis. »
Leur armistice fiscale donne aux gens du Livre le statut de minorités proté-
gées par l'État (Ahl Dhima). Ils échapperont à l'ordre légal islamique, conserve-
ront la pratique de leur religion, auront leurs tribunaux, ne seront pas, en prin-
cipe, recrutés comme guerriers.
Telles sont les strictes limites dujihâd dans le texte coranique. Évidemment
le concept a une histoire bien plus riche et nuancée. Guerres d'expansion,
guerres entre nations islamiques, résistance au colonialisme, guerres de libéra-
tion nationale ont toutes reçu le sacrement de la guerre juste, du ]ihâd. À la
limite nous pouvons dire que chaque pouvoir plaçant de son côté la justice a
dénommé sa guerre « ]ihâd ». ]ihâd est devenu le nom propre de la guerre
propre. Il en est ainsi de la résistance d' Abdelkader en Algérie, de celle du
Mehdi au Soudan, de toutes les guerres de libération. Bourguiba s'est fait
appelé Al Mujahid al Akbar, le combattant suprême. Installé au pouvoir, il a
appelé sa lutte contre le sous-développement Jihâd, et c'est en son nom qu'il a
appelé ses musulmans à ne pas observer le jeûne du Ramadan. De nos jours, on
peut partir en]ihâd, contre tout ennemi: l'Occident, l'occidentalisé, l'impie, le
frère ennemi, le défenseur des droits de l'homme, possible négateur des droits
de Dieu. L'existence d'un parti du]ihâd islamique est là pour en témoigner. À
chacun son Islam, à chacun son ennemi, à chacun son]ihâd. L'excès de politi-
sation a brisé le concept, en a fait un simple label destiné au sacrement de
l'action politique.
La violence pénale a pour objectif de punir les crimes et délits. En Islam, elle
présente cette particularité de se diviser en deux branches. L'une est soumise à
ce que l'on pourrait appeler un «principe de légalité »,la seconde au pouvoir

170
discrétionnaire du Prince. L'instauration des peines (hudûd) dans le premier cas
est considérée comme un exercice culturel. Ibn T aymiya écrit à ce propos :
« L'exécution des peines légales (hudûtl) fait partie du culte (Ibâdât), tout
comme le]ihâd dans la voie de Dieu. Il faut savoir que l'exécution des peines est
une grâce divine pour ses créatures. Il faut donc que le chef (al wâlz) soit strict
dans l'exécution de la peine, sans pitié en mati~re religieuse, cela le conduirait à y
faire obstacle. Son but doit être de servir ses semblables, en empêchant les gens de
s'adonner à l'illicite et non par esprit de vengeance personnelle ou orgueil. Il est
dans la situation du père éduquant son enfant, s'il s'abstenait de le dresser, comme
l'y inciterait la mère par sensiblerie et pitié, l'enfant serait perdu... et dans la situa-
tion du médecin qui fait ingurgiter au malade un médicament amer... son intention
doit être le Bien (Salâh) des sujets9 •••
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La violence procède du principe viril. Nous pouvons même sans excès extra-
poler et dire: religion, politique, famille, sous l'aspect dressage au politique, pro-
cèdent du principe viril. La violence comme instrument de dressage est au cœur
des quatre institutions parternelles, gouvernante, maritale et divine.
Au voleur dit Ibn Taymiya, il faut couper la main droite, conformément au
livre10, à la Sunnah et au consensus. En cas de récidive, poursuit le même auteur,
on passe d'après une opinion à la main gauche, puis au pied droit, puis au pied
gauche; d'après une autre opinion, on recourt à l'emprisonnement. Les circons-
tances jouent pour atténuer ou même suspendre la peine.
La deuxième infraction possible de hadd est le zina, c'est-à-dire la relation
sexuelle hors mariage. La peine coranique est la flagellation (100 coups de fouet).
Mais on rapporte que la règle a été abrogée par un hadith du Prophète qui lui a
substitué la lapidation11 , suivant en cela le précédent biblique. La lapidation a été
étendue par certains auteurs à l'homosexualité.
La troisième infraction est la fausse accusation d'adultère, qui est punie de fla-
gellation et la quatrième, la consommation de boissons donnant l'ivresse. À la fla-
gellation Umar aurait ajouté la tonsure, devant la recrudescence de l'ivresse
publique.

9. Siyasa, op cit, p. 98.


10. Versets 38 et 39. Sourate de la Table.
11. Pour l'adultère. Le célibataire reste soumis à la flagellation. La sexualité illicite doit être
prouvée par quatre témoins mâles ou par l'aveu.

171
3. Violence et communautés

Tout le reste du droit pénal relève du pouvoir discrétionnaire du Prince


(Ta'zîr) qui peut créer des infractions nouvelles, et leur appliquer des peines que
les auteurs ont considérablement discuté et dont le degré de violence varie.
Exemples : mise en quarantaine - blâme public -limogeage - emprisonnement -
bastonnade- noircissement du visage et mise en selle à l'envers sur une monture12
- tonsure- flagellation- mise à mort par le fer ou par le feu (certains auteurs ont
appliqué cette dernière règle aux homosexuels) - bannissement. Il est recom-
mandé, au sujet des peines corporelles, d'observer le juste milieu. Chaque
membre du corps doit recevoir son dû, dit Ibn Taymiya, mais sans excès et en
évitant la tête, et les organes sexuels. Tou tes ces peines sont applicables aux
infractions légères ou graves à l'ordre moral : fraudes, mensonges, commerce
galant, faux témoignage, corruption, excès de pouvoir, diffamation, injures.
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Dans l'application de ces peines variables, il est tenu compte de la situation
sociale et de la fréquence du délit, de la situation sociale du prévenu et de la gra-
vité du délit. Par certains aspects cette violence pénale discrétionnaire peut être
considérée comme violence corrective. La comparaison du chef politique et du
chef de famille chez Ibn T aymiya en témoigne. Mais la violence corrective appar-
tient essentiellement aux éducateurs : pères, maris, maîtres, toujours en confor-
mité avec le principe viril. Les époux ont un droit graduel de correction sur leurs
femmes allant de la simple exhortation, jusqu'à la punition corporelle en passant
par la réclusion. Le verset 34 de la Sourate des Femmes se lit ainsi :
« Les hommes ont en charge les femmes par le fait que Dieu a privilégié les uns
sur les autres et par ce qu'ils dépensent de leurs biens. Les vertueuses sont toute
dévotion et conservent en l'absence ce que Dieu sauvegarde. Et celles dont vous
craignez l'indocilité, admonestez-les, reléguez-les dans leurs couches, frappez-les.
Si elles vous obéissent ne leur cherchez pas noise. Dieu est élevé et grandiose».
(Sourate des Femmes, verset 34).
La violence restitutive: elle relève à la fois de la justice publique et de la ven-
geance privée. Inspirée du talion biblique, elle est appelée Qiçâs. Elle est pres-
crite à plusieurs reprises dans le Coran, pour les crimes de mort ou blessures
volontaires.

12. Cette peine a été appliquée au faux témoignage, parce que le faux témoin a << noirci le visage »
d'autrui, il sera lui-même noirci, et a déformé la vérité, il sera mis en selle à l'envers et promené
dans la ville.
« Vous les croyants, le talion vous est prescrit pour les homicides : homme
libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Si dispense
quelconque est accordée par un frère, poursuite se fera avec convenance et paie-
ment de la dette avec bonté. Ceci est une atténuation de la part du Seigneur et une
grâce. Celui qui outrepasse après cela, il aura un châtiment douloureux>> (Génisse,
178). « Dans le Talion vous avez une vie 13, vous qui êtes dotés d'un cœur. Peut-
être vous prémunirez-vous>> (179).
La loi biblique quant à elle est rappelée dans la Sourate de la Table au verset 45.
«Nous y avons prescrit pour eux14 : âme pour âme, œil pour œil, nez pour nez,
oreille pour oreille, dent pour dent. Et les blessures selon le talion. Quiconque y
renoncerait, cela lui vaudra expiation d'une faute. Ceux qui ne jugent pas ce que
Dieu a prescrit sont des injustes>>. (Table 45)
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Voici, brièvement présentés, les fondements textuels des pratiques de vio-
lence dans la civilisation islamique. À l'occasion, nous avions montré que ces
textes donnaient lieu à des points de vue. Le point de vue qui occupe le plus
considérablement la scène politique aujourd'hui est de « revenir à la lettre >> du
texte. Mais qu'est-ce que la lettre d'un texte arraché à son environnement, et à
l'esprit qui le pense ? Si ce retour à la lettre est redevenu possible et praticable, ce
n'est pas exclusivement à cause du texte. Bien des facteurs, économiques, cultu-
rels, internationaux, psychiques expliquent ce retour. Le jour où ils changeront,
le texte changera.

Yadh Ben Achour est doyen de la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
(Tunis II); il a publié récemment Normes,foi et loi, Cérès Éditions, Tunis, 1994.

13. Le talion empêchant d'après les exégètes la généralisation des actes de vengeance.
14. Il s'agit de l'Ancien Testament.

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