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ISBN : 978-2-226-44720-3
LE FER ET LE FEU
ُّ ﺎل َ َ َ أن
َّ اﻋﻠَ ُﻤﻮا
ﻮف
ِ اﻟﺴ ُﯿ ِ اﻟﺠﻨّ َﺔ ﺗَ ْﺤ َﺖ ِﻇﻠ ْ
« Sachez que le paradis se trouve à l’ombre des sabres »
a
Hadîth du Prophète
‘Aïsha surprend des éclats de voix venant de la pièce voisine. Elle tend
l’oreille. Abû Bakr, son père, est encore en train de se disputer avec son
plus proche allié, ‘Umar. Elle commence à y être habituée : depuis qu’il
est devenu calife à la saqîfa, et surtout depuis que Fâtima l’a maudit à la
mosquée et que son fils ‘Abd-Allâh est mort soudainement, sa colère
explose pour un oui ou pour un non. Impatiente de connaître le motif de
cette nouvelle querelle, et fidèle à sa manie de l’espionnage b, elle
entrouvre imperceptiblement la porte. La scène qu’elle découvre est
ahurissante.
Son père, tout menu, tire le colossal ‘Umar par la barbe et hurle : « Tu
oses encore me demander de désobéir aux ordres donnés par le
Prophète ! ? Que ta mère te perde 1, Ibn al-Khattâb ! Que ta mère te
perde ! » ‘Umar baisse la tête et quitte rapidement la pièce en s’apercevant
que ‘Aïsha est témoin de cette humiliation. « Que se passe-t-il ? »,
demande-t-elle à son père qui la foudroie du regard. Sans attendre de
réponse, elle referme aussitôt la porte et disparaît.
Le calife reste seul ; il ferme les yeux et se tient la tête entre les mains.
Puis nerveusement, il fait tourner sa bague sur laquelle il a fait graver sa
devise, Ni‘ma al-qâdiru Allâh, « Allâh est le meilleur des omnipotents 2 ».
Sa propre irascibilité l’effraie. Où sont passés son flegme et sa douceur ?
Fâtima les lui aurait-elle ravis pour les emmener avec elle dans la tombe ?
Si elle savait combien il a tenté, en vain, de renoncer à ce califat ! À
présent qu’on lui a refusé cette grâce, il ne tolère de personne qu’on
conteste ses décisions, encore moins qu’on le contrarie. Même ‘Umar,
auquel il doit en grande partie d’être à la tête de la Umma, ne peut
s’arroger le droit de discuter son dernier décret : conformément aux ordres
donnés par le Prophète quelques jours avant sa mort 3, Ussâma, à la tête de
l’armée, marchera sur la Syrie.
En effet, durant les derniers jours de sa vie, le Prophète déjà gravement
malade avait décidé d’envoyer son affranchi préféré, Ussâma ibn Zayd, à
la tête d’une armée contre Byzance 4 et avait ordonné à ses plus éminents
Compagnons, dont Abû Bakr et ‘Umar, de se joindre à cette expédition.
Cette décision avait suscité chez ses proches un profond malaise,
notamment en raison du choix d’Ussâma, qui était trop jeune – dix-neuf
ans – et d’un rang inférieur au leur. Comment accepter de se trouver sous
les ordres du fils d’un ancien esclave ? Le Prophète s’était mis dans une
colère noire et, malgré son état très dégradé, avait sommé violemment ses
amis de rallier les rangs de l’armée d’Ussâma 5. Ce dernier avait réuni ses
troupes au Jorf 6 non loin de Médine ; mais alors qu’il allait se mettre en
ordre de marche, la nouvelle de la mort de Muhammad lui était parvenue
et tout s’était brusquement arrêté. L’expédition était ainsi au point mort
depuis plusieurs semaines, et pour presque tout le monde ce projet fou –
marcher sur Byzance ! – n’avait aucune chance de réussir sans le
Prophète.
Abû Bakr, pour sa part, est bien déterminé à se montrer fidèle à cette
ultime injonction prophétique et décide de relancer cette expédition 7. Aux
yeux de ses conseillers et partisans, cet entêtement est jugé par trop
téméraire : un climat d’insécurité plane sur Médine, tant du fait des
dissensions internes qui couvent encore que de la menace des tribus arabes
massées à ses abords 8. Qui va défendre la ville si l’armée marche sur
Byzance ? Abû Bakr n’ignore rien de la gravité de la situation : n’a-t-il pas
lui-même demandé à de nombreux Compagnons de faire le guet dans la
crainte d’un probable et imminent assaut de quelques tribus arabes ?
C’est pourquoi les proches du calife ne cessent de revenir à la charge,
‘Umar en tête, comme toujours : « Tu dois absolument faire revenir
Ussâma du Jorf, lui avait-il dit avec fermeté. Tu le vois bien : les Arabes
se sont soulevés contre toi. Il n’est pas prudent de te séparer de cette
armée ; elle est indispensable à notre protection. » Abû Bakr, assis par
terre impassible, l’écoute en silence tandis que ‘Umar poursuit : « Tu sais
que l’armée d’Ussâma compte tous les soldats musulmans ; autour de
nous, les Arabes ont apostasié en masse et toi, tu envoies une armée
combattre les Rûms (les Byzantins) ! On ne peut pas se le permettre !
C’est insensé ! » Abû Bakr écarquille les yeux et, se levant d’un bond,
s’approche de ‘Umar avec un regard menaçant avant de vociférer contre
lui : « Quoi ! Que dis-tu là ? Serais-tu en train de me demander de
transgresser les ordres du Prophète ? Je jure par Dieu que même si les
rapaces et les lions autour de Médine devaient me ravir et me dévorer,
jamais, au grand jamais, je ne dédirai un ordre donné par le Prophète !
Ussâma partira ! Même si les chiens devaient tirer les épouses du Prophète
par les pieds, l’armée d’Ussâma partira 9 ! » ‘Umar prend peur ; il a
rarement vu son ami, si calme à l’ordinaire, dans une telle fureur. Il se tait
et, voyant Abû Bakr reculer d’un pas, ferme les yeux de soulagement. Il
voit les autres Compagnons se tenir en retrait, la tête baissée, et cherche
dans leurs yeux un secours qui ne viendra pas. Il dit alors au calife, d’une
voix brisée : « Je vois que Dieu a ouvert ta poitrine au combat ! Nous
ferons ce que tu as décidé.
– Je préfère cette réponse », murmure Abû Bakr en retournant
s’asseoir.
Quelques jours plus tard, ‘Umar réussit à faire sortir Abû Bakr de ses
gonds une seconde fois, alors qu’il vient lui présenter une requête
similaire, émanant cette fois des Ansârs : « Ils réclament que tu nommes
quelqu’un d’autre à la tête de l’armée ; Ussâma est trop jeune », lui dit-il.
Déjà le Prophète avait violemment critiqué ceux qui osaient remettre en
question ce choix, et Abû Bakr n’entend pas dévier de cette ligne :
« Comment ? Que ta mère te perde, Ibn al-Khattâb ! Le Prophète le
nomme et tu m’intimes de le limoger ? Tu oses me demander de désobéir
aux consignes laissées par le Prophète ? » ‘Umar sort d’autant plus
humilié qu’il a vu que, cette fois, ‘Aïsha a assisté à la scène. Devant la
maison du calife, les Ansârs l’attendent impatiemment. « Alors, qu’a-t-il
dit ? », s’enquièrent-ils. ‘Umar, rouge de colère, leur crie au visage :
« Hors de ma vue ! Qu’est-ce que je n’ai pas entendu à cause de vous 10 ! »
‘Umar et ses amis restent tourmentés par des questions sans réponse :
pourquoi Abû Bakr s’entête-t-il dans une si grande imprudence ? Que sont
devenus son flegme et son sens tactique qui lui avaient justement permis
de se faire désigner comme le successeur du Prophète ? Certes, il avait
bien annoncé, dans son discours d’investiture, que parfois un djinn le
possédait et qu’il pouvait être sujet à des accès de violence, mais là, c’est
l’ensemble de la communauté musulmane qu’il met en péril… Depuis le
scandale de Fâtima, après qu’il l’a privée de son héritage, il se fait un
devoir impérieux de respecter à la lettre les ultimes consignes du
Prophète, afin de prouver aux autres et à lui-même qu’il n’a pas trahi sa
mémoire en déshéritant sa fille. Il garde au plus près de lui l’étendard que
le Prophète avait noué de ses mains avant de mourir. En revanche, alors
que Muhammad avait insisté pour que tous les Compagnons de premier
rang se joignent à l’assaut contre Byzance, il se montre moins inflexible
sur ce point. Il va voir Ussâma et lui demande de dispenser ‘Umar du
jihâd : « Permets qu’il reste à Médine, je te prie ; car j’ai grand besoin de
lui. » Celui-ci accepte 11.
L’ordre du calife est finalement mis à exécution et l’armée se remet en
ordre de marche au Jorf. Abû Bakr y passe en revue trois mille hommes et
mille chevaux selon Wâqidî 12, plutôt sept cents soldats selon d’autres
comme Tabarî 13 et Ibn Kathîr 14, chiffre plus plausible dans la mesure où
les « opposants » à Abû Bakr, encore nombreux tant parmi les Ansârs que
les Qurayshites, ne prennent pas part à cette expédition. Ibn Kathîr 15
indique explicitement que les tensions politiques découlant de la
succession houleuse du Prophète ont réduit considérablement le nombre de
combattants engagés dans l’armée du calife. En outre, la Tradition nous
apprend que les Compagnons les plus célèbres restent alors à Médine pour
la protéger contre l’assaut imminent des tribus qui l’encerclent. Ceux qui
partent sont essentiellement ceux que l’on surnomme ahl al-suffa, les
« gens du banc », qui n’ont d’autres revenus que le butin du jihâd et que le
nouveau calife doit bien entretenir comme le faisait le Prophète.
De cette même Tradition ne se dégage d’ailleurs aucun consensus sur
le déroulement de cette campagne : les uns 16 disent qu’Ussâma a remporté
la bataille contre les Rûms quand d’autres 17 affirment qu’il n’y a tout
bonnement pas eu d’affrontement avec les Byzantins car les musulmans ne
les ont pas trouvés à l’endroit indiqué par le Prophète… Certains récits,
rapportés par Tabarî 18, affirment qu’Abû Bakr l’a envoyé combattre non
les Byzantins, mais des tribus arabes vivant aux confins de la Syrie et de
l’Arabie et ayant abandonné l’islam à la mort du Prophète. Cette confusion
est révélatrice, une fois de plus, d’un malaise dans la Tradition : Ussâma
a-t-il été envoyé combattre Byzance pour se conformer aux consignes du
Prophète ? Ou s’agissait-il, très prosaïquement, de lancer une razzia afin
d’obtenir un butin et de calmer les troupes ? Couvre-t-on, ici comme
ailleurs, le simple brigandage du voile de l’épopée ?
Il ressort en tout cas assez nettement de ces récits contradictoires
qu’Ussâma a bel et bien mené des attaques féroces contre de nombreuses
tribus qui ne faisaient pas partie du contingent byzantin. Il en réfère pour
cela aux consignes prophétiques : « L’Envoyé de Dieu m’a demandé de
lancer l’attaque sans préavis, de brûler et de détruire 19. » Décrivant
l’expédition d’Ussâma, Wâqidî 20 raconte avec force détails comment il
tue, vole, incendie les maisons et les cultures ; le feu se propage tellement
qu’on dirait une tempête de fumée. L’empereur Héraclius s’en inquiète ;
son frère lui conseille de poster une armée sur le plateau d’al-Balqâ’, sur
la rive est du Jourdain, pour se préparer à une offensive des musulmans –
laquelle aura bien lieu, mais deux ans plus tard. Après quelques semaines
d’absence – quarante ou soixante-dix jours selon les versions –, Ussâma
rentre sain et sauf à Médine où il est accueilli à bras ouverts par Abû Bakr.
Les deux hommes font une prière à la mosquée pour remercier Dieu 21.
La prise de risque en apparence inconsidérée du calife – envoyer une
poignée d’hommes, et non les meilleurs, se frotter à la plus puissante
armée du monde en laissant le siège de son pouvoir à découvert – s’avère
un coup de génie politique. D’abord, il se pose en exécuteur scrupuleux du
testament prophétique. Ensuite, il accorde au jeune Ussâma, si cher au
cœur de Muhammad, une dignité militaire que lui refusaient tous les
autres Compagnons, tout en l’éloignant de Médine en ces jours incertains,
ce qui garantit qu’il ne viendra pas grossir à son tour les rangs des
partisans de ‘Alî et de la famille du Prophète. En outre, comme l’affirment
maints rédacteurs de la Tradition, l’armée d’Ussâma, en passant par
plusieurs bourgs, sème l’effroi chez les habitants. De nombreuses tribus se
disent alors : « Puisque Abû Bakr envoie cette expédition pour en
découdre avec Byzance, c’est qu’il doit avoir une armée encore plus
puissante qui est restée à Médine 22. » Gros « coup de bluff » donc,
démonstration de force en trompe-l’œil destinée à créer une illusion de
puissance dans l’esprit de ses opposants réels ou potentiels. L’efficacité de
cette manœuvre est attestée par la Tradition qui affirme que partout où
l’armée d’Ussâma est passée, les gens, par crainte, ont renoncé à
« apostasier 23 ».
Enfin, l’insistance de la Tradition 24 sur le butin important amassé par
Ussâma révèle les raisons financières qui motivent le maintien de son
expédition. Le calife a besoin de lever des fonds pour se préparer à la
« guerre totale » qu’il projette de déclarer aux tribus arabes qui refusent de
se soumettre à son autorité. C’est sans doute cette même raison,
rappelons-le, qui avait justifié à ses yeux sa décision de déshériter Fâtima
et de nationaliser les biens laissés par le Prophète 25.
En somme, avec l’expédition d’Ussâma, Abû Bakr annonce la couleur
de son règne : une guerre chronique.
Sajâh bint al-Hârith ibn Suwayd 92, surnommée Umm Sâdir, appartient
pour sa part au Banû Tamîm, l’une des plus grandes tribus arabes, et est
liée par sa mère à la tribu chrétienne des Taghlib, établie à al-Jazîra 93,
c’est-à-dire la haute-Mésopotamie (qu’on appelle aujourd’hui, en français,
Djézireh de Syrie). Les sources de la Tradition la situent plus précisément
près de Mossoul. Sajâh est sans doute chrétienne elle-même, ou du moins
a-t-elle beaucoup appris sur le christianisme auprès de la famille de sa
mère. Cette femme charismatique se présente comme prophétesse et est
aussitôt suivie par nombre d’adeptes dans les tribus de ses parents, les
Tamîm et les Taghlib. La Tradition ne dit presque rien de ses croyances et
de sa doctrine religieuse ; on sait seulement qu’elle appelle Dieu le
« Seigneur des nuages 94 » (rabb al-sahâb), qu’elle énonce ses révélations
du haut d’un minbar, dans une prose rimée, et qu’elle est assistée par un
chambellan et un muezzin personnels.
À l’annonce de la mort de Muhammad, Sajâh s’est jointe aux
soulèvements qui agitent la péninsule Arabique et conçoit le projet
d’attaquer Médine. Quittant la Mésopotamie, elle débarque en Arabie
accompagnée de quatre cents cavaliers pour rallier les tribus qu’elle sait
opposées à l’élection d’Abû Bakr. La première qu’elle consulte, au début
de l’automne 632, est naturellement celle de son père, les Banû Tamîm.
Du vivant du Prophète, les Banû Tamîm s’étaient massivement
convertis à l’islam et avaient même envoyé à Médine une députation en
l’an IX (631), surnommé l’« année des délégations 95 », pour faire
solennellement allégeance à Muhammad. Ce dernier avait désigné
plusieurs chefs de clans comme percepteurs de la taxe de la zakât auprès
de leur propre tribu 96, en particulier deux hommes qui jouissent d’une
grande réputation : al-Zibriqân ibn Badr, chef du clan des Banû Sa‘d,
surnommé la « lune du Najd » pour sa grande beauté, et Mâlik ibn
Nuwayra, chef du clan des Yarbû’, l’un des plus puissants, dont la noblesse
et le courage sont légendaires – ne dit-on pas fatan ka-Mâlik, « valeureux
comme Mâlik » ? Les hommes de sa tribu l’appellent pour leur part le
« chevalier de Dhû l-Khimâr » (les héros de l’Arabie sont parfois appelés
par le nom de leurs chevaux). Le prestige qui auréole Mâlik est aussi dû au
fait qu’il est marié à Laylâ bint al-Minhâl, dite Umm Tamîm, l’une des
plus belles femmes d’Arabie 97.
Quand ils apprennent la mort du Prophète, ses agents se trouvent
désemparés : faut-il garder la zakât qu’ils ont déjà perçue ou l’envoyer au
calife ? Les différents chefs de clans n’arrivent pas à se mettre d’accord
sur la conduite à tenir : certains comptent faire allégeance à Abû Bakr
tandis que d’autres, tout en demeurant musulmans, refusent de le
reconnaître comme successeur légitime. Les divergences d’opinion
commencent à compromettre l’unité de la tribu.
Al-Zibriqân ibn Badr exhorte les hommes de son clan, les Banû Sa‘d, à
suivre l’exemple des Tayyi’ en capitulant pour échapper au sort des tribus
ralliées à Tulayha. Mais rares sont ceux qui suivent son conseil. On lui
lance même : « Rends-nous la taxe que tu as levée pour l’envoyer à
Muhammad ! Maintenant qu’il est mort, nous pouvons garder notre
argent ! » D’aucuns arguent que la zakât ne doit pas être centralisée à
Médine, mais dans chaque mosquée locale 98. Al-Zibriqân refuse de leur
rendre l’aumône et la rapporte à Abû Bakr qui le reçoit à bras ouverts.
Mâlik ibn Nuwayra décide au contraire de retenir la zakât et de ne pas
remettre non plus à Abû Bakr les chameaux qu’il avait recueillis au titre
de la sadaqa (l’« aumône volontaire »). Selon Wâqidî, Mâlik incite même
les hommes de sa tribu à ne pas envoyer le moindre dirham au nouveau
calife : « Muhammad est mort à présent. Vous voilà libres de tout
engagement. Gardez votre argent ; vous en avez besoin plus que
quiconque 99. » Pour cette raison, il est surnommé al-Jafûl 100, ce qui
signifie à la fois « celui qui a une chevelure abondante » et « le
rétenteur ». Les attitudes divergentes des deux chefs renforcent les
désaccords ancestraux au sein des Banû Tamîm. Comme dans la saqîfa des
Banû Sâ‘ida, Abû Bakr tire profit des luttes intestines qui déchirent ses
adversaires pour imposer son autorité.
Dès qu’elle arrive chez eux, Sajâh ne peut que constater ces divisions
de plus en plus délétères ; certaines sources 101 disent qu’une guerre civile
est sur le point d’éclater. Quelques clans restent dans l’expectative afin de
voir dans quel sens le vent tournera. Sajâh se dirige vers al-Hazn 102, le
territoire des Banû Yarbû’, et s’adresse en premier à l’homme le plus
influent de la tribu, Mâlik ibn Nuwayra. Après l’avoir entendue, il discute
avec elle et réussit à la convaincre de renoncer à son plan d’attaquer
Médine. Il lui demande même de le soutenir dans sa guerre contre un clan
rival des Tamîm, les Rabâb (avec leurs deux branches, les Dhabba et les
‘Abd Manât). Sans doute dans l’espoir qu’il lui en soit redevable, Sajâh
participe à ses côtés à la bataille… dont ils sortent vaincus. Après cet
insuccès, elle se retire de toute coalition avec lui, honteuse de s’être fait
manipuler. Elle quitte le territoire des Tamîm et part en direction de
Yamâma afin de nouer une alliance avec le redoutable Musaylima ibn
Habîb. Ses partisans tentent de l’en dissuader : « Qui te dit que Musaylima
acceptera de nous accueillir ? Il s’est érigé lui-même en prophète et il ne
peut pas y avoir deux prophètes dans un seul territoire !
– Au contraire, leur réplique-t-elle : Musaylima et moi sommes
désormais les seuls prophètes sur cette terre. Nous allons unir nos forces et
appeler les hommes à suivre notre religion ! C’est mon Dieu, le dieu des
nuages, qui m’ordonne d’aller retrouver Musaylima à Yamâma 103. »
Entourée de nombreux adeptes, Sajâh disparaît provisoirement de la scène.
Mâlik ibn Nuwayra, quant à lui, a tiré les conclusions de sa défaite
face aux Rabâb et s’est réconcilié avec eux afin de se préparer au mieux à
l’affrontement avec l’armée de Khâlid qui approche, menaçante 104. Cette
éphémère alliance avec Sajâh les a placés dans le viseur du califat !
Comme ils regrettent d’avoir été associés à elle ! Pour prévenir une fort
probable attaque des musulmans, ses anciens alliés tamimites, notamment
al-Zibriqân et Aqra‘ ibn Hâbis, vont à Médine plaider leur cause auprès du
calife. Ils sont introduits chez lui grâce à la médiation de leur ami Talha
ibn ‘Ubayd-Allâh, qui est le cousin d’Abû Bakr 105. « Ô calife, dit al-
Zibriqân, si nous avons suivi Sajâh, c’est parce qu’elle est venue à nous
avec une grande armée : nous n’avons pas pu lui résister. Maintenant
qu’elle nous a quittés, nous regrettons amèrement cette alliance avec elle.
Plus jamais nous ne commettrons une pareille erreur ! C’est pourquoi nous
sommes venus te faire la proposition suivante : désigne-nous comme
percepteurs de la zakât du Bahrayn. Nous lèverons cet impôt, que nous
redistribuerons aux différents clans des Tamîm ; ainsi, nous les
ramènerons à l’islam. Plus personne n’apostasiera, nous te le
garantissons 106 ! »
Abû Bakr trouve la proposition intéressante et consigne l’accord dans
un écrit que doivent maintenant contresigner certains Compagnons du
Prophète. Mais lorsque Talha apporte le document à ‘Umar, ce dernier se
cabre : « Jamais je ne signerai ! Je n’approuve pas cette décision ! », et il
déchire l’acte. Talha, furieux, accourt se plaindre auprès d’Abû Bakr mais
n’obtient aucune réaction de ce dernier. « Mais dis-moi, c’est qui l’émir ?
Toi ou ‘Umar ? », s’indigne Talha, révolté. « C’est ‘Umar, répond Abû
Bakr, mais c’est à moi que vous devez obéissance ! » Talha le regarde
bouche bée. Il est pourtant bien conscient que, depuis le jour de son
investiture, Abû Bakr ne prend aucune décision sans en référer à ‘Umar ;
d’ailleurs, durant les premières semaines du califat, c’est en réalité ce
dernier qui exerçait les pleins pouvoirs, le calife étant souvent absent de
Médine.
Abû Bakr demande à ‘Umar de lui expliquer les raisons de son refus.
« Comme tu le sais, avance-t-il, ils se sont déjà révoltés une première fois
en retenant la zakât puis une seconde fois en suivant cette Sajâh. Comment
peux-tu leur faire confiance ? Et tu veux leur donner de l’argent par-dessus
le marché ? Tu dois plutôt leur envoyer une armée ! » Les paroles de
‘Umar convainquent le calife qui envoie l’ordre à Khâlid de marcher sur le
territoire des Tamîm, vers lequel il est déjà en route. Voyant que leur
démarche auprès d’Abû Bakr n’a pas abouti et qu’elle s’est même avérée
contre-productive, al-Zibriqân et Aqra‘ rentrent chez eux bredouilles 107.
Apprenant l’échec de la négociation, Mâlik demande à ses hommes de
se disperser et de ne pas opposer la moindre résistance à l’armée de
Khâlid. Si une partie des Tamîm a bien retenu la zakât, la tribu se garde
bien d’afficher la moindre hostilité ouverte au nouveau régime, surtout
après l’écrasement de la révolte de Tulayha. Mâlik, en particulier, a intérêt
à faire profil bas, tant sa brève alliance avec Sajâh a suffi pour le faire
suspecter d’apostasie. Au-delà du non-versement de la zakât, a-t-il renié
complètement l’islam ? Son attitude est profondément ambiguë et
hésitante, comme le dit Tabarî 108. Or le pouvoir médinois ne peut se
permettre d’accorder à qui que ce soit le bénéfice du doute : quiconque
n’est pas avec eux est contre eux.
L’armée de Khâlid est donc en train de marcher sur Mâlik. Quant aux
motifs réels de ce déplacement, la Tradition se montre confuse. Qui, au
final, a pris la décision d’attaquer les Banû Tamîm ? Est-ce vraiment le
calife, à l’instigation de ‘Umar ? Certains auteurs, et même la majorité
d’entre eux, disent qu’il s’agit en réalité d’une initiative personnelle de
Khâlid, pour des raisons qui lui sont propres. Il aurait été jusqu’à jurer de
tuer Mâlik de ses mains et de faire de sa tête un chenet 109. En tout cas,
aucune source ne tranche de façon catégorique, reflet de la confusion
quant au bien-fondé même de cette attaque. Le sujet, embarrassant, a été
longtemps au centre d’une vive polémique au sein de la Tradition, à cause
d’une part de la légitimité de l’attaque – Mâlik n’est pas un apostat, il a
« juste » refusé de payer la taxe au calife –, d’autre part de l’issue sordide
et scandaleuse de la campagne de Khâlid contre Mâlik ibn Nuwayra,
comme nous allons le voir.
L’attaque contre Mâlik et son clan était-elle justifiée ? Avant de diviser
les rédacteurs de la Tradition, la question divise déjà… l’armée de Khâlid.
Quand ce dernier annonce ses intentions à ses soldats, sa décision ne
recueille pas l’unanimité. Seuls les Émigrants acceptent de le suivre ; les
Ansârs, pour leur part, désapprouvent, arguant que le calife n’a pas donné
d’instruction dans ce sens. Thâbit ibn Qays ibn Shammâs déclare à son
général : « Nous ne partirons pas avec toi ; Abû Bakr nous a demandé, et à
toi aussi, de camper sur nos positions jusqu’à ce qu’il nous envoie de
nouvelles consignes. Et puis, ne vois-tu pas que les soldats sont épuisés ? »
Khâlid lui rétorque que le calife l’a bel et bien chargé d’attaquer les Banû
Tamîm. Thâbit fait une moue sceptique. « Et puis quand bien même !
s’écrie Khâlid irrité. Abû Bakr m’a confié le commandement de l’armée.
C’est à moi d’aviser et de décider. C’est moi le chef et j’en assume la
responsabilité. Et je dis qu’il faut attaquer les Banû Tamîm ! C’est une
opportunité à saisir même sans aucune instruction écrite. Mâlik se trouve à
notre portée. Je vais marcher vers lui avec mes hommes aux côtés des
Émigrants et avec tous ceux qui le veulent bien. En même temps, je ne
vous oblige à rien ! Si vous ne voulez pas venir, vous êtes libres 110. » Les
paroles fermes de Khâlid ne viennent pas à bout de la réticence des Ansârs
qui, à leur tour, ne réussissent pas à le dissuader. Il lève donc le camp en
direction de Butâh 111, un puits du Najd, à quatre cents kilomètres au nord-
est de Médine, où campent Mâlik et son clan. À peine est-il parti que les
Ansârs commencent à regretter leur défection : « Si Khâlid récolte du
butin, il est clair que nous ne recevrons aucune part ! Et s’il lui arrive
malheur, tout le monde va nous blâmer d’avoir déserté 112 ! » La
perspective alléchante du butin les fait se raviser et, dès le lendemain, ils
se hâtent de rejoindre Khâlid. Ainsi, l’armée musulmane au complet se
réunit près de Butâh. L’attaque est imminente.
Le récit de cette attaque est au cœur d’un véritable imbroglio où
différentes versions se contredisent. Un seul point semble faire
l’unanimité : il n’y a pas d’affrontement armé. Ayant eu vent de
l’approche des musulmans, Mâlik a réuni les hommes de sa tribu et leur a
dit : « Nous avons commis une erreur en suivant Sajâh et nous voici à
présent sur le point d’en subir les représailles. Mieux vaut nous disperser :
si Khâlid vient et qu’il nous trouve réunis, il pensera que nous avons
constitué une armée. Pour éviter de subir une attaque, j’invite chacun à
regagner sa maison 113. » Et sur ces paroles, tout le monde est rentré chez
soi, laissant Butâh quasi déserte. Seul Mâlik reste sur place avec ses
proches.
Khâlid, qui a établi son camp à l’extérieur de la ville vers la fin de
l’année XI (décembre 632), commence à réfléchir à la manière de lancer
l’assaut. Conscient du caractère contestable de l’opération, il sait qu’il a
intérêt à en démontrer le bien-fondé, autrement dit à démontrer que Mâlik
a bel et bien apostasié. C’est alors que lui revient une instruction du calife
lors de l’expédition de Dhû l-Qassa : « Avant de lancer une attaque, envoie
vers chaque tribu quelques hommes à l’heure de l’appel à la prière ; s’ils
ne l’entendent pas, tu sauras que tu as affaire à des apostats. »
Le soir venu, il missionne donc un escadron mené par l’Ansarien Abû
Qatâda afin de faire le tour des maisons. L’équipe ne tarde pas à tomber
sur un groupe d’hommes, parmi lesquels Mâlik ibn Nuwayra lui-même,
qui faisaient sans doute le guet. « Que faites-vous ici avec vos armes ? dit
Mâlik aux hommes de Khâlid. Nous sommes musulmans comme vous.
– Nous en voulons la preuve, dit Abû Qatâda.
– C’est très facile, répond Mâlik. Déposons nos armes et allons tous
ensemble faire la prière dans ma maison 114. » Mais dès qu’ils ont déposé
leurs sabres, Mâlik et ses amis se font capturer. La femme de celui-ci est
également faite prisonnière et on les amène séance tenante dans la tente de
Khâlid, qui ordonne de décapiter les cousins de Mâlik. Ceux-ci protestent,
affolés : « Mais nous sommes musulmans ! Pourquoi nous décapiter ? »
Abû Qatâda intervient : « Ils sont bien musulmans. J’en suis témoin,
puisqu’ils ont fait la prière avec nous. Je te rappelle qu’Abû Bakr nous
interdit de tuer une personne qui fait la prière. Tu n’as pas le droit de tuer
ces gens 115 ! »
Khâlid est très embarrassé. Il regarde en direction des membres de
l’escadron : « Confirmez-vous ce témoignage d’Abû Qatâda ? », leur
demande-t-il. On hésite. Les uns marmonnent un oui ; les autres
démentent : « Non, ils n’ont pas fait la prière ; il faut donc les tuer. »
Khâlid est désarçonné. Devant ces témoignages contradictoires, il ne veut
pas précipiter l’exécution ; il redoute les protestations de son armée. Et
puis, il se fait déjà tard. « Bien, je prendrai une décision demain, dit-il à
ses hommes. Gardons pour l’instant prisonniers Mâlik et ses amis. À
présent, que chacun aille dormir ! » Il demande encore qu’on conduise les
cousins de Mâlik à l’extérieur : « Laissez-moi seul avec Mâlik et sa
femme », dit-il. Les prisonniers, enchaînés, s’apprêtent à passer à la belle
étoile cette nuit d’hiver que la Tradition nous dit glaciale 116.
Dans sa tente, Khâlid se réchauffe les mains devant un brasier et, à
travers le feu, regarde fixement Mâlik et sa femme, la superbe Laylâ bint
al-Minhâl. Le couple captif scrute à son tour la silhouette massive de
Khâlid et son visage pâle. Sa barbe épaisse cache à peine les cicatrices de
la vérole sur sa joue gauche 117 qui, à la lueur des flammes, lui donnent un
aspect irréel. Dans le silence, on n’entend que le crépitement du feu.
Soudain, un homme entre dans la tente : « Khâlid ! Il fait de plus en
plus froid dehors ! Les prisonniers grelottent ! Que doit-on faire ? » Le
général se lève et se dirige vers l’entrée. Laylâ tremble quand il passe
juste devant elle. Posté dans l’embrasure de sa tente, il crie : « Chauffez
vos prisonniers ! » puis retourne s’asseoir devant le brasier tout en
continuant de regarder Mâlik et sa femme à travers les flammes. Quelques
minutes plus tard, un autre homme entre précipitamment sous la tente :
« Les prisonniers ont été tués ! Tes hommes n’ont pas compris tes
instructions ! » Quand ils ont entendu Khâlid crier « Chauffez vos
prisonniers », quelques-uns se sont levés d’un seul mouvement et les ont
exécutés. En effet, comme l’expliquent Ibn Hajar, Ibn al-Athîr et Tabarî 118,
dans le dialecte des Kinâna, une tribu de la région mecquoise, « Chauffez
vos prisonniers » est une expression figurée qui signifie « Tuez vos
prisonniers »…
En apprenant la « bavure », Khâlid hausse les épaules en concluant
froidement : « Quand Allâh veut quelque chose, il l’exécute 119 ! » Il
retourne s’asseoir face à Mâlik ; sa femme est prostrée dans un coin de la
tente. Khâlid la regarde fixement. Elle est plus belle qu’il ne l’avait
imaginé. Il a du mal à détacher ses yeux d’elle, parcourant son corps
élancé. Mâlik observe les regards lubriques de Khâlid sur sa femme. Il se
tourne vers elle et lui murmure : « Tu vas me tuer 120 ! », c’est-à-dire « À
cause de toi, je vais mourir ! » Puis il regarde l’homme debout derrière
Khâlid qui se tient une main agrippée à son sabre. Il le connaît ; c’est
Dhirâr ibn al-Azwar des Banû Assad, dont la tribu a été longtemps en
guerre avec son clan. Mâlik sait désormais que sa fin est toute proche.
Soudain, la voix de Khâlid brise le silence : « Nous avons appris que tu
avais soutenu la fausse prophétesse Sajâh. Qu’en est-il ?
– Ce n’est pas vrai, lui répond calmement Mâlik. Ma tribu n’a jamais
cru en elle. Nous avons seulement fait une alliance politique avec elle dans
notre conflit avec les Rabâb. Quand Sajâh a décidé de se mettre en chemin
pour rejoindre Musaylima, nous avons décidé de ne pas la suivre et avons
rompu tout lien avec elle. Nous ne voulons participer à aucune guerre. »
Khâlid se tait, le regard englouti dans les flammes du brasier : « Je ne suis
pas convaincu par ce que tu dis ! Pour moi, tu es un apostat et je vais te
tuer !
– Tu me tues alors que je fais la prière ? Je suis musulman. J’ai fait la
prière avec Abû Qatâda ! Il te l’a dit à l’instant. » Il regarde en direction
de sa femme : « Sois franc avec moi. C’est à cause d’elle que tu veux me
tuer 121 ! » Le général fait mine de ne pas avoir entendu sa remarque. « Je
ne te parle pas de la prière. Tu as refusé de payer la taxe de la zakât et
c’est pour moi la preuve de ton apostasie ! Si tu étais un vrai musulman, tu
aurais payé ; or, nous avons appris que tu as ordonné aux hommes de ta
tribu de retenir les chameaux de la sadaqa. Ne sais-tu pas, malheureux,
que la zakât est indissociable de la prière ?
– C’est ce que ton ami prétend ! », rétorque Mâlik. Khâlid se lève
brusquement, les yeux remplis de haine : « “Mon” ami ? Ah oui ? C’est
ainsi que tu parles du Prophète ? Serait-il “mon” ami et pas le tien ? »
Mâlik, effrayé, lui réplique : « Mais je ne parlais pas du Prophète en disant
“ton ami” ! Je parlais d’Abû Bakr 122 ! » D’un geste de la tête, Khâlid
ordonne à Dhirâr d’avancer vers Mâlik. Laylâ pousse un cri et se jette sur
son époux pour le protéger. Mâlik lui répète : « C’est toi qui m’as tué ! » À
peine a-t-il terminé sa phrase qu’il sent une main l’attraper par sa
chevelure épaisse. D’un coup sec, Dhirâr coupe la tête de Mâlik, laquelle
roule sous les pieds d’Ibn al-Walîd.
Ce dernier s’en saisit aussitôt et, sortant de sa tente, exige qu’elle soit
placée entre deux gros charbons ardents sous la marmite où ses soldats
font cuire de la viande. Il intime encore à ses hommes d’utiliser les têtes
des prisonniers qu’ils viennent de décapiter comme chenets pour soutenir
les marmites sur le feu. Les sources de la Tradition 123 qui rapportent les
détails de cet épisode sordide disent que toutes les têtes placées sur le feu
ont été consumées, sauf la tête de Mâlik ibn Nuwayra : la viande qui était
dans la marmite a cuit sans que cette tête soit parvenue à griller, tant sa
chevelure épaisse qui partait en fumée a empêché le feu d’atteindre le
crâne. On dit que ce soir-là Khâlid « en » a mangé pour terroriser les
Bédouins apostats et tous les autres. Les tournures équivoques
qu’emploient les auteurs de la Tradition 124 laissent entendre que Khâlid
n’a pas seulement mangé la viande qui était dans la marmite, mais aussi
de la tête de Mâlik sous les regards épouvantés de ses hommes.
Son macabre repas achevé, Khâlid revient sous sa tente. La femme de
Mâlik est là, tétanisée par la peur. Elle grelotte de froid et d’effroi. Khâlid
la regarde d’une manière libidineuse. « Ce soir, tu es ma femme. » Un
sourire de satisfaction aux lèvres, il s’avance vers la femme recroquevillée
et tremblante comme une feuille. Elle sait que cela ne sert à rien de
résister. La Tradition dit unanimement que Khâlid a « épousé » Umm
Tamîm le soir même de l’exécution de son mari, mais nombreuses sont les
relations 125 qui laissent entendre qu’il s’est agi non d’un mariage mais
bien d’un viol. Pour justifier cet acte qui déshonore le « glaive dégainé de
Dieu », et le dédouaner, sinon du viol, du moins du péché, plus grave à
leurs yeux, de ne pas avoir respecté les « trois mois de décence » (‘idda)
avant tout remariage, certains traditionnistes 126 affirment, contre toute
vraisemblance, que Mâlik l’avait répudiée quelque temps auparavant.
Nombreux auteurs, comme Wâqidî 127, laissent en outre entendre que toute
cette attaque avait en réalité pour unique objectif la capture de cette
femme…
Le lendemain matin, les soldats musulmans vont tout raconter à Abû
Qatâda, qui dormait et ne s’était aperçu de rien ; on lui montre la tête rôtie
de Mâlik. Il court voir Khâlid et le couvre d’invectives : « Tu es
abominable ! Plus jamais je ne marcherai sous tes ordres ! Plus jamais je
ne participerai à une bataille avec toi ! Tu as tué un musulman et violé sa
femme le soir même ! C’est impardonnable ! Tu vas voir : je vais faire un
scandale 128 ! » Horrifié et dégoûté, Abû Qatâda part sur-le-champ vers
Médine faire un rapport au calife 129. Khâlid, lui, reste de marbre devant
ses menaces. Debout à l’entrée de sa tente, il le regarde calmement monter
sur son cheval et s’éloigner. À l’extérieur, le lieu empeste l’odeur
nauséabonde de têtes grillées. Khâlid fixe des yeux l’endroit où la tête de
Mâlik a brûlé. Elle reste identifiable. Ibn Bakkâr 130 relate que personne n’a
pris l’initiative d’inhumer l’infortuné avant qu’un certain al-Minhâl al-
Tamîmi, probablement son beau-père, passe devant son cadavre : il prend
un bout de tissu, l’enveloppe dedans et l’enterre.
Arrivé à Médine, Abû Qatâda se dirige précipitamment vers la maison
d’Abû Bakr. Il entre. ‘Umar est là. Essoufflé, il raconte au calife tout ce
qui vient d’arriver : le meurtre inique de musulmans, la tête grillée de
Mâlik, le viol de sa femme. Le visage fin d’Abû Bakr se décompose au fur
et à mesure des détails sordides. ‘Umar bondit : « Il faut séance tenante
limoger Ibn al-Walîd ! Son sabre est devenu un instrument du péché 131 ! »
Le calife essaie de garder son sang-froid et de minimiser : « Il a commis
une erreur de jugement… Cela arrive !
– Une erreur gravissime pour laquelle il mérite d’être exécuté ! »,
hurle ‘Umar. Abû Bakr s’étonne de l’indignation de son ami qui, après
tout, n’est pas réputé pour sa sensiblerie. « Je te rappelle, poursuit ‘Umar,
que Khâlid après sa guerre contre Tulayha a capturé les fugitifs et les a
brûlés vifs ! Il a eu recours à un châtiment dont Dieu a l’exclusivité : seul
Allâh a le droit de condamner au feu les mécréants 132 ! » Abû Bakr, très
embarrassé par cette remarque de ‘Umar, se sent personnellement visé :
n’a-t-il pas lui aussi condamné Fujâ’a au bûcher ?
« Mais ‘Umar, répond le calife, tu sembles oublier de qui l’on parle.
Le “glaive dégainé de Dieu” : c’est ainsi que le Prophète l’appelait. Il a
désigné Khâlid comme le sabre qu’Allâh a tiré contre les infidèles.
Comment pourrais-je remiser au fourreau un glaive que Dieu a consacré
au combat des mécréants 133 ? » ‘Umar le regarde, interloqué :
« Justement ! Ce ne sont plus les mécréants qu’il combat à présent : ce
sont les musulmans, dont il viole en sus les épouses ! Ce qu’il a fait est
impardonnable ! Comment pourrait-on laisser faire ? Tu n’as pas entendu
ce qu’Abû Qatâda vient de nous raconter ? Que Khâlid a utilisé les crânes
de musulmans comme support pour les marmites où cuisait le repas de ses
soldats ? Il faut non seulement le limoger, mais encore le lapider 134 ! »
Abû Bakr refuse cependant obstinément de se séparer de Khâlid. Le fait
que ce dernier soit le neveu de son influente épouse Asmâ’ bint ‘Umays
n’est sans doute pas étranger à sa décision de fermer les yeux sur ses
exactions, en espérant que le scandale finira par être oublié.
Mais il n’en est rien. Quelques jours plus tard, Mutammim ibn
Nuwayra, le frère de Mâlik, arrive à son tour à Médine et entre chez Abû
Bakr en pleurs. Il raconte au calife la mort odieuse de son frère en criant
sa douleur ; il se plaint que les hommes de sa tribu aient été réduits en
esclavage. ‘Umar, qui accompagne Mutammim, encourage ce dernier à
plaider sa cause 135. Le frère meurtri, le bras appuyé sur son arc, récite
devant le calife les poèmes poignants qu’il a composés pour pleurer son
frère. Ces élégies funèbres sont aujourd’hui encore considérées comme
des chefs-d’œuvre intemporels du genre. On raconte que, de chagrin,
Mutammim n’a pas dormi une seule nuit pendant une année ; il était
borgne et son œil borgne est tombé à force de pleurer. Sa poésie poignante
a beaucoup touché ‘Umar, qui lui confiera plus tard, lorsqu’il perdra son
frère Zayd à la bataille de Yamâma : « J’aurais aimé composer une telle
poésie pour rendre hommage à mon frère ! » ; et Mutammim lui répondra :
« Ô Abû Hafs, si mon frère était mort dans les mêmes circonstances que le
tien [c’est-à-dire au combat], je n’aurais écrit aucun poème pour le
pleurer. » ‘Umar dira ainsi qu’aucun homme ne l’aura consolé de la mort
de son frère comme Mutammim a su le faire 136. Le calife est lui aussi
tellement attendri qu’il propose à Mutammim le « prix du sang » de son
frère, c’est-à-dire un dédommagement financier (diyya) que la famille
d’un meurtrier est censé verser à la famille de la victime pour enrayer le
cycle de la vengeance. Par ce geste, Abû Bakr reconnaît indirectement que
Khâlid a commis une « bavure ». Il écrit d’ailleurs aussitôt à ce dernier
pour lui demander d’affranchir sans tarder les membres de la tribu de
Mâlik qu’il a réduits en esclavage 137.
Malgré ces mesures d’apaisement, l’arrivée de Mutammim à Médine
ranime la polémique. ‘Umar y voit l’occasion de revenir à la charge et
d’inciter le calife à limoger Khâlid. Il n’hésite pas à alimenter la pression ;
partout où il passe, il évoque ce que Khâlid a fait subir à Mâlik. Le
scandale prend une ampleur telle qu’Abû Bakr se résout enfin à convoquer
Khâlid pour qu’il s’explique. ‘Umar est satisfait : « S’il l’a appelé, c’est
sans doute pour lui signifier qu’il est congédié ! », pense-t-il. Quand,
quelques jours plus tard, il apprend que le général sanguinaire s’approche
de Médine, il se poste dans la mosquée, juste à côté de la porte qui ouvre
sur les appartements d’Abû Bakr, pour l’intercepter avant son entrevue
avec le calife.
Le calife a l’habitude, chaque matin après la prière, de se retirer chez
lui pour recevoir ceux qui ont une audience avec lui et c’est Bilâl, le
muezzin attitré du Prophète devenu le portier d’Abû Bakr, qui est chargé
de filtrer les entrées. Arrivant aux portes de Médine, Khâlid, conscient que
le calife, pressé par ‘Umar, est très mécontent, fait parvenir à Bilâl une
somme d’argent afin qu’il accepte de l’introduire auprès du calife sans
laisser entrer ‘Umar 138. Il veut s’entretenir seul avec Abû Bakr. Bilâl
accepte la somme d’argent et fait dire à Khâlid : « Qu’il vienne voir le
calife très tôt le matin. C’est le moment propice pour échanger seul à seul
avec lui 139. »
Mais l’entrée du général à Médine ne passe pas du tout inaperçue. Sur
son chemin vers la maison du calife, les habitants se sont massés pour
l’observer, partagés entre effroi et admiration. Il est vêtu d’une tunique
noircie par le port de la cuirasse ; son bouclier en fer est rouillé par le sang
qui l’a éclaboussé ; des flèches trempées du sang de ses victimes sont
plantées dans sa calotte j 140. En arrivant à la mosquée, il est surpris de voir
que ‘Umar est déjà là à l’attendre. Pendant un moment, les deux hommes
s’affrontent du regard. Ceux qui assistent à la scène retiennent leur souffle
tout en s’étonnant de la frappante ressemblance physique entre ‘Umar et
Khâlid. On dirait deux frères ! La Tradition souligne souvent cette
ressemblance, en rapportant des anecdotes où certains compagnons du
Prophète vont jusqu’à les confondre 141.
‘Umar ne peut se contenir longtemps et bondit sur Khâlid. Il le saisit à
la gorge avant d’arracher et de briser les flèches fichées dans sa calotte 142.
Il s’égosille : « Tu as tué un musulman et violé sa femme ! Je jure que je
vais te lapider ! » Khâlid ne répond pas à cette agression. Imperturbable, il
passe son chemin et entre dans la maison du calife ; il entend ‘Umar crier :
« Je jure que le jour où j’aurai le pouvoir, je me vengerai de toi ! » Deux
ans plus tard, ‘Umar mettra à exécution sa menace : au lendemain de son
investiture en tant que deuxième calife, sa première décision sera de
limoger Khâlid 143.
Pour l’instant, il se contente de le suivre chez le calife, craignant qu’il
réussisse à amadouer Abû Bakr s’il n’est pas là pour seconder ce dernier.
Mais la main de Bilâl l’arrête. « Non ! dit-il à ‘Umar. Le vicaire du
Prophète va rencontrer Khâlid en tête à tête. » Les oreilles de ‘Umar
bourdonnent de colère. Il reste devant la porte du calife à faire les cent
pas, impatient de connaître l’issue de l’entrevue.
Abû Bakr reçoit Khâlid froidement : « J’ai appris que tu as tué un
musulman, et tu as épousé de force sa veuve ! » Gardant son calme, Khâlid
répond : « Ô calife ! N’as-tu pas entendu le Prophète dire de moi que je
suis le glaive dégainé de Dieu ?
– Certes, je l’ai entendu.
– Eh bien, rétorque Khâlid, le glaive d’Allâh ne saurait s’abattre que
sur le cou d’un mécréant, d’un hypocrite ou d’un apostat 144 !
– Certes oui ! Mais tout le monde dit que Mâlik était musulman.
– Si tu avais entendu ce qu’il m’a dit, tu aurais compris qu’il ne l’était
pas ! Sais-tu qu’en parlant du Prophète il m’a dit “ton ami” ? Un vrai
musulman parlerait-il ainsi de l’Envoyé de Dieu ?
– Dans ce cas, oui, tu as eu raison de lui couper la tête. Oublions cela
maintenant ! Va retrouver ton armée à Butâh pour poursuivre la guerre. Tu
dois te préparer pour le combat contre Musaylima l’imposteur 145. »
Abû Bakr lui inflige tout de même un léger blâme en raison de son
comportement avec la femme de Mâlik, non pour des motifs religieux,
mais parce qu’il a par là enfreint le code d’honneur des guerriers arabes,
qui interdit d’avoir le moindre commerce avec les femmes quand on est en
guerre 146. Certaines sources disent que, pour étouffer le scandale, Abû
Bakr lui aurait tout de même ordonné de se séparer de la veuve de
Mâlik 147.
Le malaise éprouvé par le calife devant ce qu’il est convenu d’appeler
« l’affaire Mâlik ibn Nuwayra » se reflète dans les divergences au sein des
sources de la Tradition. Alors que celles-ci ne nous disent quasiment rien
de la vie de Mâlik, le récit de sa mort est l’objet de relations diverses et
orientées. Certains affirment qu’il était apostat et méritait donc la mort,
d’autres qu’il était musulman et que Khâlid l’a tué pour lui prendre sa
femme. Derrière la divergence des récits, les enjeux politiques et
théologiques sont perceptibles. Les détracteurs de Khâlid, au premier rang
desquels ‘Umar, s’emparent de l’affaire afin de faire tomber en disgrâce
cet homme qui monte en puissance. La tradition shî‘ite, elle aussi, se saisit
du cas et fait de Mâlik un partisan de ‘Alî qui a été victime d’un coup
monté 148. Pour autant, par-delà les différentes récupérations politiques,
cette affaire, tel un conte philosophique, soulève une question théologique
essentielle et qui demeure insoluble en islam : quels critères doit-on
remplir pour être considéré(e) comme musulman(e) ? Et qui est habilité à
décréter qui est musulman et qui ne l’est pas ? Haythamî, dans son recueil
de jurisprudence selon le Hadîth Majma‘ al-zawâ’id, ouvre ainsi son
chapitre consacré à ces problématiques par l’histoire emblématique de
Mâlik 149.
En sortant de chez Abû Bakr, Khâlid retrouve ‘Umar qui, entouré de
quelques amis, continue de proférer des menaces. Il passe devant lui et le
nargue en lui disant, sourire aux lèvres : « Approche donc, ô fils d’Umm
Shamla ! » Si Khâlid appelle ‘Umar ainsi 150, c’est peut-être pour lui
rappeler le lien de parenté qui les unit ; en effet, Umm Shamla, alias
Hantama la Makhzumite, la mère de ‘Umar, n’est autre que la cousine
germaine de Khâlid ibn al-Walîd. Mais c’est sans doute par ironie que
Khâlid appelle ‘Umar par le prénom de sa mère : il ne lui rappelle pas tant
leur lien de parenté que les origines douteuses de sa génitrice, laquelle
n’est pas une authentique Makhzumite mais une bâtarde adoptée par cette
riche famille. La généalogie de ‘Umar est très trouble k ; elle est souvent
l’objet de moqueries et de remarques méchantes de la part de ses
détracteurs 151. Nous aurons amplement l’occasion d’y revenir dans le
prochain volume.
‘Umar le regarde avec dégoût mais n’ose dire un mot car il comprend
immédiatement que le calife vient de lui pardonner. Khâlid hausse les
épaules avec mépris ; il passe son chemin en se disant que ‘Umar ne sait
rien de la guerre et qu’il est de ce fait mal placé pour lui adresser la
moindre critique à ce sujet 152. Après tout, celui-ci traîne derrière lui une
réputation de déserteur, ce qui est, aux yeux de Khâlid, le comble du
déshonneur.
Mais malgré la clémence du calife, Khâlid reste au centre d’une vive
polémique, car ce n’est pas la première fois qu’il se livre à une forfaiture
de ce genre. Quelques années auparavant, Muhammad l’avait envoyé avec
trois cent cinquante hommes auprès des Banû Jadhîma. Il ne lui avait
donné aucune instruction de combattre et lui avait seulement demandé de
s’assurer de leur neutralité ; mais Khâlid les avait massacrés et décapités.
En apprenant cette nouvelle, le Prophète était entré dans une fureur noire ;
il avait levé les bras vers le ciel en clamant : « Mon Dieu ! Je suis innocent
des crimes de Khâlid 153 ! » Puis il avait dépêché ‘Alî pour verser le prix du
sang aux familles des victimes, sans pour autant limoger Khâlid. Abû Bakr
adopte ici la même attitude : il désapprouve mais ne prend aucune mesure
contre Khâlid qui, comme nous le verrons plus loin, récidivera, indifférent
aux critiques.
Sa réputation est toutefois sérieusement et durablement entachée :
chaque fois qu’il est en désaccord avec une personne, on lui rappelle son
forfait. Ussayd ibn Khudhayr lui lance un jour au visage : « On sait tous de
quelle cruauté tu es capable ! Tu as tué un homme alors qu’il était
musulman ! » Khâlid ne répond jamais à ces invectives. Le massacre des
Banû Jadhîma avait déjà, à l’époque, provoqué l’indignation généralisée
des compagnons du Prophète ; on raconte qu’Ibn ‘Awf avait même injurié
Khâlid, qui avait violemment riposté à son tour. Nombreux sont les récits
qui rapportent l’hostilité et les disputes d’Ibn al-Walîd avec les
Compagnons, qui le trouvent trop violent et qui, pour l’égratigner, ne
manquent pas une occasion de lui rappeler sa conversion tardive, mettant
ainsi en doute la sincérité de sa foi. Face à ces critiques, Khâlid se défend
parfois d’une manière agressive, parfois par le mépris et l’indifférence. Il
est si conscient de sa force qu’il se sent inatteignable 154.
L’impunité dont il jouit lui procure une telle assurance qu’il se permet
envers son protecteur, Abû Bakr, des actes d’une singulière insolence.
Ainsi par la suite, à l’issue de ses multiples victoires, il partage le butin
entre ses soldats sans en réserver vraiment le cinquième au calife, comme
le veut la coutume islamique. ‘Umar, toujours à l’affût du moindre faux
pas de son ennemi juré, incite Abû Bakr à lui écrire : « Dis-lui de ne rien
distribuer du butin sans en référer à toi ! » Le calife suit ce conseil et
reçoit de la part de Khâlid une réponse cinglante : « Laisse-moi faire mon
travail tranquille et mêle-toi de tes affaires ! » En lisant la réponse
impudente de Khâlid, Abû Bakr est catastrophé ; ‘Umar y voit l’occasion
de remettre sur la table la question de son limogeage. Le calife hésite :
« Mais qui va diriger les armées avec la même vigueur que lui ? – Mais
moi, enfin ! », réplique ‘Umar. Abû Bakr accepte mais, tandis que ‘Umar
se prépare à partir, un groupe de Compagnons s’adresse au calife pour lui
reprocher sa décision : « Tu fais partir ‘Umar alors que tu as besoin de lui
ici, et tu congédies Khâlid alors qu’il enchaîne les victoires et les
conquêtes ? Comment est-ce possible ? Nous te supplions de renoncer à
cette décision. » Abû Bakr, visiblement pas très convaincu lui-même, se
rétracte aussitôt : il maintient Khâlid à la tête de l’armée tout en retenant
‘Umar auprès de lui à Médine 155.
Il est vrai que dès le début du règne d’Abû Bakr et des guerres dites
d’« apostasie », Khâlid le Terrible a su se rendre indispensable au premier
calife. Qui mieux que lui saura affronter les tribus puissantes qui
s’opposent au régime de Médine ? Abû Bakr a besoin de lui pour
combattre l’homme qui constitue à ses yeux la menace la plus sérieuse :
Musaylima ibn Habîb.
a. Abû Dâwûd Sunan 2/247 ; Abû Ya‘lâ Musnad 13/314 ; Bayhaqî Sunan 9/77 ; Bukhârî
3/1037 ; Hâkim Mustadrak 2/87 ; Ibn Abî Shayba Musannaf 11/367 ; Ibn Hanbal Musnad
32/309 ; Ibn Hibbân Sahîh 10/478 ; Muslim 3/1511 ; Tirmidhî Sunan 4/186.
b. Cette manie chez ‘Aïsha est attestée par les sources de la Tradition qui évoquent les
réprimandes que son mari le Prophète lui adressait à cause de cette fâcheuse habitude (Ibn
Hanhal Musnad 43/43 ; Muslim 2/670 ; Nasâ’î Sunan 8/16).
c. Nous devons la traduction de ces vers en alexandrins au grand poète bilingue tunisien
Abdelaziz Kacem. Nous le remercions de cette élégante et précieuse contribution.
d. La majorité des exégètes du Coran affirment que les hommes évoqués dans ce verset sont les
Compagnons du Prophète qui ont combattu les apostats et ceux qui ont refusé de payer la taxe de
la zakât.
e. Selon Yâqût (4/366 et 1/68), Dhû l-Qassa se trouve sur la route de Rahadha, un bourg à trois
jours à l’est de Médine, tandis qu’Abraq al-Rabadha est dans le territoire des Banû Dhubiyân.
f. Il s’agit du nom « propre » du calife, Abû Bakr étant son surnom ou kunya. Voir infra, p. 191.
g. Ce seigneur arabe chrétien ne s’est cependant jamais converti à l’islam (Ibn Bakkâr al-Akhbâr
338-340).
h. Fassîl signifie en arabe « chamelon », tandis que bakr désigne la chamelle (cf. supra, p. 18).
C’est Abû Sufyân qui a affublé le calife de ce surnom péjoratif mettant en relief sa composante
animale (voir La Déchirure, p. 133).
i. On dit même qu’elle se serait convertie à l’islam avant d’apostasier, ce qui aurait poussé le
Prophète à la condamner à mort.
j. Ibn al-Athîr (Usd 1/587) affirme que Khâlid cache dans sa calotte, en guise de porte-bonheur,
un cheveu du Prophète. Lors d’une de ses batailles en Syrie, il perd le précieux gri-gri et court en
tous sens, affolé : « Ma calotte ! Où est ma calotte ? » Voir aussi Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq
16/237.
k. Sa grand-mère Sahâk est une esclave abyssine qui a connu plusieurs maîtres dont elle a eu de
nombreux enfants, parmi lesquels Umm Shamla, la mère de ‘Umar, mais aussi Nufayl, le grand-
père paternel du même ‘Umar ! (Sur ce sujet, voir notamment le livre du célèbre généalogiste al-
Kalbî Mathâlib al-‘arab, p. 39-40, 46.) Sans doute la célèbre misogynie de ‘Umar est-elle liée à
sa généalogie féminine problématique.
II
LE JARDIN DE LA MORT
Son nom est Musaylima ibn Habîb, dit Abû Thumâma 1 ; son prénom,
diminutif de Maslama, fait étrangement écho au mot muslim. Pourtant, les
musulmans le surnomment al-kadhâb, « l’imposteur » ; ses adeptes, au
contraire, le tiennent pour un authentique prophète et se montrent prêts à
mourir pour lui. Musaylima porte le surnom d’« al-Rahmân de Yamâma ».
Ce surnom est une troublante intersection entre la prophétie de Musaylima
et celle de Muhammad : en islam, al-Rahmân, « le Clément », est, jusqu’à
nos jours, l’un des noms les plus fréquemment utilisés pour désigner Dieu.
Musaylima appartient à la tribu des Banû Hanîfa. Là aussi, l’islam croise
le chemin de la prophétie de Musaylima : le hanifisme est l’un des termes
qui désignent le monothéisme originel d’Abraham, dont l’islam
(surnommé al-dîn al-hanîf) se présente comme l’expression la plus
authentique, contre les déviations juive et chrétienne. Cette idée est
attestée par de nombreux hadîths et versets du Coran, notamment le verset
67 de la sourate 3 : « Abraham n’était ni juif ni chrétien mais musulman
hanifite (musliman hanîfan) ». Les multiples points d’intersection entre la
prédication de Musaylima et l’islam sont pour le moins intrigants, et il
serait réducteur de faire de ce « faux prophète » un simple avatar
charlatanesque de Muhammad.
Musaylima exerce sur ses disciples une grande fascination. Devant
leurs yeux ébahis, il accomplit toutes sortes de « miracles », comme faire
entrer un œuf par le goulot d’une bouteille – à l’inverse de Muhammad,
qui n’a eu de cesse de répéter qu’une prophétie authentique n’avait nul
besoin de s’étayer par des actes surnaturels. Jâhiz rapporte encore
comment il réussit à convaincre les hommes de sa tribu que des cerfs-
volants – chose qu’ils voyaient pour la première fois – étaient les anges
qui lui apportaient la Révélation 2.
Sa carrière débute d’ailleurs bien avant l’islam. Les sources disent
même qu’il a été surnommé al-Rahmân bien avant la naissance de
Muhammad, et même avant la naissance de son père, ce qui induirait qu’il
était beaucoup plus âgé que Muhammad a. Sa renommée s’est propagée
dans toute la province de Yamâma et même au-delà, jusqu’à La Mecque,
au point que lorsque Muhammad, au début de sa prédication, invitait sa
tribu à adorer un Dieu unique qu’il appelait al-Rahmân, tout le monde
avait confondu son message avec celui de Musaylima et avait vu en lui
l’un de ses disciples. La relation entre eux deux gagnerait certainement à
être élucidée ; elle semble constituer une clé importante pour comprendre
la genèse de l’islam.
En tout cas, il est évident que les Mecquois connaissaient l’existence
de Musaylima, voire l’avaient probablement rencontré, dans la mesure où
ils étaient en contact avec sa grande et puissante tribu, les Banû Hanîfa,
établie dans la prospère et stratégique province de Yamâma b 3.
Cette tribu compte dans ses rangs de grands notables dont la
conversion à l’islam a été décisive dans la carrière de Muhammad. La
mémoire collective passe sous silence le rôle majeur joué par l’un de
ceux-ci, Thumâma ibn Uthâl al-Hanîf, qui s’est converti assez tôt à
l’islam. En l’an VI de l’Hégire, le Prophète avait mandaté son ex-fils
adoptif Zayd ibn al-Hâritha pour une razzia à Yamâma, au cours de
laquelle ledit Thumâma avait été capturé et emmené à Médine comme
prisonnier. Sa rencontre avec Muhammad l’avait conduit à se convertir et,
dès son départ de Médine, il s’était rendu à La Mecque pour accomplir le
petit pèlerinage (‘umra), devenant le premier musulman à accomplir ce
rite. Si la Tradition 4 insiste sur sa qualité de premier pèlerin, elle a
tendance à rejeter à l’arrière-plan les conséquences politiques de la
conversion de ce seigneur influent.
Quand quelques Mecquois, hostiles à Muhammad, avaient appris la
conversion de Thumâma, ils l’avaient frappé, humilié, et avaient même
envoyé des hommes pour le tuer. Des voix s’étaient alors élevées pour
empêcher cet assassinat : « Malheureux ! Ne savez-vous pas qui il est ?
C’est Thumâma ibn Uthâl ! » Ce commerçant puissant avait fait fortune
dans le négoce des denrées alimentaires, or les Mecquois dépendaient
économiquement de la région de Yamâma qui était en quelque sorte le
grenier de La Mecque (rîf Makka). Ils n’avaient donc pas intérêt à créer un
incident avec les Banû Hanîfa. Thumâma avait fini par rentrer chez lui
indemne mais, en représailles, avait juré de ne plus fournir La Mecque :
« Je ne vous enverrai plus le moindre grain de blé jusqu’à ce que
Muhammad m’y autorise », avait-il déclaré. Cet embargo économique
avait eu des répercussions catastrophiques. La famine qui s’annonçait
avait mis les Mecquois dans l’obligation de convaincre leur ennemi
Muhammad d’intervenir auprès de Thumâma : « Nous sommes ta famille,
après tout ! lui ont-ils écrit. Tu ne vas tout de même pas permettre qu’on
nous laisse mourir de faim ! » Muhammad avait aussitôt envoyé une
missive à Thumâma pour lui demander de lever l’embargo 5. Il est fort
probable que cet embargo ait été décisif dans la capitulation de La Mecque
au mois de Ramadan de l’an VIII (janvier 630), ce qui expliquerait
pourquoi le récit officiel a marginalisé le rôle de Thumâma : si la prise de
la ville s’est faite sans le recours aux armes, elle a bel et bien été précédée
d’une guerre économique dont Thumâma a été le principal acteur.
Si le Prophète a beaucoup gagné à la conversion de Thumâma, ce
dernier n’était pas le seul puissant Hanifite dont il avait cherché le soutien.
Hawdha ibn ‘Alî vivait avec les membres de sa tribu dans la vallée
agricole de Yamâma. Originaire du bourg de Qurrân 6, dont les habitants
étaient réputés pour leur éloquence, il était l’orateur des Banû Hanîfa. La
noblesse de ses origines, sa sagesse, la finesse de son verbe, sa beauté et
son élégance lui valaient l’admiration et la considération de tous, les
Arabes comme les Perses. L’empereur sassanide Khosrow II (Chosroès en
grec, Kisrâ en arabe) le tenait en grande estime et le couvrait de cadeaux.
Tabarî 7 dit qu’il lui a un jour offert un turban serti de pierres précieuses
que tout le monde a pris pour une couronne, ce qui a valu à Hawdha le titre
de roi (Dhû l-Tâj, « le couronné »). D’après Balâdhurî 8, au début de
l’an VII de l’Hégire (juin 628), Muhammad a adressé à Hawdha une lettre
l’invitant à se convertir à l’islam, comme il l’avait fait avec les empereurs
de la région, d’Héraclius à Khosrow en passant par le Négus d’Éthiopie,
preuve qu’il le considérait comme de même rang que ces derniers.
Hawdha lui avait fait répondre : « Ce à quoi tu m’invites est admirable,
mais il faut que tu saches que je jouis d’un grand prestige parmi les
Arabes, qui me craignent et me respectent. Donne-moi une part de ton
pouvoir et je te suivrai. » Le fait que son puissant protecteur, l’Empire
perse, montrât déjà à l’époque des signes de déliquescence n’était sans
doute pas étranger à sa bonne disposition envers de nouvelles alliances.
Selon une autre version, Hawdha, qui était chrétien, aurait répondu : « S’il
me lègue le pouvoir après lui j’irai vers lui, je me convertirai à l’islam et
je le soutiendrai. Sinon, j’irai lui faire la guerre. » Avant de rentrer à
Médine, Salît ibn ‘Amrû al-‘Amirî, le messager du Prophète auprès de
Hawdha, s’est vu confier de somptueux vêtements de brocart brodés d’or,
mais ce cadeau luxueux n’avait pas apaisé la colère du Prophète qui, en
prenant connaissance de la réponse du puissant Hanifite, s’était écrié :
« Même s’il me demandait un caillou, je ne le lui donnerais pas ! Qu’il
périsse, lui et son pouvoir 9 ! » Après cet unique échange épistolaire, il n’y
avait plus eu de contact entre Muhammad et Hawdha, car ce dernier était
mort peu de temps après, en l’an VIII (629-630) selon Ziriklî 10.
L’année suivante, lors de la fameuse « année des délégations », les
Banû Hanîfa ont cependant envoyé, à l’instar de nombreuses autres tribus,
une délégation à Médine pour faire allégeance à Muhammad 11. Dans la
mesure où celle-ci était présidée par Sulmî ibn Handhala, un cousin de
Hawdha, on peut présumer que ce dernier en avait donné l’ordre avant sa
disparition. Muhammad n’a pas hésité à se saisir de cette seconde chance
pour créer des liens avec cette puissante tribu. Parmi les dix membres de
la délégation se trouvaient trois hommes appelés à jouer par la suite un
rôle majeur : al-Mujjâ‘a ibn Murâra, al-Rajjâl ibn ‘Unfuwwa et le fameux
Musaylima ibn Habîb.
Musaylima et Muhammad se seraient-ils donc rencontrés à Médine ?
À cette question cruciale, la Tradition apporte deux réponses différentes :
une version veut que Musaylima ait vu le Prophète 12, l’autre qu’il soit
resté à l’extérieur de Médine. Musaylima aurait dit aux autres membres de
la délégation : « Je ne vais pas venir avec vous. Je reste ici aux portes de la
ville. Si Muhammad vous demande pourquoi vous n’êtes que neuf au lieu
des dix personnes annoncées, dites-lui que le dixième est resté dehors pour
garder la caravane 13. » De fait, le Prophète aurait posé cette question et, en
entendant la réponse dictée par Musaylima, aurait déclaré : « Cet homme
resté dehors est le meilleur d’entre vous ! » Une vieille maxime arabe dit
en effet que « le meilleur d’entre les hommes qui voyagent ensemble se
met au service des autres ». En entendant les propos rapportés de
Muhammad, Musaylima se serait exclamé : « Voyez par vous-mêmes ! Il
vient confirmer mon grand mérite ! » Certaines sources affirment par
ailleurs que Musaylima était déjà venu auparavant discrètement à Médine
et y avait entendu prêcher le Prophète 14.
Quand Muhammad avait invité les Banû Hanîfa à adopter l’islam en
leur exposant les fondements de la nouvelle religion, un des membres de
la délégation s’était montré particulièrement réceptif : al-Rajjâl ibn
‘Unfuwwa, également prénommé Nahâr al-Rajjâl. Il s’était
immédiatement converti et avait fait preuve d’une application et d’une
piété exemplaires : il aurait appris par cœur la sourate al-Baqara (« La
Génisse », la plus longue sourate du Coran) ainsi que tous les préceptes de
l’islam en un temps record. Le Prophète, admiratif, l’avait alors chargé de
convertir les Banû Hanîfa à son retour à Yamâma. En rentrant chez eux, les
membres de la délégation avaient parlé à leurs contribules des préceptes
de l’islam, mais les Banû Hanîfa les avaient trouvés trop rigoureux. C’est
alors que Musaylima leur avait dit : « Je suis prophète tout comme
Muhammad ; il a mission prophétique sur la moitié de la terre, et moi, sur
l’autre moitié. Lui reçoit ses révélations de Gabriel et moi, de Michael.
Mes compagnons de voyage sont témoins, il a lui-même reconnu mon
mérite. Je vais alléger ces obligations ! Vous verrez combien ma doctrine
est plus facile. »
Selon Ibn Hishâm 15, Musaylima aurait notamment réduit le nombre de
prières et rendu licites le vin et la fornication. Cet allègement doctrinal
avait beaucoup plu aux Banû Hanîfa, qui avaient massivement suivi leur
prophète. Le succès de Musaylima s’était également nourri des rivalités
tribales. D’aucuns disaient ainsi : « Quand bien même Musaylima serait
menteur et Muhammad sincère, nous préférons suivre un imposteur de
Rabî‘a plutôt qu’un prophète authentique de Mudhar 16 ! » Rabî‘a et
Mudhar sont, en effet, les deux grandes confédérations de tribus des
Arabes du Nord : les Banû Hanîfa, on l’aura compris, appartiennent à la
première et Quraysh à la seconde.
Rapidement, Musaylima était devenu un très sérieux concurrent du
maître de Médine, qu’il imitait en tous points : il s’était mis à réciter
devant ses adeptes des versets en prose rimée qui pastichaient les
révélations transmises par Muhammad et s’était même attaché les services
d’un muezzin personnel du nom de ‘Abd-Allâh ibn al-Nawâha. Même al-
Rajjâl ibn ‘Unfuwwa, musulman exemplaire lors de son séjour à Médine,
avait fait volte-face et apostasié. C’est lui, dit-on, qui aurait encouragé
Musaylima à suivre l’exemple de Muhammad et à se constituer une armée
pour étendre son autorité.
Al-Rajjâl ibn ‘Unfuwwa avait conseillé à Musaylima d’adresser, vers
la fin de l’an X (début 632), une lettre menaçante à Muhammad pour lui
proposer un partage équitable du territoire arabe : « De Musaylima, al-
Rahmân de Yamâma, à Muhammad ibn ‘Abd-Allâh, messager de Dieu
dans la tribu de Quraysh. Je suis ton associé dans la prophétie : à moi donc
la moitié de la terre, à toi l’autre moitié. Mais vous autres Qurayshites,
vous n’aimez pas partager… » En la lisant, Muhammad avait demandé aux
deux messagers : « Qu’en dites-vous ?
– Musaylima a raison, avaient-ils répondu, tu exerces le pouvoir sur la
moitié de la terre, et lui sur l’autre moitié. » Très irrité par leur réponse,
Muhammad s’était écrié : « La coutume m’interdit de tuer les émissaires ;
sinon, je vous aurais tous les deux mis à mort ! » Il avait ensuite envoyé
une réponse écrite à Musaylima : « De Muhammad, envoyé d’Allâh, à
Musaylima l’imposteur. Salutations à ceux qui ont suivi le droit chemin ;
or, la terre appartient à Allâh. Il en donne la possession à qui il veut. La
récompense finale sera accordée aux vertueux 17. » Au moment où il avait
reçu cette lettre, Muhammad avait en outre appris l’émergence d’un autre
« faux prophète » au Yémen, du nom d’Aswad al-‘Ansî, comme on le
verra plus loin. Le succès de ces deux « imposteurs » préoccupait
tellement Muhammad qu’il en faisait des cauchemars 18.
Toutefois, cette concurrence religieuse entre prophètes rivaux ne doit
pas dissimuler les enjeux géopolitiques qui se cachent derrière le
phénomène Musaylima. La mort du puissant Hawdha ibn ‘Alî, roi de
Yamâma, avait créé une vacance du pouvoir qui avait permis à Musaylima
de s’autoproclamer chef des Banû Hanîfa sur la base de sa vocation de
prophète. En réalité, celle-ci n’était sans doute que l’habillage religieux
d’un grand projet politique : créer, dans la riche province de Yamâma, un
État indépendant tant de la Perse déclinante que de Médine et qui
contrôlerait la route commerciale entre l’Irak et le Yémen. Ibn ‘Unfuwwa,
dont l’influence sur Musaylima était considérable, était probablement
l’architecte de ce projet. Il l’a beaucoup encouragé à établir un système
politique symboliquement fort centré sur une religion et un prophète, sur
le modèle de Médine. Il fallait pour cela jeter les bases d’une organisation
religieuse et liturgique qui auréolerait de sacralité l’autorité politique
naissante c. La parfaite connaissance de l’islam qu’Ibn ‘Unfuwwa a acquise
lors de son bref séjour dans la ville du Prophète lui a permis de conseiller
efficacement Musaylima dans ce sens. Son apprentissage accéléré dans la
proximité immédiate de Muhammad a été pour lui l’occasion d’observer
la « cuisine interne » de la religion et d’en voler les « secrets de
fabrication ». Il se serait en somme livré à de l’espionnage religieux,
comme on parle aujourd’hui d’espionnage industriel. On comprend mieux
dès lors pourquoi les rédacteurs de la Tradition n’hésitent pas à affirmer
que l’apostasie d’Ibn ‘Unfuwwa a été plus néfaste à l’islam que
l’imposture de Musaylima 19.
Le contexte était d’autant plus favorable à ce dernier que de nombreux
membres de la tribu des Banû Hanîfa étaient vraisemblablement chrétiens
et donc déjà initiés au monothéisme. Lui-même a sans doute été influencé
par le christianisme. La mort de Muhammad l’année suivante a semblé
être une aubaine pour lui. Grisé par la disparition de son rival, il a déclaré
à ses adeptes : « Gabriel m’est apparu et m’a annoncé que désormais Dieu
me confie la mission prophétique sur toute la terre. » Musaylima est
désormais au faîte de sa gloire, suivi par des milliers d’adeptes.
Quand il arrive au pouvoir, Abû Bakr hérite donc d’une situation
extrêmement périlleuse et Musaylima constitue l’épicentre de la plus
grave menace qui pèse sur le jeune État islamique. La guerre que le calife
décide de lui déclarer n’est pas une guerre d’« apostasie » – Musaylima et
la majorité des Banû Hanîfa ne se sont jamais convertis à l’islam – mais
une véritable guerre de domination territoriale.
Entre-temps, la prophétesse Sajâh avait donc délaissé les Banû Tamîm
et décidé d’aller chercher des renforts ailleurs : justement chez
Musaylima 20. Dès son arrivée à Yamâma, elle campe à Hajar. Sa venue
contrarie Musaylima, qui a déjà de nombreux soucis : on lui a appris
qu’une attaque de l’armée musulmane était probablement imminente.
L’arrivée de Sajâh dans son territoire le préoccupe d’autant plus qu’il ne
parvient pas à en cerner les raisons. Il décide alors de prendre les devants
et d’aller à sa rencontre pour sonder ses intentions. Première erreur de sa
part : les armées musulmanes qui observent de loin ses mouvements en
déduisent que cette rencontre était prévue et que les deux « faux
prophètes » sont déjà alliés. Escorté de quarante hommes, Musaylima fait
dresser sa grande tente non loin du camp de Sajâh et l’y reçoit. Il s’installe
face à elle et lui dit : « La fonction prophétique sur cette terre était
partagée entre Muhammad et moi. Quand il est mort, Gabriel est venu me
voir pour me confier l’exercice de cette fonction sur toute la terre. J’ai
cependant décidé de te céder la part de Quraysh que Muhammad détenait.
Ainsi donc, la moitié de la terre sera à toi, et l’autre moitié à moi. » Sajâh
sourit de satisfaction, agréablement surprise par les propos de Musaylima.
« Ta grande renommée en tant que prophète, lui dit-elle, est parvenue
jusqu’à moi. Parle-moi, je te prie, des révélations que tu reçois. »
Musaylima commence à scander des versets qui sont un pastiche du
Coran ; Wâqidî 21 rapporte ainsi une scène où Musaylima déclame devant
Sajâh une paraphrase de la sourate coranique 90, al-Balad (« La Cité »)
dont il reprend le premier verset (« Non ! Je jure par cette Cité ») avant
d’en donner une autre suite en prose rimée. Sajâh est ravie. Décidément,
ce Musaylima lui plaît beaucoup. Il demande à Sajâh : « Dis-moi, as-tu
reçu quelque révélation me concernant ? » et celle-ci répond en souriant :
« Est-il décent que les femmes commencent par parler de leurs
révélations ? C’est à toi de me parler des tiennes. » Affichant un rictus
lubrique, Musaylima se lève et s’assoit à proximité de Sajâh : « Ne vois-tu
pas comment ton Seigneur fait avec la femme enceinte, dont il fait sortir
d’entre le péritoine et les viscères un être vivant ? » Sajâh regarde
langoureusement Musaylima : « Fort intéressant ! Et qu’a-t-il révélé
d’autre ? » Il éclate de rire : « Il m’a également révélé que Dieu a créé les
vagins des femmes et a fait des hommes leurs maris… » Sajâh est très
amusée : « J’atteste que tu es prophète ! », minaude-t-elle. Musaylima,
satisfait du succès de sa séduction, abat son jeu : « Veux-tu m’épouser ? Je
suis prophète, et tu es prophétesse. Nous sommes faits l’un pour l’autre.
Mes adeptes et les tiens s’uniront, et nous soumettrons tous les Arabes à
notre autorité.
– L’idée ne me déplaît pas du tout », répond Sajâh.
La Tradition rapporte ensuite leurs échanges érotiques lors desquels ils
s’adressent des propos particulièrement salaces, mais toujours en vers et
en prose rimée. S’excusant auprès du lecteur pour leur obscénité, de
nombreux auteurs, comme Tabarî et Wâqidî, en citent néanmoins quelques
morceaux choisis. Musaylima parle ainsi à Sajâh : « Lève-toi pour la
fornication, la couche est prête : si tu veux je te prends dans tous les
endroits et dans toutes les positions. » Sajâh éclate de rire : « Dans toutes
les positions et dans tous les endroits ? Je te trouve bien inspiré ! »
Après la consommation de leur union, Sajâh demeure auprès de
Musaylima trois jours puis retourne dans le camp de sa tribu. Elle informe
ses adeptes de son mariage. On la questionne : « Qu’est-ce qu’il t’a offert
en guise de don nuptial ?
– Je n’ai rien eu », répond-elle. Ses adeptes sont scandalisés : « Mais il
n’est pas décent qu’une femme de ton rang ne reçoive rien en don
nuptial ! » Elle revient alors vers Musaylima qui, déjà rentré dans sa
forteresse, ne prend pas la peine de descendre et s’adresse à elle du haut du
rempart : « Que fais-tu ici ?
– Je viens te réclamer mon don nuptial.
– Va informer ta tribu que Musaylima leur accorde l’exemption de
deux prières sur les cinq que Muhammad a prescrites, celle de l’aurore et
celle du coucher. » Tabarî rapporte que, depuis ce jour, dans le désert
arabe, plusieurs tribus continuent de ne pas accomplir ces deux prières.
Ibn Kathîr relate pour sa part que le cadeau nuptial a consisté en la levée
des interdits sur le vin et la fornication.
Après avoir neutralisé la menace que représentait Sajâh et jugeant
dorénavant sa présence encombrante en raison de la pression exercée par
les armées califales, Musaylima lui conseille de rentrer chez elle. Pour la
convaincre, il consent à lui verser en dédommagement la moitié des
revenus des produits agricoles de la province de Yamâma, avec un premier
versement immédiat et un second plus tard. Sajâh laisse à Yamâma trois
représentants (Hudhayl, ‘Aqqa et Ziyâd) pour percevoir la deuxième
tranche, qui ne pourra jamais être versée. Sajâh retourne donc chez les
siens, la tribu des Taghlib, à Bassora, avant l’arrivée des musulmans à
Yamâma. Elle y demeurera jusqu’en 661, quand Mu‘âwiya la fera
expulser. On raconte qu’elle se serait convertie à l’islam avant de mourir.
Pour Musaylima, le répit est de courte durée. Les dernières nouvelles
sont très mauvaises : l’armée de Khâlid s’approche à grands pas. L’un des
épisodes les plus sanglants du premier califat est sur le point de se jouer.
Abû Bakr a donc envoyé des contingents aux quatre coins de l’Arabie.
Chacun de ses généraux s’est dirigé vers la région qui lui a été assignée.
Al-‘Alâ’ ibn al-Hadhramî h est chargé de soumettre le Bahrayn i, soit la
côte orientale de la péninsule Arabique, où la situation politique est fort
complexe à cause d’une guerre civile qui oppose les deux principales
tribus de la région 49 : les ‘Abd al-Qays, restés musulmans après la mort du
Prophète et qui ont reconnu la légitimité d’Abû Bakr, et les Bakr ibn
Wâ’il, qui ont « apostasié » et refusé l’autorité de Médine. Al-‘Alâ’ ibn al-
Hadhramî a ainsi pour mission de venir en aide aux ‘Abd Qays musulmans
assiégés par leurs adversaires de la tribu des Bakr ibn Wâ’il.
Si le calife a choisi al-‘Alâ’, c’est parce qu’il connaît bien la région.
En l’an VIII (ou peut-être en l’an VI, année où le Prophète avait écrit aux
différents rois), il avait été mandaté par Muhammad pour inviter ses
habitants à se convertir à l’islam ou à payer la jizya 50. Il avait rencontré al-
Mundhir ibn Sâwî, un roitelet de la tribu des ‘Abd al-Qays 51 établi à al-
Hajar, principale cité du Bahrayn 52, qui avait accepté de se convertir.
Beaucoup d’Arabes l’avaient suivi, ainsi que quelques Perses. Les
nombreux juifs, chrétiens et zoroastriens de la région, qui avaient refusé
de se convertir, avaient cependant consenti à payer la jizya et le kharâj,
l’impôt foncier. Malgré le succès de sa mission, al-‘Alâ’ avait été limogé
par le Prophète pour des raisons qu’aucune source n’explique et c’est
Abbân ibn Sa‘îd ibn al-‘Âs ibn Umayya 53 qui avait été envoyé pour le
remplacer comme agent au Bahrayn (certaines sources 54 disent qu’al-‘Alâ’
serait resté sur place et qu’Abbân aurait été envoyé en renfort comme
second percepteur).
La grande tribu des Bakr ibn Wâ’il, dirigée par un certain Hutam ibn
Zayd, n’avait pour sa part pas vraiment accepté l’accord passé entre
Mundhir ibn Sâwî et le Prophète et avait profité de la mort de Muhammad
et de l’arrivée d’Abû Bakr au pouvoir pour se soulever. Surpris par leur
rébellion, Abbân s’était vu contraint de fuir le Bahrayn et de rentrer à
Médine, où il avait retrouvé ses frères pour contester l’« élection » du
calife. C’est ainsi que le souverain local, Mundhir ibn Sâwî, s’était
retrouvé en conflit ouvert avec eux. La situation s’était envenimée
davantage encore avec sa mort, survenue peu de temps après celle de
Muhammad. Les membres de sa tribu, les ‘Abd al-Qays, qui ont maintenu
leur conversion à l’islam, se sont aussitôt retrouvés livrés à eux-mêmes
face à la force grandissante des Bakr ibn Wâ’il. Ils se sont alors donné un
nouveau chef, al-Jârûd ibn Mu‘allâ j, alias Bishr ibn ‘Amr al-‘Abdî. C’est
pour soutenir ces ‘Abd al-Qays qu’Abû Bakr a dépêché al-‘Alâ’.
Les Bakr ibn Wâ’il se tournent quant à eux vers leur suzerain,
l’empereur perse : « Le Prophète dont se vantent les Mudhar est mort ; son
successeur est un homme faible et médiocre, physiquement et
moralement », lui disent-ils. On retrouve à Bahrayn le même argument
tribal qui sous-tend les jeux d’alliances politiques : les Bakr ibn Wâ’il, qui
appartiennent tout comme les Banû Hanîfa au grand groupe tribal des
Rabî‘a, n’acceptent pas de se soumettre au groupe rival des Mudhar,
auquel appartient Quraysh. Force est de constater que, dans ces guerres
dites d’apostasie, il est rarement question de religion ; c’est le tribalisme
exacerbé qui nourrit les haines.
Les Bakr ibn Wâ’il précisent à l’empereur perse : « L’agent de
Muhammad qui était chez nous est rentré chez lui et, désormais, seuls les
‘Abd al-Qays sont restés musulmans. Nous ne voulons pas avoir affaire à
eux, d’autant que nous sommes plus nombreux qu’eux en hommes et en
chevaux. Si tu nommes aujourd’hui un homme pour diriger le Bahrayn, il
ne rencontrera aucune opposition car nous serons derrière lui. » Le « roi
des rois » (shâhanshâh) leur propose alors de faire monter sur le trône du
Bahrayn un descendant de la dynastie arabe des Lakhmides, de confession
chrétienne et vassale des Sassanides, qui a régné sur al-Hîra jusqu’au
début du VIIe siècle. Son choix se porte sur Mundhir, le fils de Nu‘mân III
ibn al-Mundhir, dernier roi lakhmide d’al-Hîra, mort en 602. Les Bakr ibn
Wâ’il acceptent sa décision en se disant qu’un Lakhmide est plus digne du
pouvoir qu’Ibn Abî Quhâfa. Le choix de l’empereur perse est d’autant plus
à leur goût que le souverain qu’il leur destine est encore un adolescent – la
Tradition 55 dit que sa barbe commençait à peine à pousser – et qu’ils
pourront donc le manipuler à leur guise.
Le nouveau souverain arrive à la tête d’une grande armée (on parle de
sept mille cavaliers et fantassins) afin de l’emporter définitivement sur les
‘Abd al-Qays. Ces derniers ne peuvent se mesurer à la force de leurs
adversaires. Ils sont battus et l’armée de Hutam occupe même les villes
d’al-Qatîf 56 et d’al-Hajar 57. Mis en déroute, les ‘Abd al-Qays se réfugient
dans leur forteresse de Juwâthâ’ 58 mais ne tardent pas à être assiégés par
leurs ennemis. Le siège est si atroce que la famine les pousse à expédier
une lettre de détresse à Abû Bakr. Le calife, investi du devoir de secourir
les musulmans où qu’ils se trouvent, leur dépêche al-‘Alâ’ à la tête d’une
modeste troupe ; de fait, il ne peut leur envoyer Abbân 59, car celui-ci s’est
rangé, avec ses frères, dans l’opposition médinoise. Impossible également
d’envoyer un contingent plus important au vu du nombre de fronts ouverts.
Al-‘Alâ’ réussit cependant à s’agréger une armée en chemin : quand il
traverse les terres des Banû Hanîfa, il reçoit l’aide de Thumâma ibn Uthâl,
puis est rejoint par une partie de l’armée de Khâlid après la victoire de
Yamâma. Ainsi, disent les sources, ils sont deux mille en arrivant à
Juwâthâ’.
On ne sait pas grand-chose du déroulement de cette bataille. La nuit
venue, al-‘Alâ’ envoie un espion pour scruter les faits et gestes des
assiégeants et de leurs alliés perses. Son informateur revient lui dire qu’ils
sont ivres morts. Il décide alors de profiter du sommeil éthylique de ses
adversaires pour lancer un assaut sur eux ; l’armée musulmane a
fréquemment recours à cette stratégie de l’attaque impromptue et souvent
nocturne. Hutam se réveille en sursaut pendant l’attaque des musulmans.
Il essaye de monter sur son cheval pour fuir, mais il est si gros qu’il n’y
arrive pas. Selon une autre version, rapportée par Wâqidî, il serait
descendu de sa monture pour soulager un besoin naturel et aurait cassé son
étrier au moment de remonter en selle. Il crie pour demander de l’aide. Un
musulman s’approche dans la nuit et lui propose : « Moi je vais le faire,
donne-moi ton pied. » Quand Hutam lève le pied, le soldat musulman lui
coupe la jambe, et l’étrier avec, d’un coup de sabre. Hutam tombe par terre
en hurlant de douleur. Il supplie tous ceux qui passent à côté de lui et les
implore de l’achever pour abréger sa souffrance. Au bout d’un moment,
c’est un autre soldat musulman, du nom de Qays ibn ‘Âssim, qui le prend
en pitié et lui assène le coup de grâce. La mort de Hutam sonne le glas des
Bakr ibn Wâ’il dont les rangs se dispersent : l’armée d’al-‘Alâ’,
victorieuse, court aussitôt libérer les ‘Abd al-Qays qui quittent la
forteresse soulagés.
Face à la débâcle, les Bakr ibn Wâ’il fuient aux quatre coins de la
région. Un grand nombre d’entre eux s’empressent de rejoindre le port de
Dârîn 60 où ils s’embarquent sur des navires pour se rendre sur une île (sans
doute identifiable à l’actuel État du Bahreïn). Les musulmans les
pourchassent jusqu’à la côte. Alors que les chevaux d’al-‘Alâ’ et ses
hommes s’avancent dans la mer, le récit de la Tradition bascule dans le
merveilleux et raconte les miracles qui auraient eu lieu pendant cette
course-poursuite au milieu des flots. Dans une scène étrange que rapporte
Ibn Kathîr 61 et qui n’est pas sans rappeler celle de Moïse devant la mer
Rouge, on voit al-‘Alâ’ prier Dieu face à la mer et celle-ci s’assécher
brusquement, permettant aux soldats musulmans d’avancer sans que le
niveau de l’eau dépasse les sabots de leurs montures. On peut supposer
que les soldats musulmans ont en réalité marché sur ce qu’on appelle une
« île éphémère », phénomène maritime loin d’être rare dans cette région
du globe k. Les musulmans arrivent grâce à ce miracle à atteindre sans
difficulté les navires des fugitifs, à les mettre en pièces en une seule
journée et à s’emparer de tous leurs biens.
De son côté, Mundhir, le roi envoyé par les Perses à Bahrayn, prend
également la fuite mais a tôt fait d’être rattrapé par les musulmans.
Al-‘Alâ’ finit par l’assassiner. Vaincus, les supplétifs perses se réfugient à
al-Zâra 62 et à al-Qatîf. Cette dernière résistera, comme d’autres villes de la
région, et ne sera soumise qu’au début du règne de ‘Umar. Certains soldats
perses réussissent à rentrer chez eux et informent l’empereur perse de leur
débâcle ; d’autres capitulent et font la paix avec al-‘Alâ’ pour avoir la vie
sauve. Ils demeurent à Bahrayn où ils deviennent fermiers.
Le général musulman installe son camp à al-Hajar et écrit à Abû Bakr
pour l’informer du triomphe de son armée. À Médine, on s’extasie devant
cette victoire et on s’émerveille de l’exploit d’al-‘Alâ’, nouveau Moïse
auquel même la mer obéit ! Pour les ‘Abd al-Qays également, c’est un
véritable héros et libérateur. Devant leurs yeux admiratifs, il prononce un
discours dans lequel il leur assure que leur combat contre les
« mécréants » équivaut à celui qu’ils auraient mené du vivant du Prophète.
Au terme de la campagne du Bahrayn, les musulmans ont amassé un
butin très important ; conformément à l’usage, al-‘Alâ’ en envoie le
cinquième au calife et partage le reste entre ses soldats qui se trouvent
ainsi généreusement récompensés : Tabarî dit que chaque fantassin reçoit
la somme de deux mille dirhams et chaque cavalier le triple de la somme.
Il est à noter que dans les livres de la Tradition, le récit de telle ou telle
bataille est systématiquement suivi d’une description détaillée du butin –
femmes, montures, bétail et argent –, ce qui donne au jihâd les allures
d’une chasse au trésor… Abû Bakr écrit à son général pour le féliciter et
lui demande de rester à Bahrayn comme gouverneur. Il le restera jusqu’à
sa mort en l’an XIV (635) ou XXI (641) 63. Mais malgré sa fin glorieuse,
cette campagne n’aura pas été décisive : la situation au Bahrayn
demeurera instable et la conquête définitive de la région n’aura lieu qu’en
l’an XIII (634) de l’Hégire au début du règne de ‘Umar. À la mort d’Abû
Bakr, al-‘Alâ’ assiégeait encore les « apostats » du Bahrayn dans la ville
d’al-Zâra.
UN ÉTENDARD NOIR
SUR L’IRAK ET LA SYRIE
L’Irak, soit la basse-Mésopotamie, est alors sous domination perse : la
capitale de l’Empire sassanide, Séleucie-Ctésiphon, se trouve d’ailleurs
non pas en Iran, mais sur le Tigre, à une trentaine de kilomètres de la
future Bagdad. À l’époque, les Arabes appellent cette région Sawâd 1,
littéralement le « pays noir » : la plaine d’alluvions du Tigre et de
l’Euphrate est marécageuse et très fertile, au point que l’herbe y pousse
tellement dru qu’elle est d’un vert sombre proche du noir. Le Sawâd
s’étend globalement du sud d’al-Hîra jusqu’au golfe Persique.
Al-Hîra constitue l’un des verrous du territoire sassanide. Le puissant
Empire perse, tout comme son éternel rival byzantin, a longtemps dû subir
les razzias de tribus arabes et, pour y mettre un terme, a conclu des
alliances avec des roitelets arabes afin que leurs principautés semi-
indépendantes jouent le rôle de tampon entre l’Empire et les Bédouins.
C’est ainsi que les Lakhmides, dont al-Hîra est la capitale, s’étaient
retrouvés clients des Perses, tout comme leurs équivalents syriens, les
Ghassanides, étaient ceux de Byzance. Ces deux royaumes arabes étaient
constamment en conflit, ce qui les occupait beaucoup, au grand bonheur
des Perses et des Byzantins puisqu’ils ne risquaient ainsi jamais de
devenir une menace. L’apparition du califat à Médine est venue rompre cet
équilibre. Dans sa dynamique d’extension, le nouvel État islamique veut
d’abord imposer sa domination sur les territoires en bordure du désert en
attaquant justement les cités frontalières comme al-Hîra. D’autant que
dans cette dernière ville, le roi chrétien al-Nu‘mân ibn al-Mundhir a été
déposé et exécuté en 602 par l’empereur Khosrow parce qu’il entendait se
libérer de la tutelle perse : à sa place, celui-ci a placé sur le trône un
nouveau roi, Iyyâs ibn Qâbissa, de la tribu des Tayyi’, lequel a à son tour
été remplacé par un gouverneur perse à partir de l’an 618.
Or Abû Bakr vient justement de recevoir une demande d’aide de la part
d’un chef bédouin qui refuse de reconnaître l’autorité de ce gouverneur
perse 2. Muthannâ ibn Hâritha al-Shîbânî, c’est son nom, est issu de la
grande tribu arabe des Bakr ibn Wâ’il mais, contrairement à ses frères qui
ont rejeté au Bahrayn la tutelle califale et ont même préféré comme roi le
fils d’al-Nu‘mân ibn al-Mundhir, lui-même est resté musulman depuis sa
conversion lors de l’année des délégations et mène régulièrement des
razzias contre les Perses. Profitant de l’affaiblissement de l’Empire
sassanide empêtré, depuis la déposition de Khosrow II en 628, dans une
interminable querelle dynastique – on compte quatorze « rois des rois »
entre 628 et 632 –, Muthannâ se rend à Médine pour demander des renforts
et informe également le calife que l’heure est propice pour attaquer les
Perses.
Abû Bakr voit dans l’aide qu’il peut fournir à Muthannâ une aubaine
pour lancer un assaut contre les Sassanides. En même temps, sur le plan
intérieur, l’envoi de Khâlid vers l’Irak est une mesure d’éloignement utile
qui lui permet de calmer les critiques acerbes dont le sulfureux général
fait l’objet, tant quant au meurtre de Mâlik qu’à son mariage incongru
après le carnage de Yamâma. Il accède ainsi immédiatement à la requête
de Muthannâ en écrivant à Khâlid, d’une part pour lui dire tout le mal
qu’il pense de son comportement indigne, d’autre part pour le sommer de
se diriger vers l’Irak. Il fait porter le message par un certain Abû Sa‘îd al-
Khudrî. Ce dernier reçoit des instructions strictes : « Ne lâche pas Khâlid
avant de le voir de tes propres yeux quitter Yamâma pour l’Irak ! Tu lui
dis que des musulmans du Sawâd sont en train de combattre les Perses et
ont besoin de son secours 3. »
Au mois de Muharram de l’an XII (mars 633), Khâlid, qui a élu
domicile à Yamâma, reçoit donc la lettre de mission d’Abû Bakr. La
feuille de route est précise : lui et son armée doivent d’abord se porter vers
Ubulla 4, au sud-est de l’Irak. La ville jouit d’une situation géographique
exceptionnelle, étant à la fois située sur le golfe Persique et sur les rives
du Tigre. Son intérêt stratégique est tel que les Sassanides l’ont placée
sous administration militaire. Ensuite, ce sera au tour d’al-Hîra 5. Khâlid
lit attentivement la lettre puis dévisage le messager avec une moue
d’exaspération. Il dit à Abû Sa‘îd : « Je sais pertinemment que cet ordre ne
vient pas du tout d’Abû Bakr ; je sais qui est derrière cette décision de me
muter en Irak ! » Il soupçonne naturellement ‘Umar mais ne proteste pas
outre mesure. Ils veulent qu’il aille combattre les Perses en Irak ? Il le
fera. Il convoque ses soldats et leur annonce : « Je viens de recevoir une
lettre du calife ; il nous demande de nous diriger vers l’Irak pour continuer
notre combat. Que ceux qui veulent le butin ici-bas et le paradis dans l’au-
delà me suivent ! Moi, je pars demain. »
Parallèlement, Abû Bakr écrit à Muthannâ pour l’aviser de la venue de
Khâlid et lui demander de combattre sous ses ordres ; il ordonne
également à ‘Iyâdh ibn Ghanm, un général qurayshite, converti de la
première heure, de se rendre à Dûmat al-Jandal, véritable carrefour
commercial au confluent de l’Irak, de la Syrie et de l’Arabie, pour se
diriger depuis là-bas vers al-Hîra. L’idée est d’attaquer l’Irak sur deux
fronts, par le sud depuis Ubulla et par le nord depuis Dûmat al-Jandal 6.
Nous avions laissé Khâlid ibn al-Walîd à la fin du mois de Dhû l-Qa‘da
de l’an XII (janvier 634) abandonnant en secret son armée sur le chemin
du retour de Firâdh vers al-Hîra. C’est que ce dernier a un projet qu’il
cache à tout le monde : effectuer un pèlerinage secret à La Mecque, sans
que ses soldats s’aperçoivent de son absence 46. Malgré ce détour
important, il espère rejoindre son armée au moment où celle-ci arrivera à
al-Hîra. Il va cependant lui falloir faire preuve d’une rapidité et d’une ruse
exceptionnelles. Après avoir laissé filer ses troupes, il se retrouve
quasiment seul, hormis une poignée de proches confidents qui
l’accompagnent. Il file de Firâdh à La Mecque et, malgré la rudesse de la
route, y parvient juste à temps, au mois de Dhû l-Hijja (février 634), en
pleine saison du pèlerinage. Incognito, il se mêle à la foule nombreuse des
pèlerins et participe à la journée des sacrifices à la station de Mînâ. Puis,
avec la même célérité qu’à l’aller, Khâlid rebrousse chemin et rejoint son
armée au moment même où elle rentre dans al-Hîra.
La Tradition ne dit rien sur ce que Khâlid a bien pu faire d’autre à
La Mecque, laissant la porte ouverte à toutes les spéculations. Ce que l’on
sait, c’est que malgré la discrétion dont il a fait preuve, la nouvelle de sa
présence parvient aux oreilles d’Abû Bakr, qui se trouve lui aussi à
La Mecque pour présider au pèlerinage. Le calife tombe des nues :
« Quoi ? Khâlid était à La Mecque en même temps que moi et je ne l’ai
pas vu ? Comment est-ce possible ? » Mais l’étonnement cède vite la place
à la colère : « Khâlid est venu à La Mecque pendant que j’y présidais aux
rites et il a fait exprès de se soustraire à mon regard ? Pourquoi n’est-il pas
venu me voir ? D’ailleurs, il ne m’en a pas demandé la permission, ni
même informé ! Qu’est-il venu faire au juste ? Que me cache-t-il ? Que
prépare-t-il ? » Les questions se bousculent dans son esprit. Aucune
réponse mais des doutes à n’en plus finir. L’atout maître est-il en train de
devenir une menace ?
Étonnamment, la Tradition n’avance rien quant à ses motivations
réelles. Est-ce un accès soudain de piété qui a poussé le général à
accomplir le pèlerinage ? Il est permis d’en douter, celui-ci n’étant pas
réputé pour son observance scrupuleuse des préceptes de la religion. On a
vu qu’il se dispensait sans remords du jeûne du Ramadan. Une autre fois,
alors qu’il dirige la prière de ses soldats, il bafouille tellement dans la
récitation des versets qu’il se sent obligé de s’en excuser auprès de ses
coreligionnaires, en prétextant qu’il est tellement pris par le jihâd qu’il a
négligé d’apprendre le Coran 47…
On pourrait admettre que, lassé de ses méfaits, Khâlid ait ressenti le
besoin de se laver de ses péchés. Mais dans ce cas, pourquoi le faire
secrètement ? Qu’il dissimule son absence à ses troupes pour ne pas les
démotiver, qu’il ait soin de ne pas faire courir un bruit qui pourrait
parvenir jusqu’aux espions perses, cela peut se comprendre. Mais
pourquoi se cacher du calife ?
Le pèlerinage qu’il a accompli est donc pour le moins suspect. La
colère d’Abû Bakr montre que ce séjour a été tout de suite perçu comme
une faute grave, voire une trahison. D’abord, en laissant son armée partir
seule, sans réel commandement, Khâlid a commis une grande
imprudence : les conquêtes sur le territoire perse sont encore très fragiles
et le risque de voir l’armée sassanide et ses alliés arabes contre-attaquer
est quasiment certain. De fait, quelques mois plus tard, les Sassanides
contre-attaqueront et repousseront les musulmans, notamment à l’issue de
la bataille du Pont en octobre-novembre 634. Ensuite, Khâlid, en ne
daignant pas informer Abû Bakr de son intention d’accomplir le
pèlerinage, en ne cherchant même pas à le voir, a en quelque manière défié
son autorité.
Le calife est donc en droit de se poser des questions graves : et si
Khâlid était en réalité venu fomenter quelque complot contre le calife avec
les clans de l’aristocratie qurayshite qui n’ont jamais accepté son
« élection » ? Serait-il possible que, grisé par tant de victoires, adulé par
ses soldats prêts à mourir pour lui, il ait eu pour ambition de se « mettre à
son compte » et d’organiser un coup d’État ? Quels qu’en soient les motifs
réels, le pèlerinage de Khâlid ne restera pas impuni : le châtiment que le
calife infligera à son turbulent général sera à l’origine d’un tournant
décisif dans l’histoire de la région – et du monde…
C’est surtout le rôle politique majeur d’Abû Bakr qui le hisse au rang
de prophète : sans ces impitoyables guerres d’« apostasie » qu’il a décidé
de déclarer de sa propre initiative et malgré les objections de ses plus
proches conseillers, l’islam aurait rapidement rejoint Muhammad dans la
tombe. Le Prophète ne lui avait-il pas signifié, en le dispensant de
participer à la bataille d’Uhud (mars 625) : « Ne va pas sur le champ de
bataille, nous avons trop peur qu’il t’arrive un malheur. Si nous te perdons,
l’islam tombera dans le désordre 22 » ? Deux ans après, on est déjà loin de
ces heures de grande crise qui avaient immédiatement suivi la mort du
Prophète, quand l’islam jouait sa propre survie. La main de fer du premier
calife, armée du « sabre dégainé d’Allâh », a frappé si violemment à la
porte de l’Histoire qu’elle s’est ouverte en grand devant l’islam : les
musulmans vont se rendre maîtres du monde ! En surnommant le premier
calife nabiyy al-ridda, « le prophète de l’apostasie », la Tradition sunnite 23
montre qu’elle ne voit pas en lui un simple Compagnon parmi tant
d’autres, fût-il le premier, mais bien plus encore : le cofondateur de
l’islam et, dans une certaine mesure, son (ré)inventeur.
Les rédacteurs forcent tellement le trait que son portrait devient le
prétexte à des exagérations et des hyperboles invraisemblables. Ainsi, le
Prophète aurait affirmé que l’humanité entière serait jugée par Dieu, sauf
Abû Bakr 24 ; ‘Umar aurait prétendu qu’il aurait aimé n’être qu’un poil sur
le torse d’Abû Bakr 25 et que « ses flatulences sentent meilleur que le
musc 26 » !
Malgré ces exagérations parfois ridicules, il ressort de l’examen de son
parcours le portrait d’un homme à la personnalité complexe, pleine de
contradictions. Sous son air doux, il s’est toujours montré courageux et
ferme dans ses positions, jusqu’à l’entêtement. Ainsi est-il parfois arrivé
au tempéré Abû Bakr de devenir intraitable jusqu’à être lui-même surpris
de son intransigeance. Et de se demander encore comment il a fait pour
tenir tête à Fâtima, comment il a traité avec tant de vigueur ses multiples
27
protestations , comment il a pu résister aux contestations de tous les
Compagnons qui voulaient le dissuader d’envoyer Ussâma en Syrie. Face à
leurs objurgations concernant les guerres d’« apostasie », il est resté de
marbre, prêt à assumer seul les conséquences d’une décision politique
perçue par ses conseillers comme suicidaire. Souvent il s’est interrogé :
« Ne me connaissent-ils pas ? Ont-ils oublié que j’ai suivi Muhammad tête
baissée alors qu’il était un marginal raillé puis persécuté par sa propre
tribu ? » Plus tard, ‘Umar rendra hommage à la force et à la fermeté de son
prédécesseur en avouant : « Abû Bakr a corrigé et discipliné les gens, ce
qui m’a beaucoup facilité la tâche quand je suis par la suite devenu calife à
mon tour 28. »
Homme au caractère mesuré, Abû Bakr n’a pas connu la fureur de
l’hubris, à rebours du sanguin ‘Umar. Dans son rapport aux femmes, il a
été d’une grande discrétion. Sa vie privée a plutôt été rangée et Abû Bakr
n’a pas vécu de passion amoureuse : il n’a connu « que » quatre femmes
qu’il a fréquentées dans le cadre régulier du mariage. En premières noces,
il avait épousé Qutayla bint ‘Abd al-‘Uzza, qui lui a donné une fille,
Asmâ’, et un fils, ‘Abd-Allâh, avant qu’il ne la répudie. Il a ensuite épousé
Da‘d bint ‘Âmir, dite Umm Rummân, qui lui a donné ‘Aïsha et ‘Abd al-
Rahmân ; puis, après sa conversion à l’islam, Asmâ’ bint ‘Umays, la
veuve de Ja‘far, frère de ‘Alî, qui lui a donné un fils du nom de
Muhammad, né en l’an X de l’Hégire, pendant le pèlerinage de l’adieu.
Enfin, il s’est marié avec une Ansarienne, la Khazrajite Habîba bint
Khârija, par reconnaissance envers son père qui lui avait offert
l’hospitalité lors de son arrivée à Médine. Elle était alors enceinte : la fille
qu’elle lui donnera, Umm Kulthûm, naîtra après la mort de son père.
Sur ce point, Abû Bakr est différent de Muhammad qui a connu la
passion pour les femmes et une vie privée tumultueuse. Même les enfants
d’Abû Bakr sont sur ce point différents de leur père : lui n’a conclu que
des mariages de raison, eux, en incorrigibles romantiques, se laissent
facilement entraîner par les élans du cœur. Il s’est montré particulièrement
agacé par son fils ‘Abd-Allâh, obsédé par sa femme, la splendide ‘Âtika
bint Zayd. Un jour, excédé, il lui a demandé de la répudier 29. Son autre
fils, ‘Abd al-Rahmân 30, a lui aussi un cœur tendre : sa grande passion pour
Laylâ bint al-Jûdî l’obnubilait au point qu’il passait son temps à composer
des vers licencieux pour célébrer la femme qu’il aimait 31. Abû Bakr n’a
jamais compris comment lui, si austère, a pu avoir une progéniture aussi
libertine. Le caractère frivole de sa descendance se prolongera sur des
générations. De nombreux petits-enfants du pieux calife auront eux aussi
une réputation sulfureuse : Muhammad, le fils de ‘Abd al-Rahmân, fera
montre d’un goût prononcé pour l’alcool, ce qui lui vaudra d’être
sévèrement fouetté 32, cependant que sa petite-fille, la sublime ‘Aïsha bint
Talha, la fille d’Umm Kulthum, consciente de sa grande beauté, fera de
véritables ravages parmi les notables et les poètes galants de son temps 33.
En faisant défiler devant ses yeux clos cette vie bien remplie, Abû
Bakr alterne entre sourire et renfrognement. Mais c’est l’épuisement qui
domine. Est-ce le poids des années ou bien ce mal étrange qui le cloue au
lit depuis des jours ? Son âge avancé de soixante-trois ans ne permet plus à
son corps de résister. Pourtant, dans sa famille, on a plutôt la santé
robuste : son père, toujours en vie, a dépassé les quatre-vingt-dix-sept ans
et, lui, demeure en parfaite santé (il mourra six mois après son fils 34).
Mais Abû Bakr n’aura pas cette chance. Il sait que son heure approche.
Comme pour son prédécesseur Muhammad, la cause exacte de la mort
du premier calife est au centre de relations contradictoires ne permettant
pas de trancher : s’agit-il d’une mort naturelle ou d’un assassinat ? De fait,
la probabilité d’une mort par empoisonnement est évoquée par plusieurs
sources sunnites orthodoxes. Ibn Sa‘d et Tabarî, entre autres, rapportent
qu’il a reçu en cadeau, un an avant sa mort, un plat cuisiné, du riz ou une
soupe (harîra), qu’il a partagé avec son ami al-Hârith ibn Kalada, médecin
réputé à Médine. Dès les premières bouchées, ce dernier se serait écrié :
« Lève ta main de ce plat, Abû Bakr ! On y a mis du poison qui tue au bout
d’une année. » La Tradition 35 dit qu’en effet, un an plus tard, Abû Bakr et
Ibn Kalada meurent le même jour, tout comme ‘Attâb ibn Assîd, l’agent
du calife à La Mecque, également présent à ce repas. À l’article de la
mort, Abû Bakr aurait lui-même évoqué à demi-mot ce repas empoisonné :
quand les membres de sa famille lui demandent s’il veut qu’un médecin
vienne l’ausculter, Abû Bakr décline et répond : « J’en ai déjà vu un. »
Cette phrase, qui exprime le fatalisme du calife refusant de se soigner, est
sans doute également une allusion à la phrase fatidique prononcée par Ibn
Kalada un an plus tôt 36.
Tout comme l’hypothèse de l’empoisonnement du Prophète par une
Juive de Khaybar, qui n’aurait produit ses effets qu’à trois années de
distance 37, celle du premier calife infecté par une toxine qui aurait eu
raison de lui au bout d’un an peut laisser sceptique. Devant
l’invraisemblance de cette version, la Tradition propose un autre récit
qu’elle attribue à ‘Aïsha 38 ; et comme pour la mort du Prophète aussi, où
la Tradition évoque une pleurésie, les deux versions sont présentées sans
que l’une en particulier soit privilégiée. Ainsi, ‘Aïsha ne parle pas
d’empoisonnement mais affirme que la mort de son père est naturelle :
après s’être lavé par une journée fraîche, il aurait pris froid et aurait été
saisi d’une forte fièvre qui l’aurait cloué au lit avant de le conduire au
tombeau quinze jours plus tard. Une version attribuée à Ibn Bakkâr dit
qu’Abû Bakr était atteint d’une sorte de tuberculose 39. Sachant qu’il est
mort fin août 634, on peut se demander si cette version est recevable : une
« journée fraîche » au torride mois d’août dans le désert arabe ? Est-ce
plausible ? Un autre témoignage va pourtant dans ce sens, celui de la
veuve du calife, Asmâ’ : alors qu’elle effectuait la toilette mortuaire de
son mari, elle s’est plainte à ses Compagnons du grand froid 40. Ces détails
pointeraient donc plutôt vers une mort survenue l’hiver, à rebours de
l’unanimité de la Tradition qui la place en été.
Quoi qu’il en soit, se sentant proche de la fin, Abû Bakr songe à
présent à l’héritage qu’il va laisser. Il faut qu’il dicte son testament et
41
qu’il prenne les dispositions nécessaires pour sa succession . Pas question
de laisser l’affaire ouverte : il a pu constater ce que cela pouvait entraîner
comme tourments. Il exclut d’emblée une succession de type dynastique et
ne songe pas une seconde à transmettre la charge califale à son fils ‘Abd
al-Rahmân, qui a pourtant montré une certaine vaillance, notamment lors
de la bataille de Yamâma 42. Mais il connaît trop bien les affres du pouvoir
pour ne pas désirer en préserver son fils, d’autant que son autre fils, le
regretté ‘Abd-Allâh, a déjà payé le prix de la malédiction (on se rappelle
qu’il est mort brusquement dans les premières semaines de l’avènement
de son père 43).
Malgré la fièvre, Abû Bakr garde la tête froide. Il prie ‘Aïsha d’appeler
Ibn ‘Awf, l’un des « dix Compagnons promis au paradis 44 ». « Que penses-
tu de ‘Umar ? », lui demande le calife. Ibn ‘Awf, intrigué, répond par une
formule évasive : « Je trouve qu’il est meilleur que l’opinion que tu as de
lui. Mais je dois t’avouer que je le trouve très violent.
– C’est quand il me trouve trop clément qu’il devient dur. Mais
l’inverse est vrai aussi : quand il me trouve dur, il devient clément. Je suis
sûr que le jour où il sera au pouvoir, il changera de comportement. »
Ibn ‘Awf ne réagit pas. « Tu peux disposer maintenant, poursuit Abû
Bakr. Envoie-moi ‘Uthmân, je veux lui parler. Et promets-moi de ne rien
dire de notre discussion au sujet de ‘Umar.
– Entendu », répond Ibn ‘Awf.
Quelques minutes plus tard, ‘Uthmân ibn ‘Affân entre dans la chambre
du calife qui aussitôt l’interroge également sur ‘Umar. « Ô calife ! répond
‘Uthmân, tu me demandes mon avis sur un homme que tu connais mieux
que moi.
– Dis-moi quand même. Ton jugement m’intéresse, insiste Abû Bakr.
– Je trouve que son fond est meilleur que son apparence », dit
‘Uthmân.
Abû Bakr se tait et poursuit en poussant un soupir : « Ah, si tu savais,
‘Uthmân ! J’aurais tellement aimé ne jamais avoir à m’occuper de vos
affaires. » L’autre le regarde avec étonnement. « Tu ne dois rien répéter de
ce qu’on vient de se dire à l’instant », lui demande Abû Bakr.
Plusieurs Compagnons défilent ainsi pour donner leur avis sur ‘Umar.
Le calife recueille des réponses mitigées mais globalement favorables. On
doit ici noter que le choix des deux premiers Compagnons que le calife
consulte sur le choix de son successeur ne doit sans doute rien au hasard :
‘Uthmân ibn ‘Affân et ‘Abd al-Rahmân ibn ‘Awf sont en effet sans
conteste les plus riches Compagnons du Prophète, qui les surnommait
« les deux coffres de Dieu sur terre 45 ». Le fait qu’Abû Bakr recherche leur
approbation sur le choix de ‘Umar en dit long sur une conception de
l’autorité politique qui doit solidement s’adosser au pouvoir indispensable
de l’argent. Bien qu’il ait exigé la discrétion la plus totale, d’autres
Compagnons qui n’ont pas été convoqués ont vent de cette consultation et
comprennent sans peine que la désignation de ‘Umar comme successeur
est désormais imminente. Sans hésiter, ils se dirigent vers la maison du
calife pour le mettre en garde. L’un d’entre eux, Talha ibn ‘Ubayd-Allâh,
Compagnon prestigieux puisqu’il fait partie des huit sâbiqûn, les tout
premiers convertis, ainsi que des « dix Compagnons promis au paradis »,
et qui se trouve par ailleurs être le cousin d’Abû Bakr 46, le prévient ainsi :
« J’ai appris que tu as l’intention de nommer ‘Umar comme successeur.
Es-tu conscient de la portée de ce geste ? Tu as vu par toi-même comment
il maltraite les gens même en ta présence ; imagine ce qu’il en sera quand
il se retrouvera seul avec eux ! Que vas-tu dire à ton Dieu quand il te
demandera pourquoi tu as confié le pouvoir à ‘Umar alors que tu connais
mieux que quiconque sa brutalité, sa cruauté et sa férocité 47 ?
– Quoi ? rétorque le calife. Tu cherches à m’intimider ? Sache que si
Dieu me pose cette question, je lui dirai : “J’ai choisi le meilleur d’entre
tous !” Je te prie de bien répéter cela à tout le monde ! » Constatant sa
détermination, Talha et les autres Compagnons s’éclipsent sans rien dire.
Dès qu’ils sortent, le calife réalise que ‘Umar ne fera sans doute pas
l’unanimité et qu’il faut dès à présent déminer toute contestation future.
C’est pourquoi il demande à ‘Aïsha de faire revenir ‘Uthmân sur-le-
champ.
Quand le futur troisième calife entre de nouveau dans la chambre, Abû
Bakr n’a pas la force de se relever. Sa tête lourde lui donne des
étourdissements dès qu’il tente de s’asseoir. Mais il ressent le besoin de se
redresser, ne serait-ce que pour être quelque peu en phase avec la solennité
du moment. Il demande ainsi à ‘Uthmân de l’aider à s’asseoir dans le lit,
pénible effort pour cet homme épuisé par la maladie et par deux ans d’un
règne houleux.
« Ibn ‘Affân, lui dit-il fermement. Prends maintenant de quoi écrire :
je vais te dicter mon testament. » Rappelons que le Prophète n’avait pas eu
droit à ce privilège : quand il avait voulu dicter un testament, ‘Umar l’en
avait empêché en l’accusant de délirer à cause de la fièvre 48… Voilà à
présent Abû Bakr dans la même situation. ‘Umar ne l’accusera cependant
pas de délirer ; il faut dire que le testament est en sa faveur.
‘Uthman s’installe face au calife et place devant lui son écritoire. De
sa voix faible, Abû Bakr commence à dicter : « Au nom de Dieu, le
Clément, le Miséricordieux, voici ce qu’Ibn Abî Quhâfa, au moment de
quitter ce monde, a laissé comme testament à tous les musulmans. Ainsi
donc… »
Soudain, il se tait. ‘Uthmân lève la tête ; le calife s’est évanoui.
Curieusement, ‘Uthmân continue d’écrire seul la suite du testament : « Je
choisis ‘Umar ibn al-Khattâb comme successeur ; je n’ai guère trouvé plus
apte que lui… »
Quelques secondes plus tard, Abû Bakr revient à lui et voit que
‘Uthmân n’a pas levé le calame. « Lis-moi ce que tu es en train d’écrire »,
lui demande-t-il.
Après avoir écouté la phrase que ‘Uthman a notée pendant sa brève
syncope, le calife s’exclame : « Allâhu akbar ! Je vois que tu as complété
le testament parce que tu as cru que je n’allais pas me réveiller de cet
évanouissement ! Tu as bien fait de prendre les devants, ô ‘Uthmân ! Tu as
craint que je meure sans avoir laissé de testament et ma succession aurait
dégénéré en une grande et interminable dispute. » Abû Bakr parle en
connaissance de cause, lui qui, pour la succession du Prophète, s’est
retrouvé au cœur d’une violente tempête qui a failli dégénérer en guerre
civile.
Il l’invite à noter la suite : « Vous devez obéissance à ‘Umar. S’il
s’avère juste – et à mon avis, il le sera –, alors suivez-le. S’il ne se montre
pas à la hauteur, je n’en suis pas responsable. Je le désigne aujourd’hui en
mon âme et conscience avec la conviction que je fais là le bon choix. En
même temps, je ne connais pas l’avenir. Et ceux qui se montrent injustes
savent ce qui les attend. »
Il enlève ensuite sa bague et la tend à Uthmân : « Appose mon sceau
sur le testament. » Le futur troisième calife prend la bague du premier
calife ; avant de la poser sur le feuillet, il la regarde attentivement et
déchiffre la devise qu’Abû Bakr y a fait graver : Ni‘ma l-qâdiru Allâh,
« Allâh est le meilleur des omnipotents ». Ensuite, Abû Bakr demande que
son testament soit lu sans tarder en public, sans doute pour que les
éventuels opposants de ‘Umar soient mis devant le fait accompli.
‘Umar, qui écoute fièrement le texte du testament, nargue les
personnes présentes : « Ô gens ! Vous avez entendu ? Il m’a confié les
affaires après lui ! Obéissez aux ordres de votre calife 49 ! » L’affranchi du
calife, Shadîd, saisit alors ‘Umar par le bras et lui chuchote : « Viens avec
moi ; le calife veut te parler. » Abû Bakr reçoit son futur successeur en tête
à tête pour lui recommander d’être juste et le mettre face à ses
responsabilités. Il lui rappelle encore de craindre Dieu. ‘Umar écoute ce
sermon sans la moindre réaction, à tel point que le calife se demande si
son futur successeur l’écoute vraiment. « Tu peux sortir à présent », lui
dit-il 50.
Resté seul, le calife lève les bras au ciel : « Ô mon Dieu, sache que j’ai
pensé bien faire en confiant la tâche à ‘Umar 51 ! » Tandis qu’il est aux
prises avec le doute, il voit son épouse Asmâ’ entrer dans la chambre. Elle
s’assoit sur le bord du lit. « J’ai fait de mon mieux, lui dit-il, pour choisir
la personne adéquate qui doit me succéder. J’ai essayé de penser à l’intérêt
de tous et n’ai privilégié ni mes enfants ni les membres de ma famille.
Pour moi, ‘Umar est le meilleur choix. J’espère ne pas me tromper 52. »
De fait, malgré quelques grincements de dents, le choix de ‘Umar a
semblé à tous très naturel. Abû Bakr avait largement préparé les
musulmans à l’idée que ce dernier deviendrait un jour calife. Incapable,
pendant sa maladie, de se lever pour aller à la mosquée – comme le
Prophète deux ans plus tôt –, Abû Bakr avait déjà demandé à ‘Umar de
présider la prière à sa place. Depuis longtemps, dès les premières heures
qui avaient suivi la mort du Prophète, Abû Bakr et ‘Umar formaient un
véritable duo, comme on l’a vu lors de la réunion de la saqîfa puis lors de
la cérémonie d’investiture à la mosquée 53. ‘Umar paraissait ce jour-là plus
concerné par le califat qu’Abû Bakr lui-même, et cet acharnement avait
tout de suite paru suspect aux yeux des Compagnons. ‘Alî lui avait même
lancé : « Je vois que tu es en train de traire un lait dont tu vas boire la
moitié 54 ! »
De fait, pendant ces deux ans de règne, ‘Umar s’est affirmé comme
Premier ministre, voire comme vice-calife 55. S’il était officiellement
chargé de la magistrature, d’après Ibn al-Athîr et Tabarî 56, il intervenait en
réalité sur tous les dossiers et assurait régulièrement l’intérim 57. En
l’an XI, soit la première année du califat d’Abû Bakr, c’est lui qui avait
présidé au pèlerinage 58. Il a en outre été derrière de nombreuses mesures
importantes. On a vu 59 que c’est lui qui avait insisté pour que le calife ne
cédât rien de l’héritage du Prophète à sa fille Fâtima. C’est encore lui qui,
après la bataille de Yamâma 60 où ont péri des dizaines de récitateurs du
Coran, avait compris que la Révélation risquait d’être perdue à jamais et
avait proposé que l’on réunît en une seule compilation (mushaf) tout ce qui
était déjà conservé de la Révélation.
Toutefois, on aurait tort de penser que le rôle prépondérant de ‘Umar a
fait d’Abû Bakr un calife de pacotille. Au contraire, c’est bien ce dernier
qui prend toutes les grandes décisions, notamment en matière militaire,
comme on l’a vu quand il s’est agi d’envoyer Ussâma en Syrie ou encore
sur le sort à réserver à Khâlid ibn al-Wâlid. Le premier calife sait que son
successeur pressenti a tendance à faire passer ses sentiments personnels
avant l’intérêt de l’État, ce dont ‘Umar se plaindra bien après sa mort en le
qualifiant de « bestiole maléfique 61 ». Il ira même jusqu’à qualifier
l’élection controversée de son prédécesseur de falta 62, de « dérapage ».
Sans doute a-t-il compris un peu tard qu’il ne pourrait pas faire de son ami
un souverain fantoche.
Abû Bakr avait indéniablement de l’autorité : « De tous mes
Compagnons, il est le plus ferme 63 ! » disait de lui Muhammad. Sa grande
lucidité et son intelligence l’auront conduit à se comporter avec une
assurance certaine tandis que sa souplesse de caractère lui a conféré une
grande capacité d’adaptation. Au début, il percevait le califat comme un
fardeau et a même tenté plusieurs fois de démissionner. Il était pour lui
une source intarissable de problèmes et de drames dont il a
personnellement payé le prix : sa rupture tragique avec Fâtima, la fille de
son meilleur ami, est une blessure profonde dont il souffre toujours. Mais
au bout de quelques mois, le calife a fini par s’adapter à sa fonction. Ce
califat dont il ne voulait pas, qui lui semblait au départ être un vêtement
rêche qui gratte la peau et entrave les mouvements du corps, il aura réussi
au bout de quelques mois à en assouplir le tissu et à le porter comme une
seconde peau.
Conçu dans la saqîfa comme une autorité intérimaire dont il avait hâte
de se débarrasser, le califat a subi dans le creuset des victoires une
transmutation alchimique. Son extension géographique inouïe s’est
naturellement prolongée dans la dimension temporelle : il est devenu un
pouvoir pérenne ou, comme on dit aujourd’hui, une institution. Au terme
de ces deux ans de règne, Abû Bakr a fini par jeter les bases d’un embryon
d’État doté d’une puissante armée et d’une administration. Au sein de
celle-ci, ‘Umar était en charge de la justice, Abû ‘Ubayda des finances –
ce sont eux qui, du reste, s’étaient proposés pour ces postes 64. On
comptait en outre une équipe de secrétaires dont ‘Uthmân ibn ‘Affân et
Zayd ibn Thâbit, chargé notamment de la première collecte du Coran –
l’élaboration d’un écrit fondamental constituant un acte politique
fondateur, ici comme partout ailleurs –, sans oublier les agents en poste un
peu partout en Arabie.
Esprit pragmatique, doué d’un sens de l’État indéniablement plus élevé
que les autres Compagnons, Abû Bakr concevait le pouvoir comme une
chose publique et impersonnelle qui doit obéir à la règle de l’intérêt
général et non à la passion égocentrique et à l’ambition individuelle. On
peut même dire qu’il a eu l’esprit républicain, dans la mesure où il ne
cherchait pas à fonder une dynastie en léguant le pouvoir à son fils, et
aussi du fait qu’il comprenait la charge califale non comme une autorité
sacrée et transcendante mais comme une fonction à laquelle doit
correspondre un salaire.
En effet, après son accession à ce poste, il avait d’abord continué à
pratiquer ses activités commerciales. Mais ‘Umar et Abû ‘Ubayda lui en
avaient fait le reproche, en disant que ce travail n’était plus digne de son
nouveau rang. Se considérant comme un fonctionnaire qui doit être
rémunéré pour le temps et l’énergie qu’il consacre au service de la
communauté, Abû Bakr avait alors demandé qu’on lui versât un salaire :
« Si je renonce à mon métier de commerçant, comment vais-je subvenir
aux besoins de ma famille ? », leur avait-il dit. On lui avait alors attribué
des émoluments qu’il a très vite jugés insuffisants. De fait, quelque temps
plus tard, ‘Umar se présente chez lui et tombe sur un groupe de femmes
qui attendent le calife pour lui faire part de quelque doléance. Où a-t-il
bien pu passer ? Il part à la recherche de son ami et le retrouve au souk des
étoffes, en train de continuer son négoce. Il le prend par le bras : « Viens
par ici, toi ! Qu’est-ce que tu fais là ? On s’était mis d’accord, non ? Plus
de commerce ! Tu es le calife ! » Abû Bakr lui répond : « Je ne veux pas
de votre califat ! Ce que j’y gagne ne suffit pas à nous nourrir, moi et ma
famille ! Avant, je gagnais confortablement ma vie ; maintenant, ma
nouvelle fonction me prend beaucoup de temps et je n’arrive plus à
subvenir aux besoins de ma maisonnée.
– Ne t’en fais pas, on t’accordera une augmentation.
– En plus de l’augmentation, je veux recevoir un mouton entier par
jour.
– Un mouton entier ? Tu demandes trop, là !
– Ce n’est pas négociable », conclut Abû Bakr, qui finit par obtenir ce
qu’il a demandé. La Tradition dit qu’il percevait un salaire annuel de six
mille dirhams 65.
Il faut ici aborder la gestion financière d’Abû Bakr et son rapport
particulier à l’argent. Autrefois commerçant prospère, il n’était sans doute
pas le plus riche des Compagnons ; ce titre revenait plutôt à ‘Uthmân et à
Ibn ‘Awf, comme on l’a vu. Mais il s’était retrouvé à la tête d’une fortune
non négligeable qu’il conservait soigneusement dans un coffre dans sa
résidence secondaire à Sunh 66, chez son épouse Habîba, comme s’il
voulait le soustraire au regard de sa famille et peut-être du Prophète 67.
Quand, devenu calife, il avait fini par s’installer définitivement à Médine
six mois plus tard, il s’était vu suggérer de désigner un gardien pour
surveiller ce fameux coffre, mais il avait refusé en assurant qu’il y avait
fait poser un verrou sûr et qu’il comptait installer sa « chère cassette »,
comme dirait Harpagon, dans sa maison principale à Médine 68.
Les multiples anecdotes rapportées par la Tradition dévoilent son
rapport ambigu à l’argent. Dans le contexte apologétique qui est le sien,
celle-ci souligne évidemment sa générosité envers les musulmans et en
particulier avec les pauvres 69. On loue aussi son sens de l’équité au
moment du partage du butin : il donne la même part aux fidèles de la toute
première heure et aux nouveaux convertis, à l’homme libre et à l’esclave,
à la femme et à l’homme 70. Quand les premiers protestent, pensant que
leur ancienneté devrait leur octroyer des privilèges matériels, il les
rabroue : « Vous vous êtes convertis à l’islam pour Allâh, non pour être
payés ! Votre ancienneté vous sera peut-être utile dans l’au-delà, mais ici-
bas, tous les musulmans sont égaux 71 ! » La Tradition évoque aussi la
simplicité de ce calife qui se nourrit de viande sèche et s’habille d’étoffe
grossière 72. En somme, son statut de calife ne lui aurait procuré aucun
confort, aucun privilège matériel. Il ne léguera d’ailleurs à son successeur
que de très modestes objets de fonction : une chamelle, quelques
ustensiles et un morceau de tissu « dont la valeur ne dépasse pas les cinq
dirhams », précise Tabarî 73.
La simplicité de son mode de vie frise l’austérité. Un jour, sa femme
lui demande de lui acheter des friandises. « On n’a pas d’argent pour
s’offrir des gâteaux ! », lui rétorque-t-il. « Ne t’en fais pas, je vais faire
des économies », lui répond sa femme. Au bout de quelques jours, celle-ci
a réuni une coquette somme qu’elle donne à son mari pour qu’il lui achète
les friandises dont elle a tant envie. Alors le calife prend l’argent et le met
dans le coffre en disant à sa femme que même les économies qu’elle a
74
faites appartiennent à tous les musulmans . Si cette anecdote a pour
objectif de montrer l’extrême droiture morale d’Abû Bakr, elle souligne
en creux que ce dernier ne fait pas de distinction entre son argent
personnel et l’argent de la communauté, comme l’affirme explicitement
Muhibb-Eddîn al-Tabarî 75, ce qui ne manque pas d’entraîner des
confusions et des situations ambivalentes. Se dégage en outre de toutes ces
anecdotes le portrait d’un homme très près de ses sous, ce qui est un
défaut majeur au regard de l’éthique arabe, qui loue au contraire la
générosité, quand bien même elle irait jusqu’à la prodigalité.
De nombreux récits laissent par ailleurs entrevoir une certaine opacité
dans sa gestion des deniers publics. Personne ne sait comment il dépense
l’argent du trésor ; même ‘Umar et Abû ‘Ubayda, pourtant chargé des
finances, n’ont pas la moindre idée des sommes qu’il cache dans son
coffre personnel. À sa mort, le premier, accompagné de quelques témoins
qu’il a certainement fait venir pour les besoins du constat, ouvrent le
fameux coffre d’Abû Bakr : à leur grande surprise, ils le trouvent vide 76 !
Seule une malheureuse pièce d’un dinar finit par tomber du fond d’une
petite bourse qu’ils ont désespérément secouée 77…
Qui a bien pu vider le coffre du calife ? Sans doute pourrait-on penser
qu’il a distribué tout l’argent aux nécessiteux, de nombreuses sources
affirment cependant que, sur son lit de mort, il aurait demandé à sa fille
‘Aïsha d’y prélever la somme correspondant à son enrichissement
personnel depuis son accession au califat et de la restituer aux
musulmans 78. Dans un récit similaire rapporté par Ibn al-Athîr 79, il lui
aurait demandé de vendre après sa mort un lopin de terre pour que ses
héritiers puissent rembourser ce qu’il avait pris au trésor. Pourquoi
demanderait-il une chose pareille s’il se sentait irréprochable ? À demi-
mot, la Tradition suggère ainsi que le calife, toujours inquiet de l’argent,
était sensible à ses tentations. Certaines anecdotes dédisent l’austérité
célébrée du calife : Muhibb-Eddîn al-Tabarî n’affirme-t-il pas que le calife
et sa famille consommaient un mouton par jour 80 ?
I. Le fer et le feu
1. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/195 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/336.
2. Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 1/88.
3. Voir H. Ouardi, Les Derniers Jours de Muhammad, Albin Michel, 2016, p. 64-73.
4. Les sources ne sont pas unanimes sur la destination exacte de cette expédition : Balqâ’,
Dârûm, Âbil al-Zayt ou Abnâ’. Voir le chapitre VI des Derniers Jours de Muhammad, op. cit.
5. Voir le chapitre VI des Derniers Jours de Muhammad, op. cit.
6. Yâqût 2/128.
7. Pour cet épisode du maintien de l’expédition d’Ussâma par le calife Abû Bakr, nous nous
référons aux sources arabes suivantes : Dhahabî Târîkh 3/19-21 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/194-
196 ; Ibn Hibbân Sîra 2/427 ; Ibn Jawzî al-Muntadhim 4/73-74 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/335-342 ;
‘Issâmî Samat al-nujûm 2/338 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 1/60-61 ; Tabarî 2/244-246 ; Wâqidî
Maghâzî 3/1117-1126 ; Wâqidî Ridda 54-56.
8. Voir H. Ouardi, Les Califes maudits, vol. I : La Déchirure, Albin Michel, 2019, p. 184.
9. Ibn Kathîr Bidâya 6/335-336 ; Tabarî 2/245. Dans les sources arabes, Abû Bakr désigne les
épouses du Prophète par l’expression « Mères des Croyants » (Ummahât al-mu’minîn). Cette
appellation dissuasive correspond à la proscription divine formelle qui, dans le Coran (33:6 et
53), interdit à tous les musulmans de se marier avec les ex-femmes ou les veuves du Prophète :
quiconque le ferait commettrait une sorte d’inceste.
10. Tabarî 2/246.
11. Ibn Kathîr Bidâya 6/336 ; Wâqidî Maghâzî 3/1121 ; Wâqidî Ridda 54.
12. Wâqidî Ridda 55.
13. Tabarî 2/245.
14. Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
15. Ibn Kathîr Bidâya 6/342.
16. Ibn Kathîr Bidâya 6/336.
17. Tabarî 2/246.
18. Tabarî 2/246.
19. Wâqidî Maghâzî 3/1123.
20. Wâqidî Maghâzî 3/1123-1124.
21. Wâqidî Maghâzî 3/1125.
22. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/196 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
23. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/196 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
24. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/196 ; Tabarî 2/246.
25. Voir La Déchirure, op. cit., p. 176.
26. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/195.
27. Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
28. Dhahabî Târîkh 3/27 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/201-205 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/9.
29. Ibn Kathîr Bidâya 6/344 ; Ibn Qutayba al-Shi‘r wa-l-shu‘ara’ 180-181 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/9. Le
deuxième calife ‘Umar, pour le museler, fera jeter Hutayfa en prison pour des années (Ibn Abî l-
Hadîd Sharh al-nahj 2/28).
30. Exégèse de Tabarî 7/327.
31. Dhahabî Târîkh 3/27 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 57/213 ; Ibn Hibbân Thiqât 2/165 ; Ibn
Kathîr Bidâya 6/343 ; ‘Isâmî, Samt al-nujûm 2/337 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 157 ; Muhibb-
Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/147 ; Wâqidî Ridda 51.
32. Abû Dâwûd Sunan 4/336 ; Bukhârî 4/61 ; Ibn Abî Shayba Musannaf 11/284 ; Ibn Mâjah
2/848 ; Nasâ’î Sunan 3/441 ; Tabarânî al-Mu‘jam al-kabîr 11/315 ; Tirmidhî Sunan 4/59.
33. Yâqût 3/255-256.
34. Tabarî 2/225 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/180.
35. Pour le récit de la rébellion de Tulayha du vivant du Prophète et durant le règne d’Abû Bakr
nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî Futûh al-buldân 133-136 ; Dhahabî Târîkh
3/29-30 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 25/149-172 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/202-209 ; Ibn Hibbân
Sîra 2/428-433 ; Ibn Jawzî Muntadhim 4/77-78 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/24-27 ; ‘Isâmî Samt al-
nujûm 2/458-460 ; Tabarî 2/260-266 ; Wâqidî Ridda 81-102.
36. Ibn al-Athîr Usd 4/31 ; Ibn Hajar Isâba 4/640 ; Tabaqât 3/54.
37. Tabarî 2/225.
38. 38. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 25/156.
39. Yâqût 1/308.
40. Pour le récit de cet épisode, nous nous référons aux sources suivantes : Ibn al-Athîr al-Kâmil
2/200-205 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/342-352 ; Tabarî 2/253-259.
41. Yâqût 2/257.
42. Wâqidî Ridda 69.
43. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/202-203 ; Tabarî 2/255-256.
44. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/203 ; Tabarî 2/256.
45. Ibn Bakkâr Jamharat nasab Quraysh 1/440-553.
46. Dans son livre al-Munammaq (104-107), Ibn Habîb parle de la rivalité entre les Makhzûm et
les autres clans aristocratiques de Quraysh (les Banû Umayya notamment).
47. Dhahabî Siyar 3/111-118.
48. Dhahabî Siyar 3/517-519.
49. Yâqût 5/219-220.
50. Toutes les informations que nous avons utilisées pour le portrait de Khâlid ibn al-Walîd
figurent dans les sources de la Tradition : Dhahabî Siyar 3/223-233 ; Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb
2/427-431 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/216-281 ; Ibn al-Athîr Usd 1/585-588 ; Ibn Bakkâr
Jamharat nasab Quraysh 1/492-501 ; Ibn Hajar Isâba 2/215-219 ; Ibn al-Jawzî Sifat al-safwa
1/250-252 ; Tabaqât 4/252-254.
51. Ibn Bakkâr al-Akhbâr 465-466.
52. Tabarî 2/256-257.
53. Ibn ‘Abd Rabbih ‘Iqd 1/116-117 ; Tabarî 2/257.
54. Pour l’histoire de Fujâ’a nous nous référons aux sources suivantes : Bakrî Mu‘jam mâ
ista‘jam 3/1077 ; Balâdhurî Futûh 136 ; Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb 2/776 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil
2/207 ; Ibn Hazm Jamharat 261 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351-352 ; Tabarî 2/266 ; Wâqidî Ridda 75-
83.
55. Wâqidî Ridda 78.
56. Wâqidî Ridda 80.
57. Pour le récit de la bataille de Buzâkha, nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî
Futûh 133-136 ; Dhahabî Târîkh 3/29-30 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/205-208 ; Ibn al-Athîr
al-Kâmil 2/202-209 ; Ibn Jawzî Muntadhim 4/77-78 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/24-27 ; ‘Issâmî Samat
al-nujûm 2/458-460 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/23-37 ; Tabarî 2/260-266 ; Wâqidî Ridda 81-102.
58. Tabarî 2/260.
59. Ibn Kathîr Bidâya 6/349 ; Tabarî 2/260.
60. Wâqidî Ridda 83.
61. Wâqidî Ridda 84.
62. Wâqidî Ridda 84.
63. Wâqidî Ridda 87.
64. C’est Caetani qui propose cette date (Annali dell’ Islam 2/557).
65. Wâqidî Ridda 91.
66. Wâqidî Ridda 92.
67. Wâqidî Ridda 92.
68. Voir H. Ouardi, Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., p. 24-26.
69. Ibn Kathîr Bidâya 6/352 ; Wâqidî Ridda 94.
70. Tabarî 2/264.
71. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351.
72. Ibn Kathîr Bidâya 6/351.
73. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/207.
74. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/208.
75. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/208 ; Tabarî 2/263.
76. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/208 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/350 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/32 ; Tabarî
2/263-264 ; Wâqidî Ridda 95.
77. Kulâ‘î Iktifâ’ 2/33 ; Wâqidî Ridda 96.
78. Wâqidî Ridda 96.
79. Voir La Déchirure, op. cit., p. 125.
80. Kulâ‘î Iktifâ’ 2/33 ; Wâqidî Ridda 96-99.
81. Wâqidî Ridda 100.
82. Ibn al-Athîr Usd 2/477 ; Wâqidî Ridda 101-102.
83. Pour le récit qui concerne Umm Ziml, nous nous référons aux sources suivantes : Ibn al-
Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265. Pour Dhafar : Yâqût 4/60.
84. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/12 ; Halabî Sîra 3/253 ; Ibn Hishâm 2/617 ; Suhaylî Rawdh
7/528 ; Tabarî 2/265.
85. Yâqût 5/345.
86. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/12 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 3/261 ; Ibn Sayyid al-Nâs
‘Uyûn al-athar 2/154 ; Tabaqât 2/90 ; Tabarî 2/127 ; Wâqidî Maghâzî 2/565.
87. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265 ; Yâqût 2/314.
88. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265.
89. Yâqût 2/314.
90. Ibn Hajar Isâba 8/186 ; Tabarî 2/265. Cette phrase du prophète a également été interprétée
comme une allusion à ‘Aïsha qui, lorsqu’elle prendra part des années plus tard à la bataille du
Chameau, passera par le territoire de Hawwâb.
91. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265.
92. Pour le récit qui concerne Sajâh, nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî Futûh
138-139 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/159-160 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/210-212 ; Ibn al-
Jawzî al-Muntadhimi 4/22-24 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351-352 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/46-
50 ; Tabarî 2/268-272 ; Wâqidî Ridda 111-112.
93. Yâqût 2/134-139.
94. Balâdhurî Futûh 138.
95. Ibn ‘Abd Rabbih ‘Iqd 1/295-306.
96. Ibn Abî l-Hadîd Sharh al-nahj 17/211 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/209 ; Nuwayrî Nihâyat al-
arab 19/75.
97. Ibn Hajar Isâba 5/561 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Tabarî 2/268.
98. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/209 ; Wâqidî Ridda 68.
99. Wâqidî Ridda 104.
100. Ibn Hajar Isâba 5/561 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Wâqidî Ridda 104.
101. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/210 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhimi 4/22 ; Tabarî 2/268.
102. Yâqût 2/254-255.
103. Tabarî 2/270.
104. Pour cet épisode sur Mâlik ibn Nuwayra, nous nous sommes basés sur les sources
suivantes : Balâdhurî Futûh 136-138 ; Dhahabî Târîkh 3/32-38 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs
2/209-210 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/212-214 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhimi 4/78-79 ; Ibn Kathîr
Bidâya 6/354-355 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/50-84 ; Tabarî 2/268-275 ; Wâqidî Ridda 103-
108.
105. Dhahabî Siyar 3/18-31.
106. Tabarî 2/271.
107. Tabarî 2/271.
108. Tabarî 2/271.
109. Wâqidî Ridda 105.
110. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Tabarî 2/272.
111. Yâqût 1/545-546.
112. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/212.
113. Tabarî 2/272.
114. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209.
115. Tabarî 2/273.
116. Tabarî 2/273.
117. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/24.
118. Ibn Hajar Isâba 5/561 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213 ; Tabarî 2/273.
119. Tabarî 2/273.
120. Ibn Hajar Isâba 5/755.
121. Wâqidî Ridda 107.
122. Ibn Kathîr Bidâya 2/354.
123. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Ibn Bakkâr al-Akhbâr 502 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ;
Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/51 ; Tabarî 2/273 ; Wâqidî Ridda 105.
124. Ibn Kathîr Bidâya 6/354.
125. Wâqidî Ridda 105.
126. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209.
127. Wâqidî Ridda 107.
128. Dhahabî Siyar 3/230 ; Ibn al-Athîr Usd 1/587.
129. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab
19/51 ; Tabarî 2/273 ; Wâqidî Ridda 105.
130. Ibn Bakkâr al-Akhbâr 502.
131. Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Tabarî 2/273.
132. Dhahabî Siyar 3/227 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/240. Il s’agit d’un hadîth du
Prophète : Abû Dâwûd Sunan 4/336 ; Bukhârî 4/61 ; Ibn Abî Shayba Musannaf 11/367 ; Nasâ’î
Sunan 3/441 ; Tabarânî al-Mu‘jam al-kabîr 11/315.
133. Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Tabarî 2/273.
134. Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/84.
135. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213.
136. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/214.
137. Ibn Kathîr Bidâya 6/354.
138. Dhahabî Siyar 3/210-219.
139. Tabarî 2/274.
140. Tabarî 2/274.
141. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/224 ; Ibn Hajar Isâba 2/219.
142. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213 ; Tabarî 2/274.
143. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Tabarî 2/274.
144. Le surnom que le Prophète a donné à Khâlid lui procure une sorte d’immunité absolue (Ibn
‘Asâkir Tarîkh Dimashq 16/242-244).
145. Tabarî 2/274.
146. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213.
147. Ibn Hajar Isâba 2/218. Khâlid n’a pas exécuté cette consigne du calife puisque les sources
de la Tradition nous apprennent qu’Umm Tamîm lui a donné un fils, ‘Abd-Allâh junior (Ibn al-
Athîr Usd 1/587).
148. Majlissî Bihâr al-anwâr 8/267.
149. Haythamî Majma‘ al-zawâ’id 7/293-300.
150. Hibbân Thiqât 2/185.
151. Alûsî Rûh al-ma‘ânî 2/120 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 10/44-45 ; Ibn al-Athîr Usd
3/642-643 ; Kalbî Jamharat al-nasab (89, 105) ; Tabaqât 3/652.
152. Ibn Kathîr Bidâya 6/355 : Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/85.
153. Abd-al-Razzâq Musannaf 10/174 ; Bukhârî 8/74 ; Dhahabî Siyar 3/225 ; Ibn ‘Abd al-Barr
Istî‘âb 2/428 ; Ibn Hanbal Musnad 10/445 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/355 ; Muttaqî Kanz 1/317 ;
Nasâ’î Sunan 5/411 ; Tabaqât 2/148.
154. Dhahabî Siyar 3/225-226.
155. Ibn Hajar Isâba 2/218 ; Dhahabî Siyar 3/231 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/262 ; Ibn
Bakkâr Jamharat nasab Quraysh 1/494-495 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/131.
Sources de la Tradition
‘Abd-al-Razzâq (al-San‘ânî), al-Musannaf fî l-hadîth, éd. H. R. al-
A‘dhamî, 11 tomes, Beyrouth, al-Maktab al-islâmî, 1982 [‘Abd-al-
Razzâq Musannaf].
Abû Dâwûd (al-Sijistânî), Sunan, éd. M. A. al-Khâlidî, 4 tomes, Beyrouth,
Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1996 [Abû Dâwûd Sunan].
Abû l-Faraj (al-Isfahânî), Kitâb al-Aghânî, éd. S. Jabeur, 24 tomes,
Beyrouth, Dâr al-fikr, s. d. [Abû l-Faraj al-Isfahânî Aghânî].
Abû l-Fidâ, al-Mukhtasar fî târîkh al-bashar, 4 tomes, al-Matba‘a al-
husayniyya al-masriyya, 1907 [Abû l-Fidâ al-Mukhtasar].
Abû Hayyân (al-Andalusî), al-Bahr al-muhît fî l-tafsîr, éd. S. M. Jamîl,
11 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr, 2010 [Exégèse d’Abû Hayyân].
Abû Nu‘aym (al-Isfahânî), Hiliyat al-awliyâ’ wa-tabaqât al-asfiyâ’,
10 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr, 1996 [Abû Nu‘aym Hiliyat al-
awliyâ’].
Abû Ya‘lâ (al-Mawsilî), al-Musnad, éd. H. S. Assad, 16 tomes, Beyrouth,
Dâr al-Ma’mûn li-l-turâth, 1989 [Abû Ya‘lâ Musnad].
Alûsî al- (Shihâb al-Dîn), Rûh al-ma‘ânî fî tafsîr al-Qur’ân al-‘adhîm, éd.
A. A. Attia, 16 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1994 [Alûsî
Rûh al-ma‘ânî].
Azdî al- (Abû Ismâ‘îl Muhammad ibn ‘Abd-Allâh), Futûh al-Shâm, éd.
William N. Lees, Calcutta, Baptist mission press, 1854 [Azdî Futûh al-
Shâm].
Baghawî al- (Abû Muhammad), Ma‘âlim al-tanzîl fî tafsîr al-Qur’ân, éd.
M. A. al-Namir, U. J. Dhamiriyya et S. M. al-Harâsh, 8 tomes, Riyad,
Dâr Tîba, 1997 [Exégèse de Baghawî].
–, Sharh al-sunna, éd. S. al-Arna’ut et M. Z. al-Shâwîsh, 15 tomes,
Beyrouth-Damas, al-Maktab al-islâmî, 1983 [Baghawî Sharh al-
sunna].
Baghdâdi al- (Abû Bakr al-Khatîb), Târîkh Baghdâd, éd. M. A. ‘Atâ,
24 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1996 [al-Khatîb al-
Baghdâdî Târîkh Baghdâd].
Baghdâdî al- (Muhammad ibn Habîb), Al-Munammaq fî akhbâr Quraysh,
éd. A. F. Khurshîd, Beyrouth, ‘Âlam al-kutub, 1985 [Baghdâdî
Munammaq].
–, Al-Muhabbar, éd. Elza Lekhten Eshteter, Beyrouth, Dâr al-Âfâk al-
jadîda, 2009 [Baghdâdi Muhabbar].
Bakrî al- (Abû ‘Ubayd), Mu‘jam mâ ista‘jam min asmâ’ al-bilâd wa-l-
mawâdhi‘, éd. M. al-Saqqa, 4 tomes, Beyrouth, ‘Âlam al-kutub, 1982
[Bakrî Mu‘jam mâ ista‘jam].
Balâdhurî al-, Ansâb al-Ashrâf, éd. S. Zakkar et R. al-Ziriklî, 13 tomes,
Beyrouth, Dâr al-fikr, 1996 (le tome 1 est édité par M. Hamidullâh, éd.
Dâr al-Ma‘ârif, 1959) [Balâdhurî Ansâb].
–, Futûh al-buldân, éd. A. A. al-Tabbâ‘, Beyrouth, Mu’assassat al-Ma‘ârif
li-l--tibâ‘a wa-l-nashr, 1987 [Balâdhurî Futûh].
Baydhâwî al- (Nâsir al-Dîn), Anwâr al-tanzîl wa-asrâr al-ta’wîl, éd. M. A.
al-Mar‘ashlî, 15 tomes, Beyrouth, Dâr ihyâ’ al-turâth al-‘arabî, 1997
[Exégèse de Baydhâwî].
Bayhaqî al- (Abû Bakr), Dalâ’il al-nubuwwa wa-ma‘rifat ahwâl sâhib al-
sharî‘a, éd. A. Qal‘ajî, 7 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub
al-‘ilmiyya/Dâr al-Rayân li-l-turâth, 1988 [Bayhaqî Dalâ’il].
–, al-Sunan al-kubrâ, éd. M. A. ‘Atâ, 11 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub
al-‘ilmiyya, 2003 [Bayhaqî Sunan].
–, Ma‘rifat al-sunan wa-l-âthâr, éd. A. Qal‘ajî, 15 tomes, Le Caire, Dâr al-
wafâ, 1991 [Bayhaqî Ma‘rifat al-sunan wa-l-âthâr].
Bukhârî al-, al-Jâmi‘ al-sahîh al-mukhtasar, éd. M. Dib al-Bughâ,
6 tomes, Damas/Beyrouth, Dâr Ibn Kathîr/Dâr al-Yamâma, 1987
[Bukhârî].
Dârqutnî al-, al-Sunan, éd. S. al-Arna’ût et A. Harzallah, 5 tomes,
Beyrouth, al-Risâla, 2004 [Dârqutnî Sunan].
Daylamî al-, Irshâd al-qulûb, éd. H. Mîlânî, Téhéran, Dar al-Uswâ li-l-
tibâ‘a wa-l-nashr, 2003 [Daylamî Irshâd al-qulûb].
Dhahabî al- (Shams al-Dîn), Târîkh al-islâm wa-wafiyyât al-mashâhîr wa-
l-a‘lâm, éd. U. A. Tadmurî, 52 tomes, Beyrouth, Dâr al-kitâb al-‘arabî,
1993 [Dhahabî Târîkh].
–, Siyar a‘lâm al-nubalâ’, éd. C. al-Arna’ût, 18 tomes, Le Caire, Dâr al-
hadîth, 2006 [Dhahabî Siyar].
Diyâr Bakrî al-, Târîkh al-khamîs fî ahwâl anfas al-nafîs, 2 tomes,
Beyrouth, Dâr Sâdir, 1973 [Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs].
Hâkim al- (Abû ‘Abd-Allâh al-Nîsâbûrî), al-Mustadrak ‘alâ al-Sahîhayn,
éd. M. A. ‘Ata, 4 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1990
[Hâkim Mustadrak].
Halabî al- (Nûr al-Dîn), al-Sîra al-halabiyya ou Insân al-‘uyûn fî sîrat al-
Amîn al-Ma’nûn, éd. A. M. al-Khalîlî, 3 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub
al-‘ilmiyya, 2006 [Halabî Sîra].
Haythamî al- (Nûr al-Dîn), Majma‘ al-zawâ’id wa-manba‘ al-fawâ’id, éd.
H. al-Qudsî, 10 tomes, Le Caire, Maktabat al-Qudsî, 1994 [Haythamî
Majma‘ al-zawâ’id].
Ibn ‘Abd al-Barr, al-Istî‘âb fî ma‘rifat al-ashâb, éd. A. al-Bijawi, 4 tomes,
Beyrouth, Dâr al-Jîl, 1992 [Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb].
Ibn ‘Abd Rabbih (al-Andalusî), al-‘Iqd al-farîd, éd. M. M. Qumayha,
9 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1983 [Ibn Abd Rabbih
‘Iqd].
Ibn Abî Dâwûd (al-Sijistânî), Kitâb al-Masâhif, éd. M. ibn ‘Abda, Le
Caire, al-Fârûq al-hadîtha, 2002. [Ibn Abî Dâwûd Kitâb al-Masâhif].
Ibn Abî l-Hadîd, Sharh nahj al-balâgha, éd. M. A. Ibrâhîm, 20 tomes,
Le Caire, Dâr ihyâ’ al-kutub al-‘arabiyya, 1959 [Ibn Abî l-Hadîd Sharh
al-nahj].
Ibn Abî Shayba (Abû Bakr), al-Musannaf fî l-ahâdîth wa-l-âthâr, éd. A. H.
al-Jum‘a et M. I. al-Lahyadân, 16 tomes, Riyad, Maktabat al-rushd,
2004 [Ibn Abî Shayba Musannaf].
Ibn ‘Arabî (Muhyî l-Dîn), Muhâdharat al-abrâr wa-musâmarat al-akhyâr,
éd. M. A. al-Nimrî, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, Beyrouth, 2001 [Ibn
‘Arabî, Muhâdharat al-abrâr].
Ibn ‘Asâkir (Abû l-Qâsim), Târîkh madînat Dimashq, éd. M. al-‘Amrâwî,
80 tomes, Beyrouth, Dâr al-Fikr, 1995 [Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq].
Ibn al-Athîr (Majd al-Dîn Abû l-Sa‘âdât), al-Nihâya fî gharîb al-hadîth
wa-l-âthâr, éd. A. al-Halabî al-Atharî, 5 tomes, Jeddah, Dâr Ibn al-
Jawzî, 2000 [Ibn al-Athîr al-Nihâya fi gharîb al-âthâr].
–, Jâmi‘ al-usûl fî ahâdîth al-raysûl, éd. A. al-Arnâ’ût, 12 tomes, Matba‘at
al-Malâh, 1970 [Ibn al-Athîr Jâmi‘ al-usûl].
Ibn al-Athîr (‘Izz al-Dîn), al-Kâmil fî l-târîkh, éd. U. A. Tadmurî,
10 tomes, Beyrouth, Dâr al-kitâb al-‘arabî, 1997 [Ibn al-Athîr al-
Kâmil].
–, Usd al-ghâba fî ma‘rifat al-sahâba, 6 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr,
1989 [Ibn al-Athîr Usd].
Ibn Bakkâr (Zubayr), al-Akhbâr al-muwafaqiyyât, éd. S. M. al-‘Ânî,
Beyrouth, ‘Âlam al-kutub, 1996 [Ibn Bakkâr al-Akhbâr].
–, Jamharat nasab Quraysh wa-akhbâruhâ, éd. A. H. Al-Jarrâkh, 2 tomes,
Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 2010 [Ibn Bakkâr Jamharat nasab
Quraysh].
Ibn Hajar al-‘Asqalânî, al-Isâba fî tamyîz al-sahâba, éd. A. M. Bijaoui,
8 tomes, Beyrouth, Dâr al-jîl, 1991 [Ibn Hajar al-Isâba].
–, Fath al-bârî bi-sharh sahîh al-Bukhârî, 13 tomes, Beyrouth, Dâr al-
ma‘rifa, 1959 [Ibn Hajar Fath al-bârî].
Ibn Hanbal, al-Musnad (Musnad Ahmad), éd. S. al-Arna’ût et al.,
50 tomes, Beyrouth, Mu’asasat al-risâla, 2e éd., 1999 [Ibn Hanbal
Musnad].
–, Fadhâ’il al-sahâba, éd. W. M. Abbâs, 2 tomes, Beyrouth, Mu’asasat al-
risâla, 1983 [Ibn Hanbal Fadhâ’il al-sahâba].
Ibn Hazm (al-Andalusî), al-Muhallâ bi-l-âthâr, éd. A. S. al-Bindârî,
12 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 2003 [Ibn Hazm al-
Muhallâ].
–, Jamharat ansâb al-‘arab, éd. A. M. Hârûn, Le Caire, Dâr al-Ma‘ârif,
1982 [Ibn Hazm Jamharat].
Ibn Hibbân, al-Sahîh, éd. S. al-Arna’ût, 18 tomes, Beyrouth, Mu’asasat al-
risâla, 1988. [Ibn Hibbân Sahîh].
–, al-Sîra al-nabawiyya wa-akhbâr al-khulafâ’, éd. S. Azîz Beyk, 2 tomes,
Beyrouth, Al-kutub al-thaqâfiyya, 1996 [Ibn Hibbân Sîra].
–, Kitâb al-thiqât, éd. M. A. Khân, 9 tomes, Hayderabad, Dâ’irat al-
ma‘ârif al-‘uthmâniyya, 1973 [Ibn Hibbân Thiqât].
Ibn Hishâm, al-Sîra al-nabawiyya, éd. M. al-Saqqa et al., 2 tomes,
Le Caire, Maktabat Mustafâ al-Halabî, 1955 [Ibn Hishâm].
Ibn Hubaysh (Abû l-Qâsim), Kitâb al-ghazawât, éd. A. ‘Unîm, Le Caire,
Matha‘at Hassan, 1983 [Ibn Hubaysh Ghazawât].
Ibn Ishâq, Kitâb al-siyar wa-l-maghâzî (al-Sîra), éd. S. Zakkâr, Beyrouth,
Dâr al-fikr, 1978 [Ibn Ishâq Sîra].
Ibn al-Jawzî, al-Muntadhim fî târîkh al-mulûk wa-l-umam, éd. M. A. ‘Atâ
et M. A. ‘Atâ, 19 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1992 [Ibn
al-Jawzî al-Muntadhim].
–, Sifat al-safwa, éd. A. Ben Ali, 2 tomes, Le Caire, Dâr al-hadîth, 2000
[Ibn al-Jawzî Sifat al-safwa].
Ibn Kathîr (Abû l-Fidâ‘ al-Qurayshî), Tafsîr al-Qur’ân al-‘adhîm, éd.
S. M. Salâma, 8 tomes, Beyrouth, Dâr Tîba li-l-nashr wa-l-tawzî‘,
2e éd., 1999 [Exégèse d’Ibn Kathîr].
–, al-Bidâya wa-l-nihâya, éd. A. Shîrî, 14 tomes, Dâr Ihyâ’ al-turâth
al-‘arabî, 1988 [Ibn Kathîr Bidâya].
–, al-Sîra al-nabawiyya (extrait d’al-Bidâya wa-l-nihâya), éd.
M. Abdelwâhid, Beyrouth, Dâr al-ma‘rifa li-l-tibâ‘a wa-l-nashr, 1976
[Ibn Kathîr Sîra].
Ibn Khaldûn, Dîwân al-mubtada’ wa-l-khabar fî târîkh al-‘arab wa-l-
barbar, éd. K. Shehada, 8 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr, 1988 [Ibn
Khaldûn Târîkh].
Ibn Khallikân, Wafiyyât al-a‘yân wa-anbâ’ abnâ’ al-zamân, éd. I. Abbâs,
7 tomes, Beyrouth, Dâr Sâdir, 1994 [Ibn Khallikân Wafiyyât al-a‘yân].
Ibn Mâjah, al-Sahîh (Sunan Ibn Mâjah), éd. M. F. ‘Abd al-Bâqî, 2 tomes,
Beyrouth-Damas, Dâr al-fikr, s. d. [Ibn Mâjah Sunan].
Ibn Manzûr, Mukhtasar târîkh Dimashq, éd. R. Nahhâs, R. A. Murâd et
M. Mutî‘, 29 tomes, Beyrouth-Damas, Dâr al-fikr, 1984 [Ibn Manzûr
Mukhtasar].
Ibn Qutayba (al-Dînawarî), al-Ma‘ârif, éd. T. ‘Ukâsha, Le Caire, al-Hay’a
al-misriyya al-‘âmma li-l-kitâb, 1960 [Ibn Qutayba Ma‘ârif].
–, Ta’wîl mukhtalaf al-hadîth, al-Maktab al-islâmî Mu’asasat al-Ishrâq,
1999 [Ibn Qutayba Ta’wîl mukhtalif al-hadîth].
–, al-Imâma wa-l-siyâsa, éd. A. al-Shîrî, 2 tomes, Beyrouth, Dâr al-
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Titre
Copyright
I - LE FER ET LE FEU
II - LE JARDIN DE LA MORT
NOTES
SOURCES ARABES
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
REMERCIEMENTS