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© Éditions Albin Michel, 2019

ISBN : 978-2-226-44720-3

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ُّ ‫ﺎل‬ َ َ َ ‫أن‬
َّ ‫اﻋﻠَ ُﻤﻮا‬
‫ﻮف‬
ِ ‫اﻟﺴ ُﯿ‬ ِ ‫اﻟﺠﻨّ َﺔ ﺗَ ْﺤ َﺖ ِﻇﻠ‬ ْ
« Sachez que le paradis se trouve à l’ombre des sabres »
I

LE FER ET LE FEU
ُّ ‫ﺎل‬ َ َ َ ‫أن‬
َّ ‫اﻋﻠَ ُﻤﻮا‬
‫ﻮف‬
ِ ‫اﻟﺴ ُﯿ‬ ِ ‫اﻟﺠﻨّ َﺔ ﺗَ ْﺤ َﺖ ِﻇﻠ‬ ْ
« Sachez que le paradis se trouve à l’ombre des sabres »

a
Hadîth du Prophète

‘Aïsha surprend des éclats de voix venant de la pièce voisine. Elle tend
l’oreille. Abû Bakr, son père, est encore en train de se disputer avec son
plus proche allié, ‘Umar. Elle commence à y être habituée : depuis qu’il
est devenu calife à la saqîfa, et surtout depuis que Fâtima l’a maudit à la
mosquée et que son fils ‘Abd-Allâh est mort soudainement, sa colère
explose pour un oui ou pour un non. Impatiente de connaître le motif de
cette nouvelle querelle, et fidèle à sa manie de l’espionnage b, elle
entrouvre imperceptiblement la porte. La scène qu’elle découvre est
ahurissante.
Son père, tout menu, tire le colossal ‘Umar par la barbe et hurle : « Tu
oses encore me demander de désobéir aux ordres donnés par le
Prophète ! ? Que ta mère te perde 1, Ibn al-Khattâb ! Que ta mère te
perde ! » ‘Umar baisse la tête et quitte rapidement la pièce en s’apercevant
que ‘Aïsha est témoin de cette humiliation. « Que se passe-t-il ? »,
demande-t-elle à son père qui la foudroie du regard. Sans attendre de
réponse, elle referme aussitôt la porte et disparaît.
Le calife reste seul ; il ferme les yeux et se tient la tête entre les mains.
Puis nerveusement, il fait tourner sa bague sur laquelle il a fait graver sa
devise, Ni‘ma al-qâdiru Allâh, « Allâh est le meilleur des omnipotents 2 ».
Sa propre irascibilité l’effraie. Où sont passés son flegme et sa douceur ?
Fâtima les lui aurait-elle ravis pour les emmener avec elle dans la tombe ?
Si elle savait combien il a tenté, en vain, de renoncer à ce califat ! À
présent qu’on lui a refusé cette grâce, il ne tolère de personne qu’on
conteste ses décisions, encore moins qu’on le contrarie. Même ‘Umar,
auquel il doit en grande partie d’être à la tête de la Umma, ne peut
s’arroger le droit de discuter son dernier décret : conformément aux ordres
donnés par le Prophète quelques jours avant sa mort 3, Ussâma, à la tête de
l’armée, marchera sur la Syrie.
En effet, durant les derniers jours de sa vie, le Prophète déjà gravement
malade avait décidé d’envoyer son affranchi préféré, Ussâma ibn Zayd, à
la tête d’une armée contre Byzance 4 et avait ordonné à ses plus éminents
Compagnons, dont Abû Bakr et ‘Umar, de se joindre à cette expédition.
Cette décision avait suscité chez ses proches un profond malaise,
notamment en raison du choix d’Ussâma, qui était trop jeune – dix-neuf
ans – et d’un rang inférieur au leur. Comment accepter de se trouver sous
les ordres du fils d’un ancien esclave ? Le Prophète s’était mis dans une
colère noire et, malgré son état très dégradé, avait sommé violemment ses
amis de rallier les rangs de l’armée d’Ussâma 5. Ce dernier avait réuni ses
troupes au Jorf 6 non loin de Médine ; mais alors qu’il allait se mettre en
ordre de marche, la nouvelle de la mort de Muhammad lui était parvenue
et tout s’était brusquement arrêté. L’expédition était ainsi au point mort
depuis plusieurs semaines, et pour presque tout le monde ce projet fou –
marcher sur Byzance ! – n’avait aucune chance de réussir sans le
Prophète.
Abû Bakr, pour sa part, est bien déterminé à se montrer fidèle à cette
ultime injonction prophétique et décide de relancer cette expédition 7. Aux
yeux de ses conseillers et partisans, cet entêtement est jugé par trop
téméraire : un climat d’insécurité plane sur Médine, tant du fait des
dissensions internes qui couvent encore que de la menace des tribus arabes
massées à ses abords 8. Qui va défendre la ville si l’armée marche sur
Byzance ? Abû Bakr n’ignore rien de la gravité de la situation : n’a-t-il pas
lui-même demandé à de nombreux Compagnons de faire le guet dans la
crainte d’un probable et imminent assaut de quelques tribus arabes ?
C’est pourquoi les proches du calife ne cessent de revenir à la charge,
‘Umar en tête, comme toujours : « Tu dois absolument faire revenir
Ussâma du Jorf, lui avait-il dit avec fermeté. Tu le vois bien : les Arabes
se sont soulevés contre toi. Il n’est pas prudent de te séparer de cette
armée ; elle est indispensable à notre protection. » Abû Bakr, assis par
terre impassible, l’écoute en silence tandis que ‘Umar poursuit : « Tu sais
que l’armée d’Ussâma compte tous les soldats musulmans ; autour de
nous, les Arabes ont apostasié en masse et toi, tu envoies une armée
combattre les Rûms (les Byzantins) ! On ne peut pas se le permettre !
C’est insensé ! » Abû Bakr écarquille les yeux et, se levant d’un bond,
s’approche de ‘Umar avec un regard menaçant avant de vociférer contre
lui : « Quoi ! Que dis-tu là ? Serais-tu en train de me demander de
transgresser les ordres du Prophète ? Je jure par Dieu que même si les
rapaces et les lions autour de Médine devaient me ravir et me dévorer,
jamais, au grand jamais, je ne dédirai un ordre donné par le Prophète !
Ussâma partira ! Même si les chiens devaient tirer les épouses du Prophète
par les pieds, l’armée d’Ussâma partira 9 ! » ‘Umar prend peur ; il a
rarement vu son ami, si calme à l’ordinaire, dans une telle fureur. Il se tait
et, voyant Abû Bakr reculer d’un pas, ferme les yeux de soulagement. Il
voit les autres Compagnons se tenir en retrait, la tête baissée, et cherche
dans leurs yeux un secours qui ne viendra pas. Il dit alors au calife, d’une
voix brisée : « Je vois que Dieu a ouvert ta poitrine au combat ! Nous
ferons ce que tu as décidé.
– Je préfère cette réponse », murmure Abû Bakr en retournant
s’asseoir.
Quelques jours plus tard, ‘Umar réussit à faire sortir Abû Bakr de ses
gonds une seconde fois, alors qu’il vient lui présenter une requête
similaire, émanant cette fois des Ansârs : « Ils réclament que tu nommes
quelqu’un d’autre à la tête de l’armée ; Ussâma est trop jeune », lui dit-il.
Déjà le Prophète avait violemment critiqué ceux qui osaient remettre en
question ce choix, et Abû Bakr n’entend pas dévier de cette ligne :
« Comment ? Que ta mère te perde, Ibn al-Khattâb ! Le Prophète le
nomme et tu m’intimes de le limoger ? Tu oses me demander de désobéir
aux consignes laissées par le Prophète ? » ‘Umar sort d’autant plus
humilié qu’il a vu que, cette fois, ‘Aïsha a assisté à la scène. Devant la
maison du calife, les Ansârs l’attendent impatiemment. « Alors, qu’a-t-il
dit ? », s’enquièrent-ils. ‘Umar, rouge de colère, leur crie au visage :
« Hors de ma vue ! Qu’est-ce que je n’ai pas entendu à cause de vous 10 ! »
‘Umar et ses amis restent tourmentés par des questions sans réponse :
pourquoi Abû Bakr s’entête-t-il dans une si grande imprudence ? Que sont
devenus son flegme et son sens tactique qui lui avaient justement permis
de se faire désigner comme le successeur du Prophète ? Certes, il avait
bien annoncé, dans son discours d’investiture, que parfois un djinn le
possédait et qu’il pouvait être sujet à des accès de violence, mais là, c’est
l’ensemble de la communauté musulmane qu’il met en péril… Depuis le
scandale de Fâtima, après qu’il l’a privée de son héritage, il se fait un
devoir impérieux de respecter à la lettre les ultimes consignes du
Prophète, afin de prouver aux autres et à lui-même qu’il n’a pas trahi sa
mémoire en déshéritant sa fille. Il garde au plus près de lui l’étendard que
le Prophète avait noué de ses mains avant de mourir. En revanche, alors
que Muhammad avait insisté pour que tous les Compagnons de premier
rang se joignent à l’assaut contre Byzance, il se montre moins inflexible
sur ce point. Il va voir Ussâma et lui demande de dispenser ‘Umar du
jihâd : « Permets qu’il reste à Médine, je te prie ; car j’ai grand besoin de
lui. » Celui-ci accepte 11.
L’ordre du calife est finalement mis à exécution et l’armée se remet en
ordre de marche au Jorf. Abû Bakr y passe en revue trois mille hommes et
mille chevaux selon Wâqidî 12, plutôt sept cents soldats selon d’autres
comme Tabarî 13 et Ibn Kathîr 14, chiffre plus plausible dans la mesure où
les « opposants » à Abû Bakr, encore nombreux tant parmi les Ansârs que
les Qurayshites, ne prennent pas part à cette expédition. Ibn Kathîr 15
indique explicitement que les tensions politiques découlant de la
succession houleuse du Prophète ont réduit considérablement le nombre de
combattants engagés dans l’armée du calife. En outre, la Tradition nous
apprend que les Compagnons les plus célèbres restent alors à Médine pour
la protéger contre l’assaut imminent des tribus qui l’encerclent. Ceux qui
partent sont essentiellement ceux que l’on surnomme ahl al-suffa, les
« gens du banc », qui n’ont d’autres revenus que le butin du jihâd et que le
nouveau calife doit bien entretenir comme le faisait le Prophète.
De cette même Tradition ne se dégage d’ailleurs aucun consensus sur
le déroulement de cette campagne : les uns 16 disent qu’Ussâma a remporté
la bataille contre les Rûms quand d’autres 17 affirment qu’il n’y a tout
bonnement pas eu d’affrontement avec les Byzantins car les musulmans ne
les ont pas trouvés à l’endroit indiqué par le Prophète… Certains récits,
rapportés par Tabarî 18, affirment qu’Abû Bakr l’a envoyé combattre non
les Byzantins, mais des tribus arabes vivant aux confins de la Syrie et de
l’Arabie et ayant abandonné l’islam à la mort du Prophète. Cette confusion
est révélatrice, une fois de plus, d’un malaise dans la Tradition : Ussâma
a-t-il été envoyé combattre Byzance pour se conformer aux consignes du
Prophète ? Ou s’agissait-il, très prosaïquement, de lancer une razzia afin
d’obtenir un butin et de calmer les troupes ? Couvre-t-on, ici comme
ailleurs, le simple brigandage du voile de l’épopée ?
Il ressort en tout cas assez nettement de ces récits contradictoires
qu’Ussâma a bel et bien mené des attaques féroces contre de nombreuses
tribus qui ne faisaient pas partie du contingent byzantin. Il en réfère pour
cela aux consignes prophétiques : « L’Envoyé de Dieu m’a demandé de
lancer l’attaque sans préavis, de brûler et de détruire 19. » Décrivant
l’expédition d’Ussâma, Wâqidî 20 raconte avec force détails comment il
tue, vole, incendie les maisons et les cultures ; le feu se propage tellement
qu’on dirait une tempête de fumée. L’empereur Héraclius s’en inquiète ;
son frère lui conseille de poster une armée sur le plateau d’al-Balqâ’, sur
la rive est du Jourdain, pour se préparer à une offensive des musulmans –
laquelle aura bien lieu, mais deux ans plus tard. Après quelques semaines
d’absence – quarante ou soixante-dix jours selon les versions –, Ussâma
rentre sain et sauf à Médine où il est accueilli à bras ouverts par Abû Bakr.
Les deux hommes font une prière à la mosquée pour remercier Dieu 21.
La prise de risque en apparence inconsidérée du calife – envoyer une
poignée d’hommes, et non les meilleurs, se frotter à la plus puissante
armée du monde en laissant le siège de son pouvoir à découvert – s’avère
un coup de génie politique. D’abord, il se pose en exécuteur scrupuleux du
testament prophétique. Ensuite, il accorde au jeune Ussâma, si cher au
cœur de Muhammad, une dignité militaire que lui refusaient tous les
autres Compagnons, tout en l’éloignant de Médine en ces jours incertains,
ce qui garantit qu’il ne viendra pas grossir à son tour les rangs des
partisans de ‘Alî et de la famille du Prophète. En outre, comme l’affirment
maints rédacteurs de la Tradition, l’armée d’Ussâma, en passant par
plusieurs bourgs, sème l’effroi chez les habitants. De nombreuses tribus se
disent alors : « Puisque Abû Bakr envoie cette expédition pour en
découdre avec Byzance, c’est qu’il doit avoir une armée encore plus
puissante qui est restée à Médine 22. » Gros « coup de bluff » donc,
démonstration de force en trompe-l’œil destinée à créer une illusion de
puissance dans l’esprit de ses opposants réels ou potentiels. L’efficacité de
cette manœuvre est attestée par la Tradition qui affirme que partout où
l’armée d’Ussâma est passée, les gens, par crainte, ont renoncé à
« apostasier 23 ».
Enfin, l’insistance de la Tradition 24 sur le butin important amassé par
Ussâma révèle les raisons financières qui motivent le maintien de son
expédition. Le calife a besoin de lever des fonds pour se préparer à la
« guerre totale » qu’il projette de déclarer aux tribus arabes qui refusent de
se soumettre à son autorité. C’est sans doute cette même raison,
rappelons-le, qui avait justifié à ses yeux sa décision de déshériter Fâtima
et de nationaliser les biens laissés par le Prophète 25.
En somme, avec l’expédition d’Ussâma, Abû Bakr annonce la couleur
de son règne : une guerre chronique.

Avec le maintien de l’expédition d’Ussâma, Abû Bakr fait preuve


d’une audace politique insoupçonnée de la part de cet homme discret qui a
vécu dans l’ombre du Prophète mais en est visiblement le digne disciple.
Abû Bakr vient de donner le ton de son règne ; il ne reculera pas devant le
danger. Au lendemain de son arrivée au pouvoir, il se trouve confronté à
une situation explosive : opposition intérieure de la part de la famille du
Prophète et de nombreux Ansârs, opposition extérieure de la majorité des
tribus arabes qui refusent de reconnaître l’autorité du calife 26.
Au lendemain de l’avènement d’Abû Bakr, la Tradition 27 affirme que
seules La Mecque, Médine et Tâ’if restent fidèles à l’islam, voire qu’au
lendemain de la mort du Prophète la prière du vendredi n’est plus célébrée
que dans ces trois cités. Dans le reste de l’Arabie, les tribus manifestent un
refus du pouvoir central du calife qu’elles estiment contraire à
l’organisation sociale tribale (‘assabiyya) et justifient leur retour à
l’autonomie par le refus de l’hégémonie de Quraysh sur l’Arabie. À ces
tribus, le calife décide de déclarer une « guerre totale » surnommée les
« guerres d’apostasie » (hurûb al-ridda).
La fronde généralisée des tribus arabes prend plusieurs formes 28.
Certaines estiment que l’islam a disparu avec la mort de son fondateur et
ont donc apostasié en revenant aux croyances de leurs ancêtres. Ce rapide
abandon de l’islam s’est trouvé facilité par le caractère récent de la
conversion de plusieurs tribus, d’autant que la majorité se sont converties
par peur ou par opportunisme. Le Coran dénonce dans plusieurs versets la
conversion suspecte des Bédouins (al-A‘râb en arabe) : « Ils vous feront
des serments pour vous plaire, mais si vous êtes satisfaits d’eux, Dieu
n’est pas satisfait d’un peuple pervers. Les A‘râb sont les plus violents en
fait d’incrédulité et d’hypocrisie et les plus enclins à méconnaître les lois
contenues dans le Livre que Dieu a fait descendre sur son Prophète. –
Dieu sait et il est juste. – Plusieurs A‘râb considèrent leurs dépenses pour
le bien comme une charge onéreuse ; ils guettent vos revers. Que le
malheur retombe sur eux ! – Dieu est celui qui entend et qui sait » (9 : 96-
98). Dans un autre verset de la même veine, on lit : « Les A‘râb disent :
“Nous croyons !” Dis : “Vous ne croyez pas, mais dites plutôt : Nous nous
soumettons.” La foi n’est pas entrée dans votre cœur ! » (49 : 14). La mort
de Muhammad a révélé la fragilité de la communauté qu’il a créée : cela
est vrai aussi bien à Médine, comme on l’a vu lors de l’élection
mouvementée d’Abû Bakr, que dans l’ensemble de l’Arabie.
Par ailleurs, de nombreuses tribus, tout en se considérant toujours
comme musulmanes, contestent la légitimité d’Abû Bakr. Beaucoup de
chefs arabes arguent du caractère personnel de l’allégeance faite à
Muhammad et qui est de fait devenue caduque avec sa mort. Ils refusent
donc l’autorité de son successeur et ne voient pas pourquoi ils
renouvelleraient avec lui l’allégeance faite au Prophète. Pour eux, Abû
Bakr n’est pas un successeur légitime, mais un Qurayshite qui souhaite les
dominer : les tribus arabes ne comprennent ni ne reconnaissent cette
transmission tribale du pouvoir totalement étrangère à leurs mœurs. Les
sources arabes ont gardé la trace de cette contestation qui s’exprime
parfois en des vers satiriques dans lesquels les poètes n’hésitent pas à
tourner en dérision le nom du premier calife, en rappelant que le mot bakr
désigne la chamelle. Le célèbre poète al-Hutay’a, apprenant l’élection
d’Abû Bakr, s’écrie ainsi :

Nous avons du vivant du Prophète obéi.


Mais, malheur ! Abû Bakr, d’où tient-il son crédit ?
Le Prophète aurait-il de son pouvoir nanti
Un chamelon ? Par Dieu ! J’en suis abasourdi c 29.

La contestation des Arabes, de nature plus politique que religieuse, se


manifeste notamment par une sorte de « désobéissance civile » qui
consiste à refuser de payer au calife la taxe de la zakât (« aumône
légale »). La rétention de la zakât est considérée par Abû Bakr comme une
preuve d’apostasie, bien que ces tribus n’aient pas renié la religion
musulmane. Il jure de punir tous ceux qui dissocient la prière de la zakât
et prétendent rester musulmans sans avoir à s’acquitter de la seconde.
Même l’impétueux ‘Umar, réticent à déclarer ces guerres, ne réussit pas à
faire plier le calife.
« Tu devrais avoir une attitude plus modérée, dit-il à Abû Bakr. Sois
clément avec les gens. Après tout, ils se disent musulmans, même si pour
le moment ils refusent de payer la zakât. Au nom de quoi vas-tu combattre
les gens ? Le Prophète disait : “J’ai reçu l’ordre de combattre les hommes
jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu et que Muhammad est
son Envoyé ; quiconque prononce cette profession de foi, son sang et ses
biens seront épargnés.” Or les gens que tu veux combattre ont prononcé
cette profession de foi : donc tu dois les épargner ! »
Abû Bakr, irrité, rétorque à ‘Umar : « Je jure par Dieu que je vais
combattre tous ceux qui dissocient la prière de la zakât. L’islam est un tout
indivisible. Quand on n’applique pas ne serait-ce qu’un seul de ses cinq
piliers, c’est comme si on renonçait aux quatre autres.
– Mais…, balbutie ‘Umar.
– Moi qui comptais sur ton soutien, tu viens me décourager,
l’interrompt Abû Bakr. Pendant la Jâhiliyya [l’époque d’« ignorance »
antéislamique], je t’ai connu fort ; et quand tu es devenu musulman, tu es
devenu lâche ! » ‘Umar baisse la tête. Il sait qu’Abû Bakr fait allusion à sa
honteuse désertion au moment de la défaite d’Uhud, en mars 625 : ‘Umar,
de son propre aveu, avait alors « fui avec les fuyards 30 ».
Abû Bakr poursuit : « D’après toi, comment devrais-je donc m’y
prendre pour que les gens payent la zakât ? Devrais-je leur réciter des
poèmes ? Leur faire des tours de magie ? Tout cela est fini maintenant ! Le
Prophète est parti, la Révélation s’est arrêtée. Il ne me reste que la force
du sabre. Je les combattrai tant qu’ils omettront de me remettre ne serait-
ce qu’une corde qu’ils donnaient au Prophète ! » ‘Umar, admiratif, lui
répond : « Je vois que Dieu a ouvert ta poitrine au combat 31 ! »
Il faut bien comprendre que cette zakât est l’unique lien concret qui
rattache les musulmans de l’Arabie au pouvoir central de Médine. C’est
par elle seule que se marque l’appartenance à la communauté et même à
un État islamique, dans la mesure où les autres piliers de l’islam – la
shahâda ou profession de foi, la prière, le jeûne de ramadan et le
pèlerinage – sont des actes individuels pour lesquels l’appartenance à une
collectivité n’est pas nécessaire. Dès lors que seule cette obligation fiscale
permet de créer le lien communautaire trans-tribal entre les musulmans,
elle a non seulement une fonction religieuse, économique et sociale, mais
encore une signification politique de premier plan : elle est le signe de la
vassalité. Voilà pourquoi Abû Bakr insiste tant sur ce point. C’est là la
preuve que ses guerres d’« apostasie » sont des guerres politiques et
économiques couvertes par le voile de la religion.
Le calife intègre par ailleurs dans la catégorie des « apostats »
auxquels il décide de faire la guerre les tribus arabes qui ne se sont jamais
converties à l’islam. Un grand nombre de dissidences s’étaient fait jour du
vivant du Prophète, lequel avait assisté à l’apparition de « prophètes »
rivaux : Aswad al-‘Ansî, Talha (ou Tulayha) al-Asdî, Musaylima ibn
Habîb al-Hanafî et la prophétesse Sajâh, que nous retrouverons tous
bientôt. La mort de Muhammad n’a fait que stimuler l’extension d’un
mouvement déjà existant. Le succès de ces « faux prophètes » qui
cristallisent autour d’eux les opposants au nouveau régime est en grande
partie le fruit de la rivalité entre Quraysh et les autres tribus. Quoique
musulmans, de nombreux Arabes ne voyaient en effet en Muhammad
qu’un Qurayshite ; après sa mort, les chefs des tribus se demandent
désormais s’il ne vaudrait finalement pas mieux pour eux qu’ils aient leur
propre prophète.
L’accusation d’apostasie va ainsi être maniée de manière abusive
puisqu’elle va viser même ceux qui n’ont jamais été musulmans. Refusant
de prendre en considération la moindre nuance, le calife met dans le même
sac tous ceux qui refusent son autorité, l’apostasie réelle, supposée ou
inventée de ces tribus lui fournissant le casus belli d’une guerre sans
merci. Pour justifier les campagnes militaires tous azimuts qu’il s’apprête
à lancer, il invoque un hadîth du Prophète : « Celui qui change sa religion,
tuez-le 32. » Pourtant, dans le Coran, l’évocation de l’apostasie ne contient
aucune allusion à des représailles : « Ô vous qui croyez ! Quiconque
d’entre vous rejette sa religion, Dieu fera bientôt venir des hommes ; il les
aimera et eux aussi l’aimeront » (5 : 54 d). Le premier calife s’apprête
ainsi à jeter les bases d’un phénomène appelé à un bel avenir : non pas la
politisation de l’islam, mais l’islamisation de la politique.

Tulayha (diminutif de Talha) ibn Khuwaylid, seigneur illustre de la


puissante tribu des Banû Assad, qui campe à Samîrâ’ 33, non loin de
Médine, est l’un de ceux que la Tradition présente comme des « faux
prophètes 34 ». Du vivant de Muhammad, Tulayha s’est déclaré lui-même
prophète et a réussi en peu de temps à réunir autour de lui de nombreux
adeptes ainsi qu’à obtenir le soutien de nombreuses tribus prestigieuses,
comme les Ghatafân, les Banû ‘Âmir, les ‘Abs, les Dhubiyân ainsi que les
clans Jadîla et Ghawth de la tribu des Tayyi’ 35. Les Ghatafân en particulier
ne sont pas des inconnus : tribu installée au nord de Médine et formée de
plusieurs clans (Ashjâ’, ‘Abs, Anmâr et Dhubiyân ; ce dernier, le plus
important, lui-même composé des Fazâra, Tha‘laba ibn Sa‘d et Murra),
elle a été l’alliée de Quraysh dans son conflit avec Muhammad. Le
Prophète n’a jamais réussi à conclure un pacte avec eux.
Tulayha se retrouve ainsi entouré de chefs jouissant d’un grand crédit
auprès des Arabes, en particulier ‘Uyayna ibn Hisn du clan des Fazâra,
homme riche et influent chez les Ghatafân, au point que ‘Uthmân, futur
troisième calife qui affectionne les alliances prestigieuses (il a épousé
deux des filles du Prophète), a également épousé sa fille Umm al-Banîn 36.
Fort de sa position et de ses puissantes alliances, Tulayha avait même osé
défier Muhammad. Déjà, au cours de la dernière maladie du Prophète, il
lui avait envoyé un message de menaces 37 ; il planifiait
vraisemblablement un assaut sur Médine. Après la mort de Muhammad,
les plus sceptiques finissent par rallier le nouveau prophète : « Maintenant
que Muhammad est mort, il ne nous reste plus qu’à suivre Tulayha. »
Même ceux qui s’étaient convertis à l’islam se sont rétractés : « Après
tout, mieux vaut pour nous être soumis à un prophète des Assad plutôt
qu’à un prophète de Quraysh 38. »
Quand la coalition de Tulayha, composée d’anciens musulmans, mais
aussi de clans qui se considèrent toujours musulmans et refusent
uniquement de verser la zakât au nouveau calife ainsi que d’Arabes qui
n’ont jamais embrassé l’islam, apprend que Médine se retrouve sans
défense après le départ de l’armée d’Ussâma, elle se prépare à l’attaque.
Assisté de ses deux frères Salâmiya et Hibâl, Tulayha quitte Samîrâ’ pour
s’installer dans son quartier général à Buzâkha 39, important point d’eau
sur la terre des Assad, où les tribus sont réunies dans un grand campement
– l’accès à l’eau est en effet un enjeu capital de toutes ces guerres. Un
autre contingent, dirigé par Hibâl, le frère de Tulayha, se répartit en deux
groupes : le premier s’installe à Dhû l-Qassa, à une trentaine de
kilomètres, le second à Abraq al-Rabadha, un lieu-dit à cent cinquante
kilomètres environ de Médine e.
C’est ainsi qu’un jour, Abû Bakr apprend avec surprise l’arrivée à
Médine d’une délégation de ces tribus qui souhaite le rencontrer 40. Il
ordonne qu’on les fasse venir. Les deux chefs de la délégation, ‘Uyayna
ibn Hisn et Aqra’ ibn Hâbis, entrent dans la maison du calife et
l’informent aussitôt qu’ils ne comptent pas abjurer l’islam mais qu’ils
refusent seulement de s’acquitter de la zakât auprès de lui. Abû Bakr
refuse catégoriquement et les renvoie en menaçant de les combattre.
‘Umar, présent lors de l’entrevue, lui conseille d’accéder à leur requête,
mais il demeure inflexible. Le calife ne croit pas une seconde en la
sincérité de la démarche de cette délégation et a immédiatement compris
le motif réel de sa visite. Il ne s’agit ni de négocier ni même d’informer,
mais bien d’espionner Médine, d’en inspecter les failles à exploiter pour
l’attaque imminente qui se prépare.
Le calife demande aux habitants de Médine de se mettre en état
d’alerte. Lors d’une réunion à la mosquée, il leur annonce : « La terre est
retombée dans la mécréance ; la délégation qui est venue me voir a bien
constaté que nous étions peu nombreux. Ils peuvent nous attaquer d’un
instant à l’autre, de jour comme de nuit. Ils sont campés non loin de vous.
Ils croyaient, en venant me voir, que nous allions les ménager ; or, nous
les avons repoussés. Alors, tenez-vous prêts ! »
Tous les habitants de Médine doivent se réfugier dans la mosquée,
cependant qu’à l’entrée de la ville, le calife place des hommes pour faire
le guet : parmi eux, ses anciens opposants ‘Alî, Talha, Zubayr, Ibn Mas‘ûd
et Sa‘d ibn Abî Waqqas, qu’il charge de surveiller les voies d’accès à la
ville, notamment les chemins montagneux alentour. Il est fort probable
que la menace sérieuse qu’un « ennemi objectif » fait planer sur la ville ait
fait sortir les opposants de leur réserve : s’ils ne sont toujours pas
convaincus de la légitimité d’Abû Bakr, ils éprouvent pour l’heure le
besoin de serrer les rangs. De son côté, ce dernier met à profit cette
situation pour les impliquer en vue de les intégrer à terme au nouveau
régime ; en les plaçant aux avant-postes comme gardiens de la ville, il leur
accorde une place en apparence stratégique, mais aussi très exposée au
danger.
L’assaut ne tarde pas. Trois jours après la visite de la délégation, les
troupes de Tulayha lancent une attaque nocturne sur Médine. Mais les
musulmans, avisés, les attendent à l’entrée de la ville ; ils réussissent non
seulement à repousser les assaillants mais à les poursuivre jusqu’à leur
base arrière dans l’oued de Dhû l-Hussâ, sur la terre de Sharaba où vivent
les ‘Abs et les Ghatafân, toujours selon Yaqût 41. Las ! Les musulmans
s’aperçoivent aussitôt qu’ils viennent de tomber dans un guet-apens. Leurs
adversaires ont confectionné des baudruches avec des intestins de
chameaux et les projettent dans les pattes de leurs montures. Les
musulmans perdent le contrôle de leurs bêtes affolées et rebroussent
chemin à la hâte. Fortes de ce succès, les tribus alliées à Tulayha croient
en la victoire. Elles renforcent leurs rangs en demandant à ce que le
groupe campant à Abraq rejoigne celui de Dhû l-Qassa pour lancer une
nouvelle attaque vigoureuse sur Médine.
Abû Bakr sait qu’on ne lui accordera aucun répit. Persuadé que la
meilleure défense est l’attaque, il décide de lancer à son tour un assaut sur
ses adversaires campés à Dhû l-Hussâ. Il quitte Médine à la tête d’une
équipée au sein de laquelle les trois frères Ibn Muqarrin – Nu‘mân, ‘Abd-
Allâh et Suwayd – forment sa garde rapprochée. ‘Umar, quant à lui, est
curieusement absent de cette première action. Ils marchent de nuit jusqu’à
Dhû l-Hussâ sans faire le moindre bruit et se ruent sur leurs adversaires au
petit matin. Ces derniers, pris de court, prennent la fuite et se réfugient
dans leur camp principal à Dhû l-Qassa : première avancée importante
pour le calife qui réussit dès lors à éloigner la menace sur la ville. Laissant
sur place un contingent avec à sa tête Nu‘mân pour tenir la place, il rentre
à Médine auréolé d’une première victoire qui lui vaut l’appui de quelques
tribus arabes. La Tradition rapporte ainsi que le soir même de son arrivée
à Médine il reçoit la visite de délégués de quelques tribus, Zibriqân ibn
Badr des Banû Tamîm et ‘Adiyy ibn Hâtim des Tayyi’ notamment, venus
lui remettre des dons (sadaqât) et l’assurer de leur soutien 42.
Galvanisé par son premier succès militaire en tant que calife et
redoutant sans doute de nouvelles offensives ennemies, Abû Bakr est
désormais décidé à lancer une attaque de grande envergure contre les
tribus alliées à Tulayha. Mais la prudence lui dicte d’attendre le retour de
l’armée d’Ussâma avant d’entreprendre la moindre action. Quelques jours
plus tard, et après plusieurs semaines d’absence, Ussâma et ses soldats
rentrent à Médine les bras chargés d’un important butin. Abû Bakr l’invite
à se reposer et à garantir la protection de Médine pendant qu’il mène
personnellement l’assaut décisif sur Dhû l-Qassa.
C’est ainsi qu’au mois de Jumâda II de l’an XI de l’Hégire, soit en
septembre 632, les armées musulmanes s’engagent dans leur première
grande opération militaire sous la conduite de leur nouveau calife.
L’armée d’Abû Bakr parvient à disperser les troupes ennemies et à les
poursuivre jusqu’à Abraq où elle livre bataille contre le contingent de
Khârija ibn Hisn, de la tribu des Fazâr. C’est une victoire éclatante pour
les musulmans. Dans la foulée, l’armée califale attaque les habitants de
Rabadha, provoquant la déroute des tribus de ‘Abs. Le poète al-Hutay’a de
la tribu de ‘Abs, célèbre pour ses vers assassins contre le calife, est
capturé. Après en avoir expulsé la tribu des Dhubiyân, Abû Bakr établit
son quartier général à Abraq al-Rabadha désormais occupée par ses
troupes.
Au bout de quelques jours, il revient à Dhû l-Qassa où il a laissé une
partie de son armée et ne tarde pas à subir une contre-attaque des rebelles
sous la conduite de Khârija ibn Hisn. Les rangs des musulmans sont
éparpillés et le calife doit même, selon Tabarî, se cacher à ‘Ajama. Il
appelle des renforts qui arrivent sans délai : des escadrons des tribus amies
– Aslam, Ghafâr, Ashjâ’, Muzîna, Juhayna et Ka‘b – rallient le gros des
troupes et un nouvel assaut est lancé sur Dhû l-Qassa. C’est la victoire.
L’armée adverse est défaite. Expulsés de leurs terres, les ‘Abs et les
Dhubiyân courent rejoindre Tulayha qui campe en son quartier général de
Buzâkha 43.
Occupant désormais toute la région de Sharaba, Abû Bakr,
contemplant la vallée qui se déploie sous ses yeux, s’exclame : « De quel
beau don Dieu nous a gratifiés ! Il serait vraiment dommage que les
musulmans ne puissent en jouir 44 ! » C’est ainsi qu’il décide d’en faire un
domaine de l’État (hamâ), transformant tout ce territoire en pâturage pour
les chevaux et chameaux de son armée et les troupeaux des musulmans,
malgré les protestations des propriétaires des lieux. « Pourquoi nous
empêches-tu de rentrer chez nous ? se plaignent-ils. – Ce n’est plus chez
vous. C’est un butin de guerre qui désormais m’appartient », leur réplique-
t-il froidement.
Après être demeuré quelques jours à Dhû l-Qassa pour s’assurer que la
situation est bien sous contrôle, Abû Bakr rentre à Médine, son pouvoir
consolidé. Sa première réussite militaire a transformé un combat défensif
en une véritable conquête. Le premier calife est désormais confiant : ayant
réussi à repousser la menace, il se sent prêt à défier ses opposants aux
quatre coins de l’Arabie. Et aussitôt commencent les préparatifs d’une
guerre sur plusieurs fronts.
Le calife réunit son armée à Dhû l-Qassa métamorphosée en camp
militaire et la répartit en plusieurs bataillons chargés chacun d’aller
combattre une tribu « apostate » dans une région où s’est déclaré un
mouvement d’insurrection : au Najd, à Yamâma, au Bahrayn, à Oman et au
Yémen. Le commandement de la faction la plus importante est confié à
Khâlid ibn al-Walîd. Le commandement militaire est une tradition
familiale pour ce général quadragénaire. Né autour de 592, Khâlid ibn al-
Walîd ibn al-Mughîra, désigné par la kunya Abû Sulaymân, est issu des
Banû Makhzûm, un prestigieux clan qurayshite. Les Makhzûm sont de
père en fils des cavaliers de grande renommée 45, ce qui leur octroie une
place privilégiée dans la tribu, bien qu’ils ne descendent pas en ligne
directe du grand ancêtre Qussay ibn Kilâb. En tant que Makhzûmite,
Khâlid a ainsi été initié très jeune à la cavalerie et au maniement des
armes. En plus de leurs talents de cavaliers, les Banû Makhzûm jouissent
d’une grande richesse et d’un excellent « pedigree » 46. Walîd, le père de
Khâlid, était l’un des hommes les plus fortunés de la tribu. Son grand-père
paternel, Mughîra, était un grand seigneur qurayshite qui a eu plusieurs
fils célèbres dont le célèbre Abû Jahl – l’un des pires ennemis de
Muhammad –, Abû Umayya –, père d’Umm Salama, l’une des épouses du
Prophète, et de Muhâjir ibn Abî Umayya qui s’illustrera par d’importants
faits d’armes – et enfin Hishâm, le grand-père maternel de ‘Umar.
La grand-mère maternelle de Khâlid, Hind, est pour sa part surnommée
« la Vieille aux gendres les plus prestigieux ». Le premier de ses gendres
n’est autre que Muhammad, qui a épousé successivement deux de ses
filles : Zaynab bint Khuzayma puis, après le décès de celle-ci, Maymûna
bint al-Hârith. Ses autres gendres sont les oncles du Prophète, ‘Abbâs (qui
a épousé sa fille Umm al-Fadhl) et Hamza 47 (qui a été marié à sa fille
Arwâ). La fameuse Asmâ’ bint ‘Umays, la plus jeune fille de Hind, a quant
à elle épousé successivement Ja’far, le cousin du Prophète et frère de ‘Alî,
puis le calife Abû Bakr et enfin ‘Alî lui-même 48.
Avant sa conversion à l’islam, Khâlid s’était d’abord illustré lors de la
bataille d’Uhud en combattant du côté des Qurayshites hostiles à
Muhammad ; la défaite des musulmans était en partie attribuable à la
présence de ce jeune homme qui alliait le courage et l’intelligence. Après
l’armistice d’al-Hudaybiyya en 628, il s’était converti à l’islam et s’était
installé à Médine aux côtés du Prophète, lequel était ravi de voir ses rangs
consolidés par la présence de ce militaire particulièrement doué. Khâlid
était devenu d’autant plus proche de Muhammad que plusieurs alliances
matrimoniales renforçaient leurs liens, puisque trois femmes de sa famille
étaient les épouses du Prophète, comme on l’a vu.
En l’an VIII de l’Hégire (septembre 629), Khâlid, encore simple
soldat, avait pris part à la bataille de Mu’ta 49 contre les Byzantins. Malgré
la déconfiture des musulmans et la mort des trois chefs d’armée désignés
par le Prophète, Khâlid s’était battu avec témérité. On dit que c’est grâce à
sa bravoure et à sa ruse que l’armée musulmane avait pu éviter une
extermination totale. Il avait en effet ordonné à ses cavaliers de soulever
beaucoup de poussière pour faire croire à l’ennemi que des renforts étaient
arrivés, avant d’ordonner un repli rapide. Les Byzantins, croyant que les
musulmans leur tendaient un piège, avaient renoncé à les poursuivre et ces
derniers avaient ainsi pu quitter le champ de bataille sains et saufs. En
apprenant que Khâlid avait brisé neuf sabres au combat à Mu’ta, le
Prophète s’était exclamé d’admiration : « Khâlid est le glaive dégainé de
Dieu (sayf Allâh al-maslûl) ! » ; il avait pris conscience qu’il avait
désormais un guerrier de génie à son service. Le premier calife compte
également mettre à profit les talents de Khâlid, lequel se trouve aussi être
le neveu de son épouse Asmâ’ bint ‘Umays 50.
Khâlid exprimera très tôt son soutien à Abû Bakr quand ce dernier sera
confronté à une opposition virulente. Ibn Bakkâr rapporte ainsi son
discours au lendemain de l’élection du calife 51.
À Dhû l-Qassa, le calife remet à ses troupes une lettre de sommation à
l’adresse des tribus rebelles, leur enjoignant de se soumettre plutôt que de
subir les représailles des armées musulmanes :

« Au nom d’Allâh, le Clément, le Miséricordieux,


De ‘Abd-Allâh ibn ‘Uthmân f, vicaire du messager d’Allâh, à
tous ceux à qui on lira cette missive, qu’il soit musulman ou
qu’il ait renoncé à l’islam, je salue ceux qui ont suivi le droit
chemin (hudâ) et renoncé à la perdition. J’ai appris que
nombreux parmi vous ont renié l’islam. Je vous envoie Khâlid
ibn al-Walîd à la tête d’une armée qui réunit Ansârs et
Émigrants ; je lui ai donné l’ordre de ne combattre personne
avant de l’avoir invité à adorer Dieu. Si vous désobéissez, j’ai
ordonné à Khâlid de vous combattre de la plus violente des
manières, de ne pas vous épargner, de vous brûler vifs, de
s’emparer de votre argent et de capturer vos femmes et vos
enfants. Vous voilà prévenus ! Celui qui prévient est excusé !
La paix sur les croyants ; Allâh est ma force 52 ! »

Abû Bakr plie la lettre, y appose son sceau et la remet à Khâlid. Il


prend encore soin de donner à son général les instructions suivantes :
« Avant de lancer une attaque, envoie vers chaque tribu quelques hommes
à l’heure de l’appel à la prière ; s’ils ne l’entendent pas, tu sauras que tu as
affaire à des apostats. À ce moment-là, tes hommes ont carte blanche pour
attaquer, voler, tuer et brûler. Mais s’ils entendent l’appel à la prière, alors
convoque les chefs de cette tribu et somme-les de verser la zakât. Puis
envoie secrètement un émissaire aux chefs de ces tribus pour leur proposer
une somme d’argent qui sied à leur rang. Vois si tu peux compter sur eux.
S’ils refusent de te suivre, alors tu lances l’assaut. Mais fais cela de nuit,
pendant leur sommeil, afin qu’ils n’aient aucune occasion de riposter 53. »

Au lendemain du départ de Khâlid ibn al-Walîd pour mener la guerre


contre Tulayha, Abû Bakr reçoit la visite de Bujayr ibn Iyyâs ibn ‘Abd
Yâlila. Cet homme de la tribu des Banû Sulaym a reçu le sobriquet d’al-
Fujâ’a, « l’impromptu », car il a l’habitude de se jeter à l’improviste sur le
passage des caravanes pour piller et tuer 54. « Comme vous le savez, dit-il
au calife, j’ai passé ma vie à détrousser les caravanes et à voler les
Bédouins ; puis je me suis converti à l’islam et j’ai fait pénitence quand
Dieu m’a montré le droit chemin. Aujourd’hui, je viens vous proposer
mon aide dans votre combat contre les apostats. Je pense que je peux vous
être très utile. Ma carrière dans le brigandage m’a permis de connaître
tous les recoins de l’Arabie : je sais où se cachent les tribus dans le
désert. »
Abû Bakr l’écoute attentivement mais ne laisse paraître aucune
réaction.
« J’aimerais t’aider, poursuit Fujâ’a, mais les moyens me manquent ;
donne-moi des chevaux et des armes et tu verras comment je vais ratisser
le désert en pourchassant les apostats. Je pourrais seconder Khâlid ibn al-
Walîd et atteindre les tribus hors de sa portée. Je te promets d’attraper
quiconque refuse de se convertir à l’islam : je lui tranche la tête et je te
l’envoie à Médine. »
Abû Bakr ne dit toujours rien.
Fujâ’a continue sur un ton larmoyant : « S’il te plaît ! Donne-moi
l’occasion d’expier les fautes de ma vie d’antan en me mettant au service
de l’islam ! » Abû Bakr demeure silencieux ; il réfléchit à la proposition
de ce brigand expérimenté qui pourrait effectivement lui être très utile. Au
bout de quelques minutes, il lui déclare : « C’est entendu ! Je ne vais pas
te priver de l’occasion d’expier tes fautes en combattant sur le sentier
d’Allâh. » Il ordonne qu’on lui fournisse sur-le-champ une dizaine de
chevaux et beaucoup d’armes. Il réquisitionne même dix musulmans pour
l’accompagner, probablement pour surveiller de près l’ancien brigand dont
il doit tout de même se méfier.
Fujâ’a quitte ainsi Médine en faisant semblant de rejoindre Khâlid ibn
al-Walîd pour l’aider dans son combat contre Tulayha. En réalité, il n’en
fait rien : toute cette comédie visait uniquement à escroquer le calife. Une
fois hors de vue de la cité, il passe par le territoire de sa tribu et appelle les
siens, les Banû Sulaym, en renfort. Aussitôt ils s’occupent de liquider les
dix musulmans mandatés par Abû Bakr, puis Fujâ’a distribue les
munitions et l’attirail fournis par le calife à quelques hommes de sa tribu,
qu’ils mettent immédiatement à profit pour attaquer les musulmans vivant
au sein des tribus de Sulaym, ‘Âmir et Hawâzan ; ils les dépouillent avant
de les tuer. Pendant trois mois, Fujâ’a et ses hommes sévissent ainsi,
faisant d’innombrables victimes. Quand ces nouvelles parviennent à
Médine, Abû Bakr est catastrophé et se mord les doigts d’avoir fait
confiance à cet escroc. Il lui faut pourtant réagir toutes affaires cessantes :
il convoque Turayfa ibn Hâjiz en le sommant de mettre le brigand hors
d’état de nuire. Il le place à la tête d’une équipée de trois cents hommes et
lui demande de ramener le scélérat mort ou vif. Turayfa réussit à trouver
Fujâ’a et, au terme d’une bataille féroce, le capture vivant. Enchaîné, il est
envoyé à Médine. Selon Wâqidî 55, c’est même directement à Khâlid ibn
al-Walîd qu’Abû Bakr a fait appel, le chargeant d’intervenir rapidement,
quitte à suspendre sa marche sur l’armée de Tulayha. Khâlid aurait ainsi
chargé trois cents de ses hommes de capturer Fujâ’a.
Abû Bakr, fou de rage, condamne Fujâ’a à mort. « Pas question de lui
couper la tête ! Ce serait une fin trop honorable pour cette vermine. Il faut
qu’il souffre ! » Il ordonne à ses hommes de dresser un grand bûcher dans
le cimetière de Médine sur l’espace où l’on fait la prière (musallâ). On
amène Fujâ’a les pieds liés et les mains ligotées derrière son dos et, d’un
revers de la main, le calife exige qu’il soit jeté vivant dans les flammes.
Abû Bakr observe le spectacle de l’homme qui se tord dans le brasier. Au
bout de quelques minutes, les mouvements de la silhouette s’arrêtent ;
Fujâ‘a s’écroule, réduit, selon les termes de Wâqidî 56, en un tas de
charbon. Abû Bakr ne le réalise pas encore mais cette image le hantera. À
l’article de la mort, il regrettera d’avoir ordonné une exécution aussi
cruelle.
Alors que Khâlid ibn al-Walîd est en route vers Buzâkha, des fissures
commencent à apparaître dans les rangs hétéroclites de Tulayha 57. Le chef
des Tayyi’, ‘Adiyy ibn Hâtim, fils de Hâtim al-Tâ’î à la générosité
légendaire g, incite les hommes de sa tribu à ne plus suivre Tulayha et à
demeurer musulmans ; il leur demande d’envoyer la zakât au nouveau
calife. Il prend les devants et, se rendant en personne à Médine remettre
les chameaux de l’aumône, il est reçu par un Abû Bakr ravi de se voir
gratifier de ce soutien inespéré : Adiyy lui propose même de combattre
avec lui contre les « apostats ».
Le calife lui conseille alors d’aller convaincre sa tribu et ses alliés
d’abandonner Tulayha avant que l’armée de Khâlid ibn al-Walîd ne les
atteigne : « Sauve-les avant qu’ils ne soient détruits ou dévorés 58 ! » Adiyy
met en garde les siens : « Désolidarisez-vous des Assad ! Le nouveau
calife a l’intention de leur faire la guerre et vous perdrez de toutes les
façons ! » Au départ, il se heurte à une résistance farouche : « Jamais nous
ne ferons allégeance à Abû l-Fassîl ! », lancent-ils par défi, en employant à
dessein le surnom péjoratif d’Abû Bakr h. Adiyy leur rétorque : « Il vous
livrera bataille jusqu’à ce que vous l’appeliez Abû l-Fahl al-Akbar, le père
du grand étalon 59. » Devant l’insistance et les avertissements, les Tayyi’
finissent par changer d’avis ; ils combattront désormais avec les
musulmans.
Ayant eu vent du retournement d’un grand nombre des Tayyi’, les
Ghatafân commencent à nourrir des doutes sur la pertinence de leur
ralliement à Tulayha, d’autant plus que de nombreux seigneurs de cette
tribu ne sont pas à l’aise avec leur soumission à la tribu rivale des Assad.
Quand la nouvelle de l’approche de Khâlid ibn al-Walîd parvient jusqu’à
eux, quelques membres des Ghatafân font défection. C’est le cas d’un
certain Ziyâd ibn ‘Abd-Allâh al-Ghatafânî qui, accompagné de ses
cousins, se rend de nuit au camp de Khâlid pour lui faire allégeance. Ce
dernier l’accueille bien évidemment à bras ouverts, se réjouissant de voir
que le camp adverse présente des signes d’effritement avant même qu’il
lui ait porté le premier coup. Ayant appris la défection de Ziyâd et ses
cousins, les autres membres de la tribu des Ghatafân se mettent à leur tour
à douter. ‘Uyayna ibn Hisn a beau essayer de réconforter les membres de
sa tribu : « Que craignez-vous ? On n’a rien à se reprocher ! Il n’y a
aucune honte à se rallier à Tulayha 60 », sa voix trahit une profonde
inquiétude. Il se hâte de rendre visite à son prophète pour se rassurer :
« Dis-moi, as-tu reçu la visite de l’ange Gabriel depuis qu’on a campé ici à
Buzâkha 61 ? » Tulayha répond que non. ‘Uyayna transpire. La gorge nouée
de peur, il insiste : « Penses-tu qu’il va te rendre visite ces jours-ci ? »
Tulayha hausse les épaules avec une indifférence qui renforce encore
l’inquiétude du chef tribal : n’est-il pas en train de commettre une erreur
en suivant cet homme ?
Le même doute gagne aussi le camp des Banû ‘Âmir. Inquiet de
l’approche de l’armée musulmane, Qurra ibn Hubayra ibn Salama al-
Qushayrî commence à avertir les siens : « Gare à vous ! Si l’armée de
Khâlid l’emporte sur celle de Tulayha, ce sera notre perte ! » Mais les
membres de sa tribu refusent de suivre son conseil : « Nous sommes
mieux placés qu’Abû Bakr pour percevoir la zakât ! Jamais nous
n’accepterons de la lui verser 62 ! »
Malgré ces premiers signes encourageants, Khâlid adopte une attitude
prudente et ne lance pas immédiatement l’assaut : après tout, il ignore tout
de l’état des troupes ennemies stationnées à Buzâkha. Il poste ses
divisions face au camp adverse et charge deux de ses hommes d’aller
l’inspecter de nuit, mais les deux espions sont démasqués. Khâlid ibn al-
Walîd, ne les voyant pas revenir, commence à s’inquiéter, part à leur
recherche et les trouve morts. L’affaire a fait prendre conscience au camp
de Tulayha que l’armée califale était tapie dans l’ombre, toute proche. Un
vent de panique souffle malgré les appels au calme de Tulayha, qui
affirme avoir des visions de l’ange Gabriel 63.
Khâlid ibn al-Walîd lui fait parvenir plusieurs appels à la reddition,
mais il refuse de se rendre et la bataille de Buzâkha a finalement lieu entre
les mois de Rajab et Sha‘bân de l’année XI de l’Hégire, soit en septembre-
octobre 632 64. Elle est sanglante. Les hommes, sur le champ de bataille, se
récrient : « Jamais nous ne ferons allégeance à Abû l-Fassîl ! »
De telles remarques disséminées dans la Tradition interrogent sur les
motifs réels de ces guerres dites d’« apostasie » : s’agit-il de faire revenir
les apostats vers l’islam – sachant que Tulayha ne s’était pour sa part
jamais rallié à la prédication de Muhammad –, d’arracher une allégeance
au nouveau régime de Médine comme le suggère Wâqidî, ou de répondre à
un enjeu financier, la zakât ? Les fils du religieux et du politique forment
un maillage très serré.
Tulayha, pour sa part, se tient à l’écart des combats. Confiné dans sa
tente avec son épouse Nawwâr, il encourage son proche allié ‘Uyayna ibn
Hisn : « Va donc combattre ! Quant à moi, je dois rester ici pour accueillir
Gabriel, qui ne tardera sûrement plus à venir avec les anges pour nous
soutenir 65 ! » Le chef tribal, impatient, vient de temps à autre vérifier si
l’ange Gabriel est enfin venu et en profite pour donner au prophète des
nouvelles du front, qui sont mauvaises. Tulayha le fustige : « Mais qu’est-
ce qui vous arrive ? Pourquoi ne parvenez-vous pas à prendre le dessus ?
– Nous nous battons pour survivre ; mais les musulmans, eux, se
battent dans l’espoir de mourir 66 ! », répond ‘Uyayna. Si Tulayha dit tant
compter sur l’aide des armées angéliques, c’est parce qu’il reprend par là
un motif des victoires « miraculeuses » de Muhammad, notamment celle
de Badr : si les siens l’emportent, ce soutien du ciel renforcera son aura de
prophète. Mais vu la tournure que prennent les choses, il se prépare plutôt
à prendre la fuite avec sa femme.
L’armée de Tulayha finit par essuyer une cuisante défaite. Tous ses
soutiens se retournent contre lui : « Tu es un imposteur ; si tu étais un vrai
prophète, tu n’aurais jamais été vaincu, Dieu t’aurait soutenu 67 ! »
Muhammad, au demeurant, s’était heurté à ces mêmes reproches lorsqu’il
avait dû concéder sa défaite face à l’armée byzantine à la bataille de
Mu’ta 68… Comme il l’avait prévu, Tulayha réussit à s’enfuir avec sa
femme 69. Ses alliés, abandonnés, se livrent à Khâlid : Tabarî dit qu’ils se
sont convertis à l’islam pour sauver la vie de leurs enfants 70.
Après la victoire, l’armée musulmane reste stationnée dans Buzâkha
conquise pendant que son général dépêche tous azimuts des escadrons
pour traquer le moindre fugitif. À en croire Ibn al-Athîr et Ibn Kathîr 71,
tous ceux qui sont capturés sont ramenés à Buzâkha et la plupart sont
exécutés sans pitié : certains sont brûlés vifs, d’autres lapidés, voire jetés
au fond des puits ou précipités du sommet des montagnes. « Tout cela,
écrit Ibn Kathîr, pour donner l’exemple à ceux qui ont apostasié parmi les
Arabes 72 » et terroriser les plus récalcitrants. La méthode donne
rapidement ses fruits : selon Diyâr Bakrî 73, une grande partie des Arabes
du centre du Najd affluent peu à peu pour faire allégeance à Khâlid ibn al-
Walîd par peur des représailles. De nombreux captifs, craignant pour leur
vie, embrassent l’islam ou déclarent qu’ils n’ont jamais apostasié.
Progressivement, de nombreux Bédouins de la région affluent
spontanément chez Khâlid pour faire allégeance 74. Parmi les prises de
guerre, outre un grand butin et de nombreux prisonniers, figurent deux
otages de choix : les deux chefs Qurra et ‘Uyayna, principaux soutiens de
Tulayha. Khâlid les expédie à Médine avec le butin, les mains menottées
et reliées par des chaînes à un collet de fer, pour qu’ils soient présentés à
Abû Bakr 75.
À l’entrée de la cité, les musulmans se massent pour assister au défilé
des prisonniers. La foule reconnaît ‘Uyayna ibn Hisn et commence à le
huer et à le frapper avec des branches de palmier : « Ennemi de Dieu ! Tu
as apostasié après avoir cru en Lui ! » Ce à quoi il répond : « Mais je ne
suis pas un apostat puisque je n’ai jamais cru en Dieu un seul instant 76 ! »
Or ‘Uyayna, après avoir longtemps combattu le Prophète, avait fini par
s’allier à lui, après s’être vu offrir cent chameaux. Comment peut-il alors
affirmer qu’il n’a jamais cru en Dieu ? Cette apparente contradiction
révèle, encore une fois, que pour les acteurs de ces débuts de l’islam les
domaines politique et religieux sont à la fois inextricablement liés et bien
distincts : on peut se considérer musulman tout en refusant de verser la
zakât au calife, et inversement on peut, comme ‘Uyayna, avoir été un
soutien du Prophète et avoir mené pour son compte une guerre contre des
tribus qui refusaient de verser cette même zakât tout en affirmant n’avoir
jamais cru en Dieu… Une fois présenté devant le calife, il se jette à ses
pieds en implorant sa clémence, qui lui est accordée 77. Après tout,
‘Unayna n’est pas le premier venu : c’est le richissime beau-père de
‘Uthmân, futur troisième calife.
Les choses ne se présentent pas aussi favorablement pour l’autre
grande figure tribale, Qurra ibn Hubayra. Dès qu’il le voit, Abû Bakr
s’écrie : « Coupez-lui la tête 78 ! » L’autre, tremblant de peur, implore : « Ô
calife, je suis un homme musulman. ‘Amr ibn al-‘Âs peut en témoigner :
je l’ai reçu chez moi et lui ai offert généreusement l’hospitalité ! Il peut
attester que je suis un bon musulman. » Abû Bakr fait venir ‘Amr pour
vérifier ses dires : « Il est vrai que Qurra m’a bien reçu quand je suis passé
dans ses terres tandis que je revenais d’Oman après la mort du Prophète,
mais je l’ai alors entendu dire qu’Abû Bakr n’avait pas le droit de
percevoir la zakât et qu’il ne lui devait aucune allégeance ! » ‘Amr ment-
il ? Ce personnage, converti à l’islam uniquement après la prise de
La Mecque, ne dédaigne pas dès que l’occasion s’en présente de semer la
zizanie, comme on l’a vu souffler sur les braises de la discorde entre
Médinois et Mecquois après l’élection d’Abû Bakr 79. Qurra sursaute et
lance à ‘Amr : « Mais ce n’est pas du tout ce que j’ai dit ! » ‘Amr,
imperturbable, persiste : « Si ! C’est ce que tu as dit et tu as décidé de
désobéir en t’abstenant de payer la zakât au calife ! Tu as même ajouté, en
privé : “Les Arabes ne vont pas apprécier que vous leur demandiez de
payer al-itâwa, un tribut. Si vous les en dispensez, ils vous suivront ;
sinon, je les vois mal faire allégeance à Abû Bakr…” » Qurra, le visage
décomposé, l’interpelle : « Pourquoi dis-tu cela ? Quel intérêt as-tu à
m’accabler ? » L’autre se tait et courbe légèrement la tête ; c’est alors que
‘Umar intervient dans la discussion en admonestant ‘Amr : « Malheur à
toi ! C’est ainsi que tu récompenses un homme qui t’a généreusement
accueilli chez lui ? Il t’a fait des confidences et maintenant qu’il est
prisonnier, les mains et la gorge entravées, tu veux l’achever ? » ‘Amr
baisse les yeux et se sent honteux. ‘Umar se tourne alors vers Abû Bakr :
« Ô calife ! Qurra est un seigneur de la tribu des Banû ‘Âmir et jouit d’une
grande renommée parmi les Arabes ; je te demande de lui accorder ton
pardon comme tu l’as fait pour d’autres » ; Abû Bakr accepte de le gracier,
lui et les membres de sa tribu 80.
Quant à Tulayha, il a trouvé refuge chez la tribu des Banû Kalb, dans la
steppe syrienne. Apprenant la nouvelle de la clémence d’Abû Bakr et la
conversion à l’islam de ses anciens alliés, il lui envoie à son tour une
missive pour lui demander pardon et se déclarer lui aussi musulman ; son
long poème émeut beaucoup le calife 81. Pardonné pareillement, il finira
par se rendre à Médine et deviendra par la suite un très proche
collaborateur de ‘Umar devenu le deuxième calife. Ce dernier l’enverra
plus tard avec Sa‘d ibn Abî Waqqâs à la conquête de l’Irak et il sera dès
lors considéré comme un brave soldat d’Allâh 82.

De nombreux membres de la coalition de Tulayha refusent cependant


de capituler et demeurent en état de révolte. Ayant réussi à échapper à
Khâlid, ils prennent la fuite en direction de Dhafar pour trouver refuge
auprès de Salmâ bint Mâlik ibn Hudhayfa, alias Umm Ziml, une femme
très puissante du clan de Fazâra, branche majeure des Ghatafân 83. Celle-ci
n’est autre que la cousine de ‘Uyayna ibn Hisn et surtout la fille de la
célèbre Umm Qirfa, alias Fâtima bint Rabî‘a, poétesse de grande
renommée parmi les Arabes. Réputée pour son orgueil et sa fortune, sa
superbe et son sens de l’honneur étaient en outre proverbiaux : ne dit-on
pas A‘azz min Umm Qirfa, « plus noble qu’Umm Qirfa 84 » ? On raconte
que quand deux clans se disputaient, il suffisait qu’elle envoyât son pagne
enroulé autour d’une lance pour que tout le monde se réconcilie.
Umm Qirfa ne s’était jamais convertie à l’islam. La fière poétesse
avait même toujours affiché sa franche hostilité à l’égard de cette religion,
ce qui avait beaucoup contrarié le Prophète dans la mesure où elle était
très influente : l’accusant d’être une ennemie de l’islam, il l’avait
condamnée à mort et avait chargé son fils adoptif Zayd ibn al-Hâritha
d’exécuter la sentence i. Au mois de Ramadan de l’an VI de l’Hégire
(janvier 628), ce dernier s’était dirigé vers Wâdî l-Qurâ 85 où résidait la
poétesse, alors déjà âgée ; il l’avait capturée puis mise à mort d’une
manière particulièrement atroce, en l’écartelant : après avoir attaché ses
pieds à deux chevaux, il les avait lancés dans des directions opposées. Les
auteurs de la Tradition 86 racontent qu’Umm Qirfa avait été littéralement
coupée en deux. Son fils Hakama avait été également tué sur ordre de
Muhammad tandis que sa fille Salmâ, la future Umm Ziml, avait été
capturée et envoyée à Médine où elle avait été placée chez ‘Aïsha. Celle-ci
avait fini par l’affranchir et l’avait autorisée à retourner chez elle 87.
Cinq ans plus tard, voici donc qu’Umm Ziml accueille auprès d’elle
des hommes qui refusent de se soumettre au pouvoir médinois, ce qu’elle
perçoit immédiatement comme une occasion de venger la mort atroce de
sa mère et de son frère. Elle incite les réfugiés à unir leurs efforts pour
poursuivre le combat. Tous suivent celle qui a hérité de l’autorité de sa
mère, au point qu’on la surnomme « la petite Umm Qirfa ». Montée sur la
chamelle de sa mère, elle prend le commandement en véritable amazone,
devant les yeux fascinés des hommes de sa tribu. Même les auteurs de la
Tradition, dans leur description épique qu’ils en donnent, ne cachent pas
leur admiration devant cette femme noble et courageuse 88.
Elle réunit les troupes dans un bourg nommé al-Haw’ab 89 qui abrite un
important point d’eau. La Tradition rapporte à ce sujet qu’à l’époque où la
future Umm Ziml était encore esclave chez ‘Aïsha, le Prophète était un
jour rentré chez cette dernière et avait déclaré : « Il y a ici une femme qui
fera aboyer les chiens d’al-Haw’ab 90 ! » Cette prédiction, obscure à
l’époque, semble se réaliser. Les nouvelles parviennent vite à Khâlid qui,
inquiet de la puissance de cette femme et de la menace qu’elle représente,
décide sans plus attendre de l’attaquer en personne. Le combat est féroce.
Umm Ziml, pleine d’orgueil, se bat d’une façon acharnée. Le vaillant
Khâlid ibn al-Walîd s’en trouve décontenancé : il ne pensait pas être
confronté à une résistance aussi coriace. En effet, Umm Ziml, du haut de
sa litière, domine le champ de bataille et dirige les opérations. La scène
irrite Khâlid au plus haut point. Il sait qu’il ne pourra gagner la bataille
qu’après l’avoir neutralisée. Et puis, comment lui, le « glaive dégainé
d’Allâh », pourrait-il être mis en échec par une femme ?
Exaspéré, il lance à ses troupes : « Je donnerai cent têtes de bétail à
celui d’entre vous qui réussira à frapper de son sabre le chameau de
Salmâ ! » Immédiatement, les cavaliers musulmans se ruent vers Umm
Ziml et encerclent sa monture. Mais des hommes de sa tribu se sont
regroupés autour d’elle pour former un bouclier humain. On livre un
combat sans merci. Autour d’Umm Ziml, une centaine d’hommes
meurent. Les soldats musulmans réussissent à s’approcher d’elle. Ils se
jettent sur son chameau et lui coupent les jarrets. La bête s’écroule. Umm
Ziml est précipitée de la litière, face contre terre. En levant les yeux, elle
voit au-dessus d’elle Khâlid ibn al-Walîd qui brandit son sabre ; il l’abat
sur elle sans ciller 91. Umm Ziml meurt sur le coup.
Fier de sa victoire, Khâlid envoie une missive à Abû Bakr lui
annonçant la nouvelle de son triomphe sur cette rebelle enragée. Mais il ne
sait pas encore qu’une autre femme puissante va croiser son chemin et lui
causer bien des soucis : la prophétesse Sajâh.

Sajâh bint al-Hârith ibn Suwayd 92, surnommée Umm Sâdir, appartient
pour sa part au Banû Tamîm, l’une des plus grandes tribus arabes, et est
liée par sa mère à la tribu chrétienne des Taghlib, établie à al-Jazîra 93,
c’est-à-dire la haute-Mésopotamie (qu’on appelle aujourd’hui, en français,
Djézireh de Syrie). Les sources de la Tradition la situent plus précisément
près de Mossoul. Sajâh est sans doute chrétienne elle-même, ou du moins
a-t-elle beaucoup appris sur le christianisme auprès de la famille de sa
mère. Cette femme charismatique se présente comme prophétesse et est
aussitôt suivie par nombre d’adeptes dans les tribus de ses parents, les
Tamîm et les Taghlib. La Tradition ne dit presque rien de ses croyances et
de sa doctrine religieuse ; on sait seulement qu’elle appelle Dieu le
« Seigneur des nuages 94 » (rabb al-sahâb), qu’elle énonce ses révélations
du haut d’un minbar, dans une prose rimée, et qu’elle est assistée par un
chambellan et un muezzin personnels.
À l’annonce de la mort de Muhammad, Sajâh s’est jointe aux
soulèvements qui agitent la péninsule Arabique et conçoit le projet
d’attaquer Médine. Quittant la Mésopotamie, elle débarque en Arabie
accompagnée de quatre cents cavaliers pour rallier les tribus qu’elle sait
opposées à l’élection d’Abû Bakr. La première qu’elle consulte, au début
de l’automne 632, est naturellement celle de son père, les Banû Tamîm.
Du vivant du Prophète, les Banû Tamîm s’étaient massivement
convertis à l’islam et avaient même envoyé à Médine une députation en
l’an IX (631), surnommé l’« année des délégations 95 », pour faire
solennellement allégeance à Muhammad. Ce dernier avait désigné
plusieurs chefs de clans comme percepteurs de la taxe de la zakât auprès
de leur propre tribu 96, en particulier deux hommes qui jouissent d’une
grande réputation : al-Zibriqân ibn Badr, chef du clan des Banû Sa‘d,
surnommé la « lune du Najd » pour sa grande beauté, et Mâlik ibn
Nuwayra, chef du clan des Yarbû’, l’un des plus puissants, dont la noblesse
et le courage sont légendaires – ne dit-on pas fatan ka-Mâlik, « valeureux
comme Mâlik » ? Les hommes de sa tribu l’appellent pour leur part le
« chevalier de Dhû l-Khimâr » (les héros de l’Arabie sont parfois appelés
par le nom de leurs chevaux). Le prestige qui auréole Mâlik est aussi dû au
fait qu’il est marié à Laylâ bint al-Minhâl, dite Umm Tamîm, l’une des
plus belles femmes d’Arabie 97.
Quand ils apprennent la mort du Prophète, ses agents se trouvent
désemparés : faut-il garder la zakât qu’ils ont déjà perçue ou l’envoyer au
calife ? Les différents chefs de clans n’arrivent pas à se mettre d’accord
sur la conduite à tenir : certains comptent faire allégeance à Abû Bakr
tandis que d’autres, tout en demeurant musulmans, refusent de le
reconnaître comme successeur légitime. Les divergences d’opinion
commencent à compromettre l’unité de la tribu.
Al-Zibriqân ibn Badr exhorte les hommes de son clan, les Banû Sa‘d, à
suivre l’exemple des Tayyi’ en capitulant pour échapper au sort des tribus
ralliées à Tulayha. Mais rares sont ceux qui suivent son conseil. On lui
lance même : « Rends-nous la taxe que tu as levée pour l’envoyer à
Muhammad ! Maintenant qu’il est mort, nous pouvons garder notre
argent ! » D’aucuns arguent que la zakât ne doit pas être centralisée à
Médine, mais dans chaque mosquée locale 98. Al-Zibriqân refuse de leur
rendre l’aumône et la rapporte à Abû Bakr qui le reçoit à bras ouverts.
Mâlik ibn Nuwayra décide au contraire de retenir la zakât et de ne pas
remettre non plus à Abû Bakr les chameaux qu’il avait recueillis au titre
de la sadaqa (l’« aumône volontaire »). Selon Wâqidî, Mâlik incite même
les hommes de sa tribu à ne pas envoyer le moindre dirham au nouveau
calife : « Muhammad est mort à présent. Vous voilà libres de tout
engagement. Gardez votre argent ; vous en avez besoin plus que
quiconque 99. » Pour cette raison, il est surnommé al-Jafûl 100, ce qui
signifie à la fois « celui qui a une chevelure abondante » et « le
rétenteur ». Les attitudes divergentes des deux chefs renforcent les
désaccords ancestraux au sein des Banû Tamîm. Comme dans la saqîfa des
Banû Sâ‘ida, Abû Bakr tire profit des luttes intestines qui déchirent ses
adversaires pour imposer son autorité.
Dès qu’elle arrive chez eux, Sajâh ne peut que constater ces divisions
de plus en plus délétères ; certaines sources 101 disent qu’une guerre civile
est sur le point d’éclater. Quelques clans restent dans l’expectative afin de
voir dans quel sens le vent tournera. Sajâh se dirige vers al-Hazn 102, le
territoire des Banû Yarbû’, et s’adresse en premier à l’homme le plus
influent de la tribu, Mâlik ibn Nuwayra. Après l’avoir entendue, il discute
avec elle et réussit à la convaincre de renoncer à son plan d’attaquer
Médine. Il lui demande même de le soutenir dans sa guerre contre un clan
rival des Tamîm, les Rabâb (avec leurs deux branches, les Dhabba et les
‘Abd Manât). Sans doute dans l’espoir qu’il lui en soit redevable, Sajâh
participe à ses côtés à la bataille… dont ils sortent vaincus. Après cet
insuccès, elle se retire de toute coalition avec lui, honteuse de s’être fait
manipuler. Elle quitte le territoire des Tamîm et part en direction de
Yamâma afin de nouer une alliance avec le redoutable Musaylima ibn
Habîb. Ses partisans tentent de l’en dissuader : « Qui te dit que Musaylima
acceptera de nous accueillir ? Il s’est érigé lui-même en prophète et il ne
peut pas y avoir deux prophètes dans un seul territoire !
– Au contraire, leur réplique-t-elle : Musaylima et moi sommes
désormais les seuls prophètes sur cette terre. Nous allons unir nos forces et
appeler les hommes à suivre notre religion ! C’est mon Dieu, le dieu des
nuages, qui m’ordonne d’aller retrouver Musaylima à Yamâma 103. »
Entourée de nombreux adeptes, Sajâh disparaît provisoirement de la scène.
Mâlik ibn Nuwayra, quant à lui, a tiré les conclusions de sa défaite
face aux Rabâb et s’est réconcilié avec eux afin de se préparer au mieux à
l’affrontement avec l’armée de Khâlid qui approche, menaçante 104. Cette
éphémère alliance avec Sajâh les a placés dans le viseur du califat !
Comme ils regrettent d’avoir été associés à elle ! Pour prévenir une fort
probable attaque des musulmans, ses anciens alliés tamimites, notamment
al-Zibriqân et Aqra‘ ibn Hâbis, vont à Médine plaider leur cause auprès du
calife. Ils sont introduits chez lui grâce à la médiation de leur ami Talha
ibn ‘Ubayd-Allâh, qui est le cousin d’Abû Bakr 105. « Ô calife, dit al-
Zibriqân, si nous avons suivi Sajâh, c’est parce qu’elle est venue à nous
avec une grande armée : nous n’avons pas pu lui résister. Maintenant
qu’elle nous a quittés, nous regrettons amèrement cette alliance avec elle.
Plus jamais nous ne commettrons une pareille erreur ! C’est pourquoi nous
sommes venus te faire la proposition suivante : désigne-nous comme
percepteurs de la zakât du Bahrayn. Nous lèverons cet impôt, que nous
redistribuerons aux différents clans des Tamîm ; ainsi, nous les
ramènerons à l’islam. Plus personne n’apostasiera, nous te le
garantissons 106 ! »
Abû Bakr trouve la proposition intéressante et consigne l’accord dans
un écrit que doivent maintenant contresigner certains Compagnons du
Prophète. Mais lorsque Talha apporte le document à ‘Umar, ce dernier se
cabre : « Jamais je ne signerai ! Je n’approuve pas cette décision ! », et il
déchire l’acte. Talha, furieux, accourt se plaindre auprès d’Abû Bakr mais
n’obtient aucune réaction de ce dernier. « Mais dis-moi, c’est qui l’émir ?
Toi ou ‘Umar ? », s’indigne Talha, révolté. « C’est ‘Umar, répond Abû
Bakr, mais c’est à moi que vous devez obéissance ! » Talha le regarde
bouche bée. Il est pourtant bien conscient que, depuis le jour de son
investiture, Abû Bakr ne prend aucune décision sans en référer à ‘Umar ;
d’ailleurs, durant les premières semaines du califat, c’est en réalité ce
dernier qui exerçait les pleins pouvoirs, le calife étant souvent absent de
Médine.
Abû Bakr demande à ‘Umar de lui expliquer les raisons de son refus.
« Comme tu le sais, avance-t-il, ils se sont déjà révoltés une première fois
en retenant la zakât puis une seconde fois en suivant cette Sajâh. Comment
peux-tu leur faire confiance ? Et tu veux leur donner de l’argent par-dessus
le marché ? Tu dois plutôt leur envoyer une armée ! » Les paroles de
‘Umar convainquent le calife qui envoie l’ordre à Khâlid de marcher sur le
territoire des Tamîm, vers lequel il est déjà en route. Voyant que leur
démarche auprès d’Abû Bakr n’a pas abouti et qu’elle s’est même avérée
contre-productive, al-Zibriqân et Aqra‘ rentrent chez eux bredouilles 107.
Apprenant l’échec de la négociation, Mâlik demande à ses hommes de
se disperser et de ne pas opposer la moindre résistance à l’armée de
Khâlid. Si une partie des Tamîm a bien retenu la zakât, la tribu se garde
bien d’afficher la moindre hostilité ouverte au nouveau régime, surtout
après l’écrasement de la révolte de Tulayha. Mâlik, en particulier, a intérêt
à faire profil bas, tant sa brève alliance avec Sajâh a suffi pour le faire
suspecter d’apostasie. Au-delà du non-versement de la zakât, a-t-il renié
complètement l’islam ? Son attitude est profondément ambiguë et
hésitante, comme le dit Tabarî 108. Or le pouvoir médinois ne peut se
permettre d’accorder à qui que ce soit le bénéfice du doute : quiconque
n’est pas avec eux est contre eux.
L’armée de Khâlid est donc en train de marcher sur Mâlik. Quant aux
motifs réels de ce déplacement, la Tradition se montre confuse. Qui, au
final, a pris la décision d’attaquer les Banû Tamîm ? Est-ce vraiment le
calife, à l’instigation de ‘Umar ? Certains auteurs, et même la majorité
d’entre eux, disent qu’il s’agit en réalité d’une initiative personnelle de
Khâlid, pour des raisons qui lui sont propres. Il aurait été jusqu’à jurer de
tuer Mâlik de ses mains et de faire de sa tête un chenet 109. En tout cas,
aucune source ne tranche de façon catégorique, reflet de la confusion
quant au bien-fondé même de cette attaque. Le sujet, embarrassant, a été
longtemps au centre d’une vive polémique au sein de la Tradition, à cause
d’une part de la légitimité de l’attaque – Mâlik n’est pas un apostat, il a
« juste » refusé de payer la taxe au calife –, d’autre part de l’issue sordide
et scandaleuse de la campagne de Khâlid contre Mâlik ibn Nuwayra,
comme nous allons le voir.
L’attaque contre Mâlik et son clan était-elle justifiée ? Avant de diviser
les rédacteurs de la Tradition, la question divise déjà… l’armée de Khâlid.
Quand ce dernier annonce ses intentions à ses soldats, sa décision ne
recueille pas l’unanimité. Seuls les Émigrants acceptent de le suivre ; les
Ansârs, pour leur part, désapprouvent, arguant que le calife n’a pas donné
d’instruction dans ce sens. Thâbit ibn Qays ibn Shammâs déclare à son
général : « Nous ne partirons pas avec toi ; Abû Bakr nous a demandé, et à
toi aussi, de camper sur nos positions jusqu’à ce qu’il nous envoie de
nouvelles consignes. Et puis, ne vois-tu pas que les soldats sont épuisés ? »
Khâlid lui rétorque que le calife l’a bel et bien chargé d’attaquer les Banû
Tamîm. Thâbit fait une moue sceptique. « Et puis quand bien même !
s’écrie Khâlid irrité. Abû Bakr m’a confié le commandement de l’armée.
C’est à moi d’aviser et de décider. C’est moi le chef et j’en assume la
responsabilité. Et je dis qu’il faut attaquer les Banû Tamîm ! C’est une
opportunité à saisir même sans aucune instruction écrite. Mâlik se trouve à
notre portée. Je vais marcher vers lui avec mes hommes aux côtés des
Émigrants et avec tous ceux qui le veulent bien. En même temps, je ne
vous oblige à rien ! Si vous ne voulez pas venir, vous êtes libres 110. » Les
paroles fermes de Khâlid ne viennent pas à bout de la réticence des Ansârs
qui, à leur tour, ne réussissent pas à le dissuader. Il lève donc le camp en
direction de Butâh 111, un puits du Najd, à quatre cents kilomètres au nord-
est de Médine, où campent Mâlik et son clan. À peine est-il parti que les
Ansârs commencent à regretter leur défection : « Si Khâlid récolte du
butin, il est clair que nous ne recevrons aucune part ! Et s’il lui arrive
malheur, tout le monde va nous blâmer d’avoir déserté 112 ! » La
perspective alléchante du butin les fait se raviser et, dès le lendemain, ils
se hâtent de rejoindre Khâlid. Ainsi, l’armée musulmane au complet se
réunit près de Butâh. L’attaque est imminente.
Le récit de cette attaque est au cœur d’un véritable imbroglio où
différentes versions se contredisent. Un seul point semble faire
l’unanimité : il n’y a pas d’affrontement armé. Ayant eu vent de
l’approche des musulmans, Mâlik a réuni les hommes de sa tribu et leur a
dit : « Nous avons commis une erreur en suivant Sajâh et nous voici à
présent sur le point d’en subir les représailles. Mieux vaut nous disperser :
si Khâlid vient et qu’il nous trouve réunis, il pensera que nous avons
constitué une armée. Pour éviter de subir une attaque, j’invite chacun à
regagner sa maison 113. » Et sur ces paroles, tout le monde est rentré chez
soi, laissant Butâh quasi déserte. Seul Mâlik reste sur place avec ses
proches.
Khâlid, qui a établi son camp à l’extérieur de la ville vers la fin de
l’année XI (décembre 632), commence à réfléchir à la manière de lancer
l’assaut. Conscient du caractère contestable de l’opération, il sait qu’il a
intérêt à en démontrer le bien-fondé, autrement dit à démontrer que Mâlik
a bel et bien apostasié. C’est alors que lui revient une instruction du calife
lors de l’expédition de Dhû l-Qassa : « Avant de lancer une attaque, envoie
vers chaque tribu quelques hommes à l’heure de l’appel à la prière ; s’ils
ne l’entendent pas, tu sauras que tu as affaire à des apostats. »
Le soir venu, il missionne donc un escadron mené par l’Ansarien Abû
Qatâda afin de faire le tour des maisons. L’équipe ne tarde pas à tomber
sur un groupe d’hommes, parmi lesquels Mâlik ibn Nuwayra lui-même,
qui faisaient sans doute le guet. « Que faites-vous ici avec vos armes ? dit
Mâlik aux hommes de Khâlid. Nous sommes musulmans comme vous.
– Nous en voulons la preuve, dit Abû Qatâda.
– C’est très facile, répond Mâlik. Déposons nos armes et allons tous
ensemble faire la prière dans ma maison 114. » Mais dès qu’ils ont déposé
leurs sabres, Mâlik et ses amis se font capturer. La femme de celui-ci est
également faite prisonnière et on les amène séance tenante dans la tente de
Khâlid, qui ordonne de décapiter les cousins de Mâlik. Ceux-ci protestent,
affolés : « Mais nous sommes musulmans ! Pourquoi nous décapiter ? »
Abû Qatâda intervient : « Ils sont bien musulmans. J’en suis témoin,
puisqu’ils ont fait la prière avec nous. Je te rappelle qu’Abû Bakr nous
interdit de tuer une personne qui fait la prière. Tu n’as pas le droit de tuer
ces gens 115 ! »
Khâlid est très embarrassé. Il regarde en direction des membres de
l’escadron : « Confirmez-vous ce témoignage d’Abû Qatâda ? », leur
demande-t-il. On hésite. Les uns marmonnent un oui ; les autres
démentent : « Non, ils n’ont pas fait la prière ; il faut donc les tuer. »
Khâlid est désarçonné. Devant ces témoignages contradictoires, il ne veut
pas précipiter l’exécution ; il redoute les protestations de son armée. Et
puis, il se fait déjà tard. « Bien, je prendrai une décision demain, dit-il à
ses hommes. Gardons pour l’instant prisonniers Mâlik et ses amis. À
présent, que chacun aille dormir ! » Il demande encore qu’on conduise les
cousins de Mâlik à l’extérieur : « Laissez-moi seul avec Mâlik et sa
femme », dit-il. Les prisonniers, enchaînés, s’apprêtent à passer à la belle
étoile cette nuit d’hiver que la Tradition nous dit glaciale 116.
Dans sa tente, Khâlid se réchauffe les mains devant un brasier et, à
travers le feu, regarde fixement Mâlik et sa femme, la superbe Laylâ bint
al-Minhâl. Le couple captif scrute à son tour la silhouette massive de
Khâlid et son visage pâle. Sa barbe épaisse cache à peine les cicatrices de
la vérole sur sa joue gauche 117 qui, à la lueur des flammes, lui donnent un
aspect irréel. Dans le silence, on n’entend que le crépitement du feu.
Soudain, un homme entre dans la tente : « Khâlid ! Il fait de plus en
plus froid dehors ! Les prisonniers grelottent ! Que doit-on faire ? » Le
général se lève et se dirige vers l’entrée. Laylâ tremble quand il passe
juste devant elle. Posté dans l’embrasure de sa tente, il crie : « Chauffez
vos prisonniers ! » puis retourne s’asseoir devant le brasier tout en
continuant de regarder Mâlik et sa femme à travers les flammes. Quelques
minutes plus tard, un autre homme entre précipitamment sous la tente :
« Les prisonniers ont été tués ! Tes hommes n’ont pas compris tes
instructions ! » Quand ils ont entendu Khâlid crier « Chauffez vos
prisonniers », quelques-uns se sont levés d’un seul mouvement et les ont
exécutés. En effet, comme l’expliquent Ibn Hajar, Ibn al-Athîr et Tabarî 118,
dans le dialecte des Kinâna, une tribu de la région mecquoise, « Chauffez
vos prisonniers » est une expression figurée qui signifie « Tuez vos
prisonniers »…
En apprenant la « bavure », Khâlid hausse les épaules en concluant
froidement : « Quand Allâh veut quelque chose, il l’exécute 119 ! » Il
retourne s’asseoir face à Mâlik ; sa femme est prostrée dans un coin de la
tente. Khâlid la regarde fixement. Elle est plus belle qu’il ne l’avait
imaginé. Il a du mal à détacher ses yeux d’elle, parcourant son corps
élancé. Mâlik observe les regards lubriques de Khâlid sur sa femme. Il se
tourne vers elle et lui murmure : « Tu vas me tuer 120 ! », c’est-à-dire « À
cause de toi, je vais mourir ! » Puis il regarde l’homme debout derrière
Khâlid qui se tient une main agrippée à son sabre. Il le connaît ; c’est
Dhirâr ibn al-Azwar des Banû Assad, dont la tribu a été longtemps en
guerre avec son clan. Mâlik sait désormais que sa fin est toute proche.
Soudain, la voix de Khâlid brise le silence : « Nous avons appris que tu
avais soutenu la fausse prophétesse Sajâh. Qu’en est-il ?
– Ce n’est pas vrai, lui répond calmement Mâlik. Ma tribu n’a jamais
cru en elle. Nous avons seulement fait une alliance politique avec elle dans
notre conflit avec les Rabâb. Quand Sajâh a décidé de se mettre en chemin
pour rejoindre Musaylima, nous avons décidé de ne pas la suivre et avons
rompu tout lien avec elle. Nous ne voulons participer à aucune guerre. »
Khâlid se tait, le regard englouti dans les flammes du brasier : « Je ne suis
pas convaincu par ce que tu dis ! Pour moi, tu es un apostat et je vais te
tuer !
– Tu me tues alors que je fais la prière ? Je suis musulman. J’ai fait la
prière avec Abû Qatâda ! Il te l’a dit à l’instant. » Il regarde en direction
de sa femme : « Sois franc avec moi. C’est à cause d’elle que tu veux me
tuer 121 ! » Le général fait mine de ne pas avoir entendu sa remarque. « Je
ne te parle pas de la prière. Tu as refusé de payer la taxe de la zakât et
c’est pour moi la preuve de ton apostasie ! Si tu étais un vrai musulman, tu
aurais payé ; or, nous avons appris que tu as ordonné aux hommes de ta
tribu de retenir les chameaux de la sadaqa. Ne sais-tu pas, malheureux,
que la zakât est indissociable de la prière ?
– C’est ce que ton ami prétend ! », rétorque Mâlik. Khâlid se lève
brusquement, les yeux remplis de haine : « “Mon” ami ? Ah oui ? C’est
ainsi que tu parles du Prophète ? Serait-il “mon” ami et pas le tien ? »
Mâlik, effrayé, lui réplique : « Mais je ne parlais pas du Prophète en disant
“ton ami” ! Je parlais d’Abû Bakr 122 ! » D’un geste de la tête, Khâlid
ordonne à Dhirâr d’avancer vers Mâlik. Laylâ pousse un cri et se jette sur
son époux pour le protéger. Mâlik lui répète : « C’est toi qui m’as tué ! » À
peine a-t-il terminé sa phrase qu’il sent une main l’attraper par sa
chevelure épaisse. D’un coup sec, Dhirâr coupe la tête de Mâlik, laquelle
roule sous les pieds d’Ibn al-Walîd.
Ce dernier s’en saisit aussitôt et, sortant de sa tente, exige qu’elle soit
placée entre deux gros charbons ardents sous la marmite où ses soldats
font cuire de la viande. Il intime encore à ses hommes d’utiliser les têtes
des prisonniers qu’ils viennent de décapiter comme chenets pour soutenir
les marmites sur le feu. Les sources de la Tradition 123 qui rapportent les
détails de cet épisode sordide disent que toutes les têtes placées sur le feu
ont été consumées, sauf la tête de Mâlik ibn Nuwayra : la viande qui était
dans la marmite a cuit sans que cette tête soit parvenue à griller, tant sa
chevelure épaisse qui partait en fumée a empêché le feu d’atteindre le
crâne. On dit que ce soir-là Khâlid « en » a mangé pour terroriser les
Bédouins apostats et tous les autres. Les tournures équivoques
qu’emploient les auteurs de la Tradition 124 laissent entendre que Khâlid
n’a pas seulement mangé la viande qui était dans la marmite, mais aussi
de la tête de Mâlik sous les regards épouvantés de ses hommes.
Son macabre repas achevé, Khâlid revient sous sa tente. La femme de
Mâlik est là, tétanisée par la peur. Elle grelotte de froid et d’effroi. Khâlid
la regarde d’une manière libidineuse. « Ce soir, tu es ma femme. » Un
sourire de satisfaction aux lèvres, il s’avance vers la femme recroquevillée
et tremblante comme une feuille. Elle sait que cela ne sert à rien de
résister. La Tradition dit unanimement que Khâlid a « épousé » Umm
Tamîm le soir même de l’exécution de son mari, mais nombreuses sont les
relations 125 qui laissent entendre qu’il s’est agi non d’un mariage mais
bien d’un viol. Pour justifier cet acte qui déshonore le « glaive dégainé de
Dieu », et le dédouaner, sinon du viol, du moins du péché, plus grave à
leurs yeux, de ne pas avoir respecté les « trois mois de décence » (‘idda)
avant tout remariage, certains traditionnistes 126 affirment, contre toute
vraisemblance, que Mâlik l’avait répudiée quelque temps auparavant.
Nombreux auteurs, comme Wâqidî 127, laissent en outre entendre que toute
cette attaque avait en réalité pour unique objectif la capture de cette
femme…
Le lendemain matin, les soldats musulmans vont tout raconter à Abû
Qatâda, qui dormait et ne s’était aperçu de rien ; on lui montre la tête rôtie
de Mâlik. Il court voir Khâlid et le couvre d’invectives : « Tu es
abominable ! Plus jamais je ne marcherai sous tes ordres ! Plus jamais je
ne participerai à une bataille avec toi ! Tu as tué un musulman et violé sa
femme le soir même ! C’est impardonnable ! Tu vas voir : je vais faire un
scandale 128 ! » Horrifié et dégoûté, Abû Qatâda part sur-le-champ vers
Médine faire un rapport au calife 129. Khâlid, lui, reste de marbre devant
ses menaces. Debout à l’entrée de sa tente, il le regarde calmement monter
sur son cheval et s’éloigner. À l’extérieur, le lieu empeste l’odeur
nauséabonde de têtes grillées. Khâlid fixe des yeux l’endroit où la tête de
Mâlik a brûlé. Elle reste identifiable. Ibn Bakkâr 130 relate que personne n’a
pris l’initiative d’inhumer l’infortuné avant qu’un certain al-Minhâl al-
Tamîmi, probablement son beau-père, passe devant son cadavre : il prend
un bout de tissu, l’enveloppe dedans et l’enterre.
Arrivé à Médine, Abû Qatâda se dirige précipitamment vers la maison
d’Abû Bakr. Il entre. ‘Umar est là. Essoufflé, il raconte au calife tout ce
qui vient d’arriver : le meurtre inique de musulmans, la tête grillée de
Mâlik, le viol de sa femme. Le visage fin d’Abû Bakr se décompose au fur
et à mesure des détails sordides. ‘Umar bondit : « Il faut séance tenante
limoger Ibn al-Walîd ! Son sabre est devenu un instrument du péché 131 ! »
Le calife essaie de garder son sang-froid et de minimiser : « Il a commis
une erreur de jugement… Cela arrive !
– Une erreur gravissime pour laquelle il mérite d’être exécuté ! »,
hurle ‘Umar. Abû Bakr s’étonne de l’indignation de son ami qui, après
tout, n’est pas réputé pour sa sensiblerie. « Je te rappelle, poursuit ‘Umar,
que Khâlid après sa guerre contre Tulayha a capturé les fugitifs et les a
brûlés vifs ! Il a eu recours à un châtiment dont Dieu a l’exclusivité : seul
Allâh a le droit de condamner au feu les mécréants 132 ! » Abû Bakr, très
embarrassé par cette remarque de ‘Umar, se sent personnellement visé :
n’a-t-il pas lui aussi condamné Fujâ’a au bûcher ?
« Mais ‘Umar, répond le calife, tu sembles oublier de qui l’on parle.
Le “glaive dégainé de Dieu” : c’est ainsi que le Prophète l’appelait. Il a
désigné Khâlid comme le sabre qu’Allâh a tiré contre les infidèles.
Comment pourrais-je remiser au fourreau un glaive que Dieu a consacré
au combat des mécréants 133 ? » ‘Umar le regarde, interloqué :
« Justement ! Ce ne sont plus les mécréants qu’il combat à présent : ce
sont les musulmans, dont il viole en sus les épouses ! Ce qu’il a fait est
impardonnable ! Comment pourrait-on laisser faire ? Tu n’as pas entendu
ce qu’Abû Qatâda vient de nous raconter ? Que Khâlid a utilisé les crânes
de musulmans comme support pour les marmites où cuisait le repas de ses
soldats ? Il faut non seulement le limoger, mais encore le lapider 134 ! »
Abû Bakr refuse cependant obstinément de se séparer de Khâlid. Le fait
que ce dernier soit le neveu de son influente épouse Asmâ’ bint ‘Umays
n’est sans doute pas étranger à sa décision de fermer les yeux sur ses
exactions, en espérant que le scandale finira par être oublié.
Mais il n’en est rien. Quelques jours plus tard, Mutammim ibn
Nuwayra, le frère de Mâlik, arrive à son tour à Médine et entre chez Abû
Bakr en pleurs. Il raconte au calife la mort odieuse de son frère en criant
sa douleur ; il se plaint que les hommes de sa tribu aient été réduits en
esclavage. ‘Umar, qui accompagne Mutammim, encourage ce dernier à
plaider sa cause 135. Le frère meurtri, le bras appuyé sur son arc, récite
devant le calife les poèmes poignants qu’il a composés pour pleurer son
frère. Ces élégies funèbres sont aujourd’hui encore considérées comme
des chefs-d’œuvre intemporels du genre. On raconte que, de chagrin,
Mutammim n’a pas dormi une seule nuit pendant une année ; il était
borgne et son œil borgne est tombé à force de pleurer. Sa poésie poignante
a beaucoup touché ‘Umar, qui lui confiera plus tard, lorsqu’il perdra son
frère Zayd à la bataille de Yamâma : « J’aurais aimé composer une telle
poésie pour rendre hommage à mon frère ! » ; et Mutammim lui répondra :
« Ô Abû Hafs, si mon frère était mort dans les mêmes circonstances que le
tien [c’est-à-dire au combat], je n’aurais écrit aucun poème pour le
pleurer. » ‘Umar dira ainsi qu’aucun homme ne l’aura consolé de la mort
de son frère comme Mutammim a su le faire 136. Le calife est lui aussi
tellement attendri qu’il propose à Mutammim le « prix du sang » de son
frère, c’est-à-dire un dédommagement financier (diyya) que la famille
d’un meurtrier est censé verser à la famille de la victime pour enrayer le
cycle de la vengeance. Par ce geste, Abû Bakr reconnaît indirectement que
Khâlid a commis une « bavure ». Il écrit d’ailleurs aussitôt à ce dernier
pour lui demander d’affranchir sans tarder les membres de la tribu de
Mâlik qu’il a réduits en esclavage 137.
Malgré ces mesures d’apaisement, l’arrivée de Mutammim à Médine
ranime la polémique. ‘Umar y voit l’occasion de revenir à la charge et
d’inciter le calife à limoger Khâlid. Il n’hésite pas à alimenter la pression ;
partout où il passe, il évoque ce que Khâlid a fait subir à Mâlik. Le
scandale prend une ampleur telle qu’Abû Bakr se résout enfin à convoquer
Khâlid pour qu’il s’explique. ‘Umar est satisfait : « S’il l’a appelé, c’est
sans doute pour lui signifier qu’il est congédié ! », pense-t-il. Quand,
quelques jours plus tard, il apprend que le général sanguinaire s’approche
de Médine, il se poste dans la mosquée, juste à côté de la porte qui ouvre
sur les appartements d’Abû Bakr, pour l’intercepter avant son entrevue
avec le calife.
Le calife a l’habitude, chaque matin après la prière, de se retirer chez
lui pour recevoir ceux qui ont une audience avec lui et c’est Bilâl, le
muezzin attitré du Prophète devenu le portier d’Abû Bakr, qui est chargé
de filtrer les entrées. Arrivant aux portes de Médine, Khâlid, conscient que
le calife, pressé par ‘Umar, est très mécontent, fait parvenir à Bilâl une
somme d’argent afin qu’il accepte de l’introduire auprès du calife sans
laisser entrer ‘Umar 138. Il veut s’entretenir seul avec Abû Bakr. Bilâl
accepte la somme d’argent et fait dire à Khâlid : « Qu’il vienne voir le
calife très tôt le matin. C’est le moment propice pour échanger seul à seul
avec lui 139. »
Mais l’entrée du général à Médine ne passe pas du tout inaperçue. Sur
son chemin vers la maison du calife, les habitants se sont massés pour
l’observer, partagés entre effroi et admiration. Il est vêtu d’une tunique
noircie par le port de la cuirasse ; son bouclier en fer est rouillé par le sang
qui l’a éclaboussé ; des flèches trempées du sang de ses victimes sont
plantées dans sa calotte j 140. En arrivant à la mosquée, il est surpris de voir
que ‘Umar est déjà là à l’attendre. Pendant un moment, les deux hommes
s’affrontent du regard. Ceux qui assistent à la scène retiennent leur souffle
tout en s’étonnant de la frappante ressemblance physique entre ‘Umar et
Khâlid. On dirait deux frères ! La Tradition souligne souvent cette
ressemblance, en rapportant des anecdotes où certains compagnons du
Prophète vont jusqu’à les confondre 141.
‘Umar ne peut se contenir longtemps et bondit sur Khâlid. Il le saisit à
la gorge avant d’arracher et de briser les flèches fichées dans sa calotte 142.
Il s’égosille : « Tu as tué un musulman et violé sa femme ! Je jure que je
vais te lapider ! » Khâlid ne répond pas à cette agression. Imperturbable, il
passe son chemin et entre dans la maison du calife ; il entend ‘Umar crier :
« Je jure que le jour où j’aurai le pouvoir, je me vengerai de toi ! » Deux
ans plus tard, ‘Umar mettra à exécution sa menace : au lendemain de son
investiture en tant que deuxième calife, sa première décision sera de
limoger Khâlid 143.
Pour l’instant, il se contente de le suivre chez le calife, craignant qu’il
réussisse à amadouer Abû Bakr s’il n’est pas là pour seconder ce dernier.
Mais la main de Bilâl l’arrête. « Non ! dit-il à ‘Umar. Le vicaire du
Prophète va rencontrer Khâlid en tête à tête. » Les oreilles de ‘Umar
bourdonnent de colère. Il reste devant la porte du calife à faire les cent
pas, impatient de connaître l’issue de l’entrevue.
Abû Bakr reçoit Khâlid froidement : « J’ai appris que tu as tué un
musulman, et tu as épousé de force sa veuve ! » Gardant son calme, Khâlid
répond : « Ô calife ! N’as-tu pas entendu le Prophète dire de moi que je
suis le glaive dégainé de Dieu ?
– Certes, je l’ai entendu.
– Eh bien, rétorque Khâlid, le glaive d’Allâh ne saurait s’abattre que
sur le cou d’un mécréant, d’un hypocrite ou d’un apostat 144 !
– Certes oui ! Mais tout le monde dit que Mâlik était musulman.
– Si tu avais entendu ce qu’il m’a dit, tu aurais compris qu’il ne l’était
pas ! Sais-tu qu’en parlant du Prophète il m’a dit “ton ami” ? Un vrai
musulman parlerait-il ainsi de l’Envoyé de Dieu ?
– Dans ce cas, oui, tu as eu raison de lui couper la tête. Oublions cela
maintenant ! Va retrouver ton armée à Butâh pour poursuivre la guerre. Tu
dois te préparer pour le combat contre Musaylima l’imposteur 145. »
Abû Bakr lui inflige tout de même un léger blâme en raison de son
comportement avec la femme de Mâlik, non pour des motifs religieux,
mais parce qu’il a par là enfreint le code d’honneur des guerriers arabes,
qui interdit d’avoir le moindre commerce avec les femmes quand on est en
guerre 146. Certaines sources disent que, pour étouffer le scandale, Abû
Bakr lui aurait tout de même ordonné de se séparer de la veuve de
Mâlik 147.
Le malaise éprouvé par le calife devant ce qu’il est convenu d’appeler
« l’affaire Mâlik ibn Nuwayra » se reflète dans les divergences au sein des
sources de la Tradition. Alors que celles-ci ne nous disent quasiment rien
de la vie de Mâlik, le récit de sa mort est l’objet de relations diverses et
orientées. Certains affirment qu’il était apostat et méritait donc la mort,
d’autres qu’il était musulman et que Khâlid l’a tué pour lui prendre sa
femme. Derrière la divergence des récits, les enjeux politiques et
théologiques sont perceptibles. Les détracteurs de Khâlid, au premier rang
desquels ‘Umar, s’emparent de l’affaire afin de faire tomber en disgrâce
cet homme qui monte en puissance. La tradition shî‘ite, elle aussi, se saisit
du cas et fait de Mâlik un partisan de ‘Alî qui a été victime d’un coup
monté 148. Pour autant, par-delà les différentes récupérations politiques,
cette affaire, tel un conte philosophique, soulève une question théologique
essentielle et qui demeure insoluble en islam : quels critères doit-on
remplir pour être considéré(e) comme musulman(e) ? Et qui est habilité à
décréter qui est musulman et qui ne l’est pas ? Haythamî, dans son recueil
de jurisprudence selon le Hadîth Majma‘ al-zawâ’id, ouvre ainsi son
chapitre consacré à ces problématiques par l’histoire emblématique de
Mâlik 149.
En sortant de chez Abû Bakr, Khâlid retrouve ‘Umar qui, entouré de
quelques amis, continue de proférer des menaces. Il passe devant lui et le
nargue en lui disant, sourire aux lèvres : « Approche donc, ô fils d’Umm
Shamla ! » Si Khâlid appelle ‘Umar ainsi 150, c’est peut-être pour lui
rappeler le lien de parenté qui les unit ; en effet, Umm Shamla, alias
Hantama la Makhzumite, la mère de ‘Umar, n’est autre que la cousine
germaine de Khâlid ibn al-Walîd. Mais c’est sans doute par ironie que
Khâlid appelle ‘Umar par le prénom de sa mère : il ne lui rappelle pas tant
leur lien de parenté que les origines douteuses de sa génitrice, laquelle
n’est pas une authentique Makhzumite mais une bâtarde adoptée par cette
riche famille. La généalogie de ‘Umar est très trouble k ; elle est souvent
l’objet de moqueries et de remarques méchantes de la part de ses
détracteurs 151. Nous aurons amplement l’occasion d’y revenir dans le
prochain volume.
‘Umar le regarde avec dégoût mais n’ose dire un mot car il comprend
immédiatement que le calife vient de lui pardonner. Khâlid hausse les
épaules avec mépris ; il passe son chemin en se disant que ‘Umar ne sait
rien de la guerre et qu’il est de ce fait mal placé pour lui adresser la
moindre critique à ce sujet 152. Après tout, celui-ci traîne derrière lui une
réputation de déserteur, ce qui est, aux yeux de Khâlid, le comble du
déshonneur.
Mais malgré la clémence du calife, Khâlid reste au centre d’une vive
polémique, car ce n’est pas la première fois qu’il se livre à une forfaiture
de ce genre. Quelques années auparavant, Muhammad l’avait envoyé avec
trois cent cinquante hommes auprès des Banû Jadhîma. Il ne lui avait
donné aucune instruction de combattre et lui avait seulement demandé de
s’assurer de leur neutralité ; mais Khâlid les avait massacrés et décapités.
En apprenant cette nouvelle, le Prophète était entré dans une fureur noire ;
il avait levé les bras vers le ciel en clamant : « Mon Dieu ! Je suis innocent
des crimes de Khâlid 153 ! » Puis il avait dépêché ‘Alî pour verser le prix du
sang aux familles des victimes, sans pour autant limoger Khâlid. Abû Bakr
adopte ici la même attitude : il désapprouve mais ne prend aucune mesure
contre Khâlid qui, comme nous le verrons plus loin, récidivera, indifférent
aux critiques.
Sa réputation est toutefois sérieusement et durablement entachée :
chaque fois qu’il est en désaccord avec une personne, on lui rappelle son
forfait. Ussayd ibn Khudhayr lui lance un jour au visage : « On sait tous de
quelle cruauté tu es capable ! Tu as tué un homme alors qu’il était
musulman ! » Khâlid ne répond jamais à ces invectives. Le massacre des
Banû Jadhîma avait déjà, à l’époque, provoqué l’indignation généralisée
des compagnons du Prophète ; on raconte qu’Ibn ‘Awf avait même injurié
Khâlid, qui avait violemment riposté à son tour. Nombreux sont les récits
qui rapportent l’hostilité et les disputes d’Ibn al-Walîd avec les
Compagnons, qui le trouvent trop violent et qui, pour l’égratigner, ne
manquent pas une occasion de lui rappeler sa conversion tardive, mettant
ainsi en doute la sincérité de sa foi. Face à ces critiques, Khâlid se défend
parfois d’une manière agressive, parfois par le mépris et l’indifférence. Il
est si conscient de sa force qu’il se sent inatteignable 154.
L’impunité dont il jouit lui procure une telle assurance qu’il se permet
envers son protecteur, Abû Bakr, des actes d’une singulière insolence.
Ainsi par la suite, à l’issue de ses multiples victoires, il partage le butin
entre ses soldats sans en réserver vraiment le cinquième au calife, comme
le veut la coutume islamique. ‘Umar, toujours à l’affût du moindre faux
pas de son ennemi juré, incite Abû Bakr à lui écrire : « Dis-lui de ne rien
distribuer du butin sans en référer à toi ! » Le calife suit ce conseil et
reçoit de la part de Khâlid une réponse cinglante : « Laisse-moi faire mon
travail tranquille et mêle-toi de tes affaires ! » En lisant la réponse
impudente de Khâlid, Abû Bakr est catastrophé ; ‘Umar y voit l’occasion
de remettre sur la table la question de son limogeage. Le calife hésite :
« Mais qui va diriger les armées avec la même vigueur que lui ? – Mais
moi, enfin ! », réplique ‘Umar. Abû Bakr accepte mais, tandis que ‘Umar
se prépare à partir, un groupe de Compagnons s’adresse au calife pour lui
reprocher sa décision : « Tu fais partir ‘Umar alors que tu as besoin de lui
ici, et tu congédies Khâlid alors qu’il enchaîne les victoires et les
conquêtes ? Comment est-ce possible ? Nous te supplions de renoncer à
cette décision. » Abû Bakr, visiblement pas très convaincu lui-même, se
rétracte aussitôt : il maintient Khâlid à la tête de l’armée tout en retenant
‘Umar auprès de lui à Médine 155.
Il est vrai que dès le début du règne d’Abû Bakr et des guerres dites
d’« apostasie », Khâlid le Terrible a su se rendre indispensable au premier
calife. Qui mieux que lui saura affronter les tribus puissantes qui
s’opposent au régime de Médine ? Abû Bakr a besoin de lui pour
combattre l’homme qui constitue à ses yeux la menace la plus sérieuse :
Musaylima ibn Habîb.
a. Abû Dâwûd Sunan 2/247 ; Abû Ya‘lâ Musnad 13/314 ; Bayhaqî Sunan 9/77 ; Bukhârî
3/1037 ; Hâkim Mustadrak 2/87 ; Ibn Abî Shayba Musannaf 11/367 ; Ibn Hanbal Musnad
32/309 ; Ibn Hibbân Sahîh 10/478 ; Muslim 3/1511 ; Tirmidhî Sunan 4/186.
b. Cette manie chez ‘Aïsha est attestée par les sources de la Tradition qui évoquent les
réprimandes que son mari le Prophète lui adressait à cause de cette fâcheuse habitude (Ibn
Hanhal Musnad 43/43 ; Muslim 2/670 ; Nasâ’î Sunan 8/16).
c. Nous devons la traduction de ces vers en alexandrins au grand poète bilingue tunisien
Abdelaziz Kacem. Nous le remercions de cette élégante et précieuse contribution.
d. La majorité des exégètes du Coran affirment que les hommes évoqués dans ce verset sont les
Compagnons du Prophète qui ont combattu les apostats et ceux qui ont refusé de payer la taxe de
la zakât.
e. Selon Yâqût (4/366 et 1/68), Dhû l-Qassa se trouve sur la route de Rahadha, un bourg à trois
jours à l’est de Médine, tandis qu’Abraq al-Rabadha est dans le territoire des Banû Dhubiyân.
f. Il s’agit du nom « propre » du calife, Abû Bakr étant son surnom ou kunya. Voir infra, p. 191.
g. Ce seigneur arabe chrétien ne s’est cependant jamais converti à l’islam (Ibn Bakkâr al-Akhbâr
338-340).
h. Fassîl signifie en arabe « chamelon », tandis que bakr désigne la chamelle (cf. supra, p. 18).
C’est Abû Sufyân qui a affublé le calife de ce surnom péjoratif mettant en relief sa composante
animale (voir La Déchirure, p. 133).
i. On dit même qu’elle se serait convertie à l’islam avant d’apostasier, ce qui aurait poussé le
Prophète à la condamner à mort.
j. Ibn al-Athîr (Usd 1/587) affirme que Khâlid cache dans sa calotte, en guise de porte-bonheur,
un cheveu du Prophète. Lors d’une de ses batailles en Syrie, il perd le précieux gri-gri et court en
tous sens, affolé : « Ma calotte ! Où est ma calotte ? » Voir aussi Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq
16/237.
k. Sa grand-mère Sahâk est une esclave abyssine qui a connu plusieurs maîtres dont elle a eu de
nombreux enfants, parmi lesquels Umm Shamla, la mère de ‘Umar, mais aussi Nufayl, le grand-
père paternel du même ‘Umar ! (Sur ce sujet, voir notamment le livre du célèbre généalogiste al-
Kalbî Mathâlib al-‘arab, p. 39-40, 46.) Sans doute la célèbre misogynie de ‘Umar est-elle liée à
sa généalogie féminine problématique.
II

LE JARDIN DE LA MORT
Son nom est Musaylima ibn Habîb, dit Abû Thumâma 1 ; son prénom,
diminutif de Maslama, fait étrangement écho au mot muslim. Pourtant, les
musulmans le surnomment al-kadhâb, « l’imposteur » ; ses adeptes, au
contraire, le tiennent pour un authentique prophète et se montrent prêts à
mourir pour lui. Musaylima porte le surnom d’« al-Rahmân de Yamâma ».
Ce surnom est une troublante intersection entre la prophétie de Musaylima
et celle de Muhammad : en islam, al-Rahmân, « le Clément », est, jusqu’à
nos jours, l’un des noms les plus fréquemment utilisés pour désigner Dieu.
Musaylima appartient à la tribu des Banû Hanîfa. Là aussi, l’islam croise
le chemin de la prophétie de Musaylima : le hanifisme est l’un des termes
qui désignent le monothéisme originel d’Abraham, dont l’islam
(surnommé al-dîn al-hanîf) se présente comme l’expression la plus
authentique, contre les déviations juive et chrétienne. Cette idée est
attestée par de nombreux hadîths et versets du Coran, notamment le verset
67 de la sourate 3 : « Abraham n’était ni juif ni chrétien mais musulman
hanifite (musliman hanîfan) ». Les multiples points d’intersection entre la
prédication de Musaylima et l’islam sont pour le moins intrigants, et il
serait réducteur de faire de ce « faux prophète » un simple avatar
charlatanesque de Muhammad.
Musaylima exerce sur ses disciples une grande fascination. Devant
leurs yeux ébahis, il accomplit toutes sortes de « miracles », comme faire
entrer un œuf par le goulot d’une bouteille – à l’inverse de Muhammad,
qui n’a eu de cesse de répéter qu’une prophétie authentique n’avait nul
besoin de s’étayer par des actes surnaturels. Jâhiz rapporte encore
comment il réussit à convaincre les hommes de sa tribu que des cerfs-
volants – chose qu’ils voyaient pour la première fois – étaient les anges
qui lui apportaient la Révélation 2.
Sa carrière débute d’ailleurs bien avant l’islam. Les sources disent
même qu’il a été surnommé al-Rahmân bien avant la naissance de
Muhammad, et même avant la naissance de son père, ce qui induirait qu’il
était beaucoup plus âgé que Muhammad a. Sa renommée s’est propagée
dans toute la province de Yamâma et même au-delà, jusqu’à La Mecque,
au point que lorsque Muhammad, au début de sa prédication, invitait sa
tribu à adorer un Dieu unique qu’il appelait al-Rahmân, tout le monde
avait confondu son message avec celui de Musaylima et avait vu en lui
l’un de ses disciples. La relation entre eux deux gagnerait certainement à
être élucidée ; elle semble constituer une clé importante pour comprendre
la genèse de l’islam.
En tout cas, il est évident que les Mecquois connaissaient l’existence
de Musaylima, voire l’avaient probablement rencontré, dans la mesure où
ils étaient en contact avec sa grande et puissante tribu, les Banû Hanîfa,
établie dans la prospère et stratégique province de Yamâma b 3.
Cette tribu compte dans ses rangs de grands notables dont la
conversion à l’islam a été décisive dans la carrière de Muhammad. La
mémoire collective passe sous silence le rôle majeur joué par l’un de
ceux-ci, Thumâma ibn Uthâl al-Hanîf, qui s’est converti assez tôt à
l’islam. En l’an VI de l’Hégire, le Prophète avait mandaté son ex-fils
adoptif Zayd ibn al-Hâritha pour une razzia à Yamâma, au cours de
laquelle ledit Thumâma avait été capturé et emmené à Médine comme
prisonnier. Sa rencontre avec Muhammad l’avait conduit à se convertir et,
dès son départ de Médine, il s’était rendu à La Mecque pour accomplir le
petit pèlerinage (‘umra), devenant le premier musulman à accomplir ce
rite. Si la Tradition 4 insiste sur sa qualité de premier pèlerin, elle a
tendance à rejeter à l’arrière-plan les conséquences politiques de la
conversion de ce seigneur influent.
Quand quelques Mecquois, hostiles à Muhammad, avaient appris la
conversion de Thumâma, ils l’avaient frappé, humilié, et avaient même
envoyé des hommes pour le tuer. Des voix s’étaient alors élevées pour
empêcher cet assassinat : « Malheureux ! Ne savez-vous pas qui il est ?
C’est Thumâma ibn Uthâl ! » Ce commerçant puissant avait fait fortune
dans le négoce des denrées alimentaires, or les Mecquois dépendaient
économiquement de la région de Yamâma qui était en quelque sorte le
grenier de La Mecque (rîf Makka). Ils n’avaient donc pas intérêt à créer un
incident avec les Banû Hanîfa. Thumâma avait fini par rentrer chez lui
indemne mais, en représailles, avait juré de ne plus fournir La Mecque :
« Je ne vous enverrai plus le moindre grain de blé jusqu’à ce que
Muhammad m’y autorise », avait-il déclaré. Cet embargo économique
avait eu des répercussions catastrophiques. La famine qui s’annonçait
avait mis les Mecquois dans l’obligation de convaincre leur ennemi
Muhammad d’intervenir auprès de Thumâma : « Nous sommes ta famille,
après tout ! lui ont-ils écrit. Tu ne vas tout de même pas permettre qu’on
nous laisse mourir de faim ! » Muhammad avait aussitôt envoyé une
missive à Thumâma pour lui demander de lever l’embargo 5. Il est fort
probable que cet embargo ait été décisif dans la capitulation de La Mecque
au mois de Ramadan de l’an VIII (janvier 630), ce qui expliquerait
pourquoi le récit officiel a marginalisé le rôle de Thumâma : si la prise de
la ville s’est faite sans le recours aux armes, elle a bel et bien été précédée
d’une guerre économique dont Thumâma a été le principal acteur.
Si le Prophète a beaucoup gagné à la conversion de Thumâma, ce
dernier n’était pas le seul puissant Hanifite dont il avait cherché le soutien.
Hawdha ibn ‘Alî vivait avec les membres de sa tribu dans la vallée
agricole de Yamâma. Originaire du bourg de Qurrân 6, dont les habitants
étaient réputés pour leur éloquence, il était l’orateur des Banû Hanîfa. La
noblesse de ses origines, sa sagesse, la finesse de son verbe, sa beauté et
son élégance lui valaient l’admiration et la considération de tous, les
Arabes comme les Perses. L’empereur sassanide Khosrow II (Chosroès en
grec, Kisrâ en arabe) le tenait en grande estime et le couvrait de cadeaux.
Tabarî 7 dit qu’il lui a un jour offert un turban serti de pierres précieuses
que tout le monde a pris pour une couronne, ce qui a valu à Hawdha le titre
de roi (Dhû l-Tâj, « le couronné »). D’après Balâdhurî 8, au début de
l’an VII de l’Hégire (juin 628), Muhammad a adressé à Hawdha une lettre
l’invitant à se convertir à l’islam, comme il l’avait fait avec les empereurs
de la région, d’Héraclius à Khosrow en passant par le Négus d’Éthiopie,
preuve qu’il le considérait comme de même rang que ces derniers.
Hawdha lui avait fait répondre : « Ce à quoi tu m’invites est admirable,
mais il faut que tu saches que je jouis d’un grand prestige parmi les
Arabes, qui me craignent et me respectent. Donne-moi une part de ton
pouvoir et je te suivrai. » Le fait que son puissant protecteur, l’Empire
perse, montrât déjà à l’époque des signes de déliquescence n’était sans
doute pas étranger à sa bonne disposition envers de nouvelles alliances.
Selon une autre version, Hawdha, qui était chrétien, aurait répondu : « S’il
me lègue le pouvoir après lui j’irai vers lui, je me convertirai à l’islam et
je le soutiendrai. Sinon, j’irai lui faire la guerre. » Avant de rentrer à
Médine, Salît ibn ‘Amrû al-‘Amirî, le messager du Prophète auprès de
Hawdha, s’est vu confier de somptueux vêtements de brocart brodés d’or,
mais ce cadeau luxueux n’avait pas apaisé la colère du Prophète qui, en
prenant connaissance de la réponse du puissant Hanifite, s’était écrié :
« Même s’il me demandait un caillou, je ne le lui donnerais pas ! Qu’il
périsse, lui et son pouvoir 9 ! » Après cet unique échange épistolaire, il n’y
avait plus eu de contact entre Muhammad et Hawdha, car ce dernier était
mort peu de temps après, en l’an VIII (629-630) selon Ziriklî 10.
L’année suivante, lors de la fameuse « année des délégations », les
Banû Hanîfa ont cependant envoyé, à l’instar de nombreuses autres tribus,
une délégation à Médine pour faire allégeance à Muhammad 11. Dans la
mesure où celle-ci était présidée par Sulmî ibn Handhala, un cousin de
Hawdha, on peut présumer que ce dernier en avait donné l’ordre avant sa
disparition. Muhammad n’a pas hésité à se saisir de cette seconde chance
pour créer des liens avec cette puissante tribu. Parmi les dix membres de
la délégation se trouvaient trois hommes appelés à jouer par la suite un
rôle majeur : al-Mujjâ‘a ibn Murâra, al-Rajjâl ibn ‘Unfuwwa et le fameux
Musaylima ibn Habîb.
Musaylima et Muhammad se seraient-ils donc rencontrés à Médine ?
À cette question cruciale, la Tradition apporte deux réponses différentes :
une version veut que Musaylima ait vu le Prophète 12, l’autre qu’il soit
resté à l’extérieur de Médine. Musaylima aurait dit aux autres membres de
la délégation : « Je ne vais pas venir avec vous. Je reste ici aux portes de la
ville. Si Muhammad vous demande pourquoi vous n’êtes que neuf au lieu
des dix personnes annoncées, dites-lui que le dixième est resté dehors pour
garder la caravane 13. » De fait, le Prophète aurait posé cette question et, en
entendant la réponse dictée par Musaylima, aurait déclaré : « Cet homme
resté dehors est le meilleur d’entre vous ! » Une vieille maxime arabe dit
en effet que « le meilleur d’entre les hommes qui voyagent ensemble se
met au service des autres ». En entendant les propos rapportés de
Muhammad, Musaylima se serait exclamé : « Voyez par vous-mêmes ! Il
vient confirmer mon grand mérite ! » Certaines sources affirment par
ailleurs que Musaylima était déjà venu auparavant discrètement à Médine
et y avait entendu prêcher le Prophète 14.
Quand Muhammad avait invité les Banû Hanîfa à adopter l’islam en
leur exposant les fondements de la nouvelle religion, un des membres de
la délégation s’était montré particulièrement réceptif : al-Rajjâl ibn
‘Unfuwwa, également prénommé Nahâr al-Rajjâl. Il s’était
immédiatement converti et avait fait preuve d’une application et d’une
piété exemplaires : il aurait appris par cœur la sourate al-Baqara (« La
Génisse », la plus longue sourate du Coran) ainsi que tous les préceptes de
l’islam en un temps record. Le Prophète, admiratif, l’avait alors chargé de
convertir les Banû Hanîfa à son retour à Yamâma. En rentrant chez eux, les
membres de la délégation avaient parlé à leurs contribules des préceptes
de l’islam, mais les Banû Hanîfa les avaient trouvés trop rigoureux. C’est
alors que Musaylima leur avait dit : « Je suis prophète tout comme
Muhammad ; il a mission prophétique sur la moitié de la terre, et moi, sur
l’autre moitié. Lui reçoit ses révélations de Gabriel et moi, de Michael.
Mes compagnons de voyage sont témoins, il a lui-même reconnu mon
mérite. Je vais alléger ces obligations ! Vous verrez combien ma doctrine
est plus facile. »
Selon Ibn Hishâm 15, Musaylima aurait notamment réduit le nombre de
prières et rendu licites le vin et la fornication. Cet allègement doctrinal
avait beaucoup plu aux Banû Hanîfa, qui avaient massivement suivi leur
prophète. Le succès de Musaylima s’était également nourri des rivalités
tribales. D’aucuns disaient ainsi : « Quand bien même Musaylima serait
menteur et Muhammad sincère, nous préférons suivre un imposteur de
Rabî‘a plutôt qu’un prophète authentique de Mudhar 16 ! » Rabî‘a et
Mudhar sont, en effet, les deux grandes confédérations de tribus des
Arabes du Nord : les Banû Hanîfa, on l’aura compris, appartiennent à la
première et Quraysh à la seconde.
Rapidement, Musaylima était devenu un très sérieux concurrent du
maître de Médine, qu’il imitait en tous points : il s’était mis à réciter
devant ses adeptes des versets en prose rimée qui pastichaient les
révélations transmises par Muhammad et s’était même attaché les services
d’un muezzin personnel du nom de ‘Abd-Allâh ibn al-Nawâha. Même al-
Rajjâl ibn ‘Unfuwwa, musulman exemplaire lors de son séjour à Médine,
avait fait volte-face et apostasié. C’est lui, dit-on, qui aurait encouragé
Musaylima à suivre l’exemple de Muhammad et à se constituer une armée
pour étendre son autorité.
Al-Rajjâl ibn ‘Unfuwwa avait conseillé à Musaylima d’adresser, vers
la fin de l’an X (début 632), une lettre menaçante à Muhammad pour lui
proposer un partage équitable du territoire arabe : « De Musaylima, al-
Rahmân de Yamâma, à Muhammad ibn ‘Abd-Allâh, messager de Dieu
dans la tribu de Quraysh. Je suis ton associé dans la prophétie : à moi donc
la moitié de la terre, à toi l’autre moitié. Mais vous autres Qurayshites,
vous n’aimez pas partager… » En la lisant, Muhammad avait demandé aux
deux messagers : « Qu’en dites-vous ?
– Musaylima a raison, avaient-ils répondu, tu exerces le pouvoir sur la
moitié de la terre, et lui sur l’autre moitié. » Très irrité par leur réponse,
Muhammad s’était écrié : « La coutume m’interdit de tuer les émissaires ;
sinon, je vous aurais tous les deux mis à mort ! » Il avait ensuite envoyé
une réponse écrite à Musaylima : « De Muhammad, envoyé d’Allâh, à
Musaylima l’imposteur. Salutations à ceux qui ont suivi le droit chemin ;
or, la terre appartient à Allâh. Il en donne la possession à qui il veut. La
récompense finale sera accordée aux vertueux 17. » Au moment où il avait
reçu cette lettre, Muhammad avait en outre appris l’émergence d’un autre
« faux prophète » au Yémen, du nom d’Aswad al-‘Ansî, comme on le
verra plus loin. Le succès de ces deux « imposteurs » préoccupait
tellement Muhammad qu’il en faisait des cauchemars 18.
Toutefois, cette concurrence religieuse entre prophètes rivaux ne doit
pas dissimuler les enjeux géopolitiques qui se cachent derrière le
phénomène Musaylima. La mort du puissant Hawdha ibn ‘Alî, roi de
Yamâma, avait créé une vacance du pouvoir qui avait permis à Musaylima
de s’autoproclamer chef des Banû Hanîfa sur la base de sa vocation de
prophète. En réalité, celle-ci n’était sans doute que l’habillage religieux
d’un grand projet politique : créer, dans la riche province de Yamâma, un
État indépendant tant de la Perse déclinante que de Médine et qui
contrôlerait la route commerciale entre l’Irak et le Yémen. Ibn ‘Unfuwwa,
dont l’influence sur Musaylima était considérable, était probablement
l’architecte de ce projet. Il l’a beaucoup encouragé à établir un système
politique symboliquement fort centré sur une religion et un prophète, sur
le modèle de Médine. Il fallait pour cela jeter les bases d’une organisation
religieuse et liturgique qui auréolerait de sacralité l’autorité politique
naissante c. La parfaite connaissance de l’islam qu’Ibn ‘Unfuwwa a acquise
lors de son bref séjour dans la ville du Prophète lui a permis de conseiller
efficacement Musaylima dans ce sens. Son apprentissage accéléré dans la
proximité immédiate de Muhammad a été pour lui l’occasion d’observer
la « cuisine interne » de la religion et d’en voler les « secrets de
fabrication ». Il se serait en somme livré à de l’espionnage religieux,
comme on parle aujourd’hui d’espionnage industriel. On comprend mieux
dès lors pourquoi les rédacteurs de la Tradition n’hésitent pas à affirmer
que l’apostasie d’Ibn ‘Unfuwwa a été plus néfaste à l’islam que
l’imposture de Musaylima 19.
Le contexte était d’autant plus favorable à ce dernier que de nombreux
membres de la tribu des Banû Hanîfa étaient vraisemblablement chrétiens
et donc déjà initiés au monothéisme. Lui-même a sans doute été influencé
par le christianisme. La mort de Muhammad l’année suivante a semblé
être une aubaine pour lui. Grisé par la disparition de son rival, il a déclaré
à ses adeptes : « Gabriel m’est apparu et m’a annoncé que désormais Dieu
me confie la mission prophétique sur toute la terre. » Musaylima est
désormais au faîte de sa gloire, suivi par des milliers d’adeptes.
Quand il arrive au pouvoir, Abû Bakr hérite donc d’une situation
extrêmement périlleuse et Musaylima constitue l’épicentre de la plus
grave menace qui pèse sur le jeune État islamique. La guerre que le calife
décide de lui déclarer n’est pas une guerre d’« apostasie » – Musaylima et
la majorité des Banû Hanîfa ne se sont jamais convertis à l’islam – mais
une véritable guerre de domination territoriale.
Entre-temps, la prophétesse Sajâh avait donc délaissé les Banû Tamîm
et décidé d’aller chercher des renforts ailleurs : justement chez
Musaylima 20. Dès son arrivée à Yamâma, elle campe à Hajar. Sa venue
contrarie Musaylima, qui a déjà de nombreux soucis : on lui a appris
qu’une attaque de l’armée musulmane était probablement imminente.
L’arrivée de Sajâh dans son territoire le préoccupe d’autant plus qu’il ne
parvient pas à en cerner les raisons. Il décide alors de prendre les devants
et d’aller à sa rencontre pour sonder ses intentions. Première erreur de sa
part : les armées musulmanes qui observent de loin ses mouvements en
déduisent que cette rencontre était prévue et que les deux « faux
prophètes » sont déjà alliés. Escorté de quarante hommes, Musaylima fait
dresser sa grande tente non loin du camp de Sajâh et l’y reçoit. Il s’installe
face à elle et lui dit : « La fonction prophétique sur cette terre était
partagée entre Muhammad et moi. Quand il est mort, Gabriel est venu me
voir pour me confier l’exercice de cette fonction sur toute la terre. J’ai
cependant décidé de te céder la part de Quraysh que Muhammad détenait.
Ainsi donc, la moitié de la terre sera à toi, et l’autre moitié à moi. » Sajâh
sourit de satisfaction, agréablement surprise par les propos de Musaylima.
« Ta grande renommée en tant que prophète, lui dit-elle, est parvenue
jusqu’à moi. Parle-moi, je te prie, des révélations que tu reçois. »
Musaylima commence à scander des versets qui sont un pastiche du
Coran ; Wâqidî 21 rapporte ainsi une scène où Musaylima déclame devant
Sajâh une paraphrase de la sourate coranique 90, al-Balad (« La Cité »)
dont il reprend le premier verset (« Non ! Je jure par cette Cité ») avant
d’en donner une autre suite en prose rimée. Sajâh est ravie. Décidément,
ce Musaylima lui plaît beaucoup. Il demande à Sajâh : « Dis-moi, as-tu
reçu quelque révélation me concernant ? » et celle-ci répond en souriant :
« Est-il décent que les femmes commencent par parler de leurs
révélations ? C’est à toi de me parler des tiennes. » Affichant un rictus
lubrique, Musaylima se lève et s’assoit à proximité de Sajâh : « Ne vois-tu
pas comment ton Seigneur fait avec la femme enceinte, dont il fait sortir
d’entre le péritoine et les viscères un être vivant ? » Sajâh regarde
langoureusement Musaylima : « Fort intéressant ! Et qu’a-t-il révélé
d’autre ? » Il éclate de rire : « Il m’a également révélé que Dieu a créé les
vagins des femmes et a fait des hommes leurs maris… » Sajâh est très
amusée : « J’atteste que tu es prophète ! », minaude-t-elle. Musaylima,
satisfait du succès de sa séduction, abat son jeu : « Veux-tu m’épouser ? Je
suis prophète, et tu es prophétesse. Nous sommes faits l’un pour l’autre.
Mes adeptes et les tiens s’uniront, et nous soumettrons tous les Arabes à
notre autorité.
– L’idée ne me déplaît pas du tout », répond Sajâh.
La Tradition rapporte ensuite leurs échanges érotiques lors desquels ils
s’adressent des propos particulièrement salaces, mais toujours en vers et
en prose rimée. S’excusant auprès du lecteur pour leur obscénité, de
nombreux auteurs, comme Tabarî et Wâqidî, en citent néanmoins quelques
morceaux choisis. Musaylima parle ainsi à Sajâh : « Lève-toi pour la
fornication, la couche est prête : si tu veux je te prends dans tous les
endroits et dans toutes les positions. » Sajâh éclate de rire : « Dans toutes
les positions et dans tous les endroits ? Je te trouve bien inspiré ! »
Après la consommation de leur union, Sajâh demeure auprès de
Musaylima trois jours puis retourne dans le camp de sa tribu. Elle informe
ses adeptes de son mariage. On la questionne : « Qu’est-ce qu’il t’a offert
en guise de don nuptial ?
– Je n’ai rien eu », répond-elle. Ses adeptes sont scandalisés : « Mais il
n’est pas décent qu’une femme de ton rang ne reçoive rien en don
nuptial ! » Elle revient alors vers Musaylima qui, déjà rentré dans sa
forteresse, ne prend pas la peine de descendre et s’adresse à elle du haut du
rempart : « Que fais-tu ici ?
– Je viens te réclamer mon don nuptial.
– Va informer ta tribu que Musaylima leur accorde l’exemption de
deux prières sur les cinq que Muhammad a prescrites, celle de l’aurore et
celle du coucher. » Tabarî rapporte que, depuis ce jour, dans le désert
arabe, plusieurs tribus continuent de ne pas accomplir ces deux prières.
Ibn Kathîr relate pour sa part que le cadeau nuptial a consisté en la levée
des interdits sur le vin et la fornication.
Après avoir neutralisé la menace que représentait Sajâh et jugeant
dorénavant sa présence encombrante en raison de la pression exercée par
les armées califales, Musaylima lui conseille de rentrer chez elle. Pour la
convaincre, il consent à lui verser en dédommagement la moitié des
revenus des produits agricoles de la province de Yamâma, avec un premier
versement immédiat et un second plus tard. Sajâh laisse à Yamâma trois
représentants (Hudhayl, ‘Aqqa et Ziyâd) pour percevoir la deuxième
tranche, qui ne pourra jamais être versée. Sajâh retourne donc chez les
siens, la tribu des Taghlib, à Bassora, avant l’arrivée des musulmans à
Yamâma. Elle y demeurera jusqu’en 661, quand Mu‘âwiya la fera
expulser. On raconte qu’elle se serait convertie à l’islam avant de mourir.
Pour Musaylima, le répit est de courte durée. Les dernières nouvelles
sont très mauvaises : l’armée de Khâlid s’approche à grands pas. L’un des
épisodes les plus sanglants du premier califat est sur le point de se jouer.

Quoiqu’il n’ait nulle intention d’attaquer Médine, Musaylima inquiète


les musulmans du fait de son influence grandissante sur le vaste et
stratégique territoire de Yamâma. Abû Bakr en est bien conscient et
acquiesce en silence quand ses amis viennent l’implorer de mettre le
maître de Yamâma hors d’état de nuire. Il est déterminé mais soucieux : le
combat s’annonce rude contre l’armée de Musaylima, composée de
milliers d’hommes – quarante mille selon Tabarî 22.
Quand ses troupes étaient stationnées à Dhû l-Qassa, Abû Bakr avait
envoyé ‘Ikrima ibn Abî Jahl, un cousin de Khâlid, en éclaireur à Yamâma
puis avait dépêché Shurahbîl ibn Hasana en renfort. Mais ‘Ikrima, d’après
Ibn Kathîr, avait lancé l’assaut sans attendre : il voulait récolter seul les
honneurs 23. Son armée est taillée en pièces et Abû Bakr, furieux, lui écrit
pour lui reprocher vertement sa précipitation 24. Il lui ordonne de quitter
immédiatement Yamâma et de se diriger d’abord vers Oman pour
renforcer les troupes musulmanes stationnées là-bas, puis vers le Yémen
et l’Hadramaout pour venir en aide à Muhâjir ibn Abî Umayya, qui est un
autre de ses cousins.
Le calife est désormais persuadé que seul Khâlid ibn al-Walîd, le
vainqueur de Tulayha, est capable d’affronter le puissant Musaylima,
même si cette mission ne figurait pas sur la feuille de route qu’il lui avait
remise à Dhû l-Qassa. Quand il le convoque à Médine suite au scandale
Mâlik ibn Nuwayra, ce n’est pas pour le limoger, ni même pour le
réprimander, mais en réalité pour lui confier cette nouvelle mission.
« C’est toi qui iras combattre Musaylima ! C’est notre pire ennemi. Il doit
disparaître ! », décrète le calife avec fermeté. Même si le général est
éclaboussé par ledit scandale, le calife a besoin de lui ; et on comprend dès
lors pourquoi il a refusé de le limoger malgré la demande pressante de
‘Umar et lui a même pardonné sans sourciller. En couvrant ses
agissements odieux, le calife s’expose à de violentes critiques mais, par
pragmatisme politique, il sait que Khâlid est bien le seul homme
intransigeant sur lequel il puisse compter.
Conformément à ces nouvelles instructions, le général lève donc le
camp en direction de Yamâma. Son armée est considérable : en plus des
Émigrants et des Ansârs, il a maintenant sous son commandement des
escadrons venus des tribus vaincues et soumises. Sous ses drapeaux, treize
mille hommes en tout sont enrôlés. Sur son chemin vers Yamâma, il se
livre à toutes sortes de razzias et extermine des « apostats » de la pire des
manières.
Quand les Banû Hanîfa apprennent l’approche de l’armée de Khâlid,
nous dit Wâqidî 25, ils demandent conseil à Thumâma ibn Uthâl, premier
converti de la tribu et opposant de Musaylima. Celui-ci les prévient qu’ils
ont tort de se battre pour un imposteur et les informe de sa décision d’aller
de ce pas à la rencontre de Khâlid pour lui proposer la paix afin de
préserver sa vie, sa famille et son argent. Un grand nombre des Banû
Hanîfa sortent avec Thumâma au milieu de la nuit et demandent la paix à
Khâlid qui la leur accorde ; mais, pour des raisons obscures, Thumâma ne
prendra pas pour autant part à la bataille de Yamâma aux côtés des armées
califales.
Dès leur arrivée, ces dernières campent au niveau de l’un des oueds de
la région et Khâlid envoie un corps de troupe de deux cents hommes en
mission de reconnaissance : « Avancez sur cette terre et rapportez-moi tout
ce que vous pouvez rapporter ! » Sur le chemin, le bataillon croise le
chemin de Mujjâ‘a ibn Murâra, l’un des seigneurs des Banû Hanîfa qui
avait fait partie de la délégation ayant rencontré le Prophète à Médine. Lui
et la vingtaine d’hommes qui l’accompagnent sont capturés par l’escadron
de musulmans. On les emmène enchaînés devant Khâlid qui leur demande
aussitôt : « Que pensez-vous de votre ami Musaylima ?
– On dit qu’il est l’associé de Muhammad ibn ‘Abd-Allâh dans la
prophétie », s’entend-il répondre. Mujjâ’a, plus prudent, oppose qu’il n’est
pas de cet avis : il explique que lui et son ami Sâriya ibn ‘Âmir croient en
Muhammad, qu’il a déjà rencontré à Médine ; il jure qu’il n’a pas
apostasié mais qu’il est obligé de transiger avec Musaylima parce qu’il a
peur de lui.
Le général dit à ces deux-là de se mettre de côté, à l’écart des
« mécréants », puis avance vers les autres captifs et leur tranche la tête
d’un coup sec. Mujjâ‘a est terrorisé. Persuadé que ce sera bientôt son tour,
il supplie Khâlid d’une voix tremblante : « Ô Émir ! Pourquoi t’es-tu
précipité de tuer ces gens ? Je jure par Allâh que tu es terrifiant ! Je suis
toujours musulman : ce à quoi je croyais hier, j’y crois encore aujourd’hui.
Si un imposteur s’est imposé à nous, que veux-tu qu’on y fasse ? Pourquoi
confonds-tu l’innocent et le coupable ? Allâh dit dans le Coran : “Nul
homme ne portera le fardeau d’un autre” (35 : 18). » Sâriya renchérit en
disant à Khâlid sur le même ton implorant : « Il a raison. Ne nous punis
pas parce que d’autres sont fautifs. Je suis moi aussi musulman. S’il te
plaît, ne nous tue pas ! Nous redoutons ton sabre. Et puis, nous pouvons
t’être d’un grand secours dans ta guerre contre Musaylima. Mujjâ‘a qui est
devant toi est un seigneur influent à Yamâma. Épargne-le ; il te sera très
utile. » Khâlid réfléchit un court instant et accorde sa grâce aux deux
hommes. Toutefois, il décide de les retenir comme « otages », selon le mot
de Tabarî 26, en attendant de voir comment va évoluer la situation. Il a
notamment l’intention d’exploiter la ruse de Mujjâ‘a. D’ici là, il le charge
de chaînes et le garde captif dans sa tente auprès de sa nouvelle épouse :
Umm Tamîm, la veuve de Mâlik.
Quand Musaylima apprend la nouvelle de la venue de Khâlid dans son
territoire, il organise son armée, qu’il fait camper à ‘Aqrabâ’ d dans les
marches de Yamâma, et en confie le commandement à deux de ses
hommes : Muhakkam ibn Tufayl et Nahâr al-Rajjâl ibn ‘Unfuwwa ; ce
dernier aussi faisait partie de la délégation à Médine. L’armée califale qui
avance compte dans ses rangs de prestigieux Compagnons, tels Zayd le
frère de ‘Umar 27, ‘Abd al-Rahmân le fils d’Abû Bakr, Thâbit ibn Qays,
Sâlim l’affranchi d’Abû Hudhayfâ et Ussâma ibn Zayd, qui l’a rejointe
entre-temps. D’après Ibn Hishâm, des femmes figurent aussi parmi les
combattants, telles Nusayba bint Ka‘b, des Khazraj, qui a soutenu
Muhammad dès le début de sa prédication et dont le fils Habîb ibn Zayd a
été démembré par Musaylima du vivant du Prophète dans d’étranges
circonstances que la Tradition expose d’une manière laconique. C’est pour
venger la mort de son fils que Nusayba, accompagnée de son deuxième fils
‘Abd-Allâh ibn Zayd, tient à prendre part à la guerre contre
l’« imposteur ».
Les deux armées rivales sont maintenant déployées dans la région de
‘Aqrabâ’ et prêtes pour le combat. L’affrontement est imminent. Selon Ibn
Kathîr 28, la bataille de Yamâma commence à la fin de l’an XI de l’Hégire
pour s’achever au début de l’an XII, soit en décembre 632 ; Diyâr Bakrî 29
affirme en revanche qu’elle a lieu bien plus tard, au mois de Rabî‘ I de
l’an XII, soit en mai 633 e. Avant d’ouvrir les hostilités, les deux armées
s’observent de loin pendant une journée. Le lendemain, Khâlid décide de
déclencher l’assaut. À sa droite, il place Zayd ibn al-Khattâb, le frère de
‘Umar ; à sa gauche, Ussâma ibn Zayd. Face à eux, les soldats de
Musaylima dégainent leurs sabres. La bataille est lancée ; elle s’avère
particulièrement sanglante. Rapidement, la violence revêt une dimension
inouïe : pour le premier jour des combats, Wâqidî 30 parle de trois cents
morts parmi les musulmans et du double parmi les soldats de Musaylima.
On dit qu’al-Rajjâl ibn ‘Unfuwwa est tué ce jour-là par Zayd ibn al-
Khattâb et que Muhakkam ibn Tufayl est mis à mort par ‘Abd al-Rahmân,
le fils du calife.
Le soir, les deux adversaires marquent une trêve.
Le lendemain, les combats reprennent, encore plus violents que ceux
de la veille. Les soldats de Musaylima lancent un assaut impitoyable sur
les musulmans et font de nombreuses victimes 31, dont Zayd ibn al-
Khattâb, le frère de ‘Umar. Pour échapper au massacre, de nombreux
soldats musulmans s’enfuient à toutes jambes. C’est la déroute ! La charge
donnée par les soldats de Musaylima est si importante qu’ils pénètrent
dans le camp adverse et parviennent jusqu’à la tente de Khâlid ibn al-
Walîd, qu’ils investissent. Ils y découvrent Mujjâ‘a enchaîné tandis qu’à
ses côtés se tient Umm Tamîm, la veuve de Mâlik qui, recroquevillée,
tremble toujours de peur. Les hommes de Musaylima se précipitent
immédiatement sur elle. Elle se cache derrière Mujjâ‘a qui la couvre de
son manteau ; il repousse les hommes de Musaylima en criant : « Laissez-
la tranquille ! C’est une femme honorable ! Honte à vous ! Vous délaissez
les hommes pour venir vous en prendre à une femme ? Sortez d’ici ! Allez
combattre les hommes ! » Les assaillants baissent la tête et sortent de la
tente de Khâlid sur la pointe des pieds.
Ce dernier, sur le champ de bataille, constate que ses soldats se sont
dispersés et qu’il se retrouve quasiment seul face à l’armée adverse. Il
prend peur et commence à apostropher ses hommes en hurlant : « Malheur
à vous, récitateurs du Coran ! Ne craignez-vous donc plus la colère de
Dieu et le châtiment de l’enfer ? Malheur à vous, gens de l’islam ! »
L’affaire est désespérée. Seul un petit nombre de musulmans se résout à
rejoindre Khâlid. Refusant de battre en retraite, le général monte à cheval
et dit à Sâlim, l’affranchi d’Abû Hudhayfâ, de reprendre l’étendard des
Émigrants et d’avancer à ses côtés. En voyant l’attitude téméraire de leur
chef, les soldats musulmans sortent de leurs cachettes les uns après les
autres et se rassemblent autour de lui. Khâlid, pour galvaniser ses
hommes, continue de les haranguer : « Ô Émigrants ! Ô Ansârs ! Quel est
ce mauvais esprit qui vous a possédés subitement ? Vous vous enfuyez dès
que votre ennemi se montre ? Quand bien même vous n’auriez plus la foi
en l’islam, battez-vous au moins pour votre honneur ! » Les paroles de
Khâlid font le plus grand effet sur ses troupes. Ils ne vont pas abandonner.
Plus rien ne va les arrêter.
Alors la bataille reprend de plus belle. La violence atteint son
paroxysme. La Tradition décrit avec beaucoup de détails l’atrocité du
combat. Les descriptions se focalisent notamment sur Abû Dujâna, dont
l’action sur le champ de bataille est particulièrement féroce 32. On dit que,
d’un seul coup de sabre, il coupe en deux un seigneur des Banû Hanîfa ; il
mutile des jambes et tranche de nombreuses têtes. Dans une scène
rapportée par Tabarî 33, on voit encore Abû Dujâna prendre son adversaire
dans ses bras et l’égorger en criant à tue-tête : « Ô gens de l’islam ! Venez
à moi ! Venez à moi ! » On accourt vers lui et on lance un assaut
impitoyable contre l’armée de Musaylima. Thâbit ibn Qays ibn Shammâs,
l’orateur des Ansârs, est présent, déclamant des vers épiques pour
encourager les troupes. Soudain, on n’entend plus sa voix. On se retourne
vers lui : le voici à terre, baignant dans une mare de sang. Un soldat de
Musaylima vient de le faire taire à jamais.
Malgré leur acharnement au combat, les musulmans continuent de
subir une pénible déconfiture. Les Banû Hanîfa sont coriaces et les pertes
humaines du côté musulman sont considérables. On dit que même le
téméraire Khâlid a craint pour sa vie ce jour-là. Débordé par la situation, il
ordonne à ses soldats une retraite stratégique en attendant d’y voir plus
clair. Les musulmans passent la soirée à compter leurs victimes. Le bilan
est lourd, très lourd. Des morts par centaines, parmi lesquels certains des
plus illustres Compagnons du Prophète : Zayd le frère de ‘Umar, mais
aussi Sâlim l’affranchi d’Abû Hudhayfa, Thâbit ibn Qays ainsi qu’un
grand nombre de Compagnons qui connaissaient le Coran par cœur.
Nusayba, elle aussi présente sur le champ de bataille, est grièvement
blessée. Devant l’ampleur du désastre, Khâlid n’a guère le choix. Il doit
jouer son va-tout en tentant un ultime assaut. Le lendemain, il réunit ce
qui reste de ses troupes avant de rompre leurs rangs et d’assigner à chaque
groupe un poste précis. Lui-même, juché sur son cheval, se place au
centre. Il dégaine son sabre et le lève très haut puis charge le premier en
criant Allâhu akbar ! Ses soldats, derrière lui, reprennent à gorge
déployée : Allâhu akbar ! avant de s’élancer à leur tour et de charger
l’armée adverse comme un seul homme.
Les soldats de Musaylima, croyant qu’ils ont gagné la bataille dès la
veille, ne sont pas préparés à cet assaut. Pris par surprise, ils se trouvent
rapidement dépassés par cette attaque inattendue. C’est la débandade dans
leurs rangs, d’autant que leurs têtes pensantes, al-Rajjâl et Muhakkam, ont
été tuées le premier jour des hostilités. Musaylima s’exclame : « Vite !
Réfugiez-vous dans le jardin ! » Ses soldats courent alors très vite en
direction d’un grand verger clôturé qu’on appelle Hadîqat al-Rahmân (le
Jardin d’al-Rahmân 34) : c’est là que Musaylima, son propriétaire, a établi
son quartier général.
Ses hommes se précipitent vers la porte et entrent dans ce clos dont les
murs sont très élevés. Ils en ferment le grand portail solide avant d’aller se
réunir autour de Musaylima. Le reste de l’armée se tient tout autour.
Khâlid ordonne à ses troupes de poursuivre leurs adversaires mais, arrivés
devant la porte du jardin, ils constatent qu’ils ne peuvent y pénétrer. Sur
ordre de leur général, ils continuent leur combat acharné contre leurs
ennemis devant ce portail. Les hommes de Musaylima se battent à corps
perdu et tuent de nombreux musulmans. Mais Khâlid n’abandonne pas.
Combattant lui-même, il élimine plusieurs de ses adversaires. Les
musulmans ne parviennent pas pour autant à entrer dans ce jardin qui leur
paraît imprenable.
C’est alors qu’un soldat musulman du nom d’al-Barâ’ ibn Mâlik entre
dans une transe inouïe et commence à hurler : « Jetez-moi dans le jardin !
Jetez-moi dans le jardin ! » Cet Ansarien est réputé pour son attitude
spectaculaire au combat : il entre dans un état second quand il est sur le
champ de bataille. Il faut être inconscient pour demander à être jeté par-
dessus le mur dans le jardin d’al-Rahmân, au milieu de ses ennemis !
Aussitôt, les soldats musulmans le hissent sur leurs bras et le balancent
par-dessus la clôture. Il bondit « comme un lion » et court au milieu du
jardin tel un forcené en urinant du sang, si vite que les hommes de
Musaylima n’arrivent pas à le capturer. Al-Barâ’ fonce vers la porte du
clos et l’ouvre pour laisser les musulmans entrer. Saisi enfin par ses
adversaires, il est tout de suite neutralisé et tué 35. Sans perdre une seconde,
Khâlid, le premier, pénètre à cheval dans le jardin, brandissant son sabre.
Il est suivi de ses soldats. Un homme de l’armée de Musaylima s’écrie :
« Ô gens des Banû Hanîfa ! Battez-vous jusqu’au bout et mourez
dignement. Ce jardin est le jardin de la Mort 36 ! » La bataille qui a lieu
dans ce verger est un véritable carnage. Les morts, dans les deux camps,
s’entassent. Wâqidî 37 dit que, de sang, la terre du jardin est devenue toute
rouge. Tabarî 38 rapporte que sept mille hommes y ont été égorgés, tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur. Ce verger sera désormais appelé par la
Tradition Hadîqat al-Mawt (le jardin de la Mort).
Dès qu’il voit que la porte du jardin est ouverte et que les musulmans
sont en train d’y pénétrer, Musaylima, qui se trouve dans un coin de
l’enclos, la bouche écumante, entre lui aussi dans une transe
impressionnante : preuve, selon Tabarî 39, qu’il est possédé par Satan. Il
finit par se ressaisir et monte sur son cheval pour continuer le combat,
mais voit que la terre du jardin est jonchée de cadavres. Son armée est
défaite. Il ne lui reste plus qu’à prendre la fuite et s’exfiltrer au plus vite
de ce jardin : il abandonne alors sa monture, se dissimule le visage avec la
visière de son casque et se dirige vers la porte. Wahshî, l’esclave abyssin
qui, lors de la bataille d’Uhud, avait tué Hamza, l’oncle du Prophète, s’y
tient devant f. Il a dans la main le javelot dont il s’est servi pour tuer
Hamza. Lorsque Musaylima s’approche de la porte, l’Ansarien ‘Abd-Allâh
ibn Zayd l’aperçoit et a un pressentiment : « C’est sans doute
l’imposteur », se dit-il. Il le rattrape et le frappe de son sabre. Musaylima
s’effondre par terre. Le coup que lui assène ibn Zayd ne l’atteint pas car il
est protégé par sa cuirasse. Il se relève et part en courant. L’Ansarien
interpelle alors de loin Wahshî : « Attrape-le ! C’est Musaylima ! »
L’esclave abyssin lance son javelot sur le fugitif et transperce son
abdomen de part en part malgré la cuirasse. Musaylima s’écroule, raide
mort cette fois 40. « Finalement, j’aurai tué le meilleur et le pire des
hommes 41 », philosophe Wahshî.
Les Banû Hanîfa viennent de recevoir là le coup de grâce : pour les
musulmans, c’est la victoire. Escorté de quelques-uns de ses soldats,
Khâlid fait le tour du champ de bataille en marchant au milieu des
cadavres. Il demeure sur ses gardes car il pense que Musaylima est encore
vivant ; certes, on lui a annoncé sa mort, mais il veut pouvoir constater
lui-même son décès. Comme, dans les faits, il n’a jamais rencontré
Musaylima ni aucun homme des Banû Hanîfa, il fait mander Mujjâ‘a pour
qu’il l’aide à identifier les cadavres de ses adversaires. Mujjâ‘a est traîné,
enchaîné, dans le jardin de la Mort. Il montre à Khâlid le corps de
Musaylima. Le général musulman est surpris par sa frêle silhouette et son
visage très pâle : il ne pensait pas que cet homme charismatique qui avait
réussi à fédérer autour de lui des milliers d’adeptes pût être si menu. Il se
tourne vers Mujjâ‘a et lui lance : « Voilà ! Votre ami est fini ! Et c’est à
cause de cet homme chétif que vous avez subi tant de pertes ?
– Que Dieu te protège, ô émir !, répond Mujjâ‘a, qui fait des courbettes
devant Khâlid pour être sûr d’être épargné. Que Musaylima soit maudit !
Il a porté malheur à toute la tribu des Banû Hanîfa ! »
Khâlid quitte le jardin de la Mort satisfait. La guerre est
définitivement gagnée. Mais l’hécatombe est d’une ampleur telle que les
musulmans n’arrivent pas à savourer leur victoire. Khâlid constate les
lourdes pertes de son armée : la Tradition parle de mille deux cents
victimes dans les rangs des musulmans, dont des dizaines de récitateurs du
Coran, ainsi que des Compagnons illustres du Prophète. Dans leur
évocation du bilan de la bataille, Tabarî et Ibn Kathîr donnent des chiffres
faramineux et sans doute exagérés : des centaines de morts du côté
musulman et des milliers de morts dans le camp des Banû Hanîfa.
Khâlid ordonne qu’on enterre rapidement les soldats musulmans : ils
sont inhumés avec leurs vêtements ensanglantés et sans qu’on fasse sur
eux la prière, la toilette mortuaire comme l’appel à la clémence divine
étant superflus pour ceux qui, morts en martyrs dans le jihâd pour Dieu,
sont accueillis directement au paradis. Les cadavres des adversaires, y
compris celui de Musaylima, sont jetés dans les puits voisins. Le général
musulman envoie une lettre à Abû Bakr pour l’informer de la victoire
mais aussi pour lui dresser le bilan des pertes humaines. Quand la nouvelle
de la mort de tant de musulmans parvient à Médine, les cris et les sanglots
éclatent dans toutes les maisons. Cette fois, la victoire a un goût amer.
‘Umar s’effondre en apprenant la mort de son frère Zayd. Abû Bakr est
dévasté. Il est certes soulagé d’apprendre que son fils ‘Abd al-Rahmân est
sain et sauf et qu’il a même fait preuve d’héroïsme en tuant Muhakkim, le
stratège de l’armée adverse, mais cette vision de Médine pleurant ses
morts lui évoque Fâtima. « Voici certainement l’effet de sa malédiction !
Même notre victoire est noyée dans les larmes ! »
Abû Bakr s’inquiète en particulier de la mort de tant de Compagnons
qui connaissaient par cœur le Coran et redoute la perte définitive de la
Révélation. ‘Umar suggère alors que l’on réunisse tout ce qui a été écrit
des versets sur des supports divers – omoplates de chameau, feuilles de
palmier, etc. – ainsi que tout ce que les autres Compagnons ont mémorisé
par cœur afin de collecter la Révélation coranique dans un mushaf (un
recueil). Au départ, sa proposition se heurte à la réticence d’Abû Bakr :
« Comment innover en cette matière, quand le Prophète ne l’a pas fait ? »,
se récrie-t-il. Mais ‘Umar finit par le convaincre. C’est alors qu’il
convoque Zayd ibn Thâbit et lui ordonne de composer ce premier
mushaf 42. Zayd se montre effrayé par le poids de la tâche qu’on vient de
lui assigner : « Je préférerais que tu me demandes de déplacer une
montagne ! Ce serait plus facile pour moi ! », lance-t-il au calife. Mais
devant l’insistance d’Abû Bakr et de ‘Umar, Zayd s’exécute et commence
ce travail de collecte du Coran « entre deux planches ». De nombreux
rédacteurs de la Tradition 43 sont formels : le Coran aurait été donc réuni
non pas, comme on le répète à l’envi, à l’initiative de ‘Uthmân, le
troisième calife, mais dès le règne du premier calife. Or cette compilation
ne nous est pas parvenue. On nous dit juste qu’elle a échu, après la mort
d’Abû Bakr, à Hafsa, fille de ‘Umar et épouse du Prophète, et on en perd
ensuite à jamais la trace. Qu’est-il advenu de ce premier Coran ? Pourquoi
n’a-t-il pas été conservé ? Et si Abû Bakr a déjà rassemblé les versets du
Coran, pourquoi ses successeurs ont-ils ressenti le besoin de procéder à de
nouvelles collectes ?

À Yamâma, Khâlid, malgré la victoire, demeure préoccupé : la mort de


Musaylima a-t-elle définitivement neutralisé les Banû Hanîfa ? Il fait part
de ses doutes à Mujjâ‘a, qu’il retient toujours en otage car c’est un
informateur précieux : « Je crois que ce n’est pas terminé, lui suggère le
rusé Mujjâ‘a. Regarde la forteresse des Banû Hanîfa ; je suis sûr qu’elle
est encore remplie d’hommes armés qui te guettent du haut des remparts
et qui vont continuer la lutte avec ardeur. Sincèrement, auras-tu la force de
les affronter, toi qui as perdu tant d’hommes ? Je ne pense pas. Tes soldats
sont épuisés. Toi aussi, tu es épuisé. Je le vois bien ! Je te conseille de
faire la paix avec ma tribu. »
Perplexe, Khâlid regarde en direction des remparts de la forteresse :
« Dois-je courir le risque ? », se demande-t-il. Il sait qu’il n’a plus les
moyens de l’assiéger, encore moins de l’attaquer. Son armée est sortie
affaiblie de la bataille de Yamâma ; il y a eu trop de morts et les
survivants sont exténués et abattus. Lui-même est las de combattre. Il a
besoin d’une trêve. Il propose alors à Mujjâ‘a de se faire le négociateur
d’un armistice aux conditions suivantes : « Pour avoir la vie sauve, les
habitants doivent me donner la moitié de leurs biens. Ils doivent
également m’accorder à titre personnel un verger et une maison. » Il libère
Mujjâ‘a de ses chaînes et l’envoie transmettre ses conditions aux Banû
Hanîfa. En pénétrant dans la forteresse, Mujjâ‘a s’aperçoit qu’il ne s’y
trouve quasiment plus aucun soldat, juste une poignée d’hommes, des
femmes, des enfants et des vieillards. Lui vient alors une idée : il demande
aux femmes de revêtir des tenues de soldat, de porter l’armure et de se
couvrir le visage avec la visière des casques ; puis il les fait monter sur les
murailles. De loin, Khâlid aperçoit ces silhouettes dont les armures et les
sabres luisent aux rayons du soleil.
Quand Mujjâ‘a revient vers le camp de Khâlid, ce dernier lui dit : « Tu
avais raison. J’ai vu de loin beaucoup de soldats armés postés sur les
remparts. » Mujjâ‘a est satisfait : sa ruse fonctionne à merveille. « Ce que
tu vois là, ce n’est qu’une partie de l’armée. À l’intérieur se trouvent
encore plus de soldats. En fait, les nouvelles que je viens t’annoncer ne
sont pas bonnes. Ils n’acceptent pas les termes de ton armistice et me
chargent de te dire qu’ils sont prêts à se battre contre toi. À mon avis, si tu
veux obtenir l’armistice, tu dois revoir tes conditions à la baisse. Je te
conseille de prendre seulement le quart de leurs biens ; à ces conditions,
ils accepteront de signer le traité de paix. » Khâlid ne dissimule pas son
désarroi. Sans trop réfléchir, il dit à Mujjâ‘a : « J’accepte. Ils me donnent
le quart de leurs biens et on signe le traité de paix. Et n’oublie pas qu’ils
doivent m’accorder la maison et le verger que j’ai demandés. » Le
Hanifite sourit. Son coup de bluff a été payant !
Il court annoncer la bonne nouvelle aux membres de sa tribu. « J’ai
employé tous les moyens, leur dit-il, pour arracher à Khâlid un accord
avec le minimum de dégâts pour vous : il ne versera pas votre sang, ni ne
réduira en esclavage vos femmes et vos enfants. De plus, vous garderez les
trois quarts de vos biens ! C’est intéressant, non ? » La majorité des Banû
Hanîfa trouvent l’arrangement convenable ; toutefois des voix s’élèvent
pour s’y opposer. Un certain Salâma ibn ‘Umayr interpelle ainsi ses
compatriotes : « Ne capitulez pas ; notre forteresse est imprenable et nous
avons des provisions en grande quantité. Nous sommes en mesure de
supporter un siège.
– Malheureux ! lui rétorque Mujjâ‘a. Je ne permettrai pas que l’ombre
de ta mauvaise étoile s’étende sur notre peuple ! Ne trouves-tu pas que
nous avons suffisamment souffert ? Avec quels moyens vas-tu affronter
les musulmans ? Qui te reste-t-il pour combattre ? » La majorité des Banû
Hanîfa se range à l’opinion réaliste de Mujjâ‘a et rejette celle de Salâma.
Sept représentants des Banû Hanîfa quittent alors la forteresse pour
signer le traité de paix avec les musulmans selon les conditions suggérées
et transmises par Mujjâ‘a. Salâma accompagne la délégation, non par
conviction, mais parce qu’il nourrit un autre dessein : juste après la
signature de l’armistice, il tente d’assassiner Khâlid mais échoue.
Neutralisé in extremis, il prend la fuite, mais trouve la mort en tombant
dans un puits. Cette tentative d’assassinat, présentée par les Banû Hanîfa
comme un acte isolé, ne compromet pas l’application du traité de paix, pas
plus que la découverte par Khâlid de la ruse de Mujjâ‘a. En effet, au
lendemain de la signature de l’armistice, les portes de la forteresse des
Banû Hanîfa s’ouvrent. Khâlid y pénètre pour choisir la maison qu’il va
s’attribuer. En parcourant la ville, il réalise qu’il a été dupé : « Tu m’as
trompé, s’écrie-t-il. Il n’y a pas de soldats dans la forteresse !
– Tu ne m’as pas laissé le choix ! lui répond Mujjâ‘a. Je devais
recourir à la ruse pour sauver les miens de l’extermination ! Ils ont vécu
tant de malheurs et perdu tant d’hommes que je devais tout faire pour les
sortir de là. Ne me blâme pas. Et puis, vois le bon côté de la chose pour
toi : aujourd’hui, tu peux les compter parmi tes alliés. » Khâlid ne dit rien
et accepte de maintenir l’armistice malgré la tromperie. Après tout, lui-
même n’a plus la force de continuer le combat. Et puis, la paix peut
parfois s’avérer plus rentable que la guerre : conformément à l’accord
signé, Khâlid obtient le quart des biens de ses adversaires et pour lui-
même la maison et le verger qu’il a demandés.
A-t-il l’intention de se fixer définitivement à Yamâma, province dont
il a pu constater la prospérité ? Tout porte à le croire. Il réunit le
considérable butin composé essentiellement d’or, d’argent et de captives,
le distribue à ses soldats et en envoie le cinquième au calife. On dit qu’il
expédie à Médine de nombreuses captives hanifites, dont l’une sera
donnée en cadeau à ‘Alî ; elle donnera à ce dernier un fils, le célèbre
Muhammad ibn al-Hanafiyya, « le fils de la Hanifite 44 ».
Dans le camp musulman, la signature du traité de paix avec les Banû
Hanîfa fait beaucoup de mécontents. La décision de Khâlid est
violemment critiquée, surtout par les Ansârs. Ussayd ibn Hudhayr
l’interpelle : « Pourquoi as-tu accepté de signer ce traité de paix ?
– Mais on ne peut plus continuer à se battre ! répond le général. Nous
avons perdu trop d’hommes. Tu le vois bien : le combat nous a éreintés !
– Et il a aussi éreinté nos adversaires ! rétorque Ussayd.
– Soyons francs, lui dit Khâlid. Même ceux qui ont survécu sont soit
blessés soit découragés par la mort de tant d’hommes. Avec quelle armée
vais-je continuer le combat ?
– Je te le redis : dans le camp adverse c’est la même situation !
Ordonne-nous de poursuivre le combat ! Allâh nous accordera la victoire.
Et puis, leurs stratèges Musaylima, Muhakkim et al-Rajjâl ont été
éliminés. Il nous sera facile de venir à bout de ce qui reste. »
Tandis que les deux hommes discutent, un messager du calife arrive
dans le camp des musulmans. Maslama ibn Salâma ibn Waqsh est porteur
d’une lettre signée par Abû Bakr qu’il remet aussitôt à Khâlid. En lisant la
missive, le visage du général se crispe. La consigne du calife est claire : il
ordonne d’exterminer les Banû Hanîfa jusqu’au dernier. « Tu dois mettre à
mort tous les hommes d’âge adulte. » Il est fort probable qu’il ait donné
cet ordre sous la pression des familles des victimes pour venger la mort
des musulmans tombés à Yamâma.
Ussayd s’empare de la lettre du calife et la lit à son tour. « Voilà !
confirme-t-il à Khâlid, le calife lui-même t’ordonne de continuer le
combat et d’exterminer les Banû Hanîfa ! » Les Ansârs présents ajoutent
unanimement : « Les ordres du calife sont supérieurs aux tiens : donc, tu
dois obéir. » Khâlid est très embarrassé : il ne va tout de même pas rompre
le traité qu’il a lui-même signé. Il réplique à ses détracteurs : « Le calife
ne sait rien de la situation de notre armée. Il ne sait pas que nous sommes
faibles et épuisés. Je n’ai accepté cet armistice que dans le but de vous
protéger. La guerre vous a usés. De toute façon, c’est trop tard
maintenant ! J’ai signé l’armistice avec les Banû Hanîfa et je ne peux pas
me rétracter. Et puis, ils se sont convertis à l’islam ; je n’ai plus aucune
raison de continuer à leur faire la guerre. » Ussayd n’épargne pas Khâlid et
lui rétorque : « Ah oui ? Tu oses dire cela ? Toi qui as tué Mâlik ibn
Nuwayra alors qu’il était musulman 45 ! » Khâlid n’ose pas répondre à la
blessante et si pertinente saillie d’Ussayd.
Il maintient cependant l’armistice, contre la volonté du calife et
malgré les protestations continues des Ansârs qui pensent sans doute à
juste titre que, si Khâlid refuse de rompre le traité de paix, c’est pour
préserver les privilèges personnels qu’il en a obtenus : la maison, le verger
et bientôt une nouvelle épouse. Leurs soupçons se voient confirmés quand
ils apprennent qu’il a l’intention de demander la main de la fille de
Mujjâ‘a : il fait passer ses intérêts avant ceux de son armée. La fille de
Mujjâ‘a est une splendide jeune femme ; voire, disent certains, la plus
belle femme de Yamâma. Khâlid, insatiable, estime qu’elle doit lui revenir
comme part du butin. Son père, Mujjâ‘a, hésite : « Patience ! Tu m’as
brisé le dos et puis les gens disent beaucoup de mal de toi.
– Tu n’as pas à t’en faire. C’est mon affaire ! Donne-moi ta fille ! »
Résigné, Mujjâ‘a accepte la demande. Le mariage est consommé sur-le-
champ g 46. Les musulmans sont scandalisés par le comportement de
Khâlid, si prompt à se marier, peu respectueux de l’hécatombe qui a
frappé son armée.
Ussayd ibn Hudhayr revient à Médine pour rapporter au calife
l’attitude indigne de Khâlid. Abû Bakr est furieux. Sa patience a des
limites et Khâlid, cette fois-ci, dépasse les bornes. Il a fermé les yeux sur
le scandale du meurtre d’Ibn Nuwayra et du viol de sa femme mais là, il
ne peut plus se taire. Il fait part de son exaspération à ‘Umar. « Tu as vu ?
Décidément, Khâlid ne pense qu’aux femmes et n’a cure de la mort de
centaines de musulmans. De plus, il s’allie par mariage à une tribu
ennemie ! » ‘Umar, qui est loin de le porter dans son cœur, ne rate pas une
occasion de le discréditer : « Ne te l’avais-je pas dit ? Cet homme va
constamment nous causer du souci avec son comportement scandaleux ! »
Abû Bakr charge Ussayd de revenir à Yamâma avec une lettre cinglante :
« Ô Khâlid, fils d’Umm Khâlid ! lui écrit-il. Comme ton cœur est vide
(innaka la fârighu l-qalbi) ! Tu recherches les plaisirs auprès des femmes
alors qu’autour de ta tente le sang répandu de centaines de musulmans n’a
même pas encore séché ! Tu t’es en outre laissé prendre à la ruse de
Mujjâ‘a en signant un traité de paix pour lequel tu ne m’as même pas
consulté. Ton mariage avec sa fille me rappelle ce que tu as fait subir à
Mâlik ibn Nuwayra ! Maudis sois-tu ! Tes actes odieux nuisent à la
réputation de ton clan, les Banû Makhzûm 47 ! »
En lisant la missive du calife, Khâlid s’esclaffe et dit : « Ah ! Je suis
certain que ce ne sont pas là les paroles d’Abû Bakr. C’est ‘Umar ibn al-
Khattâb qui a rédigé cette lettre. Je reconnais là son style et son écriture de
petit gaucher (u‘aysir). Je ne vais même pas daigner y répondre 48. »
Malgré la sévérité de ses remontrances, le calife maintient Khâlid à son
poste mais le somme dans cette même lettre de quitter sur-le-champ
Yamâma pour partir prestement vers l’Irak. Ce déplacement, qui n’était
pas prévu dans la feuille de route initiale à Dhû l-Qassa, résonne comme
une mesure punitive, destinée à recadrer le général et aussi à l’envoyer le
plus loin possible de Médine où il est devenu persona non grata.
D’ailleurs, il n’y remettra plus jamais les pieds.
Abû Bakr demande à Ussayd, son messager, de ne pas lâcher Khâlid
d’une semelle jusqu’à ce qu’il voie de ses propres yeux qu’il a bel et bien
quitté Yamâma en direction de l’Irak. Au moment de rédiger le blâme,
Abû Bakr, toujours incité par ‘Umar, a songé à lui signifier son limogeage
mais il s’est rétracté en se disant que Yamâma constituait malgré tout une
victoire importante. Il sait que c’est au courage et à la persévérance de
Khâlid qu’il doit ce succès. Son limogeage aurait certainement un effet
délétère sur le moral des autres généraux qu’il a envoyés combattre aux
confins de l’Arabie : au Bahrayn, à Oman et au Yémen.

Abû Bakr a donc envoyé des contingents aux quatre coins de l’Arabie.
Chacun de ses généraux s’est dirigé vers la région qui lui a été assignée.
Al-‘Alâ’ ibn al-Hadhramî h est chargé de soumettre le Bahrayn i, soit la
côte orientale de la péninsule Arabique, où la situation politique est fort
complexe à cause d’une guerre civile qui oppose les deux principales
tribus de la région 49 : les ‘Abd al-Qays, restés musulmans après la mort du
Prophète et qui ont reconnu la légitimité d’Abû Bakr, et les Bakr ibn
Wâ’il, qui ont « apostasié » et refusé l’autorité de Médine. Al-‘Alâ’ ibn al-
Hadhramî a ainsi pour mission de venir en aide aux ‘Abd Qays musulmans
assiégés par leurs adversaires de la tribu des Bakr ibn Wâ’il.
Si le calife a choisi al-‘Alâ’, c’est parce qu’il connaît bien la région.
En l’an VIII (ou peut-être en l’an VI, année où le Prophète avait écrit aux
différents rois), il avait été mandaté par Muhammad pour inviter ses
habitants à se convertir à l’islam ou à payer la jizya 50. Il avait rencontré al-
Mundhir ibn Sâwî, un roitelet de la tribu des ‘Abd al-Qays 51 établi à al-
Hajar, principale cité du Bahrayn 52, qui avait accepté de se convertir.
Beaucoup d’Arabes l’avaient suivi, ainsi que quelques Perses. Les
nombreux juifs, chrétiens et zoroastriens de la région, qui avaient refusé
de se convertir, avaient cependant consenti à payer la jizya et le kharâj,
l’impôt foncier. Malgré le succès de sa mission, al-‘Alâ’ avait été limogé
par le Prophète pour des raisons qu’aucune source n’explique et c’est
Abbân ibn Sa‘îd ibn al-‘Âs ibn Umayya 53 qui avait été envoyé pour le
remplacer comme agent au Bahrayn (certaines sources 54 disent qu’al-‘Alâ’
serait resté sur place et qu’Abbân aurait été envoyé en renfort comme
second percepteur).
La grande tribu des Bakr ibn Wâ’il, dirigée par un certain Hutam ibn
Zayd, n’avait pour sa part pas vraiment accepté l’accord passé entre
Mundhir ibn Sâwî et le Prophète et avait profité de la mort de Muhammad
et de l’arrivée d’Abû Bakr au pouvoir pour se soulever. Surpris par leur
rébellion, Abbân s’était vu contraint de fuir le Bahrayn et de rentrer à
Médine, où il avait retrouvé ses frères pour contester l’« élection » du
calife. C’est ainsi que le souverain local, Mundhir ibn Sâwî, s’était
retrouvé en conflit ouvert avec eux. La situation s’était envenimée
davantage encore avec sa mort, survenue peu de temps après celle de
Muhammad. Les membres de sa tribu, les ‘Abd al-Qays, qui ont maintenu
leur conversion à l’islam, se sont aussitôt retrouvés livrés à eux-mêmes
face à la force grandissante des Bakr ibn Wâ’il. Ils se sont alors donné un
nouveau chef, al-Jârûd ibn Mu‘allâ j, alias Bishr ibn ‘Amr al-‘Abdî. C’est
pour soutenir ces ‘Abd al-Qays qu’Abû Bakr a dépêché al-‘Alâ’.
Les Bakr ibn Wâ’il se tournent quant à eux vers leur suzerain,
l’empereur perse : « Le Prophète dont se vantent les Mudhar est mort ; son
successeur est un homme faible et médiocre, physiquement et
moralement », lui disent-ils. On retrouve à Bahrayn le même argument
tribal qui sous-tend les jeux d’alliances politiques : les Bakr ibn Wâ’il, qui
appartiennent tout comme les Banû Hanîfa au grand groupe tribal des
Rabî‘a, n’acceptent pas de se soumettre au groupe rival des Mudhar,
auquel appartient Quraysh. Force est de constater que, dans ces guerres
dites d’apostasie, il est rarement question de religion ; c’est le tribalisme
exacerbé qui nourrit les haines.
Les Bakr ibn Wâ’il précisent à l’empereur perse : « L’agent de
Muhammad qui était chez nous est rentré chez lui et, désormais, seuls les
‘Abd al-Qays sont restés musulmans. Nous ne voulons pas avoir affaire à
eux, d’autant que nous sommes plus nombreux qu’eux en hommes et en
chevaux. Si tu nommes aujourd’hui un homme pour diriger le Bahrayn, il
ne rencontrera aucune opposition car nous serons derrière lui. » Le « roi
des rois » (shâhanshâh) leur propose alors de faire monter sur le trône du
Bahrayn un descendant de la dynastie arabe des Lakhmides, de confession
chrétienne et vassale des Sassanides, qui a régné sur al-Hîra jusqu’au
début du VIIe siècle. Son choix se porte sur Mundhir, le fils de Nu‘mân III
ibn al-Mundhir, dernier roi lakhmide d’al-Hîra, mort en 602. Les Bakr ibn
Wâ’il acceptent sa décision en se disant qu’un Lakhmide est plus digne du
pouvoir qu’Ibn Abî Quhâfa. Le choix de l’empereur perse est d’autant plus
à leur goût que le souverain qu’il leur destine est encore un adolescent – la
Tradition 55 dit que sa barbe commençait à peine à pousser – et qu’ils
pourront donc le manipuler à leur guise.
Le nouveau souverain arrive à la tête d’une grande armée (on parle de
sept mille cavaliers et fantassins) afin de l’emporter définitivement sur les
‘Abd al-Qays. Ces derniers ne peuvent se mesurer à la force de leurs
adversaires. Ils sont battus et l’armée de Hutam occupe même les villes
d’al-Qatîf 56 et d’al-Hajar 57. Mis en déroute, les ‘Abd al-Qays se réfugient
dans leur forteresse de Juwâthâ’ 58 mais ne tardent pas à être assiégés par
leurs ennemis. Le siège est si atroce que la famine les pousse à expédier
une lettre de détresse à Abû Bakr. Le calife, investi du devoir de secourir
les musulmans où qu’ils se trouvent, leur dépêche al-‘Alâ’ à la tête d’une
modeste troupe ; de fait, il ne peut leur envoyer Abbân 59, car celui-ci s’est
rangé, avec ses frères, dans l’opposition médinoise. Impossible également
d’envoyer un contingent plus important au vu du nombre de fronts ouverts.
Al-‘Alâ’ réussit cependant à s’agréger une armée en chemin : quand il
traverse les terres des Banû Hanîfa, il reçoit l’aide de Thumâma ibn Uthâl,
puis est rejoint par une partie de l’armée de Khâlid après la victoire de
Yamâma. Ainsi, disent les sources, ils sont deux mille en arrivant à
Juwâthâ’.
On ne sait pas grand-chose du déroulement de cette bataille. La nuit
venue, al-‘Alâ’ envoie un espion pour scruter les faits et gestes des
assiégeants et de leurs alliés perses. Son informateur revient lui dire qu’ils
sont ivres morts. Il décide alors de profiter du sommeil éthylique de ses
adversaires pour lancer un assaut sur eux ; l’armée musulmane a
fréquemment recours à cette stratégie de l’attaque impromptue et souvent
nocturne. Hutam se réveille en sursaut pendant l’attaque des musulmans.
Il essaye de monter sur son cheval pour fuir, mais il est si gros qu’il n’y
arrive pas. Selon une autre version, rapportée par Wâqidî, il serait
descendu de sa monture pour soulager un besoin naturel et aurait cassé son
étrier au moment de remonter en selle. Il crie pour demander de l’aide. Un
musulman s’approche dans la nuit et lui propose : « Moi je vais le faire,
donne-moi ton pied. » Quand Hutam lève le pied, le soldat musulman lui
coupe la jambe, et l’étrier avec, d’un coup de sabre. Hutam tombe par terre
en hurlant de douleur. Il supplie tous ceux qui passent à côté de lui et les
implore de l’achever pour abréger sa souffrance. Au bout d’un moment,
c’est un autre soldat musulman, du nom de Qays ibn ‘Âssim, qui le prend
en pitié et lui assène le coup de grâce. La mort de Hutam sonne le glas des
Bakr ibn Wâ’il dont les rangs se dispersent : l’armée d’al-‘Alâ’,
victorieuse, court aussitôt libérer les ‘Abd al-Qays qui quittent la
forteresse soulagés.
Face à la débâcle, les Bakr ibn Wâ’il fuient aux quatre coins de la
région. Un grand nombre d’entre eux s’empressent de rejoindre le port de
Dârîn 60 où ils s’embarquent sur des navires pour se rendre sur une île (sans
doute identifiable à l’actuel État du Bahreïn). Les musulmans les
pourchassent jusqu’à la côte. Alors que les chevaux d’al-‘Alâ’ et ses
hommes s’avancent dans la mer, le récit de la Tradition bascule dans le
merveilleux et raconte les miracles qui auraient eu lieu pendant cette
course-poursuite au milieu des flots. Dans une scène étrange que rapporte
Ibn Kathîr 61 et qui n’est pas sans rappeler celle de Moïse devant la mer
Rouge, on voit al-‘Alâ’ prier Dieu face à la mer et celle-ci s’assécher
brusquement, permettant aux soldats musulmans d’avancer sans que le
niveau de l’eau dépasse les sabots de leurs montures. On peut supposer
que les soldats musulmans ont en réalité marché sur ce qu’on appelle une
« île éphémère », phénomène maritime loin d’être rare dans cette région
du globe k. Les musulmans arrivent grâce à ce miracle à atteindre sans
difficulté les navires des fugitifs, à les mettre en pièces en une seule
journée et à s’emparer de tous leurs biens.
De son côté, Mundhir, le roi envoyé par les Perses à Bahrayn, prend
également la fuite mais a tôt fait d’être rattrapé par les musulmans.
Al-‘Alâ’ finit par l’assassiner. Vaincus, les supplétifs perses se réfugient à
al-Zâra 62 et à al-Qatîf. Cette dernière résistera, comme d’autres villes de la
région, et ne sera soumise qu’au début du règne de ‘Umar. Certains soldats
perses réussissent à rentrer chez eux et informent l’empereur perse de leur
débâcle ; d’autres capitulent et font la paix avec al-‘Alâ’ pour avoir la vie
sauve. Ils demeurent à Bahrayn où ils deviennent fermiers.
Le général musulman installe son camp à al-Hajar et écrit à Abû Bakr
pour l’informer du triomphe de son armée. À Médine, on s’extasie devant
cette victoire et on s’émerveille de l’exploit d’al-‘Alâ’, nouveau Moïse
auquel même la mer obéit ! Pour les ‘Abd al-Qays également, c’est un
véritable héros et libérateur. Devant leurs yeux admiratifs, il prononce un
discours dans lequel il leur assure que leur combat contre les
« mécréants » équivaut à celui qu’ils auraient mené du vivant du Prophète.
Au terme de la campagne du Bahrayn, les musulmans ont amassé un
butin très important ; conformément à l’usage, al-‘Alâ’ en envoie le
cinquième au calife et partage le reste entre ses soldats qui se trouvent
ainsi généreusement récompensés : Tabarî dit que chaque fantassin reçoit
la somme de deux mille dirhams et chaque cavalier le triple de la somme.
Il est à noter que dans les livres de la Tradition, le récit de telle ou telle
bataille est systématiquement suivi d’une description détaillée du butin –
femmes, montures, bétail et argent –, ce qui donne au jihâd les allures
d’une chasse au trésor… Abû Bakr écrit à son général pour le féliciter et
lui demande de rester à Bahrayn comme gouverneur. Il le restera jusqu’à
sa mort en l’an XIV (635) ou XXI (641) 63. Mais malgré sa fin glorieuse,
cette campagne n’aura pas été décisive : la situation au Bahrayn
demeurera instable et la conquête définitive de la région n’aura lieu qu’en
l’an XIII (634) de l’Hégire au début du règne de ‘Umar. À la mort d’Abû
Bakr, al-‘Alâ’ assiégeait encore les « apostats » du Bahrayn dans la ville
d’al-Zâra.

Sur la campagne d’Oman 64 aussi, la Tradition donne des versions très


confuses 65. D’après Jawwâd ‘Alî 66, la contrée, peuplée majoritairement
par la tribu bédouine des Azd ‘Umân, joue le rôle de véritable plaque
tournante commerciale : située à l’embouchure du golfe Persique, soit à la
confluence des aires arabe, iranienne et indienne, elle est le lieu
d’importantes foires, notamment à Dabâ 67 et Suhâr 68, où se rencontrent
marchands arabes, indiens et chinois 69. Le roi autoproclamé d’Oman, al-
Julandî ibn al-Mustakbir, percevait comme taxe le dixième du chiffre
70
d’affaires. Jawwâd ‘Alî pense que julandî est un titre qui désigne une
sorte de prêtre, ce qui indiquerait que l’autorité politique à Oman revêtait
déjà des atours religieux. À la mort du roi-prêtre, ses deux fils Jayfar et
‘Ubâd avaient pris le pouvoir et c’est à eux que le Prophète avait dépêché
ses deux émissaires ‘Amr ibn al-‘Âs et Abû Zayd, sans doute autour de
l’an VIII (630) voire plus tard. Les deux héritiers du trône avaient accepté
de se convertir à l’islam.
C’est au cours de leur séjour à Oman que ‘Amr et Abû Zayd
apprennent la nouvelle de la mort du Prophète. Ils rentrent sur-le-champ à
Médine, délaissant Oman où la situation politique est pourtant devenue
critique. En effet, la mort du Prophète a engendré un bouleversement
politique majeur : les frères Julandî se trouvent confrontés à une grande
rébellion menée par Laqît ibn Mâlik, leur opposant et rival bien avant leur
conversion à l’islam et qui aurait apostasié au lendemain de la mort de
Muhammad. Tabarî 71 dit que Laqît s’était même déclaré prophète et avait
été suivi par de nombreux membres de sa tribu, les Azd. Laqît ibn Mâlik
appartient à une famille de grands seigneurs qui avait autrefois régné sur
Oman, sur investiture de l’empereur perse, d’où le titre de Dhû l-Tâj (le
Couronné) qu’il porte. Lorsque le Prophète meurt, Laqît constate qu’une
grande partie des Azd a renié l’islam. Il se saisit de cette aubaine pour
retourner la situation contre les frères Julandî qui sont demeurés
musulmans et récupérer le trône de ses ancêtres. Son soulèvement est un
succès. Il réunit ses partisans à Dabâ, région économiquement stratégique
en raison de sa foire, tandis que les Julandî, renversés, doivent trouver
refuge dans les montagnes.
Les deux frères Julandî ont-ils demandé l’aide d’Abû Bakr ? La
Tradition n’apporte pas de réponse catégorique. Le calife a sans doute été
informé de la situation à Oman par ‘Amr et Abû Zayd. La rébellion de
Laqît est-elle dirigée contre le pouvoir de Médine ou celui-ci, sous
prétexte de ramener les brebis égarées dans le giron de l’islam et de punir
les apostats, s’ingère-t-il en fait dans un conflit purement local ? En tout
cas, il semble certain que, comme pour la guerre contre Hutam à Bahrayn,
la guerre des musulmans contre Laqît à Oman a lieu sur fond de guerre
civile entre deux clans rivaux déjà en conflit bien avant l’islam.
Le calife décide d’envoyer au secours des Julandî un bataillon dirigé
par Hudhayfa ibn Mihsan al-Bâriqî, sachant que les Bâriq sont une branche
de la tribu des Azd ‘Umân. Il demande aussi à ‘Arfaja ibn Harthama al-
Bâriqî, envoyé initialement vers la province voisine de Mahra, de le suivre
en renfort. Abû Bakr ordonne ensuite à ‘Ikrima ibn Abî Jahl de rejoindre
les deux chefs. Ce dernier, on s’en rappelle, s’était piteusement distingué
par son assaut précipité contre Musaylima. Par mesure de rétorsion – le
calife lui avait lancé : « Je ne veux plus te voir ni entendre parler de
toi 72 ! » –, il l’envoie à Oman, puis au Yémen, avec une instruction claire :
« Tu dois massacrer tous les apostats que tu croises sur ton chemin 73. »
Les trois chefs envoyés par Abû Bakr à Oman réunissent leurs troupes
non loin d’Oman, au lieu-dit Rijâmâ 74, et envoient une lettre aux deux
frères déchus pour leur annoncer l’arrivée des renforts. Ces derniers
sortent alors de leur cachette dans la montagne et campent à Suhâr.
L’affrontement avec l’armée de Laqît se déclenche aussitôt aux environs
de Dabâ. C’est un carnage : Ibn Kathîr 75 parle de dix mille morts. L’armée
considérable de Laqît met en pièces les troupes musulmanes acculées à
prendre la fuite. Mais ils sont sauvés in extremis par l’arrivée de renforts
inespérés : des membres des tribus de Banû Nâjiya et ‘Abd al-Qays volent
à leur secours et parviennent à changer la donne. Ils battent l’armée de
Laqît, lequel trouve la mort au combat. Victoire des musulmans, qui
réduisent en esclavage femmes et enfants et font main basse sur toutes les
richesses de la prospère Dabâ. ‘Ajrafa est chargé de rapporter à Médine le
cinquième réglementaire, lequel est si important qu’on y dénombre au
moins huit cents captifs, dont de nombreux enfants vendus par le calife
contre la somme de quatre cents dirhams 76.
Jayfar al-Julandî redevient chef d’Oman, mais il doit désormais
partager son pouvoir avec le gouverneur du calife : Hudhayfa ibn Mihsan,
qui demeurera à ce poste jusqu’à la mort d’Abû Bakr. ‘Ikrima, quant à lui,
77
poursuit son chemin vers Mahra où deux chefs locaux se disputent le
pouvoir : al-Musabbih (ou al-Musabbah) et Shikhrît. À Mahra comme à
Bahrayn et Oman, l’armée musulmane profite d’un conflit pour s’imposer
comme autorité d’arbitrage et de substitution. Ainsi que l’écrivent
explicitement tant Ibn Kathîr que Tabarî, les conflits qui déchirent les
tribus arabes se révèlent une aubaine pour les musulmans 78. Selon le mot
d’Ibn Kathîr 79, « la discorde qui divisait les Arabes a été une grâce divine
(rahma) pour les croyants ». Force est de constater que cette phrase clé
s’applique à toutes les étapes de l’installation et de la consolidation du
califat : dès la saqîfa, c’est bien grâce aux discordes entre Aws et Khazraj
que les Émigrants ont pu écarter Ibn ‘Ubâda et imposer aux Ansârs Abû
Bakr comme chef.
En arrivant à Mahra à la tête de l’armée musulmane, ‘Ikrima envoie
des lettres de sommation aux chefs des deux camps rivaux, les invitant à
l’obéissance et au retour à l’islam – ce qui implique que tous les apostats
ne sont pas tués systématiquement et, par là, que le critère pour mettre à
mort ou épargner tel ou tel n’est pas purement religieux. Tabarî dit que
seul Shikhrit a répondu favorablement car il se trouvait dans une situation
de faiblesse : il accepte ainsi de revenir à l’islam par intérêt, afin de
profiter d’un soutien militaire. Al-Musabbih, en revanche, refuse de se
soumettre parce qu’il est en position de force vu le nombre important de
ses partisans.
‘Ikrima lance alors une violente offensive contre al-Musabbih ; la
bataille est sanglante et entraîne un retournement de situation. L’armée
d’al-Musabbih est défaite ; ce dernier meurt sur le champ de bataille. Suite
à cette victoire, l’armée musulmane amasse là aussi un butin prodigieux
que ‘Ikrima partage entre ses soldats et dont il envoie le cinquième à Abû
Bakr. Le calife est ravi de son exploit. Il lui demande de quitter Mahra et
de se diriger vers l’Hadramaout et le Yémen où il doit venir en aide aux
musulmans qui se trouvent en sérieuse difficulté.

Au Yémen, la situation a toujours été complexe et critique, la contrée


étant depuis longtemps divisée politiquement et religieusement 80. De
nombreuses tribus avec leurs multiples ramifications se partageaient le
territoire : les Kinda (qui comprend les clans de Mu‘âwiya al-Akramûn, de
Sakâsik et de Sakûn), les Madhhij (qui comprend les clans de ‘Ans, de
Zubayd et de Murâd) et les Anmâr (qui comprend les clans de Bujayla et
de Khath‘am), ainsi que quelques branches de la tribu des Azd comme les
Ash‘ar, les ‘Akk et les Janad. De même, avant l’arrivée de l’islam, la
cohabitation entre chrétiens, juifs et païens n’a pas toujours été pacifique.
La situation était aggravée par des impératifs géopolitiques : le Yémen, où
a longtemps existé un puissant royaume juif, le royaume de Himyar, se
trouve à la périphérie de la zone d’influence perse et juste en face de
l’Abyssinie chrétienne, laquelle est de ce fait l’alliée naturelle de Byzance.
Les deux grands empires se livraient donc depuis des siècles une guerre
par procuration de part et d’autre de l’embouchure de la mer Rouge 81. Une
forte colonie perse était d’ailleurs établie au Yémen dont elle dirigeait une
large partie. La colonie mixte des Abnâ’ était ainsi née de l’union entre la
soldatesque sassanide et les femmes arabes locales.
Bâdhân, le gouverneur perse qui régnait depuis San‘â’ sur une grande
partie du Yémen, s’était converti à l’islam en l’an V (627-628) et de
nombreux princes himyarites du Yémen lui avaient emboîté le pas au
cours de la fameuse année des délégations. Ces conversions avaient rendu
la situation au Yémen encore plus tendue, une partie non négligeable des
tribus yéménites désapprouvant la soumission de leur territoire au maître
de Médine. Malgré le malaise, Bâdhân avait cependant réussi à garder le
contrôle grâce au respect qu’il inspirait tant aux Perses qu’aux Arabes.
Toutefois, sa mort précoce a soudain privé Muhammad du soutien de
cet homme autoritaire. Pour garder le contrôle sur la région, il avait
aussitôt désigné Shahr, le fils de Bâdhân, comme son agent à San‘â’ tout
en dépêchant quelques-uns de ses Compagnons dans les différentes
provinces du Yémen et de l’Hadramaout pour qu’ils prennent en charge
l’éducation religieuse des locaux et surtout qu’ils veillent à la perception
de la zakât 82. C’est ainsi que Khâlid ibn Sa‘îd ibn al-‘Âs s’était vu confier
la supervision de la région comprise entre Zabîd et Najrân, tandis que
‘Amr ibn Jazm se trouvait à Najrân 83, Tâhir ibn Abî Hâla dans le territoire
des tribus des Ash‘ar et des ‘Akk, Abû Mussâ al-Ash‘arî à Ma’rib 84 et
Ya‘lâ ibn Umayya à Janad 85, dans le sud du Yémen. Le Prophète avait
également chargé son Compagnon de la première heure, l’Ansarien
Mu‘âdh ibn Jabal, de circuler entre les différentes contrées du Yémen pour
assurer l’instruction religieuse des populations dispersées. L’homme est en
effet réputé pour sa grande connaissance du Coran ainsi que pour sa
grande beauté 86. Cependant, un examen attentif des sources de la Tradition
révèle que les motivations de sa mission au Yémen sont avant tout
financières. Mu‘âdh, particulièrement prodigue, s’était en effet retrouvé
criblé de dettes et même la vente de tous ses biens n’avait pas suffi à les
rembourser. S’étant ouvert au Prophète de ses déboires, ce dernier l’avait
missionné au Yémen : « Peut-être qu’Allâh te dédommagera grâce à ce
voyage ! Et tu pourras enfin rembourser tes dettes. » Et à tout le moins,
cela lui permettait de ne pas avoir ses créanciers sur le dos… Le Prophète
avait raison : la mission de Mu‘âdh s’était avérée économiquement
rentable puisque celui-ci avait investi l’argent de la zakât dans de juteuses
transactions commerciales et s’était ainsi constitué un beau pactole. La
Tradition dit que Mu‘âdh a été le premier musulman à faire négoce avec
« l’argent d’Allâh 87 » (sic).
Dans l’Hadramaout aussi, le Prophète avait nommé des agents auprès
de la tentaculaire tribu des Kinda dont une partie importante s’était
convertie à l’islam lors de l’année des délégations : ce sont ‘Ukkâsha ibn
Thawr, Ziyâd ibn Labîd et Muhâjir ibn Abî Umayya, ce dernier étant le
beau-frère du Prophète par sa sœur Umm Salama (alias Hind) mais aussi
le cousin de Khâlid ibn al-Walîd. Muhâjir, malade, ne s’était pas rendu
immédiatement dans l’Hadramaout l ; il s’y rendrait seulement plus tard,
sur ordre d’Abû Bakr. À peine les agents du Prophète étaient-ils arrivés
qu’ils avaient été surpris par le début d’un grand soulèvement conduit par
Aswad al-‘Ansî 88. Ce dernier s’était déclaré lui aussi prophète suite à la
mort de Bâdhân et à l’annonce de la fin de la prophétie par Muhammad
lors de son pèlerinage de l’adieu. De son vrai nom ‘Abhala ibn Ka‘b
al-‘Ansî, Aswad portait le sobriquet de Dhû l-Khimâr, « l’homme au
voile », car il se couvrait le visage d’un voile (khimâr) qui lui donnait un
air mystérieux et intimidant. Il était devin et connaissait des tours de
magie qui lui valaient l’admiration de sa tribu. Intelligent et
charismatique, il avait réussi à s’entourer d’un nombre remarquable
d’adeptes fascinés par ses prodiges et son talent d’orateur.
Fort du soutien de ses nombreux adeptes, il s’était constitué une
véritable milice et avait donné le signal d’un soulèvement armé. Secondé
par de grands seigneurs dont il avait fait ses lieutenants, dont ‘Amr ibn
Ma‘dîkarib, du clan des Zubayd de Madhhij, qui s’était pourtant converti à
l’islam lors de l’année des délégations, il était parvenu à chasser plusieurs
agents du Prophète tels Abû Mussâ al-Ash‘arî, Mu‘âdh ibn Jabal, ‘Amr ibn
Hazm et Khâlid ibn Sa‘îd. Ce dernier, obligé de se retirer avec un petit
groupe de musulmans, avait été attaqué par ‘Amr ibn Ma‘dîkarîb mais
avait réussi à s’échapper et même à s’emparer du sabre de son adversaire,
al-Samsâma. Il était arrivé à Médine peu après l’élection d’Abû Bakr.
Mais malgré son succès fulgurant, Aswad s’était tout de même trouvé
confronté à quelques résistances, notamment de la part des chefs de la
colonie des Abnâ’ : Shahr le fils de Bâdhân, Dâdhawayh, et enfin Fayrûz le
Daylamite, un Perse installé depuis toujours dans la tribu des Himyar et
dont Ibn al-Athîr fait le neveu du Négus d’Éthiopie. Qays ibn Makshûh
(« le fils du balafré »), chef arabe de la tribu des Anmâr, s’était également
joint à eux m.
Inquiété par l’opposition des Abnâ’, Aswad avait lancé un assaut sur
San‘â’, tuant Shahr et épousant la femme de ce dernier, Âzâd. À partir de
ce moment, le pouvoir d’Aswad s’était propagé comme un incendie, selon
la métaphore d’Ibn al-Athîr 89, englobant bientôt Najrân, San‘â’ et une
vaste portion du Yémen.
Depuis Médine, le Prophète, alarmé par la puissance montante
d’Aswad, avait demandé à ses agents et adeptes au Yémen de l’éliminer.
Les Abnâ’ avaient répondu présents, sans doute moins par dévotion
religieuse que par désir de venger la mort de Shahr. Le triumvirat formé
par Fayrûz, Dâdhawayh et Qays ibn Makshûh avait alors échafaudé un
plan pour l’assassiner dans son sommeil. Or Âzâd, la veuve de Shahr et
nouvelle épouse d’Aswad, se trouvait être la cousine germaine de Fayrûz :
elle avait ainsi réussi à introduire ce dernier dans la chambre à coucher de
son nouvel époux pour qu’il l’égorge.
La nouvelle de la mort d’Aswad était rapidement parvenue à Médine,
au grand soulagement de tous. Si la Tradition veut que le Prophète
agonisant ait annoncé la mort d’Aswad le soir même de son assassinat,
l’ayant appris par la « voie céleste », de nombreuses sources disent que la
nouvelle s’est plus vraisemblablement répandue à Médine durant les
premiers jours du règne d’Abû Bakr.
La disparition de l’agitateur ne règle cependant aucun problème au
Yémen dans la mesure où elle est suivie de très près par la mort du
Prophète, provoquant une grande division parmi les tribus yéménites. Le
spectre de la guerre civile se profile de nouveau à l’horizon : certaines
régions comme Najrân et San‘â’ demeurent fidèles à l’islam 90, de même
que plusieurs groupes comme les Abnâ’ et le clan des Murâd avec à leur
tête le richissime Farwa ibn al-Musayk, lui aussi converti à l’islam lors de
l’année des délégations, mais d’autres tribus yéménites telles les ‘Ans, les
Zubayd et d’autres clans de Madhhij, qui avaient suivi Aswad, continuent
d’être hostiles à l’islam. Plusieurs groupes de cavaliers fidèles à la cause
rebelle se dispersent ainsi dans la zone entre San‘â’ et Najrân, inquiétant
beaucoup les musulmans. Tous les ingrédients d’une guerre civile sont
désormais réunis. Ainsi dans la zone intermédiaire entre San‘â’ et Najrân,
Ibn Ma‘dîkarib à la tête des Zubayd rebelles entre en conflit avec Farwa
ibn Musyak demeuré fidèle à l’islam, ainsi que l’ensemble du clan des
Murâd n. Dans ce chaos politique, les rédacteurs de la Tradition 91 veulent
voir une seconde ridda, la première étant celle provoquée par Aswad. Les
Yéménites sont ainsi considérés comme des apostats récidivistes.
La nomination d’Abû Bakr comme calife approfondit encore les
divisions et entraîne une redistribution des cartes dans laquelle les alliés
d’hier deviennent des adversaires. Si, à Najrân, la nouvelle a été accueillie
sans la moindre opposition, à San‘â’ en revanche, Qays ibn Makshûh, hier
encore allié des Abnâ’ et complice de l’assassinat d’Aswad, entend
désormais faire cavalier seul. Il faut dire qu’Abû Bakr a confié le
gouvernement de la ville non pas à lui, mais à Fayrûz, et l’Arabe s’est
senti offensé qu’on lui ait préféré un Perse. Qays décide alors de former sa
propre faction afin de s’emparer de tout le Yémen, de tuer ses anciens
comparses Fayrûz et Dâdhawayh, de chasser les Abnâ’ et de débarrasser
ainsi le Yémen de toute présence étrangère. Sur ce programme, il réussit à
mobiliser autour de lui les princes himayrites, lesquels ne portent pas non
plus les Abnâ’ dans leur cœur o. À la faveur d’une conjuration, il parvient à
faire assassiner Dâdhawayh au cours d’un dîner, tandis que Fayrûz et ses
hommes échappent in extremis au piège. Qays s’empare brièvement de
San‘â’ avant d’en être chassé par une contre-offensive menée par Fayrûz,
mais continue de rôder dans les environs de San‘â’ où sa présence
constitue une menace permanente.

Alerté par tous ces développements inquiétants, Abû Bakr dépêche


Muhâjir vers le Yémen, non plus comme percepteur d’impôts, mais
comme renfort militaire. À la tête d’une armée composite qui voit en route
ses rangs grossis par des troupes de Tâ’if et de La Mecque, Muhâjir arrive
dans le territoire des Murâd (entre San‘â’ et Najrân) pour leur prêter main-
forte dans le conflit qui les oppose à ‘Amr ibn Ma‘dîkarib. Ce dernier,
musulman apostat et ancien soutien majeur d’Aswad, voit bien qu’il ne
pourra jamais l’emporter contre ces deux armées réunies. C’est pourquoi,
afin de s’assurer la bienveillance du général musulman, il capture Qays
ibn Makshûh qui rôdait alentour et le lui livre enchaîné. Or les sources de
la Tradition nous apprennent que ‘Amr ibn Ma‘dîkarib n’est autre que
l’oncle maternel de Qays et qu’une vieille querelle familiale les divise. En
livrant son neveu, ‘Amr fait d’une pierre deux coups : il se venge de lui et
l’utilise comme monnaie d’échange contre sa propre liberté. Sauf que
l’arroseur se trouve arrosé : il a en effet négligé de demander un sauf-
conduit pour lui-même et se trouve prisonnier à son tour. Muhâjir les
expédie tous deux, lui et son neveu Qays, à Médine chargés de fers. Abû
Bakr gracie les deux hommes et leur permet de rentrer chez eux après
avoir reçu leur serment de fidélité.
Muhâjir, quant à lui, demeure au Yémen. Sa mission est loin d’être
terminée. Il continue de pourchasser ce qui reste des adeptes d’Aswad et,
après les avoir exterminés, se dirige vers San‘â’ où il s’accorde quelques
jours de repos avant de mener son armée vers l’Hadramaout au secours de
l’agent du Prophète Ziyâd ibn Labîd, alors en grande détresse. Les
habitants de la province ne reconnaissent pas l’autorité du nouveau calife
et refusent d’acquitter la zakât. Plusieurs chefs de la tribu des Kinda
prennent bientôt les armes contre Ziyâd ibn Labîd, l’agent du calife. Nous
devons à Wâqidî 92 le récit détaillé de cet affrontement. D’après lui, le
meneur de cette rébellion est un certain Ma‘dîkarib ibn Qays, du clan des
Banû Mu‘âwiya, la principale branche des Kinda. À cause de sa chevelure
ébouriffée, on le surnomme al-Ash‘ath, « l’Hirsute 93 ». Tout en demeurant
musulman 94, il refuse l’autorité de Médine, même si son entourage essaie
de le persuader. Son cousin Imru’ al-Qays ibn ‘Âbis le met ainsi en garde :
« Tu as vu ce qui est arrivé à ceux qui n’ont pas fait allégeance à Abû
Bakr : cet homme tue tous ceux qui le contestent…
– Muhammad est parti et il n’est pas question que je me soumette à
Abû Bakr.
– Tu verras qu’il va envoyer une armée pour nous tuer. Et puis,
n’oublie pas que Ziyâd ibn Labîd se trouve encore parmi nous ; il ne va
pas nous lâcher.
– Je sais bien qu’il est parmi nous ! Mais il ne peut rien faire. »
L’Hadramaout se trouve ainsi divisé entre ceux qui craignent les
représailles du calife et ceux qui refusent malgré tout de lui faire
allégeance. Ziyâd, l’agent du calife, reçoit la zakât des premiers et menace
les réfractaires : « Ceux qui ont refusé de payer ont été tués, vous le
savez ! » Par peur, certains habitants lui donnent du bétail en guise
d’aumône légale. Ziyâd a notamment accaparé, par la force ou par erreur,
une chamelle qu’il a marquée du sceau de la zakât et placée dans le
cheptel destiné au calife. Le propriétaire de la chamelle, un certain Zayd
al-Qushayrî, proteste et souhaite récupérer son animal auquel il est très
attaché ; il propose même de remplacer la chamelle par une autre. Mais
Ziyâd refuse. Malgré la médiation d’un notable des Kinda, un certain
Hâritha ibn Surâqa, il n’en démord pas : « Il n’est pas question que je te la
donne ; elle est marquée du sceau de la zakât, elle fait donc désormais
partie des biens d’Allâh. Personne ne peut y toucher ! » Hâritha n’en
revient pas : « Biens d’Allâh ? murmure-t-il. Biens du calife, oui ! » Sans
prendre la peine de répondre à Ziyâd, il se saisit de la chamelle et la rend à
son propriétaire en lui disant, au milieu d’une assemblée de chefs de
Kinda : « Si quelqu’un vient te parler, tu lui brises le nez avec ton sabre !
Nous avons obéi au Prophète quand il était de ce monde ; si au moins
c’était un homme de sa famille qui lui avait succédé, nous lui aurions sans
doute obéi, mais cet Abû Bakr n’a aucun droit sur nous. Jamais nous ne lui
ferons allégeance ! Vous avez entendu comme moi les vers de Hutay’a qui
ont fait le tour de l’Arabie au lendemain de son élection :

Nous avons du vivant du Prophète obéi


Mais, malheur ! Abû Bakr, d’où tient-il son crédit ?
Le Prophète aurait-il de son pouvoir nanti
Un chamelon ? Par Dieu ! J’en suis abasourdi.
Et puis au nom de quoi nous, nobles membres de la tribu de Kinda,
devrions-nous donner notre argent aux Qurayshites ? Honte à nous si nous
acceptons cette situation ! »
Ses propos sont accueillis par une approbation générale. Ziyâd, ayant
pris connaissance des remous causés par l’affaire de la chamelle, craint
qu’on vienne lui prendre le reste du bétail. Le soir même, il fait route vers
Médine pour remettre les chameaux de la zakât à Abû Bakr tout en
envoyant à Hâritha des vers menaçants.
Al-Ash‘ath profite de la colère de la tribu des Kinda pour les exciter
davantage : « Voyez le résultat de votre lâcheté ! Vous avez donné à Ziyâd
votre argent et vos biens pour qu’il aille les remettre à son ami à Médine !
Et il vous adresse des insultes et des menaces, par-dessus le marché ! Vous
auriez dû lui désobéir et le tuer ! » Ses paroles font le plus grand effet :
« Nous ne sommes pas les esclaves de Quraysh, s’écrie-t-on ; les
Qurayshites nous envoient Ziyâd ibn Labîd pour nous prendre notre argent
et jouer aux chefs chez nous ! Nous jurons que Quraysh ne verra plus un
dirham ! » La désobéissance est désormais généralisée chez les Kinda. Al-
Ash‘ath prend la tête de l’insurrection et appelle les hommes de sa tribu à
rester unis pour protéger leurs femmes et leurs biens ainsi qu’à préserver
leur souveraineté par rapport aux Qurayshites : « N’oubliez pas,
s’enflamme-t-il, que nous étions déjà rois et fils de rois avant même que
Quraysh n’existe ! »
Ayant été averti de la rébellion, Ziyâd ibn Labîd décide de ne pas aller
jusqu’à Médine. Il envoie juste les chameaux à Abû Bakr avec des
hommes de confiance et demeure à proximité de l’Hadramaout pour suivre
l’évolution de la situation. Il prend soin de recommander à ses émissaires
de ne rien dire au calife de la crise politique qui s’aggrave, car il a
l’intention de la résoudre par ses propres moyens. C’est ainsi qu’il prend
l’initiative d’aller négocier avec al-Hârith ibn Mu‘âwiya, le chef des Banû
Dhuhl ibn Mu‘âwiya, un autre clan des Kinda. La discussion entre les deux
hommes telle qu’elle est rapportée par Wâqidî 95 est édifiante car elle
montre que les rédacteurs de la Tradition, plus d’un siècle plus tard,
débattent encore de la légitimité d’Abû Bakr et du rôle de la famille du
Prophète.
« Au nom de quoi devons-nous obéir à Abû Bakr ?, demande al-Hârith.
Qui a décidé qu’il devait devenir le chef des musulmans ? Le Prophète a-t-
il laissé quelque consigne ?
– Tu as raison, reconnaît Ziyâd, aucune consigne n’a été laissée au
profit d’Abû Bakr ; mais nous l’avons choisi.
– Mais dis-moi, à ce propos, pourquoi avez-vous écarté la famille du
Prophète alors qu’ils ont la préséance ? Dieu ne dit-Il pas, dans son Livre
(8 : 75), que “Ceux qui croient après avoir émigré, ceux qui ont lutté avec
vous, ceux-là sont des vôtres. Cependant, ceux qui sont liés par parenté
sont encore plus proches les uns des autres, d’après le Livre de Dieu –
Dieu est en vérité celui qui sait tout” ? »
Embarrassé, Ziyâd se contente de répondre sèchement : « Les
Émigrants et les Ansârs savent mieux que quiconque ce qu’il convient de
faire ! » Percevant la gêne sur le visage de son interlocuteur, al-Hârith lui
rétorque : « Je jure par Allâh que vous avez écarté la famille par jalousie ;
le Prophète a quitté ce monde sans léguer le pouvoir à qui que ce soit !
C’est pourquoi tu dois absolument quitter nos terres. Tu n’as rien à faire
ici ! » Il enchaîne sur des vers dans lesquels il dissocie l’obéissance
religieuse, dont le Prophète a l’exclusivité, de l’allégeance politique à Abû
Bakr, lequel n’a aucune légitimité ; il rappelle au passage que ce dernier
appartient à un clan mineur de Quraysh et s’étonne que les Hachémites
acceptent cette situation.
Tous les hommes de Kinda présents lors de la discussion approuvent
les paroles d’al-Hârith. L’un d’entre eux renchérit : « Al-Hârith a raison ;
Ziyâd doit être expulsé de chez nous. Son ami n’est pas digne du califat et
ne le mérite en aucun cas ; les Émigrants et les Ansârs ne sont quand
même pas plus aptes que le Prophète à prendre des décisions qui
concernent la Umma ! » Et il ajoute ces vers :

Qui transmettra ce message à ‘Atîq [surnom ou deuxième


prénom d’Abû Bakr] : tu as porté le vêtement des
injustes au grand jour
Qu’Allâh maudisse celui qui t’a fait allégeance et le fasse
disparaître à jamais
Tu as pris injustement ce qui revient de droit
à la parentèle du Prophète.

Malgré la fermeté de cette position, certains hommes de Kinda


demeurent dans la crainte et redoutent les représailles d’Abû Bakr. Ils
invitent leurs proches à obéir au nouveau calife. ‘Adiyy ibn ‘Awf assimile
ainsi le refus de l’autorité d’Abû Bakr à de la mécréance, ce qui lui vaut
d’être traité de tous les noms et de se voir administrer une bonne raclée.
La tension dans les rangs des Kinda atteint son comble. Il faut absolument
se débarrasser de Ziyâd dont la simple présence sème la discorde. Il est
alors violemment attaqué et chassé du territoire de la tribu ; on tente
même de l’assassiner mais il en réchappe de justesse. Il se résout enfin à
envoyer un message de détresse au calife, qui lui envoie aussitôt des
renforts armés et demande en outre à ses représentants dans la région de
lui venir en aide : ‘Ukkâsha ibn Thawr, présent parmi les branches dociles
de Kinda, Muhâjir qui se trouve alors à San‘â’, et ‘Ikrima qui est dépêché
depuis Mahra.
Quand les Kinda apprennent que le calife s’apprête à réunir une armée
pour les combattre, ils sont pris de panique. Un de leurs chefs les
interpelle : « Voilà ! Nous avons provoqué un incendie chez nous et je ne
vois pas comment éteindre ce feu qui finira par nous dévorer ! Il faut nous
ressaisir avant qu’il ne soit trop tard. Envoyons une lettre à Abû Bakr pour
lui dire que nous l’acceptons comme calife et imâm et que nous payerons
la zakât. Je ne vous dis pas cela de gaieté de cœur ; mais c’est la seule
chose à faire si nous voulons avoir la vie sauve. » La situation divise le
camp de Kinda entre ceux qui veulent persévérer dans la rébellion et ceux
qui, par peur, veulent se rétracter et obéir. Ces derniers reprochent même à
Harîtha ibn Surâqa d’avoir attiré sur eux les foudres du calife pour une
simple chamelle !
On apprend rapidement que l’armée musulmane approche. Devant
l’imminence du danger, un homme de Kinda, Thawr ibn Mâlik, s’adresse
aux hommes de sa tribu : « Je vois que vous êtes décidés à combattre les
musulmans parce que vous prétendez être souverains ; or vous savez bien
que cette prétention est caduque, car Allâh a aboli tous les règnes et tous
les pouvoirs avec l’arrivée de son Prophète Muhammad. Les sabres avec
lesquels Dieu a combattu les apostats sont les mêmes qui vont s’abattre
sur vous demain. Alors je vous conseille de vous rattraper ; l’armée d’Abû
Bakr est à vos portes ! » À cause de ces propos défaitistes, certains
membres de sa tribu l’insultent et le frappent au visage.
En attendant l’arrivée des renforts, la milice dirigée par Ziyâd ibn
Labîd lance une attaque nocturne particulièrement sauvage sur différents
roitelets et clans de Kinda ; comme d’habitude, on pille les biens et l’on
fait captifs femmes et enfants. Devant l’ampleur des dégâts, certains chefs
de clans se rendent au milieu de la nuit auprès de Ziyâd ibn Labîd pour
capituler. Chez d’autres chefs en revanche, la violence de l’attaque ne fait
que nourrir leur détermination. Al-Ash‘ath est extrêmement remonté.
Après avoir appris le sort subi par les différents clans de sa tribu (les Banû
Hind, ‘Âtik, Hujr et Jamr) et la capitulation de quelques autres, sa colère
semble inextinguible : « Quoi ! Nous n’avons plus aucune dignité ? Ziyâd
tue nos cousins, réduit en esclavage nos femmes et nos enfants, prend nos
biens et nous, nous restons là les bras croisés ? »
Al-Ash‘ath réunit autour de lui ses cousins des autres clans (les Banû
Murra, ‘Adiyy et Jabala), réussissant à rassembler un contingent de mille
hommes contre l’armée musulmane. Celle-ci est cependant quatre fois
plus importante car ‘Ukkâsha, qui se trouvait non loin, est entre-temps
arrivé sur les lieux pour soutenir Ziyâd. Elle compte en outre dans ses
rangs un demi-millier de Banû Kinda, des clans Sakâsik et Sakûn, prêts à
combattre leurs propres cousins. Très souvent, la clé du succès des
musulmans tient dans leur capacité à s’immiscer dans les conflits internes
qui déchirent les tribus pour mieux pouvoir les dominer.
Les deux armées s’affrontent non loin de la ville de Tarîm 96. Malgré le
déséquilibre des forces, l’armée d’al-Ash‘ath prend rapidement le dessus ;
Ziyâd, bien que bénéficiant de renforts, ne parvient pas à freiner l’avancée
de son adversaire. Au bout du compte, al-Ash‘ath inflige à Ziyâd une
défaite cuisante, réussissant même à récupérer tout le butin et à le restituer
à ses propriétaires, et assiège Tarîm où Ziyâd s’est réfugié avec son armée
battue.
Devant l’ampleur du désastre, ce dernier appelle à l’aide Muhâjir,
arrivé entre-temps dans l’Hadramaout à la tête d’un millier d’hommes,
mais quand ils parviennent à Tarîm, ils se retrouvent eux-mêmes pris dans
la nasse ! Le siège est atroce. Ziyâd envoie une nouvelle lettre à Médine
pour demander des secours. Le calife, désarçonné et ne sachant plus quoi
faire, se résout à demander par écrit à al-Ash‘ath de lever le siège. Ce
dernier réplique, narquois, au messager du calife : « Ton ami, cet Abû
Bakr, nous accuse de mécréance parce que nous nous opposons à lui ; mais
il n’accuse pas son ami Ziyâd de mécréance alors qu’il a massacré les
membres de ma tribu ! » Le messager lui rétorque : « Certes, tu es un
mécréant, dès lors que tu ne suis pas ce que les musulmans ont décidé de
suivre ! » Le cousin d’al-Ash‘ath se lève et coupe la tête de l’impertinent
d’un coup de sabre. Le siège de Tarîm se poursuit et devient de plus en
plus insupportable.
Ziyâd envoie encore à Médine une lettre de détresse. Le calife est aux
abois. Il sollicite ses conseillers : « Dites-moi ce que je dois faire avec ces
gens de Kinda ! » On lui recommande de capituler, de les laisser
tranquilles et de ne plus demander à ces insoumis de verser la zakât. Mais
Abû Bakr refuse catégoriquement d’abandonner. Vraisemblablement
informé de l’opinion des Kinda quant à la préséance de la famille du
Prophète, il dit à ‘Umar : « J’ai une idée. Je vais leur envoyer ‘Alî ; lui, il
saura peut-être les amadouer. » De fait, le Prophète avait déjà envoyé ce
dernier au Yémen et dans l’Hadramaout pour leur prêcher la foi et sa
mission avait été couronnée de succès.
‘Umar réfléchit un moment à la suggestion d’Abû Bakr. Comme il n’a
pas une grande opinion de ‘Alî, qu’il surnomme « al-Ussayli‘ », « le petit
chauve 97 », il émet une réserve : « J’ai peur, dit-il à Abû Bakr, qu’il ne les
combatte pas ! Et puis je pense que tu dois le garder à tes côtés ; après
tout, il est de bon conseil. Envoie plutôt ‘Ikrima : il se trouve à Mahra, à
deux pas de l’Hadramaout. » ‘Umar pense sans doute surtout qu’envoyer
‘Alî constitue une prise de risque : la situation pourrait se retourner contre
Abû Bakr si les Kinda décidaient de faire allégeance à ‘Alî.
Suivant le conseil de ‘Umar, Abû Bakr renonce donc à son idée et
ordonne plutôt à ‘Ikrima d’aller délivrer Ziyâd et Muhâjir. L’opération
militaire menée par ‘Ikrima est un succès : il brise le siège de Tarîm et
met en déroute l’armée d’al-Ash‘ath, qui se réfugie dans le fort de Nujayr
à trente kilomètres à l’est. C’est à présent aux rebelles de se trouver
assiégés. Ils finissent par capituler : les musulmans investissent la
forteresse de Nujayr 98 et s’emparent des femmes comme butin, qu’ils se
partagent. Tabarî 99 raconte que Muhâjir se voit attribuer deux captives :
quand il les entend chanter des satires sur le Prophète, il leur coupe bras et
jambes et leur arrache les dents.
Al-Ash‘ath est également capturé et envoyé prisonnier à Médine ; on
l’amène devant Abû Bakr dont il implore le pardon. Il fait allégeance au
calife et le supplie : « Renoue mon union avec ta sœur, Umm Farwa, et tu
trouveras en moi ton plus fidèle serviteur. » En effet, al-Ash‘ath et la sœur
cadette d’Abû Bakr s’étaient mariés un an plus tôt, quand il était venu à
Médine avec les membres de sa tribu pour faire allégeance à Muhammad.
Mais le mariage, n’ayant pu être consommé puisque Umm Farwa était
restée à Médine tandis qu’al-Ash‘ath était rentré dans l’Hadramaout, avait
de fait été annulé par suite de l’« apostasie » du mari 100. Abû Bakr lui
accorde non seulement son pardon, mais il lui rend aussi son épouse. La
fille qui naîtra de cette union se mariera plus tard avec Hassan, le fils aîné
de ‘Alî 101.
Al-Ash‘ath, désormais surnommé ‘Urf al-Nâr, « la crinière de feu », ne
retournera plus jamais chez lui dans l’Hadramaout : enrôlé dans l’armée
du calife, il participera aux campagnes militaires de Syrie et d’Irak et
finira ses jours à Kûfa, du vivant de Hassan ibn ‘Alî. Le calife confirme
par ailleurs Ziyâd ibn Labîd comme son agent dans l’Hadramaout tandis
que Muhâjir est nommé gouverneur au Yémen aux côtés de Fayrûz le
Daylamite.
En cette année XII de l’Hégire (de mars 633 à mars 634), la
soumission des insurgés de Kinda achève la répression menée par Abû
Bakr. La majeure partie de l’Arabie est désormais passée sous l’autorité du
successeur du Prophète dont le pouvoir est cimenté par les victoires : de
nombreuses victimes, des massacres, des dommages collatéraux, un butin
et des richesses considérables qui procurent au calife des moyens inouïs. Il
peut désormais financer d’autres guerres de conquêtes. Le calife a réussi à
transmuer une situation de grand péril en un véritable triomphe :
l’apostasie, loin d’avoir affaibli l’expansion de l’islam et menacé jusqu’à
son existence, aura été un puissant casus belli qui aura non seulement
assuré sa survie mais l’aura aussi consolidé. Depuis La Mecque, le
compagnon du Prophète Suhayl ibn ‘Amr, apprenant la nouvelle des
victoires éclatantes des armées califales, s’exclame devant l’efficacité de
ce qu’on pourrait appeler le régime de la Terreur : « L’apostasie n’a fait
que renforcer l’islam : nous avons coupé la tête à tous ceux qui avaient
douté de nous 102 ! » Abû Bakr ne craint plus aucune opposition à
l’intérieur de l’Arabie ; il songe à étendre son pouvoir hors de celle-ci en
se lançant dans la conquête de l’Irak et de la Syrie.
a. D’après les sources musulmanes, en 632, Musaylima était plus que centenaire, ce qui est très
douteux ; mais il n’est pas rare que la Tradition prenne beaucoup de libertés avec l’âge des
personnages, et la chronologie d’une manière générale.
b. On notera qu’à environ un millénaire de distance, cette région verra naître l’actuelle dynastie
d’Âl Sa‘ûd, qui règne aujourd’hui sur toute l’Arabie. Elle est issue de la tribu de Musaylima, les
Banû Hanîfa. Leur ville ancestrale dont ils ont fait la capitale de leur royaume, Riyadh, se trouve
à moins de cent kilomètres de Yamâma et le palais qui, à Riyadh, abrite le siège de la cour royale
et celui du parlement s’appelle le palais de Yamâma.
c. Comme le dit Wâqidî, Musaylima a su s’entourer de ministres, comme le très rusé Muhakkam
ibn al-Tufayl.
d. Yâqût 4/135. C’est l’actuelle al-‘Uyayna (ou al-Kharâj ?) au nord-est de l’Arabie Saoudite.
e. Dans ses Annali dell’ Islam, Caetani penche pour sa part pour la première moitié de l’an XII,
soit entre janvier et mai 633.
f. Avant sa conversion, il était au service de Hind, la femme d’Abû Sufyân. C’est sur les ordres
de cette dernière, pour venger la mort de son père tué par Hamza pendant la bataille de Badr,
qu’il a exécuté ce dernier.
g. Elle devient ainsi la quatrième épouse de Khâlid, après la veuve de Mâlik et ses deux
premières femmes, Asmâ’ bint Anas (mère de ‘Abd-Allâh senior) et Kabsha bint Hawdha (mère
de Sulaymân).
h. D’après Ibn al-Athîr (Usd 3/571-572), al-‘Alâ’ est un Compagnon du Prophète originaire,
comme son nom l’indique, de l’Hadramaout (Hadhramawt en arabe). Sa famille était l’alliée des
Banû Umayya ; c’est pour cette raison qu’il vivait à La Mecque (Ibn Hajar Issâba 4/445). Sa
sœur al-Sa‘ba était mariée à Abû Sufyân qui l’a répudiée. Elle a ensuite épousé en secondes
noces ‘Ubayd-Allâh ibn ‘Uthmân (le Taymite) auquel elle a donné un fils, Talha ibn ‘Ubayd-
Allâh, le cousin du calife (Dhahabî Siyâr 3/162-164).
i. Ce nom de Bahrayn désigne à l’époque, d’après Yâqût, la région côtière entre Bassora et
Oman qui donne sur l’océan Indien et qui est délimitée au sud par la région de Yamâma. En
termes de frontières actuelles, elle correspond à l’aire géographique qui comprend l’est de
l’Arabie Saoudite, le Qatar, la présente île du Bahreïn ainsi qu’une partie du Koweït et des
Émirats arabes unis. Toujours d’après la description de Yâqût (1/346-349), la région est riche en
sources d’eau. Ses principales cités sont alors al-Khatt, al-Qatîf, al-Âra, al-Hajar, Baynûna, al-
Zâra, Juwâthâ’, al-Sâbûr, Dârîn et al-Ghâba.
j. Al-Jârûd ibn Mu‘allâ a rencontré le Prophète à Médine durant l’année des délégations. Il était
chrétien et s’est converti à l’islam. Son vrai nom est Bishr ; on l’a affublé du sobriquet al-Jârûd,
littéralement « le dépouilleur », car lors d’une razzia il a détroussé complètement la tribu rivale,
les Bakr ibn Wâ’il.
k. On pourrait s’amuser à voir dans cette scène une vision prémonitoire du pont qui relie
actuellement l’Arabie Saoudite au Bahreïn. Ce pont de vingt-cinq kilomètres de long, qui a pour
nom officiel « chaussée du Roi-Fahd », est surnommé « The Johnnie Walker Bridge » : des
centaines de Saoudiens, carencés en alcool dans leur pays, l’empruntent en effet chaque week-
end pour aller au Bahreïn étancher leur soif.
l. Muhâjir n’en est pas à sa première défection : il avait déjà refusé d’aller à Tabûk. Muhammad
s’était fâché contre lui puis lui avait pardonné suite à l’intervention d’Umm Salama.
m. Les auteurs de la Tradition affirment que Qays était l’allié des Murâd, clan important de la
tribu des Madhhij.
n. Les Zubayd et les Murâd sont deux clans rivaux de la même tribu de Madhhij.
o. Ces princes himyarites sont également appelés aqyâl, pluriel du mot qayl, un mot de langue
sud-arabique (laquelle est plus proche des langues éthiopiennes que de l’arabe) qui désigne le
« roi » ou le « seigneur ». De nos jours, un mouvement nationaliste yéménite porte ce nom
d’Aqyâl : il appelle à revenir aux sources himyarites de la civilisation yéménite en la purgeant
des influences culturelles et politiques abyssiniennes, perses, hachémites, ottomanes,
britanniques, etc. Il est donc naturel que ce mouvement cherche aussi à réhabiliter la figure
d’Aswad, présenté non comme un usurpateur mais comme un rebelle patriote qui a combattu
l’invasion étrangère.
III

UN ÉTENDARD NOIR
SUR L’IRAK ET LA SYRIE
L’Irak, soit la basse-Mésopotamie, est alors sous domination perse : la
capitale de l’Empire sassanide, Séleucie-Ctésiphon, se trouve d’ailleurs
non pas en Iran, mais sur le Tigre, à une trentaine de kilomètres de la
future Bagdad. À l’époque, les Arabes appellent cette région Sawâd 1,
littéralement le « pays noir » : la plaine d’alluvions du Tigre et de
l’Euphrate est marécageuse et très fertile, au point que l’herbe y pousse
tellement dru qu’elle est d’un vert sombre proche du noir. Le Sawâd
s’étend globalement du sud d’al-Hîra jusqu’au golfe Persique.
Al-Hîra constitue l’un des verrous du territoire sassanide. Le puissant
Empire perse, tout comme son éternel rival byzantin, a longtemps dû subir
les razzias de tribus arabes et, pour y mettre un terme, a conclu des
alliances avec des roitelets arabes afin que leurs principautés semi-
indépendantes jouent le rôle de tampon entre l’Empire et les Bédouins.
C’est ainsi que les Lakhmides, dont al-Hîra est la capitale, s’étaient
retrouvés clients des Perses, tout comme leurs équivalents syriens, les
Ghassanides, étaient ceux de Byzance. Ces deux royaumes arabes étaient
constamment en conflit, ce qui les occupait beaucoup, au grand bonheur
des Perses et des Byzantins puisqu’ils ne risquaient ainsi jamais de
devenir une menace. L’apparition du califat à Médine est venue rompre cet
équilibre. Dans sa dynamique d’extension, le nouvel État islamique veut
d’abord imposer sa domination sur les territoires en bordure du désert en
attaquant justement les cités frontalières comme al-Hîra. D’autant que
dans cette dernière ville, le roi chrétien al-Nu‘mân ibn al-Mundhir a été
déposé et exécuté en 602 par l’empereur Khosrow parce qu’il entendait se
libérer de la tutelle perse : à sa place, celui-ci a placé sur le trône un
nouveau roi, Iyyâs ibn Qâbissa, de la tribu des Tayyi’, lequel a à son tour
été remplacé par un gouverneur perse à partir de l’an 618.
Or Abû Bakr vient justement de recevoir une demande d’aide de la part
d’un chef bédouin qui refuse de reconnaître l’autorité de ce gouverneur
perse 2. Muthannâ ibn Hâritha al-Shîbânî, c’est son nom, est issu de la
grande tribu arabe des Bakr ibn Wâ’il mais, contrairement à ses frères qui
ont rejeté au Bahrayn la tutelle califale et ont même préféré comme roi le
fils d’al-Nu‘mân ibn al-Mundhir, lui-même est resté musulman depuis sa
conversion lors de l’année des délégations et mène régulièrement des
razzias contre les Perses. Profitant de l’affaiblissement de l’Empire
sassanide empêtré, depuis la déposition de Khosrow II en 628, dans une
interminable querelle dynastique – on compte quatorze « rois des rois »
entre 628 et 632 –, Muthannâ se rend à Médine pour demander des renforts
et informe également le calife que l’heure est propice pour attaquer les
Perses.
Abû Bakr voit dans l’aide qu’il peut fournir à Muthannâ une aubaine
pour lancer un assaut contre les Sassanides. En même temps, sur le plan
intérieur, l’envoi de Khâlid vers l’Irak est une mesure d’éloignement utile
qui lui permet de calmer les critiques acerbes dont le sulfureux général
fait l’objet, tant quant au meurtre de Mâlik qu’à son mariage incongru
après le carnage de Yamâma. Il accède ainsi immédiatement à la requête
de Muthannâ en écrivant à Khâlid, d’une part pour lui dire tout le mal
qu’il pense de son comportement indigne, d’autre part pour le sommer de
se diriger vers l’Irak. Il fait porter le message par un certain Abû Sa‘îd al-
Khudrî. Ce dernier reçoit des instructions strictes : « Ne lâche pas Khâlid
avant de le voir de tes propres yeux quitter Yamâma pour l’Irak ! Tu lui
dis que des musulmans du Sawâd sont en train de combattre les Perses et
ont besoin de son secours 3. »
Au mois de Muharram de l’an XII (mars 633), Khâlid, qui a élu
domicile à Yamâma, reçoit donc la lettre de mission d’Abû Bakr. La
feuille de route est précise : lui et son armée doivent d’abord se porter vers
Ubulla 4, au sud-est de l’Irak. La ville jouit d’une situation géographique
exceptionnelle, étant à la fois située sur le golfe Persique et sur les rives
du Tigre. Son intérêt stratégique est tel que les Sassanides l’ont placée
sous administration militaire. Ensuite, ce sera au tour d’al-Hîra 5. Khâlid
lit attentivement la lettre puis dévisage le messager avec une moue
d’exaspération. Il dit à Abû Sa‘îd : « Je sais pertinemment que cet ordre ne
vient pas du tout d’Abû Bakr ; je sais qui est derrière cette décision de me
muter en Irak ! » Il soupçonne naturellement ‘Umar mais ne proteste pas
outre mesure. Ils veulent qu’il aille combattre les Perses en Irak ? Il le
fera. Il convoque ses soldats et leur annonce : « Je viens de recevoir une
lettre du calife ; il nous demande de nous diriger vers l’Irak pour continuer
notre combat. Que ceux qui veulent le butin ici-bas et le paradis dans l’au-
delà me suivent ! Moi, je pars demain. »
Parallèlement, Abû Bakr écrit à Muthannâ pour l’aviser de la venue de
Khâlid et lui demander de combattre sous ses ordres ; il ordonne
également à ‘Iyâdh ibn Ghanm, un général qurayshite, converti de la
première heure, de se rendre à Dûmat al-Jandal, véritable carrefour
commercial au confluent de l’Irak, de la Syrie et de l’Arabie, pour se
diriger depuis là-bas vers al-Hîra. L’idée est d’attaquer l’Irak sur deux
fronts, par le sud depuis Ubulla et par le nord depuis Dûmat al-Jandal 6.

On est au mois de Safar de l’an XII (avril 633) quand l’armée de


Khâlid se met en branle. Elle passe d’abord par la région de Kâdhima 7, au
nord de l’actuel Koweït, tenue par un gouverneur perse du nom de
Hormuz. L’homme, installé dans un lieu hautement stratégique entre
désert et mer, jouit d’une grande réputation et veille jalousement sur la
sécurité de l’empire. Il détient en outre, selon Tabarî, un bien très
précieux : l’eau. Khâlid galvanise ainsi ses troupes : « L’eau sera la
récompense du plus vaillant des deux adversaires ! » Hormuz, prévenu de
l’arrivée des musulmans (Khâlid, d’après certaines sources, lui a envoyé
une lettre de sommation), met son armée en mouvement et part à sa
rencontre dans le désert. L’affrontement a lieu sans tarder : sur le champ
de bataille, Hormuz s’avance seul et défie Khâlid en un combat singulier.
Et Khâlid tue Hormuz. Les soldats musulmans, assistés par les hommes de
Muthannâ, massacrent alors l’armée perse dont les soldats, dit-on, se sont
enchaînés les uns aux autres, résolus à mourir sur le champ de bataille
plutôt que de fuir, d’où son nom de « bataille des Chaînes » (dhât al-
salâsil). Le butin, constitué des bagages de l’armée perse et des joyaux de
Hormuz, est prodigieux. Au moment du partage, Khâlid s’octroie la
splendide mitre de gouverneur du vaincu : ornée de pierres précieuses, elle
vaut – dit-on – cent mille dirhams 8.
Cette première victoire en territoire impérial encourage Khâlid à
poursuivre son avancée en direction d’al-Hîra. Il livre bataille au courant
du même mois dans différents endroits tels que Madhâr 9, où il met en
déroute les renforts envoyés pour soutenir Hormuz. Acculés au fleuve, de
nombreux soldats de l’armée perse prennent la fuite en se jetant à l’eau,
nus ou presque. Beaucoup meurent noyés au cours de cette « bataille de la
Rivière » (dhât al-thaniyy). On parle de trente mille soldats perses tués ce
jour-là. Les musulmans ont pris beaucoup de captifs ; Khâlid réunit le
butin et en envoie le cinquième à Médine. Pour stopper son avancée, les
Perses envoient une armée de cinquante mille hommes qui installe son
camp à Walaja 10, à laquelle viennent se joindre des tribus arabes,
notamment les clans chrétiens de la tribu des Bakr ibn Wâ’il. Le général
ne se laisse pas déconcerter : il fonce sur l’armée adverse et ses supplétifs
arabes et parvient à les soumettre. Continuant son chemin vers al-Hîra, il
épargne les paysans qui croisent son chemin et se contente de leur imposer
un tribut. Tout en parcourant la région, il est impressionné par l’eau et la
verdure qui défilent sous ses yeux. Il n’a jamais vu cela auparavant :
« Quand bien même on ne se battrait pas pour l’islam dans le cadre du
jihâd que Dieu nous a ordonné d’accomplir, il faut qu’on se batte pour
arracher aux Perses cette belle contrée. Nous la méritons plus qu’eux ! »,
lance-t-il à sa soldatesque.
En arrivant du côté de Bassora, Khâlid rencontre un certain Suwayd
ibn Qataba, de la tribu des Bakr ibn Wâ’il, qui se livre lui aussi de temps à
autre à quelques razzias sur les Perses. Celui-ci reçoit Khâlid et lui fait
part de ses craintes quant aux habitants de la ville d’Ubulla, qui se trouve à
moins de trente kilomètres de là et dont il redoute une attaque imminente.
Khâlid met en place une ruse qui consiste à faire croire qu’il quitte
Bassora alors qu’il se poste non loin en embuscade ; l’armée d’Ubulla
lance une offensive sur la ville et Khâlid sort alors de sa cachette et les
assaille : nouveau carnage dans les rangs de l’armée perse dont une partie
meurt noyée dans le Tigre.
Mais contrairement aux instructions de son calife, Khâlid ne cherche
pas à prendre Ubulla, qui ne sera conquise que deux ans plus tard en
l’an XIV (635), sous le règne de ‘Umar, par ‘Utba ibn Ghazwân. De
Bassora, il poursuit son chemin vers al-Hîra et au bout de quelques
semaines, au mois de Rabi‘ I (mai-juin 633), il affronte de nouveau
l’armée perse et ses supplétifs arabes, à Ullays 11 cette fois. Ce contingent,
dirigé par un triumvirat composé d’un Perse, Jâbân a, et de deux Arabes,
Abjar et ‘Abd al-Aswad, se montre particulièrement coriace. Irrité par tant
de résistance, Khâlid jure de massacrer jusqu’au dernier les soldats de
l’armée adverse : « Mon Dieu ! Faites que ce fleuve soit inondé de leur
sang ! » À la faveur d’une attaque soudaine menée à l’heure du repas,
l’armée musulmane finit par vaincre les Perses et les Bakrites dont un
grand nombre sont capturés. Khâlid ordonne à ses hommes de ne pas les
tuer. Le lendemain, il se tient au milieu de ses soldats en criant : « Les
prisonniers ! Ramenez les prisonniers ! » On les traîne enchaînés et on les
aligne sur la rive de l’Euphrate toute proche. D’un geste de la main, il
ordonne leur exécution : on leur tranche la gorge. La boucherie dure une
journée entière, jusqu’à la tombée de la nuit. Les eaux du fleuve
deviennent rouges de sang : on l’appellera désormais nahr al-damm, « le
fleuve de sang ».
La nouvelle de la conquête d’Ullays et de la boucherie parvient à Abû
Bakr à Médine. Le calife est si admiratif de la performance de Khâlid qu’il
s’exclame devant ses amis : « Ô Qurayshites ! Plus aucune femme n’est
capable de mettre au monde un homme comme Khâlid 12 ! » Le massacre
d’Ullays plonge dans la terreur les villes voisines telle Amghîshiyâ 13, au
bord de l’Euphrate, cité si prospère qu’elle est considérée comme la rivale
d’al-Hîra. Ses habitants sont épouvantés au point qu’ils abandonnent leurs
maisons pour se disperser dans la campagne. Sans combattre, l’armée
musulmane entre dans Amghîshiyâ et la met entièrement à sac. Les
maisons sont pillées puis démolies et toute la ville est rasée. Le butin est
tellement immense que chaque soldat perçoit la somme conséquente de
mille cinq cents dirhams, ce qui est du jamais-vu selon Tabarî 14.
Cette marche triomphale ne fait pas oublier à Khâlid son objectif
principal, la conquête d’al-Hîra, dont il s’approche à pas sûrs. Azadubé, le
satrape (marzeban) de la cité, a établi un camp pour la protéger mais il ne
tarde pas à abandonner son armée et à fuir très loin, laissant les habitants
livrés à eux-mêmes. Toujours au mois de Rabî‘ I de l’an XII (mai-juin
633), Khâlid commence le siège et adresse une lettre de sommation à
Iyyâs ibn Qâbis, le chef arabe de la ville désigné par les Perses. « Ô Iyyâs,
lui écrit Khâlid, tu as le choix entre trois options : te convertir à l’islam,
payer la jizya ou subir la guerre. Je te signale que les hommes de mon
armée aiment la guerre autant que tu aimes les plaisirs de la vie ! »
Accompagné de quelques dignitaires de la cité, notamment ‘Amr ibn ‘Abd
al-Massîh, un vieux chrétien qui porte le sobriquet de Baqîla, « la fève »,
car il porte toujours deux capes vertes, Iyyâs s’en va négocier l’armistice
avec le général musulman. Au cours des discussions, Khâlid remarque une
petite bourse suspendue à la ceinture de Baqîla. Il la prend et en verse le
contenu dans sa main : ce sont de petites graines qu’il n’arrive pas à
identifier. « Qu’est-ce donc cela ? demande-t-il.
– Du poison, répond Baqîla.
– Pour quoi faire ? réagit Khâlid en lui lançant un regard sévère.
– Je me dis que mourir me sera plus honorable que d’assister au
massacre de ma famille et des habitants de ma ville. »
Mais Khâlid n’a pour une fois pas l’intention de tuer qui que ce soit
dans cette ville lâchée par l’Empire et livrée à son sort. Il dit alors à
Baqîla et à Iyyâs ibn Qabîssa : « Alors, que choisissez-vous : vous
convertir à l’islam, payer une jizya ou mourir ? » Iyyâs lui répond : « Nous
ne voulons ni te faire la guerre ni abjurer. C’est pourquoi nous consentons
à payer le tribut que tu exiges. » Khâlid est étonné : « Mais dites-moi :
êtes-vous des Arabes ou des Perses ?
– Enfin, des Arabes bien sûr ! Dans quelle langue est-ce que je te parle
à l’instant ? N’est-ce pas l’arabe ? Nous ne connaissons qu’une seule
langue : l’arabe !
– Alors dites-moi, pourquoi vous faites-vous les alliés des Perses et
non de ceux qui sont arabes comme vous ? Pourquoi cette hostilité envers
vos frères arabes ? Je ne comprends pas ! Vous choisissez de vous allier
aux Perses contre vos frères les Arabes ? Malheureux ! La mécréance est
décidément le pire des aveuglements ! Un Arabe idiot égaré dans le désert
rencontre deux guides : l’un est perse, l’autre est arabe comme lui et il
choisit de suivre le Perse, l’étranger ! Vous êtes vraiment insensés ! »
Mais l’argument ethnique ne prend pas : la délégation maintient sa
décision de payer un tribut et de ne pas changer de religion. Ils réunissent
la somme colossale de quatre-vingt-dix mille dirhams et la remettent à
Khâlid. Les auteurs de la Tradition y voient la première jizya perçue par
Médine. Par ailleurs, selon Tabarî, les habitants de la cité acceptent d’être
les « yeux » de Khâlid sur les Perses.
Le général demeure quelque temps à al-Hîra en envoyant à droite et à
gauche des bataillons faire des razzias et des pillages dans les environs.
Les dihqân, grands propriétaires terriens des villages alentour, décident
eux aussi de se soumettre aux musulmans. Le plus éminent d’entre eux,
Ibn Salûbâ, chef de Bâniqiyâ 15, soit l’actuelle Najaf, non loin de Kûfa,
consent à payer la jizya en plus de la taxe de capitation de quatre dirhams
par habitant (harazat Khosrow) qu’ils versaient auparavant aux Perses.
D’après Balâdhurî, Khâlid a envoyé un bataillon pour conquérir la ville
avec à sa tête Bâshir ibn Sa‘d, qui a été gravement blessé. D’après Tabarî,
ces habitants du Sawâd cesseront de se conformer à cet accord suite à la
mort d’Abû Bakr, ce qui explique pourquoi l’Irak sera de nouveau conquis
sous le califat de ‘Umar.
Face à l’irrésistible avancée des musulmans, et sortant à peine de cinq
années de chaos politique, l’Empire sassanide est impuissant à se
défendre. Quand les Perses reçoivent une lettre de menaces de la part de
Khâlid, ils sont désarçonnés. « Louange à Dieu, qui est en train de ruiner
votre empire ! leur écrit-il. Convertissez-vous à l’islam et soumettez-vous
car, de gré ou de force, vous allez subir notre loi qui vous sera imposée par
des croyants qui aiment la mort autant que vous aimez la vie b ! » Malgré
leurs divisions internes, les Perses sont déterminés à ne pas capituler et à
rester unis face à la menace musulmane. Ils déploient leurs troupes dans
les places fortes d’al-Anbâr 16 et ‘Ayn al-Tamr 17, à l’ouest de la capitale,
mais n’osent rien entreprendre. Khâlid, qui a désormais des espions
partout, n’en ignore rien. Impatient d’étendre la domination de ses
troupes, il ordonne à son armée de migrer vers le nord-ouest et de se porter
sur al-Anbâr, qui est l’un des plus grands réservoirs d’eau potable dans
toute la région. Dirigée par le satrape Shîrzâd, la ville est protégée par de
puissants remparts doublés d’un profond fossé. Au pied des murailles,
Khâlid constate que les soldats de l’armée adverse déployés au sommet de
celles-ci sont caparaçonnés de pied en cap. Leur heaume ne laisse voir que
leur regard. Khâlid ordonne alors à ses archers de viser les yeux. Aussitôt,
une pluie de flèches s’abat sur les soldats perses. La Tradition dit que les
musulmans parviennent à crever mille yeux, raison pour laquelle cette
bataille est surnommée dhât al-‘uyûn, « la bataille des Yeux ». Le
lendemain, le général fait abattre quelques chameaux avec les cadavres
desquels il fait combler une partie du fossé. Ses soldats atteignent ainsi les
portes de la ville et lancent l’assaut. Effrayé, Shîrzâd entre immédiatement
en pourparlers ; il offre la reddition d’al-Anbâr et obtient de pouvoir se
retirer sans effusion de sang.
Résolu à ne laisser aucun répit à son adversaire, Khâlid confie la garde
d’al-Anbâr à son lieutenant al-Zibriqân ibn Badr et avance vers la grande
cité de ‘Ayn al-Tamr, en bordure du désert, où se trouvent les plus belles
oasis de l’Orient. Dans cette ville fortifiée, une importante garnison perse
se tient en embuscade, sans doute pour protéger ce qui constitue l’un des
points d’eau les plus stratégiques de la région. Son capitaine, Mihrân fils
de Bahrâm Jûbîn, a également sous ses ordres un grand nombre d’Arabes
majoritairement issus de la fameuse tribu de la prophétesse Sajâh, les
Taghlib. Certains de leurs chefs présents sur place, comme ‘Akka ibn Abî
‘Akka et Hudhayl ibn ‘Imrân, avaient à l’époque suivi cette dernière.
Ledit ‘Akka dit à Mihrân : « Laisse-nous combattre Khâlid ; nous
sommes arabes comme lui et savons mieux que les Perses combattre les
Arabes ! » Le Perse accepte, mais la performance de ‘Akka est si médiocre
qu’il est battu et capturé dès le premier jour tandis que ses hommes
finissent par rendre les armes. Particulièrement hostile aux Arabes
chrétiens qu’il perçoit en quelque sorte comme traîtres à leur arabité,
Khâlid leur fait subir d’impitoyables représailles : il décapite leurs chefs,
‘Akka le premier, sous les murailles de ‘Ayn al-Tamr, et extermine tous
leurs soldats. Les femmes et enfants, quant à eux, sont distribués parmi les
membres de la garnison musulmane avant d’être vendus comme esclaves.
La ville abrite par ailleurs un monastère dans lequel quelques-uns ont cru
pouvoir trouver refuge ; ils finissent par être capturés eux aussi. Parmi eux
se trouvent des jeunes hommes dont les descendants entreront dans la
postérité : Sîrîn, le père du célèbre savant et médecin arabe Muhammad
ibn Sîrîn, Nusayr, le père de Mûssâ ibn Nusayr, le conquérant de
l’Espagne, et Yassâr, le grand-père du fameux biographe du Prophète Ibn
Ishâq.
En quelques semaines, Khâlid parvient ainsi à asseoir sa domination
sur la majeure partie du Sawâd et se retrouve à la tête d’une fortune
colossale. Qui pourrait bien arrêter le glaive dégainé d’Allâh ? Richissime,
commandant une armée de milliers d’hommes qui désirent la mort plus
que la vie, face à un empire qui s’effrite, il se sent désormais invincible. À
ceci près qu’il n’a toujours pas de nouvelles de ‘Iyâdh ibn Ghanm qui,
conformément aux consignes du calife, était censé le rejoindre en arrivant
par le nord. Il en déduit que son coreligionnaire doit être en difficulté. En
effet, ‘Iyâdh est depuis des semaines encerclé dans le désert syrien par les
tribus arabes chrétiennes qui ont afflué de toutes parts. Il a maintes fois
essayé de se dégager du siège, en vain, et il doit finalement se résoudre à
demander l’aide de Khâlid. Ce dernier, qui connaît bien Dûmat al-Jandal
pour y avoir été envoyé par le Prophète deux ans plus tôt, vole à son
secours, non sans avoir placé ses hommes de confiance à la tête d’al-Hîra
et d’al-Anbâr pour tenir l’Irak dans l’éventualité d’une contre-offensive
perse.
Khâlid quitte donc ‘Ayn al-Tamr en direction de Dûmat al-Jandal, qui
se trouve à une dizaine de jours de marche. Il avance par les terres
cultivées de la vallée de l’Euphrate jusqu’à Karbalâ’ où il s’installe
quelques jours, le temps de s’assurer de la soumission des villages
environnants. La nouvelle de son approche parvient à Dûmat al-Jandal,
alors dirigé par deux chefs arabes, Ukaydir ibn ‘Abd al-Malik de la tribu
de Kinda et al-Jûdî ibn Rabî‘a. Ces derniers reçoivent des renforts de
toutes parts, notamment des Ghassanides, le royaume arabe syrien client
de Byzance. Tout le monde est prêt à en découdre avec les musulmans.
Tous, sauf un : Ukaydir ibn ‘Abd al-Malik précisément, qui redoute plus
que quiconque la cruauté de Khâlid pour l’avoir subie par le passé. À
l’automne de l’an IX (630), au sortir de la campagne de Tabûk, ce dernier
avait en effet été mandaté par le Prophète pour enlever cette personnalité
richissime. Au cours du rapt, le frère d’Ukaydir, Hassan, avait été tué et
lui-même avait été contraint de s’acquitter d’un tribut colossal 18.
Ukaydir n’a nulle envie de revivre un cauchemar similaire et prévient
al-Jûdî et ses alliés : « J’ai déjà eu affaire à ce Khâlid. Croyez-moi, vous
avez intérêt à capituler ! » Mais ses avertissements ne recueillent qu’un
refus indigné. « Comment pourrait-on songer à capituler ? Où est passé ton
sens de l’honneur ? » Il choisit alors de se livrer seul dans l’espoir d’être
épargné. En chemin, il croise des soldats musulmans qui, ignorant ses
intentions pacifiques, le capturent et le ramènent prisonnier devant leur
général. Sur le sort d’Ukaydir, la Tradition n’est pas unanime : certains
rédacteurs disent qu’il aurait été immédiatement mis à mort et que tous
ses biens auraient été saisis par Khâlid, qui n’aurait même pas voulu
entendre ses explications ; d’autres disent qu’il aurait été retenu prisonnier
puis libéré moyennant rançon.
L’affrontement ne tarde pas à avoir lieu et, comme Ukaydir l’avait
prévu, l’issue se décide rapidement en faveur des musulmans qui prennent
possession de la forteresse. Là encore, ils font de nombreux prisonniers,
exécutent les hommes de la cité dont leur chef al-Jûdî, qui a la tête
tranchée, et se partagent les femmes avant de les vendre à l’encan. La fille
d’al-Jûdî, réputée pour sa grande beauté, se retrouve tout naturellement
dans les heures qui suivent dans le lit de Khâlid ibn al-Walîd.
Le général musulman n’accorde à ses soldats qu’un bref moment de
répit. À peine ont-ils le temps de savourer une victoire que leur chef les
engage dans de nouvelles batailles afin de contenir les contre-offensives
perses dont le détail, de Hassîd 19 en Khanâfis 20, de Musayakh 21 en Thinî 22
et en Zumayl 23, serait lassant à restituer. Tabarî raconte qu’au cours des
combats, Khâlid tue notamment « par erreur » un musulman dont le fils va
se plaindre auprès d’Abû Bakr, lequel le dédommage par le prix du sang. Il
décide ensuite de pousser davantage ses troupes vers le nord, du côté de
Firâdh 24 sur la rive orientale de l’Euphrate, aux confins syro-irakiens. La
région est occupée par un corps de troupe perse qui, apprenant la venue
des musulmans, l’évacue rapidement. Le général s’arrête à Firâdh dans les
derniers jours du mois de Ramadan de l’an XII (fin novembre 633). Ses
soldats sont épuisés ; lui-même est éreinté ; Tabarî 25 dit que, de fatigue, il
n’a pas pu faire le jeûne.
Les Byzantins, apprenant la nouvelle de cette présence menaçante à
leurs frontières, tiennent absolument à la repousser. Ils font alors appel à
quelques tribus arabes clientes qui vivent aux marges de leur empire et
même à leur rival perse. Les troupes alliées campent face aux musulmans
de l’autre côté de l’Euphrate. Au bout de quelques jours, les hostilités
débutent et atteignent leur paroxysme le 15 de Dhû l-Qa‘da de l’an XII
(21 janvier 634) lors d’une bataille dont les musulmans sortent victorieux
après avoir exterminé leurs adversaires ; Tabarî parle de cent mille morts.
Après être resté encore dix jours à Firâdh, le 25 de Dhû l-Qa‘da de
l’an XII (31 janvier 634), Khâlid ordonne subitement un repli sur al-Hîra
et confie le commandement de l’avant-garde à l’un de ses lieutenants,
‘Âssim ibn ‘Amr, tandis que lui-même fermera la marche 26. Quelle
étrange initiative de sa part ! Que peut-elle bien dissimuler ?

Pendant ce temps, c’est la Syrie qui préoccupe le calife – ou plus


exactement Bilâd al-Shâm, le « pays de Shâm », qui inclut la Palestine et
joue un rôle majeur dans l’imaginaire de l’islam naissant. Le Prophète
avait consacré ses dernières énergies à des assauts contre l’Empire
byzantin dans la région. Malgré la défaite cuisante de son armée à Mu’ta
en septembre 629, il avait lui-même dirigé un an plus tard, en octobre 630,
une expédition contre Tabûk 27. Ce devait être son ultime combat. Dès le
début de son règne, on l’a vu, son successeur avait mis un point d’honneur
à relancer la campagne de Syrie en y envoyant l’armée d’Ussâma, afin de
se conformer ostensiblement aux dernières volontés du Prophète. Les
victoires des armées califales en Arabie puis en Irak sous le
commandement de Khâlid lui permettent dorénavant d’envisager
sérieusement une percée sur ce front.
Plusieurs sources de la Tradition 28 s’accordent à dire que c’est vers la
fin de l’an XII, soit autour du mois de décembre 633, que le calife donne
le coup d’envoi de cette expédition. Au début, il n’est pas question d’y
dépêcher Khâlid ibn al-Walîd. La première garnison qu’il envoie est
placée sous le commandement d’un autre Khâlid, l’Umayyade Khâlid ibn
Sa‘îd ibn al-‘Âs, qui était revenu du Yémen au mois de Rabî‘ II de
l’an XII (juillet 632) après avoir fui la rébellion des « apostats » locaux
suite à la mort du Prophète. Dès son arrivée à Médine, il avait contesté la
nomination d’Abû Bakr en essayant de liguer ‘Alî et ‘Uthmân contre lui,
leur rappelant qu’en tant que membres comme lui de l’aristocratie
qurayshite ils ne pouvaient pas accepter d’être soumis à ce parvenu d’Abû
Bakr. Il avait cependant fini par se résoudre à lui faire allégeance.
Dès qu’il apprend que le calife a nommé cet ancien réfractaire à la tête
de l’armée de Syrie, ‘Umar tombe des nues. « Quoi ? se plaint-il à Abû
Bakr. Tu le nommes chef des armées, lui qui a dit tant de mal de toi ? Lui
qui ne t’a fait allégeance qu’au bout de deux mois ? Lui qui a osé te dire,
quand tu lui as demandé de repartir au Yémen : “Mêle-toi de tes affaires,
je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi !” As-tu donc oublié tout cela ? » Abû
Bakr se tait, habitué aux réactions virulentes et impétueuses de son ami.
« Tu dois le limoger ! C’est un arrogant ! », s’écrie encore ‘Umar. Le
calife est pris de lassitude : « Après Ibn al-Walîd, voilà qu’il s’acharne sur
un autre Khâlid ! », se dit-il.
C’est que ‘Umar déteste Khâlid ibn Sa‘îd, comme il a déjà eu
l’occasion de le lui témoigner publiquement. À son retour précipité du
Yémen, ce dernier se pavanait fièrement à Médine dans une somptueuse
djellaba en soie, tout en clamant haut et fort son opposition au calife.
‘Umar s’en était irrité : « Arrachez-lui cette djellaba et déchirez-la 29 ! »
‘Umar se montre en général très hostile aux signes extérieurs de richesse
affichés par les autres Compagnons, notamment les agents envoyés au
Yémen pour percevoir la zakât comme Mu‘âdh ibn Jabal 30, qui y était allé
pour rembourser ses dettes, comme on l’a vu. Quand, après la mort du
Prophète, Mu‘âdh était rentré à Médine après avoir fui le Yémen, il avait
été intercepté par ‘Umar qui lui avait demandé de restituer tous ses
dividendes au trésor public. Mais Mu‘âdh avait refusé, arguant que le
Prophète l’avait envoyé au Yémen pour le dédommager à titre personnel et
non pour la communauté, et que tout ce qu’il avait gagné lui revenait de
plein droit. ‘Umar avait alors demandé à Abû Bakr de faire saisir tout
l’argent gagné par Mu‘âdh, en rappelant au calife que l’argent d’Allâh
appartient à tous les musulmans ! Ibn Sa‘d raconte que ‘Umar, qui joue en
quelque sorte le rôle d’agent du trésor, tient Mu‘âdh à l’œil. Un jour,
pendant le pèlerinage, voyant autour de lui de jeunes esclaves, il
l’interpelle : « D’où proviennent-ils ? Comment te les es-tu procurés ? –
C’est un cadeau que j’ai reçu », lui répond Mu‘âdh. Et ‘Umar de lui
rétorquer : « Sais-tu que même les cadeaux, tu dois les déclarer au
calife 31 ? » Doutant probablement de la régularité de l’enrichissement de
Khâlid ibn Sa‘îd, ‘Umar perçoit son attitude ostentatoire comme une
impudeur et un défi lancé à l’autorité du calife, lequel exige des
Compagnons une transparence financière totale afin de mieux les
contrôler 32.
Abû Bakr est embarrassé par le veto de ‘Umar. « Dois-je me plier au
refus de ‘Umar et me rétracter ? » se demande-t-il. Son ombrageux ami a
sans doute raison de se méfier de Khâlid ibn Sa‘îd, mais le calife tient à
créer un consensus autour de sa personne en se conciliant les opposants
d’hier. En outre, depuis son tragique différend avec Fâtima, il s’est juré de
cesser toute hostilité avec les proches du Prophète. Après tout, Khâlid ibn
Sa‘îd n’est pas le premier venu 33. C’est non seulement un riche
Umayyade, petit-fils d’Umayya et par là cousin germain du puissant Abû
Sufyân, mais aussi un membre du club très fermé des huit sâbiqûn (ou
mutaqaddimûn), c’est-à-dire les premiers convertis à l’islam qui ont suivi
Muhammad dans sa hijra à Médine. Khâlid ibn Sa‘îd serait même le
quatrième musulman ; il aurait offert au Prophète tous les esclaves qu’il
avait hérités de son père. Muhammad avait fait de lui l’un de ses premiers
scribes chargés de consigner les versets du Coran au fur et à mesure de
leur révélation. Il avait également assumé le rôle de chef du protocole lors
de la fameuse année des délégations (en l’an IX). On dit qu’il avait même
arrangé le mariage du Prophète avec sa cousine Umm Habîba, la fille
d’Abû Sufyân, lequel était alors l’ennemi juré de Muhammad. Le rôle
politique de Khâlid ibn Sa‘îd s’était renforcé en l’an X quand le Prophète
les avait désignés, lui et ses frères, comme ses agents au Yémen pour
collecter la zakât. C’est dire à quel point il est difficile pour Abû Bakr
d’exclure ce personnage clé de l’entourage prophétique.
La Tradition donne deux issues différentes au dilemme du calife. La
première rapportée par Tabarî dit que ‘Umar a fini par obtenir gain de
cause : Khâlid ibn Sa‘îd aurait été limogé avant même son départ pour la
Syrie et remplacé par un autre Umayyade, Yazîd le fils d’Abû Sufyân. La
seconde version, plus recevable, affirme qu’Abû Bakr aurait maintenu la
nomination de Khâlid ibn Sa‘îd mais qu’il l’aurait placé à la tête d’un
contingent de réserve basé à Taymâ’ 34, au nord du Hijâz, en soutien aux
autres troupes qui partiront combattre les Byzantins. Cette attitude
tempérée lui aurait permis de donner un minimum de satisfaction à ‘Umar
sans se rétracter complètement.
À la tête d’une petite troupe, Khâlid ibn Sa‘îd quitte donc Médine en
direction de Taymâ’; à charge pour lui de se constituer une garnison
formée de tous les Bédouins qu’il réussira à s’agréger. Cette campagne de
recrutement est un succès immédiat : plusieurs membres des diverses
tribus arabes établies dans les zones frontalières entre l’Empire byzantin
et l’Arabie viennent se joindre à lui. Comme pour l’Irak, l’invasion de la
Syrie intervient dans un contexte de crise entre l’Empire et les tribus
arabes clientes de ce dernier, et dont une partie non négligeable décide de
se rallier à l’État islamique naissant.
Soulagé de constater un si grand renfort, Khâlid ibn Sa‘îd écrit au
calife pour lui annoncer l’encourageante nouvelle. Sachant qu’il peut
effectivement compter sur le retournement des tribus arabes vivant entre
le Hijâz et le Shâm, le calife lui demande alors d’avancer prudemment
dans le territoire syrien. Il le met toutefois en garde : « Les Byzantins
peuvent te surprendre par-derrière si tu avances trop loin ! » Abû Bakr a
entièrement raison de se méfier : les Byzantins, qui ont eu vent de la
présence inquiétante de ce régiment musulman à Taymâ’ soutenu par de
nombreux Arabes de la région, commencent à mobiliser de leur côté les
tribus arabes chrétiennes soumises à leur autorité. Très rapidement, des
contingents des tribus de Bahrâ’, Kalb, Sulayh, Tannûkh, Lakhm, Judhâm
et Ghassân se postent sur la frontière méridionale de la région d’al-
Balqâ’ 35 (le plateau de la rive orientale du Jourdain) à deux journées de
distance au nord de Taymâ’ dans un endroit proche de Âbil 36, Zayzâ’ 37 et
Qastal 38, nous dit la Tradition. Ils sont placés sous le commandement du
général arménien Bâhân (Vahan) ; l’empereur Héraclius étant lui-même
d’origine arménienne, il puise dans sa nation ses collaborateurs les plus
proches. On guette une avancée de l’armée musulmane.
Khâlid ibn Sa‘îd, averti de cette présence byzantine non loin, écrit au
calife pour lui faire un compte rendu de la situation. Ce dernier décide de
jouer le tout pour le tout : « Dès lors que les Byzantins sont informés de
notre intention de les attaquer, inutile de dissimuler davantage notre
projet ! Il faut passer à l’offensive. »
La marche de l’armée musulmane contre les Arabes chrétiens alliés
des Byzantins est un succès. En arrivant aux confins de la région d’al-
Balqâ’, elle réussit à disperser quasiment sans combat les troupes adverses
et installe son campement à la hauteur de Qastal. Khâlid ibn Sa‘îd sollicite
alors des renforts pour se préparer à la contre-attaque qui s’annonce.
Au moment où il reçoit cette lettre, le calife voit affluer de toutes parts
à Médine des volontaires prêts à s’engager. L’essentiel de ses troupes étant
déjà occupé aux quatre coins de l’Arabie et en Irak, comme on l’a vu aux
chapitres précédents, il avait en effet convoqué les différentes tribus
désormais soumises pour qu’elles participent au jihâd en Syrie, avec un
argument-massue : la promesse de richesses incommensurables. Comme il
a des doutes – légitimes du reste – sur la sincérité de l’engagement
religieux de ces tribus revenues ou converties à l’islam par la force de
l’épée, le calife avance un argument de taille afin de vaincre la réticence
des plus sceptiques : l’appât du gain. Balâdhurî dit clairement que le calife
a incité les Arabes à faire le jihâd en leur faisant miroiter un butin
considérable. Il parle ouvertement de la cupidité de ces mercenaires
calculateurs 39. Du reste, le Prophète lui-même avait joué sur ces mêmes
ressorts, lui qui avait encouragé ses soldats à aller combattre les Byzantins
en leur promettant en butin « les blondes des Rûms (banât al-asfar 40) ».
La méthode est infaillible : venant de La Mecque, de Tâ’if, du Najd ou
encore du Yémen, les combattants accourent par centaines à Médine,
excités par les biens qu’ils sont appelés à piller chez les mécréants. C’est
la ruée vers l’or. Tabarî dit que certains combattants himyarites, sous la
direction d’un certain Dhû l-Kulâ‘ 41, sont venus avec femmes et enfants,
déterminés à immigrer définitivement dans les villes syriennes qu’ils
s’apprêtent à conquérir. ‘Ikrima ibn Abî Jahl est même revenu du Yémen
avec une armée de supplétifs, sachant que les soldats qui ont participé à la
« pacification » d’Oman, de Mahra et de l’Hadramaout sont censés rester
sur place pour tenir la région.
Abû Bakr ne peut que se réjouir de constater ce nombre
impressionnant de soldats qui se mettent à sa disposition : une grande
offensive sur la Syrie est désormais envisageable. Il commence par
envoyer à Khâlid ibn Sa‘îd les renforts qu’il a demandés, lui dépêchant un
corps de troupe dirigé par ‘Ikrima et Dhû l-Kulâ‘ et leur adjoignant un
détachement de la tribu des Qudhâ‘a, établis dans l’immense vallée de
Wâdî l-Qurâ 42, avec à sa tête Walîd ibn ‘Uqba. Le lendemain, le calife se
rend à La Mecque pour présider au pèlerinage de l’an XIII.
Dès l’arrivée des renforts, Khâlid ibn Sa‘îd décide de s’enfoncer dans
le territoire syrien avec comme objectif d’atteindre Damas. Il croit
pouvoir interpréter le recul du général arménien Bâhân comme un signe de
faiblesse : en réalité, il s’agit d’un guet-apens. À peine a-t-il établi son
campement dans la plaine de Marj al-Suffar 43, à une journée environ au
sud de Damas, que le piège se referme. Au mois de Muharram de l’an XIII
(mars 634), les musulmans subissent une impitoyable attaque frontale de
la part des Byzantins et, quand ils veulent prendre la fuite, se retrouvent
nez à nez avec une autre armée qui les a pris à revers. Ils se débattent du
mieux qu’ils peuvent. Au milieu du champ de bataille, Dhû l-Kulâ‘
s’époumone : « Ô musulmans ! Les portes du paradis sont grandes
ouvertes ; les houris se sont faites belles pour vous 44 ! » Mais la
combativité des musulmans n’empêche pas la déconfiture. C’est même
une hécatombe. Khâlid ibn Sa‘îd, en particulier, paie cher sa précipitation
puisque son fils meurt au combat. Dévasté de chagrin, il prend la fuite vers
Dhû l-Marwâ 45, dans le Wadî l-Qurâ en abandonnant ses soldats à leur
sort. Seul ‘Ikrima se bat jusqu’au bout et réussit à se maintenir avec une
poignée de soldats dans les environs de Damas.

Nous avions laissé Khâlid ibn al-Walîd à la fin du mois de Dhû l-Qa‘da
de l’an XII (janvier 634) abandonnant en secret son armée sur le chemin
du retour de Firâdh vers al-Hîra. C’est que ce dernier a un projet qu’il
cache à tout le monde : effectuer un pèlerinage secret à La Mecque, sans
que ses soldats s’aperçoivent de son absence 46. Malgré ce détour
important, il espère rejoindre son armée au moment où celle-ci arrivera à
al-Hîra. Il va cependant lui falloir faire preuve d’une rapidité et d’une ruse
exceptionnelles. Après avoir laissé filer ses troupes, il se retrouve
quasiment seul, hormis une poignée de proches confidents qui
l’accompagnent. Il file de Firâdh à La Mecque et, malgré la rudesse de la
route, y parvient juste à temps, au mois de Dhû l-Hijja (février 634), en
pleine saison du pèlerinage. Incognito, il se mêle à la foule nombreuse des
pèlerins et participe à la journée des sacrifices à la station de Mînâ. Puis,
avec la même célérité qu’à l’aller, Khâlid rebrousse chemin et rejoint son
armée au moment même où elle rentre dans al-Hîra.
La Tradition ne dit rien sur ce que Khâlid a bien pu faire d’autre à
La Mecque, laissant la porte ouverte à toutes les spéculations. Ce que l’on
sait, c’est que malgré la discrétion dont il a fait preuve, la nouvelle de sa
présence parvient aux oreilles d’Abû Bakr, qui se trouve lui aussi à
La Mecque pour présider au pèlerinage. Le calife tombe des nues :
« Quoi ? Khâlid était à La Mecque en même temps que moi et je ne l’ai
pas vu ? Comment est-ce possible ? » Mais l’étonnement cède vite la place
à la colère : « Khâlid est venu à La Mecque pendant que j’y présidais aux
rites et il a fait exprès de se soustraire à mon regard ? Pourquoi n’est-il pas
venu me voir ? D’ailleurs, il ne m’en a pas demandé la permission, ni
même informé ! Qu’est-il venu faire au juste ? Que me cache-t-il ? Que
prépare-t-il ? » Les questions se bousculent dans son esprit. Aucune
réponse mais des doutes à n’en plus finir. L’atout maître est-il en train de
devenir une menace ?
Étonnamment, la Tradition n’avance rien quant à ses motivations
réelles. Est-ce un accès soudain de piété qui a poussé le général à
accomplir le pèlerinage ? Il est permis d’en douter, celui-ci n’étant pas
réputé pour son observance scrupuleuse des préceptes de la religion. On a
vu qu’il se dispensait sans remords du jeûne du Ramadan. Une autre fois,
alors qu’il dirige la prière de ses soldats, il bafouille tellement dans la
récitation des versets qu’il se sent obligé de s’en excuser auprès de ses
coreligionnaires, en prétextant qu’il est tellement pris par le jihâd qu’il a
négligé d’apprendre le Coran 47…
On pourrait admettre que, lassé de ses méfaits, Khâlid ait ressenti le
besoin de se laver de ses péchés. Mais dans ce cas, pourquoi le faire
secrètement ? Qu’il dissimule son absence à ses troupes pour ne pas les
démotiver, qu’il ait soin de ne pas faire courir un bruit qui pourrait
parvenir jusqu’aux espions perses, cela peut se comprendre. Mais
pourquoi se cacher du calife ?
Le pèlerinage qu’il a accompli est donc pour le moins suspect. La
colère d’Abû Bakr montre que ce séjour a été tout de suite perçu comme
une faute grave, voire une trahison. D’abord, en laissant son armée partir
seule, sans réel commandement, Khâlid a commis une grande
imprudence : les conquêtes sur le territoire perse sont encore très fragiles
et le risque de voir l’armée sassanide et ses alliés arabes contre-attaquer
est quasiment certain. De fait, quelques mois plus tard, les Sassanides
contre-attaqueront et repousseront les musulmans, notamment à l’issue de
la bataille du Pont en octobre-novembre 634. Ensuite, Khâlid, en ne
daignant pas informer Abû Bakr de son intention d’accomplir le
pèlerinage, en ne cherchant même pas à le voir, a en quelque manière défié
son autorité.
Le calife est donc en droit de se poser des questions graves : et si
Khâlid était en réalité venu fomenter quelque complot contre le calife avec
les clans de l’aristocratie qurayshite qui n’ont jamais accepté son
« élection » ? Serait-il possible que, grisé par tant de victoires, adulé par
ses soldats prêts à mourir pour lui, il ait eu pour ambition de se « mettre à
son compte » et d’organiser un coup d’État ? Quels qu’en soient les motifs
réels, le pèlerinage de Khâlid ne restera pas impuni : le châtiment que le
calife infligera à son turbulent général sera à l’origine d’un tournant
décisif dans l’histoire de la région – et du monde…

Abû Bakr vient tout juste de rentrer de pèlerinage quand on l’instruit


du désastre de Marj al-Suffar. Il en est aussi attristé que fâché : après le
pèlerinage secret de Khâlid ibn al-Walîd, voici que l’autre Khâlid – Khâlid
ibn Sa‘îd – lui cause des soucis dont il se passerait volontiers. ‘Umar aura
beau jeu, se dit-il, de lui rappeler qu’il l’avait dissuadé de lui faire
confiance : son imprudence n’aura eu d’égale que sa lâcheté. Il lui adresse
une lettre acerbe lui signifiant son limogeage immédiat : sa défaite
honteuse entache la réputation éclatante des armées du calife qui, depuis
son avènement, n’avaient fait qu’enchaîner les victoires.
Impossible pourtant de renoncer maintenant : dès son retour de
La Mecque et avant d’apprendre la déconfiture de Khâlid ibn Sa‘îd, il a
envoyé vers la Syrie quatre corps d’armée supplémentaires en assignant à
chacun une cible précise. C’est ainsi qu’Abû ‘Ubayda ibn al-Jarrâh est
censé marcher sur Homs en passant par al-Jâbiya 48 tandis que Yazîd ibn
Abî Sufyân doit se diriger vers Damas en passant par la région d’al-Balqâ’
et que Shurahbîl ibn Hassana doit partir vers Bosrâ. Quant à la quatrième
armée, placée sous le commandement de ‘Amr ibn al-‘Âs, elle doit se
mettre en route vers Ghamr al-‘Arabât (également appelée al-‘Araba 49)
avec comme destination finale la Palestine. Il s’agit de lancer des attaques
simultanées afin de déstabiliser les Byzantins et de disperser leurs rangs.
L’afflux de volontaires a permis de mettre sur pied ces quatre armées
concomitantes, composées chacune de milliers de soldats – les rédacteurs
de la Tradition parlent même de sept mille soldats par garnison. Un seul
général manque à l’appel, de manière surprenante : Ussâma ne participe
pas à cette nouvelle campagne syrienne.
D’après Balâdhurî 50, les quatre armées quittent Médine au mois de
Muharram de l’an XIII, soit mars 634. Juste avant leur départ, le calife
leur donne des consignes claires : dans le cas où les quatre armées
devraient se rejoindre, le commandement général en reviendrait à Abû
‘Ubayda. Il enjoint encore à ses généraux de se montrer modérés lors des
razzias qu’ils s’apprêtent à mener : « Soyez cléments avec vos soldats. Ne
les accablez pas si vous les trouvez épuisés. Ne désertez en aucun cas le
champ de bataille. Je vous recommande également de ne tuer ni les
enfants, ni les femmes, ni les vieux. Ne brûlez pas non plus les terres
cultivées, ne coupez pas les arbres ni n’égorgez le bétail sauf si vous avez
besoin d’en manger. N’attaquez pas les églises et les monastères et ne tuez
pas les prêtres et les moines. Il faut constamment laisser le choix aux
habitants de la Syrie : soit l’islam, soit le combat, soit la jizya 51. »
Les troupes du calife se mettent aussitôt en branle.
Les Byzantins, déjà en état d’alerte depuis l’arrivée de Khâlid ibn
Sa‘îd sur leur territoire, apprennent immédiatement la nouvelle de la
marche des quatre armées. Après un moment d’hésitation, l’empereur
Héraclius décide d’envoyer à leur rencontre de fortes troupes. Avec ses
généraux, il met en place une tactique pour repousser les envahisseurs : il
s’agit de les laisser s’enfoncer dans le territoire syrien pour les attaquer
séparément dans les différentes régions où leurs troupes se seront
déployées. Tabarî 52 rapporte qu’au départ Héraclius ne voulait pas
combattre les musulmans : essoufflé par ses guerres contre les Perses,
l’empereur byzantin est devenu plutôt enclin à l’inaction. Il se serait ainsi
montré « effrayé » par la perspective d’affronter les musulmans et aurait
émis devant son conseil l’idée d’acheter la paix en cédant au califat la
moitié des revenus (khârâj) de la Syrie. Mais sa proposition se serait
heurtée au refus indigné de son frère et de l’ensemble de ses conseillers et
c’est à regret qu’il aurait fini par accepter de combattre.
L’empereur fait lui-même le déplacement jusqu’à Homs pour veiller à
la préparation de ses troupes : Sergios est envoyé combattre Yazîd du côté
de Damas, al-Daraqûs (Drakos ?) va à la rencontre de Shurahbîl et al-Fîqâr
fils de Nestus est chargé d’arrêter l’avancée d’Abû ‘Ubayda. L’armée
principale est quant à elle placée sous le commandement de Théodore, le
propre frère d’Héraclius. Sa mission est de neutraliser l’armée de ‘Amr en
Palestine : il faut avant tout protéger Jérusalem et les routes de pèlerinage.
La première armée musulmane qui affronte les Byzantins est celle
commandée par Yazîd, composée essentiellement de Mecquois, dont le
fameux Abû Sufyân, père dudit Yazîd. Le calife a sans doute estimé habile
d’éloigner ces redoutables et intrigants Umayyades. Après être passée par
Wâdî l-Qurâ puis Tabûk, l’armée de Yâzid avance en territoire syrien et
cueille au passage Khâlid ibn Sa‘îd ibn al-‘Âs, le déserteur de Marj al-
Suffar. Yazîd apprend qu’une troupe byzantine le guette sur la gauche
depuis al-‘Araba ; il décide de lui envoyer un détachement dirigé par Abû
Umâma al-Bâhilî. Wâqidî 53 rapporte que, pour encourager son officier et
ses soldats effrayés, Yazîd les exhorte : « N’oubliez pas que Dieu vous a
promis la victoire et a mobilisé les anges pour combattre avec vous. Ne
soyez pas effrayés par le nombre de soldats ennemis. Allâh dit dans son
Livre : “Combien de fois une petite troupe d’hommes a vaincu une troupe
nombreuse, avec la permission de Dieu ? – Dieu est avec ceux qui sont
patients” (2 : 249). Et n’oubliez pas ce que nous disait souvent le
Prophète : “Le paradis se trouve à l’ombre des sabres !” » Abû Umâma
lance l’assaut ; il réussit à repousser les Byzantins, qui se retirent vers
Dâthin 54, un des villages de Gaza, où ils essayent de se réorganiser. Mais
Abû Umâma les poursuit et parvient à les vaincre après avoir tué Sergius,
leur patrice. Puis il revient retrouver Yazîd et le reste de l’armée.
Ce dernier ne veut pas réitérer l’imprudence de Khâlid ibn Sa‘îd.
Malgré sa victoire, il décide de ne pas s’aventurer plus profondément dans
le territoire syrien : les Byzantins peuvent surgir de n’importe où. Il entre
alors en contact avec les autres troupes musulmanes qui tiennent leurs
positions : Abû ‘Ubayda, qui doit aller jusqu’à Homs, est déjà arrivé au
niveau d’al-Jâbiya, dans la plaine de Hawrân, après avoir obtenu une
victoire à Ma’âb 55, une petite bourgade (fustât) d’al-Balqâ’ qui se soumet
sur son passage. Il a récupéré en chemin ‘Ikrima et Dhû l-Kulâ‘, les
malheureux acolytes de Khâlid ibn Sa‘îd. Shurahbîl ibn Hassana, de son
côté, est arrivé aux alentours de Bosrâ.
Le quatrième général, ‘Amr ibn al-‘Âs, est assez loin d’eux ; il se
trouve à présent à Ghamr al-‘Arabât en basse-Palestine, entre la mer
Morte et l’Égypte. La position de ‘Amr, qui menace Jérusalem, inquiète
particulièrement les Byzantins et ces derniers lui opposent une
impressionnante armée de soixante-dix mille hommes, qui se contentent
pour l’heure de guetter ses mouvements. Théodore, le frère de l’empereur,
la fait se poster à Jilliq. ‘Amr s’aperçoit très vite de sa présence et redoute
d’autant plus un assaut soudain qu’il se trouve isolé de ses trois collègues
dont les armées sont elles aussi surveillées de près par les autres armées
byzantines.
Un vent de panique traverse les rangs des chefs musulmans. Que faire
à présent ? Faire converger les troupes pour former un contingent plus
fort ? Ce serait courir le risque de se faire écraser par les Byzantins en
chemin avant même de s’être rejoints, d’autant plus que ‘Amr en
particulier est bloqué en Palestine. Doit-on rester séparés ? Mais si les
Byzantins attaquent, ces régiments d’à peine sept mille hommes se feront
massacrer par cette armée qui en compte des dizaines de milliers. Les
quatre généraux musulmans sont désarçonnés. Ils se tournent alors vers le
calife : Abû ‘Ubayda lui envoie une lettre pour qu’il leur donne ses
instructions.
Quand il lit cette lettre, Abû Bakr devient à son tour très soucieux et
regrette d’avoir nommé comme général en chef Abû ‘Ubayda dont il
découvre les moyens très limités. Wâqidî 56 écrit qu’en réalité le calife n’a
jamais vraiment cru dans les compétences militaires de celui-ci : il le
trouve même plutôt mou et inconsistant. S’il l’a nommé à la tête de
l’armée, c’est sans doute pour le récompenser de sa loyauté politique
indéfectible : lors de la houleuse réunion de la saqîfa, c’est lui qui, avec
‘Umar, s’est affirmé comme son principal soutien. Du reste, c’est aussi
pour des raisons politiques et non pour son mérite que le calife a nommé
Yazîd à la tête de la deuxième armée : il est en effet le fils d’Abû Sufyân,
l’un de ses plus virulents détracteurs, et nommer le rejeton à un poste de
responsabilité a permis de se concilier les bonnes grâces du puissant
Qurayshite. Ainsi, c’est essentiellement pour récompenser ses alliés ou
pour soudoyer ses opposants que le calife les a promus au rang de chefs
des armées ; mais à présent, la situation de grand péril qui se profile à
l’horizon le force à abandonner les calculs politiques et à privilégier le
critère de l’efficacité.
« Comment sortir de ce bourbier ? se demande Abû Bakr. Ai-je
commis une erreur en envoyant quatre armées dans la gueule du loup ? »
Les souvenirs de la défaite cuisante de Mu’ta, pourtant décidée par le
Prophète lui-même, remontent à son esprit. La Syrie est-elle vraiment
imprenable ? L’islam, dès lors, est-il destiné à rester un phénomène
purement local, tandis que les chrétiens détiennent la terre des prophètes
bibliques ? Le calife est si tourmenté par le problème syrien qu’il en perd
le sommeil, nous dit Ibn Kathîr 57. Il passe de longues nuits blanches à
réfléchir : aucune des solutions qu’il envisage ne le satisfait. Alors il finit
par admettre l’évidence : qui pourrait le sortir de là, si ce n’est Khâlid ibn
al-Walîd, son invincible général ? Il a gagné toutes les guerres. Même à
Mu’ta, quand tous les généraux désignés par le Prophète avaient trouvé la
mort, il était resté quasiment seul sur le champ de bataille et s’était battu
comme un lion contre les Byzantins. On dit que, dans son combat sans
relâche, il avait brisé neuf sabres 58. C’est à l’occasion de cet exploit que le
Prophète, admiratif, l’avait surnommé le « glaive dégainé d’Allâh » : ce
jour-là, il avait sauvé l’armée musulmane d’une terrible extermination.
Certes, le calife lui reproche d’avoir accompli sous son nez cet étrange
pèlerinage clandestin, mais il est ce qu’on appelle une « tête froide » : bien
qu’il ait le cœur sensible et la larme facile, il a une telle force de caractère
qu’il arrive à neutraliser ses émotions dès lors qu’il s’agit de raison d’État.
Homme patient et lucide, il ne laisse jamais ses passions et ses rancœurs
prendre le dessus. Il n’éprouve ni haine ni jalousie ; ses tourments lui
viennent de sa conscience très vive qui le taraude parfois. Il est
extrêmement conscient de sa responsabilité à l’égard de toute la
communauté et surtout, ce califat lui a coûté tellement de sacrifices – la
malédiction de la fille du Prophète n’étant pas le moindre – qu’il n’a plus
maintenant d’autre choix que de réussir. Enfin, après cette série de
victoires éclatantes, il lui paraît inenvisageable de quitter la scène sur une
défaite honteuse face aux Rûms.
Il écrit donc à Khâlid pour lui ordonner de quitter l’Irak séance tenante
et de se porter vers la Syrie. Évidemment, pour ne pas trahir sa détresse
devant son général, il ne va pas jusqu’à lui écrire que, sans lui, le califat
chancelle. Le ton de la lettre est même si sévère qu’Ibn al-Walîd croit
qu’elle a été écrite sous la dictée de ‘Umar 59, dont il connaît les
sentiments haineux à son égard.
En demandant à Khâlid de quitter l’Irak, Abû Bakr fait d’une pierre
plusieurs coups : il envoie son cheval gagnant en Syrie, il donne
satisfaction à ‘Umar qui le presse constamment de congédier le turbulent
général, il s’assure que ce dernier soit occupé très longtemps et qu’il ne
devienne pas une menace pour le jeune État médinois, et enfin il démontre
à tout le monde, Khâlid ibn al-Walîd le premier, que c’est toujours lui qui
donne les ordres. En faisant part de sa décision à ses conseillers, Abû Bakr
prononce une phrase restée dans les annales : « Avec Khâlid ibn al-Walîd,
je ferai oublier aux Rûms les souffles du mal (wasâwis) que leur murmure
le diable 60 ! »
Il écrit en parallèle à Abû ‘Ubayda pour le prévenir de l’arrivée de
Khâlid et ne manque pas de l’égratigner au passage : « Dès son arrivée en
Syrie, Khâlid prendra le commandement de toutes les armées. Tu dois
donc lui obéir car, dans l’art de la guerre, il est plus rusé que toi. »

Au mois de Rabî‘ I de l’an XIII (mai 634), Khâlid, basé à al-Hîra,


projette de se lancer dans de nouvelles conquêtes en territoire perse. Il a
sans doute dans son viseur Madâ’in (Ctésiphon), la capitale de l’Empire
sassanide. Un jour, on lui annonce l’arrivée d’un messager qui vient de
Médine. ‘Abd al-Rahmân al-Hanbalî entre et lui tend un rouleau.
« Message du calife », lui dit-il.
Rapidement, le général parcourt la lettre :
« De ‘Abd-Allâh ibn ‘Uthmân, vicaire du Prophète, à Khâlid ibn al-
Walîd, dit la lettre 61. J’apprends que tu as abandonné ton armée pour venir
accomplir en secret le pèlerinage à La Mecque alors que je m’y trouvais.
Tu me mets dans une situation embarrassante. Je ne peux pas te reprocher
d’avoir accompli le pèlerinage : c’est ton devoir en tant que musulman.
Mais je ne te pardonne pas d’avoir abandonné ton armée, l’exposant à un
danger certain. Gare à toi si tu recommences ! Par ailleurs, les nouvelles
qui me parviennent de Syrie sont si mauvaises que j’en suis profondément
tourmenté et exaspéré. Cela me donne même des insomnies. Alors, dès
que tu recevras cette lettre, si tu es debout, ne te rassois pas et si tu es sur
ta monture, n’en redescends pas. Tu dois quitter l’Irak toutes affaires
cessantes en y laissant des gens de confiance et te rendre sans plus tarder
en Syrie pour y rejoindre Abû ‘Ubayda et les autres musulmans. Les
ennemis byzantins ont préparé une importante armée qui est sur le point
de marcher sur eux. Va, cours leur venir en aide. Sache que je te désigne
comme leur chef à tous. »
En lisant cette lettre, le général ne peut réprimer une moue. « Le calife
m’ordonne d’aller en Syrie, dit-il au messager. Je suis sûr que c’est encore
une manigance de ce petit gaucher de ‘Umar, le fils de… »
Le messager écarquille les yeux.
« Le fils de Umm Shamla ! », se reprend Khâlid avec un sourire
ironique. « Il m’envie, le bougre ! Et il ne prend même pas la peine de
dissimuler sa jalousie 62 ! »
Afin de ne pas se laisser trahir plus avant par ses émotions, il change
de sujet et interroge le messager : « Raconte-moi : quoi de neuf à
Médine 63 ?
– Oh, tout va bien là-bas : on vient de célébrer deux mariages !
– Ah ? Les mariages de qui ?
– ‘Alî vient d’épouser Umâma, la nièce de sa femme Fâtima c. »
Khâlid, très surpris, demande :
« Comment ? Abû l-‘Âs 64, son père, a accepté cette union ?
– Tu n’es pas au courant ? Abû l-‘Âs est décédé. C’est Zubayr ibn
al-‘Awwâm, le tuteur d’Umâma, qui l’a donnée en mariage à ‘Alî. »
L’étrange union de ‘Alî avec la petite-fille du Prophète (Umâma est la
fille de Zaynab, l’aînée du Prophète 65) a fait beaucoup jaser. La tradition
shî‘ite, en particulier, est très embarrassée par ce mariage quasiment
incestueux – ‘Alî est l’oncle par alliance d’Umâma – et qui jette une
ombre sur l’exemplarité mystique du couple ‘Alî-Fâtima. Pour dédouaner
le veuf, les shî‘ites expliquent que c’est Fâtima elle-même qui, à l’article
de la mort, aurait demandé à son mari d’épouser Umâma afin qu’elle
prenne soin de ses cousins orphelins, Hassan et Husayn 66. Mais dans ce
cas, pourquoi attendre la mort du beau-frère et beau-père putatif, au mois
de Dhû l-Hijja de l’an XII (février 634), pour concrétiser cette union ?
Tout porte à croire qu’Abû l-‘Âs s’opposait à ce mariage. Une fois celui-ci
décédé, ‘Alî s’est empressé de demander la main d’Umâma au tuteur de
cette dernière.
Khâlid s’amuse de la nouvelle du mariage de ‘Alî avec Umâma. Il dit
en souriant : « Je vois que ‘Alî se console bien de la mort de Fâtima !
Entre les captives que j’envoie moi-même à Médine et les femmes de la
famille, son harem est bien rempli maintenant ! »
La Tradition sunnite ne manque pas de noter qu’à chaque fois que les
captives des différentes guerres d’apostasie sont envoyées à Médine, ‘Alî
est immédiatement servi. On peut imaginer qu’Abû Bakr et ‘Umar,
soucieux de neutraliser politiquement le cousin du Prophète, ont choisi de
l’occuper en faisant défiler les femmes dans sa chambre. ‘Alî lui-même
semble se satisfaire de cette situation. Du temps où il était marié à Fâtima,
Muhammad lui imposait une stricte clause de monogamie : le jour où il
avait osé exprimer le désir de prendre une seconde épouse, il avait eu droit
à une sévère réprobation de la part du Prophète : la polygamie, d’accord,
mais pas quand il s’agit de sa propre fille 67 ! Maintenant libre, ‘Alî semble
prendre sa revanche sur ce qu’il vivait comme une injuste privation.
Khâlid poursuit la conversation : « Tu m’as parlé d’un deuxième
mariage. De qui s’agit-il ?
– ‘Umar a épousé sa cousine ‘Âtika bint Zayd », répond le messager à
un Khâlid abasourdi. « Tu sais, ‘Âtika ne voulait pas de ce mariage,
poursuit ‘Abd al-Rahmân. Quand son mari ‘Abd-Allâh, le fils du calife,
était à l’agonie peu après la mort de Fâtima, elle lui avait promis qu’elle
ne se remarierait plus après lui. Il en avait d’ailleurs fait la condition pour
qu’il lui léguât une grande partie de sa fortune. Et de fait, elle avait
jusque-là respecté cette promesse et avait éconduit de nombreux
prétendants 68.
– Mais alors, comment ‘Umar a-t-il réussi à la convaincre de
l’épouser ?
– Ah, mais c’est qu’il n’a pas eu besoin de la convaincre : il l’a prise,
c’est tout ! »
Khâlid, estomaqué, reste bouche bée et l’émissaire poursuit son
exposé : « À Médine, ce mariage en a choqué plus d’un. Comment ‘Umar
peut-il violer ‘Âtika, sa propre cousine d 69 ? De plus, cette union doit
provoquer des frictions entre ‘Umar et le calife ; après tout, ‘Âtika est la
bru d’Abû Bakr. Je crois savoir que les problèmes commencent déjà. »
En effet, dès qu’elle a appris la nouvelle du mariage de la superbe
‘Âtika avec ‘Umar, ‘Aïsha, la fille d’Abû Bakr, est allée lui réclamer
l’héritage que son frère ‘Abd-Allâh lui avait laissé et auquel elle ne
pouvait plus prétendre puisqu’elle n’avait pas respecté sa promesse.
« Rends-nous notre argent 70 ! », a-t-elle sèchement exigé d’elle.
Ibn al-Athîr 71 rapporte également que pour célébrer ses noces avec
‘Âtika, ‘Umar a offert un grand dîner auquel il a convié de nombreux
Compagnons, dont ‘Alî. Ce dernier a profité de cette occasion pour
rappeler à la mariée la promesse qu’elle avait faite à son défunt époux :
‘Âtika a alors fondu en larmes. Au vu des événements ultérieurs, la
démarche de ‘Alî ne semble pas désintéressée : il a lui-même des vues sur
la belle ‘Âtika, qu’il demandera en mariage plus tard 72.
En écoutant les nouvelles apportées par l’émissaire, Khâlid devient
pensif, puis s’exclame : « Décidément ! Tout le monde est prompt à me
faire la morale à cause de mes mariages alors qu’eux-mêmes ne se privent
pas de conclure des unions scandaleuses : ‘Alî qui épouse la nièce de sa
femme juste après la mort du père ! ‘Umar qui viole sa cousine puis la
force à l’épouser ! Et après, on vient me sermonner sur ma prétendue
inconduite ! Ils exagèrent ! Tu sais qu’après mon mariage avec la veuve de
Mâlik, ce même ‘Umar, qui se pose en modèle de vertu, avait menacé de
me lapider ! Et quand j’ai épousé la fille de Mujjâ‘a, Abû Bakr m’avait
envoyé une lettre pour me dire que j’étais un homme sans cœur. Pourquoi
ne dit-il pas cela à ‘Umar et ‘Alî ? Je n’en reviens pas ! »
Khâlid est d’autant plus offensé qu’il estime qu’après tout, ses exploits
guerriers lui autorisent quelques écarts de conduite. Depuis le début du
règne d’Abû Bakr, il est constamment confronté à la mort. Qu’on ne
vienne pas lui faire des reproches ! Les victoires qu’il arrache profitent à
un pouvoir confortablement installé à Médine. « Moi je me bats, je risque
ma vie tous les jours et eux dans leurs maisons à Médine ne pensent qu’à
collectionner les femmes. C’est tout de même un comble ! » Il en oublie
presque la présence de l’émissaire du calife et parle tout seul : « Je crois
qu’ils me prennent pour leur esclave ! Même quand je dois aller faire le
pèlerinage, je dois avoir la permission du calife ! Mais qu’est-ce que ça
veut dire ? » Il relit la lettre d’Abû Bakr et s’arrête sur une phrase qui le
rend fou furieux. « Gare à toi si tu recommences ! », lui a écrit le calife au
sujet de son pèlerinage secret. « Gare à toi si tu recommences… », dit-il à
haute voix.
« Si tu recommences quoi ? », demande le messager curieux, qui ne
sait rien du contenu de la lettre cachetée du calife. Soudain Khâlid se
ressaisit : « Non, rien ! Le calife m’ordonne de quitter immédiatement
l’Irak pour aller en Syrie… »
L’émissaire du calife le regarde avec curiosité : Khâlid va-t-il désobéir
et refuser d’aller en Syrie ? Il en est capable ! Tout le monde sait que
lorsque Abû Bakr lui a fait des remontrances sur le partage du butin, le
général lui a répondu par un très sec « Mêle-toi de tes affaires ! ». Après la
bataille de Yamâma, il a signé un armistice avec les Banû Hanîfa sans
consulter le calife et a effectué un pèlerinage secret sans même le prévenir.
Le général lit et relit la lettre en silence. « Entendu ! s’écrie-t-il
soudain. Dis au calife que je vais exécuter ses ordres et que je vais me
diriger de ce pas vers la Syrie. »

S’il soupçonne ‘Umar d’être derrière l’envoi de cette lettre qui le


promet à une mort probable, Khâlid ibn al-Walîd y voit avant tout
l’occasion de se montrer indispensable. Heureusement pour le calife,
l’homme est vaniteux : c’est là le défaut des gens intelligents, courageux
et conscients de l’être. Conformément aux instructions 73, il n’emmène
avec lui que la moitié de l’armée, laissant à Muthannâ la responsabilité de
tenir l’Irak avec le reste des troupes. Le soir, il le convoque donc pour
l’informer des récents développements : « Je dois partir en Syrie, lui
annonce-t-il. Ordre du calife. » Muthannâ ne peut réprimer un sourire. Il
était temps ! se dit-il. Khâlid ibn al-Walîd ne perçoit pas l’expression de
bonheur qui se dessine sur le visage de son interlocuteur. Il poursuit :
« Mais ne t’inquiète pas. Je vais te laisser la moitié des soldats pour
protéger le territoire. Les Perses nous guettent encore et ils risquent de
contre-attaquer à tout moment. »
Un ami de Muthannâ présent à l’entrevue ne cache pas sa contrariété :
« Quel dommage ! Tu ne vas tout de même pas nous quitter pour aller en
Syrie ? Tu délaisses l’Irak, ce magnifique pays plein de fleuves et de verts
pâturages ! Que vaut la Syrie à côté de la splendeur de notre contrée ? »
Muthannâ se pince les lèvres d’agacement en se disant : Mais pourquoi
dit-il cela, cet idiot ? C’est qu’il est impatient de voir Khâlid ibn al-Walîd
partir. Abû Bakr le lui avait envoyé pour lui porter secours dans ses
hostilités contre les Perses et voilà qu’il prend ses aises et lui fait de
l’ombre. C’est pourquoi il est soulagé de l’entendre dire : « Les ordres
sont les ordres. Je dois partir en Syrie. On a besoin de moi là-bas. »
Khâlid réfléchit à présent à l’itinéraire à suivre pour rallier le plus
rapidement possible la Syrie sans risquer une embuscade des Byzantins, ce
qui exige un esprit tactique, une célérité extraordinaire et une témérité à
toute épreuve 74. Dans la mesure où les Rûms doivent s’imaginer que les
renforts arriveront par le sud, du côté du Hijâz, il estime qu’il vaut mieux
les prendre à revers par le nord. Mais cela implique d’affronter un ennemi
non moins redoutable : le désert syrien, également appelé al-Samâwa ou
Bâdiyat al-Shâm en arabe 75, une étendue tellement aride qu’aucune
caravane n’ose la traverser.
Khâlid ibn al-Walîd réunit ses officiers et ses soldats pour leur exposer
sa décision : « Nous allons traverser le désert. Que cela soit clair : pendant
plusieurs jours, nous n’allons pas rencontrer le moindre point d’eau. Il
nous faut nous préparer et, surtout, ne pas avoir peur ! » Tout le monde
acquiesce. Leur demanderait-il de le suivre en enfer qu’ils le feraient tête
baissée. Et c’est bien ce qu’il leur demande à présent.
Au mois de Safar de l’an XIII (avril 634), Khâlid quitte donc l’Irak à la
tête de quelques centaines d’hommes seulement (entre cinq cents et huit
cents selon les versions de la Tradition) et arrive à Qurâqir 76, en bordure
du désert syrien. Il regarde la mort en face et s’adresse une dernière fois à
ses soldats : « Nous voici arrivés aux portes d’al-Samâwa ; notre guide me
prévient que le prochain point d’eau se situe à Suwâ 77, à au moins une
semaine de marche. Nous devons nous préparer à affronter la soif ; nous
sommes nombreux et il nous faudra en outre abreuver nos chevaux. Quand
bien même nous les remplirions à ras bord, nos outres ne suffiraient pas à
cette traversée. Que suggérez-vous ? » Râfi‘ ibn ‘Umayra, le guide choisi
par Khâlid, lui fait alors une proposition : « Ô Émir, j’ai une idée : prenons
une trentaine de chameaux et privons-les d’eau pendant quelques jours.
Puis, une fois leur soif excitée, donnons-leur à boire copieusement avant
de les museler pour les empêcher de ruminer. Cela les transformera en
outres vivantes. »
Khâlid approuve l’idée et entame la traversée. Guidés par les étoiles,
lui et ses soldats marchent de nuit et se reposent le jour. Quand la soif leur
devient insupportable, ils égorgent l’un des chameaux et boivent l’eau
contenue dans sa panse.
Au bout de quelques jours, toutes les bêtes sont consommées. Khâlid et
ses hommes se retrouvent à sec alors qu’il leur reste encore au moins deux
journées de marche dans ce désert infernal. Khâlid craint le pire en voyant
la soif dévorer ses hommes et ses chevaux. Il s’adresse à son guide, Râfi‘ :
« Nous sommes sur le point de périr. Qu’allons-nous faire ? Sais-tu si nous
sommes proches d’un quelconque point d’eau ? » Râfi‘, atteint d’une
ophtalmie qui le rend quasiment aveugle, lui répond : « Continuons la
marche et, quand nous serons arrivés dans une plaine, dites-le-moi. »
Parvenus à l’endroit indiqué, ils préviennent Râfi‘ qui leur demande de
chercher un lyciet du désert (‘awsaj), un arbrisseau épineux qui pousse
dans les zones arides. On cherche en vain. « Quelqu’un avant nous l’a
sûrement coupé, dit Râfi‘. On devrait tout de même retrouver la souche.
Cherchez-la. » Au bout de quelques heures, on la trouve enfin. « Creusez
tout autour de la racine maintenant ! », les exhorte-t-il. Et l’eau, comme
par miracle, commence à sourdre puis à abonder. Khâlid et ses hommes
poussent des acclamations de joie et se jettent dessus. Cette marche de la
mort restera dans les annales comme un véritable exploit et fera de Khâlid
une légende vivante : déjà les poètes chantent son héroïsme dans des
poèmes qui feront le tour de l’Arabie et font s’étouffer ‘Umar de jalousie.
Le périple surhumain s’achève deux jours plus tard. Khâlid ibn al-
Walîd et ses soldats arrivent enfin à Suwâ où ils tombent sur une tribu
bédouine installée dans les environs, les Bahrâ’. Assoiffés et affamés, ils
l’assaillent et se livrent au pillage de son immense troupeau. Leur chef
Harqûs ibn al-Nu‘mân al-Bahrânî est tué pendant qu’il est en train de
chanter et de boire : on dit que sa tête a roulé par terre et que le sang s’est
mélangé au vin.
Après avoir repris des forces, l’armée quitte le bourg en direction de
l’ouest. Quand ils arrivent à Palmyre (Tadmur en arabe), les habitants de la
ville se barricadent dans la forteresse et refusent de capituler. En réalité, il
s’agit chez eux d’une tactique éprouvée : la longue guerre entre les
Empires perse et byzantin dans la région a forgé chez les soldats du second
l’habitude de se contenter de tenir les places fortes sans chercher à
entraver la progression des armées ennemies. Khâlid ibn al-Walîd n’a pas
de temps à perdre dans un siège, mais cette résistance l’irrite. Il leur
envoie donc une sommation : « Quand bien même vous vous réfugieriez
dans le ciel, je saurais vous en faire descendre ! Croyez-moi, je vais
revenir ! Je ne vous lâcherai pas jusqu’à ce que je vous aie tués jusqu’au
dernier et que j’aie emmené en captivité vos femmes et vos enfants ! »
Terrorisés, les habitants de Palmyre dépêchent des émissaires à la suite de
Khâlid qui a déjà levé le camp pour lui annoncer qu’ils capitulent.
Le général musulman se dirige ensuite vers Qaryatayn qu’il pille et
dont il obtient un précieux butin ; de là, il se porte sur la cité de
Huwwârayn 78 dont les habitants, après une brève résistance, finissent par
se livrer également. Il prend par la suite la direction de Damas et arrive
par l’est dans la Ghûta 79, c’est-à-dire la campagne qui entoure la ville,
plus précisément dans un lieu appelé Marj Râhit 80, la « prairie de Râhit »,
où campe un clan ghassanide de confession chrétienne. Khâlid ibn al-
Walîd lance son assaut le jour de Pâques. Les Ghassanides se battent
férocement mais, rapidement défaits, fuient se réfugier derrière les
remparts de Damas. Tout cela, Khâlid l’accomplit avant même d’avoir
rejoint les quatre armées…
Après Marj Râhit, il continue son avancée vers Damas et campe au
niveau de la colline d’al-Thaniyya, à une vingtaine de kilomètres de la
cité. C’est là qu’il ordonne à ses hommes d’ériger le drapeau noir du
Prophète, râyat al-‘Uqâb (l’étendard de l’aigle) ; pour cette raison, cet
endroit porte aujourd’hui encore le nom de Thaniyyat al-‘Uqâb 81. Depuis
les remparts, les habitants de l’antique métropole regardent cet étrange
drapeau noir qui flotte au loin : sous leurs yeux incrédules, un nouvel État
vient de naître sur leurs terres, comme un arbre étrange d’une nouvelle
espèce, croisement entre la bédouinité et la ferveur religieuse. Sont-ils
seulement conscients qu’ils assistent à un véritable tournant dans
l’histoire de l’humanité ?
Après avoir laissé l’étendard noir de l’islam pendant un temps bien en
vue, le généralissime lève le camp et prend la direction du sud pour
rejoindre les autres généraux musulmans qui ont été informés de son
approche. Il retrouve Abû ‘Ubayda à al-Jâbiya et l’entraîne à sa suite vers
Bosrâ où les attend Shurahbîl. Yazîd, de son côté, quitte la région d’al-
Balqâ’ et les rallie bientôt dans les environs de Bosrâ. Seul ‘Amr ibn
al-‘Âs est toujours bloqué en Palestine.
À l’heure de la mise au point, Khâlid ne peut que constater l’impasse
de la situation telle que l’avait prévue Abû Bakr. Il est d’autant plus
inquiet que ‘Amr, qui se trouve à Ghamr al-‘Arabât, au sud de la Palestine,
n’a pas réussi à se joindre aux autres armées musulmanes, car il craint
d’être attaqué par les Byzantins qu’il sait dans les parages. Devant cette
situation délicate qui décourage ses pairs et ses soldats, Khâlid, en général
chevronné, sait qu’il doit absolument commencer par conquérir une
grande ville syrienne. Seul un coup d’éclat pourrait en effet galvaniser les
troupes et desserrer l’étau byzantin : il n’a pas d’autre choix que de
prendre Bosrâ, la capitale des Ghassanides. Il sera toujours temps, par la
suite, de voler au secours de ‘Amr. Khâlid réunit sous son commandement
les armées d’Abû ‘Ubayda, de Shurahbîl et de Yazîd et entreprend le siège
de Bosrâ. Rapidement, la ville capitule et accepte de payer la jizya au mois
de Rabî‘ I de l’an XIII (mai 634), devenant ainsi la première ville syrienne
à devenir tributaire des musulmans. Khâlid ibn al-Walîd envoie le
cinquième du butin au calife qui, soulagé par les bonnes nouvelles de
Syrie, retrouve enfin le sommeil… Après cette première grande victoire
en territoire byzantin, le général ordonne à Yazîd de retourner à ses
positions dans la région d’al-Balqâ’ et à Shurahbîl de garder Bosrâ avec
quelques centaines d’hommes tandis que lui-même et Abû ‘Ubayda
fondent sur Damas.
Du côté byzantin, la nouvelle de la chute de Bosrâ inquiète au plus
haut point Héraclius qui, consterné, accable ses conseillers : « Je vous
avais dit qu’il ne fallait pas s’opposer frontalement à eux ! Maintenant,
nous n’avons pas d’autre choix que de riposter ! » La mobilisation de
l’armée byzantine se fait selon deux axes. D’une part, le général Vardan
quitte Homs avec vingt mille hommes pour combattre Shurahbîl et
reprendre Bosrâ. Il choisit de passer par Baalbek et le nord de la Palestine,
afin que les montagnes libanaises dissimulent son parcours aux troupes de
Khâlid. D’autre part, Héraclius envoie depuis Antioche, en longeant la
côte, des milliers de soldats rejoindre l’armée de Théodore à Jilliq 82,
laquelle compte déjà trente mille hommes. En chemin, plusieurs supplétifs
des tribus arabes chrétiennes se joignent à eux et ce sont ainsi soixante-dix
mille guerriers qui sont désormais mobilisés pour neutraliser ‘Amr et ses
trois mille hommes postés non loin de Jérusalem.
Théodore a pour ordre de quitter Jilliq dès l’arrivée des renforts venus
d’Antioche et d’aller se poster à Ajnâdayn. Ce lieu, difficilement
identifiable e, est situé dans la vallée des Térébinthes (‘Emeq ha-Ela en
hébreu et Wâdî l-Sunt en arabe), à dix kilomètres au nord de Bayt Jibrîn 83
(Beit Gobrin) et à trente-neuf kilomètres de Ramla, à proximité des
villages contemporains d’al-Mujawwir et de ‘Ajjûr, au nord-ouest de
Hébron. On est en droit de se demander pourquoi les Byzantins mobilisent
un si grand nombre de soldats pour éliminer un si petit contingent. Il s’agit
pour eux de protéger Bayt Jibrîn, qu’ils appellent Eleuthéropolis et qui est
la capitale de l’une des plus importantes régions de la Palestine byzantine
– elle englobe notamment Gaza, Ramla, Jérusalem et Hébron. Le lieu se
situe en outre au croisement de plusieurs routes d’où peuvent venir les
renforts.
Alors que Khâlid ibn al-Walîd, secondé par Abû ‘Ubayda, assiège
Damas, il apprend grâce aux espions qu’il a disséminés en Syrie depuis
son arrivée qu’une troupe byzantine a quitté Homs en direction de Bosrâ
pour attaquer Shurahbîl, tandis que la grande armée byzantine postée à
Jilliq vient de recevoir des renforts considérables venus d’Antioche ; sous
le commandement de Théodore, cet important contingent est désormais en
route vers Ajnâdayn pour écraser ‘Amr.
Khâlid ibn al-Walîd voit se profiler la terrible offensive et comprend
qu’il doit toutes affaires cessantes concevoir une stratégie. Il s’en ouvre à
Abû ‘Ubayda, qui est désormais son second : « Les Byzantins commencent
à sortir de leur tanière. Nous voici confrontés à trois armées en parallèle :
la première nous guette depuis les remparts de Damas, la seconde, Vardan
à sa tête, se dirige vers Bosrâ et la plus grande, dirigée par Théodore,
marche sur Ajnâdayn pour combattre ‘Amr. J’entends en outre que des
tribus arabes sont en train d’affluer en masse pour renforcer les rangs de
cette dernière. Que devons-nous faire ?
– Je suis d’avis qu’on aille retrouver Shurahbîl pour ne pas le laisser
seul affronter Vardan à Bosrâ. Il n’a pas beaucoup d’hommes avec lui.
– Mais ne vois-tu pas que ce serait là prendre un grand risque ? Si nous
levions le camp, l’armée de Damas pourrait nous suivre et nous nous
retrouverions alors pris en tenaille. Non, il vaut mieux se mettre en route
directement pour Ajnâdayn, là où le plus gros effectif est réuni, et faire
savoir à Shurahbîl qu’il doit quitter Bosrâ avant l’arrivée de Vardan et
nous retrouver en Palestine. Yazîd et ‘Amr recevront la même consigne :
tous à Ajnâdayn ! »
Abû ‘Ubayda est étonné par la décision audacieuse de Khâlid ibn al-
Walîd qui, devant le péril, ne recule décidément jamais mais se jette au
contraire à corps perdu dans le danger. Obéissant aux ordres, toutes les
armées musulmanes convergent vers la Palestine et arrivent prestement à
Ajnâdayn. Théodore, averti des récents mouvements des musulmans,
prévient Vardan qu’il est inutile de se rendre à Bosrâ puisque les armées
califales viennent de la quitter et qu’il doit plutôt le rejoindre. À présent,
les deux armées adverses sont en Palestine ; elles campent face à
Ajnâdayn. Une bataille décisive, la première d’une guerre qui dure jusqu’à
aujourd’hui, est sur le point de s’ouvrir. Face aux cent mille soldats
chrétiens, Khâlid ne peut cependant aligner que trente mille hommes et
hésite à lancer l’offensive. Mais les Byzantins restent eux aussi dans
l’expectative et, pendant des semaines, les deux armées s’observent en
chiens de faïence sans rien entreprendre.
La Tradition rapporte que, pendant cet intervalle, les Rûms envoient
dans le camp adverse un espion arabe du nom d’Ibn Hazâriz. À son retour
de mission, celui-ci parle des musulmans comme d’une nouvelle race
humaine : « La nuit, ce sont des moines (ruhbân), le jour ce sont des
chevaliers (fursân). Si le fils de leur chef vole, ils lui coupent la main ; et
s’il commet l’adultère, ils le lapident. » Théodore est si impressionné qu’il
s’exclame, toujours selon la Tradition : « Si ce que tu racontes est vrai,
alors je préfère être six pieds sous terre plutôt que de combattre des
hommes de cette espèce ! » Même si la réaction du général byzantin peut
sembler exagérée par les rédacteurs de la Tradition, il semble néanmoins
qu’il ait suffisamment pris au sérieux le rapport de son espion pour
chercher à engager les pourparlers. Révisant son jugement sur la
proposition de son frère l’empereur qui invitait à ce qu’on les soudoie
plutôt qu’on ne les combatte, il finit par se dire qu’après tout, c’est bien
l’appât du butin qui semble motiver ces pillards.
C’est ainsi que d’après Wâqidî, Théodore demande à organiser une
rencontre avec le général adverse et charge son second, Vardan, de mener
les négociations. Un matin, les musulmans voient donc débarquer dans
leur camp un soldat byzantin : « Ô Arabes ! Notre général Vardan souhaite
rencontrer votre émir pour voir s’ils peuvent trouver un accord et éviter
l’effusion de sang. » Khâlid approuve l’initiative. Une rencontre est
organisée entre lui et le général arménien, qui arrive au lieu du rendez-
vous élégamment paré d’un somptueux collier de perles et d’une
couronne. Vardan lance à Khâlid : « J’irai droit au but. Dis-moi ce que
vous voulez au juste ; je suis sûr qu’il y a moyen de trouver un accord. »
Khâlid, qui apprécie moyennement le ton méprisant du Byzantin, se trouve
également irrité au plus haut point par l’opulence de son accoutrement.
Tout comme son faux jumeau ‘Umar, il n’aime pas l’ostentation : en
l’an IX, à Dûmat al-Jandal, la première chose qu’il avait faite après avoir
enlevé Ukaydir sur les ordres du Prophète 84 avait été de le dépouiller de
son luxueux manteau de brocart. Il fixe les bijoux du Rûmî en se disant :
« Avec la volonté d’Allâh, ces joyaux seront bientôt un butin pour les
musulmans 85 ! »
Vardan lit l’avidité dans le regard de son interlocuteur et sait de quoi il
retourne : « Nous ne lésinerons pas sur les frais. Si vous voulez de
l’argent, nous vous accorderons généreusement l’aumône. À nos yeux,
vous n’êtes qu’un peuple de miséreux qui vivote au milieu de terres
desséchées et arides. Tenez ! Puisque vous mourez de faim, nous voulons
bien vous gratifier sur-le-champ de dix dinars chacun, ainsi que de
vêtements et de vivres. Prenez ce que l’on vous octroie et retournez-vous-
en dans vos terres. L’année prochaine, nous vous ferons parvenir une rente
identique 86. »
Ces propos mettent Khâlid hors de lui. « Nous, un peuple de
miséreux ? s’écrie-t-il. Tu oses me dire cela en face, espèce de chien des
Rûms ? Un seul de mes hommes vaut mille d’entre vous ! C’est ainsi que
tu engages des pourparlers ? En essayant de me soudoyer ? Sache que ce
n’est pas cette aumône qui nous fera quitter votre pays. Sache que Dieu
nous dispense de votre aumône, car il met à notre disposition tout votre
argent pour que nous nous le partagions ! Dieu rend halâl pour nous vos
femmes et vos enfants jusqu’à ce que vous disiez Lâ ilâha illâ Llâh wa-
Muhammadu rasûlu Llâh, “Il n’y a de dieu que Dieu et Muhammad est son
messager” ! Et si vous n’acceptez pas de vous convertir, nous ne vous
laissons plus le choix qu’entre la guerre et la jizya. » Khâlid se lève et
menace le Byzantin de l’index. « Je jure par Allâh que, pour nous, la
guerre vaut mieux que la paix ! Nous sommes un peuple qui boit le sang,
or nous nous sommes laissé dire que rien n’est plus exquis que le sang des
Rûms 87 ! » Vardan, bouche bée, le regarde sortir de la tente.

L’issue catastrophique des négociations fait monter la tension d’un


cran. Autour de Théodore, les Byzantins courroucés jurent de faire
regretter aux musulmans de s’être aventurés sur leurs terres. De son côté,
Khâlid est conscient que ses paroles provocatrices vont précipiter les
événements : les hostilités sont imminentes. Il commence à organiser son
armée et distribue les rôles à ses officiers : Mu‘âdh ibn Jabal se voit
chargé de commander le flanc droit de l’armée, Sa‘îd ibn ‘Âmir le flanc
gauche, tandis qu’au centre les fantassins sont placés sous les ordres
d’Abû ‘Ubayda. Les cavaliers, à l’arrière, sont sous le commandement de
Sa‘îd ibn Zayd, le cousin de ‘Umar. Khâlid circule à cheval entre les
différents corps de son armée, galvanisant le moral de ses hommes.
Certains soldats, effrayés par le déséquilibre des forces, font part de leurs
craintes au général qui les réprimande : « Vous avez peur des Rûms ?
Sachez que la force d’une armée ne vient pas du nombre de ses soldats
mais de leur courage au combat 88 ! »
Fait remarquable, des femmes sont également présentes dans les rangs
musulmans. La présence des femmes sur le champ de bataille est assez
étrange mais, à y regarder de près, l’information est recevable. Nous avons
vu plus haut que beaucoup, parmi les soldats qui ont répondu à l’appel
d’Abû Bakr pour aller en Syrie, sont venus avec femmes et enfants dans
l’intention de s’y installer définitivement. Khâlid place les femmes à
l’arrière-garde et leur demande d’encourager les hommes par leurs chants
et leurs cris. Il leur donne en outre une mission bien précise : « Armez-
vous de bâtons et de pierres. Celui que vous voyez déserter le champ de
bataille, tuez-le ! » La Tradition rapporte que sont notamment présentes
Fâtima, la propre sœur de Khâlid ibn al-Walîd, Umm Hakîm bint al-Hârith
la Makhzumite, la fille de cette dernière, mais aussi Hind bint ‘Utba, la
femme d’Abû Sufyân et mère de Yazîd, et la sœur de ce dernier,
Juwayriya.
Un soir du mois de juillet 634, les musulmans décèlent des
mouvements inhabituels dans les rangs de l’adversaire et en avertissent
leur général, qui devine alors que les Byzantins sont sur le point de lancer
une attaque. Le lendemain, samedi 30 juillet 634 (27 Jumâda I de
l’an XIII), après la prière de l’aube, il demande à ses hommes de se mettre
en ordre de bataille. « Combattez les mécréants férocement comme des
lions et ne reculez pas ! Vous avez renoncé à l’ici-bas pour obtenir la
grande récompense dans l’au-delà. Ne vous laissez pas impressionner par
leur grand nombre : Dieu va abattre sur eux son châtiment ! » Il poursuit :
« Même si nous sommes attaqués le matin, nous attendrons l’après-midi
pour passer à l’offensive. » En cela, il imite explicitement le Prophète qui
n’aimait combattre qu’à ce moment-là de la journée : « Les brises de la
victoire soufflent l’après-midi », avait-il coutume de dire 89. Khâlid se
place à la tête de l’armée, avec cet ordre ultime : « Si vous me voyez
fondre sur l’ennemi, suivez-moi ! »
Comme prévu, dans la matinée, les Byzantins lancent une première
attaque sur le flanc droit de l’armée musulmane. Les musulmans résistent.
Puis l’infanterie byzantine attaque le flanc gauche et se heurte à la même
résistance. Soudain, une pluie de flèches s’abat sur les musulmans, qui
s’impatientent et demandent à Khâlid ibn al-Walîd la permission de
riposter à leur tour pour que les Byzantins ne les prennent pas pour des
faibles. Déterminé à attendre l’après-midi, le général ne donne le feu vert
qu’au bout de quelques heures : montant en tête de la cavalerie, il lance un
assaut général en brandissant son sabre. Les musulmans attaquent comme
un seul homme, frappant simultanément les flancs gauche et droit de
l’armée adverse. Ibn Kathîr rapporte qu’Abû Hurayra se tient au milieu
des soldats et s’époumone pour les encourager : « Courez vers la
proximité d’Allâh dans son paradis, précipitez-vous vers les houris qui
vous attendent 90 ! »
Le combat, terrible, se poursuit jusqu’au coucher du soleil. Les
cadavres s’entassent sur le champ de bataille. C’est un succès pour les
musulmans : les Byzantins sont déstabilisés et leurs rangs rompus. La
brèche que les musulmans ont ouverte dans les rangs adverses leur permet
de se glisser jusqu’au général Vardan qui se trouve à l’arrière. Ce dernier,
étant donné la mauvaise tournure que prennent les événements, se voile
littéralement la face « pour ne pas voir la défaite », comme il le dit à ses
hommes. Certaines relations affirment qu’avec l’aide de Dhirâr ibn al-
Azwar – celui-là même qui avait exécuté Mâlik ibn Nuwayra –, Khâlid ibn
al-Walîd aurait tranché la tête de Vardan et qu’il aurait même dépecé son
cadavre. Au terme de cette boucherie, il se saisit de la tête de l’officier,
encore enveloppée du tissu de la honte, et la jette devant les Byzantins
terrorisés, non sans avoir auparavant récupéré sa couronne et son collier.
Ne pouvant que constater sa défaite et soucieux d’éviter des pertes
supplémentaires, Théodore ordonne un repli sur al-Wâqûssa f, un oued de
la région de Hawran 91. La bataille d’Ajnâdayn est certes perdue mais la
guerre vient juste de débuter. Depuis Antioche où il vient de rentrer,
Héraclius, instruit de la mauvaise nouvelle, pense déjà à la contre-attaque.
Le bilan de la bataille d’Ajnâdayn est très lourd : la Tradition parle de
milliers de morts du côté byzantin. Du côté musulman aussi, les pertes
humaines sont considérables 92. Parmi les centaines de victimes, on compte
de prestigieux Qurayshites et des Compagnons du Prophète : ses propres
cousins ‘Abd-Allâh ibn al-Zubayr ibn ‘Abd al-Muttalib et Tulayb ibn
‘Umayr ibn Wahb (le fils d’Arwâ, tante paternelle de Muhammad), mais
aussi le cousin de Khâlid ibn al-Walîd, Salama ibn Hishâm ibn al-
Mughîra, ou encore le frère de ‘Amr ibn al-‘Âs, Hishâm. Khâlid ibn Sa‘îd,
qui avait déjà perdu un fils en Syrie, perd maintenant ses deux frères ‘Amr
et Abbân. La Tradition dit que ce dernier s’était marié deux jours avant la
bataille. Enfin, on déplore la perte d’un acteur majeur des guerres
d’« apostasie » : ‘Ikrima ibn Abî Jahl, cousin de Khâlid et conquérant du
Yémen. Abû Sufyân a pour sa part été éborgné par une flèche. Quant à
Khâlid ibn Sa‘îd, le prédécesseur de Khâlid ibn al-Walîd… il a fui le
champ de bataille. Déserteur récidiviste – on se rappelle qu’il avait déjà
fui le Yémen au début de la révolte des tribus, puis qu’il avait abandonné
son armée à Marj al-Suffar après s’être avancé imprudemment à
découvert 93 –, il s’est d’après Ibn Kathîr 94 littéralement volatilisé,
craignant sans doute les représailles du « glaive dégainé d’Allâh ».
La Tradition se montre d’une manière générale intarissable sur les
exploits guerriers des uns et des autres dans les différentes batailles ; pour
Ajnâdayn, elle évoque en particulier les prouesses de Dhirâr ibn al-Azwar
et la bravoure des femmes (butûlat al-nissâ 95), dont celle de Khawla, la
sœur de Dhirâr. Umm Hakîm bint al-Hârith, la cousine de Khâlid ibn al-
Walîd, a surpassé toutes les autres : postée près du pilier de sa tente, elle a
tué à elle seule quatre soldats byzantins. Elle s’est révélée d’autant plus
acharnée qu’elle voulait venger la mort de son mari ‘Ikrima. Elle épousera
en secondes noces Khâlid ibn Sa‘îd 96.

Les Byzantins se retirent dans les villes fortifiées, laissant les


campagnes du sud de la Palestine aux mains de l’armée musulmane.
Khâlid ibn al-Walîd se montre cependant aussi agité qu’insatisfait. « Ce
n’est pas fini ! se dit-il. Je suis sûr que les Byzantins se replient pour
préparer une contre-attaque. » Ce en quoi il aura vu juste : la bataille
décisive contre l’Empire aura lieu deux ans plus tard à Yarmûk, plus au
nord g.
De fait, Khâlid ibn al-Walîd reste quelque peu sur sa faim : il se doit de
prendre une ville importante. Il décide alors de reitérer le siège de Damas.
Avant de lever le camp, il écrit au calife pour lui annoncer la victoire
éclatante de son armée. Lorsque son émissaire ‘Uqba ibn ‘Âmir al-Juhanî
parvenu en toute hâte à Médine demande à voir le calife, il s’entend
répondre : « Abû Bakr est très malade ! On pense qu’il n’en a plus pour
longtemps… »
a. Initialement, c’est le général perse Bahmân Jâdhawayh qui devait aller sur le champ de
bataille mais il a envoyé comme suppléant son officier Jâbân.
b. Dans une autre variante, Khâlid écrit : « autant que vous aimez le vin ! » (Dhahabî Siyar
3/229 ; Tabarî 2/321).
c. La Tradition rapporte que, comme tous les petits-enfants de Muhammad, Umâma était
particulièrement choyée par son grand-père. On dit que lorsqu’il faisait la prière, il jouait avec
elle : il la posait à terre lorsqu’il se prosternait et la reprenait dans ses bras lorsqu’il se levait (Ibn
Kathîr Bidâya 6/389).
d. Certains récits de la Tradition affirment que ‘Âtika, après la mort de ‘Abd-Allâh, a plutôt
épousé Zayd ibn al-Khattâb, le frère de ‘Umar (Ibn al-Athîr Usd 6/184).
e. On peut souvent lire que ce nom d’Ajnâdayn est le duel de jund, « armée » en arabe, sauf que
le lieu est évoqué avant la bataille qui va opposer les Byzantins aux musulmans. Il est fort
probable qu’il s’agisse plutôt d’une déformation de Janâbatayn, duel de Janâba, en référence
aux deux villages de Janâba al-sharqiyya et Janâba al-gharbiyya, soit le haut-Janâba et le bas-
Janâba, à l’est de ‘Ajjûr (Yâqût 1/103-104).
f. Ibn al-Athîr cite une version rare selon laquelle Théodore aurait trouvé la mort à la bataille
d’Ajnâdayn.
g. Comme on le verra dans le prochain volume.
IV

LA MORT D’UN COMMIS


DE DIEU
‘Aïsha entre dans la chambre de son père sur la pointe des pieds.
Depuis des jours, il est souffrant et alité. Elle se penche doucement sur lui.
Au milieu de son visage pâle et osseux, ses yeux sont fermés. « Père, tu
dors ? », lui murmure-t-elle. Abû Bakr ne répond pas. Elle pose la main
sur son front. Il est brûlant. « Père, insiste-t-elle, un messager vient
d’arriver de Syrie. C’est Khâlid ibn al-Walîd qui l’envoie. » Au nom de
Khâlid, le calife entrouvre les yeux. « Qu’il entre vite ! », dit-il à sa fille
d’une voix faible. Il lui demande de l’aider à s’asseoir sur le lit. Le
messager pénètre dans la chambre du calife. « Vite, lis-moi la lettre de
Khâlid ! », dit Abû Bakr avec empressement.
« De Khâlid ibn al-Walîd à Abû Bakr, le vicaire du Prophète. Je
t’informe, ô Siddîq, que nous avons affronté les mécréants qui avaient
réuni à Ajnâdayn une armée imposante pour nous combattre. Ils ont levé
leurs croix et brandi leurs livres, jurant de nous expulser de leurs terres.
Confiants en l’aide d’Allâh, nous nous sommes dressés contre eux avec
nos lances et nos sabres – et nous les avons vaincus. Gloire à Dieu qui a
fait triompher sa religion et humilié ses ennemis ! »
Abû Bakr est heureux. « Enfin une bonne nouvelle ! », se réjouit-il en
levant les mains en signe de remerciement à Dieu. Sachant ses jours
comptés, il espérait plus que tout au monde recevoir une telle annonce :
commencer un règne par une malédiction et le finir sur une défaite, voilà
ce que même le stoïque Abû Bakr n’aurait pu supporter 1.
Si le front syrien lui donne enfin satisfaction, ce n’est guère le cas de
l’Irak. Quelques jours plus tôt, le calife déjà malade a vu débarquer
Muthannâ venu lui exposer la situation catastrophique en Mésopotamie :
les Perses, profitant de l’absence de Khâlid ibn al-Walîd, ont organisé une
violente et vaste contre-attaque sur sa garnison stationnée à al-Hîra. La
crise de succession de leur empire semblant enfin durablement résolue, les
Sassanides ont enjoint à leur empereur Yazdegerd III de chasser sans plus
tarder ces envahisseurs de leurs terres. Les Perses ont alors envoyé une
armée de trente mille hommes contre Muthannâ. Ce dernier, désemparé,
s’est aussitôt tourné vers Abû Bakr qui, préoccupé par l’invasion de la
Syrie, n’a pas réagi à cet appel au secours. Désespérant de voir les renforts
arriver, Muthannâ a donc fait le déplacement lui-même jusqu’à Médine 2.
Abû Bakr l’a écouté d’une oreille distraite, l’esprit absorbé par les
événements en Syrie et son corps déjà affaibli par un mal qu’il n’arrive
pas encore à identifier. Sans doute, ainsi a-t-il pu le croire au départ, ne
faut-il voir là que des signes d’épuisement : depuis qu’il est devenu calife,
il n’a pas connu un seul moment de répit. Seules les nouvelles des
victoires remportées par l’armée de Khâlid ibn al-Walîd le consolent de ce
fardeau qu’il porte depuis le jour de la fameuse réunion de la saqîfa.
Par la victoire d’Ajnâdayn, son général lui offre là un beau présent qui
le sort de son abattement. Même physiquement, le calife se sent déjà un
peu mieux. Après avoir demandé à sa fille et à l’émissaire de le laisser
seul, il plonge dans un silence méditatif et commence à dresser le bilan de
son règne.
En deux ans seulement (de juin 632 à août 634), il a réussi à imposer
l’islam dans la péninsule Arabique et à étendre un bras sur l’Irak et un
autre sur la Syrie. Il n’en revient pas d’avoir eu pareille destinée, lui qui
avait choisi de suivre le Prophète dès le début de sa prédication, quand il
n’était alors qu’un marginal persécuté par sa propre tribu. Quel long
chemin ai-je parcouru depuis ! s’émeut-il. Et les souvenirs lointains
commencent à remonter à la surface et le transportent très loin, du temps
où il vivait à La Mecque…
À l’époque, ‘Abd-Allâh ibn ‘Uthmân ne s’appelait pas encore Abû
Bakr 3. Les gens de La Mecque l’appelaient Ibn Abî Quhâfa, par référence
à la kunya (surnom) de son père ‘Uthmân, dit Abû Quhâfa 4. Il était né à
La Mecque autour de l’an 573 dans un milieu très modeste : sa famille
appartenait aux Taym, un clan mineur de la grande tribu de Quraysh 5.
Toutefois, grâce à son intelligence, à son sérieux et à sa droiture, le jeune
homme était devenu un commerçant prospère ; il était détaillant en tissus
(bazzâz). Ses talents de commerçant étaient doublés d’une mémoire
phénoménale qui lui avait permis de devenir un généalogiste (nassâb) hors
pair – et l’on sait à quel point la généalogie est considérée par les Arabes
comme une science capitale. Il se montrait également très doué pour
l’interprétation des rêves, don qu’il devait affiner à la faveur de sa
proximité avec le Prophète.
Tout le monde à La Mecque connaissait et appréciait le beau Ibn Abî
Quhâfa dont le visage fin et le teint blanc lui avaient valu le sobriquet de
‘Atîq a. Son caractère discret, peu loquace et sobre, aux confins de
l’austérité, l’entraînait à mépriser même les fioritures de langage
auxquelles la veine poétique des Arabes est si sensible. On dit qu’il n’a
pas composé un seul vers de toute sa vie.
Ibn Abî Quhâfa avait rencontré Abû l-Qâsim, alias Muhammad, bien
avant l’avènement de l’islam et était devenu son ami. À l’époque, il était
loin d’imaginer que ce jeune Hachémite, commerçant comme lui, allait
connaître un si grand destin et l’entraîner à sa suite dans une aventure qui
devait changer le cours du monde. Dès le premier jour, il avait cru en sa
prophétie, sans hésitation, comme à une évidence. Grâce à cela, il avait
mérité le surnom dont il était le plus fier : al-Siddîq, « le véridique ».
Il se souvient du moment magique où la foi avait traversé son cœur
pour y demeurer à jamais. Tout avait justement commencé en Syrie, où il
s’était rendu pour affaires. Sa route avait croisé celle du fameux moine
Bahîrâ, qui quelque temps plus tôt avait rencontré Muhammad. Il s’était
ouvert à lui d’un rêve qu’il avait fait afin que le moine l’aide à le
déchiffrer. Bahîrâ l’avait alors interrogé : « Quels sont ton pays d’origine
et le nom de ta tribu ?
– Je viens de La Mecque et j’appartiens à la tribu de Quraysh.
– Un Prophète sortira de ta tribu et tu seras son ministre et son
successeur ! », lui avait-il alors prédit 6. Quand il était revenu à
La Mecque, ses connaissances l’avaient accueilli par une curieuse
nouvelle : « Tu ne connais pas la dernière ? Ton ami Abû l-Qâsim est
devenu fou ! Il dit partout où il va qu’il est prophète et appelle les gens à
adorer un dieu unique ! » Troublé, Abû Bakr avait accouru auprès d’Abû l-
Qâsim avec cette question : « Quelle preuve as-tu que tu es un vrai
prophète ?
– Ma preuve, c’est le rêve que tu as fait en Syrie ! », lui avait répondu
son ami. Il était alors tombé dans ses bras et l’avait embrassé sur le front
en lui disant : « J’atteste qu’il n’y a de dieu que Dieu et que tu es son
Envoyé ! »
En rapportant ce récit, les rédacteurs de la Tradition 7 font de la
conversion d’Abû Bakr un miroir de la Révélation, avec laquelle elle
partage les motifs de la prémonition du moine et du rêve : c’est en effet
dans un songe que Muhammad a vu apparaître l’ange Gabriel pour la
première fois.
Depuis le jour de sa conversion, sa vie paisible avait pris un tournant
fatidique. Son entrée en islam avait attiré sur lui les foudres des
Qurayshites qui s’étaient mis à le persécuter comme ils l’avaient fait pour
Muhammad. Mais il avait su demeurer ferme dans sa foi et n’avait pas
plié sous l’intimidation. On raconte qu’il avait un jour défendu son ami
contre des Qurayshites qui étaient en train de le lyncher. En voyant
Muhammad évanoui par terre, il avait hurlé : « Malheureux ! Vous frappez
un homme qui vous appelle à adorer un dieu unique ? Vous n’avez pas
honte ? » Le groupe d’hommes avait alors laissé leur victime à terre pour
se reporter sur le preux chevalier, lequel avait reçu ce jour-là une très
sévère correction. Nombreuses sont les fois où Abû Bakr a ainsi payé de sa
personne, comme ce jour où il avait été frappé si violemment par ‘Utba
ibn Rabî‘a qu’il avait saigné du nez avant de perdre connaissance pendant
des heures, si bien que sa famille l’avait tenu pour mort 8. Il avait supporté
stoïquement toutes ces humiliations. On aurait dit que la persécution
consolidait sa foi. Les Qurayshites, stupéfaits par son attitude, l’avaient
surnommé al-Majnûn 9, « le fou », « le possédé ». Il avait su faire face à
l’opposition de sa propre famille : seule sa mère Salmâ (alias Umm al-
Khayr) s’était convertie très tôt à l’islam, quand sa première femme
Qutayla, son père Abû Quhâfa et son fils ‘Abd al-Rahmân avaient été
rétifs à le suivre. Il avait fini par répudier Qutayla 10 et avait dû attendre la
conversion très tardive de son fils 11 (après l’armistice d’al-Hudaybiyya en
mars 628) et de son père 12 (après la prise de La Mecque en décembre 629
ou janvier 630).
Abû Bakr avait su joindre au sacrifice physique le sacrifice matériel :
la Tradition affirme qu’en soutien à Muhammad, il avait consacré toute sa
fortune 13, soit quarante mille dirhams, notamment à affranchir les esclaves
qui se convertissaient à l’islam. Parmi eux se trouvait le fameux Bilâl 14,
l’esclave abyssin qui deviendrait plus tard le muezzin attitré du Prophète.
Un verset du Coran (92 : 17-18) avait même été révélé pour louer sa
générosité 15. Muhammad éprouvait une immense reconnaissance pour cet
ami loyal qui lui avait rendu tant de services. En outre, il appréciait
beaucoup son caractère autant doux que fort, ainsi que sa rigueur morale et
son grand sens de l’honneur. On raconte que bien avant sa conversion, Abû
Bakr s’abstenait déjà de boire la moindre goutte de vin ; il s’en expliquait
en disant que l’ivresse fait perdre à l’homme sa dignité 16.
Muhammad lui faisait à ce point confiance que lorsqu’il avait conçu le
projet d’émigrer de La Mecque vers Yathrib (future Médine), il ne s’en
était livré qu’à lui. « Je t’accompagne », lui avait-il répondu sans la
moindre hésitation, abandonnant femmes et enfants. Il avait été le seul à
suivre le Prophète dans cette hijra – les autres Émigrants ne devaient le
faire que plus tard. Dans un épisode fameux, les deux amis s’étaient
réfugiés pendant trois jours dans la caverne de Thawr pour échapper aux
Qurayshites lancés à leurs trousses. Pendant ce séjour, nous dit la
Tradition 17, Abû Bakr avait servi de bouclier humain à Muhammad,
s’exposant aux morsures des vipères dont la grotte était infestée. Il avait
même mobilisé ses enfants à cette occasion : son fils ‘Abd-Allâh venait
tous les jours leur donner des nouvelles et sa fille Asmâ’ leur apportait de
la nourriture qu’elle dissimulait dans sa ceinture fendue en deux (on
l’appelle depuis Asmâ’ Dhât al-Nitâqayn, « aux deux ceintures 18 »). Dans
cette cachette, Muhammad voyait parfois la peur et l’inquiétude sur le
visage de son ami ; il lui disait : « Ne sois pas triste, Abû Bakr. Allâh est
avec nous ! » Cet épisode et cette phrase célèbre devaient par la suite être
immortalisés dans un verset du Coran (9 : 40) : « Lorsqu’il était banni par
ceux qui n’ont pas cru, il s’est trouvé dans la grotte avec le deuxième des
deux, à qui il disait : Ne t’afflige pas, Allâh est avec nous ! »
Cette aventure de l’Hégire avait définitivement scellé l’amitié entre
les deux hommes et Abû Bakr était quasiment devenu l’alter ego du
Prophète. Quand ce dernier avait entamé son jihâd contre les mécréants au
lendemain de son installation à Médine, Abû Bakr se trouvait aux
premières loges : il prodiguait ses conseils au Prophète et participait
courageusement au combat. Lors de la fameuse bataille de Badr, il s’était
même battu contre son propre fils qui n’était pas encore converti.
Évoquant plus tard cette bataille mémorable, le père et le fils devaient
avoir une discussion troublante que nous rapporte Suyûtî 19 : « Ce jour-là,
dit ‘Abd al-Rahmân à son père, je me suis approché de toi, puis je me suis
éloigné car j’avais décidé de ne pas te tuer. » Et Abû Bakr de répondre à
son fils : « Moi par contre, si je m’étais approché de toi, je ne t’aurais pas
raté ! » C’est dire comme Abû Bakr était prêt à sacrifier son propre fils
pour la gloire de l’islam.
Toute cette histoire partagée avec Muhammad avait fait de lui le fidèle
parmi les fidèles. L’amitié entre les deux hommes, sans aucun doute
sincère, avait en outre été consolidée par des liens matrimoniaux le jour où
Abû Bakr avait marié sa fille ‘Aïsha à Muhammad b. C’est à cette occasion
qu’Ibn Abî Quhâfa était devenu pour tout le monde Abû Bakr, le « père de
la pucelle », car ‘Aïsha est la seule vierge que le Prophète aura épousée ;
préférant les femmes mûres, Muhammad choisissait plutôt des veuves ou
des divorcées. Bakr en arabe désigne aussi une « jeune chamelle » :
l’éloquence arabe a sans doute joué sur la polysémie du mot dont les deux
sens conviennent à ‘Aïsha.
Leur amitié avait connu très peu d’ombres. Même pendant la
sulfureuse affaire de l’ifk (calomnie), quand ‘Aïsha avait été accusée
d’adultère, Abû Bakr était resté impassible et ne s’était pas brouillé avec
son ami ; au contraire, il avait même frappé sa fille pour son
comportement désinvolte qui lui avait fait honte 20.
La Tradition a beaucoup brodé autour de la sincérité de cette amitié et
l’image du premier calife en sort magnifiée, comme cela découle
clairement des hadîths compilés par Suyûtî ou Tabarî, entre autres. Dans la
littérature sunnite, sa personnalité est mythifiée au point qu’il semble être
un quasi-prophète : on raconte ainsi qu’au moment de la Révélation, Abû
Bakr entendait l’ange Gabriel parler à Muhammad mais ne le voyait pas 21.
Il s’agit sans doute pour ces auteurs de le hisser à la hauteur de son grand
rival ‘Alî, que la Tradition shî‘ite place pour ainsi dire au même niveau
que Muhammad, si ce n’est plus haut encore.

C’est surtout le rôle politique majeur d’Abû Bakr qui le hisse au rang
de prophète : sans ces impitoyables guerres d’« apostasie » qu’il a décidé
de déclarer de sa propre initiative et malgré les objections de ses plus
proches conseillers, l’islam aurait rapidement rejoint Muhammad dans la
tombe. Le Prophète ne lui avait-il pas signifié, en le dispensant de
participer à la bataille d’Uhud (mars 625) : « Ne va pas sur le champ de
bataille, nous avons trop peur qu’il t’arrive un malheur. Si nous te perdons,
l’islam tombera dans le désordre 22 » ? Deux ans après, on est déjà loin de
ces heures de grande crise qui avaient immédiatement suivi la mort du
Prophète, quand l’islam jouait sa propre survie. La main de fer du premier
calife, armée du « sabre dégainé d’Allâh », a frappé si violemment à la
porte de l’Histoire qu’elle s’est ouverte en grand devant l’islam : les
musulmans vont se rendre maîtres du monde ! En surnommant le premier
calife nabiyy al-ridda, « le prophète de l’apostasie », la Tradition sunnite 23
montre qu’elle ne voit pas en lui un simple Compagnon parmi tant
d’autres, fût-il le premier, mais bien plus encore : le cofondateur de
l’islam et, dans une certaine mesure, son (ré)inventeur.
Les rédacteurs forcent tellement le trait que son portrait devient le
prétexte à des exagérations et des hyperboles invraisemblables. Ainsi, le
Prophète aurait affirmé que l’humanité entière serait jugée par Dieu, sauf
Abû Bakr 24 ; ‘Umar aurait prétendu qu’il aurait aimé n’être qu’un poil sur
le torse d’Abû Bakr 25 et que « ses flatulences sentent meilleur que le
musc 26 » !
Malgré ces exagérations parfois ridicules, il ressort de l’examen de son
parcours le portrait d’un homme à la personnalité complexe, pleine de
contradictions. Sous son air doux, il s’est toujours montré courageux et
ferme dans ses positions, jusqu’à l’entêtement. Ainsi est-il parfois arrivé
au tempéré Abû Bakr de devenir intraitable jusqu’à être lui-même surpris
de son intransigeance. Et de se demander encore comment il a fait pour
tenir tête à Fâtima, comment il a traité avec tant de vigueur ses multiples
27
protestations , comment il a pu résister aux contestations de tous les
Compagnons qui voulaient le dissuader d’envoyer Ussâma en Syrie. Face à
leurs objurgations concernant les guerres d’« apostasie », il est resté de
marbre, prêt à assumer seul les conséquences d’une décision politique
perçue par ses conseillers comme suicidaire. Souvent il s’est interrogé :
« Ne me connaissent-ils pas ? Ont-ils oublié que j’ai suivi Muhammad tête
baissée alors qu’il était un marginal raillé puis persécuté par sa propre
tribu ? » Plus tard, ‘Umar rendra hommage à la force et à la fermeté de son
prédécesseur en avouant : « Abû Bakr a corrigé et discipliné les gens, ce
qui m’a beaucoup facilité la tâche quand je suis par la suite devenu calife à
mon tour 28. »
Homme au caractère mesuré, Abû Bakr n’a pas connu la fureur de
l’hubris, à rebours du sanguin ‘Umar. Dans son rapport aux femmes, il a
été d’une grande discrétion. Sa vie privée a plutôt été rangée et Abû Bakr
n’a pas vécu de passion amoureuse : il n’a connu « que » quatre femmes
qu’il a fréquentées dans le cadre régulier du mariage. En premières noces,
il avait épousé Qutayla bint ‘Abd al-‘Uzza, qui lui a donné une fille,
Asmâ’, et un fils, ‘Abd-Allâh, avant qu’il ne la répudie. Il a ensuite épousé
Da‘d bint ‘Âmir, dite Umm Rummân, qui lui a donné ‘Aïsha et ‘Abd al-
Rahmân ; puis, après sa conversion à l’islam, Asmâ’ bint ‘Umays, la
veuve de Ja‘far, frère de ‘Alî, qui lui a donné un fils du nom de
Muhammad, né en l’an X de l’Hégire, pendant le pèlerinage de l’adieu.
Enfin, il s’est marié avec une Ansarienne, la Khazrajite Habîba bint
Khârija, par reconnaissance envers son père qui lui avait offert
l’hospitalité lors de son arrivée à Médine. Elle était alors enceinte : la fille
qu’elle lui donnera, Umm Kulthûm, naîtra après la mort de son père.
Sur ce point, Abû Bakr est différent de Muhammad qui a connu la
passion pour les femmes et une vie privée tumultueuse. Même les enfants
d’Abû Bakr sont sur ce point différents de leur père : lui n’a conclu que
des mariages de raison, eux, en incorrigibles romantiques, se laissent
facilement entraîner par les élans du cœur. Il s’est montré particulièrement
agacé par son fils ‘Abd-Allâh, obsédé par sa femme, la splendide ‘Âtika
bint Zayd. Un jour, excédé, il lui a demandé de la répudier 29. Son autre
fils, ‘Abd al-Rahmân 30, a lui aussi un cœur tendre : sa grande passion pour
Laylâ bint al-Jûdî l’obnubilait au point qu’il passait son temps à composer
des vers licencieux pour célébrer la femme qu’il aimait 31. Abû Bakr n’a
jamais compris comment lui, si austère, a pu avoir une progéniture aussi
libertine. Le caractère frivole de sa descendance se prolongera sur des
générations. De nombreux petits-enfants du pieux calife auront eux aussi
une réputation sulfureuse : Muhammad, le fils de ‘Abd al-Rahmân, fera
montre d’un goût prononcé pour l’alcool, ce qui lui vaudra d’être
sévèrement fouetté 32, cependant que sa petite-fille, la sublime ‘Aïsha bint
Talha, la fille d’Umm Kulthum, consciente de sa grande beauté, fera de
véritables ravages parmi les notables et les poètes galants de son temps 33.

En faisant défiler devant ses yeux clos cette vie bien remplie, Abû
Bakr alterne entre sourire et renfrognement. Mais c’est l’épuisement qui
domine. Est-ce le poids des années ou bien ce mal étrange qui le cloue au
lit depuis des jours ? Son âge avancé de soixante-trois ans ne permet plus à
son corps de résister. Pourtant, dans sa famille, on a plutôt la santé
robuste : son père, toujours en vie, a dépassé les quatre-vingt-dix-sept ans
et, lui, demeure en parfaite santé (il mourra six mois après son fils 34).
Mais Abû Bakr n’aura pas cette chance. Il sait que son heure approche.
Comme pour son prédécesseur Muhammad, la cause exacte de la mort
du premier calife est au centre de relations contradictoires ne permettant
pas de trancher : s’agit-il d’une mort naturelle ou d’un assassinat ? De fait,
la probabilité d’une mort par empoisonnement est évoquée par plusieurs
sources sunnites orthodoxes. Ibn Sa‘d et Tabarî, entre autres, rapportent
qu’il a reçu en cadeau, un an avant sa mort, un plat cuisiné, du riz ou une
soupe (harîra), qu’il a partagé avec son ami al-Hârith ibn Kalada, médecin
réputé à Médine. Dès les premières bouchées, ce dernier se serait écrié :
« Lève ta main de ce plat, Abû Bakr ! On y a mis du poison qui tue au bout
d’une année. » La Tradition 35 dit qu’en effet, un an plus tard, Abû Bakr et
Ibn Kalada meurent le même jour, tout comme ‘Attâb ibn Assîd, l’agent
du calife à La Mecque, également présent à ce repas. À l’article de la
mort, Abû Bakr aurait lui-même évoqué à demi-mot ce repas empoisonné :
quand les membres de sa famille lui demandent s’il veut qu’un médecin
vienne l’ausculter, Abû Bakr décline et répond : « J’en ai déjà vu un. »
Cette phrase, qui exprime le fatalisme du calife refusant de se soigner, est
sans doute également une allusion à la phrase fatidique prononcée par Ibn
Kalada un an plus tôt 36.
Tout comme l’hypothèse de l’empoisonnement du Prophète par une
Juive de Khaybar, qui n’aurait produit ses effets qu’à trois années de
distance 37, celle du premier calife infecté par une toxine qui aurait eu
raison de lui au bout d’un an peut laisser sceptique. Devant
l’invraisemblance de cette version, la Tradition propose un autre récit
qu’elle attribue à ‘Aïsha 38 ; et comme pour la mort du Prophète aussi, où
la Tradition évoque une pleurésie, les deux versions sont présentées sans
que l’une en particulier soit privilégiée. Ainsi, ‘Aïsha ne parle pas
d’empoisonnement mais affirme que la mort de son père est naturelle :
après s’être lavé par une journée fraîche, il aurait pris froid et aurait été
saisi d’une forte fièvre qui l’aurait cloué au lit avant de le conduire au
tombeau quinze jours plus tard. Une version attribuée à Ibn Bakkâr dit
qu’Abû Bakr était atteint d’une sorte de tuberculose 39. Sachant qu’il est
mort fin août 634, on peut se demander si cette version est recevable : une
« journée fraîche » au torride mois d’août dans le désert arabe ? Est-ce
plausible ? Un autre témoignage va pourtant dans ce sens, celui de la
veuve du calife, Asmâ’ : alors qu’elle effectuait la toilette mortuaire de
son mari, elle s’est plainte à ses Compagnons du grand froid 40. Ces détails
pointeraient donc plutôt vers une mort survenue l’hiver, à rebours de
l’unanimité de la Tradition qui la place en été.
Quoi qu’il en soit, se sentant proche de la fin, Abû Bakr songe à
présent à l’héritage qu’il va laisser. Il faut qu’il dicte son testament et
41
qu’il prenne les dispositions nécessaires pour sa succession . Pas question
de laisser l’affaire ouverte : il a pu constater ce que cela pouvait entraîner
comme tourments. Il exclut d’emblée une succession de type dynastique et
ne songe pas une seconde à transmettre la charge califale à son fils ‘Abd
al-Rahmân, qui a pourtant montré une certaine vaillance, notamment lors
de la bataille de Yamâma 42. Mais il connaît trop bien les affres du pouvoir
pour ne pas désirer en préserver son fils, d’autant que son autre fils, le
regretté ‘Abd-Allâh, a déjà payé le prix de la malédiction (on se rappelle
qu’il est mort brusquement dans les premières semaines de l’avènement
de son père 43).
Malgré la fièvre, Abû Bakr garde la tête froide. Il prie ‘Aïsha d’appeler
Ibn ‘Awf, l’un des « dix Compagnons promis au paradis 44 ». « Que penses-
tu de ‘Umar ? », lui demande le calife. Ibn ‘Awf, intrigué, répond par une
formule évasive : « Je trouve qu’il est meilleur que l’opinion que tu as de
lui. Mais je dois t’avouer que je le trouve très violent.
– C’est quand il me trouve trop clément qu’il devient dur. Mais
l’inverse est vrai aussi : quand il me trouve dur, il devient clément. Je suis
sûr que le jour où il sera au pouvoir, il changera de comportement. »
Ibn ‘Awf ne réagit pas. « Tu peux disposer maintenant, poursuit Abû
Bakr. Envoie-moi ‘Uthmân, je veux lui parler. Et promets-moi de ne rien
dire de notre discussion au sujet de ‘Umar.
– Entendu », répond Ibn ‘Awf.
Quelques minutes plus tard, ‘Uthmân ibn ‘Affân entre dans la chambre
du calife qui aussitôt l’interroge également sur ‘Umar. « Ô calife ! répond
‘Uthmân, tu me demandes mon avis sur un homme que tu connais mieux
que moi.
– Dis-moi quand même. Ton jugement m’intéresse, insiste Abû Bakr.
– Je trouve que son fond est meilleur que son apparence », dit
‘Uthmân.
Abû Bakr se tait et poursuit en poussant un soupir : « Ah, si tu savais,
‘Uthmân ! J’aurais tellement aimé ne jamais avoir à m’occuper de vos
affaires. » L’autre le regarde avec étonnement. « Tu ne dois rien répéter de
ce qu’on vient de se dire à l’instant », lui demande Abû Bakr.
Plusieurs Compagnons défilent ainsi pour donner leur avis sur ‘Umar.
Le calife recueille des réponses mitigées mais globalement favorables. On
doit ici noter que le choix des deux premiers Compagnons que le calife
consulte sur le choix de son successeur ne doit sans doute rien au hasard :
‘Uthmân ibn ‘Affân et ‘Abd al-Rahmân ibn ‘Awf sont en effet sans
conteste les plus riches Compagnons du Prophète, qui les surnommait
« les deux coffres de Dieu sur terre 45 ». Le fait qu’Abû Bakr recherche leur
approbation sur le choix de ‘Umar en dit long sur une conception de
l’autorité politique qui doit solidement s’adosser au pouvoir indispensable
de l’argent. Bien qu’il ait exigé la discrétion la plus totale, d’autres
Compagnons qui n’ont pas été convoqués ont vent de cette consultation et
comprennent sans peine que la désignation de ‘Umar comme successeur
est désormais imminente. Sans hésiter, ils se dirigent vers la maison du
calife pour le mettre en garde. L’un d’entre eux, Talha ibn ‘Ubayd-Allâh,
Compagnon prestigieux puisqu’il fait partie des huit sâbiqûn, les tout
premiers convertis, ainsi que des « dix Compagnons promis au paradis »,
et qui se trouve par ailleurs être le cousin d’Abû Bakr 46, le prévient ainsi :
« J’ai appris que tu as l’intention de nommer ‘Umar comme successeur.
Es-tu conscient de la portée de ce geste ? Tu as vu par toi-même comment
il maltraite les gens même en ta présence ; imagine ce qu’il en sera quand
il se retrouvera seul avec eux ! Que vas-tu dire à ton Dieu quand il te
demandera pourquoi tu as confié le pouvoir à ‘Umar alors que tu connais
mieux que quiconque sa brutalité, sa cruauté et sa férocité 47 ?
– Quoi ? rétorque le calife. Tu cherches à m’intimider ? Sache que si
Dieu me pose cette question, je lui dirai : “J’ai choisi le meilleur d’entre
tous !” Je te prie de bien répéter cela à tout le monde ! » Constatant sa
détermination, Talha et les autres Compagnons s’éclipsent sans rien dire.
Dès qu’ils sortent, le calife réalise que ‘Umar ne fera sans doute pas
l’unanimité et qu’il faut dès à présent déminer toute contestation future.
C’est pourquoi il demande à ‘Aïsha de faire revenir ‘Uthmân sur-le-
champ.
Quand le futur troisième calife entre de nouveau dans la chambre, Abû
Bakr n’a pas la force de se relever. Sa tête lourde lui donne des
étourdissements dès qu’il tente de s’asseoir. Mais il ressent le besoin de se
redresser, ne serait-ce que pour être quelque peu en phase avec la solennité
du moment. Il demande ainsi à ‘Uthmân de l’aider à s’asseoir dans le lit,
pénible effort pour cet homme épuisé par la maladie et par deux ans d’un
règne houleux.
« Ibn ‘Affân, lui dit-il fermement. Prends maintenant de quoi écrire :
je vais te dicter mon testament. » Rappelons que le Prophète n’avait pas eu
droit à ce privilège : quand il avait voulu dicter un testament, ‘Umar l’en
avait empêché en l’accusant de délirer à cause de la fièvre 48… Voilà à
présent Abû Bakr dans la même situation. ‘Umar ne l’accusera cependant
pas de délirer ; il faut dire que le testament est en sa faveur.
‘Uthman s’installe face au calife et place devant lui son écritoire. De
sa voix faible, Abû Bakr commence à dicter : « Au nom de Dieu, le
Clément, le Miséricordieux, voici ce qu’Ibn Abî Quhâfa, au moment de
quitter ce monde, a laissé comme testament à tous les musulmans. Ainsi
donc… »
Soudain, il se tait. ‘Uthmân lève la tête ; le calife s’est évanoui.
Curieusement, ‘Uthmân continue d’écrire seul la suite du testament : « Je
choisis ‘Umar ibn al-Khattâb comme successeur ; je n’ai guère trouvé plus
apte que lui… »
Quelques secondes plus tard, Abû Bakr revient à lui et voit que
‘Uthmân n’a pas levé le calame. « Lis-moi ce que tu es en train d’écrire »,
lui demande-t-il.
Après avoir écouté la phrase que ‘Uthman a notée pendant sa brève
syncope, le calife s’exclame : « Allâhu akbar ! Je vois que tu as complété
le testament parce que tu as cru que je n’allais pas me réveiller de cet
évanouissement ! Tu as bien fait de prendre les devants, ô ‘Uthmân ! Tu as
craint que je meure sans avoir laissé de testament et ma succession aurait
dégénéré en une grande et interminable dispute. » Abû Bakr parle en
connaissance de cause, lui qui, pour la succession du Prophète, s’est
retrouvé au cœur d’une violente tempête qui a failli dégénérer en guerre
civile.
Il l’invite à noter la suite : « Vous devez obéissance à ‘Umar. S’il
s’avère juste – et à mon avis, il le sera –, alors suivez-le. S’il ne se montre
pas à la hauteur, je n’en suis pas responsable. Je le désigne aujourd’hui en
mon âme et conscience avec la conviction que je fais là le bon choix. En
même temps, je ne connais pas l’avenir. Et ceux qui se montrent injustes
savent ce qui les attend. »
Il enlève ensuite sa bague et la tend à Uthmân : « Appose mon sceau
sur le testament. » Le futur troisième calife prend la bague du premier
calife ; avant de la poser sur le feuillet, il la regarde attentivement et
déchiffre la devise qu’Abû Bakr y a fait graver : Ni‘ma l-qâdiru Allâh,
« Allâh est le meilleur des omnipotents ». Ensuite, Abû Bakr demande que
son testament soit lu sans tarder en public, sans doute pour que les
éventuels opposants de ‘Umar soient mis devant le fait accompli.
‘Umar, qui écoute fièrement le texte du testament, nargue les
personnes présentes : « Ô gens ! Vous avez entendu ? Il m’a confié les
affaires après lui ! Obéissez aux ordres de votre calife 49 ! » L’affranchi du
calife, Shadîd, saisit alors ‘Umar par le bras et lui chuchote : « Viens avec
moi ; le calife veut te parler. » Abû Bakr reçoit son futur successeur en tête
à tête pour lui recommander d’être juste et le mettre face à ses
responsabilités. Il lui rappelle encore de craindre Dieu. ‘Umar écoute ce
sermon sans la moindre réaction, à tel point que le calife se demande si
son futur successeur l’écoute vraiment. « Tu peux sortir à présent », lui
dit-il 50.
Resté seul, le calife lève les bras au ciel : « Ô mon Dieu, sache que j’ai
pensé bien faire en confiant la tâche à ‘Umar 51 ! » Tandis qu’il est aux
prises avec le doute, il voit son épouse Asmâ’ entrer dans la chambre. Elle
s’assoit sur le bord du lit. « J’ai fait de mon mieux, lui dit-il, pour choisir
la personne adéquate qui doit me succéder. J’ai essayé de penser à l’intérêt
de tous et n’ai privilégié ni mes enfants ni les membres de ma famille.
Pour moi, ‘Umar est le meilleur choix. J’espère ne pas me tromper 52. »
De fait, malgré quelques grincements de dents, le choix de ‘Umar a
semblé à tous très naturel. Abû Bakr avait largement préparé les
musulmans à l’idée que ce dernier deviendrait un jour calife. Incapable,
pendant sa maladie, de se lever pour aller à la mosquée – comme le
Prophète deux ans plus tôt –, Abû Bakr avait déjà demandé à ‘Umar de
présider la prière à sa place. Depuis longtemps, dès les premières heures
qui avaient suivi la mort du Prophète, Abû Bakr et ‘Umar formaient un
véritable duo, comme on l’a vu lors de la réunion de la saqîfa puis lors de
la cérémonie d’investiture à la mosquée 53. ‘Umar paraissait ce jour-là plus
concerné par le califat qu’Abû Bakr lui-même, et cet acharnement avait
tout de suite paru suspect aux yeux des Compagnons. ‘Alî lui avait même
lancé : « Je vois que tu es en train de traire un lait dont tu vas boire la
moitié 54 ! »
De fait, pendant ces deux ans de règne, ‘Umar s’est affirmé comme
Premier ministre, voire comme vice-calife 55. S’il était officiellement
chargé de la magistrature, d’après Ibn al-Athîr et Tabarî 56, il intervenait en
réalité sur tous les dossiers et assurait régulièrement l’intérim 57. En
l’an XI, soit la première année du califat d’Abû Bakr, c’est lui qui avait
présidé au pèlerinage 58. Il a en outre été derrière de nombreuses mesures
importantes. On a vu 59 que c’est lui qui avait insisté pour que le calife ne
cédât rien de l’héritage du Prophète à sa fille Fâtima. C’est encore lui qui,
après la bataille de Yamâma 60 où ont péri des dizaines de récitateurs du
Coran, avait compris que la Révélation risquait d’être perdue à jamais et
avait proposé que l’on réunît en une seule compilation (mushaf) tout ce qui
était déjà conservé de la Révélation.
Toutefois, on aurait tort de penser que le rôle prépondérant de ‘Umar a
fait d’Abû Bakr un calife de pacotille. Au contraire, c’est bien ce dernier
qui prend toutes les grandes décisions, notamment en matière militaire,
comme on l’a vu quand il s’est agi d’envoyer Ussâma en Syrie ou encore
sur le sort à réserver à Khâlid ibn al-Wâlid. Le premier calife sait que son
successeur pressenti a tendance à faire passer ses sentiments personnels
avant l’intérêt de l’État, ce dont ‘Umar se plaindra bien après sa mort en le
qualifiant de « bestiole maléfique 61 ». Il ira même jusqu’à qualifier
l’élection controversée de son prédécesseur de falta 62, de « dérapage ».
Sans doute a-t-il compris un peu tard qu’il ne pourrait pas faire de son ami
un souverain fantoche.
Abû Bakr avait indéniablement de l’autorité : « De tous mes
Compagnons, il est le plus ferme 63 ! » disait de lui Muhammad. Sa grande
lucidité et son intelligence l’auront conduit à se comporter avec une
assurance certaine tandis que sa souplesse de caractère lui a conféré une
grande capacité d’adaptation. Au début, il percevait le califat comme un
fardeau et a même tenté plusieurs fois de démissionner. Il était pour lui
une source intarissable de problèmes et de drames dont il a
personnellement payé le prix : sa rupture tragique avec Fâtima, la fille de
son meilleur ami, est une blessure profonde dont il souffre toujours. Mais
au bout de quelques mois, le calife a fini par s’adapter à sa fonction. Ce
califat dont il ne voulait pas, qui lui semblait au départ être un vêtement
rêche qui gratte la peau et entrave les mouvements du corps, il aura réussi
au bout de quelques mois à en assouplir le tissu et à le porter comme une
seconde peau.
Conçu dans la saqîfa comme une autorité intérimaire dont il avait hâte
de se débarrasser, le califat a subi dans le creuset des victoires une
transmutation alchimique. Son extension géographique inouïe s’est
naturellement prolongée dans la dimension temporelle : il est devenu un
pouvoir pérenne ou, comme on dit aujourd’hui, une institution. Au terme
de ces deux ans de règne, Abû Bakr a fini par jeter les bases d’un embryon
d’État doté d’une puissante armée et d’une administration. Au sein de
celle-ci, ‘Umar était en charge de la justice, Abû ‘Ubayda des finances –
ce sont eux qui, du reste, s’étaient proposés pour ces postes 64. On
comptait en outre une équipe de secrétaires dont ‘Uthmân ibn ‘Affân et
Zayd ibn Thâbit, chargé notamment de la première collecte du Coran –
l’élaboration d’un écrit fondamental constituant un acte politique
fondateur, ici comme partout ailleurs –, sans oublier les agents en poste un
peu partout en Arabie.
Esprit pragmatique, doué d’un sens de l’État indéniablement plus élevé
que les autres Compagnons, Abû Bakr concevait le pouvoir comme une
chose publique et impersonnelle qui doit obéir à la règle de l’intérêt
général et non à la passion égocentrique et à l’ambition individuelle. On
peut même dire qu’il a eu l’esprit républicain, dans la mesure où il ne
cherchait pas à fonder une dynastie en léguant le pouvoir à son fils, et
aussi du fait qu’il comprenait la charge califale non comme une autorité
sacrée et transcendante mais comme une fonction à laquelle doit
correspondre un salaire.
En effet, après son accession à ce poste, il avait d’abord continué à
pratiquer ses activités commerciales. Mais ‘Umar et Abû ‘Ubayda lui en
avaient fait le reproche, en disant que ce travail n’était plus digne de son
nouveau rang. Se considérant comme un fonctionnaire qui doit être
rémunéré pour le temps et l’énergie qu’il consacre au service de la
communauté, Abû Bakr avait alors demandé qu’on lui versât un salaire :
« Si je renonce à mon métier de commerçant, comment vais-je subvenir
aux besoins de ma famille ? », leur avait-il dit. On lui avait alors attribué
des émoluments qu’il a très vite jugés insuffisants. De fait, quelque temps
plus tard, ‘Umar se présente chez lui et tombe sur un groupe de femmes
qui attendent le calife pour lui faire part de quelque doléance. Où a-t-il
bien pu passer ? Il part à la recherche de son ami et le retrouve au souk des
étoffes, en train de continuer son négoce. Il le prend par le bras : « Viens
par ici, toi ! Qu’est-ce que tu fais là ? On s’était mis d’accord, non ? Plus
de commerce ! Tu es le calife ! » Abû Bakr lui répond : « Je ne veux pas
de votre califat ! Ce que j’y gagne ne suffit pas à nous nourrir, moi et ma
famille ! Avant, je gagnais confortablement ma vie ; maintenant, ma
nouvelle fonction me prend beaucoup de temps et je n’arrive plus à
subvenir aux besoins de ma maisonnée.
– Ne t’en fais pas, on t’accordera une augmentation.
– En plus de l’augmentation, je veux recevoir un mouton entier par
jour.
– Un mouton entier ? Tu demandes trop, là !
– Ce n’est pas négociable », conclut Abû Bakr, qui finit par obtenir ce
qu’il a demandé. La Tradition dit qu’il percevait un salaire annuel de six
mille dirhams 65.
Il faut ici aborder la gestion financière d’Abû Bakr et son rapport
particulier à l’argent. Autrefois commerçant prospère, il n’était sans doute
pas le plus riche des Compagnons ; ce titre revenait plutôt à ‘Uthmân et à
Ibn ‘Awf, comme on l’a vu. Mais il s’était retrouvé à la tête d’une fortune
non négligeable qu’il conservait soigneusement dans un coffre dans sa
résidence secondaire à Sunh 66, chez son épouse Habîba, comme s’il
voulait le soustraire au regard de sa famille et peut-être du Prophète 67.
Quand, devenu calife, il avait fini par s’installer définitivement à Médine
six mois plus tard, il s’était vu suggérer de désigner un gardien pour
surveiller ce fameux coffre, mais il avait refusé en assurant qu’il y avait
fait poser un verrou sûr et qu’il comptait installer sa « chère cassette »,
comme dirait Harpagon, dans sa maison principale à Médine 68.
Les multiples anecdotes rapportées par la Tradition dévoilent son
rapport ambigu à l’argent. Dans le contexte apologétique qui est le sien,
celle-ci souligne évidemment sa générosité envers les musulmans et en
particulier avec les pauvres 69. On loue aussi son sens de l’équité au
moment du partage du butin : il donne la même part aux fidèles de la toute
première heure et aux nouveaux convertis, à l’homme libre et à l’esclave,
à la femme et à l’homme 70. Quand les premiers protestent, pensant que
leur ancienneté devrait leur octroyer des privilèges matériels, il les
rabroue : « Vous vous êtes convertis à l’islam pour Allâh, non pour être
payés ! Votre ancienneté vous sera peut-être utile dans l’au-delà, mais ici-
bas, tous les musulmans sont égaux 71 ! » La Tradition évoque aussi la
simplicité de ce calife qui se nourrit de viande sèche et s’habille d’étoffe
grossière 72. En somme, son statut de calife ne lui aurait procuré aucun
confort, aucun privilège matériel. Il ne léguera d’ailleurs à son successeur
que de très modestes objets de fonction : une chamelle, quelques
ustensiles et un morceau de tissu « dont la valeur ne dépasse pas les cinq
dirhams », précise Tabarî 73.
La simplicité de son mode de vie frise l’austérité. Un jour, sa femme
lui demande de lui acheter des friandises. « On n’a pas d’argent pour
s’offrir des gâteaux ! », lui rétorque-t-il. « Ne t’en fais pas, je vais faire
des économies », lui répond sa femme. Au bout de quelques jours, celle-ci
a réuni une coquette somme qu’elle donne à son mari pour qu’il lui achète
les friandises dont elle a tant envie. Alors le calife prend l’argent et le met
dans le coffre en disant à sa femme que même les économies qu’elle a
74
faites appartiennent à tous les musulmans . Si cette anecdote a pour
objectif de montrer l’extrême droiture morale d’Abû Bakr, elle souligne
en creux que ce dernier ne fait pas de distinction entre son argent
personnel et l’argent de la communauté, comme l’affirme explicitement
Muhibb-Eddîn al-Tabarî 75, ce qui ne manque pas d’entraîner des
confusions et des situations ambivalentes. Se dégage en outre de toutes ces
anecdotes le portrait d’un homme très près de ses sous, ce qui est un
défaut majeur au regard de l’éthique arabe, qui loue au contraire la
générosité, quand bien même elle irait jusqu’à la prodigalité.
De nombreux récits laissent par ailleurs entrevoir une certaine opacité
dans sa gestion des deniers publics. Personne ne sait comment il dépense
l’argent du trésor ; même ‘Umar et Abû ‘Ubayda, pourtant chargé des
finances, n’ont pas la moindre idée des sommes qu’il cache dans son
coffre personnel. À sa mort, le premier, accompagné de quelques témoins
qu’il a certainement fait venir pour les besoins du constat, ouvrent le
fameux coffre d’Abû Bakr : à leur grande surprise, ils le trouvent vide 76 !
Seule une malheureuse pièce d’un dinar finit par tomber du fond d’une
petite bourse qu’ils ont désespérément secouée 77…
Qui a bien pu vider le coffre du calife ? Sans doute pourrait-on penser
qu’il a distribué tout l’argent aux nécessiteux, de nombreuses sources
affirment cependant que, sur son lit de mort, il aurait demandé à sa fille
‘Aïsha d’y prélever la somme correspondant à son enrichissement
personnel depuis son accession au califat et de la restituer aux
musulmans 78. Dans un récit similaire rapporté par Ibn al-Athîr 79, il lui
aurait demandé de vendre après sa mort un lopin de terre pour que ses
héritiers puissent rembourser ce qu’il avait pris au trésor. Pourquoi
demanderait-il une chose pareille s’il se sentait irréprochable ? À demi-
mot, la Tradition suggère ainsi que le calife, toujours inquiet de l’argent,
était sensible à ses tentations. Certaines anecdotes dédisent l’austérité
célébrée du calife : Muhibb-Eddîn al-Tabarî n’affirme-t-il pas que le calife
et sa famille consommaient un mouton par jour 80 ?

Le 22 Jumâda II de l’an XIII (lundi 23 août 634), Abû Bakr se réveille


très malade. Il se sent épuisé ; chaque jour qui passe voit son état se
détériorer. De nombreuses personnes viennent lui rendre visite. ‘Aïsha,
constamment à ses côtés, veille sur son père qui, ce matin-là, est d’humeur
à s’épancher. Comme durant l’agonie du Prophète, ‘Aïsha est la seule
personne présente au chevet du mourant. « Approche-toi, ma fille.
– Oui, père, qu’y a-t-il ?
– Mon heure approche, tu le sais. Je dois prendre des dispositions
quant à l’héritage que je vais laisser. Je t’avais fait don d’un verger clôturé
et je veux que tu le rendes. Je veux qu’il fasse partie de l’héritage que je
vais laisser à tes frères et à tes sœurs.
– Mes sœurs ? lui demande ‘Aïsha étonnée. Mais je n’en ai qu’une,
Asmâ’!
– Non. Tu as une autre sœur qui va venir. Ma femme est enceinte et
elle porte une fille 81. »
En effet, sa veuve Habîba donnera jour à une fille qui sera appelée
Umm Kulthum, que ‘Umar, qui pourrait être son grand-père, demandera
plus tard en mariage ; elle utilisera une ruse pour le repousser 82. « Tout ce
que tu souhaites sera exécuté, mon père. Je te le promets. » ‘Aïsha observe
un voile de tristesse tomber sur le visage de son père. « Tu sais, ma fille, je
dois t’avouer qu’il y a trois choses sur lesquelles j’aurais aimé interroger
le Prophète, trois choses que j’aurais dû faire et que je n’ai pas faites et
trois choses que j’ai faites et que je n’aurais jamais dû faire 83.
– Quelles sont-elles, père ?
– J’aurais voulu lui demander : À qui le pouvoir revient-il
légitimement ? La réponse à cette question aurait fait taire toutes les
contestations. J’aurais aussi voulu lui demander si les Ansârs doivent
avoir une part dans le pouvoir. Et j’aurais enfin voulu savoir si la fille du
frère et la sœur du père doivent recevoir une part de l’héritage. »
‘Aïsha devient songeuse. Elle repense au jour où le Prophète a voulu
précisément désigner un successeur mais en a été empêché par ‘Umar…
« Et quelles sont les trois choses que tu aurais dû faire ?, demande-t-elle à
présent.
– J’aurais dû couper la tête d’al-Ash‘ath ibn Qays, le rebelle hirsute du
Yémen, quand on l’a amené prisonnier ici. C’est un homme à problèmes !
– Mais au lieu de cela, tu lui as donné ta sœur Umm Farwa en
mariage…
– C’était une erreur, je l’avoue. »
S’il regrette de ne pas avoir fait exécuter al-Ash‘ath, ce n’est pas,
comme on pourrait le penser, pour le punir de sa rébellion. On a vu tout au
long de ce volume combien les ennemis acharnés d’hier pouvaient, une
fois vaincus, être transmués en fidèles hommes de main. Mais c’est qu’al-
Ash‘ath lui a fait honte, en abusant de son statut de beau-frère du calife.
On raconte que juste après son mariage avec Umm Farwa, il s’est rendu au
marché aux chameaux et a commencé à couper les jarrets des bêtes sans en
épargner aucune. Le voyant agir de la sorte, les gens se sont indignés :
« Al-Ash‘ath est retombé dans la mécréance ! » et il répondait : « Non
point ; mais Abû Bakr, quand il m’a donné sa sœur en mariage, n’a pas
daigné offrir le moindre repas de noces. Ah ! Si ç’avait eu lieu chez nous,
au Yémen, vous auriez vu quel grand festin nous aurions offert !
Approchez, ô gens de Médine, venez vous servir en viande ! Et vous, les
propriétaires des chameaux, venez que je vous règle ce que je vous
dois 84. » Par ce comportement, il porte profondément atteinte au prestige
d’Abû Bakr en étalant au grand jour l’avarice de celui-ci. On sait que
l’hospitalité généreuse est pour les Arabes la vertu cardinale, la pierre
d’angle de tout leur code d’honneur.
Abû Bakr nourrit, par ailleurs, des sentiments de rancune à l’égard
d’al-Ash‘ath à cause du mariage de Qutayla, la sœur de ce dernier, avec
‘Ikrima Ibn Abî Jahl pendant qu’il était en campagne dans l’Hadramaout.
Quand il a eu connaissance de cette union, Abû Bakr – fait rarissime pour
cet homme – est sorti de ses gonds et a menacé de lapider et même de
brûler les mariés. En fait, Qutayla bint Qays, la sœur d’al-Ash‘ath, avait
été mariée à Muhammad et son statut de veuve du Prophète lui interdisait
formellement de se remarier. Cette union en a choqué plus d’un mais on a
rapidement trouvé une excuse à ‘Ikrima pour étouffer le scandale et
calmer le courroux du calife : le mariage entre Qutayla et le Prophète
n’aurait jamais été consommé 85. Abû Bakr finit par ravaler sa colère mais
il n’a visiblement pas digéré l’affront posthume qui a été fait au Prophète ;
il en veut à al-Ash‘ath qu’il soupçonne d’avoir encouragé ce mariage
honteux. Pourtant le calife, en matière d’unions scandaleuses, et quand il
s’agit d’intérêts politiques, sait parfois fermer les yeux, comme il l’a fait
avec Khâlid ibn al-Walîd dont il pardonnait les incessants écarts de
conduite.
« Et quelles sont les deux autres choses que tu aurais dû faire ? relance
‘Aïsha.
– J’aurais dû participer moi-même aux guerres d’apostasie en
établissant un quartier général à Dhû l-Qassa, d’où j’aurais pu diriger les
opérations, et j’aurais dû dès le départ envoyer Khâlid ibn al-Walîd en
Syrie et ‘Umar en Irak. »
Le calife pense sans doute qu’il aurait ainsi calmé la jalousie que
‘Umar éprouve à l’égard de Khâlid. Puis il pousse un profond soupir et
poursuit : « Je regrette enfin d’avoir fait trois choses, ma fille. Mais c’est
trop tard maintenant !
– Dis-moi, père, quelles sont-elles ?
– Le jour de la saqîfa des Banû Sâ‘ida, j’aurais dû rejeter le fardeau du
amr (commandement) sur le dos de l’un des deux hommes [il parle de
‘Umar et Abû ‘Ubayda]. Je me serais contenté du rôle de ministre ! »
Il faut dire qu’Abû Bakr n’a pas attendu l’instant de son agonie pour
exprimer cette opinion : pendant la réunion de la saqîfa, il avait déjà
proposé ‘Umar et Abû ‘Ubayda au poste de successeur du Prophète, mais
les deux hommes avait refusé en arguant qu’il était plus légitime qu’eux 86.
Il se souvient de ce moment fatidique à la mosquée, lui tétanisé devant le
minbar du Prophète et ‘Umar le poussant à monter en chaire pour recevoir
cette allégeance que, au fond, il ne souhaitait pas. Par la suite, il avait
présenté à plusieurs reprises sa démission, en vain. Certains Compagnons
du Prophète ne voulaient que lui ; aujourd’hui, il se demande si ce califat
était une faveur qu’on lui a accordée ou bien un plat empoisonné qu’on lui
a servi pour qu’il goûte le premier… Il n’a pas pu freiner cette machine
infernale actionnée par la fatalité et qui a transformé sa piété en tyrannie.
« En outre, je n’aurais pas dû brûler vif Fujâ’a ! J’aurais dû le laisser
partir ! », poursuit-il en soupirant. Il revoit le pauvre brigand ligoté et
consumé par le feu. L’image de son corps réduit en cendres hante sa
conscience. Combien de fois a-t-il dû se dire, comme l’empereur Auguste
dans la tragédie de Corneille, « ma cruauté se lasse et ne peut
s’arrêter… » ? Il repense aux impitoyables guerres qui ont jalonné son
bref règne et ne peut détourner son regard de cet amas de cadavres sur
lequel est posé le trône du premier calife.
Il ferme les yeux et, d’une voix brisée, poursuit : « Et Fâtima ! Jamais
je n’aurais dû la traiter de la sorte ! » Il la revoit à la mosquée derrière le
drap blanc en train de le maudire, puis chez elle, le visage tourné vers le
mur ; ce jour-là, elle a refusé de lui parler, elle n’a même pas daigné le
regarder alors qu’il était venu se réconcilier avec elle 87. Quelques larmes
commencent à couler sur ses joues. La blessure date de plus de deux ans
mais elle est toujours aussi douloureuse. Cependant le calife se retient ; il
doit rester maître de lui pour donner ses ultimes instructions à toute la
famille. « Demande à Asmâ’ et ‘Abd al-Rahmân de venir ! »
Quand sa femme et son fils arrivent, Abû Bakr leur dit : « Voici ce que
je vous demande de faire pour mes funérailles. Toi, Asmâ’, tu vas
t’occuper de la toilette mortuaire.
– Mais je n’y arriverai jamais seule !
– Si, tu vas y arriver ! ‘Abd al-Rahmân t’assistera. Il versera l’eau
tandis que tu me laveras. » Le pudique Abû Bakr, explique la Tradition 88,
ne veut pas que quelqu’un d’autre que sa femme voie sa nudité.
« Après la toilette mortuaire, vous envelopperez mon corps d’abord
dans deux couches de vieux vêtements, puis vous placerez par-dessus un
vêtement neuf. Je sais bien que les vivants ont besoin de vêtements neufs
plus que les morts ; si je demande un habit neuf, c’est pour qu’il absorbe
mieux le pus (al-muhla) qui sortira de ce corps 89. »
Il se tait pendant un moment et demeure pensif avant de poursuivre :
« Ne m’enterrez pas dans le cimetière d’al-Baqî‘, le grand cimetière de
Médine, dit-il d’une voix étranglée par les sanglots. Je veux être inhumé à
côté du Prophète dans sa chambre 90. » Abû Bakr a plus que jamais besoin
en ce moment de penser qu’il sera bientôt dans la proximité de son grand
ami comme jadis quand ils étaient tous les deux seuls dans la caverne de
Thawr. Abû Bakr entend résonner dans sa tête la voix de Muhammad qui le
rassure : « Ne t’afflige pas. Allâh est avec nous… »
Au début de la soirée de ce lundi 23 août 634 (correspondant au 22
Jumâda II de l’an XIII), âgé de soixante-trois ans et après un peu plus de
deux ans de règne, le premier calife s’en va rejoindre le Prophète. Au
moment de rendre l’âme, on l’aura entendu murmurer : « Mon Dieu ! Fais
que je sois mort musulman et fais-moi rejoindre les Bienheureux 91 ! »
Conformément à ses consignes, les obsèques sont organisées le soir
même. C’est ‘Umar, désormais calife, qui dirige la prière funéraire. Pour
la mise au tombeau qui a lieu de nuit, ‘Umar est également présent aux
côtés de ‘Abd al-Rahmân le fils du calife, de ‘Uthman, de Talha ibn
‘Ubayda et de ‘Abd al-Rahmân ibn ‘Awf. La Tradition n’évoque à aucun
moment une quelconque participation ni la simple présence de ‘Alî.
Conformément à son souhait, Abû Bakr est enterré à droite de la tombe de
Muhammad, dans une position hautement symbolique : sa tête placée à la
hauteur des épaules du Prophète 92.

Très tôt le lendemain matin, ‘Umar se dirige vers la mosquée. Il


traverse la grande salle, tenant à la main sa fameuse dirra 93, sorte de
cravache qui n’est pas sans rappeler le fascio (faisceau) des licteurs qui
accompagnaient les magistrats dans la Rome antique. Il monte en chaire et
lance de sa voix de stentor à la foule de musulmans massée devant lui :
« Je vais vous dire deux mots. Retenez-les bien parce que je n’aime pas
me répéter : les Arabes sont comme les chameaux qui doivent suivre leur
maître ! » Puis, levant sa cravache : « Et moi, je jure par le Dieu de la
Ka‘ba que je saurai vous mettre au pas 94 ! » Un murmure
d’incompréhension traverse la mosquée : pourquoi parle-t-il sur ce ton
menaçant ? On se souvient du discours plein d’humilité d’Abû Bakr, deux
ans plus tôt au même endroit : « J’ai été choisi parmi vous mais je ne suis
pas le meilleur d’entre vous », avait-il déclaré. ‘Umar ne fait même pas
attention à l’indignation qui s’affiche sur les visages. Après ce discours
lapidaire, la foule se disperse. Il n’y a même pas eu de cérémonie
d’allégeance publique comme cela avait été le cas pour Abû Bakr 95. ‘Umar
n’a guère besoin de cette prestation de serment. Protocole superflu ! Que
les musulmans lui fassent ou non allégeance, il est et sera calife !
Après avoir attendu son tour pendant plus de deux ans, il est
maintenant le maître. L’homme qui le freinait n’est plus. À présent, c’est
lui qui décide, seul. Il va enfin réaliser son rêve : limoger Khâlid ibn al-
Walîd. La destitution de celui-ci sera la première décision politique que le
nouveau calife prendra dès les premières heures de son arrivée au
pouvoir 96. « Plus jamais il ne sera chef des armées ! » tranche-t-il. La
perspective d’envoyer une lettre lui signifiant sa destitution l’enchante car
elle le libère d’un grand sentiment de frustration. Durant tout le règne
d’Abû Bakr, ‘Umar n’a cessé de nourrir à son égard des sentiments
haineux, d’une part à cause des exactions auxquelles il s’est livré, comme
le meurtre de Mâlik ibn Nuwayra, mais aussi par jalousie devant ses
triomphes militaires qui ont valu au « glaive dégainé d’Allâh » une
menaçante popularité 97. Peu importe à ‘Umar que les gens s’indignent de
ce qu’il inaugure son règne par un règlement de comptes personnel.
Dès le premier jour de son règne, ‘Umar s’empresse donc de rédiger
une lettre qu’il adresse à Abû ‘Ubayda, lequel se trouve en Syrie avec
Khâlid ibn al-Walîd : « Si Khâlid passe aux aveux, écrit-il, et admet qu’il a
commis une erreur en tuant Mâlik alors qu’il était musulman, je lui laisse
le commandement des armées. S’il refuse d’avouer sa faute, alors c’est
toi, Abû ‘Ubayda, qui deviens le général en chef. » La hargne de ‘Umar est
telle qu’il joint au limogeage une mesure d’humiliation et une
dépossession : « Et je t’ordonne, ô Abû ‘Ubayda, de le dépouiller de son
turban et de lui confisquer la moitié de tout ce qu’il possède pour le verser
au trésor public. » ‘Umar justifie cette mesure de représailles par le fait
que Khâlid ibn al-Walîd n’est pas seulement un chef cruel mais aussi un
corrompu qui a pris trop de libertés dans le partage du butin et n’a pas
hésité à graisser la patte de certains personnages controversés comme al-
Ash‘ath 98. Il l’accuse d’avoir utilisé cet argent pour entretenir une
véritable cour formée notamment de grands seigneurs et de poètes chargés
de composer des vers à la louange de ses exploits guerriers 99.
Quand la lettre du nouveau calife arrive en Syrie, Khâlid, après en
avoir pris connaissance, demande l’avis de sa sœur Fâtima, femme avisée
qui est très proche de lui : « Tu sais comme moi, lui dit-elle, que ‘Umar te
déteste. Ne crois pas un mot de ce qu’il a écrit dans sa lettre. C’est un
piège ! Il veut juste te forcer à avouer ; il te limogera de toute façon ! Et si
tu passes aux aveux, il te fera exécuter, sois-en sûr ! » Khâlid ibn al-Walîd
embrasse le front de sa sœur et la remercie de son conseil. « Tu as
entièrement raison », lui dit-il. Il s’adresse à Abû ‘Ubayda : « Dis à ‘Umar
que j’ai refusé de reconnaître la moindre faute !
– Je me vois alors dans l’obligation d’exécuter les ordres du calife. Tu
es démis de tes fonctions ; c’est moi qui prends dorénavant le
commandement de l’armée. Je vais aussi te prendre la moitié de tes biens.
– Soit ! Fais ce qu’il te dit 100 ! »
Khâlid ne se laisse pas impressionner par les représailles de ‘Umar ; en
guerrier chevronné, il a vécu des situations mille fois plus atroces. Mais il
éprouve tout de même une sorte de dégoût lorsqu’il se voit forcé de
remettre à Abû ‘Ubayda la moitié de sa paire de sandales et de ne garder
qu’un seul soulier 101… Le calife n’a-t-il pas dit la moitié des biens ? Les
ordres sont les ordres !
Juste après avoir expédié la lettre de destitution de Khâlid, ‘Umar
s’installe à la mosquée ; c’est son territoire désormais, sa salle du trône. Il
ne sait pas que c’est ici même qu’il sera poignardé, dans quelques années.
Le nouveau calife quinquagénaire savoure pour le moment cet instant de
bonheur et de paix ; il pense au titre qu’il va s’attribuer. « Calife », ce
n’est pas assez pour lui : cela le renvoie à un statut subalterne de
suppléant, de « lieu-tenant ». Il veut un titre qui exhibe une autorité propre
non dérivée, un titre qui ait une consonance impériale. Lui vient à l’esprit
le titre d’amîr al-mu’minîn (commandeur des croyants). Le titre lui plaît
beaucoup. Je serai l’émir, se dit-il : le Prince, le commandeur. Il sourit.
Soudain, un bruit désagréable l’arrache à son euphorique méditation. Il
entend des cris et des lamentations (nawh) venant de la maison de ‘Aïsha
où les femmes se sont réunies pour pleurer Abû Bakr, enterré la veille.
‘Umar trouve ce tumulte insupportable. Ces femmes lui gâchent son
moment de félicité. Irrité, il se dirige prestement vers la maison de
‘Aïsha ; il se poste devant la porte et se met à hurler : « Cessez vos cris
immédiatement ! » Derrière la porte, ‘Aïsha entend la protestation
tonitruante de ‘Umar. Elle s’en moque ; les femmes de la maisonnée du
Prophète ont l’habitude de ses interventions déplaisantes qu’elles traitent
souvent par l’indifférence, voire le mépris 102. Au lieu du silence, il entend
les cris et les pleurs qui repartent de plus belle.
‘Umar est fou de rage. Quoi ? Le commandeur des croyants n’est
même pas capable d’imposer le silence à ces femmes ? Il convoque
Hishâm ibn al-Walîd, le jeune frère de Khâlid, et lui demande d’entrer
dans la maison de ‘Aïsha pour en faire sortir Umm Farwa, la sœur d’Abû
Bakr. ‘Aïsha, qui a tout entendu, se poste sur le seuil de la porte. Offensée
et furieuse, elle s’écrie : « Ibn al-Khattâb ! Je t’interdis de mettre les pieds
dans ma maison ! » ‘Umar a déjà vécu une scène similaire quand, deux ans
plus tôt, il s’était rendu avec un groupe de Compagnons attaquer la maison
de Fâtima, la fille du Prophète. Elle s’était dressée contre lui, les cheveux
découverts : « Comment oses-tu, ‘Umar ? Tu oublies qui je suis et qui est
mon père ? » À présent, ‘Umar voit ‘Aïsha dans la même posture, debout à
la porte, défendant sa maison. Tout comme il avait ignoré la fille du
Prophète, il ignore la fille du calife ; il ne daigne même pas lui adresser la
parole et commande à Hishâm ibn al-Walîd, qui n’est encore qu’un
adolescent : « Vas-y, entre ! Je t’y autorise. Fais sortir immédiatement
Umm Farwa ! » Hishâm s’exécute : il saisit la tante paternelle de ‘Aïsha
par le bras et la ramène devant ‘Umar. « Tu es sourde ou quoi ? crie-t-il. Je
vous ai demandé de vous taire ! Et je t’entends pleurer et crier à tue-
tête ? » Umm Farwa n’a même pas le temps de répondre que ‘Umar lui
assène plusieurs coups de cravache. Effrayées, les autres femmes sortent
de la maison de ‘Aïsha et se dispersent rapidement 103.
‘Umar, tout sourire, avance au milieu d’une foule de badauds qui le
regardent qui avec peur, qui avec admiration. Nombreux regrettent déjà
Abû Bakr. ‘Umar, lui, est fier. Il vient d’inaugurer triomphalement son
mandat de calife : il a réduit les femmes au silence…
a. Certaines versions disent qu’il faut prendre ‘atîq au sens d’« affranchi », du verbe ‘ataqa
« affranchir, libérer » ; c’est le Prophète qui lui aurait donné ce surnom parce qu’il serait
affranchi du feu de l’enfer.
b. Au sujet du mariage du Prophète avec ‘Aïsha, la Tradition parle d’une certaine réticence de la
part d’Abû Bakr. « Lui convient-elle vraiment ? C’est la fille de son frère ! », aurait-il dit. Même
la mère de ‘Aïsha, Umm Rummân, trouve que sa fille est trop jeune pour se marier : « Si tu veux,
on a une fille plus âgée qu’elle ! », aurait-elle lancé à Muhammad. Abû Bakr était d’autant plus
embarrassé par cette demande en mariage qu’il avait déjà promis sa fille à un certain Jubayr ibn
Mut‘im (voir entre autres Balâdhurî Ansâb 2/40 ; Ibn Hanbal Musnad 42/501 ; Ibn al-Athîr Usd
6/189 ; Jâhiz ‘Uthmâniyya 25 ; Tabarî 2/212). Nous aurons l’occasion de revenir dans un livre à
venir sur les circonstances du mariage du Prophète avec la fille d’Abû Bakr.
NOTES

I. Le fer et le feu
1. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/195 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/336.
2. Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 1/88.
3. Voir H. Ouardi, Les Derniers Jours de Muhammad, Albin Michel, 2016, p. 64-73.
4. Les sources ne sont pas unanimes sur la destination exacte de cette expédition : Balqâ’,
Dârûm, Âbil al-Zayt ou Abnâ’. Voir le chapitre VI des Derniers Jours de Muhammad, op. cit.
5. Voir le chapitre VI des Derniers Jours de Muhammad, op. cit.
6. Yâqût 2/128.
7. Pour cet épisode du maintien de l’expédition d’Ussâma par le calife Abû Bakr, nous nous
référons aux sources arabes suivantes : Dhahabî Târîkh 3/19-21 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/194-
196 ; Ibn Hibbân Sîra 2/427 ; Ibn Jawzî al-Muntadhim 4/73-74 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/335-342 ;
‘Issâmî Samat al-nujûm 2/338 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 1/60-61 ; Tabarî 2/244-246 ; Wâqidî
Maghâzî 3/1117-1126 ; Wâqidî Ridda 54-56.
8. Voir H. Ouardi, Les Califes maudits, vol. I : La Déchirure, Albin Michel, 2019, p. 184.
9. Ibn Kathîr Bidâya 6/335-336 ; Tabarî 2/245. Dans les sources arabes, Abû Bakr désigne les
épouses du Prophète par l’expression « Mères des Croyants » (Ummahât al-mu’minîn). Cette
appellation dissuasive correspond à la proscription divine formelle qui, dans le Coran (33:6 et
53), interdit à tous les musulmans de se marier avec les ex-femmes ou les veuves du Prophète :
quiconque le ferait commettrait une sorte d’inceste.
10. Tabarî 2/246.
11. Ibn Kathîr Bidâya 6/336 ; Wâqidî Maghâzî 3/1121 ; Wâqidî Ridda 54.
12. Wâqidî Ridda 55.
13. Tabarî 2/245.
14. Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
15. Ibn Kathîr Bidâya 6/342.
16. Ibn Kathîr Bidâya 6/336.
17. Tabarî 2/246.
18. Tabarî 2/246.
19. Wâqidî Maghâzî 3/1123.
20. Wâqidî Maghâzî 3/1123-1124.
21. Wâqidî Maghâzî 3/1125.
22. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/196 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
23. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/196 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
24. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/196 ; Tabarî 2/246.
25. Voir La Déchirure, op. cit., p. 176.
26. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/195.
27. Ibn Kathîr Bidâya 6/335.
28. Dhahabî Târîkh 3/27 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/201-205 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/9.
29. Ibn Kathîr Bidâya 6/344 ; Ibn Qutayba al-Shi‘r wa-l-shu‘ara’ 180-181 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/9. Le
deuxième calife ‘Umar, pour le museler, fera jeter Hutayfa en prison pour des années (Ibn Abî l-
Hadîd Sharh al-nahj 2/28).
30. Exégèse de Tabarî 7/327.
31. Dhahabî Târîkh 3/27 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 57/213 ; Ibn Hibbân Thiqât 2/165 ; Ibn
Kathîr Bidâya 6/343 ; ‘Isâmî, Samt al-nujûm 2/337 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 157 ; Muhibb-
Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/147 ; Wâqidî Ridda 51.
32. Abû Dâwûd Sunan 4/336 ; Bukhârî 4/61 ; Ibn Abî Shayba Musannaf 11/284 ; Ibn Mâjah
2/848 ; Nasâ’î Sunan 3/441 ; Tabarânî al-Mu‘jam al-kabîr 11/315 ; Tirmidhî Sunan 4/59.
33. Yâqût 3/255-256.
34. Tabarî 2/225 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/180.
35. Pour le récit de la rébellion de Tulayha du vivant du Prophète et durant le règne d’Abû Bakr
nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî Futûh al-buldân 133-136 ; Dhahabî Târîkh
3/29-30 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 25/149-172 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/202-209 ; Ibn Hibbân
Sîra 2/428-433 ; Ibn Jawzî Muntadhim 4/77-78 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/24-27 ; ‘Isâmî Samt al-
nujûm 2/458-460 ; Tabarî 2/260-266 ; Wâqidî Ridda 81-102.
36. Ibn al-Athîr Usd 4/31 ; Ibn Hajar Isâba 4/640 ; Tabaqât 3/54.
37. Tabarî 2/225.
38. 38. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 25/156.
39. Yâqût 1/308.
40. Pour le récit de cet épisode, nous nous référons aux sources suivantes : Ibn al-Athîr al-Kâmil
2/200-205 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/342-352 ; Tabarî 2/253-259.
41. Yâqût 2/257.
42. Wâqidî Ridda 69.
43. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/202-203 ; Tabarî 2/255-256.
44. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/203 ; Tabarî 2/256.
45. Ibn Bakkâr Jamharat nasab Quraysh 1/440-553.
46. Dans son livre al-Munammaq (104-107), Ibn Habîb parle de la rivalité entre les Makhzûm et
les autres clans aristocratiques de Quraysh (les Banû Umayya notamment).
47. Dhahabî Siyar 3/111-118.
48. Dhahabî Siyar 3/517-519.
49. Yâqût 5/219-220.
50. Toutes les informations que nous avons utilisées pour le portrait de Khâlid ibn al-Walîd
figurent dans les sources de la Tradition : Dhahabî Siyar 3/223-233 ; Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb
2/427-431 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/216-281 ; Ibn al-Athîr Usd 1/585-588 ; Ibn Bakkâr
Jamharat nasab Quraysh 1/492-501 ; Ibn Hajar Isâba 2/215-219 ; Ibn al-Jawzî Sifat al-safwa
1/250-252 ; Tabaqât 4/252-254.
51. Ibn Bakkâr al-Akhbâr 465-466.
52. Tabarî 2/256-257.
53. Ibn ‘Abd Rabbih ‘Iqd 1/116-117 ; Tabarî 2/257.
54. Pour l’histoire de Fujâ’a nous nous référons aux sources suivantes : Bakrî Mu‘jam mâ
ista‘jam 3/1077 ; Balâdhurî Futûh 136 ; Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb 2/776 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil
2/207 ; Ibn Hazm Jamharat 261 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351-352 ; Tabarî 2/266 ; Wâqidî Ridda 75-
83.
55. Wâqidî Ridda 78.
56. Wâqidî Ridda 80.
57. Pour le récit de la bataille de Buzâkha, nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî
Futûh 133-136 ; Dhahabî Târîkh 3/29-30 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/205-208 ; Ibn al-Athîr
al-Kâmil 2/202-209 ; Ibn Jawzî Muntadhim 4/77-78 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/24-27 ; ‘Issâmî Samat
al-nujûm 2/458-460 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/23-37 ; Tabarî 2/260-266 ; Wâqidî Ridda 81-102.
58. Tabarî 2/260.
59. Ibn Kathîr Bidâya 6/349 ; Tabarî 2/260.
60. Wâqidî Ridda 83.
61. Wâqidî Ridda 84.
62. Wâqidî Ridda 84.
63. Wâqidî Ridda 87.
64. C’est Caetani qui propose cette date (Annali dell’ Islam 2/557).
65. Wâqidî Ridda 91.
66. Wâqidî Ridda 92.
67. Wâqidî Ridda 92.
68. Voir H. Ouardi, Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., p. 24-26.
69. Ibn Kathîr Bidâya 6/352 ; Wâqidî Ridda 94.
70. Tabarî 2/264.
71. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351.
72. Ibn Kathîr Bidâya 6/351.
73. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/207.
74. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/208.
75. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/208 ; Tabarî 2/263.
76. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/208 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/350 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/32 ; Tabarî
2/263-264 ; Wâqidî Ridda 95.
77. Kulâ‘î Iktifâ’ 2/33 ; Wâqidî Ridda 96.
78. Wâqidî Ridda 96.
79. Voir La Déchirure, op. cit., p. 125.
80. Kulâ‘î Iktifâ’ 2/33 ; Wâqidî Ridda 96-99.
81. Wâqidî Ridda 100.
82. Ibn al-Athîr Usd 2/477 ; Wâqidî Ridda 101-102.
83. Pour le récit qui concerne Umm Ziml, nous nous référons aux sources suivantes : Ibn al-
Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265. Pour Dhafar : Yâqût 4/60.
84. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/12 ; Halabî Sîra 3/253 ; Ibn Hishâm 2/617 ; Suhaylî Rawdh
7/528 ; Tabarî 2/265.
85. Yâqût 5/345.
86. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/12 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 3/261 ; Ibn Sayyid al-Nâs
‘Uyûn al-athar 2/154 ; Tabaqât 2/90 ; Tabarî 2/127 ; Wâqidî Maghâzî 2/565.
87. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265 ; Yâqût 2/314.
88. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265.
89. Yâqût 2/314.
90. Ibn Hajar Isâba 8/186 ; Tabarî 2/265. Cette phrase du prophète a également été interprétée
comme une allusion à ‘Aïsha qui, lorsqu’elle prendra part des années plus tard à la bataille du
Chameau, passera par le territoire de Hawwâb.
91. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/207 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351 ; Tabarî 2/265.
92. Pour le récit qui concerne Sajâh, nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî Futûh
138-139 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/159-160 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/210-212 ; Ibn al-
Jawzî al-Muntadhimi 4/22-24 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/351-352 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/46-
50 ; Tabarî 2/268-272 ; Wâqidî Ridda 111-112.
93. Yâqût 2/134-139.
94. Balâdhurî Futûh 138.
95. Ibn ‘Abd Rabbih ‘Iqd 1/295-306.
96. Ibn Abî l-Hadîd Sharh al-nahj 17/211 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/209 ; Nuwayrî Nihâyat al-
arab 19/75.
97. Ibn Hajar Isâba 5/561 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Tabarî 2/268.
98. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/209 ; Wâqidî Ridda 68.
99. Wâqidî Ridda 104.
100. Ibn Hajar Isâba 5/561 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Wâqidî Ridda 104.
101. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/210 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhimi 4/22 ; Tabarî 2/268.
102. Yâqût 2/254-255.
103. Tabarî 2/270.
104. Pour cet épisode sur Mâlik ibn Nuwayra, nous nous sommes basés sur les sources
suivantes : Balâdhurî Futûh 136-138 ; Dhahabî Târîkh 3/32-38 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs
2/209-210 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/212-214 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhimi 4/78-79 ; Ibn Kathîr
Bidâya 6/354-355 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/50-84 ; Tabarî 2/268-275 ; Wâqidî Ridda 103-
108.
105. Dhahabî Siyar 3/18-31.
106. Tabarî 2/271.
107. Tabarî 2/271.
108. Tabarî 2/271.
109. Wâqidî Ridda 105.
110. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Tabarî 2/272.
111. Yâqût 1/545-546.
112. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/212.
113. Tabarî 2/272.
114. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209.
115. Tabarî 2/273.
116. Tabarî 2/273.
117. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/24.
118. Ibn Hajar Isâba 5/561 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213 ; Tabarî 2/273.
119. Tabarî 2/273.
120. Ibn Hajar Isâba 5/755.
121. Wâqidî Ridda 107.
122. Ibn Kathîr Bidâya 2/354.
123. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Ibn Bakkâr al-Akhbâr 502 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ;
Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/51 ; Tabarî 2/273 ; Wâqidî Ridda 105.
124. Ibn Kathîr Bidâya 6/354.
125. Wâqidî Ridda 105.
126. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209.
127. Wâqidî Ridda 107.
128. Dhahabî Siyar 3/230 ; Ibn al-Athîr Usd 1/587.
129. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab
19/51 ; Tabarî 2/273 ; Wâqidî Ridda 105.
130. Ibn Bakkâr al-Akhbâr 502.
131. Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Tabarî 2/273.
132. Dhahabî Siyar 3/227 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/240. Il s’agit d’un hadîth du
Prophète : Abû Dâwûd Sunan 4/336 ; Bukhârî 4/61 ; Ibn Abî Shayba Musannaf 11/367 ; Nasâ’î
Sunan 3/441 ; Tabarânî al-Mu‘jam al-kabîr 11/315.
133. Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Tabarî 2/273.
134. Ibn Kathîr Bidâya 6/354 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/84.
135. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213.
136. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/214.
137. Ibn Kathîr Bidâya 6/354.
138. Dhahabî Siyar 3/210-219.
139. Tabarî 2/274.
140. Tabarî 2/274.
141. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/224 ; Ibn Hajar Isâba 2/219.
142. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213 ; Tabarî 2/274.
143. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/209 ; Tabarî 2/274.
144. Le surnom que le Prophète a donné à Khâlid lui procure une sorte d’immunité absolue (Ibn
‘Asâkir Tarîkh Dimashq 16/242-244).
145. Tabarî 2/274.
146. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/213.
147. Ibn Hajar Isâba 2/218. Khâlid n’a pas exécuté cette consigne du calife puisque les sources
de la Tradition nous apprennent qu’Umm Tamîm lui a donné un fils, ‘Abd-Allâh junior (Ibn al-
Athîr Usd 1/587).
148. Majlissî Bihâr al-anwâr 8/267.
149. Haythamî Majma‘ al-zawâ’id 7/293-300.
150. Hibbân Thiqât 2/185.
151. Alûsî Rûh al-ma‘ânî 2/120 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 10/44-45 ; Ibn al-Athîr Usd
3/642-643 ; Kalbî Jamharat al-nasab (89, 105) ; Tabaqât 3/652.
152. Ibn Kathîr Bidâya 6/355 : Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/85.
153. Abd-al-Razzâq Musannaf 10/174 ; Bukhârî 8/74 ; Dhahabî Siyar 3/225 ; Ibn ‘Abd al-Barr
Istî‘âb 2/428 ; Ibn Hanbal Musnad 10/445 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/355 ; Muttaqî Kanz 1/317 ;
Nasâ’î Sunan 5/411 ; Tabaqât 2/148.
154. Dhahabî Siyar 3/225-226.
155. Ibn Hajar Isâba 2/218 ; Dhahabî Siyar 3/231 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/262 ; Ibn
Bakkâr Jamharat nasab Quraysh 1/494-495 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/131.

II. Le jardin de la Mort


1. Pour le récit sur Musaylima et l’affrontement de sa tribu, les Banû Hanîfa, avec l’armée du
calife, nous nous basons sur les sources suivantes : Balâdhurî Futûh 118-127 ; Dhahabî Târîkh
3/38-41 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/157-159, 2/211-220 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/214-221 ;
Ibn Hishâm 2/72-73 ; Ibn Jawzî Muntadhim 4/18-25, 4/79-82 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/355-360 ;
Kulâ‘î Iktifâ’ 2/38-47 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/25-60 ; Tabarî 2/275-285 ; Ya‘qûbî Târîkh
2/11-25 ; Wâqidî Ridda 100-146.
2. Jâhiz Hayawân 4/369-378. Voir aussi Jawwâd ‘Alî al-Mufassal 6/83.
3. Yâqût 5/441-447.
4. Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb 1/213-216 ; Ibn al-Athîr Usd 1/294-295 ; Ibn Hajar Isâba 1/525-526.
5. Bayhaqî Dalâ’il 4/80 ; Ibn al-Athîr Usd 1/295 ; Ibn Hajar Isâba 1/525 ; Ibn Kathîr Sîra 4/93 ;
Ibn Shabba Târîkh al-Madîna 2/433.
6. Yâqût 4/318-319.
7. Ibn al-Athîr al-Kâmil 1/424 ; Tabarî 1/460.
8. Balâdhurî Futûh 119.
9. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/39 ; Halabî Sîra 3/365 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/20.
10. Ziriklî al-A‘lâm 8/102.
11. Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 3/382.
12. Balâdhurî Futûh 119.
13. Tabarî 2/199-200.
14. Ibn Hajar dit que Musaylima est allé peut-être deux fois à Médine (Fath al-Bârî 8/89).
15. Ibn Hishâm 2/576-577.
16. Tabarî 2/277.
17. Dhahabî Târîkh 2/685 ; Ibn Hanbal Musnad 6/306 ; Ibn Kathîr Bidâya 5/62.
18. Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 4/18-25.
19. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 53/157 ; Ibn Hajar Isâba 2/446 ; Tabarânî al-Mu‘jam al-kabîr
4/283 ; Wâqidî Ridda 108.
20. Pour le récit de la rencontre entre Sajâh et Musaylima, nous nous référons aux sources
suivantes : Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/159-160 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/211-212 ; Ibn al-
Jawzî al-Muntadhim 4/22-23 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/352-354 ; Tabarî 2/268-272 ; Tha‘albî Thimâr
al-qulûb 315 ; Wâqidî Ridda 111-112 ; Yâqût 5/393.
21. Wâqidî Ridda 111.
22. Tabarî 2/277.
23. Ibn Kathîr Bidâya 6/363.
24. Tabarî 2/275.
25. Wâqidî Ridda 111.
26. Tabarî 2/277.
27. Dhahabî Siyar 3/184-185.
28. Ibn Kathîr Bidâya 6/356.
29. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/219.
30. Wâqidî Ridda 112.
31. Dhahabî consacre un petit chapitre à l’inventaire des victimes de la bataille de Yamâma
(Siyar 3/185-190).
32. Dhahabî Siyar 3/151-153.
33. Tabarî 2/279.
34. Yâqût 2/232.
35. Tabarî 2/279-280.
36. Tabarî 2/281.
37. Wâqidî Ridda 130.
38. Tabarî 2/281.
39. Tabarî 2/282.
40. Tabarî 2/284.
41. Tabarî 2/285.
42. Dhahabî Siyar 4/67-74.
43. Bukhârî 6/71 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 19/307 ; Ibn al-Athîr Jâmi‘ al-’usûl 2/501 ; Ibn
Hibbân Sahîh 10/359 ; Ibn al-Jawzî Sifat al-safwa 1/275 ; Mizzî Tahdhîb 10/208 ; Muhibb-Eddîn
al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/163 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 62.
44. Dhahabî Siyar 4/110-129.
45. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/218.
46. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 61/262-264 ; Ibn Hajar Isâba 3/243.
47. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/218 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 4/83 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/137 ;
Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/96 ; Tabarî 2/284.
48. Ibn Hibbân Thiqât 2/185 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 4/83 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab
19/96 ; Tabarî 2/284 ; Wâqidî Ridda 146.
49. Pour le récit de la guerre des armées du calife au Bahrayn, nous nous référons aux sources
suivantes : Balâdhurî Futûh 106-118 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/221-225 ; Ibn Jawzî al-Muntadhim
4/83-85 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/360-363 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/85-90 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/60-
66 ; Tabarî 2/285-290 ; Yâqût 1/346-348 ; Wâqidî Ridda 147-165.
50. Baghdâdî Muhabbâr 75-77 ; Halabî Sîra 3/353 ; Ibn Hibbân Thiqât 2/30 ; Kulâ‘î Iktifâ’
2/16 ; Tabaqât 5/386 ; Tabarî 2/145.
51. Du clan des Mâlik ibn Handhala, d’après Ibn Hajar Isâba 4/169-170.
52. Yâqût affirme que toute la région du Bahrayn est parfois appelée al-Hajar (Yâqût 5/393).
53. Dhahabî Siyar 3/161-162.
54. Balâdhurî Futûh 111 ; Tabaqât 4/360 ; Yâqût 1/348.
55. Wâqidî Ridda 148.
56. Yâqût 4/378.
57. Yâqût 5/393.
58. Yâqût 2/174-175.
59. Elias Shûfânî émet même l’hypothèse qu’al-‘Alâ’ part seul et qu’il s’agit plus d’un soutien
symbolique que d’un renfort militaire (Hurûb al-ridda, p. 115-117).
60. Yâqût 2/432.
61. Ibn Kathîr Bidâya 6/362.
62. Yâqût 3/126.
63. Les sources de la Tradition donnent les dates sans pencher pour l’une ou l’autre. Après la
mort d’al-‘Alâ’, ‘Umar nommera à sa place Abû Hurayra al-Dawsî.
64. Yâqût 4/150-152.
65. Pour le récit de la guerre des armées du calife à Oman, nous nous référons aux sources
suivantes : Balâdhurî Futûh 103-106 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/225-226 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/363-
365 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/92-95 ; Tabarî 2/291-293 ; Ya‘qûbî Târîkh 2/17-18.
66. ‘Alî, Jawwâd Al-Mufassal fî târîkh al-‘arab qabla al-islâm, 7/199.
67. Yâqût 2/435-436.
68. Yâqût 3/393.
69. Ibn Kathîr Bidâya 6/363.
70. ‘Alî, Jawwâd Al-Mufassal fî târîkh al-‘arab qabla al-islâm, 8/32.
71. Tabarî 2/291.
72. Ibn Kathîr Bidâya 6/363 ; Tabarî 2/291.
73. Ibn Kathîr Bidâya 6/363 ; Tabarî 2/291.
74. Yâqût 3/27.
75. Ibn Kathîr Bidâya 6/363.
76. Ya‘qûbî Târîkh 2/17.
77. Yâqût 5/234.
78. Ibn Jawzî al-Muntadhim 4/86 ; Tabarî 2/292.
79. Ibn Kathîr Bidâya 6/363.
80. Pour le récit de la guerre des armées du calife au Yémen, nous nous référons aux sources
suivantes : Balâdhurî Futûh 96-103, 139-149 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/226-242 ; Ibn Jawzî al-
Muntadhim 4/86-88 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/363-365 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/92-108 ; Tabarî 2/293-306 ;
Wâqidî Ridda 167-213.
81. Cf. G. W. Bowersock, Le Trône d’Adoulis. Les guerres de la mer Rouge à la veille de
l’Islam, Albin Michel, 2014.
82. Yâqût 2/269-271.
83. Yâqût 5/266-271.
84. Yâqût 5/34-35.
85. Yâqût 2/169.
86. Dhahabî Siyar 3/269-280.
87. Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb 3/404 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 58/430 ; Ibn al-Athîr Usd
4/419 ; Tabaqât 3/587.
88. Pour le portrait d’al-Aswad et son apparition au Yémen comme concurrent de Muhammad,
nous nous référons notamment aux sources suivantes : Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/196-201 ; Ibn
Kathîr Bidâya 6/339-342 ; Tabarî 2/247-253.
89. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/197.
90. Yâqût 3/425-431.
91. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/226 ; Tabarî 2/293.
92. Wâqidî Ridda 170-213.
93. Dhahabî Siyar 3/362-365.
94. Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 3/382.
95. Wâqidî Ridda 186-187.
96. Yâqût 2/28.
97. Hâkim Mustadrak 3/101 ; Dhahabî Siyar 2/508 ; Muttaqî Kanz 5/734.
98. Yâqût 5/272-274.
99. Tabarî 2/305. On trouve le même récit chez Balâdhurî Futûh 142.
100. Ibn al-Athîr Usd 1/118.
101. Ibn al-Athîr Usd 1/118.
102. Ibn Kathîr Bidâya 5/300.

III. Un étendard noir sur l’Irak et la Syrie


1. Yâqût 3/272-275.
2. Pour le récit de l’invasion de l’Irak par les armées du calife Abû Bakr, nous nous référons aux
sources suivantes : Balâdhurî Futûh 155-156, 337-350 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/221 ; Ibn
al-Athîr al-Kâmil 2/234-245 ; Ibn Jawzî al-Muntadhim 4/111 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/363-365 ;
Tabarî 2/307-328 ; Wâqidî Ridda 215-230.
3. Wâqidî Ridda 219.
4. Yâqût 1/76-78.
5. Yâqût 2/328-331.
6. Yâqût 2/487-489.
7. Yâqût 4/431.
8. Dhahabî Siyar 3/229.
9. Yâqût 5/88.
10. Yâqût 5/383.
11. Yâqût 1/248.
12. Tabarî 2/315.
13. Yâqût 1/254.
14. Tabarî 2/315. Il prend soin d’utiliser le mot fay’ qui désigne un butin obtenu sans combat
lorsque l’adversaire présumé déclare forfait.
15. Yâqût 1/331-332.
16. Yâqût 1/257-258.
17. Yâqût 4/176-177.
18. Cf. Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., p. 32.
19. Yâqût 2/266-267.
20. Yâqût 2/391.
21. Yâqût 5/144.
22. Yâqût 2/86.
23. Yâqût 3/151.
24. Yâqût 4/243-244.
25. Tabarî 2/328.
26. Tabarî 2/328.
27. Cf. Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., voir le chapitre I « L’expédition de Tabûk ».
28. Pour le récit de la conquête de la Syrie sous le règne du calife Abû Bakr, nous nous référons
aux sources suivantes : Balâdhurî Futûh 149-158 ; Dhahabî Târîkh 3/81-86 ; Diyâr Bakrî Târîkh
al-khamîs 2/222-236 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/248-261 ; Ibn al-Jawzî Muntadhim 4/115-123 ; Ibn
Kathîr Bidâya 7/5-20 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/109-160 ; Tabarî 2/331-348 ; Wâqidî Futûh al-Shâm 1/5-
85.
29. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/78 ; Muttaqî Kanz 15/478 ; Suyûtî Jâmi‘ al-ahâdîth 35/22 ;
Tabarî 2/331.
30. Cf. supra, p. 115.
31. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 58/431 ; Tabaqât 3/587.
32. Dans le même ordre d’idées, la Tradition rapporte une scène tout aussi éloquente où on voit
‘Umar interpeller Khâlid ibn al-Walîd : « D’où te vient toute cette richesse ? », lui demande-t-il
avant de lui confisquer une part non négligeable de sa fortune (Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq
16/266).
33. Pour la notice biographique de Khâlid ibn Sa‘îd, voir les sources suivantes : Dhahabî Siyar
3/160-161 ; Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb 2/420-424 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/76-86 ; Ibn al-
Athîr Usd 1/574-576 ; Ibn Hajar Isâba 2/202-204 ; Mizzî Tahdhîb 8/81-83 ; Tabaqât 4/94-100.
34. Yâqût 2/67.
35. Yâqût 1/489.
36. Yâqût 1/50.
37. Yâqût 3/163-164.
38. Yâqût 4/347.
39. Balâdhurî Futûh 149.
40. Exégèse de Mujâhid 1/281 ; Exégèse de Tabarî 14/287 ; Tabarânî al-Mu‘jam al-kabîr 11/63 ;
Exégèse d’Abû Hayyân 5/431 ; Suyûtî al-Durr al-manthûr 4/213.
41. De son vrai nom Samîfa‘ ibn Nâkûr (Ibn al-Athîr Usd 2/24).
42. Yâqût 4/338-339.
43. Yâqût 5/101.
44. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/21.
45. Yâqût 5/116-117.
46. Plusieurs sources de la Tradition évoquent ce pèlerinage secret de Khâlid ibn al-Walîd. Ibn
al-Athîr (al-Kâmil 2/246-248), Ibn al-Jawzî (al-Muntadhim 4/111) et Tabarî (2/328-329) lui
consacrent des chapitres.
47. Ibn Abî Shayba Musannaf 2/265 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/250-251 ; Ibn Hajar Isâba
2/218.
48. Yâqût 2/91-92.
49. Yâqût 4/96-98.
50. Balâdhurî Futûh 149.
51. Ibn ‘Abd Rabbih ‘Iqd 1/116.
52. Tabarî 2/339.
53. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/9.
54. Yâqût 2/417.
55. Yâqût 5/31.
56. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/22.
57. Ibn Kathîr Bidâya 7/9.
58. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/248.
59. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 2/87 ; Ibn Hibbân Thiqât 2/185 ; Tabarî 2/345.
60. Ibn Kathîr Bidâya 7/8 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/143 ; Tabarî 3/242.
61. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/229 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/260 ; Kulâ‘î Iktifâ’
2/143 ; Tabarî 2/329.
62. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 2/87 ; Ibn Hibbân Thiqât 2/185 ; Tabarî 2/345.
63. Toutes les informations qui figurent dans ce dialogue imaginé entre Khâlid et le messager du
calife figurent dans les sources de la Tradition : Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/247 ; Ibn Kathîr Bidâya
6/388 ; Tabarî 2/329. Les auteurs précisent que les mariages de ‘Alî avec Umâma, la nièce de sa
femme ainsi que le mariage de ‘Umar avec sa cousine ‘Âtika ont eu lieu au courant de l’an XII
de l’Hégire.
64. Le vrai prénom d’Abû l-‘Âs est Mahsham. Il est le gendre du Prophète et le neveu de
Khadîja bint Khuwaylid, la première épouse du Prophète (il est en effet le fils de sa sœur Hela
bint Khuwaylid). Ibn Jawzî al-Muntadhim 4/113 ; Dhahabî Siyar 3/201-203.
65. Dhahabî Siyar 3/203.
66. Majlissî Bihâr al-anwâr 43/217.
67. Abû Dâwûd Sunan 2/185 ; Ibn Hanbal Musnad 31/240, 31/229 ; Bayhaqî Sunan 7/502 ;
Bukhârî 3/1364, 5/2004 ; Dhahabî Siyar 5/430 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 58/159 ; Ibn al-
Athîr Usd 6/222 ; Ibn Habbân Sahîh 15/405 ; Ibn al-Jawzî Sifat al-safwa 1/310 ; Ibn Mâjah
Sunan 1/643-644 ; Muslim 7/140 ; Nasâ’î Sunan 7/457-458 ; Suhaylî Rawdh 7/236 ; Tabarânî al-
Mu‘jam al-kabîr 20/18 ; Tirmidhî Sunan 5/698.
68. Muttaqî Kanz 13/633 ; Suyûtî Jâmi‘ al-ahâdîth 28/164 ; Tabaqât 8/265.
69. Sur le viol de ‘Âtika par ‘Umar, voir : Muttaqî Kanz 13/633 ; Suyûtî Jâmi‘ al-ahâdîth
25/500 ; Tabaqât 8/265.
70. Tabaqât 8/265. Dans une autre version, c’est ‘Alî qui demande à ‘Âtika de restituer l’héritage
de son ex-mari à la famille (Muttaqî Kanz 16/553).
71. Ibn al-Athîr Usd 6/184. Voir également : Halabî Sîra 3/169 ; Muttaqî Kanz 16/553 ; Safadî
al-Wâfî 16/319.
72. Ibn al-Athîr Usd 6/185 ; Safadî al-Wâfî 16/319. Rappelons que ‘Âtîka, après la mort de
‘Umar, épousera en troisièmes noces Zubayr ibn al-‘Awwâm, le cousin du Prophète. Veuve pour
la troisième fois, elle refusera la demande en mariage de ‘Alî mais acceptera en revanche
d’épouser Hassan, le fils de ‘Alî, selon Safadî (Safadî al-Wâfî 16/319).
73. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/252 ; Tabarî 3/242.
74. Pour le récit de l’arrivée de Khâlid en Syrie et sa participation à la conquête de cette région,
nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî Futûh 149-158 ; Dhahabî Târîkh 3/81-86 ;
Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/222-236 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/248-261 ; Ibn al-Jawzî
Muntadhim 4/115-123 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/5-20 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/109-160 ; Tabarî 2/331-348 ;
Wâqidî Futûh al-Shâm 1/5-85.
75. Yâqût 3/245.
76. Yâqût 4/317-318.
77. Yâqût 3/271.
78. Yâqût 2/315-316.
79. Yâqût 4/219.
80. Yâqût 3/21-22.
81. Balâdhurî Futûh 154-155 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/254 ; Yâqût 2/85.
82. Yâqût 2/154.
83. Yâqût 1/519.
84. Cf. supra, p. 144-145.
85. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/59.
86. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/59.
87. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/59.
88. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/59.
89. Ibn Abî Shayba Musannaf 11/367.
90. Ibn Kathîr Bidâya 7/13.
91. Yâqût 5/354-355.
92. Dhahabî consacre un chapitre aux victimes tombées dans la bataille d’Ajnâdayn (Siyar
3/192-194).
93. Cf. supra p. 115 et 154.
94. Ibn Kathîr Bidâya 7/18.
95. Wâqidî Futûh al-Shâm 1/49-52.
96. Ibn al-Athîr Usd 6/321.

IV. La mort d’un commis de Dieu


1. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/235 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/204 ; Wâqidî Futûh 1/62.
2. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/259-260 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/22 ; Ibn al-Jawzî Muntadhim 4/124 ;
Kulâ‘î Iktifâ’ 2/399 ; Tabarî 2/345.
3. Toutes les informations qui figurent dans ce portrait d’Abû Bakr sont puisées aux sources
suivantes : Abû Dâwûd Sunan 3/212-219 ; Abû Nu‘aym Hilyat al-awliyâ’ 1/28-38 ; Baghdâdî
Muhabbâr 12-13 ; Balâdhurî Ansâb 10/51-75 ; Bukhârî 3/1337-1346 ; Dhahabî Siyar 2/355-
397 ; Hâkim Mustadrak 3/64-84 ; Haythamî Majma‘ al-zawâ’id 9/40-60 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh
Dimashq 30/3-362 (tout ce tome 30 est consacré à Abû Bakr) ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/263-266 ;
Ibn al-Athîr Usd 3/205-231 ; Ibn Bakkâr Jamharat nasab Quraysh 1/366-380 ; Ibn Hanbal
Fadhâ’il al-sahâba 1/65-243 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 4/53-64 ; ‘Isâmî Samt al-nujûm 2/324-
466 ; Jâhiz ‘Uthmâniyya 25-42 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/73-268 ;
Muttaqî Kanz 12/485-544 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/8-46, 19/130-146 ; Suyûtî Târîkh al-
khulafâ’ 26-89 ; Tabaqât 3/169-213 ; Tabarî 2/230-235.
4. D’après Diyâr Bakrî (Târîkh al-khamîs 2/199), Abû Bakr portait le prénom « païen » de ‘Abd
al-Ka‘ba et c’est Muhammad qui, après l’avènement de l’islam, lui aurait donné le prénom
musulman de ‘Abd-Allâh.
5. Ibn Bakkâr Jamharat nasab Quraysh 1/363-380 ; Kalbî Jamharat al-nasab 79-84.
6. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/29 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/84.
7. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/29 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/84.
8. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 1/294 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/47 ; Ibn Kathîr Bidâya
3/41 ; ‘Isâmî, Samt al-nujûm 1/372 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/75.
9. Abû Ya‘lâ Musnad 6/362 ; Hâkim Mustadrak 3/70 ; Haythamî Majma‘ al-zawâ’id 6/17 ;
Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/95 ; Muttaqî Kanz 12/497 ; Suyûtî Jâmi‘ al-
ahâdîth 34/89.
10. Nawawî Sharh 7/89.
11. Ibn al-Athîr Usd 3/362-365.
12. Ibn al-Athîr Usd 3/477-478.
13. Jâhiz ‘Uthmâniyya 35.
14. Dhahabî Siyar 2/356 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/66 ; Jâhiz ‘Uthmâniyya 32-33 ;
Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/13 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 34.
15. « Mais celui qui craint Dieu en sera écarté, comme celui qui donne de son bien pour se
purifier » (92 : 17-18). De nombreux exégètes s’accordent à dire que ce verset a été révélé au
sujet d’Abû Bakr (voir : Exégèse d’Ibn Kathîr 8/420 ; Suyûtî al-Durr al-manthûr ; Exégèse de
Tabarî 24/471).
16. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/333 ; ‘Isâmî Samt al-nujûm 2/447 ; Muttaqî Kanz 12/487 ;
Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 29.
17. Bayhaqî Dalâ’il 2/477 ; Dhahabî Siyar 2/313 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira
1/106 ; Muttaqî Kanz 12/494.
18. Dhahabî Siyar 3/520-524 ; Ibn al-Athîr Usd 6/9-10 ; Ibn Bakkâr Jamharat nasab Quraysh
1/373-375.
19. Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 33.
20. Cf. Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., p. 125-127.
21. Ibn Abî Dâwûd Kitâb al-Masâhif 51 ; Muttaqî Kanz 12/486 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 50.
22. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/316 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/264 ; Ibn Kathîr Bidâya 6/347 ;
Muttaqî Kanz 5/664 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/131 ; Suyûtî Jâmi‘ al-ahâdîth 25/25.
23. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/395 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 50.
24. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/152 ; ‘Isâmî Samt al-nujûm 2/430 ; Muttaqî Kanz 11/558 ;
Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/23 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 49.
25. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/343.
26. Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 49.
27. Cf. La Déchirure, op. cit., acte III.
28. Muttaqî Kanz 6/527 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 59.
29. Balâdhurî Ansâb 10/108-110 ; Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb 4/1876-1880 ; Ibn al-Athîr Usd
(3/195-196 ; 6/183-185) ; Ibn Hajar Isâba (4/25-26 ; 8/227-228) ; Ibn Kathîr Bidâya (6/372 ;
6/389) ; Tabaqât (3/172-173 ; 8/265-266).
30. Dhahabî Siyar 4/67-74.
31. Abû l-Faraj al-Isfahânî Aghânî 17/356-360 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 70/56-60.
32. Balâdhurî Ansâb 10/104.
33. Abû l-Faraj al-Isfahânî Aghânî 3/315 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 69/248-260.
34. Dhahabî Siyar 2/365 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/461 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab
19/145 ; Tabaqât 3/210 ; Tabarî 2/352.
35. Dhahabî Târîkh 3/115 ; Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/236 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq
30/409 ; Ibn al-Athîr Usd 3/230 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 4/129 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-
Riyâdh al-nadhira 1/259 ; Muttaqî Kanz 12/537 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 65 ; Tabaqât 3/198 ;
Tabarî 2/347-348.
36. Balâdhurî Ansâb 11/310 ; Ibn Abî Shayba Musannaf 7/93 ; Ibn al-Athîr Usd 3/222 ; Muhibb-
Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/259 ; Muttaqî Kanz 12/532 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 60.
37. Cf. Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., chapitre XIV.
38. Balâdhurî Ansâb 10/91 ; Dhahabî Târîkh 3/115 ; Hâkim Mustadrak 3/66 ; Ibn ‘Abd al-Barr
Istî‘âb 3/977 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/409 ; Ibn al-Athîr Usd 3/230 ; Muhibb-Eddîn al-
Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/258 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/128 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’
65 ; Tabaqât 3/201.
39. Ibn ‘Abd al-Barr Istî‘âb 3/977 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/208 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/129 ;
Tabarânî al-Mu‘jam al-kabîr 1/61.
40. Balâdhurî Ansâb 10/92 ; Dhahabî Siyar 3/519 ; Tabaqât 8/284.
41. Toutes les sources arabes évoquées plus haut rapportent dans leur récit de l’agonie d’Abû
Bakr l’épisode du testament qu’il a dicté peu de temps avant sa mort. Voir, entre autres :
Balâdhurî Ansâb 10/76-98 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/262-268 et Usd 3/662-665 ; Ibn al-Jawzî al-
Muntadhim 4/125-133 ; Ibn Shabba Târîkh al-Madîna 2/665-673 ; ‘Isâmî Samt al-nujûm 2/467-
470 ; Kulâ‘î Iktifâ’ 2/164-169 ; Muttaqî Kanz 5/674-685 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/128-130 ;
Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 65-69 ; Tabaqât 3/192-200 ; Tabarî 2/347-354.
42. Voir supra p. 87.
43. Voir La Déchirure, op. cit., p. 173.
44. Voir La Déchirure, op. cit., p. 15-23.
45. Halabî Sîra 3/184.
46. Ibn al-Athîr Usd 2/467-481.
47. Certains auteurs de la Tradition, comme Balâdhurî, emploient les trois substantifs en même
temps : fadhâdhatahu wa-ghildhatahu wa-shiddatahu. (Ansâb 10/89).
48. Voir Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., chapitre XII.
49. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/267 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/152.
50. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/267 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/153.
51. Ibn al-Athîr Usd 3/666 ; Ibn Shabba Târîkh al-Madîna 2/667 ; ‘Isâmî, Samt al-nujûm 2/468 ;
Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 66 ; Tabaqât 3/199.
52. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/267 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/153 ; Tabarî 2/352.
53. Voir La Déchirure, op. cit., acte premier.
54. Balâdhurî Ansâb 2/269 ; Ibn Qutayba al-Imâma wa-l-siyâsa 30 ; Jawharî al-Saqîfa wa-Fadak
62.
55. Pendant le mandat d’Abû Bakr, ‘Umar est le « Premier ministre », selon les termes d’Ibn
Hajar (Isâba 1/61).
56. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/263 ; Tabarî 2/351. La même information figure dans d’autres
sources comme par exemple : Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 4/70 et Nuwayrî Nihâyat al-arab
19/144.
57. Balâdhurî Ansâb 10/71 ; Tabaqât 3/186 ; Tabarî 2/354.
58. Diyâr Bakrî Târîkh al-khamîs 2/200 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/231.
59. Voir La Déchirure, op. cit., p. 174-177.
60. Cf. supra p. 95.
61. Ibn Abî l-Hadîd Sharh al-nahj 2/28.
62. Voir La Déchirure, op. cit., p. 110.
63. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 2/53 ; Ibn Manzûr Mukhtasar 1/173 ; Dhahabî Siyar 2/374 ;
Dhahabî Târîkh 3/20 ; Suyûtî Jâmi‘ al-ahâdîth 25/237 ; Muttaqî Kanz 10/158.
64. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/267 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/153 ; Tabarî 2/352.
65. Pour ce qui concerne le salaire du calife et les différentes augmentations dont il a bénéficié
nous nous référons aux sources suivantes : Balâdhurî Ansâb 10/69-72 ; Bayhaqî Sunan 6/574 ;
Bukhârî 3/57 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/266 ; Ibn al-Athîr Jâmi‘ al-usûl 10/574 ; Muhibb-Eddîn al-
Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/255-257 ; Muttaqî Kanz 5/603 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/132-
133 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 63-65 ; Tabaqât 3/185 ; Tabarî 2/354-355 ; Tabrîzî Mishkât al-
masâbîh 2/106.
66. Yâqût 3/265.
67. Voir La Déchirure, op. cit., p. 113 pour le mystère du coffre de Sunh.
68. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/265 ; Muttaqî Kanz 5/614.
69. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/265 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/131.
70. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/265 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/131.
71. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/265 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/131.
72. Dhahabî Târîkh 3/119 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/325 ; Ibn Shabba Târîkh al-Madîna
2/670 ; Muttaqî Kanz 12/541 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/133 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 63 ;
Tabaqât 3/196.
73. Tabarî 2/354. La même information figure dans les sources suivantes : Abû Nu‘aym Hilyat
al-awliyâ’ 6/308 ; Balâdhurî Ansâb 10/72 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/265 ; Ibn al-Jawzî al-
Muntadhim 4/73 ; Muttaqî Kanz 12/541 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/133 ; Suyûtî Târîkh al-
khulafâ’ 63 ; Tabaqât 3/196.
74. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/265 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/134.
75. Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/255.
76. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/320 ; Muttaqî Kanz 5/615 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab
19/131 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 64 ; Tabaqât 3/213.
77. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/265 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/131.
78. Abû Nu‘aym Hilyat al-awliyâ’ 6/242 ; Balâdhurî Ansâb 10/78.
79. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/266.
80. Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/255.
81. Ibn Bakkâr Jamharat nasab Quraysh 1/135 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 67.
82. Diyâr Bakrî Târîkh al-Khamîs 3/240 ; Ibn al-Jawzî al-Muntadhim 8/124 ; Muhibb-Eddîn al-
Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 1/229.
83. Les regrets exprimés par Abû Bakr au moment de son agonie figurent dans plusieurs sources
de la Tradition : Dhahabî Siyar 2/364 ; Ibn ‘Abd Rabbih ‘Iqd 5/21-22 ; Ibn Abî l-Hadîd sharh al-
nahj 2/46-47 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/422-423 ; Ibn Qutayba al-Imâma wa-l-siyâsa 36-
37 ; Jawharî al-Saqîfa wa-Fadak 45 ; Mas‘ûdî Murûj al-dhahab 2/308 ; Tabarî 2/353.
84. Ibn Hajar Isâba 1/240 ; Mizzî Tahdhîb 3/290-291.
85. Ibn al-Athîr Usd 6/240-241. Cf. note 9 p. 226.
86. Voir La Déchirure, op. cit., p. 86-88.
87. Voir La Déchirure, op. cit., p. 178.
88. Balâdhurî Ansâb 10/92 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/437, Tabaqât 8/284 ; Tabarî 2/348-
349.
89. Balâdhurî Ansâb 10/93 ; Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 30/431, Muttaqî Kanz 12/537 ; Suyûtî
Jâmi‘ al-ahâdîth 25/215 ; Tabarî 2/349.
90. Muttaqî Kanz 12/537 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 68 ; Tabaqât 3/209 ; Tabarî 2/349.
91. Balâdhurî Ansâb 10/87 ; Tabarî 2/349.
92. Muttaqî Kanz 12/537 ; Suyûtî Târîkh al-khulafâ’ 68 ; Tabaqât 3/209 ; Tabarî 2/349.
93. Ibn Khallikân Wafiyyât al-a‘yân 3/14 ; Muhibb-Eddîn al-Tabarî al-Riyâdh al-nadhira 2/314 ;
Tabaqât 7/127.
94. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/432 ; Tabarî 2/355 ; Tabaqât 7/127. La fameuse dirra ‘umariyya, « le
fouet de ‘Umar », a une réputation légendaire : on dit qu’elle était plus impressionnante que
l’épée du sanguinaire gouverneur d’Irak al-Hajjâj ibn Yûsuf.
95. Voir La Déchirure, op. cit., p. 113-120.
96. Dhahabî Siyar 3/231-232 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/268 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/23 ; Kulâ‘î
Iktifâ’ 2/217 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/154 ; Tabarî 2/355.
97. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/268 ; Nuwayrî Nihâyat al-arab 19/154.
98. Dhahabî Siyar 3/232.
99. Dhahabî Siyar 3/233 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/268 ; Ibn Bakkâr Jamharat nasab Quraysh
1/496-497 ; Tabarî 2/355.
100. Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/268 ; Tabarî 2/355.
101. Ibn ‘Asâkir Târîkh Dimashq 16/268 ; Ibn Kathîr Bidâya 7/23.
102. Cf. Les Derniers Jours de Muhammad, op. cit., p. 133-134.
103. Balâdhurî Ansâb 10/95 ; Ibn al-Athîr al-Kâmil 2/263 ; Ibn Hajar Isâba 6/427 ; Ibn Shabba
Târîkh al-Madîna 2/676 ; Muttaqî Kanz 15/731 ; Suyûtî Jâmi‘ al-ahâdîth 28/348 ; Tabaqât
3/208 ; Tabarî 2/349-350.
SOURCES ARABES

À la fin de chaque référence bibliographique, nous avons indiqué entre


crochets l’abréviation utilisée dans les notes.

Sources de la Tradition
‘Abd-al-Razzâq (al-San‘ânî), al-Musannaf fî l-hadîth, éd. H. R. al-
A‘dhamî, 11 tomes, Beyrouth, al-Maktab al-islâmî, 1982 [‘Abd-al-
Razzâq Musannaf].
Abû Dâwûd (al-Sijistânî), Sunan, éd. M. A. al-Khâlidî, 4 tomes, Beyrouth,
Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1996 [Abû Dâwûd Sunan].
Abû l-Faraj (al-Isfahânî), Kitâb al-Aghânî, éd. S. Jabeur, 24 tomes,
Beyrouth, Dâr al-fikr, s. d. [Abû l-Faraj al-Isfahânî Aghânî].
Abû l-Fidâ, al-Mukhtasar fî târîkh al-bashar, 4 tomes, al-Matba‘a al-
husayniyya al-masriyya, 1907 [Abû l-Fidâ al-Mukhtasar].
Abû Hayyân (al-Andalusî), al-Bahr al-muhît fî l-tafsîr, éd. S. M. Jamîl,
11 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr, 2010 [Exégèse d’Abû Hayyân].
Abû Nu‘aym (al-Isfahânî), Hiliyat al-awliyâ’ wa-tabaqât al-asfiyâ’,
10 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr, 1996 [Abû Nu‘aym Hiliyat al-
awliyâ’].
Abû Ya‘lâ (al-Mawsilî), al-Musnad, éd. H. S. Assad, 16 tomes, Beyrouth,
Dâr al-Ma’mûn li-l-turâth, 1989 [Abû Ya‘lâ Musnad].
Alûsî al- (Shihâb al-Dîn), Rûh al-ma‘ânî fî tafsîr al-Qur’ân al-‘adhîm, éd.
A. A. Attia, 16 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1994 [Alûsî
Rûh al-ma‘ânî].
Azdî al- (Abû Ismâ‘îl Muhammad ibn ‘Abd-Allâh), Futûh al-Shâm, éd.
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Hâkim al- (Abû ‘Abd-Allâh al-Nîsâbûrî), al-Mustadrak ‘alâ al-Sahîhayn,
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Haythamî al- (Nûr al-Dîn), Majma‘ al-zawâ’id wa-manba‘ al-fawâ’id, éd.
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Ibn ‘Abd Rabbih (al-Andalusî), al-‘Iqd al-farîd, éd. M. M. Qumayha,
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Ibn Abî l-Hadîd, Sharh nahj al-balâgha, éd. M. A. Ibrâhîm, 20 tomes,
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Ibn Abî Shayba (Abû Bakr), al-Musannaf fî l-ahâdîth wa-l-âthâr, éd. A. H.
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‘Arabî, Muhâdharat al-abrâr].
Ibn ‘Asâkir (Abû l-Qâsim), Târîkh madînat Dimashq, éd. M. al-‘Amrâwî,
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Ibn al-Athîr (Majd al-Dîn Abû l-Sa‘âdât), al-Nihâya fî gharîb al-hadîth
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Ibn al-Athîr (‘Izz al-Dîn), al-Kâmil fî l-târîkh, éd. U. A. Tadmurî,
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Kâmil].
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1989 [Ibn al-Athîr Usd].
Ibn Bakkâr (Zubayr), al-Akhbâr al-muwafaqiyyât, éd. S. M. al-‘Ânî,
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Quraysh].
Ibn Hajar al-‘Asqalânî, al-Isâba fî tamyîz al-sahâba, éd. A. M. Bijaoui,
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Ibn Hanbal, al-Musnad (Musnad Ahmad), éd. S. al-Arna’ût et al.,
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–, Fadhâ’il al-sahâba, éd. W. M. Abbâs, 2 tomes, Beyrouth, Mu’asasat al-
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Ibn Hazm (al-Andalusî), al-Muhallâ bi-l-âthâr, éd. A. S. al-Bindârî,
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Ibn Hibbân, al-Sahîh, éd. S. al-Arna’ût, 18 tomes, Beyrouth, Mu’asasat al-
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Ibn Hishâm, al-Sîra al-nabawiyya, éd. M. al-Saqqa et al., 2 tomes,
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Ibn Hubaysh (Abû l-Qâsim), Kitâb al-ghazawât, éd. A. ‘Unîm, Le Caire,
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Ibn Ishâq, Kitâb al-siyar wa-l-maghâzî (al-Sîra), éd. S. Zakkâr, Beyrouth,
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Ibn al-Jawzî, al-Muntadhim fî târîkh al-mulûk wa-l-umam, éd. M. A. ‘Atâ
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–, al-Bidâya wa-l-nihâya, éd. A. Shîrî, 14 tomes, Dâr Ihyâ’ al-turâth
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[Ibn Kathîr Sîra].
Ibn Khaldûn, Dîwân al-mubtada’ wa-l-khabar fî târîkh al-‘arab wa-l-
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Ibn Khallikân, Wafiyyât al-a‘yân wa-anbâ’ abnâ’ al-zamân, éd. I. Abbâs,
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Ibn Mâjah, al-Sahîh (Sunan Ibn Mâjah), éd. M. F. ‘Abd al-Bâqî, 2 tomes,
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Ibn Manzûr, Mukhtasar târîkh Dimashq, éd. R. Nahhâs, R. A. Murâd et
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Ibn Qutayba (al-Dînawarî), al-Ma‘ârif, éd. T. ‘Ukâsha, Le Caire, al-Hay’a
al-misriyya al-‘âmma li-l-kitâb, 1960 [Ibn Qutayba Ma‘ârif].
–, Ta’wîl mukhtalaf al-hadîth, al-Maktab al-islâmî Mu’asasat al-Ishrâq,
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shi‘r wa-l-shu‘arâ’ ].
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Ibn Rajab (Zayn al-Dîn), Fath al-bârî sharh sahîh al-Bukhârî, éd.
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Ibn Sa‘d, al-Tabaqât al-kubrâ, éd. I. Abbâs, 8 tomes, Beyrouth, Dâr Sâdir,
1968 [Tabaqât].
Ibn Sayyid al-Nâs (al-Ya‘murî), ‘Uyûn al-athar fî funûn al-maghâzî wa-l-
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Ibn Shabba, Târîkh al-Madîna al-munawwara, éd. F. M. Shaltut, Jeddah,
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Ibn Tayfûr (Abû l-Fadhl), Balaghât al-nissa’, éd. A. al-Alfî, Le Caire,
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‘Isâmî al-, Samt al-nujûm al-‘awâlî fî anbâ’ al-awâ’il wa-l-tawâlî,
4 tomes, éd. A. A. Abdelmawjûd et A. M. Mu‘awwadh, Beyrouth, Dâr
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Jâhiz al- (Abû ‘Uthmân), al-Bayân wa-l-tabiyîn, éd. A. M. Hârûn, 4 tomes,
Le Caire, Maktabat al-Khânjî, 1998 [Jâhiz al-Bayân].
–, Kitâb al-Hayawân, éd. A. M. Hârûn, 4 tomes, Le Caire, Maktabat al-
Halabî, 1966 [Jâhiz al-Hayawân].
–, al-‘Uthmâniyya, éd. A. M. Hârûn, Beyrouth, Dâr al-jîl, 1991 [Jâhiz
‘Uthmâniyya].
Jawharî al-, al-saqîfa wa-Fadak, éd. B. M. al-Sâ‘idî, Karbalâ’, al-‘Ataba
al-hussayniyya al-muqaddassa, 2010 [Jawharî al-saqîfa wa-Fadak].
Kalbî al- (Hishâm ibn Muhammad ibn al-Sâ’ib), Kitâb Mathâlib al-‘arab,
éd. Najâh al-Tâ’î, Beyrouth, Dâr al-Hudâ, 1996 [Kalbî Mathâlib].
–, Jamharat al-nasab, éd. N. Hassan, Beyrouth, ‘Âlam al-kutub/Maktabat
al-nahdha al-‘arabiyya, 1986 [Kalbî Jamharat al-nasab].
Kulâ‘î al- (Abû l-Rabî‘), al-Iktifâ’ bi-mâ tadhammanahu min maghâzî
rasûl Allâh wa-l-thalâthati al-khulafâ’, éd. M. K. ‘Izz al-Dîn ‘Alî,
2 tomes, Beyrouth, ‘Âlam al-kutub, 1997 [Kulâ‘î Iktifâ’].
Kulaynî al-, Usûl al-Kâfi, éd. A. A. al-Ghaffârî, Téhéran, Dâr al-kutub al-
islâmiyya, 1943 [Kulaynî al-Kâfî].
Madanî al-, al-Darajât al-rafî‘a fî tabaqât al-shî‘a, éd. M. S. Bahr
al-‘Ulûm, Qumm, Maktabat Basirati, 1976 [Madanî al-Darajât al-
rafî‘a].
Majlissî al-, Bihâr al-anwâr, éd. M. B. Bihbîdî, Beyrouth, Mu’asasat al-
wafa’, 1983 [Majlissî Bihâr al-anwâr].
Mâlik ibn Anas, al-Muwatta’, éd. M. F. ‘Abd al-Bâqî, Beyrouth, Dâr Ihyâ’
al-turâth al-‘arabî, 1985 [Mâlik Muwatta’].
Mas‘ûdî al- (Abû l-Hassan), Murûj al-dhahab wa-ma‘âdin al-jawhar, éd.
M. M. Abdelhamid, 2 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr, 1973 [Mas‘ûdî
Murûj al-dhahab].
Mizzî al- (Abû l-Hajjâj), Tahdhîb al-kamâl fî asmâ’ al-rijâl, éd. B. A.
Ma‘rûf, 35 tomes, Beyrouth, Mu’asasat al-Risâla, 1980 [Mizzî
Tahdhîb].
Mufîd (Muhammad ibn Muhammad al-Nu‘mân al-‘Ukbarî al-Shaykh al-),
al-Irshâd fî ma‘rifat hujaj Allâh ‘alâ al-‘ibâd, éd. Mu’asasat Âl al-
bayt, 2 tomes, Dâr al-Mufîd, 1993 [Mufîd al-Irshâd].
–, al-Muqni‘a, Qumm, Mu’asasat al-nashr al-islâmî, 1990 [Mufîd
Muqni‘a].
Mujâhid ibn Jabr, Tafsîr, éd. M. A. Abî l-Nîl, 2 tomes, Le Caire, Dâr al-
fikr al-islâmî al-hadîtha, 1989 [Exégèse de Mujâhid].
Muslim, al-Jâmi‘ al-sahîh, éd. M. F ‘Abd al-Bâqî, 5 tomes, Beyrouth, Dâr
Ihyâ’ al-kutub al-‘arabiyya, 1991 [Muslim].
Muttaqî al- (al-Hindî), Kanz al-‘ummâl fî sunan al-aqwâl wa-l-af‘âl, éd.
B. Hayyani et S. al-Saqqa, Beyrouth, Mu’asasat al-risâla, 1981
[Muttaqî Kanz].
Nasâ’î al-, al-Sunan al-kubrâ, éd. H. A. Shalabî et S. al-Arna’ût, 10 tomes,
Beyrouth, Mu’asasat al-risâla, 2001 [Nasâ’î Sunan].
–, Kitâb al-wafât, éd. M. S. Zaghlûl, Maktabat al-turâth al-islâmî, s. d.
[Nasâ’î Wafât].
–, Fadhâ’il al-sahâba, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1984 [Nasâ’î
Fadhâ’il al-sahâba].
–, Thalâthatu rasâ’il hadîthiyya, éd. M. H. M. Salmân et A. A. al-Warikât,
al-Zarqâ’ (Jordanie), Maktabat al-Manâr, 1987 [Nasâ’î Rasâ’il].
Nawawî al- (Abû Zakariâ), al-Manâhij. Sharh Sahîh Muslim, 18 tomes,
Beyrouth, Dâr ihyâ’ al-turâth al-‘arabî, 1972 [Nawawî Sharh].
Nuwayrî al-, Nihayât al-arab fî funûn al-adab, 33 tomes, Le Caire, Dâr al-
kutub wa-l-wathâ’iq al-qawmiyya, 2002 [Nuwayrî Nihâyat al-arab].
Qalqashandî al- (Abû l-’Abbâs Ahmad), Nihâyat al-arab fî ma‘rifat ansâb
al-‘arab, éd. I. al-Abiyârî, Beyrouth, Dâr al-kitâb al-lubnânî, 1980
[Qalqashandî Nihâyat al-arab].
Qârî al- (‘Âlî), Mirqât al-mafâtîh sharh mishkât al-masâbîh, 9 tomes,
Beyrouth, Dâr al-fikr, 2002 [Qârî Mirqât al-mafâtîh].
Qurtubî al- (Abû ‘Abd-Allâh), al-Jâmi‘ li-ahkâm al-Qur’ân, éd. A. al-
Bardûnî et I. Atfîsh, 20 tomes, Le Caire, Dâr al-kutub al-misriyya,
1964 [Exégèse de Qurtubî].
Râzî al- (Fakhr al-Dîn), Mafâtîh al-ghayb. al-Tafsîr al-kabîr, Beyrouth,
Dâr ihyâ’ al-turâth al-‘arabî, 1999 [Exégèse d’al-Râzî].
Safadî -al (Salâh al-Dîn), al-Wâfî bi-l-wafiyyât, éd. A. Arna’ût et T.
Mustafâ, 29 tomes, Beyrouth, Dâr Ihyâ’ al-turâth, 2000 [Safadî al-
Wâfî].
Samhûdî al- (Nûr al-Dîn), Wafâ’ al-wafâ bi-akhbâr dâr al-mustafâ, éd. M.
M. ‘Abd al-Hamîd, 4 tomes, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1998
[Samhûdî wafâ’ al-wafâ].
Shahrastânî al-, al-Milal wa-l-nihal, éd. M. S. Kîlânî, 2 tomes, Beyrouth,
Dâr al-ma‘rifa, 1983 [Shahrastânî al-Milal wa-l-nihal].
Shawkânî al-, al-Fawâ’id al-majmû‘a fî l-ahâdîth al-mawdhû‘a, éd. A. al-
Ma‘lamî al-Yamanî, Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, s. d.
[Shawkânî al-Fawâ’id al-majmû‘a].
Suhaylî al-, al-Rawdh al-unuf fî sharh al-sîra al-nabawiyya, éd. U. A. al-
Sallâmî, 7 tomes, Beyrouth, Dâr ihya’ al-turâth al-‘arabî, 2000
[Suhaylî Rawdh].
Sulaym ibn Qays (al-Hilâlî), Kitâb Sulaym ibn Qays (ou Kitâb al-saqîfa),
éd. M. B. al-Ansârî, Qumm, Matba‘at al-Hâdî, 1958 [Kitâb Sulaym].
Suyûtî al- (Jalâl al-Dîn), al-Itqân fî ‘ulûm al-Qur’ân, éd. M. M.
Abdelhamid et M. A. Haykal, Le Caire, Dâr al-Salâm, 2008 [Suyûtî al-
Itqân].
–, al-Durr al-manthûr, 8 tomes, Beyrouth, Dâr al-fikr, 1993 [Suyûtî al-
Durr al-manthûr].
–, Jâmi‘ al-ahâdîth, éd. Ali Jum‘a, 13 tomes, H. A. Zakî, s. d. [Suyûtî
Jâmi‘ al-ahâdîth].
–, Târîkh al-khulafâ’, éd. Hamdî al-Damardâsh, Le Caire, Maktabat Nizâr
Mustafâ Bâz, 2004 [Suyûtî Târîkh al-khulafâ’].
Tabarânî al- (Abû l-Qâsim), al-Mu‘jam al-kabîr, éd. H. al-Silafî, 20 tomes,
Mossoul, Maktabat al-‘ulûm wa-l-hikam, 1983 [Tabarânî al-Mu‘jam
al-kabîr].
–, al-Mu‘jam al-awsat, éd. T. al-Husaynî, 10 tomes, Le Caire, Dâr al-
Haramayn, 1994 [Tabarânî al-Mu‘jam al-awsat].
Tabarî al- (Abû Ja‘far), Târîkh al-umam wa-l-mulûk, 5 tomes, Beyrouth,
Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, 1986 [Tabarî].
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Traduction française du Coran utilisée


MASSON, D., Le Coran. Traduction française, Paris, Gallimard, « La
Pléiade », 1967.
LISTE DES CARTES

1. Carte générale de l’Arabie


2. Irak
3. Syrie
REMERCIEMENTS

Je voudrais dire toute ma gratitude à Julien Darmon des Éditions Albin


Michel pour son aide précieuse et sa lecture aussi attentive que passionnée
durant les différents stades de la rédaction de cet ouvrage.
J’ai également le plaisir de remercier chaleureusement le Pr Abdelaziz
Kacem, immense écrivain tunisien bilingue, pour nos échanges fructueux
ainsi que pour le talent et l’élégance avec lesquels il a traduit les vers du
poète arabe al-Hutay’a cités dans ce livre.
DE LA MÊME AUTEURE

Aux Éditions Albin Michel


Les Derniers Jours de Muhammad. Enquête sur la mort mystérieuse du Prophète, 2016, coll.
« Spiritualités vivantes poche », 2017.
Les Califes maudits, vol. 1 : La Déchirure, 2019.
Table des matières

Titre

Copyright

I - LE FER ET LE FEU

II - LE JARDIN DE LA MORT

III - UN ÉTENDARD NOIR SUR L'IRAK ET LA SYRIE

IV - LA MORT D'UN COMMIS DE DIEU

NOTES

SOURCES ARABES

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

LISTE DES CARTES

REMERCIEMENTS

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