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Elsa Dorlin : Sexe, genre et sexualités.

Introduction à la
théorie féministe
Lorena Parini
Dans Nouvelles Questions Féministes 2009/1 (Vol. 28), pages 127 à 129
Éditions Éditions Antipodes
ISSN 0248-4951
ISBN 9782889010110
DOI 10.3917/nqf.281.0127
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 12/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 147.161.153.29)

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Elsa Dorlin :
Sexe, genre et sexualités.
Introduction
à la théorie féministe 1
Par Lorena Parini

On ne peut que se réjouir qu’Elsa Dorlin ait fait entrer la pensée fémi-
niste dans la collection «Philosophies» aux PUF. Cet ouvrage, très bien
écrit, synthétise remarquablement la pensée féministe, ses débats, ses
apports incontestables, ses paradoxes et ses controverses sur des théma-
tiques essentielles: les épistémologies féministes, l’historicité du sexe, les
sexualités, les identités et le sujet politique du féminisme.

Il n’est pas rare qu’un certain establishment académique me fasse


remarquer que les Études Genre (et encore plus les études féministes) n’ont
rien de scientifique, mais existent à l’université uniquement grâce à la
pression que certains milieux militants ont su exercer auprès des autorités
politiques. Il ne fait aucun doute, comme l’écrivait Colette Guillaumin dans
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son article de 1981, «Femmes et théories de la société» 2, que les pensées
minoritaires sont disqualifiées dans le milieu universitaire car elles viseraient
un but politique et, de ce fait, ne seraient pas «objectives». Elsa Dorlin
empoigne le lien entre production intellectuelle et mouvement social dès le
début du livre et montre toute la fécondité épistémologique de cette
connexion. Ce n’est pas la moindre des qualités de ce livre que de me don-
ner la possibilité de l’offrir à quelques détracteurs de la «scientificité» de la
pensée féministe. En effet, s’il existe encore pléthore de scientifiques qui
pensent, à la manière des positivistes du XIXe siècle, que les faits et les
valeurs ne peuvent coexister dans l’académie, d’autres reconnaissent, heu-
reusement, que cette question est bien plus complexe qu’une simple parti-
tion binaire, alors qu’une troisième espèce d’Homo academicus produit de
l’idéologie sous couvert de science en toute inconscience. On peut recon-
naître à la pensée féministe une contribution considérable à ces réflexions
dont Dorlin résume les principaux apports dans le chapitre «Épistémolo-
gies féministes».

1. Elsa Dorlin (2008). Sexe, genre et sexualités. 2. Cet article est repris dans Sexe, race et pratique
Introduction à la théorie féministe. Paris: PUF, du pouvoir. L’idée de nature (1992), Paris: Côté-
153 pages. femmes. Il s’agit d’un recueil de textes que
Guillaumin a publié entre 1978 et le milieu des
années 1980.

NQF Vol. 28, No 1 / 2009 | 127.


L’ouvrage est construit sur la base de références se situant dans les
espaces francophone et anglophone, ce qui permet de faire connaître au
public académique français des auteur·e·s jusqu’ici peu lu·e·s et par la
même occasion de se défaire d’une certaine pseudo-incompatibilité entre la
pensée anglo-saxonne et française. Accords et désaccords entre les deux
rives de l’Atlantique suivent en effet des lignes épistémologiques plus que
des lignes linguistiques. Si cela pouvait pousser certaines maisons d’édi-
tion françaises à traduire des œuvres importantes pour la pensée féministe,
ce serait une deuxième qualité majeure de cet ouvrage.

Les chapitres proposés abordent des questions très contemporaines


que la pensée féministe et les Études Genre se posent avec acuité. On cons-
tate que les questionnements féministes ont fait des pas énormes en une
trentaine d’années en passant des premières analyses sur la «condition
féminine» à des sujets complexes comme ceux qui s’articulent autour de
l’identité. La lecture de ce livre nous permet de mesurer l’ampleur de cette
progression qui questionne la catégorisation (scientifique et sociale), les
identités et le sujet «femme», la sexualité humaine, le genre de la biologie
ou encore les pratiques de subversion. L’approche est interdisciplinaire,
comme l’est la perspective de genre, et convoque des disciplines aussi
diverses que la biologie, la sociologie, la médecine ou l’histoire, car la
sexuation des représentations et des pratiques embrasse l’ensemble des
activités sociales.

Particulièrement intéressant est l’exposé sur «L’historicité du sexe» qui


revient sur la critique féministe des politiques de normalisation du corps
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notamment dans le cas de réassignation à l’un des deux genres d’enfants
nés intersexes. L’ouvrage se poursuit avec un chapitre consacré à l’hétéro-
normativité et à sa mise en question par les sexualités considérées jusqu’il
y a peu de «déviantes» comme l’homosexualité. Il se termine par une
réflexion sur la subversion développée en deux chapitres: l’un consacré au
«Praxis queer» et l’autre aux «Technologies du sexe». Déconstruire les
catégories qui ont façonné les oppressions multiples (de sexe, d’orientation
sexuelle, etc.) ne permet pas d’emblée de proposer des pratiques ou des
politiques qui seraient capables de subvertir l’ordre existant. Dorlin pré-
sente trois praxis de la subversion qui ont été proposées par l’une ou l’au-
tre autrice féministe: la sexualité lesbienne, la pornographie et les poli-
tiques trans (transsexe-transgenre). La première remet en cause la manière
dont la représentation de la sexualité féminine fait partie de l’économie de
l’hétéronormativité et de la sexualité reproductrice. Comme l’avait écrit
Monique Wittig dans La pensée straight il y a plusieurs années déjà, la les-
bienne remet en question une figure de la féminité, qui passe par l’hétéro-
sexualité, en refusant une sexualité axée sur deux finalités principales : la
pénétration et la reproduction. La deuxième praxis qui pourrait contribuer
à subvertir l’ordre hétéronormatif est la pornographie, ou plutôt le post-
porno. La pornographie classique peut être considérée comme l’un des
dispositifs de l’hétéronormativité, car elle propose des modèles genrés du
désir féminin et masculin. La subversion de ce mode de représentation des

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Elsa Dorlin: Sexe, genre et sexualités. Introduction à la théorie féministe
Par Lorena Parini

désirs par la production d’images post-porno non sexistes, non racistes, non
lesbophobes par exemple, permettrait de modifier ces «régimes de vérité
sur le désir» qui façonnent les identités de sexe. Troisième modèle, celui
prôné par Judith Butler entre autres, c’est-à-dire les politiques queer. Trou-
bler le genre, performer l’étrange, brouiller les codes sociaux du féminin et
du masculin peut amener à une remise en question des dispositifs de la
«police du genre». Mais ni l’un ni l’autre de ces modèles de subversion n’est
à l’abri de produire des effets contraires au but recherché. Est-il inimagi-
nable, par exemple, que la politique queer prônée par Butler pourrait ne
déboucher que sur une récupération médiatico-sensationnaliste de perfor-
mances identitaires? Ou alors que le post-porno produise à son tour des
normes différentes mais tout aussi contraignantes que les images du porno
classique?

Les questions soulevées dans ces derniers chapitres autour de la sub-


version ont le mérite de poser clairement les problèmes d’une pensée
déconstructiviste qui, tout en forgeant des outils de libération de formes de
pensée oppressantes, se confronte aux difficultés de la production de
représentations et de pratiques nouvelles réellement libératrices. Ce n’est
sûrement pas une raison pour condamner, comme le font certain·e·s, l’épis-
témologie de la déconstruction, mais cette difficulté devrait pousser plus
loin encore les réflexions sur les dispositifs de l’oppression sexiste, raciste,
homophobe, etc. À ce titre, un chapitre conclusif thématisant ces questions
et proposant des pistes pour l’avenir aurait été le bienvenu.

Tout compte fait un livre salutaire, précis, érudit qui sera précieux
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comme outil d’enseignement, comme aide à la formulation de projets
de recherche ou pour dépoussiérer les idées de quelques positivistes
invétéré·e·s. I

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