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L'ECRITURE-FEMME, UNE INNOVATION ESTHETIQUE EMBLEMATIQUE

Delphine Naudier

Presses de Sciences Po | « Sociétés contemporaines »

2001/4 no 44 | pages 57 à 73
ISSN 1150-1944
ISBN 2747520498
DOI 10.3917/soco.044.0057
Article disponible en ligne à l'adresse :
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DELPHINE NAUDIER

L’ECRITURE-FEMME, UNE INNOVATION


ESTHETIQUE EMBLEMATIQUE

RÉSUMÉ : Dans les années soixante-dix, parallèlement au mouvement des femmes, une par-
tie des écrivaines a revendiqué une spécificité féminine de l’écriture. Cet article montre com-
ment une identité sexuée stigmatisée s’est transformée en emblème d’une innovation esthéti-
que dans les rangs de l’avant-garde littéraire. Et en quoi « l’écriture femme » a été un enjeu
de classement entre auteurs féminins, et un moyen pour institutionnaliser la tendance « diffé-
rencialiste » minoritaire dans le champ féministe.

Le champ littéraire, comme tous les espaces de pouvoir, a toujours été un bastion
détenu par les hommes. Néanmoins, quelles que soient les périodes, de Christine de
Pisan à George Sand en passant par Louise Labé et Madame de Lafayette, les fem-
mes appartenant aux élites sociales et ayant bénéficié d’une certaine instruction ont
pu acquérir une visibilité au sein du monde des lettres. Pourtant, ces incursions de-
meuraient minoritaires à l’intérieur d’une économie de la valeur littéraire sexuelle-
ment marquée (Planté, 1989 ; Naudier, 2000), où l’opposition « style viril/ roman
sentimental » scelle les deux bornes de l’opposition entre le masculin et le féminin.
La stigmatisation des femmes de lettres s’est élaborée autour de la catégorie
« femme auteur », « bas bleu » (Planté, 1989). Ce marquage sexué amalgamant sous
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ce dénominateur biologique commun tous les auteurs féminins, jugeant et classant
leurs œuvres, imposait une séparation nette entre une littérature écrite par les hom-
mes et une seconde écrite par les femmes. Aujourd’hui une telle opposition apparaît
désuète. Ce qui révèle une évolution des modalités d’appréciation de la littérature
produite par les femmes et la reconnaissance de leur accès à cet univers de la créa-
tion. Il s’agit ici 1 de s’interroger sur les conditions de possibilités qui ont permis aux
auteurs féminins de s’affranchir de cette stigmatisation de leur contribution à la litté-
rature. En portant notre attention sur la revendication d’une « écriture femme » dès
1975, on verra comment quelques écrivaines ont pu jouer d’une certaine conjoncture
sociale et historique pour retourner le stigmate de l’appartenance sexuée en emblème
d’une innovation esthétique.

1. Je remercie Michèle Ferrand et Hervé Serry pour leurs éclairages et critiques au cours de la rédac-
tion de cet article.

Sociétés Contemporaines (2002) n° 44 (p. 57-73)

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DELPHINE NAUDIER

Ces auteures vont s’imposer dans les rangs de l’avant-garde littéraire en mettant au
cœur de leurs livres la revalorisation du féminin. Cette construction sociale et symbo-
lique de la légitimité des écrivaines a été édifiée à la fois en dénonçant la suprématie
masculine dans le monde des Lettres, et en définissant une ligne esthétique qui, théori-
sée, manifeste la possibilité qu’ont les femmes désormais d’occuper visiblement le ter-
ritoire littéraire.
Lutter contre le stéréotype de l’appartenance sexuée en la constituant en emblème
esthétique s’inscrit dans un contexte où un espace des possibles s’ouvre aux femmes.
D’une part, le contexte politique dominé par le mouvement féministe des années
soixante-dix permet de faire entendre l’expression de l’arbitraire des jugements mascu-
lins à leur endroit. D’autre part l’évolution même du champ littéraire où apparaissent
de nouvelles avant-gardes crée une brèche où le « féminin » peut être redéfini comme
subversif.
Nous examinerons le cadre de référence littéraire et intellectuel dans lequel
s’inscrivent ces auteurs ainsi que leur prise de position à l’égard du mouvement fé-
ministe. Puis nous verrons comment « l’écriture femme » s’est imposée au sein de
l’avant-garde littéraire. Enfin, nous nous attacherons à saisir en quoi cette appropria-
tion littéraire et théorique d’un discours sur le corps participe à l’institutionnalisation
de la tendance « différencialiste » minoritaire dans le champ militant.

RENOUVEAU DES AVANT-GARDES LITTERAIRES

Depuis les années cinquante, le champ littéraire est dominé par deux courants
d’avant-garde, l’existentialisme incarné par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir et
le Nouveau roman porté par des auteurs tels que Nathalie Sarraute, Alain Robbe-
Grillet et Marguerite Duras. Le premier vise à défendre une littérature engagée qui
s’inscrit dans une filiation héritée de Zola depuis la fin du xixe siècle. Le second ras-
semble des auteurs ayant une démarche de recherche apparentée à l’art pour l’art. Elle
est perceptible chez les nouveaux romanciers mais également au sein du groupe Tel
Quel à partir des années soixante.
Ces courants littéraires accueillent dans leurs rangs des auteurs féminins bénéfi-
ciant d’une reconnaissance symbolique suffisante pour être affiliés à ces groupes. De
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Simone de Beauvoir 2 à Nathalie Sarraute en passant par Marguerite Duras et Julia
Kristéva, ces femmes participent aux productions esthétiques et théoriques des cou-
rants dans lesquels elles sont reconnues. Ces présences féminines révèlent les possibi-
lités de combiner l’appartenance sexuée et l’innovation esthétique dans les espaces les
plus autonomes du monde des Lettres. La défense d’un rapport distancié aux concep-
tions traditionnelles de la littérature par les fractions d’avant-garde se double ainsi
d’une plus grande admissibilité des femmes écrivains partageant les mêmes orienta-
tions esthétiques au sein de ces groupes. Cet accès des femmes au pôle le plus avant-
gardiste est d’ailleurs concrétisé par l’attribution de quatre prix Médicis 3 à des auteurs

2. Nous avons pris le parti de mentionner le prénom et le nom de l’auteur en son entier lors de la pre-
mière citation. Nous ne citerons ensuite que les noms.
3. Créé en 1958, ce prix couronne un roman, un récit ou un recueil de nouvelles exprimant un « ton
nouveau ». Les lauréates sont Colette Audry en 1962, Monique Wittig en 1964, Marie-Claire Blais
en 1966 et Hélène Cixous en 1969.

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L’ECRITURE-FEMME

féminins entre 1960 et 1969, nombre identique aux lauréates du prix Femina durant la
même décennie.
La concurrence entre ces avant-gardes tourne peu à peu à l’avantage du groupe Tel
Quel qui s’allie aux figures intellectuelles montantes telles que Jacques Derrida, Ro-
land Barthes, Michel Foucault et Gilles Deleuze. Leurs investigations intellectuelles
s’ajustent aux préoccupations politiques des années soixante, dominées par des mou-
vements sociaux et politiques nés en réaction aux guerres coloniales, mais portés éga-
lement par le courant marxiste qui dénonce les différentes formes d’oppression et de
domination. Pour Michel Foucault, « le rôle des intellectuels consiste, depuis un cer-
tain temps déjà, à rendre visible les mécanismes du pouvoir répressif qui se sont exer-
cés de manière dissimulée » (1994 : 772). Ainsi ses travaux sur la folie (1961) et sur le
langage (1966) fondent une critique de la raison et de la société bourgeoise. Ces re-
cherches ont en commun d’analyser et de contribuer à une analyse des différentes mo-
dalités d’exclusion desquelles émerge une réflexion sur l’altérité, la différence ou en-
core l’inconscient. Foucault, Deleuze (1968), Derrida (1967) ou Barthes (1953-1964-
1966), qui en sont les principaux représentants, recueillent les suffrages des généra-
tions qui accèdent aux études supérieures au début des années soixante (Pinto, 1991 :
70). Ils se font les vecteurs d’une pensée dite « subversive » dont les manières
d’appréhender le monde social sont articulées à une volonté de déconstruction des ca-
tégories binaires classiques qui ont conforté la « société bourgeoise ».
En mai 68, dans le champ littéraire, une fraction d’écrivains rassemblés autour du
groupe Tel Quel promeut l’idée d’une subversion de l’ordre social non par un enga-
gement politique mais par l’écriture à qui est attribuée une « fonction de transforma-
tion sociale » (Nouvelle Critique, n° 12, mars 68). L’adhésion à la croyance d’une ré-
volution symbolique fondée sur une remise en question du langage répond au mot
d’ordre lié à la subversion des valeurs bourgeoises, mais circonscrit également
l’espace de l’avant-garde à celui de la recherche esthétique garante de leur légitimité.
Avant d’être politique, engagé sur le terrain des luttes sociales, l’investissement majeur
consiste à rappeler la suprématie d’une révolution esthétique portée par les écrivains.
La revalorisation du concept d’altérité réhabilite les comportements considérés
comme déviants tels que l’homosexualité et la schizophrénie (Lacan), la folie (Fou-
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cault) (Van der Pöel, 1992 : 139) et ouvre la voie à une interrogation sur les catégories
de masculin et de féminin qui se fond dans cette entreprise de déconstruction qui tou-
che tous les champs, dont la littérature (Felman, 1977 : 138-156).

(RE) NAISSANCE DU FEMINISME 4

La dénonciation de toutes les formes d’oppression et d’inégalité portée par le


mouvement de mai 68 met à l’ordre du jour celle des inégalités entre les hommes et

4. Le numéro de Partisans, n°54-55, juillet- octobre, 1970 intitulé Libération des femmes : année 0
marque l’émergence du mouvement féministe. Parmi les auteurs figurent notamment Christine Du-
pont (Delphy), Emmanuèle Durand (de Lesseps) et Christiane Rochefort. Ces différentes contribu-
tions amorcent un travail de réflexion critique sur les rapports de domination hommes/femmes. El-
les permettent de souligner la singularité des luttes à conduire par les femmes. Ce numéro atteste
d’une évolution du féminisme à partir de cette date. A la fois « année zéro » rend compte de la mé-
connaissance des luttes féministes passées mais en même temps révèle la volonté de prendre ses
distances avec un féminisme jugé trop timoré. (Ch. Bard, 2001 : 171)

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DELPHINE NAUDIER

les femmes. Dans le sillon du mouvement étudiant, les femmes identifient et mettent
en relief la spécificité de leur domination au sein du monde social. Les féministes
dénoncent en effet les valeurs privilégiées par la société : « efficacité, rationalité,
compétition, réussite, domination violence… [considérées] volontiers comme carac-
téristiques masculines » (Picq, 1997 : 220). Le mouvement des femmes, qui se struc-
ture progressivement, vise « l’abolition du patriarcat comme du capitalisme, la dis-
parition des rapports d’oppression, d’exploitation, d’aliénation et la fin de la bipola-
risation entre les sexes » (Picq, 1997 : 220).
Si la dénonciation de la domination masculine est largement partagée, dès le
milieu des années soixante-dix, deux tendances divergent quant aux conduites
à tenir et aux manières de revendiquer la place des femmes dans la société.
S’opposent ainsi les « différencialistes » et les « égalitaristes ». Les premières,
plus proches de disciplines telles que les lettres modernes, la linguistique, la
psychanalyse ou encore l’esthétique, analysent « la société patriarcale comme
un déni des différences de sexe au profit de la seule masculinité, déni qu’il
conviendrait de démystifier pour faire apparaître dans toute leur splendeur les
spécificités propres à chaque sexe et montrer l’équivalence de leurs valeurs
respectives », tandis que les secondes, se réclamant davantage des sciences
humaines et sociales, soutiennent que les différences sont « dénuées d’effets
autres que purement mythiques ou idéologiques, n’ayant d’importance qu’à ti-
tre de base pour la pratique et la justification de la domination masculine. »
(Dhavernas-Lévy, 1995 : 382)
Du côté des femmes écrivains, des plus avant-gardistes aux plus réactionnaires,
est volontiers adopté un discours dénonciateur de la domination masculine, mais ce-
la ne signifie pas une adhésion au féminisme. Certes, la contestation des femmes
vis-à-vis de l’institution littéraire dénonce les hommes comme seuls détenteurs des
canons esthétiques (Marini 1990, 1992), mais elle révèle également une opposition
entre femmes auteurs qui n’envisagent pas la lutte sous le même angle, en raison no-
tamment de leurs conceptions divergentes concernant l’activité d’écrivain. Cet anta-
gonisme va apparaître avec une plus grande acuité lors de la mise au jour d’une
« écriture féminine ». Il va en outre révéler une concurrence entre auteures recon-
nues selon que leur entrée dans la carrière des Lettres est ancienne ou récente.
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La mise en valeur d’une esthétique du « féminin » renvoie en effet à une opposi-
tion structurale en termes de partage de territoire entre ancienne et nouvelle généra-
tion d’auteurs, tout comme elle actualise les divergences de conception de l’activité
littéraire (Bourdieu, 1992, Sapiro, 1999). Car, dans le champ littéraire, les femmes
écrivains n’existent pas indépendamment des hommes, et réciproquement. S’il
existe invariablement une ligne symbolique séparant le féminin du masculin (Héri-
tier, 1996) ou plus précisément le féminin de l’universel, aucun livre n’est réservé à
l’un ou l’autre sexe. Cela signifie que le jeu des références, l’inscription dans tel ou
tel courant, la proximité avec tel ou tel auteur peuvent supplanter la différence
sexuée. Par exemple Hélène Cixous est plus proche de Jacques Derrida que de Marie
Cardinal ou encore Jean-Paul Sartre est plus proche de Simone de Beauvoir que de
Roland Barthes. Mais les modalités de classement des œuvres et des auteurs
n’éliminent pas les alliances concrètes dans la vie sociale et le partage de références
communes dans ce contexte intellectuel.

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L’ECRITURE-FEMME

La question du marquage sexué de l’écriture a divisé les femmes les plus dotées
culturellement. Les plus anciennement installées dans le champ (Marguerite Your-
cenar, Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute…) ont subi tout au long de leur trajec-
toire son acception péjorée. La littérature féminine était définie comme un particula-
risme excluant de la littérature universelle, donc considérée comme mineure. Ainsi
Simone de Beauvoir exprime son rejet du marquage sexué : « Quand j’ai commencé
à écrire, nombreuses étaient les auteurs féminins qui refusaient d’être classées préci-
sément dans cette catégorie. (…) Nous rejetions la notion de littérature féminine
parce que nous voulions parler à égalité avec les hommes de l’univers tout entier.
(…) De même aujourd’hui, l’écriture au féminin n’atteint qu’un petit cercle
d’initiées. Elle me paraît élitiste, destinée à satisfaire le narcissisme de l’auteur et
non à établir une communication avec autrui » (Ophir, 1976 : préface). La question
du « féminin » anime une guerre de position entre femmes au milieu des hommes.
Ces divergences montrent comment peut se négocier différemment l’appartenance
sexuée, en même temps qu’elles rendent compte d’une conception différente de
l’activité d’écrivain actualisant la concurrence entre générations. Ce qui permet de sai-
sir pourquoi des auteurs tels qu’Annie Leclerc, Hélène Cixous, Xavière Gauthier, pu-
bliées dès la fin des années soixante, vont au contraire jouer de cette différence sexuée.
En se mobilisant sur la question du « féminin », dans le champ littéraire, des in-
tellectuelles et des écrivaines vont s’affronter sur la définition à donner de la
« femme », en termes symboliques mais aussi en termes d’insertion au sein de cet
espace social occupé traditionnellement par les hommes. La révélation des méca-
nismes sociaux et symboliques qui servent de support à l’oppression des femmes
(Delphy, 1970) et à la reproduction de leur situation de dominées aboutit à une inter-
rogation fondamentale sur la sexuation de la société et la redéfinition des limites des
territoires attribués selon les sexes. Or, l’analyse de cette construction de la division
sexuelle et sociale, parce qu’arbitraire et naturalisée, est portée au jour par des fem-
mes qui, dotées des mêmes diplômes que les hommes et participant aux mêmes ins-
tances (universitaires, littéraires), négocient leur droit d’occuper l’espace intellectuel
et littéraire en imposant progressivement de nouvelles aspirations. La légitimité de
leurs titres leur procure les armes suffisantes pour ne plus « céder » à la domination
masculine sociale et symbolique en s’insérant dans la vie active. La part des femmes
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de vingt-cinq à trente-quatre ans qui, détentrices d’un diplôme supérieur au bacca-
lauréat, exercent une profession, est passée de 67.2% en 1962 à 77.5% en 1968 et
atteignait près de 85% en 1975 (Bourdieu, 1978).
La dénonciation d’un passé monopolisé par les constructions masculines en
même temps que le refus d’être assimilée aux féministes pour des auteures comme
Hélène Cixous ou Chantal Chawaf ouvre une brèche pour celles qui misent non pas
sur un engagement militant visant à occuper la rue mais sur une volonté de subver-
sion ajustée aux discours intellectuels et esthétiques en vogue depuis les années
soixante. La volonté subversive se définit dès lors contre les hommes en tant que
groupe social en produisant un discours dont « la » femme est le centre et la figure
idéale.

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DELPHINE NAUDIER

L’IMPOSITION DE « L’ECRITURE-FEMME » DANS LE CHAMP LITTERAIRE

La Quinzaine littéraire consacre son dossier estival de l’année 1974 à la question


« L’écriture a-t-elle un sexe ? » tandis que paraissent simultanément Parole de
femme d’Annie Leclerc 5 et Speculum. De l’autre femme de Luce Irigaray. Deux li-
vres dont la caractéristique est de postuler, tout en dénonçant l’oppression mascu-
line, le caractère incontournable de la différence sexuée. Dans son best-seller, Annie
Leclerc affirme la nécessité « d’inventer une parole de femme » sur la scène litté-
raire. Toute femme « qui veut tenir un discours qui lui soit propre ne peut se dérober
à cette urgence extraordinaire : inventer la femme » (Leclerc, 1974 : 7-8).
La stratégie rhétorique mise en oeuvre pour se défaire de la stigmatisation de tout
ce qui est connoté « féminin » va se traduire par une prise de distance par rapport
aux hommes, ce qui ne signifie pas pour autant un antagonisme violent :
« Il ne faut pas faire la guerre à l’homme. C’est son moyen à lui de gagner sa
valeur. Nier pour s’affirmer. Il faut simplement dégonfler ses valeurs sous la
percée du ridicule. »
(Leclerc, 1974 : 20)
Cette distance passe principalement par la volonté d’affirmer la différence sexuée
et celle de voir reconnue une « parole » indépendante de toute médiation masculine :
« Ils ont dit que la Vérité n’avait pas de sexe. Ils ont dit que l’art, la science, la
philosophie étaient des vérités pour tous. (…) Non, non, je ne demande pas
l’accès à la Vérité, sachant trop combien c’est un puissant mensonge que les
hommes détiennent là. Je ne demande que la parole. Vous me la donnez
d’accord, mais ce n’est pas celle-là que je veux. C’est la mienne que je veux
(…) Car il ne me suffit pas de parler de moi pour trouver une parole qui soit
mienne. Littérature de femme : littérature féminine, bien féminine, d’une ex-
quise sensibilité féminine. (…) Un homme parle au nom des hommes. Une
femme, au nom des femmes. »
(Leclerc, 1974 : 11-12)
La mise en évidence de la domination masculine, plutôt qu’objet de lutte mili-
tante, devient une référence contre laquelle s’invente une « parole de femme ».
L’accent porté sur la spécificité offre la possibilité de promouvoir le « féminin » en
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inversant les valeurs auparavant stigmatisantes. Et cette mise en perspective de la
différence posée en termes esthétiques oblitère toute possibilité de contester la prise
de pouvoir objectivement observable des femmes produisant ce type de discours.
Hissée au rang de singularité littéraire, la glorification du « féminin » s’inscrit dans
une démarche distinctive : celle de l’invention d’un style littéraire. Et l’invention
puise son caractère inédit dans l’expression de tout ce qui a trait au corps féminin :
jouissance sexuelle, grossesse, accouchement, menstruations…
« Tant pis pour lui [l’homme], il faudra que j’en parle, des jouissances de mon
sexe, non, non, pas les jouissances de mon âme, de ma vertu ou de ma sensibi-

5. Née en 1940, enseignante en philosophie, Annie Leclerc est publiée pour la première fois dans Les
Temps modernes en 1967 et chez Gallimard, grâce à l’entremise de Simone de Beauvoir la même
année. Mariée avec N.Poulantzas, elle dispose d’un réseau de relations très inséré dans les milieux
intellectuels et de l’édition. Ses prises de position plus proches de la tendance « différencialiste »
bien qu’elle soit publiée chez Grasset lui valent une rupture de ses liens avec S.de Beauvoir. Cf.
A.Leclerc, Origines, Grasset, Paris, 1988.

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L’ECRITURE-FEMME

lité féminine, les jouissances de mon ventre de femme, de mon vagin de


femme, de mes seins de femme, des jouissances fastueuses dont vous n’avez
nulle idée. Il faudra bien que j’en parle car c’est seulement de là que pourra
naître une parole neuve et qui soit de la femme. »
(Leclerc, 1974 : 15)
En cela, la dénonciation de la suprématie masculine s’inscrit parfaitement dans le
triptyque hérité de mai 68 : « Écriture, subversion, sexualité » : Défendre le « fémi-
nin » en écriture se traduit par l’imposition sur la scène littéraire du droit des fem-
mes à symboliser ce qui leur a toujours été interdit par les hommes.
En 1975, avec la publication du texte « Le Rire de la méduse » dans le numéro
de l’Arc consacré à de Beauvoir, Cixous se fait porte-parole de la lutte contre exclu-
sion de « la » femme. Là où Foucault se fait l’initiateur et le dépositaire d’une ana-
lyse de la folie opposée au système occidental, et où il prend ses distances par rap-
port aux psychiatres, aux psychologues en démontrant que la littérature, la fiction est
« le seul lieu de rencontre possible entre folie et pensée » (Felman, 1977), Cixous va
s’employer par analogie à dire « la femme » dont l’exclusion a été construite sur le
même mode.
Néanmoins, la reconnaissance de tout ce qui a jusqu’alors été discrédité, rejeté
dans « l’altérité », mis à l’écart, révèle et reproduit la division sexuée de la produc-
tion intellectuelle. Auteur féminin, l’écrivaine s’emploie à investir un terrain laissé
vacant par les hommes ; en dévoilant dans le cadre des institutions ce que la société
refoulait, elle participe aussi à la production de savoir de son époque.
« L’écriture femme », expression esthétique et théorique, a été formulée par un
nombre restreint d’auteurs au nom desquelles figurent Hélène Cixous, Chantal Cha-
waf, Jeanne Hyvrard, Luce Irigaray ou encore Michèle Montrelay. Elle s’impose à
partir de 1975 alors même que l’antagonisme avec l’autre grande tendance du mou-
vement des femmes, les « égalitaristes », qui refusent l’idée d’une spécificité fémi-
nine, s’intensifie (Picq, 1993, Naudier, 2001). Le débat sur l’écriture féminine va
être l’occasion d’affirmer et de faire exister une position esthétique au sein de la
lutte des femmes et de la transposer dans le champ littéraire et dans le champ uni-
versitaire en proposant une théorisation esthétique alliant pratique littéraire et pro-
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duction critique. Alliance qui a auparavant contribué à légitimer le Nouveau roman
(Wolf, 1995 : 65-96) et que le groupe Tel Quel met au cœur de sa stratégie de légi-
timité. Cette manière d’occuper la scène littéraire et scientifique révèle les effets des
mutations à l’œuvre dans la rénovation des filières littéraires. Elle manifeste les inté-
rêts croisés des auteurs et des critiques à fonder une « science des textes » permet-
tant de canoniser la littérature contemporaine et de lui donner une dimension expé-
rimentale propre à l’avant-garde. Le « texte » devient un objet d’études autonome
révélateur d’une opposition marquée entre la littérature et l’écriture qui se décline en
termes d’opposition entre « écrivant » et « écrivain » (Barthes, 1964), rejouant la
distinction intellectuel/lettré, engagement politique/investissement esthétique qui
dans ce contexte scelle l’antagonisme entre les tenants des conceptions sartriennes et
celles forgées par le Nouveau roman.
L’interrogation menée sur le langage va ainsi être transposée par des femmes
dont l’une des caractéristiques est d’être composée notamment d’une majorité de

63
DELPHINE NAUDIER

diplômées 6. La promotion d’une littérature identitaire fondée sur l’appartenance


sexuée devient un terrain d’élection possible dont l’enjeu est triple : réhabiliter la
place des femmes auteurs toujours discréditée au sein de cet espace ; élever au rang
d’emblème ce qui auparavant était stigmatisé en termes de valeurs assignées aux
femmes ; enfin, produire les armes théoriques suffisantes et légitimes pour s’affranchir
des jugements masculins et proposer une définition de cette écriture féminine.

LE « FEMININ » COMME PORTEUR DE SUBVERSION DANS L’ECRITURE

Le « féminin » devient une arme pour ces femmes au moment où elles accèdent
aux institutions qui leur ont été progressivement ouvertes dans le cadre de
l’évolution propre à l’histoire sociale de l’institution scolaire intégrant peu à peu les
filles (Baudelot/Establet, 1992 ; Lagrave, 1992). Ces auteures figurent parmi les co-
hortes féminines pour qui l’accès aux études supérieures devient la norme. Elles
s’inscrivent souvent dans des disciplines en cours d’institutionnalisation (sociologie,
lettres modernes…). En 1957-1958, 57,8% des effectifs de la filière lettres-sciences
humaines sont féminins 7. En 1967, 72,42% des candidats ayant obtenu la licence de
lettres modernes sont des femmes, et elles composent 41,2% de l’effectif obtenant
celle de sociologie 8.
Le « féminin » en écriture va dès lors être un moyen pour une partie des auteurs
féminins majoritairement universitaires de se placer sur l’échiquier de l’avant-garde
littéraire en mobilisant un discours dénonciateur et en justifiant esthétiquement leur
choix du thème de l’identité féminine.
Cette volonté de réhabilitation s’exprime par une déclinaison du slogan féministe
« mon corps m’appartient » exprimant, dans le champ militant, la volonté des fem-
mes de s’approprier les moyens de contrôle de leur fécondité et de leur sexualité.
Volonté qui, outre le fait de dénoncer le viol et les violences conjugales comme un
crime, permet par la reconnaissance du droit de disposer de son propre corps d’éta-
blir la « désassimilation de la femme et de la mère qui libère les femmes de
l’inégalité avec les hommes » et tend à entériner que « dorénavant, il est entendu
qu’une femme peut dire ‘je’ » (Tahon, 2001 : 66). Cette traduction littéraire des re-
vendications féministes est érigé au rang de thématique esthétique subversive. Cette
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focalisation sur le corps comme territoire littéraire singulier va être théorisé. La
transposition littéraire de cette revendication politique s’effectue en définissant une
« écriture du corps » emblématique d’une spécificité féminine. La théorisation d’une
esthétique du corps en écriture tend à affirmer la tentative d’autonomisation des
femmes à l’égard des canons définis par les hommes. Hélène Cixous écrit :
« L’écriture est pour toi, tu es pour toi, ton corps est à toi, prends-le » (1975 : 40).
Dire le corps féminin, affirmer notamment la jouissance sexuelle, offre la possi-
bilité de briser, de casser le préjugé d’une littérature du sentiment, facile fondée sur
la douceur féminine. Pourtant, l’intérêt n’est pas seulement de lutter contre ce préju-

6. Sur un échantillon de 80 féministes « historiques », « 66 d’entre elles sont diplômées d’études supé-
rieures, dont plus de 40 au niveau du doctorat », in Françoise Picq, Le Mouvement de libération des
femmes et ses effets sociaux, ATP-CNRS, Paris, 1987.
7. Annuaire statistique de la France, 1959.
8. Statistiques des examens subis et des diplômes délivrés en 1967.

64
L’ECRITURE-FEMME

gé mais de définir une ligne littéraire dont l’actualisation permet de se distinguer à la


fois des auteures du passé qui demeurent confondues sous ce label et de celles du
présent qui n’adhèrent pas à la conception avant-gardiste de « l’écriture féminine ».
Sans références antérieures à mobiliser et soumise à la concurrence des auteurs
contemporains, l’écriture féminine est toujours conjuguée au futur : « Je parlerai de
l’écriture féminine : de ce qu’elle fera » (Cixous, 1975 : 39).
Hélène Cixous, Prix Médicis 1969 pour son roman Dedans 9 paru chez Grasset,
va donner un écho retentissant à la définition de cette singularité esthétique en édic-
tant les consignes la signifiant. Elle souligne le démarquage à l’égard des hommes et
au système capitaliste qu’ils incarnent :
« Je sais pourquoi tu [la femme] n’as pas écrit. (Et pourquoi je n’ai pas écrit
avant l’âge de vingt-sept ans). Parce que l’écriture c’est à la fois le trop haut,
le trop grand pour toi, c’est réservé aux grands, c’est-à-dire aux “grands
hommes” ; c’est de la bêtise. (…) Écris, que nul te retienne, que rien ne
t’arrête : ni homme, ni imbécile machine capitaliste où les maisons d’éditions
sont les rusés et obséquieux relais des impératifs d’une économie qui fonc-
tionne contre nous et sur notre dos. »
(Cixous, 1975 : 40)
Elle appelle les femmes à écrire : « les vrais textes de femmes, des textes avec
sexes de femmes. (…) J’écris femme : il faut que la femme écrive de la femme »
(1975 : 40) et forge la notion de « sexte » (1975 : 46) révélant ainsi la volonté de
conceptualiser cette prise de parole en écriture porteuse d’invention langagière à mi-
chemin entre l’intention poétique, l’adhésion à l’idée de « texte » et le marquage
sexué. Comme les écrivains prolétariens définissent un « être peuple authentique »
qui les distinguent des auteurs populistes à qui sont reprochés leurs origines bour-
geoises et leur absence de projet social (Paveau, 1998 : 50), les auteurs féminins
proposent la mise en lumière d’un « être femme » authentique : « il faut tuer la
fausse femme qui empêche la vivante de respirer » (Cixous, 1975 : 43) et indépen-
dant de toute médiation sociale imprégnée par les modèles masculins :
« Il est temps de libérer la Nouvelle de l’Ancienne en la connaissant, en
l’aimant, de s’en tirer, de dépasser l’Ancienne sans retard, en allant au-devant de
ce que la Nouvelle sera, comme la flèche quitte la corde, d’un trait rassemblant
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et séparant les ondes musicalement, afin d’être plus qu’elle-même 10. »
(1975 : 41)
Par ces injonctions, l’auteur prend ses distances à la fois avec les auteurs fémi-
nins antérieurs et avec les auteurs contemporains qui n’adhèrent pas à son orienta-
tion. La construction programmatique visible par sa conjugaison au futur et sa forme
impérative désigne les intentions novatrices qu’elle suggère. Donnant une connota-
tion militante à son propos, elle surenchérit en désignant l’écriture à venir comme
une écriture « neuve », « insurgée » qui inscrira la « féminité ». A cette fin, elle jus-
tifie cette assertion en évoquant « cette espèce d’écrivantes » dont « la facture ne se

9. Le Prix Médicis créé en 1958 couronne des romans d’un ton nouveau, autrement dit défend des
conceptions littéraires d’avant-garde. Le jury est composé d’une majorité d’auteurs issus du Nou-
veau Roman.
10. Souligné par Hélène Cixous.

65
DELPHINE NAUDIER

distingue en rien de l’écriture masculine, et qui soit occulte la femme, soit reproduit
les représentations classiques de la femme (sensible – intuitive – rêveuse, etc.) »
(Cixous, 1975 : 42). L’usage du terme « d’écrivante » extrapole la définition donnée
par Barthes. Sous ce terme sont confondues les auteures engagées et les romancières
édifiant des personnages féminins stéréotypés. Le caractère distinctif de l’imposition
de cette innovation esthétique centrée sur une spécificité féminine implique de se
défaire de cette acception péjorée mais en même temps de se distinguer littéraire-
ment des autres écrivain(e)s contemporains.

L’APPROPRIATION THEORIQUE ET ESTHETIQUE DU « FEMININ » :


L’INVENTION D’UNE SPECIFICITE

Plus que la défense d’une idéologie de la différence des sexes fondée en nature,
l’appropriation théorique et esthétique du « féminin » est un des moyens, résultant
en partie de la logique des assignations sexuées, d’être identifié dans l’espace litté-
raire d’avant-garde. En effet, cette construction distinctive est plus liée à la volonté
de marquer un territoire symbolique que de définir une fois pour toute la fixité des
identités sexuées et d’en saisir le contenu, comme le note Xavière Gauthier 11 : « Il
est clair que de cette supposée “écriture-de-femmes”, aucune d’entre nous ne peut
prétendre en détenir la définition ou les caractéristiques. Mais implicitement, confu-
sément, nous nous en faisons une certaine idée, puisque souvent dans nos critiques
intervient le fait qu’“on ne dirait pas que c’est écrit par une femme”, même si ça ra-
conte des histoires de femme » (Sorcières, 1978 : 3). Fonder cette codification est
d’autre part refusé : « Impossible de définir une pratique féminine de l’écriture,
d’une impossibilité qui maintiendra car on ne pourra jamais théoriser cette pratique,
l’enfermer, la coder, ce qui ne signifie pas qu’elle n’existe pas. Mais elle excédera
toujours le discours qui régit le système phallocentrique » (Cixous, 1975 : 45). Le
« féminin », la « femme » portés en emblème n’ont pas de contenu définitif, au
contraire, leur expression autorisée réside en leur fluidité, leur malléabilité qui per-
met leur extension à plusieurs registres :
« s’il y a un propre de la femme c’est paradoxalement sa capacité de se dé-
proprier sans calcul : corps sans fin, sans “bout”, sans “parties” principales, si
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elle est un tout, c’est un tout composé de parties qui sont des touts, non pas
simples objets partiels, mais ensemble mouvant et changeant (…) Sa libido est
cosmique, comme son inconscient est mondial : son écriture ne peut aussi que
se poursuivre, sans jamais inscrire ou discerner de contours (…) Elle seule ose
et veut connaître du dedans, dont elle, l’exclue, n’a pas cessé d’entendre
l’avant-langage. »
(Cixous, 1975 : 50)

11. Née an 1942, titulaire d’un doctorat en esthétique, elle publie sa thèse Surréalisme et sexualité en
1971 chez Gallimard. En 1974, les éditions de Minuit publient ses entretiens avec M.Duras sous le
titre Les Parleuses. Militante féministe, elle fréquentait les assemblées qui se tenaient aux Beaux-
Arts. La difficulté à publier ses poèmes, genre dans lequel elle aurait souhaité être reconnue, la
conduit à être publiée par Antoinette Fouque en 1974 (Rose saignée). Proche des milieux d’avant-
garde, elle participe au numéro « Luttes de femme », Tel Quel 58, 1974 après qu’un dossier consa-
cré à l’écriture féminine commandé par le journal Le Monde fut finalement refusé par Jacqueline
Piatier qui ne soutenait pas cette orientation. Elle fonde la revue Sorcières en 1977.

66
L’ECRITURE-FEMME

En puisant dans l’arsenal psychanalytique, le « féminin » est assimilé à l’incon-


scient psychique immaîtrisable et universellement partagé. Ce recours théorique tend
à jouer des frontières sociales et sexuées en contrant les dichotomies classiques. Il
permet d’élever le stigmate au statut d’emblème et de neutraliser, par imposition
symbolique, tout jugement univoque porté par les hommes. Dans la lutte pour la dé-
finition de la « femme », du « féminin », les femmes ont désormais leurs mots à dire.
Si elles ne peuvent pas empêcher les hommes de continuer à les décrire selon leurs
propres modèles, au moins réussissent-elles à marquer leur désaccord en montrant
qu’elles disposent des ressources suffisantes pour prendre leurs distances avec les
représentations dominantes.
L’intention d’échapper socialement et symboliquement aux jugements masculins
se traduit par la description de tout ce qui les incarne comme mouvant, en se démar-
quant notamment des catégories littéraires classiques, notamment celle de « ro-
man », comme le théorise Irma Garcia :
« la femme montre en général une réelle répugnance à donner forme précise
et méthodique à son écriture, comme si le féminin fuyait entre les pages »

(Irma Garcia, 1981 : 148)


Inversant le stigmate qui prête traditionnellement aux femmes le « bavardage »,
les femmes revendiquent le fait d’être des Parleuses (Duras, Gauthier, 1974), de « se
dire » (Leclerc, 1974) ou encore donnent pour sous-titre à leurs livres le terme de
« Paroles » au lieu de « récit » ou « poème » comme Jeanne Hyvrard 12 (1977). Et
comme le note la critique littéraire défendant cette orientation esthétique : « le terme
parole [accède] ainsi au statut d’un genre » (Van Rossum-Guyon, 1979 : 217). Tout
ce qui a trait aux femmes, au corps, est calqué sur le principe du « texte » en ce qu’il
est autonome, trouve son fondement en lui-même par une sorte d’immanence qui
justifie à la fois l’orientation esthétique et l’émancipation de ces auteures. Le corps
et le texte de « la » femme sont articulés l’un à l’autre pour produire un discours qui
s’oppose à celui du modèle masculin. Cette production d’avant-garde révèle que
« tout est trop là : les mots, les corps, l’angoisse, la passion de celle qui écrit. Le lec-
teur masculin est mis en présence d’une féminité qui n’est pas la sienne » (Montre-
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lay, 1977 : 153). Écrire le corps, défendre la différence sexuée, c’est aussi défendre
le droit en tant qu’individu de sexe féminin d’imposer un discours légitime sur la
condition féminine et sur l’écriture.
En définissant l’espace du « féminin », en le caractérisant par sa mobilité, son
caractère insaisissable, en cherchant à forger une théorie de l’écriture fondée sur le
corps permettant d’« écrire au féminin », « écrire corporellement » se justifie en en

12. Née en 1945, elle enseigne l’économie dans un lycée technique. Ses premiers livres ont été publiés
aux éditions de Minuit (Les Prunes de Cythère, 1975, Mère la mort, 1976, Les Doigts du figuier,
1977). Après une publication en 1982 aux éditions du Seuil, Le Corps défunt de la comédie, ses
cinq livres suivants sont édités aux éditions Des Femmes à partir de 1984 jusqu’en 1990. En 1989,
elle publie La Pensée corps, dictionnaire où elle définit sa propre pensée à partir de néologismes
qui vise à révéler sa « pensée alternative à la logique rationnelle ». Après cette date, elle n’est plus
éditée par cette maison, connaît des difficultés pour être publiée comme l’indique l’espacement et
les lieux d’édition qui soulignent son éloignement du centre du dispositif éditorial parisien. Elle bé-
néficie d’une reconnaissance au sein des départements de littérature (M.Marini lui consacre un sé-
minaire en 1984 à Paris 7) et d’études féminines au Canada et aux États-Unis.

67
DELPHINE NAUDIER

faisant le « lieu d’une écriture où s’abolit l’artificielle division : esprit-corps »


(Chawaf 13, 1976 : 81). Les catégories utilisées sont toujours fondées sur la diffé-
rence entre les sexes et les valeurs véhiculées ne bouleversent en rien les références
traditionnelles. Mais ces formulations viennent de femmes qui, symboliquement as-
similées au « corps », à la « matière », sont aussi socialement implantées dans une
activité et un espace jusque là réservés aux hommes. Leurs constructions esthétiques
et théoriques modifient les manières d’appréhender leur propre représentation en ce
qu’elles font état de leurs dispositions intellectuelles et culturelles à produire un dis-
cours sur l’écriture.
La présence tolérée des femmes dans le champ littéraire et universitaire incline
les auteures féminins à produire, au nom de la subversion, leur propre glorification.
Mais tendre à l’inversion du stigmate et produire un discours sur l’écriture se traduit
également en prenant position dans une tradition littéraire dominée par les hommes.
Ce placement s’effectue au prix de la défense d’une littérature de recherche dont la
justification est puisée dans la référence aux poètes « seulement, [et non pas aux]
romanciers solidaires de la représentation » (Cixous, 1975 : 43). La légitimation de
cette innovation esthétique se construit en faisant référence à une littérature poétique
écrite par les hommes. Elle est désignée comme « hétérogène à la tradition » et « en-
traînant sinon nécessairement une révolution (…) du moins de déchirantes explo-
sions » (Cixous, 1975 : 42). La création esthétique légitime se réfère dès lors à ce
qui fait subversion. Et la subversion du langage opérée par les hommes est liée à la
part de « féminité » qui traverse leur écriture. La reconnaissance du fait qu’il « n’y a
pas plus de “destin” que de “nature” ou d’essence, comme tels mais des natures vi-
vantes, prises, parfois figées dans les limites historico-culturelles qui se confondent
avec la scène de l’Histoire » (Cixous, Clément, 1975 : 153) permet de fonder
l’argumentation de la circulation des identités sexuées chez les créateurs, chez les
inventeurs en évoquant la « féminité foisonnante, maternelle » de Jean Genêt. L’idée
défendue est donc celle de la bisexualité comme matrice de la création et caractéris-
tique distinctive des créateurs d’avant-garde. Cette logique argumentaire offre la
possibilité de défendre la production littéraire féminine puisque « la femme est bi-
sexuelle 14 » (1977 : 155). La construction même d’une définition de l’écrivain, plus
précisément de l’écrivain d’avant-garde, réhabilite la participation des femmes à la
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littérature en ce qu’elles sont les dépositaires de cette double appartenance sexuée.
Miser sur la carte différencialiste en termes symboliques dans l’écriture dégage
de toute identification à la différence homme-femme construite socialement. Il est
donc fait abstraction de la situation politique et sociale des femmes dès lors que le
terrain d’investigation est celui de l’écriture du corps. Cette prise de position sur le
terrain esthétique déplace le problème du rapport dominant/dominé entre les sexes
mis en avant par les féministes égalitaristes. Ces auteures saisissent l’occasion de
transformer en distinction littéraire leur position dominée temporellement. L’absence

13. Née en 1943, elle est diplômée de l’École du Louvre. Après sept ans passés hors de France, elle
publie son premier livre Retable : la rêverie aux éditions Des Femmes en 1974. Elle est ensuite pu-
bliée aux éditions du Mercure de France, J-J.Pauvert, Stock, Ramsay, Flammarion. Elle publie en
1992, Le Corps et le verbe, la langue en sens inverse, Presses de la Renaissance, un ouvrage théori-
que qui analyse la négation et le refoulement du corps dans la littérature. Cet essai, commande de
l’éditeur, souligne la poursuite de ses recherches esthétiques concernant l’écriture du corps.
14. Souligné par l’auteur.

68
L’ECRITURE-FEMME

de référence à la lutte militante, politique et institutionnelle des femmes situe l’enjeu


de reconnaissance sur le seul terrain littéraire, esthétique, plus valorisé, et permet de
s’imposer comme figure prophétique.

L’INSTITUTIONNALISATION DE LA TENDANCE « DIFFERENCIALISTE »

Bien que minoritaire dans le champ militant, cette tendance met en place un dis-
positif symbolique qui s’appuie sur des institutions : Maison d’édition Des Femmes,
revues comme Sorcières ou encore un département d’études féminines à Paris VIII
qui installent les femmes dans les circuits dominants d’avant-garde. Les critiques
dont elles font l’objet dans le mouvement des femmes sont compensées par les in-
vestissements qu’elles réalisent dans le champ intellectuel où elles obtiennent une
réelle visibilité. A cet égard, Hélène Cixous saisit diverses opportunités. Elle dirige
un numéro des Nouvelles Littéraires (1976) et publie successivement deux livres en
collaboration, La Jeune née (1975) avec Catherine Clément, et La Venue à l’écriture
(1977) avec Madeleine Gagnon et Annie Leclerc. Un ajustement s’effectue entre les
aspirations des femmes appartenant aux élites culturelles et leur position acquise au
sein de l’espace social. Elles inventent dès lors un discours, produisent une réflexion
en participant à la production de données théoriques et littéraires du fonds de
connaissances dans lequel elles baignent et prennent pour option de se placer exclu-
sivement au sein de ces espaces.
Prôner l’existence d’une écriture féminine s’inscrit dans une stratégie program-
matique de la tendance « différencialiste » qui a la possibilité de marquer sa pré-
sence dans le champ éditorial. Le discours sur la spécificité féminine est dès lors
l’argument majeur permettant de justifier la création d’un espace exclusivement ré-
servé aux femmes. En 1973, par la fondation de leur maison d’édition, Antoinette
Fouque et son entourage reconvertissent leur capital militant initial en se démar-
quant du mouvement de libération des femmes : « Ce n’est pas une maison
d’édition “féministe” (…), et la proposition qui s’adresse aux femmes ne s’adresse
pas seulement à celles qui ont “pris conscience” ou qui sont d’accord. Ce n’est pas la
maison du MLF mais celle des femmes… Il s’agit de faire apparaître une écriture
spécifiquement de femmes, non pas féminine, mais plutôt femelle » (Catalogue édi-
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tion Des Femmes, 1974-1979). Cette entreprise est saluée par les revues d’avant-
garde littéraire de l’époque comme Tel Quel et la Quinzaine Littéraire qui en font la
publicité. Les Cahiers du Grif, revue théorique et féministe belge, fondés par Fran-
çoise Collin l’année précédente, soutiennent cette initiative. Si les Existentialistes
avaient Gallimard et Saint-Germain-des-Prés, les Nouveaux Romanciers les éditions
de Minuit, Tel Quel les éditions du Seuil, l’avant-garde féminine des lettrées dispose
également d’un lieu qui fonctionne comme territoire symbolique : les éditions Des
Femmes.
Ce discours sécessionniste a laissé un espace vacant pour les femmes car elles
peuvent jouer de leur appartenance sexuée pour marquer leur différence des autres
avant-gardes. Cela signifie également que le seul moyen de trouver un argument lé-
gitime de placement dans l’espace littéraire est de mobiliser la différence sexuée.
Cette prise de position permet en effet de neutraliser toute contestation possible de
leur insertion sociale et intellectuelle, de leur participation légitime à la production
de connaissances. En fait, elle s’inscrit dans l’expression d’un trait structurel au

69
DELPHINE NAUDIER

monde des lettres, et plus particulièrement à l’identité d’écrivain, qui ne peut se


construire qu’en imposant les modalités d’une singularité à faire reconnaître (Hei-
nich, 1990, 1995, 2000). Or cette singularité de l’identité d’écrivain est en partie dé-
finie par l’auto-désignation de soi comme appartenant à cette communauté culturelle
qui se pense comme hors société. Mobiliser le « féminin » comme ce qui a toujours
été exclu, c’est donc inventer une justification qui permet aux auteurs féminins de se
placer dans le cadre d’une idéologie de la subversion. Cette manifestation de leur
présence sur la scène littéraire et la stratégie déployée par la mobilisation de
l’appartenance sexuée révèlent donc une connaissance des règles du jeu à l’œuvre
dans le champ littéraire.
La concrétisation de leur insertion institutionnelle exprime la maîtrise des codes
de cet espace par cette fraction d’auteures qui, fondant son discours sur la charge
subversive du « féminin », négocie habilement l’invention d’une singularité esthéti-
que ajustée aux normes de cet univers extrêmement concurrentiel et individualisé où
le mythe de l’écrivain est fondé sur son exclusion de la société et la « griffe » de
l’auteur sur sa possibilité de faire reconnaître sa spécificité littéraire. Ainsi, cette ré-
appropriation du « féminin » défini comme « subversif » dans un contexte intellec-
tuel et politique dont le mot d’ordre est précisément la « subversion » transforme en
innovation esthétique ce qui discréditait les générations d’auteures précédentes en
même temps qu’elle s’ajuste à la doxa de cette catégorie sociale d’artistes. Le « coup
de force symbolique » de ces auteures est d’avoir réussi à jouer sur tous les registres.
Elles se sont distinguées de la lutte des femmes en privilégiant leur activité littéraire
sur leur engagement militant et elles se sont singularisées dans le monde des Lettres
en revendiquant leur marquage sexué. Il y a donc dans cet usage du « féminin »,
comme pour certains écrivains juifs étudiés par Clara Lévy, « une opération de mise
en perspective et d’esthétisation littéraires de leur spécificité identitaire : l’exclusion
transmuée en élection littéraire » (1998 : 253).
Si les Éditions des Femmes ont permis d’identifier l’écriture-femme dans les
rangs de l’avant-garde, ce lieu était également un espace où pouvait être publiées
certaines recalées des autres maisons. Si ces auteures, peu nombreuses, ont été uni-
fiées, elles n’ont pourtant à aucun moment formé un groupe homogène avec
l’ambition de faire une action commune. Il s’agissait avant tout pour elles de dénon-
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cer les stéréotypes marquant la littérature féminine et de pouvoir exister individuel-
lement sur la scène littéraire. Elles s’inscrivent ainsi parfaitement dans les rangs des
auteurs qui, souhaitant imposer une spécificité littéraire, misent avant tout sur la re-
vendication d’une esthétique singulière distincte des courants précédents.
Ainsi, l’appartenance sexuée devient un atout là où il était un handicap. Grâce
aux générations de femmes précédentes qui ont permis d’installer la figure de la
femme dotée de pensée, d’une capacité d’abstraction identique à celle des hommes,
dont la preuve est apportée par l’acquisition des mêmes diplômes, les femmes des
générations suivantes possédant les mêmes atouts et signes de reconnaissance peu-
vent jouer de leur appartenance sexuée. Cela permet alors d’utiliser la référence à
l’identité de sexe, le « féminin », pour se distinguer à la fois des femmes du passé
soumises à la domination masculine mais aussi des hommes contemporains qui lais-
sent, en partie, la réflexion sur le « féminin » vacante. Pour autant, « l’écriture-
femme » n’a pas connu la postérité escomptée. Elle reste associée à la décennie
1975-1985 au cours de laquelle elle s’est le plus visiblement exprimée même si

70
L’ECRITURE-FEMME

Cixous, Chawaf et Hyvrard ont continué à défendre leurs conceptions littéraires au


sein de leurs œuvres et en publiant des essais théoriques. Elles n’ont pourtant pas
fait « école ». A ce propos, Cixous nous déclare : « c’était pas une école, c’était juste
un élan, un appel, c’était pas autre chose 15 ». Chacune d’elles a continué à publier
au gré des ressources accumulées par ailleurs, liées notamment à leur degré
d’insertion dans le champ éditorial. La reconnaissance de leur participation demeure
relative. Cixous et Chawaf sont celles qui ont le plus bénéficié de cette innovation
esthétique. On peut mesurer la reconnaissance qui leur est accordée en prenant pour
référence leur présence dans des dictionnaires consacrés aux auteurs et à la littéra-
ture contemporaine mais aussi dans le Who’s Who : hormis Cixous, primée en 1969,
aucune écrivaine revendiquant cette orientation esthétique n’a obtenu de prix litté-
raire. En effet, les jurys les plus enclins à couronner des femmes comme le Prix Fe-
mina et le Prix Médicis n’en ont jamais fait des lauréates.
Et les jeunes écrivaines contemporaines traitant de la thématique du corps fémi-
nin ou de la sexualité dans leurs romans, telles que Lorette Nobécourt (1994, 1998),
Virginie Despentes (1994, 1998) ou Nina Bouraoui (1998), ne se réfèrent pas à elles.
Cette innovation esthétique est restée à l’état embryonnaire, n’a pas fait date, et leur
littérature apparaît même aujourd’hui comme datée. Si l’écriture féminine « marque
une étape importante dans la prise de conscience, l’idée même semble devenue non
seulement caduque mais aussi improbable comme vision globale » (Stirstup-Jensen,
2000 : 176). On peut toutefois avancer l’hypothèse qu’outre le caractère marquant de
l’appartenance sexuée qui rend difficile son appropriation à titre collectif, cette re-
connaissance ponctuelle de leur présence s’inscrit dans une évolution générale du
champ littéraire où aucune école, aucun groupe n’émerge visiblement depuis les an-
nées soixante-dix. L’explosion du marché éditorial ; la professionnalisation de
l’activité littéraire – liée à la mise en place d’instances (telle que la Maison des écri-
vains) qui offrent des débouchés rémunérés lors de rencontres au sein du monde sco-
laire, des bibliothèques, dans l’univers carcéral ou encore auprès de populations pré-
carisées- ; mais aussi les possibilités offertes par la littérature enfantine en cours de
réhabilitation : tous ces éléments concourent en effet à l’atomisation des positions
des auteurs, qui désormais, pour être visibles à un moment donné de leurs trajectoi-
res, misent davantage sur l’individualisation de leurs carrières que sur la nécessité de
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faire groupe.

Delphine NAUDIER
CSU/IRESCO
delphine.naudier@libertysurf.fr

15. Entretien accordé en 2000.

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DELPHINE NAUDIER

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© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 09/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 176.143.132.149)

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© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 09/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 176.143.132.149)

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