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LA REPRÉSENTATION DES RELIGIONS

TRADITIONNELLES DANS L’ŒUVRE


DE SEYDOU BADIAN

Tal TAMARI
CNRS, Paris

Les religions traditionnelles africaines tiennent une place fondamentale et sont pourtant très peu
étudiées dans l’œuvre de Seydou Badian.1 Sujets explicites des romans de la maturité, Le Sang des
masques (1976, achevé en 1971) et Noces sacrées (1977), elles font également l’objet de longs
développements dans son premier ainsi que dans son dernier roman (Sous l’orage, 1955 ; La Saison des
pièges, 2008), comme aussi dans son unique pièce de théâtre, La Mort de Chaka (1961). Conformément
aux points de vue exposés dans ses essais, Les Dirigeants africains face à leur peuple (1961) et
Congo. Terre généreuse, forêt féconde, les religions traditionnelles sont présentées comme porteuses
de valeurs spirituelles, intellectuelles et éthiques profondes, à caractère universel, en même temps que
des éléments essentiels peut-être les plus essentiels de l’héritage culturel africain.
Particulièrement intrigant : dans les deux romans intermédiaires, Le Sang des masques et Noces sacrées,
tout se passe comme si ces religions étaient empiriquement fondées. Une telle vision, chez un homme
politique aux sympathies révolutionnaires, par ailleurs chargé des programmes de développement, a
de quoi surprendre ; cependant, son approche rejoint celle d’un important courant de la littérature et
du cinéma maliens.
Par comparaison, l’islam et le christianisme font l’objet d’une attention moindre. L’islam, dépeint
comme essentiellement urbain et fortement syncrétique, fait l’objet de conversions motivées par
la bienséance (le patriarche Benfa, dans Sous l’orage) ou plus rarement par conviction (le père du
médecin, dans Noces sacrées).2 Le christianisme, décrit principalement dans cette dernière œuvre (on
y trouve quelques allusions dans Les Dirigeants africains face à leur peuple et La Saison des pièges)
susciterait peut-être des adhésions moins nombreuses mais plus complètes. Il convient de ne pas oublier
qu’à l’époque où se situent trois des quatre romans de Seydou Badian (le début des années 1950), les
religions traditionnelles étaient vraisemblablement encore majoritaires au Mali ; mais l’intérêt que cet
auteur leur accorde reflète assurément aussi leur caractère spécifiquement africain.
Dans le bref espace qui nous est imparti, nous analyserons succinctement la représentation des religions
dans chacune des principales œuvres de Seydou Badian, avant de tenter de la situer dans le contexte
de la création littéraire et artistique malienne.

1
On peut toutefois se référer à Kazi-Tani 1990, Chevrier 2002, Martel 2002, pp. 91-124, Sommer 2004, Collini 2007,
Tangara 2017, et tout récemment, Kobenan 2020 et Tiako Djomatchoua 2020. Nous reviendrons plus loin sur les points
de vue développés par Kazi-Tani.
2
Un Maître de la religion traditionnelle aurait déclaré : « Votre père est un Maître qui a renoncé à tout pour l’Islam » (p. 111).

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LES DIRIGEANTS AFRICAINS FACE À LEUR PEUPLE


D’une manière qui peut paraître surprenante pour un médecin et homme politique, les religions
(évoquées à toutes les pages) figurent en bonne place dans l’essai Les Dirigeants africains face à leur
peuple (1964), rédigé alors que l’auteur était Ministre du Développement. Seydou Badian démontre
que les religions traditionnelles sont un élément essentiel de « l’héritage », du « patrimoine » culturel
ancestral, et que même si certains traits sont critiquables, on ne peut pas les rejeter en bloc sans renoncer
à une identité spécifiquement africaine.
Par exemple, s’agissant de la colonisation, Seydou Badian déclare : « Aussitôt se déclenche [chez les
jeunes ayant reçu une éducation occidentale] un déséquilibre psychologique. Les Dieux des pères
sont de faux dieux, de fausses idoles. Les seuls dieux valables sont les dieux de la puissance, ceux de
la technique […] ainsi, le jeune homme, à corps perdu, s’élance vers l’Occident en piétinant tant qu’il
peut ses dieux, en brûlant tout ce que ses pères ont adoré, et en brûlant ses pères avec leurs idoles.
Les valeurs morales, le sens du prochain, la primauté du groupe […] tout cela va s’effondrer avec les
cases en banco et les bois sacrés » (p. 76 ; cf. aussi pp. 24, 27-28, 30).
Ailleurs, Seydou Badian déclare : « Le cadre africain d’aujourd’hui est beaucoup trop loin et des
ancêtres et des masses rurales » (p. 96), fait état d’une « liquidation culturelle » (p. 38) et d’une
« déculturation quasi-totale » (p. 79 ; cf. aussi pp. 37, 80, 83-84, 108). L’importance du religieux, dans
les sociétés traditionnelles africaines, est telle que « […] le matérialisme athée du marxisme-léninisme
est aujourd’hui un obstacle quasi invincible à son adoption intégrale pour des peuples qui ont autant
de Dieux qu’il y a de créatures ; l’athéisme détermine une sorte de répulsion que l’Afrique actuelle
surmontera difficilement » (p. 57 ; cf. aussi pp. 163, 165, 170).
C’est l’importance du sentiment religieux et des « conceptions mystiques » (p. 34), note-t-il, qui amène
plusieurs penseurs à avancer le concept d’un « socialisme africain », même s’il ne partage pas leur vision
et préfère celui « plus universaliste des Voies Africaines du socialisme ». « Ici l’on évoque volontiers
les pratiques communautaires que l’ancêtre a léguées et qui de nos jours constituent les piliers de la
vie villageoise. Il ne s’agit donc pas d’idées importées mais tout simplement d’un réajustement d’une
somme de valeurs authentiquement africaines » (p. 57 ; cf. aussi pp. 142-143, 148).
De manière significative, il ajoute : « Pour l’Africain, le monde est une communauté aux limites
diverses. […] Son bonheur n’existe pas en dehors de celui des autres […] Tout est commun. Même le
salut, là où se sont installées les religions monothéistes » (p. 74 ; cf. aussi pp. 121-122). Par ailleurs, il
reconnaît l’existence « des préjugés » (p. 85), « des croyances désuètes », « des interdits irrationnels »
(p. 138, cf. aussi p. 111), et en premier lieu « la hiérarchie des métiers » (p. 139, cf. aussi p. 77)
de même que d’autres croyances tendant à entraver l’exercice de certaines activités (pp. 34, 109),
« les conditions dans lesquelles se trouvait la femme africaine » (pp. 35-36, cf. aussi p. 136), ainsi que
le « polyethnisme » et le « sectarisme » ethnique (pp. 109-110, cf. aussi pp. 38, 77, 137).
Il conclut : « Dieu merci, le patrimoine africain ne se réduit pas à ces pratiques incompatibles avec
un progrès véritable, à ces préjugés stupides et à ces peurs qui affaiblissent ; ce serait faire injure
aux hommes du passé africain en avançant qu’ils n’ont laissé que cela » (p. 111). « Il faut voir dans
l’héritage ancestral ce que nous devons garder, ce que nous devons éliminer » (p. 39).
Et corrélativement de recommander plus de circonspection dans le choix de héros nationaux : « Des
hommes qui ont tué, pillé de paisibles populations seront-ils encore considérés comme des champions
[…] ? »3 « Dans certaines de nos cultures nationales on a toujours honoré le meilleur laboureur,

3
Néanmoins, il ne semble pas avoir appliqué ce principe, quelques années plus tôt, au cas de Chaka ; ou bien estimait-il,
comme il l’affirme dans sa « Préface » à cette œuvre, que les conquêtes de ce dernier apportaient des valeurs positives,
au point d’excuser ses abus ? Cf. infra, p. 11.

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le plus habile chasseur, le grand artiste, tels doivent être aussi nos héros d’aujourd’hui […] » (p. 103 ;
cf. aussi p. 102).
On remarquera également, dans cet essai de Seydou Badian, l’emploi fréquent des termes « sacré »
et « dieu », [attitude ou émotion] « quasi religieuse », là où un autre aurait écrit « principe intangible »
ou « objet d’admiration ». Usage poursuivi dans son œuvre romanesque, où l’on rencontre également
l’emploi métaphorique du terme « masque ». Autant d’indices de l’importance fondamentale
qu’accordait Seydou Badian au fait religieux ?

NOCES SACRÉES
Noces sacrées présente une défense intransigeante de la religion mandingue et plus particulièrement
bambara : non seulement des valeurs culturelles qu’elle véhicule, mais de la réalité des puissances
vénérées. La statuette qu’André Besnier s’est procurée se déplace d’elle-même, provoque d’étranges
manifestations sonores, des rêves (« rendez-vous oniriques ») et hallucinations terrifiants. Il ne s’agirait
pas des illusions d’un individu fragilisé, car le chef d’entreprise qui accueille l’objet éprouve les mêmes
expériences. Auparavant, ce même chef d’entreprise, Monsieur Mornet (morne ? mort-né ? mort net ?),
témoin des manifestations sonores du Komo, a failli mourir, alors que son guide musulman, Alassane,
a expiré la nuit même. Mornet lit à son employé André Besnier le cahier d’un ancien collaborateur, qui
est mort en rédigeant le descriptif de sa première expérience initiatique. L’on comprendra plus tard que
le village où ce collègue s’était rendu est proche de celui où la statuette a été dérobée plus tard (voire
qu’il s’agit du même village). Monsieur Jules, ainsi que son employé Nantouma, qui ont fait enlever
l’objet, meurent de manière violente (pp. 43-44, 172-176). Quelque vingt ans auparavant (c’est-à-
dire dans les années 1930) un colonial qui avait acheté une statuette souffrit de mystérieuses douleurs
physiques, puis en fut guéri lorsqu’il la rendit à ses détenteurs légitimes. Le Père Dufrane collabore
discrètement avec le grand maître du Komo, Fotigui (Fòtigi, c’est-à-dire « Maître de la Parole ») alias
Tiemoko-Massa (Cèmògò masa, « homme roi » ou « homme exceptionnel »), mais le chef de village
qui autorisa la messe de minuit (à l’occasion de Noël) meurt avant l’aube.4
Les hommes d’un lignage qui s’est approprié un terrain de manière illégitime meurent les uns après
les autres, jusqu’à ce que les survivants le rendent au lignage détenteur. Un administrateur, ainsi que le
Père Dufrane, ne peuvent prendre aucun gibier depuis qu’ils ont enfreint une coutume liée à la chasse.

4
Le chef d’entreprise Mornet serait-il ‘mort’ ou ‘morne’ parce qu’après avoir été attiré par la civilisation africaine (plus
particulièrement mandingue), il aurait préféré y renoncer face aux dangers provoqués par son voyeurisme, plutôt que de
rechercher une initiation conforme à la coutume ? (cf. pp. 30, 42). Certains passages du roman semblent confirmer une
telle interprétation, cf. la discussion infra, p. 5. Les prénoms d’André Besnier (du grec andros, homme) et de sa sœur
Evelyne (p. 45 ; comportant l’élément Eve) en font-ils une sorte de couple primordial (Adam et Eve), donc emblématique
(des attitudes les plus courantes de la société française de l’époque) ? Quant au nom de famille (Besnier), on pourrait
retenir sa sonorité désagréable. Le prénom ‘Jules’ donné au gérant du campement suggère-t-il, là encore, qu’il s’agit
des attitudes de tout un chacun (donc, des attitudes caractéristiques de la société française) ? Le nom du gendarme
(‘Rétaud’, p. 172) est-il un clin d’œil à la commune sise en Charente-Maritime ou encore à une personne portant ce nom,
ou bien un jeu de mots, par exemple sur ‘retors’ (parce que le gendarme dissimule systématiquement ses croyances) ?
Le nom de famille d’ « un ingénieur de grande compétence », Lovel (p. 39), suggère-t-il la démarche (toute empreinte
d’autosatisfaction) de celui qui se love autour de lui-même ou de sa victime ? Ce nom pourrait en même temps faire
allusion à Edmond Louveau, gouverneur du Soudan français en 1946-1952, qui pourtant manifestait un grand intérêt
pour les religions traditionnelles (comme en témoigne entre autres sa thèse de doctorat de droit soutenue en 1920). Des
jugements péjoratifs sur les arts africains sont formulés par l’enseignant Bellard (ironie sur ‘bel-art’ ?). Le leader d’une
communauté bambara fraîchement convertie au catholicisme s’appelle Pierre (pp. 61, 66, 71-76). La parcimonie avec
laquelle Seydou Badian communique les noms propres de ses personnages (prénom ou nom, rarement les deux, souvent
ni l’un ni l’autre) suggère que ceux-ci revêtent (tout autant que les personnages eux-mêmes) une valeur symbolique.

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D’autres objets cultuels, provenant de diverses régions d’Afrique, produisent des effets semblables :
Lord Tenwood, qui a créé un magnifique musée privé à Londres, est devenu fou. Besnier décrit son
expérience ainsi : « Je ne me trouvai pas devant des masques et des statuettes, mais j’avais en face de
moi des visages d’hommes et de femmes qui me parlaient. Rictus, sourires amers, grimaces de douleur
et de dérision, rires cruels. […] Qui était de bois ? Qui était de chair ? » (pp. 37-38).
Le docteur a fait une expérience semblable lorsque, parvenu au village lésé, un manguier semble se
transformer en un mystérieux baobab : « Ce manguier … lui apparut un baobab géant, chargé de gros
fruits ovales avec leurs longues tiges. Le baobab s’étira, gagna en hauteur, devint une sorte de palmier
lourd de têtes humaines aux visages torturés de douleur et de terreur » (p. 162).
Mais il y a plus : le récit montre que la plupart des Européens ayant une expérience substantielle de
l’Afrique et/ou résidant à l’intérieur du pays ajoutent foi en la réalité des puissances, voire sont initiés à
leurs cultes.5 Il ne s’agit pas seulement, comme c’est le cas du commandant et de l’épouse du magistrat,
de tirer un avantage personnel (avancement professionnel, traitement médical ou esthétique… ) mais,
souvent, d’une croyance profonde. Le Père Dufrane, missionnaire catholique, concède non seulement
que certains guérisseurs traditionnels peuvent apporter des remèdes à certains maux (pp. 52-53 ; cf.
aussi pp. 158, 177-178), mais qu’ils peuvent résoudre certains problèmes de manière apparemment
inexplicable (cas de la chasuble retrouvée, pp. 71-75 ; cf. aussi pp. 154-158). Vis-à-vis de ses ouailles
et des « féticheurs » ou « idolâtres » eux-mêmes, il fait mine de croire que ces derniers sont les
suppôts du « Démon » ou du « Diable ». Mais en son for intérieur, il reconnaît que cette explication est
insuffisante, comme il l’explique longuement au docteur : « Fotigui [le grand maître du Komo] est à la
fois homme de science et de religion. […] Les Dieux l’ont choisi pour interprète. […] Il est investi de
pouvoirs surnaturels. C’est un élu. […] C’est un prophète. Pour le commun des Occidentaux, c’est un
« charlatan », un « sorcier » […] Mais moi que l’Afrique a instruit, je sais qu’il n’est rien de tout cela.
Toutefois, je ne le lui montre jamais. Ce serait reconnaître ses vérités qui s’opposent à celles que j’ai
mission de faire triompher. […] Plus tard, l’Afrique, elle-même, fera une démarcation entre Dieu et
la Science » (pp. 67-68).
Tout en adoptant « un comportement public d’emprunt » (p. 180) et faisant semblant de se moquer des
croyances africaines, plusieurs Européens sont initiés, atteignant souvent un grade élevé, dans cette
religion à vocation universelle, indifférente aux questions de « race » ou de couleur. L’enseignant
Soret qui, au début du récit, a ouvert sa maison bamakoise à des « gens du pays » dont « le Maître »
(qui, on comprendra plus tard, n’est autre que Fotigui) est devenu à la fin du récit (trois ans plus tard)
« le quatrième Maître du pays », proche du sommet de la hiérarchie coiffée par Fotigui, et prend une
part active au rituel qui vise à libérer Besnier. Le gendarme, apparemment naïf et maladroit, est en
connivence avec le personnel africain et a été admis dans « la secte du Coq » (p. 180 ; peut-être une
référence à la société initiatique du Kònò).6 Le juge, qui au début de son mandat méconnaissait le droit
coutumier, « est encore nouveau » (c’est-à-dire récemment initié) « mais tout laisse croire qu’il ira
loin ». Enfin, Besnier, dont la maladie provoquée par le vol de la statuette N’Tomo fournit la trame du
récit, devra vivre désormais dans un village du pays bambara du Kouroulamini (nom d’une contrée,
sise au sud de la petite ville de Bougouni), c’est-à-dire, à la manière indigène.

5
King 1983, Chevrier 2002 et Sommer 2004 ont fait la même constatation. Toutefois, Sommer pense que l’intention de
l’auteur est ironique – une interprétation qui est, à notre sens, démentie non seulement par la structure narrative du récit,
mais par les affirmations de l’essai Les Dirigeants portant sur les religions traditionnelles.
6
Concernant les sociétés initiatiques, voir notamment Zahan 1960. Cet ouvrage, de même que les documents cités
aux notes 8 et 9 (édités jusqu’au début des années 1970) auraient été accessibles à Seydou Badian avant la publication
de ses deux romans Noces sacrées et Le Sang des masques.

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Et qui est l’homme qui aborde Besnier lorsque celui-ci surprend, pour la première fois, le secret
de Soret ? « Tu es nouveau ? J’ai attendu le Maître, il ne viendra plus ce soir. Je m’en vais fermer la
porte » (p. 12). Un Français ou, plus probablement, un Soudanais qui parle français ? Car on imagine
mal Besnier parler une langue locale. Et le Maître, est-ce Fotigui ou bien (de même sans doute que le
portier) une divinité ?
Comme l’avait dit le Père Dufrane en s’adressant au docteur : « Tu vas me dire que tu n’y crois pas,
n’est-ce pas ? En ce cas tu serais le seul parmi les « Blancs » d’ici, car tous y croient. De l’administrateur
de la circonscription au dernier commis, chacun y a recours… » (p. 76).
Si le récit démontre que le Komo (et par implication, la religion traditionnelle bambara et les religions
africaines en général) a vocation d’accueillir des personnes de toutes origines, il révèle aussi qu’il s’agit
d’une religion du salut, à la pensée profonde, à l’égal de l’islam (p. 62) ou du christianisme. Comme
l’explique Fotigui : « Komo n’est pas une idole » (p. 61). « [ … ] Komo couvre aussi l’Au- delà » (p.
62). « Komo est maître de tous les éléments. Il a la force de tous les morts et de ceux qui sont à naître »
(pp. 63-64). A défaut d’être omnipotent, « Komo est invincible » (p. 64). A la rigueur, la spiritualité
semble se situer davantage du côté du Komo que des religions importées. Fotigui poursuit : « Si le
fleuve t’appartient, la source qui alimente tous les fleuves est à Komo » (p. 65).
« […] le monde du corps est celui des non-initiés » (p. 157). Comme dans les monothéismes, il existe
une divinité proche des humains : « Ceux qui sont seuls ne sont plus seuls. Tu es présent : témoin,
compagnon, complice. […] Ton vrai nom : Fidélité » (pp. 159-160). Lors de la séquence rituelle qui
marque la restitution du masque N’Tomo, les danseuses entonnent comme une réplique aux religions
importées : « D’autres hommes m’ont dit : ‘Tes Dieux sont morts, seul le nôtre est en vie, viens à lui.’
J’ai répondu : ‘Les Dieux morts sont puissants, un Dieu ne vit ni ne meurt.’ […] Et j’ai répondu : ‘Les
Dieux morts sont puissants’» (p. 168). Dans un autre passage, N’Tomo est décrit comme « vivant »,
mais principalement par rapport à ses effets sur la vie des fidèles : « N’Tomo sur son socle d’argile.
Dieu muet. Dieu de bois… Mais Dieu à jamais vivant pour ces hommes et ces femmes qui l’avaient
tant attendu… » (p. 171).
Soret insiste : « Il s’agit d’un dialogue avec les dieux : d’une rencontre entre les dieux, les génies et
les hommes. […] Tous ces masques s’adressent à toi. Ils t’invitent à une autre vie. Ils t’expliquent un
autre monde, mais seuls les bienheureux sauront les entendre » (p. 13).
On peut s’interroger quant aux sources d’information de Seydou Badian. Né à Bamako dans une
famille musulmane, il a vraisemblablement puisé dans ses souvenirs d’une enfance en partie passée
dans un village malinké. De même, il s’est très probablement inspiré des résultats de ses enquêtes
effectuées auprès des guérisseurs et autres connaisseurs traditionnels dans le cadre de ses recherches
pour le doctorat en médecine (thèse sur « Les traitements africains de la fièvre jaune », soutenue en
1955 à Montpellier), puis en tant que médecin de circonscription dans le cercle de Bougouni (1956-
1962), Cercle qui fournit le cadre du roman.7 L’examen de cette thèse montre que Seydou Badian s’est
non seulement intéressé aux savoirs locaux en matière de médecine et des propriétés curatives des
plantes, mais qu’il a recueilli des mythes cosmogoniques et connaissait la littérature ethnographique
de l’époque (1955, pp. 1-5, 10-13, 42).
C’est le propre père du médecin qui apporte (pp. 104-105) la clef d’une énigme qui ne manquerait pas
de frapper tout lecteur tant soit peu au fait des religions maliennes : comment se fait-il que N’Tomo
(ntomo), qui d’après Mornet « appartient à la Jeunesse » et « […] n’est ni Dieu de haine, ni Dieu de
sang » (p. 31) tourmente à ce point le Français ? Or, il ne s’agit pas de la divinité habituellement désignée
7
Peterson (2011) analyse l’islamisation dans la zone de Bougouni, encore très fortement « animiste » dans les années 1950.
Seydou Badian omet de sa thèse, probablement de manière délibérée, toute mention des localités enquêtées.

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par ce nom, mais d’une autre, en lien avec les mythes consignés dans le cahier conservé par Mornet.
Ces mythes pourraient donc s’inspirer des récits que Seydou Badian aurait personnellement recueillis
dans le Cercle de Bougouni (et plus particulièrement dans le Kouroulamini).8 L’ancêtre est nommé,
de manière assurément significative, « Dounamba » (dunanba, littéralement « le grand étranger »). S’il
s’agit d’un prénom habituellement donné à un enfant dont les aînés sont morts en bas âge, n’est-ce pas
un moyen pour l’auteur de souligner que tant qu’il n’est pas initié, l’être humain demeure étranger au
monde et à lui-même ? Interprétation que semblent étayer les paroles de Fotigui :
« J’ai connu quelques Blancs. Plusieurs vivaient comme des étrangers sur la terre parce qu’ils
méconnaissaient l’invisible » (p. 157).
Il est assurément significatif aussi que l’ancêtre n’ait vaincu qu’une seule des sept « déesses rebelles »,
ayant péri dès son second combat (pp. 27-30, 104-105). Le médecin imagine son père lui dire : « Tu
sais à présent que tu n’es pas grand-chose devant nos Dieux » (p. 100) corrélat logique de la croyance
en l’omnipotence ou l’invincibilité divine, que les religions monothéistes, néanmoins, s’abstiennent
de mettre en avant.
Pourtant, l’action du N’Tomo n’est pas trop sévère, si l’on juge par ses conséquences, car le village
qui a perdu son sanctuaire ne peut pas survivre. Lorsque Besnier et sa fiancée, accompagnés par le
docteur, se rendent au village lésé, ils découvrent que celui-ci a été abandonné. Seul y était resté le
vieux chef, qui leur déclara : « Je vous attendais, je vous ai attendus longtemps. Les autres sont partis,
mais moi je devais vous attendre. » (p. 161). Dès qu’il réalisa les conséquences du forfait de Besnier,
celui-ci « […] apparut alors au docteur dans toute son énormité. Il prit à ses yeux une signification
hautement inhumaine » (p. 106).
L’existence d’une proximité entre certaines liturgies (« mots rituels », dit le Père Dufrane ; p. 64) du
Komo et les religions monothéistes a été relevée par plusieurs auteurs et correspondrait, à certains
niveaux, à une réalité.9 Tel que dépeint par Seydou Badian, le Maître du Komo est au courant de
certains concepts des religions monothéistes : « ‘Lequel de vous deux [les tenants de l’islam ou du
christianisme] est propriétaire du côté droit ?’ ironisait-il » (p. 62 ; allusion à l’expression musulmane
« les compagnons de la droite » pour désigner les bienheureux).
Les correspondances, rappelées par le commis Doumbia, qui se définit comme « le dernier, le plus
minable des disciples du grand Maître Fotigui » (p. 177) entre le destin des individus et les divisions
culturellement reconnues du temps, sont en fait caractéristiques de la plupart des religions du monde.
Quant aux correspondances entre les différents ordres des espèces naturelles (minéraux, végétaux,
animaux), également cités par DOUMBIA, ils sont mentionnés dans la littérature ethnographique des
années 1930 à 1950, et semblent correspondre à des récits exotériques qui, à l’époque, pouvaient être
recueillis facilement (cf. pp. 178-179). Mentionnés dans la littérature ethnographique des années 1930
à 1950, de tels récits auraient pu tout aussi bien être recueillis par Seydou Badian.10

8
La même hypothèse est émise par Collini 2007, p. 33.
9
Voir notamment les travaux de Cissé et Dieterlen (1972), Camara (1994) et Sidibé (1978). A.H.Bâ et Fily Dabo Sissoko
avaient estimé que les religions traditionnelles anticipaient et préparaient la venue des religions monothéistes. Nous
pensons qu’il s’agit plutôt de la symbiose seculière de l’islam et des religions du terroir, renforcée dans certains cas par
les jihads du XIXe siècle (voir Tamari 2001 et 2016). Par ailleurs, Seydou Badian relève (dans Noces sacrées tout comme
dans Le Sang des masques) un certain nombre de prénoms d’inspiration musulmane, portés par des personnes qui se
réclament des religions du terroir.
10
Voir par exemple les emblématiques Dieu d’eau (Griaule 1948) et Signes graphiques soudanais (Griaule et Dieterlen
1951), tous les deux mentionnés dans la thèse de Seydou Badian, ainsi que Dieterlen 1951.

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Le récit brosse au passage des descriptions de la géomancie et de la possession par les esprits (pratique
qui en milieu bambara s’est vraisemblablement développée surtout à partir du milieu du XXe siècle)11,
en validant à chaque fois ces techniques de prévision.
Toutefois, à certains moments, la représentation des pratiques religieuses traditionnelles dans le roman
semble influencée par la connaissance qu’a l’auteur du christianisme (et plus particulièrement du
catholicisme) : « Torse nu, assis en tailleur, les yeux levés sur les murs tapissés de masques, ils [les
fidèles réunis dans la maison de Soret] récitaient des prières » (p. 11).
Les « masques et statuettes » qui « peuplent » les lieux (p. 11) semblent être davantage des icônes (avec
un clin d’œil aux « images pieuses » distribuées par le Père Dufrane, pp. 52, 59) que les êtres agissants,
doués de pouvoirs, que sont généralement les objets cultuels africains. Par ailleurs, s’il est avéré qu’en
milieu bambara, dans certaines circonstances, les fidèles marquent leur déférence à l’égard des divinités
en les invoquant torse nu, et qu’un sacrificateur puisse s’agenouiller, la prière en groupe, dans cette
position, n’est pas, à notre connaissance, attestée.
Néanmoins, Seydou Badian, à la différence de beaucoup d’autres penseurs, ne force pas le trait en
présentant les religions traditionnelles comme une sorte de monothéisme, où certaines entités ne
seraient que des intermédiaires. Les personnages du roman parlent régulièrement de divinités au
pluriel ; les génies de la brousse et les esprits à travers lesquels s’expriment les ancêtres auraient chacun
sa sphère d’action propre.
Le récit propose différentes interprétations, à caractère « rationnel », de l’apparente efficacité des
divinités et autres entités « surnaturelles ». L’une d’elles, initialement formulée par Mornet, semble
avoir l’approbation de Seydou Badian : «A mon avis, la science n’est pas tout, ou, si vous aimez mieux, il
n’existe pas qu’une science, la nôtre. Nous avons beaucoup à gagner en laissant aux autres la possibilité
de nous instruire, car il est difficile que tout un monde, ayant vécu des siècles durant isolé, coupé du
courant des échanges universels, n’ait pas quelques vérités à proposer » (p. 49). Ou comme le dit le
médecin : « Un ‘autre savoir’, d’autres forces existaient peut-être » (p. 77). Le commis et initié Doumbia
parle ouvertement du « Savoir Secret ou, si l’on préfère, l’Autre Savoir ». Et il salue le médecin, qui plus
que tout autre personnage du roman symbolise la rationalité, en tant que « Maître de demain » (p. 177).
Mademoiselle Beaune (« bonne » ; la fiancée de Besnier) intervient dans le même sens : « Ce n’est pas
de la superstition. Il s’agit certainement d’un de ces phénomènes que nous ne sommes pas arrivés à
pénétrer » (p. 90) ; « […] un peuple, quel qu’il soit, ne peut vivre des siècles sur ‘rien’. Nous pouvons
apprendre des plus arriérés […] » (p. 91).
Le gendarme, initié qui avait saisi la véritable raison des maux de Besnier, exprime un point de vue
proche : « […] tout serait tellement simple si nous autres, Européens, savions apprendre à marcher
au rythme des autres. Non pour leur faire plaisir, mais simplement pour bien nous comprendre nous-
mêmes » (p. 144).
Ce que le récit semble résolument rejeter, c’est l’idée que l’apparente efficacité des puissances
reconnues par les Africains relèverait simplement des « coïncidence[s] » (interprétation défendue par
le Commandant et critiquée par Mademoiselle Beaune, pp. 87-90).
Le cheminement du médecin vers l’acceptation des croyances du terroir, à la suite de ses échanges avec
des Blancs, puis des Noirs, qui y ajoutent foi, est aussi celui de la redécouverte de son identité bambara,
rejetée depuis l’adolescence (pp. 98-99). Alors qu’il est parfaitement à l’aise avec les codes sociaux
français, c’est Mademoiselle Baune, Française en court séjour au Soudan, qui ravive son intérêt pour la

11
Voir par exemple Gibbal 1982, Berger 2010.

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langue bambara (pp. 131-132). « Vous êtes bambara comme moi […] », lui déclare enfin Doumbia. Et
tout comme dans un roman policier, ce n’est qu’à la fin du récit que le médecin réalise que ses ancêtres
sont originaires précisément de la contrée dont fut dérobé le masque N’Tomo.
Fotigui aurait déclaré, peu avant de disparaître (pour rejoindre les esprits, p. 181 ; le récit n’emploie
pas le terme « mort » à son égard)12 : « Chacun de nous a son conflit avec son N’Tomo. Heureux celui
qui arrive à la paix » (p. 182. Clin d’œil à la psychologie freudienne ?
Les coloniaux Mornet et Soret sont au courant de la haute estime dans laquelle les arts africains sont
tenus dans certains milieux européens depuis le début du XXe siècle, mais ce n’est le cas ni de Besnier
ni de son interlocuteur Bellard. Soret déclare : « L’art nègre représenté ici est la forme majeure du
langage sacré… » (p. 13), Mornet parle de sa « passion » pour « l’art négro-africain » (p. 42), alors que
Bellard, approuvé par Besnier, parle des « bouts de bois mal taillés » (p. 14).

LE SANG DES MASQUES


Tout en présentant une vision du milieu rural qui est loin d’être idyllique, Le Sang des masques,
publié un an plus tôt (1976), est à peine plus critique à l’égard de la religion traditionnelle. Le village
est traversé par des sourdes rivalités qui éclatent parfois au grand jour entre membres d’une même
génération (jeunes ou notables), entre lignages, voire entre les membres d’une famille étendue
entraînant parfois la mort de plusieurs personnes. La pêche annuelle de la mare, sur laquelle s’ouvre
le roman, qui devrait être une fête joyeuse, devient rapidement le théâtre des violences et des défis, de
même que la danse qui lui succède le même soir.
Le rôle de police assumé par les sociétés initiatiques dont les sanctions sont le plus souvent motivées,
mais quelquefois purement abusives est mis en évidence dans le roman. L’action du poison korté
(kòròti), censé opérer à distance (et qui selon le roman, est lancé au moyen des fléchettes), est central
à deux épisodes du roman, alors que dans Noces sacrées, ce mode d’intervention occulte n’est évoqué
que brièvement (pp. 76, 158).
Le Sang des masques traite longuement de la présence des imposteurs parmi ceux qui se réclament des
pratiques religieuses traditionnelles, alors que ce thème est complètement absent des Noces sacrées.
Ainsi, Bantji, l’un des principaux personnages du roman, est critiqué comme un faux soma (spécialiste
religieux traditionnel), qui n’a pas de savoir ésotérique réel et ne communique ni avec les divinités,
ni avec les ancêtres : c’est un simple manipulateur de poisons, tels que ceux absorbés et injectés par
les scorpions qu’il élève. Ses débuts ont été favorisés par une série de coïncidences apparentes, dont
la première était due, en réalité, à l’action des anciens qui décideront enfin de l’éliminer, à la suite de
ses nombreux abus. Trop de fois, Bantji (Banci ; jeu de mots sur ban, « terminer », « achever » [donc
aussi, la vie des personnes] ou « refuser » et/ou sur kalabanci, « menteur » ?) a tué, en faisant précéder
chacun de ses forfaits d’un concert terrifiant (suburu – orchestre des « trompettes de la mort »).
Mais ni la puissance des divinités, ni l’efficacité des techniques employées par les véritables
connaisseurs, n’est mise en cause. Réunis en conciliabule, Bassy (basi, « support de puissance »,
« fétiche »), maître du Bois sacré, Gnanankoro (nyanankòrò : de nyanan, désignation d’une catégorie
particulière de « supports de puissance » et kòrò, « vieux », « ancien »), le chef de village légitime,
destitué par l’administration coloniale, et Minan, le forgeron, se rendent compte qu’ils sont eux- mêmes
responsables du premier succès apparent de Bantji :

12
En effet, d’après nos enquêtes de terrain (Mali et Guinée, 1985-2018), dans certains milieux bambara et malinké on
considère que les chefs des sociétés initiatiques, tout comme ceux de certains pays et villages, voient leur existence
transformée mais ne meurent pas ; ces croyances peuvent être rapprochées de celles relatives à la « royauté sacrée ».

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« [Bassi :] – Le garde qui perdit la vie après avoir fouetté Bantji a-t-il été frappé par lui seul ? Aucun
mot n’étant plus dangereux entre nous, je vous avoue que j’y ai mis la main.
– J’ai agi également, affirma Gnanankoro.
[Minan :] – Comme vous, j’y ai ma part. (pp. 58-59.)
Chez Bantji, le recours à l’imposture est systématique ; mais d’autres ont des pouvoirs réels. Par
exemple : « Lorsque les nuages s’accumulaient et assombrissaient la face des jours de fête, Bantji
criait par les rues : Dansez ! dansez ! j’arrêterai les eaux… Il savait que d’autres, notamment lui Bassy,
soufflaient sur la face du ciel » (p. 72).
Cette société traditionnelle, pourtant mortifère, a ses vertus, dont la loyauté personnelle et le sacrifice
de soi – vertus, justement, garanties par les rites. Ce sont ces rites qui consacrent les relations d’amitié
entre garçons et filles ainsi que les mariages, qui expliquent l’intégrité absolue de Bakari ainsi que la
loyauté sans faille des amis de son défunt père à son égard.
Lorsque Bassy revoit enfin le Grand Elan (divinité antilope), annonçant l’apaisement de la nature et
de la société (après une sècheresse et des incendies exceptionnels, que ce maître attribue aux méfaits
de Bantji et de son fils), c’est une grande joie pour lui et tous les anciens qui lui sont proches.13
Par ailleurs, souligne le roman, les conflits au village sont exacerbés par la colonisation (qui ne respecte
ni les valeurs, ni les structures sociales anciennes) et l’urbanisation trop hâtive qui s’est produite dans
son sillage.
Sur un point important, Le Sang des masques nuance (de même que Sous l’orage et La Saison des
pièges), la vision de la religion traditionnelle qui se dégage des Noces sacrées. Alors que cette œuvre
met en évidence l’apport universel et le caractère non racial de la culture religieuse traditionnelle, les
trois autres romans insistent sur l’importance du « sang » – c’est-à-dire, des identités lignagères et
locales (par exemple, villageoises). Dans chacun de ces romans, les protagonistes africains découvrent
qu’il est indispensable de se ressourcer au village de leurs ancêtres.
Alexandra Nora Kazi-Tani (1990) a argumenté de manière convaincante que les conflits et les
conciliabules au village représentent allégoriquement ceux des débuts des indépendances, ce qui
expliquerait pourquoi ce roman est moins clairement situé dans le temps que les autres récits de Seydou
Badian. Elle a également raison de souligner que le trio qui réunit les principales responsabilités
rituelles et politiques du village redoute le monstre qu’il a créé en Bantji.
Toutefois, cette réalité métaphorique ne doit pas occulter le plan littéral. Ceux qui connaissent le milieu
rural savent que les conflits y sont endémiques. L’élimination successive des adversaires est autant
caractéristique de la vie villageoise que de l’Etat à parti unique. S’agissant d’un point plus précis,
l’hypothèse émise par Kazi-Tani selon laquelle le trio cherche à supprimer Bakari, le fils de leur feu
ami Tiéfolo (cèfòlò), semble gratuite : si la vieille Nassoum, mère de Bakari, demande la protection
du trio, c’est parce qu’elle a confiance en ses pouvoirs et sa moralité ; une requête adressée à Bantji,
envieux et haineux, serait nécessairement contreproductive.

SOUS L’ORAGE ET LA SAISON DES PIÈGES


Bien que ces deux romans soient centrés sur la question du mariage telle qu’elle pouvait se présenter
dans la société malienne à un demi-siècle d’intervalle (au début des années 1950 et vers 2000
respectivement) et que leur action se déroule principalement en milieu islamisé, les pratiques religieuses
traditionnelles y tiennent une place importante.

13
Concernant la représentation des antilopes dans la société bambara, voir notamment Zahan 1980.

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Les deux romans présentent une structure analogue. Natif de la ville (voire résident à l’étranger),
le protagoniste effectue un séjour au village, ce qui lui permet de réconcilier valeurs anciennes et
nouvelles, individuelles et collectives, et de se préparer au mariage. Dans l’un comme l’autre roman, le
trajet de la ville au village, par les transports en commun, fournit l’occasion d’un échange de points de
vue très divers, sur des questions de société, entre personnes qui ne se connaissaient pas initialement.
Sous l’orage présente un panorama très complet des objets et activités traditionnels à connotation
religieuse : « fétiches, étranges statuettes, masques aux mille tatouages » (p. 111), arbre et animaux
protecteurs du lignage ou du village, bois sacré, sacrifices, divination, sociétés initiatiques, association
de chasseurs, « grande pêche » (c’est-à-dire, probablement, pêche rituelle annuelle à la mare) (pp. 104-
127). Or, les dialogues comme le déroulement de l’action tendent à montrer que ces savoirs, s’ils sont
différents de ceux de la ville (c’est-à-dire de l’Occident), ne sont pas incompatibles. De surcroît, les
véritables maîtres (tels que l’oncle Djigui, ou Tieman-le-Soigneur, lettré qui connaît aussi les choses
anciennes) savent agir avec bienveillance et tolérance. Auparavant, en ville, l’héroïne, Kany, ajoute
foi au présage annoncé par l’oiseau dabi (désignation de certaines espèces d’engoulevent), et la suite
des événements semble lui donner raison (pp. 65-67).
Dans La Saison des pièges, dont l’action se déroule entre l’Europe et le Mali, au début des années 2000, le
protagoniste, qui a grandi parmi des amulettes, talismans et décoctions, préparés par « des marabouts, des
voyantes et des féticheurs » (pp. 16-17) découvre en France une association de chasseurs (formée par des
travailleurs et anciens combattants), avant de découvrir une autre, en milieu rural au Mali, de même que
le concept des plantes et des animaux interdits.14 Vers la fin du récit, il semble accepter avec bienveillance
(sinon croyance) un mythe lignager, portant sur les antiques aventures du varan et de l’épervier à tête rouge.
On notera au passage que les trois romans aux protagonistes africains (Sous l’orage, Le Sang des
masques, La Saison des pièges) forment comme une trilogie, dépeignant trois étapes successives dans
l’évolution des pratiques matrimoniales en milieu mandingue du Mali.
Le Sang des masques, dont l’action se déroule principalement en milieu rural, décrit la situation la
plus traditionnelle : à une relation chaste entre tònmuso et tònkamalen, fille et garçon qui se choisissent
mutuellement entre « valentins et valentines », comme le dit poétiquement Amadou Hampâté BA doit
obligatoirement succéder un mariage avec un(e) partenaire différent(e), choisi(e) par les aînés.15
Sous l’orage, situé à peu près à la même époque mais essentiellement en milieu urbain, décrit une
situation déjà sensiblement transformée. L’institution des « valentins » et « valentines » n’existe
pas dans la capitale et, si les jeunes filles n’ont, le plus souvent, pas de mot à dire concernant leur
mariage, les hommes, pourvu qu’ils détiennent certains moyens, bénéficient d’un choix élargi ; car les
considérations économiques l’emportent sur toutes les autres.
Le personnage central de La Saison des pièges revendique le choix personnel du partenaire, voire la
possibilité de rester célibataire. Toutefois, une série presque magique de rencontres, d’abord en ville
puis au village, subtilement organisée par son entourage, l’amène à choisir, dans sa parenté étendue, une
épouse dont le niveau scolaire se rapproche du sien. C’est comme si, dans les conditions grandement
modifiées du début du XXIe siècle, le roman donnait raison, dans une certaine mesure, au point de vue
traditionnel selon lequel le mariage intéresse l’ensemble de la communauté et singulièrement les aînés.

14
Bien que l’auteur n’emploie pas ce terme, il s’agit certainement des tènè (terme habituellement traduit par « totem »)
– animaux et végétaux, plus rarement objets inanimés « respectés », interdits à la consommation et, dans certains cas,
également à la vue ou au toucher, ayant un lien particulier avec un groupe humain.
15
Ces relations platoniques entre jeunes sont évoqués par Ranc (1987) aussi bien que Bâ (1991). L’opposition, culturellement
fondamentale, entre amitiés librement choisies à l’adolescence et mariage imposé par la famille étendue, mériterait des
plus amples études.

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REVUE MALIENNE DE LANGUES ET DE LITTÉRATURES

Entre temps, avec Noces sacrées, Seydou Badian nous aura donné un aperçu du mariage à la française,
dans les milieux bourgeois et petit-bourgeois des années 1940 et 1950 : les longues fiançailles d’André
Besnier et de Mademoiselle Baune, le paraître des fonctionnaires de la petite ville de Bougouni. Ce
même roman confirme que dans le milieu africain, le mariage de chacun intéresse l’ensemble de ses
membres.16
Autre trait remarquable des romans de Seydou Badian : la grande importance accordée à la relation
frère-sœur. Dans Sous l’orage, la formation du couple en devenir (Samou et Kany) est facilitée par
Birama, le frère de Kany le plus proche d’elle en âge. Monsieur Mornet s’adresse à Madame Bernard,
sœur d’André Besnier, comme étant la personne la plus proche de lui. Le parcours scolaire du héros
de La Saison des pièges est grandement facilité par son oncle maternel. Seydou Badian perçoit-il une
proximité entre la relation frère-soeur, telle qu’elle est vécue en Afrique occidentale et en Occident ?
ou bien transpose-t-il cette relation institutionnellement marquée en milieu mandingue à la société
française ?

LA MORT DE CHAKA
La pièce de théâtre La mort de Chaka, initialement publiée en 1961, traite de la relation entre la fin
et les moyens, en politique et à la guerre, questionne (et justifie) les sacrifices demandés au peuple.
« Chaka, aux yeux de l’histoire, est le plus grand conquérant noir que l’Afrique ait connu », estime
l’auteur dans sa « Préface » (p. 187 de l’éd. de 1972). Or, ce conquérant est profondément religieux.
Seydou Badian évoque (conformément au récit de Thomas Mofolo) la protection du sorcier- guérisseur
Issanoussi ainsi que les prophéties du Seigneur des Eaux Profondes, divinité ayant la forme d’un
immense serpent aquatique (p. 238).
De manière significative, Chaka renomme son peuple les Zoulou, « fils du Ciel », par référence à la
demeure du Tout-Puissant. Il est assassiné alors qu’il s’est isolé, selon son habitude, pour prier Son
« Maître », le « Tout-Puissant » (cf. pp. 192, 200, 226, 231, 248-249, 251-252).

CONGO. TERRE GÉNÉREUSE, FORÊT FÉCONDE


Si dans l’essai Congo. Terre généreuse, forêt féconde (1983) principalement consacré à la description
de l’environnement naturel, aux questions de développement et aux arts nouveaux les religions tiennent
relativement peu de place, Seydou Badian y trouve néanmoins l’opportunité de réaffirmer la valeur
spirituelle et intellectuelle de celles nées sur le terroir.
Il cite avec approbation le commentaire de l’un de ses amis congolais : « Mais qui dit que nos ancêtres
n’avaient point écrit ? Est-il écriture plus pleine, est-il texte plus parlant à l’esprit et au cœur qu’un
masque ? » (p. 116).

PUIS IL POURSUIT EN SON PROPRE NOM :


« Tel masque […] stylisé, schématisé à l’extrême pour résumer l’ordre de l’univers et dedans la place de
l’homme, peut-il se lire sans exercice intellectuel hardi, sans réel effort d’abstraction ? Ce patrimoine
culturel […] ne nous a-t-il pas été conservé, et par la tradition orale, et par la culture qui en est aussi la
substance ? […] Signature d’intelligence et de sensibilité » (pp. 116-117). « Par l’artiste traditionnel
africain, les forces supérieures s’installaient parmi les hommes et prenaient part à leur vie. L’art, ici,
n’est point reproduction de la nature mais représentation symbolique d’une « Puissance » (p. 117).

16
Lors du premier dialogue entre le médecin et Tiémoko-Masa (alias Fotigui), ce dernier affirme : « Il est temps […]
Ce n’est pas ton affaire à toi seul, mais celle de tous » (p. 126).

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Au Congo comme au Mali, les adeptes des religions traditionnelles dialoguent avec les divinités et les
ancêtres (pp. 120, 136-137 ; cf. aussi pp. 76, 106-108, 112-113, 153, 160-161, 164).

REVALORISATION DES RELIGIONS TRADITIONNELLES


DANS LA LITTÉRATURE ET LE CINÉMA MALIENS
L’attitude de Seydou Badian à l’égard des religions traditionnelles est aux antipodes de celle des deux
hommes politiques de l’aire mandingue les plus en vue au moment des indépendances : Sékou Touré
et Modibo Keita. Mais elle relève d’un puissant courant de la littérature francophone et du cinéma
maliens, tendant à revaloriser ces religions.
Nous ne pouvons, ici, citer que quelques exemples.
Fin géomancien, Fily Dabo Sissoko défendait le cadre épistémologique et ontologique des religions
« animistes » du terroir, soutenant par exemple qu’il était plus raisonnable, d’un point de vue scientifique,
de considérer que l’ensemble des êtres soient animés (voir, par exemple, Sissoko 1959).
Amadou Hampâté Bâ soutenait (rejoint sur ce point par Fily Dabo Sissoko) que les religions du
terroir avaient préparé la venue de l’islam, d’une part, et que de nombreux cultes traditionnels avaient
une origine islamique, d’autre part (Bâ et Cardaire 1957, Bâ 1980). Si bien que, tout en étant soufi
et muqaddam de la Tijaniyya, il ne voyait aucun inconvénient à participer aux cérémonies animistes
(voir, par exemple, Bâ 1969-1970). Dans Wangrin (1973), tout se passe comme si non seulement les
intercessions des marabouts, mais aussi les cultes traditionnels, étaient fondés sur des vérités.
Dans les œuvres de plusieurs auteurs plus jeunes également, tout se passe comme si les croyances
et techniques ésotériques traditionnelles étaient empiriquement fondées. Ainsi, dans le roman de
Nagognimé Urbain Dembélé, L’Inceste et le parricide (1980), qui privilégie pourtant l’analyse
psychologique des personnages, la succession des événements semble valider l’interprétation du
narrateur, selon laquelle l’esprit du père offensé supprimait un à un ses propres enfants.
Dans le roman de Modibo Sounkalo Keita, L’Archer bassari (1983), les membres d’une communauté
paysanne prédisent l’avenir et suivent en temps réel des événements qui se déroulent à plusieurs
centaines de kilomètres d’eux, grâce à la géomancie.
De même, Aly Diallo, dans La Révolte du Kòmò (2000), raconte les revendications, justifiées et enfin
entendues, des villageois qui réclament les objets sacrés de leur Komo, exposés au Musée national.
Le récit apporte un démenti à la dérision facile manifestée par les deux religions monothéistes (dont
les responsables hiérarchiques, à en croire l’auteur, s’entendaient très bien à l’époque) à l’authentique
religion du terroir.
Dans Les Amants de l’esclaverie d’Ismaïla Samba Traoré (2004), roman de critique sociale, une termite
transformée en devin formule des prévisions très justes, alors que des lampes magiques permettent
aux maîtres de récupérer les esclaves fugitifs.
Moussa Konaté, dans L’Empreinte du renard (2006) puis dans La Malédiction du lamantin (2009)
construit des romans policiers à partir des mythes et croyances des Dogon et des Bozo respectivement.
Tout en insistant sur la psychologie des personnages et l’influence du milieu, il ne rejette pas clairement,
en tout cas dans le second roman, tout élément surnaturel.
Tout récemment, dans le roman Pour un adultère de Paul-Marie Traoré (2012), qui s’inspire d’un fait
réel, tout se passe comme si la déchéance, puis la disparition, d’une famille d’éleveurs peuls résultaient
de la sanction surnaturelle d’une transgression.

93
REVUE MALIENNE DE LANGUES ET DE LITTÉRATURES

Dans le film Yeelen (« La Lumière ») de Souleymane Cissé (1987), qui se réfère explicitement aux
travaux de Dominique Zahan et de Youssouf Tata Cissé sur les milieux bambara et malinké, tout se
passe comme si les croyances en les objets cultuels du Koré (Kòrè), en la géomancie et le pilon magique
qui permet d’identifier les voleurs, étaient confirmées. Les sociétés initiatiques sont présentées comme
détentrices des savoirs vrais ; toutefois, estime le jeune héros qui fuit la colère du maître ainsi que la
voix off sur laquelle s’achève le film, elles ont été gérées de manière égoïste, désormais il faudrait
qu’elles soient au service de tous.
Ta dona Au feu ! d’Adama Drabo (1991) conclut sur une transposition au féminin de la figure
d’Ogotemmêli (sage dogon qui fut le principal informateur de Marcel Griaule pour son livre Dieu
d’eau, dans lequel ce chercheur revendiqua – une première pour un auteur européen – une profondeur
philosophique pour une religion soudanaise). Taafe fanga (1997) raconte ce qui arrive lorsque les
femmes découvrent et prennent contrôle d’un masque.
Le film Faro, la reine des eaux de Salif Traoré (2007) jette un regard sceptique sur les amulettes et la
croyance en Faro, divinité du fleuve Niger. Si, à tel endroit, le fleuve déborde régulièrement en faisant
des victimes, il suffirait de l’aménager, affirme l’ingénieur qui en est l’un des principaux personnages.
Toutefois, le film valide deux techniques traditionnelles pour détecter les enfants adultérins et leurs
pères (le fait de se brûler en plongeant la main dans le to (un plat de mil) chaud ; le fait de glisser
lors d’une course à pied). Si donc ce film récuse certains préjugés sociaux, il affirme ou infirme les
croyances traditionnelles de manière sélective.
Le film Da Monzon, la conquête de Samanyana, de Sidy Fassara Diabaté (2010), ainsi que la série
télévisée Les Rois de Ségou de Boubacar Sidibé (2010-2011), accordent une large place à l’ésotérisme
et aux croyances religieuses traditionnelles. Dans la série, celles-ci sont systématiquement confirmées :
les grands pouvoirs de certains chefs ; le rôle protecteur de certains animaux génies ; les prévisions des
devins se réclamant des religions du terroir aussi bien que des marabouts ; l’efficacité de la bénédiction
(ou malédiction) des parents.
Dans l’opéra Le Vol du Boli, produit de la collaboration du compositeur britannique Damon Albarn
et du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako (qui a situé plusieurs de ses films au Mali), œuvre
dont les premières représentations ont eu lieu à Paris en octobre 2020, l’enlèvement de l’objet sacré,
dérobé dans une case, symbolise l’expérience coloniale.17 Cette œuvre semble toutefois s’inspirer
d’un épisode relaté par Michel Leiris, dans son récit L’Afrique fantôme (1934), plutôt que du roman
de Seydou Badian.

CONCLUSION
Seydou Badian a manifesté un intérêt marqué pour les religions traditionnelles tout au long de sa
trajectoire d’homme politique et d’écrivain. Il s’est penché sur les religions mandingues (malinké et
bambara) dans ses romans situés au Soudan / Mali ainsi que dans son essai Les Dirigeants africains face
à leur peuple ; sur les pratiques religieuses des Zoulous, dans sa pièce de théâtre consacrée à Chaka ;
et sur les religions congolaises, dans son essai consacré au Congo. Il considère que ces religions, qui
ont fondé l’ordre social précolonial, sont un élément essentiel peut-être le plus essentiel de l’héritage
culturel africain ; héritage qui mérite d’être connu et, du moins en partie, perpétué. Au point que dans
son écriture romanesque, tout se passe comme si ces religions étaient empiriquement validées.

17
Boli est la désignation générique mandingue des « supports de puissances » ou, comme on disait autrefois,des « fétiches ».

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ADDENDUM
Ce n’est qu’après avoir achevé la rédaction de cet essai, que nous avons pu accéder à la thèse de doctorat
de Seydou Badian Kouyaté, soutenue en 1955 à la Faculté de Médecine de l’Université de Montpellier.
Cette thèse préfigure déjà plusieurs facettes de son activité littéraire et politique à venir, et en particulier,
exprime l’idée qui, à notre sens, sous-tend l’ensemble de son œuvre publiée, à savoir que la valorisation
de l’héritage culturel africain est indispensable à la réhabilitation et au développement du continent.
Conscient à la fois de la valeur de cet héritage et de l’incompréhension dont il faisait le plus souvent
objet, il clôt son mémoire par les paroles suivantes :
En effet, nous estimons qu’au lieu de jeter un anathème aveugle sur nos anciens et leurs pratiques, il
nous incombe à nous [la génération africaine d’aujourd’hui] de nouer un dialogue avec notre vieux
monde. Ce dialogue nous permettra peut-être un jour d’apporter quelque chose à la famille humaine,
et partant d’y être reçus non plus en invité mais en qualité de membres actifs et l’humanité n’en sera
que plus grande, car, comme disait A[ntoine] de Saint-Exupéry, « La belle danse naît de la ferveur à
danser et la ferveur à danser exige que tous dansent même ceux-là qui dansent mal ».18
Nous espérons revenir, dans un prochain essai, sur les riches apports intellectuels de cette thèse.

RÉFÉRENCES CITÉES
Œuvres de Seydou Badian
• Les traitements africains de la fièvre jaune. Thèse de doctorat, Faculté de Médecine, Université de
Montpellier, 1955. (Soutenue sous le nom : Seydou Kouyaté.)
• Les Dirigeants africains face à leur peuple. Paris : François Maspero, 1964.
• Sous l’orage (Kany) roman suivi de La Mort de Chaka pièce en cinq tableaux. Paris : Présence
africaine, 1972. (Premières éditions, respectivement : 1955, 1961.)
• Le Sang des masques. Roman. Paris : Robert Laffont, 1976.
• Noces sacrées. (Les Dieux du Kouroulamini). Paris : Présence africaine, 1977.
• Congo. Terre généreuse, forêt féconde. Paris : Jeune Afrique, 1983.
• La Saison des pièges. Abidjan : CEDA, NEI ; Paris : Présence africaine, 2008.
Autres références citées
a) Ecrits :
• Bâ, Amadou Hampâté. Vie et enseignement de Tierno Bokar, le Sage de Bandiagara. Paris : Le Seuil,
1980. (Première version, cosignée avec Marcel Cardaire : Tierno Bokar, le Sage de Bandiagara. Paris :
Présence africaine, 1957.)
, « Le grand fétiche de Yérémadio », Ecclesia. L’Eglise dans le monde 249, déc. 1969 : 27-33 ;
« Le grand fétiche de Yérémadio, II » 250, janv. 1970 : 48-55.
. L’Etrange destin de Wangrin ou Les Roueries d’un interprète africain. Nouvelle édition, avec
une postface de l’auteur. Paris : Editions 10/18, 1992. [1ère éd. : 1973.]
. Amkoullel, l’enfant peul. Arles : Actes Sud, 1991.
• Berger, Laurent, « La centralisation d’un culte périphérique : Islam, possession et sociétés d’initiation
au Bélédugu (Mali) », Politique africaine n° 118, 2010 : 143-164.

18
1955, p. 41. Citation de La Citadelle, œuvre posthume de Saint-Exupéry, éd. 1948.

95
REVUE MALIENNE DE LANGUES ET DE LITTÉRATURES

• CAMARA, Sory. Grain de vision. Afrique noire, drame et liturgie. Bordeaux : Centre d’étude d’Afrique
noire, 1994. (Travaux et documents, 42.)
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REVUE SCIENTIFIQUE SEMESTRIELLE DE L'ULSHB / Nº SPÉCIAL 10 - MARS 2022

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• DIABATE, Sidy Fassara. Da Monzon, la conquête de Samanyana. 2010. 110 minutes. (En bambara,
sous-titré en français.)
• DRABO, Adama. Ta dona Au feu ! 1991. 100 minutes. (En bambara et en français.)
. Taafe fanga. 1997. 95 minutes. (En dogon et en bambara, sous-titré en français.)
• SIDIBE, Boubacar. Les Rois de Ségou. Diffusion ORTM et TV5 Monde. 41 épisodes de 26 minutes.
(En français ; doublé en bambara.)
• TRAORE, Salif, réalisateur. Faro, la reine des eaux. 2007. 96 minutes. (En bambara et en français.)
c) Opéra :
• SISSAKO, Abderrahmane ; Albarn, Damon. Le Vol du Boli. Théâtre du Châtelet, Paris, 7- 8-9
octobre 2020.

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