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Le culte des ancêtres chez les Lamé

Par
SOUKSI Ezékiel MOUNTCHI Gilbert*

Cet article a une vision anthropologique. Il fouille dans la culture du peuple lamé,
appelée sous d’autres cieux pévé. Il essaie d’investiguer sur les rites traditionnels
dudit peuple en ce qui concerne les cérémonies dédiées à l’accompagnement d’un
mort vers le pays de l’au-delà. Il s’attarde sur les obsèques, le deuil et les
funérailles.
« Il n’ya pas de culture sans peuple, ni de société sans culture », déclare Irina
Bokova, dirigeante de l’UNESCO, (2009). Et à Frederik Jézégou, dans
Dictionnaire de citations, SAS de renchérir « un peuple sans culture est un
peuple sans âme ». (2012).
Évidemment, l’âme d’une société, d’un peuple, réside dans sa culture et l’un des
maillons essentiels de cette culture est le culte des ancêtres. S’il y a une vie, il y a
l’après vie, la mort est la voie royale pour y accéder. La société lamé dispose
alors des rites expiatoires, d’accompagnements des défunts vers cette après vie.
Ainsi, nous nous proposons de le présenter dans cet article.
Propos liminaires
Avant d’attaquer le thème principal d’étude à savoir « le culte des ancêtres chez
les lamé », nous nous proposons de clarifier certains concepts ambigus qui peuvent
prêter à confusion, afin de donner une orientation précise à cette réflexion, basée
sur une enquête ‘’anthropologique’’ menée auprès des patriarches lamés et sur les
documents glanés ça et là. Il aura fallu que l’on se posât des questions parmi
lesquelles :
Qu’est-ce qu’un ancêtre ?
Albert De Surgy dans son ouvrage : le « culte des ancêtres » en pays evhé, 1975,
Cahier 1 définit le terme ancêtre comme étant : « ce qui subsiste de la personne
d’un défunt après qu’il ait été introduit, par les rites de funérailles au pays de ses
ancêtres ». P. 105.
Dans ce sens, un ancêtre est une personne ancestralisée par les rites traditionnels
sacrés. Une personne accompagnée par des pratiques culturelles traditionnellement
entretenues vers le pays de l’au-delà. Dans une certaine mesure, l’ancêtre est
considérée comme « un intermédiaire entre les vivants et la divinité »,
l’Encyclopédie des jeunes, Larousse, 1997.
En effet, « Après la mort physique, l’individu rejoint le règne des esprits, lequel
n’est ni enfer ni paradis, mais un espace parallèle très proche de celui des vivants
où l’âme continue d’évoluer au gré de ses qualités bonnes ou mauvaises », selon le
Baron Perché.
À quoi renvoie le culte des ancêtres ?
Julien Bonhomme, 2008, écrit le culte des ancêtres renvoient aux : « rites
propitiatoires que les vivants mettent alors en œuvre pour s’attirer les bonnes
grâces des défunts » ; P.P 159 ; 168.
Il faut être très vigilant ici, car le culte des ancêtres n’est pas le culte des ‘’morts’’.
Pour Kopytoff, 1971, cité par Julien Bonhomme, (up cite), le culte des morts
suppose que les morts exercent une emprise sur les vivants. Les ascendants défunts
sont en effet considérés comme des agents essentiels à la pérennité du groupe et
qu’il faut par conséquent respecter.
On comprend avec aisance que le culte des ancêtres constitue des cérémonies
cultuelles et sacrificielles qui ont pour valeur d’accompagner les défunts vers le
pays des ancêtres, vers l’ancestralité, de libérer l’esprit du défunt du monde des
vivants, d’invoquer l’indulgence divine sur le défunt et d’espérer la bonne grâce du
défunt sur les siens, afin qu’il les laisse tranquille dans le monde visible.
A quoi renvoie le culte des ancêtres chez le peuple lamé ?
Le peuple lamé, géographiquement, a pour fief la région du Nord Cameroun et le
Sud-Est du Tchad. Mais, avec le phénomène de mondialisation, ce peuple migre et
parsème les pays d’Afrique, voire du monde en générale. Longtemps discret, à
cause de sa tradition fortement orale, le peuple lamé se retrouve exhibé ; et
pourtant pas de moindre à en croire les divers écrits, les reportages et
documentaires médiatiques, ethnoculturels et anthropologiques.
La société lamé, de par son organisation politique est une société patriarcale
comme la plupart des sociétés africaines, bien hiérarchisée et structurée avec à sa
tête un chef appelé ‘’djə’’.
La question de mort et des cultes des ancêtres occupent une place importante dans
cette société. À étudier sa tradition ancestrale, quoique flippée reste de mise dans
certaines contrées lamé.
Pour le lamé la mort est un mystère qui transcende l’individualité biologique,
comme le démontre cet extrait de poème de BIRAGO Diop (1961).
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire
Et dans l'ombre qui s'épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l'arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l'eau qui coule,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts. »

Cependant, leur passage de la vie à l’au-delà mérite une vénération, une


lamentation afin de leur accorder un repos paisible, ostentatoirement à l’annonce
d’un décès : il s’agit alors de les ancestraliser.
Les types de mort dans la tradition lamé

Chez le peuple lamé, il existe trois types de mort : la mauvaise mort, la bonne mort
et la mort noble. A l’annonce de la disparation d’une âme, la question évidente qui
se pose c’est « quelle est la cause du décès ? Dans quelles conditions est-il mort ?

Ces interrogations sur l’origine et les conditions du décès servent à déterminer le


type de mort, et l’avis des ancêtres sur la vie du groupe familial1

 La bonne mort
La bonne mort est celle d’une personne âgée, ayant une descendance considérable
(fils, petits fils, arrière petits fils, etc.) Elle n’est pas une surprise pour le défunt
car, celui-ci, est considéré comme un sage dans la société, ‘’une bibliothèque de la
tradition’’ comme le dit Joseph KI-ZERBO.

En effet, chez le peuple lamé, la mort ne surprend pas un sage. Elle est donc
anticipée et préparée par le défunt. Elle alerte l’esprit vivant du sage afin que celui-
ci prépare les siens. Elle survint lorsque le sage est dans son lit d’agonie, entouré
des siens. C’est le moment crucial où l’agonisant dicte sa dernière volonté,
présente son testament de façon orale, choisit son héritier et impose sa main sur ce
dernier accompagner des paroles de providence : une bénédiction ancestro-
parentale.

Cette scène a une portée importante dans la famille : elle est une bénédiction qui
jaillit sur le disparu et la famille ; elle attenue la douleur du détachement affectif
entre le disparu et les siens ; elle présage le renforcement du lien avec les ancêtres.
Le défunt a alors droit aux obsèques, et aux funérailles.

Hormis cette condition de mort, il git d’une autre mort.

 La mauvaise mort

Toute mort survenue hors de la portée des siens, de façon mystérieuse, et à jeune
âge est taxée de mauvaise mort, car prématurée, inattendue et admissible. Elle peut
être due à une courte maladie, un accident, une agression, la main d’homme, ou le
1
Roger Kuipou, dans le culte des ancêtres chez les Bamiléké de l’ouest du Cameroun, 2015, fait allusion à une
menace éventuelle, manifestation d’une menace qui pèse sur le groupe familial et le désordre dans la
communauté.
‘’dlap’’2 ; etc. Elle n’a pas laissé le temps au disparu de préparer sa progéniture et
son départ vers l’ancestralité.

Dans ce cas, la famille fait appel aux gardiens de la tradition, les spécialistes des
morts. Ceux-ci organisent l’enterrement hautement ‘’sacralisé’’. Ce qui pourrait
couter très cher à ceux, ayant anticipé sa mort- les coupables-car, mystérieusement,
ils vivront un éventuel malheur dans leur famille, ou une série de malheurs. Parce
que « les ancêtres punissent, et ils punissent très mal lorsqu’on enfreint à leur
volonté ». disait le bien heureux patriarche Kedaï Sey Liassoum.

A la mauvaise mort, s’assimile une autre, et non de plus gaie, celle dite noble.

 La mort noble

La mort noble chez le peuple lamé n’est celle que subissent les personnes issues de
la classe royale, encore moins de la classe sociale aisée. Loin de là, elle représente
également celle d’un combattant, un libérateur. Car, les peuples lamé, de par leur
histoire sont des vaillants guerriers3.

Ceci dit, lorsque le sujet, guerrier décède lors du combat, ou lors de la libération
d’esclavage ou d’otage, il est accompagné vers l’au-delà avec ses armes et une
cérémonie particulière l’accompagne. Ici, l’on croit que ce dernier a une âme qui
surgit toujours pour défendre les siens. Il combattra pour eux même à l’au-delà.
Ceci, selon la conception du peuple.

Cette mort vénérée, a une valeur d’accompagner dignement le guerrier vers sa


dernière demeure, à ne jamais perdre son esprit de combattant mais aussi, de doter
les jeunes, d’un courage absolu, d’un esprit de défense de la communauté et de les
libérer de l’esprit de la terreur. De perpétuer l’amour de leur communauté.

De l’inhumation aux obsèques dans la culture lamé

2
Le dlap chez le peuple lamé est une mort subite qui attrape un donjuan (celui qui a connu la femme du défunt (de
son vivant)). Car chez les lamé, la femme d’autrui est sacrée et l’adultère est puni de mort par les ancêtres.

Eldrige Mohammadou, dans son ouvrage Ray ou Rey-Bouba, 1972, explique l’origine du nom lamé selon laquelle,
les Peulhs en provenance du Mali, ont trouvé cette société des guerriers bien hiérarchisée, imbattable. Ils dirent
‘’bee don lami’’- ceux-ci règnent ; ils nouèrent alors une alliance pour combattre les laka.
A l’annonce de la mort, une consternation totale s’affaisse sur le village. Toutes les
activités sont aux arrêts afin d’assister la famille éprouvée, une marque de
solidarité entre le peuple. La nouvelle est annoncée aux moyens de communication
traditionnelle tels le tambour et la harpe s’il s’agit d’une tragédie royale : on dit ‘’
ya gu mbri bru si’’ (le baobab est tombé) et le tam-tam, la cloche et la transmission
du message chagrin de bouche à oreille pour un ‘’corps’’ ordinaire.

Avant de continuer, il convient de signaler que les obsèques diffèrent selon les
catégories sociales. Notamment s’il s’agit de la mort d’un nourrisson, d’un jeune
homme, d’un adulte et d’un chef.

La mort d’un nourrisson dans la société lamé correspond à un retour soudain d’un
enfant qui ‘’était venu voir le soleil’’. Son inhumation doit se faire à la maison,
prêt de la porte d’entrée de la case maternelle.

Une fois sa mort constatée, l’annonce se passe, le peuple se rassemble au sein de la


maison attristée. Quelques heures plus tard, les initiés s’occupent du corps,
creusent la tombe à l’endroit indiqué ci-haut et mettent le disparu à une pression
plantaire. Une fois enterré, une calebasse d’eau est aspergée sur la tombe.
Croyance selon laquelle l’enfant défunt reviendrait très vite ou du moins pour
donner la chance à la malheureuse mère de concevoir très rapidement un nouvel
enfant, afin d’essuyer ses larmes.

S’agissant de la mort d’un jeune homme, l’annonce se fait par les mêmes canaux,
mais à la différence du nourrisson, son corps est inhumé soit au caveau familial
soit au cimetière du village.

Là, la tombe est cérusée à deux ou trois coudées environs de profondeur et une
coudée de large, le corps du défunt est emballé, mis au fond, la tête tournée vers
l’ouest, couché sur le flanc droit. Le père du défunt s’avance, projette une motte de
terre, trois fois de suite sur le corps en prononçant quelques mots ; signe de bénir le
chemin du disparu vers l’au-delà et de consécration à la justice divine, la cause de
sa mort s’il s’en avère ainsi. Par cet acte hautement symbolique, il ordonne
l’inhumation de sa progéniture.
Mais s’il s’agit d’une mauvaise mort, son enterrement se fait dans une stricte
intimité familiale. Des rites sont effectués par des initiés, afin de consacrer le
combat contre son bourreau aux ancêtres.

S’agissant de la mort d’un adulte, homme ou femme de rang social moyen,


l’annonce du chagrin se fait comme la précédente, mais à la différence de
l’inhumation.

Le corps de la femme est dressé et emballé dans un linge blanc, posé dans la tombe
sur le flanc gauche, la tête orientée vers l’occident (ouest), signe de son crépuscule
de vie. Tandis que celui de l’homme est posé sur le flanc droit, la tête est orientée
vers le crépuscule.

Il faut cependant signaler que, celui qui indique l’endroit où la tombe doit être faite
est un membre proche de la famille, -soit l’aîné de la famille, soit un oncle
paternel ; toujours est-il qu’il doit être issu de la famille du défunt ou de la défunte.
De même, c’est lui qui lance le premier coup de pioche à terre pour initier la
tombe. Ce même proche est le premier à déverser la motte de terre sur le corps de
son parent, de sa femme ou de son fils.

La valeur de ce privilège est que dans la tradition lamé, selon les principes
ancestraux, l’enfant doit enterrer son père ou sa mère et non pas l’inverse. Et
c’est exceptionnellement au garçon que revient ce privilège.

Une fois le corps du déchu enseveli, s’en suivent alors trois jours de deuil pour
consommer cette carotte amère de la nature s’il s’agit d’un sujet du genre
masculin, et de quatre jours pour un individu de sexe féminin. Pendant ces trois
jours, hommes, femmes et enfants, du village ou les étrangers venant de loin
doivent assister la famille meurtrie jour et nuit. Signe de solidarité et d’assistance
morale, psychologique et matérielle dans la société pévé.

Le troisième jour, ou en tout cas le dernier jour d’assistance physique, tient lieu de
‘’jour du sacrifice’’. Une bête est immolée afin d’accompagner le défunt à sa
dernière demeure et aux ancêtres de l’accueillir dans le monde de l’au-delà. Ce
jour, la grande famille du défunt se réunit et décide du jour des funérailles.
(Généralement, ce jour est choisi en collégialité et orienté vers la même période de
l’année suivante). Si le défunt est un homme marié, ses veuves doivent être isolées
le jour du sacrifice, ainsi que le veuf si son épouse venait à s’en aller. Ceci doit être
strictement observé, de peur que le veuf ou la veuve ne consomme les produits
sacrifiés. S’il s’avère que l’un ou l’autre le consomme, cela aura un effet
néfaste sur lui. Il/elle pourrait devenir fou/folle ou à défaut attraper un
trouble mental de façon systématique.

Une autre conduite à observer de façon stricte par le peuple en ce moment est la
mise à l’écart discrète du village de tous les hommes ayant mis la main dans ‘‘la
marmite capitale du défunt’’. Si par ‘’têtutesse’’, ou par ignorance, ils assistent
aux obsèques, ceux-ci seront frappés d’une mort mystérieuse appelé ‘’dlap’’.

Entre temps, les femmes et les enfants du disparu se rasent le crâne, les femmes ne
portent pas d’habits et marchent pieds nus, signe de tristesse, du désarroi et
d’expression du malheur qui a frappé la famille. Elles doivent restés pieuses et
meurtries par la disparition de leur époux.

De la fin de cérémonie des obsèques jusqu’au jour des funérailles s’observe un


moment de deuil au sein de la famille. Les membres de famille restant sont soumis
à l’obligation morale de prôner les valeurs telles que : la paix, la piété, l’harmonie
au sein de la famille pour honorer la mémoire du défunt. Puis qu’en cette période,
l’esprit du défunt plane toujours sur la famille. Il peut leur apparaître de temps à
autre dans les rêves, les songes, etc. C’est la période du veuvage. Cet esprit déchu
ou rappelé ne peut s’en aller de façon définitive qu’après les rites funéraires.

Des cérémonies funéraires (à suivre…)

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*SOUKSI Ezékiel est psychologue de l’enfant et du développement, spécialiste des
sciences de l’éducation. Il est enseignant en service à l’ENIEG de Nkongsamba,
professeur associé à l’école normale Catholique de la même ville.

*MOUNTCHI Gilbert est traducteur principal (anglais – français – langues


africaines), historien, rédacteur web, réviseur et relecteur. Il est traducteur en
service à ZET SERVICES IT (Douala). Il mène de nombreuses recherches sur la
langue et culture lamé.

Des cérémonies funéraires chez les Lamé

Par
SOUKSI Ezékiel et MOUNTCHI Gilbert
Avertissement : Cet article est la suite logique du précédent article « le culte
des ancêtres chez les Lamé »

Les funérailles dans la société lamé marquent le moment de lamentations et de


vénération de l’âme du disparu, de son passage de la vie à l’au-delà, au pays des
ancêtres : on pleure le deuil ‘’cii mata’’. La cérémonie est grandiose et présidée
par le roi ‘’djə’’ assistée du prêtre de la royauté ‘’Bəhua’’. Il peut déléguer une
partie de son pouvoir à son premier ministre ‘’Djə-Gang’’ ou à un des notables
‘’Gang’’.

Les préparatifs des funérailles se font à l’échelle des mois, voire d’année (un an).
A cet effet, on apprête de la nourriture, du breuvage, de la logistique et tout ce qui
est lié aux préparatifs matériels.

Quant à la préparation spirituelle à savoir le ‘’jak rii’’, il revient au prêtre de s’en


occuper. Dans sa posture de médiateur entre les ancêtres et les vivants, il est chargé
de contacter les esprits, d’assainir le lieu du deuil afin de le libérer des esprits
négatifs et d’empêcher des éventuels incidents ainsi que le blocage des pratiques
obscènes qui pourront être observées. Par exemples, si le lieu a été effectivement
préparé par le prêtre, l’on ne notera aucune bagarre, aucun homme ne peut
avoir une érection pénienne, aucun cas de disparition des biens et/ou de
personne, […] durant toute cette période au lieu du deuil.
Il faut cependant, signaler que durant toute cette période, le prêtre ne se présente
pas au lieu du deuil. Il est dans son temple, assis sur la peau ‘’travaillée’’, pour
contrôler la situation de manière spirituelle.

Entre temps, la famille, mais alors la grande famille du défunt se concertent, se


partagent les taches, et étudient les mesures d’application des dernières volontés du
défunt, les pratiques coutumières à respecter etc. une fois que les choses sont
prêtes, on tient informer le roi des dispositions prises. Alors, celui-ci ordonne la
tenue des cérémonies funéraires.

La cérémonie en elle-même se déroule en quatre phases principales : la phase de


lamentations, la phase de collation, la phase d’accompagnement du mort, le conseil
familial.

1. La phase de lamentations (cii matta)

C’est le premier moment de la cérémonie funéraire. Elle consiste à pleurer le mort.


En effet, toute personne arrivée au lieu du deuil, surtout le membre de la famille, se
lamente, exprime son désarroi, en souvenir de la bonne relation avec le disparu et
de ses bonnes œuvres. Ici, on s’assoit à même le sol, on se fait malheureux afin
d’exprimer le vide laissé par la disparu de l’un de leur. Un ami, celui avec qui ils
entretenaient des « blagues », une relation particulier appelé ‘’gura4 dans la société
s’approprie l’entrée de la maison. En lamé on dit que c’est lui ‘’le propriétaire du
deuil’’ –‘’bə cii matta’’ ou ‘‘gang matta’’
En ce moment, on fait sortir les affaires du disparu telles que les accoutrements, les
brodequins, pataugas, etc. On accroche gentiment auprès du fauteuil paternel,
exhibé là où le défunt avait l’habitude de se reposer en journée. Tout ceci contribue
à rappeler le souvenir douloureux créé par la nature.

Le tambour résonne et marque la fin de lamentations, commence alors la


vénération. Là, on danse en mémoire du disparu, on l’accompagne par les pas de
danse qui peuvent durée toute la nuit. On peut entonner le chant favori du défunt,
s’il en avait un, accompagné de ‘’mbling’’, un outil-instrument musical traditionnel
à cordes. L’action des doigts coordonnée sur les cordes produit des sons et rythmes
agréables à l’oreille : c’est de la musique traditionnelle lamé. Très tôt le matin du
4
Le terme ‘’gwra’’ en langue pévé désigne une personne proche, qui entretient une relation d’amitié avec un
individu. En fait, dans chaque tribu lamé, il en existe quatre autres différents qui entretiennent cette relation
particulière. Elle consolide le lien, permet de dire toute la vérité, proclame la franchise et la solidarité dans la
communauté lamé.
jour de funérailles, il faudra accompagner le mort vers le pays des ancêtres car, son
esprit était supposé toujours être présent, planant sur la famille.

2. La phase de collation.

C’est l’une des phases la plus délicate. Délicate parce qu’il faut la gérer avec
maestria. Elle se fait de façon distinctive car différents repas et vin sont pris dans
des différentes conditions. Venons à les spécifier. Les veuves ou veufs doivent être
isolés loin du lieu funéraire qui, généralement est le domicile du défunt ou de la
défunte. Nous avons donné les raisons de l’isolement dans l’article précédent.

S’agissant de l’immolation des animaux et de leur consommation, trois catégories


d’animaux sont offertes à savoir : le poulet, la chèvre et le bœuf.

- Du poulet

Il est immolé, préparé et mangé exclusivement par les enfants du défunt. En effet,
on prépare le poulet et on le sert exclusivement dans une calebasse, on le place sur
la tombe du défunt parent, où git-il. Les enfants, s’asseyent par ordre de naissance,
autour de la tombe, pieds-nus et prennent ce repas d’adieu fait en l’honneur de leur
défunt père. Ils ne doivent pas manger les os du poulet. Ceux-ci sont
minutieusement esquivés et collectés après le repas, emballés et enterrés. Signe
d’union sacrée entre les frères, qui doivent restés soudés tout en respectant le droit
d’aînesse afin d’honorer la mémoire de leur père et la voix de la nature.

- De la chèvre

Quant à la chèvre, elle est immolée pour sa tête et ses pattes. Le sang est versé à
l’entrée de la maison. Destinée à la consommation du peuple, la viande peut être
grillée et/ou préparée dans une marmite. La tête et les pattes sont minutieusement
préparées dans une jarre. Cette soupe est destinée à l’accompagnement du défunt
vers la terre des aïeux.

- Du bœuf

Le bœuf est immolé et son sang est destiné aux ancêtres. Il est dépouillé et
déchiqueté. La partie céphalique revient au ‘’Gang mat’’ ou chef du deuil et est
accrochée à l’entrée de la maison. Ce dernier le ramènera chez lui à coup sûr.
Quant au reste de la viande, il est destiné à la consommation du public venu
assister la famille meurtrie. Une partie est envoyée chez le roi, accompagné d’une
jarre de vin, appelé sum.

Quant au repas des veuves et ou du veuf, il est préparé loin de la maison familiale,
car ils sont tenus à éviter tout contact avec les aliments ou breuvage destiné au
deuil de leur conjoint(e).

Toutefois, ‘’bə cii matt’’ est chargé du protocole. Il décide du partage et veille au
respect d’usage des rites traditionnels.

Après ce régale, on doit balayer, laver la vaisselle, nettoyer toute la maison car, les
veuves ou veufs ne doivent rien gouter, encore moins voir les choses consommés
lors du deuil de leur conjoint. Ils ne doivent même pas marcher sur les os jetés des
repas. Après s’être assuré des bonnes dispositions prises, ils peuvent alors regagner
le domicile le jour suivant, mais en étant très attentifs toutefois.

Le peuple lamé fait toujours attention au respect strict de cet interdit traditionnel
car, ses effets sont réels.

Toute cette démonstration de la force culturelle du deuil au pays lamé est réservée
aux obsèques et funérailles des hommes ordinaires. La mort royale se démarque
nettement de par ses pratiques ancestralement sacralisées et entretenues.

3. La phase d’accompagnement de la mort (‘‘ njay matta’’)

Il s’agit à cette phase d’accompagner l’esprit du défunt appelé’’bə mat’’ dans le


pays des ancêtres de façon définitive. Il est accompagné par ses proches,
généralement ses enfants, ses frères et ses oncles. Ainsi, la soupe des pattes et de la
tête de chèvre immolée et un peu de vin traditionnel, sont transportés par les
enfants du défunt, loin dans la forêt. Seul l’aîné de la famille avance avec le paquet
au lieu du sacrifice et les autres enfants et les personnes qui les accompagnent se
tiennent à distance. Il prononce le nom du défunt trois fois de suite et à haute voix.
Puis, un grand bruit, suivi d’un vent violent se produit dans cet environnement.
Signe de la présence de l’esprit du défunt et des ancêtres en ce lieu. Il dépose alors
le paquet, s’en fuit avec tout le monde en direction du village. A cet instant, le
propriétaire du deuil (‘’gang matta’’) s’avance en direction des ancêtres (d’où le
paquet est déposé), prononce quelques mots d’adieux, à l’attention du disparu et
aux ancêtres de l’accueillir parmi eux. Ainsi dit, il se retourne vers les autres
compagnons, ils avancent sans regarder en l’arrière. On tourne le dos au défunt de
façon définitive.

Il faut noter avec acuité que l’enjeu du rite funéraire traditionnel est très grand. Il
permet de couper définitivement le lien avec le disparu, de libérer son esprit qui
plane toujours dans sa famille et de laisser les vivants en paix. Il perd
définitivement le statut du revenant.

Si l’enfant, mieux l’aîné qui devrait appeler le mort et déposer le paquet n’est pas
son fils biologique, il peut être retenu de façon définitive par les ancêtres. Et si en
rentrant, l’un de ceux qui sont allés accompagner la mort regarde par curiosité en
arrière pour voir ce qui se passe, quelque chose d’horrible ou de fatal peut lui
arriver.

Une fois à la maison, on passe la deuxième nuit au lieu du deuil. Toujours sans les
veuves/veuf. C’est le lendemain matin qu’aura lieu l’audition du conseil familial.
Ultime étape des cérémonies funéraires.

4. L’audition du conseil familial – ‘’ ɓul so’’.

Ce jour dit de distribution de la maison, on lave les veuves avec des produits
spécifiquement faits - ‘’wok tu’’, on rase leur crâne et on les habille de nouveaux
vêtements. On dit qu’on rompt le lien avec l’ex-mari. (ulay hêl). Elles peuvent
alors regagner le domicile, sachant que toutes les dispositions susmentionnées ont
été prises.

Cette phase est marquée par des témoignages, des requêtes, la présentation du
testament oral et la décision du conseil familial. Elle se fait publiquement.

À la conduite du ‘’propriétaire du deuil’’, un moment est accordé pour des


témoignages éventuels. Ils peuvent venir soit des amis, soit des membres de
famille du défunt.

Les membres de famille s’asseyent ensemble dans un endroit aménagé pour la


circonstance, toutes les filles mariées du disparu doivent être ‘’rachetées’’ par leurs
époux respectifs. C’est le moment où on reconnait la valeur du beau-fils à honorer
la mémoire de son beau-père mais aussi la valeur de la femme (fille du défunt)
auprès de son époux. S’il arrive que son mari ne se pas manifeste, cela laisse
présager qu’elle n’est pas en bon terme avec son époux et qu’il n’aurait plus
d’affection pour elle. « Ce serait alors une source de honte, de railleries pour elle
et sa mère, signe de mauvaise éducation reçue ».

Puis, on accorde un temps de recueil aux éventuelles requêtes. S’il y a de dettes


contractées par le défunt et qui ne sont pas encore remboursées, c’est le moment de
les réclamer publiquement, avec preuves si possible. Mais dans le cas où le prêteur
ne souhaite pas se prononcer en public, il contacte la famille de façon discrète afin
de soumettre sa requête avec preuve tangible. La famille s’arrange alors à payer la
dette du défunt, afin de lui accorder un repos paisible. Dans le cas échéant, la
famille peut être poursuivie auprès du tribunal coutumier afin d’assumer cette dette
‘’héritée’’.

Une fois que les témoignages et requêtes sont achevés, on lit le testament du
défunt. Ainsi, on donne la volonté du disparu afin que tout le monde et la nature
soient témoins, pour éviter des éventuels conflits familiaux.

Ensuite, on présente la décision du conseil familial. Il s’agit de présenter l’héritier


principal du défunt, la réattribution des épouses s’il en avait plusieurs, la
distribution des enfants aux hommes issus de la famille. Ceci a pour dessein de
s’occuper des veuves et orphelins, afin qu’ils ne manquent de rien et que
l’éducation des enfants continuent sans heurt : on dit littéralement qu’on déchire la
maison du défunt (ngâh soo). Une grande marque d’estime et de solidarité au sein
de la communauté lamé.

Cette phase est très cruciale car, elle marque le nouveau départ dans la vie de la
famille du défunt. On découvre une ‘’nouvelle famille’’, un nouveau mode de vie
et parfois un nouveau milieu de vie. Une loi du développement psychologique
s’impose, celle de l’unité et de la lutte des contraires :

‘’L’individu ne rencontre pas souvent tout ce qu’il souhaite dans la vie et les
changements du milieu ne se font pas toujours dans le sens qu’il désire, ou
dans les habitudes de l’individu ; ce dernier doit résoudre ces
contradictions en conciliant ses différentes tendances pour pouvoir
s’adapter’’.
Cette phase se clôture par des divers conseils prodigués aux concernés. Ces
conseils sont du roi, du chef de la famille et les propos du principal l’héritier. On
en profite pour ‘’tirer les oreilles’’ des enfants et femmes par rapport à certaines
conduites peu orthodoxes et de leur donner des nouvelles orientations dans leur vie
respective. Une sorte de mise en garde avec opiniâtreté.
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*SOUKSI Ézéchiel est psychologue de l’enfant et du développement, spécialiste des sciences de


l’éducation. Il est enseignant en service à l’ENIEG de Nkongsamba et professeur associé à
l’école normale Catholique de la même ville.

*MOUNTCHI Gilbert est traducteur principal (anglais – français – langues africaines), historien,
rédacteur web, réviseur et relecteur. Il est traducteur en service à la Délégation Régionale de la
Santé Publique du Nord à Garoua. Il mène de nombreuses recherches sur la langue et culture
lamé.

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