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UNIVERSITE DE YAOUNDE I

FACULTE DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT D’HISTOIRE

UE 312 : HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE DE L’AFRIQUE

Cours magistral de l’année académique 2019/2020

Semestre II

par

Pr Gabriel Maxime DONG MOUGNOL


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BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

1. Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, Paris, Présence africaine,


1981.
2. Deschamps Hubert, L’Afrique noire précoloniale, Paris, PUF, 1962.
3. Dumont Jean, Histoire générale de l’Afrique, tome 3, Paris, Editions
François Beauval, 1972.
4. Maquet Jacques, Les civilisations noires, Verviers, Marabout Université,
1966.
5. Ombolo Jean-Pierre, « La genèse du fait religieux en Afrique noire. Sens
et puissance du monothéisme des Bantou », Yaoundé, 1980 (Document
inédit)

PLAN DU COURS

Introduction

I- Société africaine et phénomène de l’initiation


II- Le devin et l’environnement sociologique dans l’Afrique noire
précoloniale
1. Etude de cas d’initiation des devins en Afrique noire
2. Devin africain et communication avec le cosmos

Conclusion
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INTRODUCTION

Dans une certaine perception exogène, l’Africain serait synonyme de magie,


sorcellerie, fétichisme, totémisme, animisme, mysticisme. Cette vision émane
de la symbiose entre l’Homme noir et la nature. Elle a plongé les Africains
d’aujourd’hui dans un complexe propre aux peuples acculturés, ce dans la
conception occidentale. Pourtant, l’Africain d’hier avait su se forger un mode
de vie social où l’environnement occupait une place prépondérante. Pour se
prévaloir de son authenticité, cette société noire a su communiquer avec les
forces du cosmos. Comment les Africains parvenaient-ils à se mettre en
harmonie le monde réel et le monde irréel. Pour le savoir, la présente réflexion
met en exergue la place des initiations dans l’univers social africain, ainsi que le
rôle de régulateur de la société joué par les devins.

I- Société africaine et phénomène de l’initiation

L’initiation peut se définir comme étant un procédé qui sanctionne le


passage d’un être humain du statut de profane à l’état de dépositaire des
connaissances sacrées. Le phénomène de l’initiation était présent dans tous les
domaines de vie en Afrique. Pour passer d’une étape quelconque à une autre,
il fallait se soumettre aux rites initiatiques. Pour les mâles, ceci commençait
généralement par la circoncision.

Meublés d’étapes successives aussi redoutées les unes que les autres, les
rites de circoncision avaient pour but de « tuer » l’enfant afin de faire renaître
en son corps un homme accompli, prêt à affronter les vicissitudes auxquelles le
soumettait son environnement. Chez les Bantou en général, la circoncision
était une étape importante de l’initiation. Elle se déroulait dans des lieux
précis, à l’instar des bordures de rivière, des bois ou collines sacrés. Les jeunes
candidats subissaient des épreuves assez pénibles.

Chez les Manjas d’Afrique centrale (Oubangui), les aspirants à l’initiation


passaient trois nuits de jeûne dans la forêt, entièrement nus, attachés sur le
dos et soumis aux intempéries et autres piqûres d’insectes. Après cela, il
existait une autre étape durant laquelle les anciens initiés infligeaient aux
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candidats des coups de fouet bien appliqués. Quand enfin venait le moment de
l’opération, le jeune à circoncire se mettait debout au bord de la rivière,
contraint de subir courageusement la mutilation de son membre sans émettre
le moindre cri. Le soir venu, il devait danser sans se soucier ni du sang qui
coulait entre ses jambes, ni de la douleur qui le rongeait.

La phase suivante de l’initiation chez les Manjas survenait après douze jours
de retraite. Les jeunes étaient lâchés pour une partie de chasse, de travaux
champêtres exécutés sous le fouet, et la cueillette du miel sauvage sous les
piqûres des fourmis et abeilles. Entre diverses séances, ils étaient instruits sur
les traditions, le passé, la généalogie du groupe, les danses rituelles, etc. Ils
recevaient les conseils de vie pratique et morale, apprenaient les interdits et
l’éducation sexuelle. A la fin, c’était un véritable homme qui ressortait de cette
initiation, rebaptisé car l’on estimait qu’il avait acquis une renaissance.

De ces faits, l’on peut retenir que l’initiation transformait complètement


l’individu et assurait la cohésion sociale du groupe ethnique. Nul mâle, saint
d’esprit et apte physiquement, ne pouvait échapper à ce phénomène social.
Tout initié était imprégné d’une éducation qui le soumettait aux règles édictés
par les ancêtres. C’est dans cette perspective que l’on peut dire que cette
pratique permettait de conserver et de transmettre aux générations futures,
les valeurs traditionnelles sociales de l’Afrique noire précoloniale. Aucun initié
n’était susceptible d’avoir des comportements déviants, sinon il était
immédiatement corrigé par la société.

La négligence, voire l’abandon de ces pratiques par les générations


actuelles a jeté les sociétés d’Afrique noire dans l’oubli de leur passé, les
exposant à diverses dérives sociales. Très peu d’Africains subissent encore
aujourd’hui les initiations. Ils se plaisent dans leur posture de déracinés,
acculturés, intellectuels occidentalisés qu’ils exhibent maladroitement pour se
démarquer des traditionnalistes qu’ils taxent péjorativement de « villageois ».
Cette attitude, très ancrées dans les sociétés actuelles d’Afrique noire est
malheureusement la gangrène qui tue sournoisement l’histoire de ces peuples
où le devin était pourtant une autorité morale, trait d’union entre Dieu et la
société.
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II- Le devin et l’environnement sociologique dans l’Afrique noire


précoloniale

La spiritualité a toujours régi tous les aspects de l’existence de la société


négro-africaine. En raison du respect qu’il s’imposait, le devin a été élevé à un
rang social très estimé. C’était un supra-humain qui intercédait auprès de Dieu
pour un cas à lui soumis par l’homme ordinaire. Le devin était donc doté des
forces supranaturelles. Si dans certains cas, il héritait des facultés mystiques de
son ascendant (père, mère ou oncle) ou alors était désigné à partir des signes
révélés par la nature, il convient de reconnaître qu’en général, en Afrique
noire, l’on ne devenait devin qu’après avoir été soumis à une longue et dure
épreuve d’initiation.

1. Etude de cas d’initiation des devins en Afrique noire

Chez les Senoufos du Burkina Faso, cette initiation se faisait en trois étapes,
longues de sept années chacune, soit un temps moyen de vingt-un ans. Elle
était parfois plus longue chez d’autres peuples. Durant cette période, le
candidat devin-guérisseur était passé à de rudes épreuves, parfois même
mortelles. Chez les Manjas de l’actuelle République centrafricaine, ils sont mis
dans une fosse, couchés sur le ventre, les bras soigneusement attachés à un
piquet et le corps ceint d’écorces auxquelles des vieux initiés mettaient le feu.
Le candidat n’était délivré qu’après de profondes brûlures.

Chez les Pygmées d’Afrique centrale dont la réputation de grands


guérisseurs ne souffre d’aucun doute, la procédure d’initiation n’était guère
une sinécure. Elle frisait même la torture, le cynisme. Le candidat à l’initiation
était attaché à un cadavre humain, poitrine contre poitrine, tête contre tête,
bouche contre bouche. Les deux corps étaient ensuite descendus dans une
fosse où ils passaient carrément trois jours entiers. Du fait de ce sévisse, il
pouvait arriver que le néophyte devienne fou ou meurt. Au cas où ce dernier
s’en sortait vivant, il devait passer une nouvelle étape non moins pénible.

Dans la seconde épreuve, toujours attaché au cadavre désormais en état


de putréfaction avancée, le candidat était introduit dans sa case. Il devait y
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rester trois jours supplémentaires, se servant de la main droite du mort pour


manger ou boire.

A la fin de ce supplice de six jours au total, le futur devin-guérisseur devait


lui-même sectionner, ce à l’aide d’un couteau, le poignet du cadavre et après
une danse initiatique, il séchait ce squelette de main humaine tirée du
macchabé. Il gardait ensuite soigneusement ces os, car ils étaient un puissant
fétiche dont il devait toujours se servir pour ses opérations et autres
invocations magiques à effectuer durant toute sa carrière de guérisseur. Cette
communion permanente entre le devin et le monde des morts faisait du
Pygmée initié un être supranaturel, mystique, craint par la société qui le plaçait
au-dessus du commun des mortels en le considérant comme étant le lien entre
le monde des humains et celui des dieux.

2. Devins africains et communication avec le cosmos

Pour souligner la profondeur et la dimension de la relation entre le négro-


africain et les forces invisibles de son environnement, l’ethnologue Jean-Pierre
Ombolo affirmait que « soulever le problème de la conception de la divinité en
Afrique noire, c’est aussi vouloir étudier toutes les manifestations du surnaturel
auxquels croient les Africain ». En effet, plusieurs manifestations du cosmos
sont inaccessibles aux personnes ordinaires. Alors intervient le devin qui use
de ses compétences surnaturelles pour se mettre au service de la société. Il s’y
prenait de plusieurs manières, suivant les cas et les traditions.

Dans certaines situations, il suffisait au devin d’observer simplement les


formes et la direction des flammes d’un foyer autour duquel il exécutait une
danse mystique, ou alors le mouvement des fragments de roseaux qu’il laissait
flotter à la surface de l’eau, pour révéler l’inconnu ou l’avenir, ou alors pour
diagnostiquer et soigner les pires maladies. Dans certaines sociétés bantou, la
mygale est un animal sacré souvent utilisé par le devin pour lire le futur. Pour
illustrer ceci, prenons le cas de quelques sociétés du Cameroun.

Chez les Bassa, Bafia, etc. du Cameroun, la mygale (Ngambi, gam, etc.)
s’interposait entre Dieu et les humains, ce qui l’érigeait en outil de travail pour
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le devin. La communication entre les trois acteurs (le devin, Dieu et la mygale)
se faisait dans la logique d’une rationalité abstraite au regard du non-initié.

La mygale travaillait très souvent nuitamment. Elle sortait de son trou où


l’avait logée son maître, le devin, qui avait au préalable transmis à cet animal
l’art de lire l’avenir. Inspirée par une force divine, la mygale disposait dans un
ordre précis, les brindilles ou feuilles que le devin avait pris la peine de poser
au préalable à l’entrée du trou. Puis au lever du jour, suivant les positions
données aux brindilles (ou feuilles) et porteuse chacune d’un message divin, le
devin répondait aux ennuis exprimés par les requérants. Il leur révélait des
faits devant s’accomplir dans un avenir proche ou relativement lointain ; ou
suivant les cas, leur indiquait l’origine de telle maladie, de tel sort, de telle
malédiction ; ce qui facilitait l’expiation du mal.

Conclusion

En général, l’on peut remarquer que la société africaine était très attachée
aux valeurs qui lui permettaient d’être en permanente communion avec un
invisible omniprésent dans toutes les initiatives de l’Homme. L’initiation est le
point de départ toute ascension sociale ou de toute symbiose avec les
ancêtres. C’était des pratiques qui définissaient l’identité d’une société, d’un
peuple. Du fait de leur authenticité, les initiations traçaient la frontière entre le
fils du terroir et l’étranger, entre le Blanc et le Noir. Voilà pourquoi leur
abandon par les Africains des générations actuelles fait sauter la ligne de
démarcation entre l’Occident et l’Afrique, jetant le continent noir à la merci de
l’Europe. D’où l’urgence pour le Noir de renouer avec la société de ses ancêtres
pour se redéfinir face au Blanc, car un Noir non initié est un Noir en rupture
avec sa société, de son environnement.
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UE 312 : HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE DE L’AFRIQUE NOIRE

THEMES DE TRAVAUX DIRIGES

par

Pr DONG MOUGNOL
1. Femme et environnement social dans le Nord Cameroun
2. Le phénomène de l’excision de la jeune fille et son impact social en
Afrique de l’Ouest
3. La dot exorbitante et son impact social chez les Bulu du Sud-Cameroun
4. Les ordalies et l’ordre social en Afrique noire
5. La société africaine entre croyances traditionnelles et christianisme
6. Eglises éveillées : vendeuses d’illusions ou solution aux problèmes
sociaux en Afrique noire postcoloniale
7. L’interprétation historique des classes sociales en Afrique noire
8. L’évolution de la coquetterie féminine dans la société africaine

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