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Couverture : d'après une maquette de l'auteur.


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DU MÊME AUTEUR

L'homme noir d'Afrique. Dakar, 1951.


Mission dans l'Est libérien. Dakar, 1952.
Les masques kono : leur rôle dans la vie religieuse et politique.
Paris, 1952.
Le culte de Zié. Dakar, 1955.
Les Sénoufo (y compris les Minianka). Paris, 1957, deuxième
édition 1966.
Cultures matérielles de la Côte d'Ivoire. Paris, 1960.
La création du monde. Paris, 1960.
Changements sociaux en Côte d'Ivoire. Paris, 1961.
Les Toura. Paris, 1962.
La Côte d'Ivoire : passé —présent —perspectives. Paris,
1963, deuxième édition 1965.
Religions du monde : l'Afrique noire. Paris, 1964.
Le séparatisme religieux en Afrique noire. Paris, 1965.
Arts de la Côte d'Ivoire. Paris, 1966.
Arts traditionnels : musée de Côte d'Ivoire. Abidjan, 1967.
Craft and culture in the Ivory Coast. Abidjan, 1968.
L'image du monde bété. Paris, 1968.
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LESDIEUXDA
' FRIQUENOIRE
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B. HOLAS

LESDE
IUXD
A'FRQ
IUENOR
IE

PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER S. A.
12, RUE VAVIN
1968
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L'Afriquedenosjours est entrain dechangerdepeau. Pourtant


le passé demeure bien inscrit sur son visage et y restera encore
longtemps, sans aucun doute. Par moments, on a l'impression
quec'est unfardeau qui la gêne dans sa course vers la plénitude
desa destinée. Maisl'Afrique ne rougit pas desonpassé, et ceux
qui brandissent la bannière de la négritude font même de ce
passé méconnu,mais riche, untremplin dela gloire, envued'une
intégration honorable dans la culture universelle.
Quele est au fait la valeur réelle de cet héritage ?
Sil'on enjuge d'après les rares sources historiques disponibles,
le continent noir a connu, comme les autres parties habitées du
monde, des périodes de prospérité et de déclin ; il a conçu des
formes valables de gouvernement, des systèmes économiques
correspondant à ses besoins spécifiques et, pour les exigences de
son âme, il a créé de remarquables arts sacrés.
Ils'est mêmedonnédeslois, descodesmorauxquicorrespondent
parfaitement à sa mentalité.
Cependant, faute d'écriture, les principes éthiques de toute
l'Afrique subsaharienne se trouvent implicitement intégrés dans
un vague système de traditions orales opérant avec des images
épiques conventionnelles : les récits du vieux cycle se présentent
généralement sans aucune intention moralisante, mais ils n'en
ont pas moins pour mission de fournir, jusqu'au moindre détail,
des modèles de comportement à l'individu social.
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Il nes'agit cependantpoint desimplessuggestions, car, malgré


le manque de formalisme juridique, l'obéissance aux modèles
ainsi montrés est non seulement exigée par la morale politique
dugroupe d'une façon très stricte, mais denombreuses sanctions
sont prévues pour les cas denon-observance.
Ensomme, la viede l'individu s'écoule —théoriquement, bien
sûr —en continuelle imitation delh' ommeprimordial, héros des
mythes fondamentaux.
Les liens qui s'établissent alors fatalement entre le modèle de
fabulation et l'unité sociale vivante ressemblent véritablement à
quelques reflets dans unmiroir poussiéreux, parce quemillénaire,
mais néanmoins utilisable, faute de mieux et nonobstant les
déformations occasionnées par la mécanisation récente de la
vie africaine.
Dans le secteur soumis à l'emprise de la pensée traditionnelle,
l'intimité ainsi établie entre le type éthique et l'individu vivant
est enfait telle quecedernier semble, duranttoutesonexistence,
faire corps indivis avec l'univers des mythes qui se confond en
définitivepourlui avec le mondedesancêtres desa lignée.
En application de cet axiome, le comportementsocial normal
doit se trouver, forcément, désordonné par toute éventuelle
rupture d'avec les sources mythologiques. C'est justement le
conflit qui caractérise l'Afrique noire de nosjours, située enface
desproblèmes detransculturation.
Lelong de toute sa carrière terrestre, l'Africain se sent donc
foncièrementsolidaire avecla massedesesexpériencesséculaires.
Pourtant, afin d'être admis de droit dans ce monde d'existences
plénières, il lui faut se soumettre au préalable à unepréparation
civique et intellectuelle comportant toute une série d'épreuves
douloureuses, et dont le terme usuel d'« initiation » ne donne
qu'une notion assez incomplète de son véritable sens.
Étant donné l'importance exceptionnelle de cette opération et
les risquesqu'elle implique, l'intégration dujeuneindividudansla
collectivité des adultes s'opère par degrés.
Terminantl'épanouissementsocialdansledomainedumatériel,
la mort ouvre unpassage dans uneautre sphère, supranaturelle,
par laquelle le défunt acquiert la qualité d'ancêtre actif, délégué
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précieux,indispensable, dela collectivité desvivantsdansl'au-delà,


d'où rayonnent toutes les énergies dynamiques assurant le fonc-
tionnement régulier de la société.
Ainsi tout homme naît, vit et meurt selon des règles aussi
simples qu'immuables, sansjamais sortir duperpétuel mouvement
cyclique reliant les deux pôles ontologiques —celui des vivants
et celui des morts —qui, en projection plus spéculative, ont pour
corollaires les notions de visible ou sensoriel et d'invisible ou
surnaturel, métaphysique, divin.
Mais quels sont désormais les moyens de perception de ce qu'il
est convenud'appeler l'univers sensible, autrement dit de ce qui
se trouve là-haut ?
L'Africain, comme tout être pensant, n'échappe pas aux
tourments de l'éternel pourquoi. Il veut comprendre non seulement
l'existence des choses qui l'entourent, mais avant tout l'existence
de lui-même et sa place qui lui revient dans cet univers. Il sent
un besoin impératif d'interpréter, de classer, de chercher des
enchaînements. Bref, il devient l'architecte de la pensée, le
créateur de systèmes philosophiques.
Au début, bien sûr, une cosmogonie rudimentaire doit suffire.
Mais, avec le temps, les expériences s'accumulent pour former
des doctrines véritables.
Désormais, tout objet inanimé, tout végétal, tout animal
appartient à une catégorie et remplit une fonction précise, d'une
importance naturellement très variable, dans cette « image du
monde». La pensée normative des êtres —l'ontologie avec ses
multiples conséquences pratiques —est ainsi née, avec l'homme
dans le rôle du principal pivot.
Grâce à ses aptitudes intellectuelles qui, sans parler de sa
station verticale, génératrice decomplexes desupériorité, l'homme
se sent à vrai dire le dominateur du monde. Al'instar des Bantou,
beaucoup de groupes ethniques africains se sont donnés le nom
d'Hommes, ou Nous-les-Hommes, pour marquer ainsi leur
exclusivité. Tout en considérant qu'il appartient à l'espèce élue,
unique, lh' omme n'en connaît pas moins le doute et la crainte :
si, avant tout, soncomportementmérite d'être appelé égocentrique
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à l'échelon de l'individu, et ethnocentrique au niveau du groupe,


cet homme n'échappe guère pour autant à la question fonda-
mentale de dieu, qui représente à ses yeux l'invisible, plus
fort que lui-même, ayant tout fait et dirigeant en monarque
absolu les affaires de ce qui existe. Avant de se préciser et de
s'humaniser, cet antique dieu constitue une simple Force, diffuse,
insondable mais toujours dangereuse, parce qu'omnipotente.
Al'aube de l'humanité, cette puissance surnaturelle, capri-
cieuse et redoutable, correspond probablement à ce que les
théoriciens des religions comprennent sous le vocable de numen.
Il est ailleurs improbable que cette entité tyrannique soit
dès le commencement douée d'une volonté créatrice, d'une
pensée organisée. Pour concevoir une divinité suprême —une
sorte de démiurge, lh' omme primitif, sans aucun doute, a dû
déjà parcourir un bon bout de chemin.
Certains ethnologues et historiens de la vie spirituelle
supposent qu'à l'origine, il y aurait eu, dans l'esprit des popu-
lations, un dieu unique, responsable de toute la création: cette
hypothèse est celle dite de monothéisme primitif, et on sait
que beaucoup d'encre a naguère coulé à son sujet.
La discussion n'est pas close, bien qu'elle rappelle un peu
l'histoire de la poule et de l'œuf. Il est indéniable qu'en tout
état de cause, dans une grande partie des mythologies africaines,
les récits de genèse ne mettent en scène qu'un seul divin Auteur
du monde.. mais dans d'autres récits on rencontre deux person-
nages primordiaux, unis ou dissociés en mariage, et parfois
chronologiquement distants.
Lesgrandes entités surnaturelles manifestent par ailleurs une
tendance constante à se dissoudre dans les sphères élevées de
transcendance et à se détacher par là des affaires courantes du
monde.
Dans toutes les circonstances, la caractérologie des figures
divines ainsi que l'ordre hiérarchique despanthéons qu'elles com-
posent, reflètent, fatalement, lamentalité et lesstructuressociales
spécifiques de leurs auteurs humains.
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LH
' OMME FACE AU SACRÉ

Pour résoudre les problèmes pratiques de la vie et s'intégrer


harmonieusement dans l'univers physique qui l'entoure,
l'homme archaïque cherchait des moyens énergétiques dans
un immense réservoir spirituel que nous pouvons aujourd'hui
définir par les mots transcendance ou sacré.
Face aux éléments incoercibles de la nature, l'être humain
à ce niveau du développement intellectuel, sentant sa faiblesse,
a besoin d'un appui moral supérieur. Il se crée donc des
dieux tutélaires qu'il opposera aux puissances qu'il juge
hostiles, dangereuses.
Une fois formulée, la pensée religieuse non seulement
imprègne le monde et interprète les hiérarchies des orga-
nismes créés, mais justifie et soutient les institutions sociales.
Ainsi, peu à peu, se constitue une liturgie fondée sur le
mythe des origines : elle se traduit par un système de rites
destinés, d'une part, à apaiser les forces menaçantes et,
d'autre part, à propitier les forces positives.
Toute existence, en fait, se trouve expliquée par un cycle
de récits qui introduisent, à partir du néant primordial,
la déité suprême, autrement dit la substance dynamique
fondamentale sur laquelle reposera la vision générale du
cosmos, cet infini au centre duquel se situe l'homme lui-même.
Voici donc le point de départ d'une authentique réflexion
philosophique d'où sortiront dieux, génies, héros civilisateurs
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et tout le reste. Cette armée d'êtres surnaturels nourrira


désormais les spéculations métaphysiques et ce qui sera plus
tard le dogme, éventuellement la théologie.
Le grand mystère de la Mort donne lieu, en particulier, à
une eschatologie rudimentaire fondée sur l'espoir du renou-
veau. Ce renouveau s'opère, dans un perpétuel mouvement
cyclique, en commençant par le premier ancêtre de la lignée,
et se poursuit à travers les générations futures. Associés à la
notion bipolaire Vie-Mort, les aïeux défunts se trouvent ainsi
proches de la substance divine dispensatrice de cette vis vitalis
indispensable à la procréation. Grâce à leur statut privilégié
qui les situe entre l'œcumène et les sphères plus élevées,
les ancêtres se voient confier, par leurs descendants vivants,
le rôle de médiateurs avec l'au-delà. Ils n'en acquièrent pas
pour autant un caractère divin, mais ils ont bien droit à
des honneurs cultuels quotidiens.
Le culte des ancêtres devient ainsi un précieux instrument
de communication avec les instances suprêmes : pour la
communauté, il a de ce fait un intérêt pratique considérable.
L'importance fonctionnelle que prennent alors dans la
pensée eschatologique les substances désincarnées des aïeux
défunts du lignage du groupe, de la tribu, a fait naguère
croire à certainsthéoriciens des religions africaines que leculte
des ancêtres pourrait être considéré comme la principale base
de tout le système liturgique et, par conséquent, le pivot du
schéma doctrinal : ainsi formulée, cette affirmation doit être
substantiellement amendée à la lumière des expériences,
comme nous le verrons par la suite.
Au cours des siècles, et malgré un fractionnement en
courants secondaires innombrables, quelques grandes ten-
dances dogmatiques, traduites par ce qu'il est convenu
d'appeler Églises, émergent de l'ensemble des croyances
religieuses.
Ainsi, trois grands courants spirituels imprègnent l'Afrique
de nos jours : la masse confuse de pratiques traditionnelles,
vieillissantes mais tenaces, l'envahissant islam et le christia-
nisme missionnaire sous toutes ses formes.
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Si l'on exclut de nosconsidérations la portion septentrionale,


occupée par des immigrés relativement tardifs de souche
arabo-berbère et qu'il est convenu, d'ailleurs mal à propos,
d'appeler l'« Afrique blanche», le continent noir demeure
en somme attaché à sa pensée millénaire ; peu importe que
celle-ci soit parfois cachée, sous une couche plus ou moins
épaisse d'idées empruntées, à celui qui ne l'étudie que
superficiellement.
Exposée depuis des siècles aux attaques conjointes du
Koran et de la Bible —le premier agissant par les voies de
terre en direction générale nord-sud, et la seconde par les
voies de mer — la substance morale originelle ne survit
désormais dans son expression plénière que dans quelques
bastions-refuges. Ces refuges se situent à l'ombre delasylve
équatoriale aussi bien que dans les étendues ensoleillées des
savanes soudanaises.
Mais, au fait, comment se présente, vue de plus près, la
situation dans les différentes parties de l'Afrique subsaha-
rienne ?
Le polymorphisme culturel conditionne, certes, l'énorme
complexité du domaine spirituel ; néanmoins, si l'on prend
une distance suffisante, il est relativement aisé d'y reconnaître
quelques grands complexes caractérisés.
A l'ouest, le Sénégal a subi l'influence islamique depuis
les incursions almoravides, donc depuis plus de sept siècles.
Cela ne veut pourtant guère dire que la conversion soit
déjà parachevée, ni qu'elle s'est poursuivie d'une façon
rapide : en vérité, malgré le voisinage stimulant du marabou-
tisme mauritanien, de nombreuses collectivités sénégalaises
constituent de puissants noyaux de résistance, comme les
Sérère du Sine-Saloum, les groupements nomades de la vallée
du Ferlo et les pêcheurs Tioubalo. Dans certaines villes, avec
Dakar, Saint-Louis et Joal en tête, de même que dans l'ancien
entrepôt d'esclaves, l'île de Gorée, les catholiques sont
nombreux grâce, en partie, à une forte proportion des
« Portugais » capverdiens et des métis eurafricains.
Partout où existent, côte à côte, des communautés musul-
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manes et chrétiennes, l'atmosphère de cohabitation, si elle


manque parfois de chaleur, est en général parfaitement
paisible et, étant donné l'origine ethnique commune, même
imprégnée de plus ou moins parfaite tolérance.
Au sud de l'embouchure du fleuve Gambie, les Diola,
Feloup, Bayote, Papel, Mandiak, Balante et Baïnouk, établis
en Guinée portugaise, composent des communautés rurales
réfractaires à l'évangélisation, pourtant intense et datant
depuis les temps des premiers navigateurs. Cela est également
vrai pour les insulaires Bidiago ayant su garder intactes,
jusqu'aux premières années de ce siècle, leurs institutions
coutumières placées sous l'égide des ancêtres tutélaires et des
divinités dispensatrices des biens terrestres : les îles Bissagos
constituent pour l'ethnologue une véritable « réserve
humaine » aux aspects aussi multiples qu'exceptionnels.
A l'amont de la Casamance, quelques Peul adonnés à
l'élevage, et pratiquant des transhumances saisonnières, n'ont
pas encore oublié leurs vieux cultes de la vache sacrée et du
serpent fécondateur —bien qu'ils se prosternent quotidienne-
ment sur leurs peaux de mouton, en direction de la Mecque.
D'archaïques divinités atmosphériques, dont la Foudre
annonciatrice de la Pluie vivifiante, symbolisée par le grand
python céleste — l'arc-en-ciel —ont réussi à survivre ainsi
chez le berger peul, enfant vagabond des savanes et des
steppes.
Dans une population aussi mobile, aussi instable et faible-
ment agglomérée comme les Peul, les traditions deviennent
facilement fluides. D'après l'une des sources principales,
réunissant des textes initiatiques connus sous le nom de
koumen, nous savons que le Créateur du monde peul s'appelle
tantôt Guéno, l'Éternel, tantôt Doundari, le Tout-puissant, et
qu'il a fait tout ce qui existe à partir d'une goutte de lait de
la Vache divine. C'est un serpent géant, tianaba, sorti des
eaux primordiales, qui s'est vu confier la garde des premiers
troupeaux. Il préfigure ainsi toute la race de pasteurs.
Par contre, les collectivités de Peul sédentaires installées
sur les versants du Fouta-Dialon, pratiquent un islam presque
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puriste, intellectualisé entre les mains d'imams lettrés. Les


populations supplantées, telles que les Dialonké et les Dia-
khanké, sont par ailleurs des musulmans tièdes.
Dans son ensemble, la République de Guinée est soumise
à une constante et effective action du Koran : moins chez les
Soussou, Nalou, Mikiforé et Baga de la basse côte et les
peuplades forestières que dans le secteur occupé par les
Manénka Mori de la région de Kankan-Kouroussa d'où
rayonne, sur les lointains chemins du négoce, l'enseignement
saint du Prophète.
Les populations de l'embouchure des « rivières du sud » :
les rios Pongo, N u et Compony, notamment, ont su
conserver leurs vieilles traditions jusqu'à des temps récents.
De même, en haute Guinée, se sont maintenues des insti-
tutions d'initiation plus ou moins rigoureusement structurées,
qui comportent l'emploi du masque rituel.
Tout au long des territoires de Sierra Léone, du Libéria,
de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du Togo et du Dahomey,
les régions situées près du golfe de Guinée sont aujourd'hui
dominées par les mouvements syncrétiques, résultat du
conflit déjà centenaire qui oppose les cultes locaux affaiblis
aux attaques du dogme chrétien : c'est la zone par excellence
où les guérisseurs inspirés revêtent l'habit de prophète et
fondent, avec le renfort d'innommables génies et d'anges
empruntés à la Bible, des Églises séparatistes éphémères ou
durables. C'est ici que prêchait, à la veille de la première
guerre mondiale, le prophète libérien WilliamWadé Harris,
détruisant les idoles et fascinant les foules. Néanmoins, dans
les villages possédant deux ou trois temples, et vivant sous
le signe de la Croix, le « fétichisme » n'est pas mort, Et il est
plus vivant encore dans les forêts habitées par les Krou,
Bété, Guéré, Dan, de même que dans la zone intermédiaire
entre l'orée nord du complexe boisé et les savanes du centre
éburnéen où les Baoulé, les Gouro, les Yaouré et bien d'autres
montrent un très faible penchant aussi bien pour le christia-
nisme que pour l'islam.
Ala catégorie des cultes dérivés, mais fortement redevables
aux pratiques traditionnelles, appartiennent, pour ne citer
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que les exemples les plus marquants, les cultes de tétékpan


et de déima. Fondé par une prophétesse du groupe Godié,
ce dernier réserve une place prépondérante à l'élément
féminin et au symbolisme du feu purificateur. La confession
publique, à des fins cathartiques, joue, dans les deux liturgies,
un rôle de premier plan.
Plus au nord, les vastes plaines soudaniennes ouvertes ont
permis assez aisément une implantation décisive de la pensée
mahométane chez tous les peuples de souche mandé qui
donnent d'ailleurs un cachet particulier à la carte démogra-
phique de cette immense part de l'Afrique. Cela n'a pas
empêché d'autres vigoureux groupes ethniques de préserver
—tout au moins au niveau des pratiques populaires (les
familles de chefs étant parfois islamisées depuis plusieurs
générations) —leurs cultes traditionnels de la contamination,
voire de la disparition. Les Sénoufo, les Minianka, et surtout
les Bambara en sont les exemples les plus typiques, les plus
connus aussi de la bibliographie.
Le cas de la Haute Volta constitue, dans ce tableau, une
exception en ce sens que ce n'est pas l'islam qui dispute
l'hégémonie spirituelle aux religions autochtones, mais
quelques missions catholiques efficaces, avec à leur tête un
archevêque noir résidant àWagadougou. Néanmoins, comme
d'ordinaire, les couches populaires mossi, bobo, gourounsi,
dafing et lobi demeurent fidèles aux pratiques du passé.
Les missions protestantes, peut-être davantage que les
missions catholiques, exercent par ailleurs une grande
influence sur les milieux intellectuels des grandes villes
côtières au Ghana, au Togo et au Dahomey.
Il est au demeurant indéniable que l'action évangélisatrice
dans ces contrées est d'autant plus efficace qu'elle est systé-
matiquement soutenue par une action parallèle de scolari-
sation, au premier aussi bien qu'au second degré.
Cette influence s'atténue en direction de la Fédération
nigérienne où le solide bloc yorouba, les populations du
plateau central, du delta et l'agglomérat haoussa opposent,
exceptionnellement main dans la main, une barrière irré-
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sistible au missionnaire chrétien : les trois premiers pratiquent


des cultes de type traditionaliste, tandis que le dernier se
place résolument sous l'étendard vert au Croissant.
La situation dans toute l'Afrique équatoriale et centrale
est sans doute trop complexe pour que nous puissions nous en
arrêter aux détails ; elle peut se résumer comme une sorte
d'incessantes guérillas que mènent les différentes formations
religieuses locales, mal organisées mais profondément ancrées
dans la routine de tous les jours, contre le travail patient
du missionnaire. Le Cameroun, le Gabon, le moyen Congo,
la République centrafricaine, le Rwanda et le Bouroundi, sont
ainsi sérieusement entamés, tandis que le bassin du grand
fleuve, impénétrable par endroits et actuellement agité par la
propagande politique, retourne fatalement, parfois non sans
brutalité, aux pratiques ancestrales.
Il n'est pas exclu que ce retour qui s'opère discrètement dans
l'intimité des villages soit en partie stimulé par les déceptions
vécues par certains depuis leur récent accès à l'indépendance
politique : s'il en est vraiment ainsi, on pourrait considérer
le fait comme une nouvelle preuve d'une expérience généra-
lement connue, à savoir le transfert des sentiments de frustra-
tion du domaine des réalités quotidiennes dans le domaine
des virtualités compensatrices.
Le mouvement n'est pas localisé : toute la côte occidentale
du continent, depuis Freetown au Cap, offre des conditions
favorables à l'éclosion de mouvements prosélytiques au sein
desquels les pulsions séparatistes se confondent, dépassant le
strict cadre de la spiritualité, avec des nationalismes militants,
souvent agressifs.
Le Nord-Cameroun, les abords du lac Tchad, une bonne
partie du Chari et toute la province orientale de l'État du
Congo, proche du Soudan, de même d'ailleurs que la portion
septentrionale de l'Ouganda, sont par définition le fief de
l'action maraboutique diffusée, sous l'étiquette arabe, à partir
des grandes médersas du Caire.
Partout, la limite entre les trois règnes est non seulement
imprécise mais se superpose, s'enchevêtre, oscille avec le
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temps, se perd dans une confusion inextricable. Aucune


donnée digne de foi, aucune statistique objective ne nous
viennent ici en aide.
D'après les estimations officielles, on pourrait évaluer à
55 % de la population totale de l'Afrique noire le nombre
des animistes, à 35 % celui des musulmans et à 10% celui
des chrétiens.
Mais, poursuivons quand même notre survol, en dépit de
quelques risques. En laissant de côté l'Éthiopie partiellement
copte et la Somalie, musulmane à sa façon, reprenons notre
chemin à travers le Kénya et le Tanganyika, devenu Tanzanie,
dont le littoral est ouvert au Koran depuis de longs siècles. Les
collectivités commerçantes des Swahili, le prestige du sultan de
Zanzibar, qui était en fait davantage le chef religieux que
le détenteur du pouvoir temporel, contribuaient et contribuent
puissamment à la gloire d'Allah et de son Prophète. Mais,
tout à côté des mosquées, se dressent, dans chaque centre
d'une certaine importance, d'aussi nombreux temples hindous
érigés par les immigrés de l'Inde. Ces immigrés, laborieux
et riches, bien qu'éparpillés sur toute la côte orientale de
l'Afrique n'en composent pas moins des groupements compacts
qui disposent, comme les ismaéliens obéissant aux ordres
d'Agha Khan, de capitaux imposants. D'ailleurs, sans doute
pour des raisons d'ordre politico-économique, l'expatriation de
ces collectivités asiatiques a été récemment décrétée et en partie
rapidement effectuée par les nouveaux gouvernements locaux.
Les pâtres-guerriers massaï, dominant quelques groupes
voisins assimilés comme les Nandi, Souk, Ndoboro et Tour-
kana, mènent une vie trop indépendante, malgré leur récente
tendance à la fixation, pour qu'ils se laissent prendre au filet
d'une propagande missionnaire quelconque. D'ailleurs, leurs
contacts avec les quelques indispensables divinités du ciel,
chargées d'assurer, sur l'intervention des aïeux médiateurs,
le retour régulier des pluies (et, par là, de la pâture pour le
troupeau), sont plutôt irréguliers et lâches.
Des conditions analogues existent, en somme, chez les
groupes nilotes tels que les Chilouk, les Dinka, les Anwak
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et les Nouer, remontant les cours du Bahr el Ghazal et du


Nil blanc en direction du Kordofan.
Aleurs côtés, les cultivateurs kikouyou, fanatisés naguère par
les esprits intolérants du maw-maw, possèdentcontre toute action
extérieure un coefficient élevé d'imperméabilité, surtout
depuis leur accès à l'indépendance. De toute manière, depuis
le départ du colonisateur blanc — et grâce à une politique
de sagesse et de reconciliation installée par le vieux leader
Jomo Kenyatta — la situation interne semble stabilisée,
favorable sans doute au retour des dieux du terroir.
Au-delà des grands lacs, le Katanga, le bas Kongo et
l'Angola, après avoir subi une pénétration chrétienne à
divers degrés, s'agitent aujourd'hui politiquement. Du même
coup, ils cherchent à se soustraire aux sermons du Père blanc
en créant — comme notamment les Bakongo — des Églises
séparatistes ou, moins fréquemment, en retournant aux autels
familiaux provisoirement abandonnés. Pour l'instant il est
impossible de prévoir quelle sera la forme définitive que
prendront à l'avenir tous ces mouvements nerveux attisés
aussi bien par une recherche sincère du Royaume céleste que
par les slogans anticolonialistes du jour. Malgré ces pertur-
bations, les vieux dieux sont encore vivants chez les grands
blocs ethniques de l'intérieur, les Louba, les Lounda, les
Tchokwé et autres.
Le Mozambique, regardant la grande île malgache, si
lointaine et si peu africaine, a connu au cours de son histoire
une évangélisation systématique par le prêtre portugais.
Les traces de celui-ci persistent moins à la campagne que
dans les grandes villes du littoral, avec Lourenço Marquès et
Beira en tête, les deux comptant une proportion décisive de
colons blancs. C'est sans doute pour cette raison que le
catholicisme romain y emprunte, mis à part quelques rares
exceptions, le chemin de la plus stricte orthodoxie.
Dans l'ancienne fédération Rhodésie-Nyassaland, actuelle-
ment troublée par des conflits raciaux, les cultes autochtones
aussi bien que les cultes importés semblent manquer de virulen-
ce. La situation dans la partie détachée, qui forme désormais
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l'État indépendant de Malawi, paraît aujourd'hui inchangée.


Mais la présence dans le secteur sud de quelques sectes auto-
nomes, maladroitement calquées sur le dogme chrétien,
annonce déjà l'extraordinaire foisonnement de formations
messianiques qui caractérise la vie spirituelle de toute l'Afrique
australe contemporaine.
Expression de la ferveur religieuse innée de l'Africain et
en même temps de son sentiment de protestation contre la
conquête blanche, les Églises indépendantes recensées dans
l'Union sud-africaine dépassent aujourd'hui le nombre
impressionnant de mille. Quelques-unes sont minuscules, ne
comptant qu'une centaine de membres ; d'autres sont entiè-
rement composées de femmes et d'enfants ; d'autres encore
sont des formations fluctuantes, occasionnelles, sans structure
organique précise. Mais, il en est qui peuvent réunir lors des
grandes fêtes périodiques plusieurs dizaines de milliers de
participants. Par conséquent, le rôle social et moral de
pareilles formations religieuses est de la plus haute portée.
Au cours des séances, certains individus particulièrement
sensibles à l'imminence du sacré tombent en transe ou ont
des visions, parlent des langues inconnues et pratiquent, pour
se purifier du péché, la confession publique. Parmi les rites
principaux figurent le baptême collectif de type archaïque,
copié sur les modèles de l'Ancien Testament, et l'absorption
prophylactique de l'eau bénite.
En résumé, on le voit, en Afrique comme dans le reste du
monde, ce que l'on a appelé «recherche du dieu vivant»
emprunte des voies très variées, parfois non battues, selon
la mentalité naturelle de telle ou telle société humaine et selon
les circonstances matérielles de l'époque.
Atout instant, des réformateurs, des prophètes, des vision-
naires, sincères ou démagogues, se lèvent des rangs pour
prêcher un dogme nouveau. Et leur appel est généralement
suivi par un nombre variable d'émules. Ce qui prouve, s'il
est nécessaire de le redire, à la fois la remarquable vitalité
de la religiosité africaine et la perméabilité des esprits.
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DIEU ET DIEUX EN AFRIQUE NOIRE

La pensée théologique de la vieille Afrique connaît-elle la


conception d'un dieu suprême unique ou est-elle dominée par
l'idée de pluralité divine fondamentale ? Ou encore, dans la
première éventualité, une même substance initiale, sorte de
quintessence énergétique, pourrait-elle se manifester aux
humains ignares sous les aspects trompeurs de nombreuses
entités diverses ?
La notion d'un dieu suprême est courante sinon généralisée
dans les sociétés archaïques d'Afrique : il n'est pas dit par là
qu'il s'agisse en l'occurrence d'une déité exclusive.
Il semble bien, au demeurant, que la discussion se situe
aux deux niveaux différents de compréhension, l'un, plus
élevé, envisageant la question sous un angle purement
spéculatif, et l'autre, accessible à tout vulgaire, caractérisé
par la tendance à humaniser les figures transcendantes pour
mieux les appréhender et, aussi, leur confier des rôles
d'acteurs dans les narrations sacrées.
Et qu'en disent les observateurs ?
Remarquons tout d'abord que, si beaucoup d'encre a coulé
déjà autour du problème de monothéisme africain, la question
—telle qu'elle est posée —semble avoir moins d'importance
pour l'Africain lui-même que pour le théoricien européen.
En effet, s'il existe bien, comme nous venons de dire, une
entité suprême dans l'écrasante majorité des religions paléo-
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africaines connues de la bibliographie, cette entité apparaît


rarement comme un Etre exclusif, omnipotent, indiscutable.
Plus fréquemment, malgré son évidente supériorité hiérar-
chique et ses mérites dans la conception et la mise en place
du monde habitable, elle revêt l'aspect d'une simple notion
philosophique, celui d'une Idée à l'état pur, d'un Verbe fécond.
Dans la majorité des systèmes de pensées traditionnels, en
effet, le rôle qui revient au Verbe, à la Parole créatrice, est
fondamental, et cela s'explique d'autant plus aisément que
ces deux concepts glissent aussitôt dans le domaine des forces
dynamiques, prêtes à agir sur les destinées humaines. Il est
bien évident, cependant, que tout ceci demeure inscrit sur un
plan purement spéculatif : dans la pratique de tous les jours,
la distance entre le Verbe et l'Action, cela va de soi, est
d'habitude considérable.
Après avoir créé, non sans quelques inévitables erreurs
technologiques, un univers brut et en avoir esquissé l'orga-
nigramme, l'entité primordiale s'efface de la scène pour
laisser les soucis de gouvernement aux divinités secondaires
issues, logiquement, de sa propre substance. Le Créateur,
dépourvu ainsi désormais de toute fonction pratique, n'en
garde pas moins le droit à des honneurs dans les domaines
doctrinal et mythologique. Son rôle est presque nul sur le
plan liturgique, car il ne bénéficie qu'exceptionnellement
d'un culte visible et direct. Il ne faut pourtant jamais oublier
que c'est toujours lui, l'ultime, bien que discret, destinataire
de toute prière, de toute offrande adressées par voie hiérar-
chique à l'ancêtre familial ou à l'une des divinités mineures
agissantes.
Le concept d'une puissance suprême qui ordonne l'existence
matérielle des êtres vivants se trouve nettement formulé chez
les peuples libériens tels que les Krou. Cette puissance suprême,
nommée Nionswa, ou Niéswa, tout en pénétrant la pensée
quotidienne et commandant aux actions de l'homme, demeure
pourtant insaisissable, à cause de son immensité même; pour
l'atteindre, les humains ont recours aux divers intermédiaires
divins calqués sur le Grand modèle, qui supportent désormais
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toute liturgie opérationnelle, grâce à leurs identités précises.
Il découle de son caractère essentiellement transcendant
que cette Force suprême ne prend aucune figure définie dans
l'imagination populaire. Si, par hasard, elle se présente dans
les récits sacrés sous les aspects d'un vénérable Père de la
lignée humaine, il faut toujours soupçonner une possible
interférence extérieure. En preuve, les dépositaires de la
tradition, même chez les populations dont le patrimoine
culturel est relativement bien conservé comme les Kono,
Gouro, Dida, Toura, Sénoufo, Bété, Bambara, Kouroumba,
Bozo, Lobi, Bobo, Bambouti, Babinga, Mpongwé, Lounda,
Louba, Tchokwé, Kouba, Massaï, Nouer, Hottentot, Damara
ou Bochiman, se trouvent toujours embarrassés lorsqu'un
ethnologue curieux leur demande la description de leur
Etre suprême. Il est vrai qu'il existe des exceptions... mais,
une fois de plus, il vaut mieux ne pas prendre l'image
d'un bon vieillard barbu, si fréquemment dessinée par les
informateurs de bonne foi, pour le portrait authentique de la
Substance originelle. Par contre, là où on a affaire au couple
d'enfants divins, dont le mâle céleste et la partenaire femelle
terrestre des peuples akan peuvent servir d'exemple, une
interprétation anthropomorphique peut, avec quelque pru-
dence, être considérée comme justifiée à cause de la parenté
généalogique qui existe, très clairement établie, entre les
divins régisseurs du monde et l'humain.
Dans les archaïques civilisations d'agriculteurs, la figure
de la Mère divine, déesse des terres cultivables et des eaux
vives, peut prendre une importance exceptionnelle et
supplanter finalement le Père céleste. Ladivinité chthonienne de
ce type maternel engendre inévitablement tout une succession
de figures secondaires associées à la symbolique lunaire.
Le concept fondamental de la fécondité s'exprime, dans ce
cas, par l'association allégorique Femme-Forces fertiles,
nourricières, de la nature ; cela implique, enfin, le principe
de périodicité cyclique lune-menstrues-saisons de l'année
agraire.
C'est à ce dernier complexe de représentations que se rat-
tachent mystiquement certaines professions ou industries pri-
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maires telles que celles de la potière et du forgeron, tous les
deux habilités à manier sans danger la substance terrestre. Ace
titre, ils jouissent de certains privilèges compensés par de
nombreux interdits et obligations. Leurs personnes, impré-
gnées de fluide tellurique, sont tenues à l'écart de l'ensemble
social profane par le mécanisme de l'endogamie (les forgerons
ne pouvant épouser qu'une femme soumise à la condition
de potière) ainsi que par tout un système de précautions
d'ordre moral et économique. Dans la plupart des régions
d'Afrique, le forgeron, à part les travaux du fer, se charge
d'autres fonctions parallèles, mais d'une haute importance
sociale, comme celle de circonciseur, sculpteur de masques
sacrés et fabricant de charmes magiques. Quant à la potière,
elle est fréquemment appelée à assumer les services d'exci-
seuse ou d'infirmière dans les camps de réclusion des jeunes
initiées, comme accoucheuse, comme interprète des rêves, etc.
Sur le plan social, la prédominance de la déesse suprême
se traduit par l'existence d'un système particulier connu
sous le vocable de matriarcat. Les civilisations bantou du
centre congolais, ainsi que certaines civilisations de type
ancien, non évolutif, de la grande forêt, en représentent des
échantillons typiques. Certains africanistes, et peut-être la
plupart d'entre eux, croient, sur la foi des légendes et mythes,
à une antériorité chronologique des cultes de la Mère divine
sur ceux voués à un Être suprême mâle.
Tout cela, malheureusement pour le théoricien, n'a pas
été confirmé par la recherche pratique, malgré la présence
persistante de ce qui pourrait être admis comme simples
tendances. Le terme matriarcat lui-même, après une carrière
brillante mais brève (en particulier chez les auteurs anglo-
saxons), s'est vu par la suite rayer du vocabulaire de socio-
logue, comme un fait ne correspondant guère aux réalités
reconnues.
Quant au dit Être souverain, il doit être envisagé, tout au
moins dans les sociétés de type androcratiques, comme une
émanation du Néant des premiers temps, donc comme une
figure incréée, préexistante, détenant toute la sagesse et
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disposant de moyens d'opération illimités, comme c'est le


cas de l'énigmatique Sâ, figure de l'inertie et de la mort
conçue comme un germe de la vie, et rencontré chez certaines
peuplades haut-guinéennes. En l'occurrence, c'est à ce même
Sâ que l'univers sensible doit son émergence de la boue du
chaos, mais c'est à une autre divinité plus bienveillante, et
bien plus tardive, nommée Alatanga, à qui la société des
hommes, et tout ce monde sommairement esquissé, doivent
son organisation.
Il arrive cependant à la divinité suprême, sans doute pour
des raisons étiologiques, voire simplement «techniques»,
d'être considérée par ses chroniqueurs africains comme une
créature bisexuée, susceptible de procréer d'elle-même.
En vérité, il s'agit le plus souvent d'une fusion conceptuelle
intervenue au cours de la longue transmission orale, par
définition déformatrice, des éléments théologiques qui se
situent primitivement aux deux étages hiérarchiques : le plus
élevé étant occupé par la notion diffuse de l'Énergie dynamique
suprême, et le second par la figure conventionnelle de l'Être
primordial, sorte de héros légendaire, engendreur du Couple.
Quoi qu'il en soit, en Afrique noire, les divinités androgynes
sont nombreuses, de même d'ailleurs que cela se produit
chez le premier couple ancestral, fondateur de l'espèce
humaine. On le remarque en particulier dans la statuaire
rituelle.
Les interventions de cette déité du plus haut degré dans la
destinée des hommes sont fréquentes et décisives mais souvent
mal perceptibles.
L'Essence suprême du panthéon sénoufo, conçue sous une
forme éminemment abstraite, remplit littéralement le cosmos,
tout en étant immanente aux hommes, aux animaux et
aux choses : elle conditionne leur existence matérielle et leur
donne un sens. Appelée Koulotiolo, elle est rarement invoquée
par le fidèle ; dans le riche inventaire cultuel, elle n'apparaît
jamais, sauf par allusion tacite ou par l'entremise d'un
symbole ouranien associé, forcément masculin. Dans la
pratique liturgique, cependant, toute action est laissée à une
figure-substitut, la Kâtiéléo, patronne du village qui, en
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