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Journal de la Société des

Africanistes

Quelques notes sur la société du do chez les populations Bʷa du


cercle de San
Jean Capron

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Capron Jean. Quelques notes sur la société du do chez les populations Bʷa du cercle de San. In: Journal de la Société des
Africanistes, 1957, tome 27, fascicule 1. pp. 81-129;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1957.1882

https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1957_num_27_1_1882

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QUELQUES NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do
CHEZ LES POPULATIONS B™A DU CERCLE DE SAN

PAR

J. Capron

L'appartenance à la communauté Bwa x donne accès, par


l'éducation diffuse et surtout par l'initiation, à différents ordres de
connaissance, qui ne sont appréhendés — par les- intéressés eux-mêmes —
que successivement et fort lentement : l'ethnologue ne peut espérer
atteindre au niveau de la connaissance essentielle 2 que par une
longue patience et un lent travail d'approche : dans cette entreprise,
il est utile de posséder quelques points de repère, quelques références

1. Le groupe Bwa appartient à la fraction la plus septentrionale des populations connues sous
le nom de Bobo. Les Hobo occupent les deux rives du cour» moyen de la Volta Noire. 11ч sout
répandus depuis Djeimé (nu Nord) jusqu'à Bobo-Dioulasso (au Sud) ; lu limito Nord-Ousst de
leur peuplement est constituée par le cours supérieur du Hani, cependant qu'au Sud-Est les villugps
les plus excentriques sont situés uu Nord de la frontière de l'Etat de Ghana, sur la rive gauche
de la Volta (cf. carte jointe).
11 est impossible d'aborder ici les problèmes relatifs à la nomenclature des sous-groupes Bobo.
Notons seulement que les B"a (nom autochtone) ont conscience d'appartenir à un groupe plus
vaste : celui des Bobo (le nom Bobo fut donné par les Dioula, envahisseurs d'origine mandingue,
aux habitants de la région de Bobo-Dioulasso ; par la suite, les Dioula appliquèrent ce vocable
à tous les autochtones de la région délimitée plus haut, se contentant de différencier chaque sous-
groupe en accolant au mot Bobo, un qualificatif classificatoire : Bobo-Oulé : « Bobo-rouges »,
Bobo-Fing = « Bobo-noirs », Bobo-Diè = « Bobo blancs •). Actuellement, les B"a incluent dans
le terme générique Bobo : les ňina (ou Bobo-Fing des Dioula), les duepara (ou Bobo-Oulé des
Dioula) et eux-mêmes. De leur côté, les Dioula et les Marka nomment les B"a : Bobo-Oulé ; ce
nom a été repris par l'administration française et il est, aujourd'hui, couramment admii par les
B"a.
Il est possible que le nom B"a (sing. Bô) ait été porté autrefois par toutes les populations
reconnaissant aujourd'hui le générique Bobo. Il est, d'autre part, acquis que certaines populations
Bobo-Oulé de Haute- Volta se désignent entre elles, aujourd'hui encore, par le nom B"a. Le vocable
U"a n'étant pas restrictif, nous pensons qu'il est nécessaire d'avertir nos lecteurs que, lorsque
nous parlerons de B"a, il s'agira exclusivement de ceux habitant le cercle de San ou les territoires
proches.
Les enquêtes sur le terrain ont été réalisées de novembre 1933 à octobre 1D36 par J. Capron
et Ch. de Tanneur.
2. Л propos des différents ordres de connaissance dans les religions soudanaise?, voir
Mme 11. Dieterlen : « Essai sur la religion Bambara », p. XVI et XVIII.
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qui évitent de donner trop d'importance à un relevé souvent lénifiant


de «vérités » provisoires- et encombrantes. Cet article ne prétend à-
rien d'autre qu'à poser quelques jalons : il ne se veut pas l'exposé
d'une religion, mais simplement un instrument de travail.

• Sak o a.

Ke-f

Ecbe-lle. I/^OOO'OOO
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 83

Aperçu sur les différentes structures de la religion Bwa.

1. A un premier niveau de connaissance et de pratique religieuses \


le Bwa dispose pour s'assurer des biens essentiels à son existence —
plusieurs épouses, de bonnes récoltes, de nombreux enfants — d'un
nombre impressionnant d'autels, la plupart consacrés à des divinités
secondaires de la brousse et du village. La recette de fabrication
et l'usage de chacun de ces autels ont été révélés à un privilégié,
soit en rêve, soit au cours d'une apparition de brousse, par l'une
des nombreuses divinités (dwadwavi, zine, sitani, пакша, dibi;..)
habitant les arbres et les lieux sacrés et se mêlant volontiers à l'existence
journalière des humains. Il n'existe aucune ordonnance, aucune
hiérarchisation de ces autels polyvalents, apparaissent et
disparaissent au gré des réussites qui leur sont attribuées. Objet d'un
commerce actif, ils varient à l'infini de village à village 2. A ce niveau,
la religion est essentiellement individuelle — plus rarement familiale.
Le tempérament et la personnalité de chacun jouent un rôle dans le
choix des autels, dans la définition de l'espace et des valeurs sacrés
dont ils sont entourés.
2. A un second niveau, la religion Bwa se collectivise et
s'extériorise en rites auxquels participent tous les habitants du village. Les
forces auxquelles est rendu un culte officiel sont celles - là même
qui modèlent toute la vie matérielle et collective de la communauté.
— La terre : tûbwenu (tu — terre non sacralisée, bwznu de bznu —
grand). La « Grande Terre » ne possède aucun autel : les offrandes
(sxaka) qui lui sont faites sont déposées aux croisements des chemins
et sur les termitières.
— L'eau : ňu présente dans la mare sacrée (vu) parfois située à
des dizaines de kilomètres du village, et dans le puits (masd) autour
duquel s'ordonne toutes les cérémonies de fondation d'un village.
Très souvent, les eaux du puits et de la mare sont censées
communiquer entre elles.
— Le feu et l'air, symbolisés par la forge tuo), plantée près du
puits et dont le forgeron est le prêtre.
— Le village, figuré par plusieurs autels : le sope, cône de terre
surmonté d'une petite houe (tunezo) et du bâton à «touiller» le
gâteau de mil fviniwe), représentations concrètes du travail, des
hommes (culture) et des femmes (préparation des repas).

1. L'une ne va pas sans l'autre.


2. Pour le seul village de Tominian — 340 habitants —■ nous n'en avons relevé pas moins d'une
trentaine.
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le masâdeanu
propriété de la famille du chef de village et dont les cérémonies
nocturnes s'accompagnent de sorties de masques.
— La communauté elle-même, en tant qu'elle réunit les vivants
et les morts : chaque village — comme chaque famille — possède
ses naso (vieux morts) et ses nawuya ou nawera (habitants du village
morts très jeunes). Les manifestations du culte des ancêtres sont
journalières en pays Bwa.
— Les générations futures présentes dans la vie du groupe par
l'autel de pierre situé dans le bois sacré (bànu, lobwale) d'où naissent
tous les enfants du village.
A ce niveau — avons-nous dit — la religion devient collective.
Parallèlement se produit une spécialisation dans les fonctions
religieuses, spécialisation où apparaît la confusion des pouvoirs politique
et religieux. De même que l'individu — dans tout ce qui touche à
son existence journalière — doit en référer au chef de famille, de-
même lui faut-il s'adresser à lui et obtenir .son concours lorsqu'il
désire — par un sacrifice '■— établir une relation d'échange entre
lui-même et les "puissances" objet d'un culte officiel. Citons encore,
sur le plan de la hiérarchisation des attributions religieuses, la1 place
prépondérante du chef de village (lob г) à qui tous les autels
appartiennent et dont il est — pour nombre d'entre eux — le prêtre
officiant, les prérogatives des vieillards gardiens de la tradition, et des
forgerons à qui debwznu (Dieu) a « donné ;> plus qu'il n'a donné aux
autres Bwa...
3. Au niveau le plus élevé de la religion se place l'eiTort fait par
la pensée Bwa pour ordonner le monde et le dominer, pour établir
une cosmogonie cohérente et l'exprimer dans les grands moments
de la vie des individus et de la communauté. Les manifestations
rituelles deviennent la répétition d'événements mythiques ; à la
multiplicité- vécue des forces qui modèlent la vie quotidienne des
personnes, se substitue l'unité pensée — primordiale — qui fixe
définitivement la place de l'homme dans la création.
La connaissance initiatique de la genèse de l'univers et de la
communauté humaine, n'est pas réservée à quelques élus : simplement,
elle comporte plusieurs degrés ; le chemin est long de la leçon apprise
par le jeune initié Bwa, à la tradition que se transmettent les
vieillards, gardiens sur qui repose le soin de conserver la « Connaissance »
et d'assurer ainsi la permanence du pouvoir des humains sur l'ordre
naturel.
Devant les multiples problèmes que pose l'accession à cette
connaissance profonde et essentielle, l'enquêteur se senť désarmé; devant lui
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 85

se déroulent les rites qui matérialisent l'existence d'une pensée


mythique, i] voudrait se hâter et comprendre..., mais le temps ne se
mesure pas en Afrique. Les notes qui suivent et qui se rapportent
au culte du do — divinité qui « lie » les Bwa entre eux x — ne peuvent
que montrer le chemin qu'il reste à parcourir. Mais, dès maintenant
— et nous nous efforcerons de Je montrer — le do apparaît comme la
clef de voûte de toute la cosmogonie Bwa, comme le moteur de toute
la vie sociale et religieuse* — profonde — de la communauté 2.

Matériel rituel se rapportant au culte du do.

L'examen des différents autels consacrés au do et des instruments


utilisés lors des cérémonies religieuses où le do intervient, permet
.

une première analyse de la structure interne de cette divinité. Le


do est présent en brousse, il possède un sanctuaire dans le village,
enfin il se personnalise sous la forme des masques : Ces trois aspects
préfigurent les pouvoirs et les attributions du do.
1. Do de brousse: Le do est représenté en brousse par un autel,
monticule de terre recouvert des restes d'animaux sacrifiés : cet-
autel est placé à l'est du village — lieu de séjour ordinaire des
divinités 3. Autour de l'autel se rencontrent les petites poteries
individuelles (tisonu) ayant servi lors des cérémonies de baptême (tznu) 4.
Situés à proximité de l'autel, quelques arbres sacrés — karité et
pingou -- fourniront les feuilles nécessaires à l'habillage des masques.
2. Do de la case: Dans chaque village se rencontre une case
délabrée, en apparence abandonnée, lieu habituel de rencontre des porcs
et des chèvres. Cette case que rien — ni bas-reliefs5, ni peintures —
ne signale à l'attention est le sanctuaire du do (dozu, zù: case). Un
matériel rituel y est réuni dont certaines pièces peuvent être aussi
entreposées dans la case du prêtre du do. Ce matériel comprend :

1. Suivant l'expression de l'un de nos informateurs.


2. Quelques renseignements bibliographiques, le? conversations que nous avons eues avec
M. Le Moal, directeur du Centre I. F. A. N. de Ouagadougou, semblent indiquer que le culte
du do, ainsi que ses structurations profondes, varient sensiblement, selon qu'il s'agit de groupes
rattachés à la tradition Bobo-Fing ou de groupes rattachés à la tradition Bobo-Oulé. Rappelons
que notre analyse porte uniquement sur les B"a (tradition Bobo-Oulé).
3. Les B"a justifient cet emplacement en déclarant : « do habite là où le soleil se lève. » Les
villages sont toujours orientés, théoriquement, selon la direction Est-Ouest, la « tête » du village
se trouvant à Flîst.
4. Voir plus loin les détails relatifs à cette -cérémonie.
.">. Cemme les nombreuses representation's de lézard, tortue. Jumeaux qui ornent les parois
extérieures des greniers B"a.
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— Sept tambours de différentes grosseurs : yirasâ (y ira: jeunes


gens, sa: affaires, objets personnels). Les tambours ne sortiront
qu'au « jour » du do et rythmeront toutes les cérémonies et sacrifices.
Seuls, les jeunes gens initiés les deux ou trois années précédentes les
utiliseront 4
La confection ou la réparation des yirasâ donnent lieu à des
cérémonies, sur lesquelles nous n'avons pu obtenir aucun renseignement;
— un morceau de bois appelé do; l'origine en est un arbre sacré,
dont le nom est tenu caché. Autour de ce "bâton sacré" sont
enroulées les cordes ayant servi à entraver les animaux destinés aux
sacrifices. Il est placé sur une fourche d'arbre à trois branches ;
— deux canaris (tisonu, tï: médicament, sonu: canari) contenant
des racines et de l'eau. Cette eau joue un rôle important dans le
baptême qui précède l'initiation. Les racines sont périodiquement
renouvelées, ce qui donne lieu à une cérémonie que nous décrirons
plus loin. Aux canaris sont parfois joints un ou deux paquets sacrés
contenant des poudres végétales noires ou blanches ;
— un rhombe ou bull-roarer. C'est pour tous les fidèles le do:
pièce principale du culte, il est la divinité elle-même. Il est encore
appelé : aliwz "il pleure" ou linisà (il fait du bruit).
Le do est un petit instrument formé d'une plaque de fer elliptique
longue d'une trentaine de centimètres, large d'une dizaine de
centimètres ; à l'une de ses extrémités est fixée une longue corde. L'homme
porteur du do le fait tourner au-dessus de sa tête. Le son produit est
vibrant et sourd : il est la voix de do (dotanu). Au repos, le rhombe
est enfermé dans une outre (pwi) en peau de mouton, accrochée à
une poutre du plafond 2.
3. Do des masques : Plus que les « délégués » du do, les masques
sont l'incarnation même de la divinité. Dès qu'il a revêtu l'habit de
feuilles et de paille, l'initié cesse d'être un homme : toutes les relations
qu'il entretenait avec ses parents, ses amis sont suspendues, la
>

parole — symbole de la condition humaine — ne lui appartient plus :


il ne fait plus entendre que le cri du do 3 et personne, désormais,

1. La place occupée par les enfants dans les cérémonies religieuses mériterait à elle seule une
longue étude : « Tout commence par l'enfant, tout finit par lui, » affirme un proverbe B"a.
2. Il serait intéressant d'étudier la répartition de l'emploi du bull-roarer en Afrique de l'Ouest-
Notons que le bull-roarer (meuglement du taureau), semble toujours lié au culte des ancêtres.
Le « meuglement » de l'instrument est la « voix des ancêtres »,
3. Bruit produit par le claquement des lèvres.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 87

ne peut l'interpeler, participant à la puissance de la divinité, il est


irresponsable de ses actes et. tout lui est permis 1.
Gomment se présentent les masques ? Un parallèle peut-être
tenté entre la sobriété, l'uniformité des masques Bwa et la richesse
figurative des masques Bobo-fîgn 2. L'opposition est telle qu'elle
pose un problème, que nous devons nous contenter de poser :
Les Bobo-Fing font appel — pour la fabrication des masques du
do — à toutes les ressources techniques humaines : les masques de
tête sont sculptés, décorés de peintures géométriques rouges, blanches
et noires, parfois complétés de tissu brodé de cauris, qui recouvre
la tête du porteur et retombe sur ses épaules ; ils peuvent aussi être
remplacés .par des cagoules en tissu, également constellées de cauris.
L'habit lui-même est tissé à l'aide de fibres végétales soigneusement
teintes. Les formes varient à l'infini avec prédominance des
figurations zoomorphes ou anthropomorphes sur les représentations
purement symboliques. II semble que tout soit mis en œuvre pour
écarter tout appel direct aux ressources brutes du règne végétal.
Chez les Bwa, au contraire, les préoccupations vont exactement
dans le sens inverse. Les masques « naissent en brousse ». Rien dans
leur costume ne doit rappeler la main humaine qui les a créés 3.
Tout tissu est prohibé. L'habit est fait de feuilles de karité (plus
rarement de feuilles de caïlcedra, de néré ou de pingou), liées sur
le corps à l'aide d'écorces de lianes. Le masque de tête est
confectionné à l'aide1 de tiges sèches d'une graminée très abondante en

1. Il serait faux de conclure de la sacralité des masques à une crainte qu'ils inspireraient aux
habitants du village : l'apparition des masques provoque, au contraire, la joie et déchaîne des
excès eorporels (danses anarchiques, mouvements désordonnés) et affectifs (enthousiasme,
surexcitation) qui marquent bien le caractère de « fête » que revêt le retour de do sur la terre... C'est
d'ailleurs l'ensemble des relations entre l'homme et le sacré qu'il faudrait définir ici : une erreur
commune est de penser, que la crainte, voire la terreur sont les seuls ressorts de ces relations.
Deux remarques s'imposent :
A) La toute-puissance des divinités n'est pas absolue : elle est régie et limitée par des
définitions qui — pour humaines qu'elles soient et peut-être pour cela même — établissent une
communauté hommes-divinités, basée sur un- contrat et dont la crainte est presque totalement
exclue.
B) On est étonné, au contraire, de ce que M. Lévi-Strauss a appelé le « sang-gêne vis-à-vis
du surnaturel ». Proche et familière, la divinité (le do en particulier) ne trouble l'harmonie de ses
rapports avec les humains que dans la mesure où ceux-ci détruisent d'eux-mêmes, par leurs actes,
le mécanisme codifié de cette harmonie.
2. N'oublions pas que dans l'un et l'autre cas, ces masques sont des représentations du do.
3. .Cette préoccupation apparaît encore dans l'interdiction de fabriquer et de consommer du
dolo (bière de mil), lors des cérémonies consacrées au do ; le dolo, en effet, est préparé à partir
du mil cultivé par les hommes. Les seules boissons rituelles utilisées lors des fêtes du do s'obtiennent
par macération, dans l'eau, de fruits « mûris en brousse » : gounan et pingou. Toute cuisson est
prohibée de cette préparation. (Les non-initiés ne peuvent consommer ces boissons rituelles : ils
mourraient ; cette interdiction vaut également pour une femme enceinte, à cause de l'enfant
qu'elle porte).
88 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

brousse (bwosonu: loudetia togoensis -Hubbard). Nulle part ne se


rencontrent de masques de bois sculpté, d'habits de fibres tressées
et peintes. De même» les figurations anthropomorphes sont
totalement proscrites et si l'on rencontre des figurations zoomorphes, elles
semblent jouer un rôle très secondaire. Les masques les plus usités-
— leur uniformité est remarquable — font appel à un symbolisme
totalement abstrait 1.
Bien qu'ayant reçu l'autorisation d'assister à certaines cérémonies
où intervenaient les masques du do, il nous fut impossible d'obtenir
certaines précisions essentielles. Les descriptions qui suivent
demeurent donc fragmentaires et posent plus de problèmes qu'elles
n'en résolvent. Un effort de compréhension devrait porter en premier
lieu sur l'éthymologie. des mots décrivant' les différentes parties
des masques 2.
Voici la description des principaux masques utilisés чраг les Bwa
— siriureoro — (striure désigne le jour de la semaine 3 consacré au

1. L'opposition entre les masques « nés en brousse » (tels qu'ils apparaissent chez les D"a du
cercle de San) et les masques dont la fabrication fait appel à des techniques humaines (tels qu'ils
apparaissent chez les Bobo-Fing et peut-être chez d'autres populations Bobo) transparaît dans
un texfe curieux de Cremer (in : « Matériaux d'ethnographie et de linguistique soudanaises »,
t. IV. Les Bobo, p. 150-153). Le texte intitulé : « L'homme qui a vu le кого et le simbo... », présente
les deux variétés de masques avec leurs caractéristiques propres et opposées. Citons :
— A propos du кого : « Pour le кого, quand le mil est rentré, la brousse brûlée, les jeunes gens
sortent, c'est le moment où le feuillage du caïlcédra est fourni. Ils en attachent des branches aux
jambes de l'un jusqu'en haut, coupent de l'herbe, la tressent, en couvrent 1л figure de la personne
et rentrent au village annoncer que les кого- sont- arrivés... • « Les A-oro demeurent dans
la brousse... », etc.
— A propos du simbo : « Ils mettent dans le magasin (case ?) le visage de simbo, vont trouver
le forgeron habile à tailler le bois, lui montrent le masque, disent à l'ouvrier de se cacher pour
en sculpter un pareil. » ...» Le forgeron prépare des blocs dans le fourré, entre sous bois, s'assied,
se cache pour travailler. Pendant ce temps, si une chèvre errante s'approche, il la tue parce qu'elle
est tombée sur le masque... » « Cependant, le prêtre du do se procure du chanvre indigène, l'attache
autour du masque et cela fait un simbo. Il offre en sacrifice une chèvre noire, un chien, une poule... »
Un autre fait, s'il était confirmé par de nombreuses observations, mériterait une étude
approfondie. Les R"a ne sacrifient jamais sur l'autel du do ni chèvres., ni chiens : ces animaux
constituent — selon nos informateurs — le lund (interdit alimentaire) du </o, la victime préférée
des sacrifices est le mouton. Au contraire, dans tous les sacrifices cités par Cremer so rapportant
à des cérémonies du i/o où interviennent les masques de fibres peintes et de bois м-ulpté, les
victimes sont des chiens et des chèvres ; le mouten» lui, n'est jamais sacrifié.
Il serait également intéressant d'étudier :
— La couleur des victimes,
— Le moment de la journée où ont lieu les sacrifices. (Des variantes apparaissent selon le
groupe Bobo considéré.)
2. D'autres auteurs se sont efforcés de donner une liste des différents masques Bobo-Oulé.
Citons :
Paul Léger : in « Simples notes sur quelques croyances et pratiques de culte chez les Robo-
Oulé ».
Cremer. op. cit. Chapitre : « Associations utilitaires et mystiques ». en particulier p. 1:57-141.
Les différences avec ce que nous avons observé nous-mêmes, le manque de détails descriptifs,
nous interdisent d'en tenir compte dans notre exposé.
3. Chacun des *>ix autres jours de la semaine porte le nom du village proche ou se déroule un
marché : ils portent donc des noms différents suivant la région oii est situé le village considéré.
NOTES .SUR LA SOCIETE DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 89

do. Ce masque est de sexe mâle. Le cimier» dont on ne peut s'empêcher


de penser qu'il symbolise le soleil, est appelé zami, mot qui désigne
également les sonnailles accrochées aux guitares des jeunes gens
(wani) ainsi que la " crête " qui décore le manche de la houe des
cultivateurs (sawa).
La partie inférieure qui cache Je visage du porteur est dénommée
mw (tête) et l'ensemble du masque de tète duba (éthymologie
inconnue (Fig. 1) ;

Fitf. I. - Sirinri-oni.

— yirasâoro — (yirasà désigne, rappelons-le, les tambours du


do). Ce masque est de sexe femelle. La crête au lieu d'être étalée
est divisée en trois pointes par rapprochement et ligature des tiges
de bwosonu. Ces trois pointes. portent le nom de ňuobwe (ňuo : tête
— bwe: ?).
L'habit du siriureoro et du yirasâoro est fait de feuilles de karité
(ensemble des feuilles : korovara: poils du masque ou korofï x œuf
du masque) (Fig. 2).
Ces deux masques (l'un mâle, l'autre femelle) apparaissent dans

1. Pour l'explication rie cette expression voir plus loin les cérémonies d'initiation.
90 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

toutes les cérémonies où le do intervient. Il ne semble pas que soit


attribué à chacun d'eux un rôle spécifique. Ainsi, lors des fêtes du
lopônu — fêtes du renouvellement — siriureorwa et yirasàorwa
accomplissent les mêmes gestes rituels. Une information recueillie dans le

Fig. 2. — Yirasâoro.

village de Tioutiou et selon laquelle le siriureoro serait réservé aux


forgerons et aux griots, le yirasâoro aux forgerons et aux cultivateurs,
ne nous fut pas confirmée dans d'autres villages 1.
— korobâu. — Ce masque figure l'oiseau-marabout (bâu). Le
vêtement de feuilles de néré est très épais et lourd. Le masque de
tête porte une crête très aplatie, à peine perceptible. La forme du
korobâu imite celle d'une ruche très allongée se terminant à l'arrière
par une longue queue. Le porteur du korobâu mime la démarche
lourde et balancée du marabout. Dans certaines régions, ce masque
porte également le nom de korofï (fï : œuf) ;
Les korwabâu apparaissent — du moins ce fut le cas lors des rites
auxquels il nous fut permis d'assister — au cours des cérémonies
de clôture ; ils simulent alors la mort des korv'a (Fig. 3).
koroduaro — figure la panthère (duaro) ; d'après la description
qui nous en fut faite, l'habit confectionné à partir de fibres de zra
(sorte de roseau) imite, par une alternance de Ja position des fibres

1. Л un premier stade de compréhension de la religion /}"ï/, la différencia lion sexuelle des


masques doit être pensée — cic\cns-nons -- con ire un effort pour symboliser la totalité île la
création. D'après le Père de Baillicncourt qui a séjourné longtemps chez les Bobo-Fing, il existerait
pour eux deux do, l'un mâle, l'autre femelle : ceci nous paraît peu plausible. Ce qui est plus
vraisemblable, c'est que l'initié B'a acquiert successivement les deux masques : d'abord le masque
.emelle, puis, -quelques années plm tard, le masque mâle.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (h CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 91

(l'écorce étant tournée tantôt vers l'intérieur, tantôt vers l'extérieur)


le pelage tacheté de la panthère. Nous ignorons totalement le rôle
de koroduaro x.
korolenu (éthymologie inconnue — le mot dolenu désigne la
chanson du do). Ce masque porte encore le nom de korwa-bama:

Fig. 3. — Korobâu.

père (bama) des masques. Le korolenu ne « sort » que tous les trois
ans lors de la fête du siriure 2. Sa fabrication mérite que l'on s'y
arrête. Le jour venu, tous les initiés du village se rendent en brousse
porteurs de bâtons sacrés (en bura, sorte de bambou) conservés
ordinairement dans la case du chef de famille. Arrivés à l'endroit
consacré au do, ils posent les bâtons les uns à côté des autres, les
lient entre eux à l'aide de lianes ; puis les bâtons situés à chaque
extrémité sont rapprochés et ligaturés : l'ensemble forme un cylindre.
On construit ainsi cinq ou six cylindres de diamètre de plus en plus
étroit, qui sont ensuite fixés les uns au bout des autres 3. Sur ce bâti
sont alors ajustées, toujours à l'aide de lianes, des feuilles de nimi
(pingou) qui recouvrent entièrement les bâtons sacrés. A l'extrémité
du cylindre, on place un masque de tête (duba) semblable à ceux
employés pour les siriureorwa ordinaires. Cette sorte de tour conique 4

1. La panthère — au contraire d'autres animaux — ne paraît pns. en particulier dans les contes,
jouer un rôle mythique important.

2. Au milieu de l'hivernage cf. plus loin.


3. Il existe certainement une règle fixant le nombre d'étages du кого et le nombre de bâtons
sacrés (d'après un informateur de Bénéna : 7 étages et 266 bâtons).
4. Chaque bâton serait long de 3 à 4 mètres, ce qui donnerait au korolenu une hauteur
impressionnante : 20 à 23 mètres. Mais il est possible que ces chiffres soient nettement surestimés.
92 SOCIETE DES AFRICANISTES

Fis. 4. Kornímu
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU tlo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 93

est ensuite relevée : un initié prend place à l'intérieur et soulève le


masque aidé d'autres initiés groupés autour du korolenu. (Fig. 4)

4. Autres objets rituels:

— Le korozo (littéralement « petit masque ») appelé aussi kozo f.


11 désigne un sifflet constitué par une corde d'arc, coupée très court,
amincie et doublée. Le korozo semble être un substitut du rhombe г".
les korwa l'emploient lors de certaines cérémonies : le son qu'il
produit est assimilé au « cri du do » 3. Parmi les cérémonies où le korozo
est utilisé, citons :
— L'initiation — Les masques avec lesquels les néophytes devront
lutter, s'approchent du lieu d'initiation en soufflant dans les korozo 4.
— Le repas nocturne des masques. — A certaines occasions mal
déterminées, les masques se présentent de nuit au village et font
•retentir le « cri » des korozo. Les habitants ont déposé à leur intention,
devant la case des chefs de famille, une calebasse contenant du gâteau
de mil et de la sauce. Les masques s'en emparent. Deux interdits
significatifs accompagnent ce rite :
1° Les masques ne peuvent être vus, même des initiés.
2° La nourriture ne peut être consommée qu'en dehors du village.
Ce repas rituel — le seul où les masques touchent à une nourriture
humaine — paraît réservé aux jeunes initiés 5.

1. Cf. Cremek, op. ciť. p. 120.


2. Celui-ci n'apparaît que très rarement, et seul le prêtre du do peut le faire chanter. V. p. 108,
note 4.
3. La « voix » ou « cri » du do peut être obtenue :
— par le rhombe, centre de toutes les hiérophanies du do,
— par le korozo, sifllet dont l'usage est réservé à certaines cérémonies,
— par le claquement des lèvres, d'un emploi plus généralisé.
Le bruit du korozo aussi bien que le claquement des lèvres, imitent le cri d'un oiseau. Cette
interprétation est confirmée — indirectement — par G. Chéron (in : « Les Bobo-Fing ». Annuaire et
Mémoires du Com. d'Et., Ilist. et Scien. A. O. F.. 1916). Cet auteur cite à propos du matériel
rituel se rapportant au do, l'usage de petites gourdes à demi-remplies d'eau ; les initiés soufflent
dedans et produisent ainsi un piaillement semblable au cri du poussin... Si l'on ajoute à ces
remarques, la forme générale des masques de tête (imitant assez bien avec leur crête, la tête d'un
oiseau) et certaines indications que nous donnerons ultérieurement (sur la description symbolique
des kor'a) — des hypothèses viennent à l'esprit qui ne pourraient prendre corps qu'à la faveur
d'une connaissance du mythe de création qui soutend tout le culte du do.
4. Voir détails sur l'initiation.
5. L'emploi du korozo à cette occasion peut signifier :
a) La nécessité d'avertir les habitants du village de l'arrivée des masques.
b) L'annonce que l'olTrande a été acceptée par la divinité (cf. le rôle du rhombe, p. 128,
note 4. Il « chante » lorsque le sacrifice a été accepte).
94 SOCIETE DES AFRICANISTES

— Le dumâtonu. — II s'agit d'un tambour griot réservé au service


du do. C'est au son du dumâtonu que les korwa dansent- dans le champ
initial, lors des cérémonies de préhivernage. (Dumâtonu = dumánu
tonu = dumánu long. Le dumánu est le tambour d'aisselle ordinaire).
Il existe également un tambour utilisé uniquement pour les
cérémonies de renouvellement du do (tous les sept ans).
Cremer x cite l'emploi de drapeaux rituels, lors des cérémonies
d'initiation. Nous n'en avons personnellement pas observés. Par contre
parmi le matériel rituel réuni dans la case du prêtre du do à Be-
nena, figurait une bande de coton formée de raies alternées blanches,
noires, jaunes, rouges et deux petits fagots de bâtonnets très courts
liés par des fils de coton. De ces deux objets rituels, que le prêtre du do
fit disparaître après notre première visite, nous ne savons rien. (Fig. 5)

15 cm

Fiji. 5. — Drapeau rituel.

Examen d'une hypothèse:

Parlant du « bull-roarer », nous avons indiqué qu'il se


rencontrait généralement, dans l'Ouest africain, lors des cérémonies se
rattachant au culte des morts : le meuglement de l'instrument étant
assimilé à la voix des . ancêtres. En est-il de même chez les Bwa ?
En d'autres termes, quels sont les rapports entre le do et les ancêtres
naso ?

l Op. cit., p. 123.


NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 95

Paul Léger, dans un court article paru en 1947 l, écrit sous la


rubrique « Les ancêtres et leurs fétiches ».
« Plus près de nous que Dieu, il y a pour le Bobo toute la gamme
des ancêtres plus ou moins éloignés et puissants qui peuvent lui
nuire, s'il ne se conforme pas en tout aux coutumes établies et suivies
par eux; La crainte est le grand mobile du culte qui leur est rendu.
Ces mânes des ancêtres rtout en étant dans le lieu de repos ou « lahara »
séjournent cependant à proximité des hommes ; Us affectionnent^
davantage certains lieux, en particulier, l'ombre des grands arbres.
On distingue par ordre de dignité et d'ancienneté : l'ancêtre du
genre humain, « Térodo » — l'ancêtre principal du village, « Dohuiso »
— et ses compagnons, « Doraza bwiza » — l'ancêtre d'un quartier
ou d'un groupe de gens, « Tin sonon » — l'ancêtre de la famille,
« Nazoum-bwé », les morts de tout le village, « Nasio »... »
Nous avons cité ce passage — il constitue le seul essai connu de
classification des différents aspects de la religion Bwa — afin de
montrer à quel point la prudence est nécessaire lors des enquêtes
religieuses et le danger que l'on court à vouloir ordonner — in abstracto
— des réalités dont on ignore les liens qu'elles entretiennent entre
elles. Les affirmations de Paul Léger pour attrayantes qu'elles soient
à un esprit occidental, n'en appellent pas moins les plus sérieuses
réserves. Les multiples erreurs qu'elles récèlent rendent suspectes
des allégations que nous n'avons pu vérifier et jettent le doute sur
l'hypothèse elle-même, qui a servi à établir la classification. Cette
hypothèse de l'identité de nature entre le do et les ancêtres, devait
de toute façon être étudiée. Si nous entrons dans le détail des
affirmations de Paul Léger nous remarquerons :
1° Les âmes des défunts (bonu, mznzz), lorsqu'elles quittent le
séjour des morts pour gagner « l'ombre des grands arbres », en réalité
le bois sacré du village (bânu, lobwale, kamd) n'agissent pas en tant
que personnifications des ancêtres (naso). Paul Léger confond deux
réalités bien distinctes dans l'esprit des Bwa : d'une part, les ancêtres
en tant que personnes intégrées à la communauté et ayant, par leur
statut, droit de regard sur l'action des vivants ; d'autre part, les
âmes en tant que principe de vie — le retour sur la terre n'est qu'une
étape de leur mouvement éternel — ; les âmes supportent toute vie ;
de bw zn иг (Dieu d'en haut) les a créées pour l'éternité, d'où les rites de
fixation de l'âme dans le corps du nouveau-né ou d'un fœtus en

1. Paul Léger : « Simples notes sur quelques croyances et pratiques de culte chez les Bobo-
Oulé » (en particulier ceux de Mandyakuy), in « Les Pères Blancs », sept.-oct. 1947, n» 70.
96 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

formation : ces rites se déroulent dans le bois sacré \ d'où « naissent


tous les enfants du village ». Le bois sacré lui-même peut être
personnifié par un autel (pierre dressée) sur lequel sont célébrées alors les
cérémonies de fixation. Mais cet autel n'a absolument rien à voir avec
l'autel des ancêtres : ce dernier est toujours à l'intérieur d'une case
(nasozu: case des ancêtre ou nuuozù : case des morts) ; le plus
souvent, il n'y a pas d'autel à proprement parler : le sol de la case reçoit
le sang des sacrifices.

2° S'il est vrai que les ancêtres du village sont appelés naso, le
nazumbwe (littéralement, na : bœuf, zunu: queue; bwe: manche;
,
éthymologie descriptive/ puisque le nazumbwe se présente sous la
forme d'une queue emmanchée) n'apparaît jamais comme
représentant l'ancêtre de la famille. Il existe plusieurs sortes de nazumbwe 2.
En l'occurence, il s'agit probablement du nazumbwe bazru qui associe
la queue d'un animal à certaines racines recueillies en brousse. Le
bazru 3 — éthymologie inconnue, — s'il peut être possédé
individuellement, est généralement un bien familial se transmettant de
génération en génération. Cependant, il n'est pas un autel de famille :
toutes les familles n'en possèdent pas et le chef de famille n'en est
pas toujours le prêtre ; de plus il peut être acheté par quiconque le
désire alors que l'autel des ancêtres est un bien inaliénable 4. D'ailleurs
l'examen des caractéristiques du bazru infirme à lui seul, la thèse
de P. Léger.
— Le bazru est un autel réservé aux hommes qui — seuls —
peuvent assister aux sacrifices et consommer Ja viande 5.

1. Ainsi d'ailleurs qu'au bord des mares ou trous d'eau qui jouent un rôle analogue à celui
du bois sacré.
. 2. Il existe chez les Bwa plusieurs types d'autels. Chaque type portant- un nom générique.
Citons :
Caractéristiques Nom générique
Mélange d'eau et de racines contenues dans une poterie sonu
Sachet de cuir renfermant une poudre végétale sebe
Bracelet de cuir renfermant des fils de coton, noués suivant des règles
variables lopo
II est possible que nazumb"e soit un nom générique ; outre le nazumbue bazru que nous connaissons
pour l'avoir étudié de près, nous citerons :
— un nazumb"e servant à la divination,
— un nazumbwe utilisé pour se rendre invisible et voler impunément le bétail.
3. Les liwa l'appellent indiffére.niucnt nazumbwe ou baz'u.
4. De même n'importe qui peut demander à un propriétaire de baz'u de sacrifier pour lui sur-
l'autel.
5. La consommation de la viande sacrificielle entraînerait la sterilitě de la femme.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 97
— Les sacrifices' au bazru sont soumis à plusieurs interdits :
a) présenter Ja part de viande sacrificielle réservée au bazru
dans un plat de bois ;
b) offrir de la bouillie de mil ou tout autre élément végétal.
— Le bazru « aime l'eau » mais celui qui porte le feu dans la case
où il se trouve, le « feu lui brûlera les yeux ». Le bazru qui peut tuer,
donne toujours des maladies d'yeux.
— La couleur du bazru est le noir. Tous les sacrifices ont lieu
la nuit.
— Le bazru, bien qu'il soit un autel polyvalent, est spécialement
utilisé :
a) pour le combat (il rend invulnérable aux flèches (fer) mais
non aux armes de jet en bois (casse-tête),
b) pour l'empoisonnement .à distance.
3° En réalité, les ancêtres de la famille, du quartier, du village
portent tous le. nom de naso ; ce qui s'explique si l'on songe à la
structure primitive des villages : lors de sa création, le village ne
comprenait qu'un seul lignage, celui de l'ancêtre-fondateur. Ce
n'est que peu à peu que ce lignage s'est éparpillé et que le village
s'est subdivisé en quartiers : longtemps, les membres des sous-
lignages ont continué à sacrifier sur la tombe du fondateur du village.
Puis, chaque quartier a eu ses naso propres, bien que continuât le
culte des naso du village К De même, les familles qui, par migration,
vinrent s'installer, dans le village (particulièrement les familles de
forgerons et de griots) apportèrent avec elles leurs « ancêtres » (sous
forme d'un peu de terre prélevée dans la case des naso du village
d'origine).
Cet aperçu surJa formation des villages montre combien est erron-
née l'affirmation que les Bwa distinguent les ancêtres du village, de
ceux du quartier ou de la famille 2. Les structures d'une religion ne
peuvent être pensées en dehors des structures sociales.

1. Le village de Tioutiou fondé, il y a une centaine d'années ; par les B"a du lignage Dembélé
venus de Suiri et commandés par Tioutiou (d'où le nom du village) ne possède qu'une seule case >
des naso : celle où vécut et fut enterré Tioutiou. Pourtant depuis une quarantaine d'années, le
lignage de Tioutiou s'est dispersé, d'où la structure actuelle du village : six quartiers ayant chacun
son ancêtre connu (Nani, Tiewa, Dogodi, Kouabe, Batiouan, Masan). On dit ainsi : Tiewa ni wi :
le quartier (wi) des parents (ni) de Tiewa. Lors des cérémonies du do, les masques après avoir
rendu visite à la case de Tioutiou, font halte dans chaque quartier, pénètrent dans le vestibule
(boro) de la case du chef de quartier (nizûso) et chantent les louanges de l'ancêtre du quartier.
Ainsi se forme peu à peu la distinction-historique pourrait-on dire — des naso du village et des
naso du quartier.
2. Ajoutons que les naso sont secondés par les nawzra ou navuga habitants du lignage, ou du
sous-lignage, qui morts très jeunes.
98 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

4° Nous n'insisterons pas sur les affirmations de Paul Léger


concernant le « tinsonon », ancêtre d'un quartier ou d'un groupe de gens.
Le- «tinsonon» n'est qu'un canari (sonu) x contenant des racines-
médicaments (tï) 2. Le nombre des tïsonu et leurs fonctions sont
variables à l'infini. Le mot tïsonu ne désigne qu'une forme et non
une personne. Nous avons déjà cité les deux tïsonu du do, citons
encore le tïsonu ordinaire (aux composants multiples) employé pour
la guérison de certaines maladies ou la lutte contre les tentatives
d'empoisonnement, le nawasonu autel de chasse consacré à nakwa
divinité de la brousse (nawasonu: déformation de nakwasonu), le
boretïsonu ou tïsonu des « chiens » (lavé avec l'eau du tïsonu, le chien
ne risquera rien des morsures des animaux de brousse), etc.
5° Les mots « terodo » et « dohuiso » sont totalement inconnus de
nos informateurs. Pour le second, il est possible que l'auteur ait
voulu parler du dobwezo, autel constitué par une pierre blanche et
situé dans le village ou à proximité. Les offrandes sur le dobwezo
se font individuellement (poulets blancs, bouillie de mil). Bien que
l'éthymologie du mot nous soit inconnue, il semble improbable que
le dobwezo soit en rapport avec le culte du do 3. Des enquêtes
complémentaires seraient nécessaires pour se prononcer définitivement sur
ces deux mots et la signification que leur donne le Père Léger.
Ce travail critique sur le texte du Père Léger 4, nous a permis de
préciser quelque peu les difficultés que l'on éprouve à affecter à chaque
manifestation de la pensée religieuse Bwa, l'importance exacte qu'elle
revêt aux yeux des intéressés eux-mêmes.

do et debwtnu.
L'hétérogénéité d'origine et,, par là, de nature entre le do et les
naso 5 apparaît nettement si l'on étudie les relations qui unissent
do et debwenu.
debwenu 6 est « Dieu » conçu comme le créateur de l'univers, l'ori-

1. Cf. page 96 le tableau des noms génériques désignant les différents types d'autels.
2. Tï désigne aussi bien les médicaments empiriques que les poudres sacrées, la différenciation
entre eux n'étant pas faite dans la conscience des B"a.
3. Ce serait le seul exemple où le culte du do se manifesterait par un rite individuel.
4. Le Père Léger a séjourné plus de vingt ans en pays Bwa.
5. Nous ne prétendons pas rejeter l'hypothèse — ce ne peut être qu'une hypothèse dans l'état
actuel de nos connaissances sur la cosmogonie B"a que do serait l'ancêtre du genre humain.
Simplement, il s'agit de marquer l'irréductibilité du do aux naso : les naso sont considérés comme
les ancêtres réels d'un groupe humain donné, ayant une assise géographique ou sociale déterminée :
groupe de plusieurs villages, village, quartier, famille ; en tout état de cause, le do ne saurait être
que l'ancêtre t mythique » des hommes.
6. Suivant les dialectes : "dôb'enu, dôbeni, etc.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 99

gine de tout ce qui est et « devient » dans l'espace et dans le temps.


De lui dépend tout mouvement de forces : aussi toutes les formules
employées lors des sacrifices mêlent son nom à celui de la puissance
invoquée x : (Ex. « debwznu ma wa nsao... » : « debwznu et vous
ancetresr.. »). Cependant debwenu n'intervient jamais directement
dans la vie des humains 2. Il ne possède pas d'autels, ne reçoit jamais
de sacrifices 3. Il ne juge ni ne punit les actions contraires à la cou-

1. Le sacrifice (mao) libère une force (si) qui, après passade dans l'autel, est partagée entre
la puissance et le sacrifiant.
2. L'un de nos informateurs disait de deb"e.nu ; * deb"enu est en haut, il est partout, entend
tout ce que tu dis. Riais personne ne « sait » (zu) deb"snu. Il est blanc, il est rouge, il est vert, etc. »
La non-connaissance de debwznu est corrélative dans l'esprit des B"a, à l'impossibilité d'établir
des rapports avec lui. On ne peut sacrifier qu'à une puissance connue avec laquelle a été établie
une sorte de contrat. C'est le cas, nous le verrons pour le do.
3. Quelques précisions sont nécessaires ici :
a) P. léger (pp. cit, page 12) écrit : " Certains (Bobo-Oulé) font de temps en temps, des sacrifices
à Dieu seul. Ces sacrifices se font la nuit et en plein air, sous le ciel ; la bête offerte doit être blanche
et belle, et le nom de Dieu seul est prononcé par le sacrificateur ". Le texte est en contradiction
avec les affirmations de nos informateurs qui insistent sur l'impossibilité — presque matérielle —
de sacrifier à deb^sim.
lin réalité 1'. Léger désigne par le vocable « Dieu », deux déités bien distinctes : citons, « Les
Bobo ont la croyance en un Dieu unique, qu'ils nomment « Dofini • (ou Dembwénon, Dombéni)... »
II resterait donc à préciser si le sacrifice nocturne s'adresse à deb"znu ou à dofini.
b) En quoi аеЬ"гпи et dofini se distinguent-ils l'un de l'autre. Dofini, lorsqu'il apparaît seul
— c'est le cas chez les populations Bobo-Oulé étudiées par Cremer (op. cit.) — est représenté par
plusieurs autels (cf. Cremer, p. 14-17), l'un consacré à un culte de village, l'autre consacré à un culte
de famille. « L'autel du Dofini familial est construit sur la terrasse, avec la terre de ces termitières,
dont les occupants servent à nourrir les pintades, il est consacré par l'offrande d'un coq blanc".
(Cremer, p. 15). Nous avons nous-mêmes observé à Bénéna — village situé à proximité de la
frontière de la Haute- Volta — un dofini de village, il est constitué d'un cône de terre d'une hauteur
de deux mètres environ, absolument vierge de toute décoration ou peinture extérieures. Une
petite ouverture (0,40 m x 0,40 m) tournée vers l'Est et obturée par une petite porte de bois,
permet de pénétrer à l'intérieur. Ce sanctuaire renferme une poterie (sonu) contenant de l'eau
et des racines. Le propriétaire du dofini est le chef de village, mais le prêtre ayant été choisi —
par le fondateur du village — parmi une famille de captifs (wobz) est aujourd'hui encore un fils
d'anciens captifs (woroso) (il est possible d'ailleurs que cette dernière caractéristique soit purement
locale).- Les sacrifices à dofini sont apériodiques et se font à la demande des intéressés. Ils se
déroulent toujours de nuit ; n'y assistent que le prêtre, le sacrifiant et le chef de village. Les
victimes, lorsqu'il s'agit de sacrifices sanglants, sont toujours des animaux blancs (poulets,
moutons). En cas d'offrandes de gâteau de mil, le mil — quelque soit le sacrifiant — est toujours
recueilli, par collecte, auprès de l'ensemble des familles du village, les femmes de la famille du
chef de village ou du prêtre se chargeant du pilage et de la préparation du gâteau. Autrefois, les
victimes étaient égorgées sur la poterie sacrée et la part du gâteau déposée près de cette poterie.
Aujourd'hui, le prêtre ne pénètre plus à l'intérieur du sanctuaire et se contente — ayant ouvert
la porte — de faire couler le sang sur le seuil ou de déposer le gâteau à l'entrée du sanctuaire.
Ainsi court-il moins de danger : le seul fait d'être vu, alors qu'il pénétrait dans le sanctuaire pouvait
causer sa mort... La viande sacrificielle comme le gâteau sont consommés par les chefs de famille
et les enfants; leur consommation par un empoisonneur pourrait entraîner sa mort. Les précisions
qui précèdent (sacrifices nocturnes de victimes blanches) semblent bien indiquer que les sacrifices
à « Dieu », dont parle le Père Léger, étaient destinés non à deb"enu mais à dofini.
c) Ce qui complique le problème, c'est que bien souvent, les B"a, qui pensent deb"snu comme
le Dieu créateur de qui dépend toute vie, mais à qui il n'est pas possible de s'adresser directement,
l'appellent dofini ou encore sari dofini. C'est le cas de la quasi-totalité des B"a du cercle tie San ;
ils disent : deb'tnu est fort, parce qu'il possède plusieurs noms.
Il est évidemment malaisé de conclure. Notons seulement l'impossibilité d'assimiler deb'tnu
et dofini.
100 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

tume. Aussi est-il l'objet d'une indifférence, qui se mesure aux


expressions : « debwenu n'a pas bien agi avec moi... », « debwznu n'est ni
bon, ni intelligent. » La formule» debwznu seni о » : « Que debwznu
m'assiste » est courante, mais elle est employée dans le sens : «
J'aurais grand besoin que quelqu'un me vienne en aide. »
Les relations entre debwznu et do sont pensées par les Bwa sous le
double plan des relations de parenté et des relations sociales (chefferie).
1. do est le fils de debwznu. Nous citons l'un de nos informateurs x :
«do n'est pas un ancêtre (naso) c'est le fils de debwznu (debwznu
й уаго). »
2. do est aussi le frère de debwznu (debwznu ba fz).
Cette apparente contradiction se résoud très facilement, si l'on se
réfère — une fois encore — à la structure des sociétés Bwa : la
chefferie, qui est héréditaire, se transmet de frère à frère et, dans le cas
d'impossibilité, de père à fils. De plus,1 nul membre d'un groupe
social (famille patriarcale, village) ne peut s'adresser directement au
chef de groupe : il doit obligatoirement s'adresser au " frère du chef î'
qui transmettra sa demande. Affirmer que do est le frère de debwenu
revient donc à exprimer que do sert d'intermédiaire entre les hommes
et debwznu. Ce que nous confirme notre informateur. "Do seul peut
se présenter à debwznu pour « la parole.» des hommes. " D'autre part,
il n'y a pas d'incompatibilité à ce que do, fils de debwznusoit appelé
aussi « frère de debwznur>: en effet, lorsqu'un chef très âgé ne possède
pas de frère, c'est son fils aîné qui joue le rôle d'intermédiaire entre
les membres du groupe et leur chef ; il est alors appelé — malgré
•le véritable lien de parenté qui les unit — « frère du chef » (so ba
fz): dans ce cas qui est courant, c'est la fonction sociale qui
détermine l'appellation parentale.
Lorsque les Bwa affirment : do est le fils de debwznu, il ne s'agit pas
seulement d'une image. Une preuve supplémentaire de l'existence
de relations de génération entre do et debwznu est fournie par l'étude
phonétique et éthymologique 2 du mot debwznu: il est la déformation,
variable d'ailleurs selon les dialectes, du composé do bznu (bznu =
grand3 ; debwenu est donc exactement legrand do4. Il est certain que
l'affirmation de la parenté entre do etdebwznu, illustrée parla formation
du mot debwznu, si elle introduit une certaine clarté dans l'étude des

1. Sonibe dtmbélé. Village de Tioutiou.


2. Ethymologie B"a évidemment, la seule dont nous ayons fait usage au cours de cette étude.
3. Le mot désignant la terre en tant que puissance à laquelle sont faites des offrandes, a été
formé d'une manière identique : tub" tnu (íu ; terre, b'enu de benu : grand).
4. Chez les Duetûso — sous-groupe B"a du Nord — grand se dit béni et la transformation do
.

béni a donné : dôbtni.


NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 101

rapports entre ces deux divinités, n'est qu'un premier pas vers la
connaissance de l'organisation générale de la cosmogonie Bwa x.
Cette connaissance ne pourrait progresser- qu'en s'appuyant sur un
exposé du mythe de création auquel se réfère les rites qui composent
l'essentiel du culte du do.

Le prêtre du do. Organisation du culte du do.

Personnage très important chez les Bobo-Fing, le prêtre du do


joue chez les Bwa un rôle moindre. Il détient ses pouvoirs du chef de
village (lobe) qui est le seul propriétaire du do 2. A la fondation
du village, le do a été confié à un frère du chef du village 3, la charge du
do s'est ensuite transmise héréditairement. Les fonctions du prêtre du
do (doso) sont essentiellement organisatrices : régler et contrôler
la sortie des masques, diriger l'initiation des enfants en. âge d'entrer
dans la communauté, veiller à la conservation des instruments
rituels, etc. Mais, en dehors de son ministère — d'ailleurs peu
astreignant — le prêtre du do n'est qu'un simple cultivateur. Ces faits
méritent qu'on les mentionne : le culte du do est essentiellement
collectif, non seulement dans ses formes, mais dans son esprit. Il
intéresse toute la communauté : l'absence de cérémonies secrètes,
de hiérarchie initiatique, le caractère avant tout social du
fonctionnement des classes d'âge, l'atmosphère de réjouissances collectives
qui entoure toutes les apparitions de masques, autant de traits qui
dessinent l'espace affectif entourant le culte du do.
Le do, nous l'avons vu, se présente sous des formes multiples.

1. Nous ignorons totalement l'éthymologie du mot do fini.


2. La concentration des pouvoirs religieux et politique en la personne du chef de village est
remarquable : pourtant, elle n'a aujourd'hui qu'une valeur symbolique. Tant que le village n'est
composé que d'un seul lignage et de quelques familles castées (forgerons — griots) le chef de village
détient effectivement toute l'autorité, décidant aussi bien des travaux à effectuer que des mariages
ou des cérémonies rituelles. Mais dès que le lignage-fondateur, sous la pression de la poussée
démographique, ou — comme c'est le cas depuis l'arrivée des Français — de l'évolution des structures
sociales, éclate en plusieurs sous-groupes économiquement autonomes, le chef de village —
l'esprit d'indépendance des B"a, leur refus instinctif de toute autorité, aidant — voit son autorité
s'amenuiser au profit de celle, menacée elle aussi, des chefs de famille.
3.' Parfois le do a été confié à une famille de forgerons. (N'oublions pas que l'hiérophanie
centrale du do est une pièce de fer forgé.) Mais il est remarquable que le forgeron — dont par
ailleurs les prérogatives religieuses sont nombreuses — ne joue, dans le culte du do, à supposer
même qu'il en soit le prêtre, qu'un rôle très secondaire. Chez les Bobo-Fing — au contraire — ■
le prêtre du do qui est toujours un forgeron, s'identifie avec le chef-coutume. Il est possible
que dans certains groupements Bobo-Oulé, la situation du forgeron-prêtre du do soit identique.
Citons Cremer (op. cit. p. m) : «... Il se trouve que le père du garçon passe, s'adresse au forgeron,
lui dit qu'il lui a confié son fils. Ce dernier est dans la main du forgeron, il faut lui montrer,
bien, bien, bien, les choses coutumières, lorsqu'il sera grand, afin d'éviter le mal... •
102 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Chacune ďentť elles figure dans une-série- dé rites, périodiques pour


la plupart, dont l'examen nous amènera à préciser le caractère des
forces régies par le do. Ces forces s'appliquent dans deux domaines,
qui ne' sont- séparés que dans l'esprit du chercheur- : le domaine
religieux et le domaine social 1.

Le do et Г univers physique.

L'homme, par sa présence sur la terre, crée un univers qui ne.


s'inscrit pas immédiatement dans l'ordre des phénomènes naturels.
Les Bwa ont conscience de cette juxtaposition à l'univers physique,
celui de la brousse, de la végétation, de la pluie... d'une organisation
humaine avec ses règles, ses interdits, ses faiblesses 2. Ces deux faces
d'une même création qui est aux mains de debwznu sont-
complémentaires : Si les lois qui régissent la communauté humaine sont
transgressées, c'est le monde naturel qui sera perturbé : qu'un
habitant du village rompe un interdit sexuel (épouser sa cousine
paternelle, avoir des rapports sexuels en brousse avec une femme
mariée, etc.) et la pluie cessera de tomber, les récoltes seront mauvaises
et le village « gâté ». Le do qui — nous le verrons — a organisé la
vie des hommes leur apportant les techniques matérielles aussi bien
que -religieuses assure, — par sa présence en brousse, son pouvoir

1. Dans l'impossibilité d'exposer, par le détail, l'ensemble des cérémonies auxquelles il nous
fut permis d'assister, nous nous contenterons d'extraire de chacune d'entr'elles les rites qui nous
paraissent les plus aptes à illustrer notre effort pour cerner la véritable « personnalité » du do.
2. Cette conscience de la singularité de l'expérience humaine apparaît dans plusieurs contes.
A titre d'illustration, nous citerons celui de la mort.
. « Au commencement, les B"a ne creusaient jamais de tombes, ne frappaient jamais les
funérailles. Personne ne mourait dans le village. Mais, peu à peu, le village s'est « gâté ». Les
vieillards devinrent incapables de tenir la houe, les femmes n'enfantèrent plus. Alors, les 'Anciens
se réunirent et demandèrent, aux Dieux de les aider. Do fit entendre sa voix dans les ruelles du
village. Deb"snu vint au secours des hommes et leur donna la mort. De nouveau, il y eut des
enfants, de nouveau les greniers s'emplirent de mil. Et les vivants remercièrent deb"&nu de leur
avoir donné la mort. »
II existe plusieurs versions de ce conte, connu dans tout le pays B"a, mais le sens général
reste le même. Ainsi ce- peuple, dont les occupations se déroulent- au rythme des événements
naturels, succession des jours et des nuits, des saisons et des végétations, dont la brousse •
bruissante de vie et de mort ne constitue pas seulement le cadre de l'existence journalière, mais
l'espace religieux par .excellence, ce peuple cherche une justification de la mort de l'homme,
non dans cette nature exemplaire où la mort est un phénomène proche et accessible, mais dans
une liberté humaine s'exerçant librement. Cette démarche de. l'homme demandant à deb'enu
de lui accorder la mort, illustre son ambition et consacre son échec.
Il est remarquable que la culture B"a présente à chacun des problèmes soulevés par la
présence de l'homme sur la terre, une solution où tout a été élucidé, où rien n'a été éludé.
Planche I

Л. — Autel des ancêtres (naso) du village B. — Tïsonu : le tïsnnu renferme de l'eau et des racines
de Kirikongo. ou poudres déterminées ; il existe une infinité de tïsonu se
rapportant à des îituels différants : ici le durutïsonu ,

C."— Paysan B'a sacrifiant à tub'znu D. — Autel de dofmi. — Village de Bénéna.


(" la grande terre " .
Г ■

Planche II

А. — " Sanctuaire " du do . Village de Tominian П. — Jeune initié confectionnant, de nuit, le masque de tête
Au premier plan : les sept tambours rituels du do (yirasà). ilirasâoro. (fêtes du lopômt - Village de Tioutiou).

<

С — Vieillard ajustant le masque de tête siriureoro D. — Danse d'un masque siriureoro


(fête du lopônu - Village de Bénéna). (fêtes du lopônu - Village de Daga).
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 103

sur la pluie 1; ses moyens de coercition sur la communauté humaine


— le maintien de cet équilibre toujours menacé entre le règne naturel
et le règne humain. Cette fonction inscrite, dans un mythe de création,
dont nous ne connaissons que des bribes, apparaît explicitement
dans les rites de préhivernage.

LE LopÔTlll, RITE DE RENOUVELLEMENT 2

Le Lopônu (lo : village, pô : purifier3, lopônu : action de purifier le


village) précède de quelques semaines, voire de quelques jours les
premières pluies d'hivernage. Nous n'insisterons pas sur. le caractère
de ce rite : il est typiquement un rite de renouvellement ; le but est
de régénérer la communauté humaine par une participation à la
résurection de la végétation et de préparer ainsi la venue des eaux
nouvelles. Aussi bien est-ce surtout la technique de régénération
qui nous intéresse ici.
1. Les premières cérémonies sont précédées par un ramassage en
brousse des fruits de unâ (gounan) destinés à la préparation de la
boisson rituelle. Cette tâche est assurée par les enfants et surtout
les villageois frappés d'amende et de corvée par le chef de famille
ou de village 4. Ce dernier fait est significatif : il s'agit moins de
punir des coupables que d'effacer les fautes commises, durant toute
l'année, à rencontre de l'organisation sociale et de permettre au

1. Il importe peu de marquer ici le conditionnement en quelque sorte climatique du culte


du do. Notons seulement que toute la vie en pays b"a est suspendue à la venue régulière de
la pluie : un exemple, les hommes sont enterrés la tête tournée vers l'Est ■ parce que chaque
matin, en se levant, le B"a regarde vers l'Est, pour voir si les nuages apparaissent dans le
ciel et si le moment de cultiver est venu... » De même, l'Est est le séjour des Dieux...
2. Rite observé à Bénéna.
3. La traduction française ne rend pas compte exactement du contenu du verbe pô. Il
s'agit plus d'une re-création que d'une purification.
4. Lorsque le unâ est mûr, les fautifs — tous ceux qui, durant l'année, se sont mal conduits,
ont manqué de respect à l'égard des vieillards, ont refusé de travailler pour leur père, n'ont
pas fait sur les autels les sacrifices promis... — envoient des plénipotentiaires à l'assemblée
des anciens (lonidâ) réunis autour du chef de village. Ces plénipotentiaires sont toujours des
forgerons, intermédiaires désignés lorsqu'il s'agit de résoudre un conflit social (les griots jouent
très exactement le rôle inverse : ils sont régulièrement accusés d'être à l'origine de toutes les
disputes, de tous les heurts qui se produisent dans le village). Les forgerons « demandent
t

pardon » aux anciens pour les faute s commises : il s'ensuit de longs palabres avant que les deux
parties ne se mettent d'accord.
1° Sur le nombre de jarres de unâ à fournir par les coupables pour les cérémonies du do.
2° Sur le montant de l'amende qui servira à l'achat du poisson séché et du mil nécessaire à
ja préparation du repas offert aux " Anciens " par les t coupables » pardonnes.
Il est remarquable également que les coupables soient aidés dans le ramassage du unâ par
tous leurs compagnons de classe d'âge, II s'agit d'une sorte de responsabilité collective.
Ajoutons que l'organisation en classes d'âge repose sur l'initiation au do,
104 \ SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

village de retrouver l'unité et la pureté de son fonctionnement.


Assainir les relations entre les membres de la communauté, rendre
inefficaces les ruptures d'interdits autant d'actes nécessaires, dont
l'accomplissement permet l'intervention des masques et par delà
prépare les « noces d'eau » de la nature et des hommes.
Le lopônu, qui dure sept jours, débute par une cérémonie nocturne
qui se répète trois jours consécutifs. Vers le coucher du soleil, les
jeunes initiés des années précédentes1 se rendent sur le do de brousse,
revêtent les masques qu'ils fabriquent sur place aidés de quelques
vieillards, gardiens de la tradition ; ils se munissent de badines
(branches de karité non effeuillées), puis reviennent au village par
le côté Ouest. Arrivés dans les ruelles, qu'ils vont sillonner en tout
sens, comme pour investir le village, les masques — tout en continuant
à danser — frappent de leur badine végétale les cases et les personnes
rencontrées. Du cortège villageois, une voix fait entendre le cri de
bienvenue au do: « Karakwe... »2 et le chœur répond : « Li, li, li,
Zï,... ». L'itinéraire des masques les conduit successivement devant
le sanctuaire du do, puis devant la case des chefs de famille où ils
font une halte dansée ; finalement ils s'arrêtent sur la place du
village près du « vestibule » 3 où sont assis tous les vieux : là, devant
tous les villageois réunis, les danses, soit individuelles, soit
collectives, se poursuivront tard dans la nuit.
Ce moment initial du rituel de préhivernage s'explicite dans la
formule : « Wa le pô о lona. » « Nous allons purifier le village. » Cette
purification par l'intermédiaire de la végétation renaissante^ — le
karité qui est également un symbole de fécondité est à cette époque
couvert de « nouvelles feuilles » — montre pourquoi les masques
« naissent » en brousse et pourquoi rien dans leur costume ne doit
rappeler le règne humain. Vu sous cet angle, le do est une « puissance »
de la végétation ; par lui, la communauté humaine est réintroduite
dans le cycle de la nature et ce faisant elle renouvelle ses forces, (à
l'image de la végétation qui renaît chaque année).
3. Cette réintroduction de l'homme dans la nature apparaît dans
la levée, provisoire et symbolique, d'un interdit sexuel absolument

1. Il s'agit de garçons de 12 à 14 ans « qui ne connaissent pas le mal » et représentent déjà,


par eux-mêmes, un élément de purification.
2. Ethymologie inconnue, mais il s'agit vraisemblablement d'autre chose que d'une onomatopée.
3. Le vestibule de la case du chef de village.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (h CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 105

formel, celui des relations sexuelles en brousse 1. Cet interdit est


suspendu pendant la durée du loponu. Ce qui apparaissait un acte
humain 2, susceptible de souiller la terre, redevient un- acte naturel 3.
Il est d'ailleurs un cas où la permission donnée semble suivie
d'effets : il concerne les jeunes initiés. Citons Cremer (op. cit, p. 132).
« Toutes les filles sont avec les nouveaux initiés ; si elles sont enceintes
des œuvres de ceux-ci, leur descendance sera la chose du do. Aux
jeunes gens qui refusent en disant qu'ils ne font pas cela dehors,
on répond que c'est la maison du do. On attrape les filles qui passent
la nuit avec les néophytes. La chanson du do est chantée 4. »
4. La troisième sortie nocturne des masques est^suivie d'une nuit
complète de veille : les hommes, réunis devant le sanctuaire du do,
ne peuvent regagner leur case; sept fois durant la nuit ils visiteront
tous les lieux sacrés du village, annonçant la venue prochaine du
do. Au petit jour, venue de l'Est, une longue caravane de masques
(yirasâkorwa et siriurekorwa) pénètre dans les ruelles : « Lo korwa
azoo lo zere », « Aujourd'hui, les masques entrent dans le village » 5.
Un « itinéraire sacré » conduit les masques à tous les lieux importants
du village : cette procession d'autel en autel, en même temps qu'elle
marque l'implantation géographique du « sacré », se présente comme
une sorte de reconduction des forces qui assurent la vie du village. La
veille, des sacrifices ont été faits, par le chef de village et le prêtre
du do, sur tous les autels « majeurs » 6 : la mort des victimes a libéré
des forces qui se sont accumulées dans ce support matériel que

1. Cet interdit, qui est commun à tous les Bobo, vaut aussi bien pour les jeunes gens que %
pour les adultes mariés ou célibataires. Sa rupture entraîne la sécheresse : la terre, rendue impure,
ne peut plus recevoir la pluie, d'où le rite de réparation décrit par Cremer (op. cit. p. 158).
« Cependant, les forgerons pétrissent trois seules boules d'argile, qu'ils mettent sous la gouttière
de la maison des coupables pour que la pluie tombe et lave ces boules... Aussitôt, l'eau se
précipite jusqu'au crépuscule... » Ajoutons que, vu l'importance des conséquences, la rupture
de l'interdit est sanctionné très durement (exposition publique des fautifs, mutilation par le
feu des parties sexuelles...).
2. C'est le thème d'un conte П"а intitulé le « goût des hommes » que. l'on peut résumer ainsi :
« Au commencement, hommes et femmes vivaient dans deux villages séparés. Ils n'avaient pas
d'enfants. Un jour, un homme recueillit du miel en brousse, se rendit dans le village des femmes,
fit goûter le miel à l'une d'entr'elles ; il lui dit : « le miel est doux, mais je connais quelque
chose de plus doux encore ; c'est le goût des hommes. » La femme ayant goûté trouva cela
très bon... Au bout de quelques mois, elle fût enceinte... C'est depuis ce temps-là que les
hommes et les femmes vivent ensemble... »
3. Les rapports entre la sexualité et la végétation mériteraient une étude que — faute de
documents suffisants — nous ne pouvons entreprendre.
4. Nous trouvons la, outre la levée de l'interdit sexuel. la caractéristique d'une épreuve de
virilité imposée aux jeunes initiés.
5. Cette cérémonie a toujours lieu le jour du do (sirîure).
6. L'itinéraire sacré des masques constitue un « test » de l'importance relative de chacun des
autels de village.
106 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

constitue le « corps » de l'autel. , C'est de ces forces que les masques^


vont se charger1, d'où le. geste rituel accompli sur chaque autel.
Par trois fois, chaque кого, penché au-dessus du lieu sacré élève les
mains, de l'autel vers son visage : ses mains sont jointes et ouvertes,
la paume tournée vers le haut ; le geste est exactement semblable à
celui d'un homme puisant de l'eau dans le creux de ses mains et
la portant à ses lèvres... A ce moment essentiel de la cérémonie, les
masques se comportent comme des autels vivants ;.leur nature
ambivalente explique la possibilité de ce comportement en même temps
que sa fonction : d'une part, les masques « sont » le do et les forces
qu'ils accaparent se purifient au contact des éléments végétaux,
d'autre part les masques sont des hommes et, grâce à eux, c'est
la communauté toute entière qui va bénéficier des forces
purifiées 2.
Les masques visitent successivement :
— le sanctuaire du do
— l'autel des nawuya
ancêtres 3
— l'autel des naso
— la case du prêtre du do, où sont entreposés les objets du culte
et notamment les poteries 4,
— le puits (masâ) 5, la plus vieille femme du village puise de
l'eau dont elle asperge les masques,
— l'autel du masàdeami 6,
— l'autel de la forge (luo) 7,
— l'autel de nâkwa, propriétaire de la brousse 8.
Durant tout le temps que s'effectue le « pèlerinage » 9, les villageois

1. L'explication du rituel nous a été donnée par un informateur lettré, qui nous a demandé
de taire son nom.
2.' Celte explication, pour plausible qu'elle soit, ne nous satisfait pas entièrement (Le
mécanisme de ces « transports » successifs de forces est seulement entrevu, non démonté). Elle'
marque bien, en tout cas, l'aspect « d'autels-vivants » que prennent parfois les masques et dont
nous retrouverons plus loin d'autres exemples.
3. Voir pages 84, 97, 98.
4. Voir page 86.
5. Voir page 83.
6. Voir page 84.
7. Voir page 83.
8. Nák"a, est représenté au village par deux poteries semblables par leur forme à celles du
do. Elles contiennent également des racines. Ainsi l'itinéraire qui a commencé en bousse se
termine, au village, sur l'autel représentant la brousse.
9. Une étude détaillée de cet itinéraire sacré serait nécessaire ; elle tiendrait compte :
de la répartition géographique des autels,
de leurs caractéristiques propres,
des relations qui les unit à i/o,
des changements qui interviennent dp village à village.
NOTES SUR LA SOCIETE DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 107

suivent les masques, brandissant des branches de karité x et chantant.


Nous ne citerons que des extraits de la longue chanson du do (dolenu),
« Que le кого qui vient de naître se porte bien. Que tout le village
se réjouisse de ce jour. Que debwenu donne la vie aux hommes. Que
do leur donne la santé.
Si do est fort qu'il donne une bonne année. Qu'il donne des
pluies abondantes. Qu'il accorde du mil, des arachides, des petits
pois, du maïs...
Si le village est "bien", qu'il a beaucoup de mil, il lui faut beaucoup
de femmes. Si le village a beaucoup de femmes, il lui faut beaucoup
d'enfants. Si* le village a beaucoup d'enfants, il faut que les villages
voisins donnent beaucoup de femmes. Que do ne nous donne pas de
mauvaises femmes.
Avant, nos vieux- pères étaient les maîtres de la guerre. Ils n'ont
jamais été honteux. Que do nous accorde de n'être jamais honteux.
Pendant l'année qui vient que debwznu, do, les naso ne nous donnent
pas de maladies. La mort est forcée, mais que do ne nous donne pas
de mauvaises maladies. Avant et maintenant, ce n'est plus la même
chose. Pourtant, nous demandons à do de nous donner tout ce dont
nous avons besoin cette année... »
Les paroles de la chanson du do sont improvisées par un griot et
répétées par le chœur. Elles sont intéressantes sur deux plans :
— celui du culte du do: elles montrent à quel point toute la vie
de la communauté est accrochée à ce culte ;
— celui des préoccupations essentielles de la société Bwa.
(L'acceptation de la mort, la crainte de la maladie, les références
à un passé guerrier, la crainte d'être « honteux », la conscience que
quelque chose a changé depuis quelques années, autant de détails
qui introduisent à une connaissance- de certaines structures mentales
traditionnelles ou nouvelles) 2.
5. Leur itinéraire sacré achevé, les masques gagnent, à l'entrée
du village 3, l'aire qui leur est réservée. .Cette aire est aménagée à
l'emplacement du champ du chef de village. Elle est appelée korwabuo —
buo désigne l'auge de bois dans laquelle on verse l'eau et la nourriture
des chevaux ; c'est dans une arche ayant cette forme que do est

1. Ces branches sont des substituts de l'habit des kor'a. Leur port est obligatoire. La diffusion
des forces de renouvellement à travers toute la communauté humaine est ainsi possible, puisque
virtuellement tous les habitants sont des kor'a.
-2. Là encore les variations nombreuses, de village à village, seraient intéressantes à étudier.
3. Le village est orienté Est-Ouest, l'entrée ou la • tète • se trouvant à l'Est.
108 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

descendu sur la terre 4 Le korwabuo, c'est exactement l'endroit où


l'arche a touché le sol. C'est pourquoi les masques; personnification
de do, dansent à cet emplacement. A la lumière de ce rappel mythique,
le rite du~ lopônu acquiert toute sa signification de « retour » du do
sur la terre pour le renouvellement des forces de vie du village.
Le korwabuo est aussi appelé : mdawere, qui peut se traduire "T
emplacement, d'autrefois" (nu: tête, ta: marque le passé, were: endroit).

30

Fig. 6. — L'auge-arche du monde.

Une autre définition est également un rappel probable du mythe


de création ; il est dit de l'emplacement où dansent les korwa que, la
terre ayant été cultivée à cet endroit, les « masques ne tomberont
pas ». (C'est le do qui a apporté aux hommes la culture en même temps
que toutes les autres techniques.) Ce détail d'ailleurs est signalé par
Cremer 2 : « Les masques se dirigent vers l'arbre du do en font trois
fois le tour, en disant que la terre a été sarclée à cet endroit, qu'ils
ne tomberont pas... 3 »
Signalons enfin qu'une coutume qui ne paraît plus respectée que
dans de rares villages, voulait que le lopônu terminé, les habitants
du village se réunissent pour effectuer les semailles dans le champ du
chef de village, « là, où les masques avaient dansé ».
6. Durant trois jours, le déroulement des cérémonies sera identique,
les masques refaisant chaque matin le même itinéraire rituel, puis,

1. A rapprocher de la descente de l'arche du moniteur universel, dans les religions soudanaises.


Cf : Marcel Griaule : « L'arche du monde chez les populations nigériennes ». Journal de la Société
des Africanistes. T. XVIII. fasc. I, 1948.
2. Op. cité, p. 149.
3. Cf. Ibidem, p. 131 : « Les derniers initiés ramassent le gros mil pour le préparer, en faire
de la bière et quant tout est prêt, ils préviennent les aînés. Ceux-disent qu'il faut aller nettoyer
à la houe l'emplacement d'autrefois, y porter de la bière. »
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 109

la journée durant, participant à tour de rôle aux danses sur


le korwabuo. Au cours de l'une de ces trois journées, le prêtre du do,
assisté de quelques kor^a, procédera à l'initiation des jeunes garçons
en âge d'entrer dans la communauté 1. Le dernier jour enfin,
apparaîtront les kor^abáu 2 qui, mimant la mort des masques, marqueront
la dernière sortie de ceux-ci, le départ du do, son œuvre de
régénération accomplie.
Le lopônu est — nous l'avons vu — en même temps qu'un rite de
renouvellement, un rite de pluie. Aussi, lorsque celle-ci tarde trop,
les cérémonies du lopônu sont reprises plusieurs semaines
consécutives et seuls les premiers orages y mettent fin.

QUELQUES DÉTAILS SUPPLÉMENTAIRES SUR LES DIFFÉRENTS


ASPECTS DU CULTE DU do, TEL QU'lL APPARAIT DANS LE lopÔRU.
Nous ne pouvons décrire en détails tous les rituels auxquels
participent les masques. Cependant — avant d'examiner l'aspect
proprement social du culte du do et pour étayer les remarques faites à
propos du lopônu — nous voudrions noter quelques aspects
caractéristiques d'autres rituels.
1. A propos de l'aspect d'autels-vivants des korwa.
Lors de la fête du siriure, qui se déroule vers le milieu de
l'hivernage, apparaît, seulement tous les trois ans, un masque que nous
avons décrit plus haut : le korolenu, dénommé aussi «Père des
masques» (korwabama)3. Lors de la sortie de ce masque, qui fera le tour
de l'enceinte du village, le prêtre du do sacrifie un poulet et fait
couler le sang sur le front du porteur du masque.
De même Cremer.4 décrit ainsi un « sacrifice » précédant le
façonnement des masques : « Un vieillard, porteur, d'une poule-
blanche, s'approche des korwa, égorge l'animal, en colle les plumes
avec le sang sur le front d'un кого en disant : Le do est venu dans
le village, voici la victime pour que le Dieu accorde la paix au village... »
2. A propos des rapports du do et de l'eau.
Citons H. Labouret 5 : « Les documents recueillis par Cremer nous
révèlent que le terme do s'applique non seulement aux masques,
mais encore :
— à la divinité ;
— au puits primitif et1 sacré du village ou du quartier (Bulenle)...

1. Voir détails de cette cérémonie, p. 116 et suivantes.-


2. Voir p. 90.
3. Cf., p. 91.
4. Cf., p. 143.
5. H. Labouret : Introduction au livre de Cremer, p. 9. ' .
110 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Nous n'avons pas observé semblable assimilation1 au cours de notre


enquête. Cependant, de nombreux faits révèlent les liens étroits
entre l'eau et le do.
— Les lianes servant à attacher les, feuilles sur le corps des
porteurs de masques, sont également utilisées pour confectionner la
corde servant à puiser l'eau. Ces deux faits seraient sans signification,
s'ils ne donnaient lieu — dans l'esprit des Bwa — à un rapprochement
constant : l'un de nos informateurs nommait cette corde ňuwa
« chemin de l'eau » . Peut-être n'était-ce qu'une image. Cremer fait
également allusion à ces faits : « les masques sont des gens du village,
qui coupent des feuilles et les attachent avec la corde du puits, les
disposant sur eux pour se dissimuler... »
— Enfin, le dammage de la margelle du puits (apériodique) donne
lieu à une sortie de masques (bwipenu, bwi : puits, ptnu : action de
dammer. La seule boisson rituelle utilisée lors des travaux collectifs
de dammage et des rites qui les accompagnent est fabriquée avec
le dwinu, c'est une des boissons rituelles du do. Un кого surveille
tous les travaux, puis, le travail achevé, plusieurs korwa dansent
autour du puits.
Ces- différents détails ne sont pas concluants, mais mériteraient
une enquête approfondie. Du do en tout cas dépend la venue de la
pluie. Notons encore un rite Bobo-Fing cité par Cire Ba Birahim i :
« Les autres Dieux n'ont pas manifesté leur puissance, on a recours
à do. Les femmes et les jeunes filles se rassemblent pour chercher
l'eau au marigot, et courant, viennent la verser sur le Dieu do. On
fait les sacrifices et on attend la pluie. Pendant ce temps, le prêtre
ou son apprenti, se met sous une couverture et souffle dans une
flûte en tournant autour du Dieu. »
3. Cérémonies de renouvellement des racines du do.
Tous les sept ans, les racines contenues dans les poteries sacrées du
do2 doivent être renouvelées. La quête de racines fraîches, leur
consécration, la destruction des anciennes donnent lieu à des rites sur
lesquels nous n'avons pu obtenir que très peu de détails. Il semble
que la quête proprement dite se déroule sur deux plans distincts
— Un plan matériel, pourrait-on dire, qui est le déterrement réel
des racines, cette phase du rituel ne donne lieu à aucune sortie de
masques, à aucun sacrifice.

1. Cire Ba Birahim : Les Bobó, la famille, les coutumes in t L'éducation africaine », n° 23,
1954, p. 61 et 75.
1. Voir p. 86.
NOTES SUR LA SOCIETE DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 111

— Un plan théorique, et probablement mythique. Le prêtre du do


a choisi parmi les- racines recueillies, celle qui sera utilisée pour le
renouvellement x, il l'habille alors de feuilles de karité (ou de néré)
et d'une enveloppe de paille tressée 2. Puis le prêtre du do se rend
en brousse et enfouit la racine. Le lendemain, les jeunes gens,
accompagnés de masques, se rendent en brousse et recherchent la racine.
Lorsque celle-ci est retrouvée, elle, est déterrée à l'aide de haches.
Rapportée au village,- la racine — portée par un garçon
non masqué — effectue l'itinéraire sacré ordinaire. Elle est enfin
déposée dans le sanctuaire du do et consacrée le lendemain par une
série exceptionnelle de sacrifices.
4. La naissance des masques.
La description de l'enterrement et de la redécouverte des « racines »
contenues dans les poteries du do attire l'attention sur l'aspect
théorique de la «naissance des masques », aspect que l'on retrouve dans les
récits faits aux néophytes quelque temps avant l'initiation et qui
s'explicite dans certains gestes rituels. Voici la traduction du récit que nous
fit l'un de nos informateurs : « Les korwa volent, avalent les gens. On
part en brousse creuser les trous d'où sortiront les korwa. Avant de
creuser, on sacrifie des bœufs devant le trou en demandant aux
korwa de ne pas faire de mal en sortant. On. creuse un trou avec
une hache. Les chefs de famille ne vont pas au trou, on joue du
tambour pendant que les jeunes gens creusent ; ce tambour ne sert
qu'à cet usage. On joue pour appeler les korwa : ceux-ci sortent, il y
en a des gros, des petits... En s'envolant, ils laissent tomber des œufs.
Ces œufs sont plus blancs que le gounan, plus gros que les œufs des
mosquées. Certains korwa s'envolent, d'autres restent dans le trou,
suivant la volonté du do. Les gros ce sont les femelles, les petits ce
sont les mâles. Les korwa sortent brsquement du trou : les jeunes
gens ont peur. Les korwa laissent tomber des œufs, on ramasse ces
œufs et on les mange tout de suite : c'est très doux ; tous ceux qui ont
creusé mangent. « S'ils ont fini de s'envoler », les korwa partent vers
le village. Pendant trois jours, ils visitent le village et les alentours ;
ils volent partout. Lorsqu'ils se promènent ou s'envolent, les koi^a
peuvent avaler les gens. Le chef du do demande aux korwa la pluie,
le mil, la santé, il sacrifie pour eux. »
Ce texte est à rapprocher d'un geste rituel du prêtre du do, lors
de la cérémonie d'initiation : pour appeler les masques qui lutteront

1. En réalité, il est possible que les autres racines soient également utilisées par la suite.
Celle qui est choisie serait alors représentative de l'ensemble des racines recueillies.
2. Cet habillage est la réplique exacte de celui des masques.
112 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

avec les néophytes, le prêtre frappe le sol avec une hache ; aussitôt,
les masques, jusqu'ici cachés derrière les buissons,, se précipitent sur
les enfants. Cremer décrit également ce geste x : «... Puis le vieux
saisit une hache, en frappe la terre et" appelle un masque, lui ordonne
de se lever, d'accourir comme le vent, très vite. Aussitôt un masque
arrive, soufflant dans le kozo2, et fait trois fois le tour des enfants... »
La référence aux œufs de masque est également notée 3 : « Le prêtre
du do sort avec une hache, va s'asseoir seul, les enfants forment un
groupe à part. Cependant, les masques sont réunis dans un petit
bois ; ils s'approchent et l'on fait coucher les enfants, on leur couvre
la tête. La terre est frappée trois fois : Fin ! Fin! 4 est entendu,- la
terre est encore frappée trois fois. Alors un masque s'avance, court,
saute... » Ce thème est enfin repris dans le récit: « L'homme qui a vu
le кого et le simbo 5 » : Le cultivateur à qui deux masques sont apparus,
alors qu'il travaillait dans son champ, raconte «... comment кого est
venu le trouver dans son champ en faisant siffler une cravache, en
s'agitant beaucoup, puis est rentré dans son trou. »
II est évidemment impossible de tirer une conclusion de ces
différentes informations. Notons seulement que là aussi les masques
apparaissent comme des « créatures de la nature ».

Le do et l'univers social.

Lorsque l'on demande à un Bwa ce qui le différencie, par exemple,


d'un Minianka, il répond invariablement : « Les Minianka possèdent
le ňa les Bwa, le do ». Rien n'illustre mieux le rôle du do dans la formation
de la notion de communauté, telle qu'elle est pensée par les Bwa 6.
Le do, dont il dit couramment qu'il est la « chose » des Bwa (Bwasâ)
donne conscience à tous les initiés, c'est-à-dire à tous les adultes,

1. Op. cit., p. 134.


2. Voir p. 93.
3. Ibidem, p. 142.
4. Voir p. 111, fin (fr. = œuf).
5. Cremer, p. 150.
6. Les autres facteurs de différenciation ethnique n'interviennent pratiquement pas dans la
formation de cette notion de communauté. Il est vrai que :
— Tous les groupements voisins (Peuls exceptés) présentent des caractéristiques
anthropologiques sensiblement identiques.
— Le genre de vie de ces mêmes groupements, leurs ressources, leur organisation familiale
et sociale, leurs institutions politiques ne se différencient que par des détails peu accessibles à
la conscience commune.
— La langue elle-même ne constitue pas un élément sullisant de différenciation. Bma et Bobo-
Fing parlent deux langues, totalement étrangères l'une à l'autre. Pourtant ces deux groupes
possèdent le do.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (l() CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 113

hommes et femmes, d'appartenir à une « société totale », distincte


de tous les autres groupements humains voisins, et dont le do
constitue la référence la plus absolue. Une remarque — que nous
justifierons par la suite — est nécessaire ici : l'initiation au do, présentée
généralement comme une révélation de la nature exacte des masques,
ne donne pas accès à une confrérie secrète à caractère mystique : rien
n'est plus éloigné de la mentalité Bwa que la formation de telles
confréries. Il est remarquable, au contraire, que toutes les
cérémonies ou manifestations où le do intervient, se déroulent « au grand
jour » ; les femmes y ont accès ; seuls — et l'interdiction est formelle
— - les enfants non initiés et surtout les étrangers en sont écartés.
Le do lie les Bobo entre eux x et la liaison établie s'étend bien

■.
au delà des communautés réduites : villages, groupes de villages,
ou même sous-groupes à dialecte commun ; elle vaut pour tous les
initiés « possédant » le do, fussent-ils installés à plusieurs centaines de
kilomètres les uns des autres 2, leurs langues réciproques fussent-elles
totalement étrangères. Parrallèlement à cette extension dans
l'espace, la communauté du do s'étend dans le temps et enserre les
vivants et les morts.
C'est cette insertion du do dans la vie « communautaire » des
Bwa, que nous devons maintenant analyser.

L'accession à la communauté Bwa. Baptême et Initiation.

L'enfant qui n'a pas été baptisé ne fait pas partie de la


communauté. Sa mort ne donne lieu à aucune des cérémonies habituelles :
son cadavre — sans être lavé dans la fosse creusée sous la gouttière —
est enterré à l'extérieur de la case 3, aucune nourriture n'est apportée
sur sa tombe 4. « Les petits enfants ne rejoignent pas les naso
(ancêtres), car ils ne sont pas dans Je do... » De même, l'enfant non
baptisé même s'il est encore dans le ventre de sa mère — ne peut
assister aux cérémonies du do. La vue des masques, leur contact,
entraîneraient immédiatement sa mort... Ces quelques exemples

1. Selon l'expression de l'un de nos informateurs.


2. Le territoire Bobo s'étend dans l'axe Nord-Ouest, Sud-Est : de San jusqu'à la frontière de
la (lold Coast, dans l'axe Nord-Sud : de Djenné jusqu'au Sud de Bobo-Dioulasso.
'.l. Tous les morts « normaux » sont enterrés à l'intérieur de la case des ancêtres ou de leur
propre case.
. 4. Cette nourriture est destinée à la subsistance du mort durant le voyage qu'il entreprend
pour rejoindre les ancêtres.
114 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

suffisent à montrer l'importance du baptême. Comment se déroule


cette1 cérémonie, quelle est sa fonction ?

Le baptême: Imposition du nom.

L'âge du baptême varie sensiblement selon -les villages. Dans la


plupart de ceux que nous avons visités, il est célébré l'année même
où l'enfant est initié, c'est-à-dire au moment où il atteint l'âge
approximatif de 13 - 14 ans. Dans quelques villages, cependant, le baptêmes
a lieu quelques semaines ou quelques années après la naissance.
P. Léger a noté ces variations 1 : « Dès sa, naissance, ou au moins
avant l'âge de raison, tout enfant doit être consacré au « Téro Do»
pour recevoir un nom parmi les vrais hommes et prendre une part
active au culte des fétiches 2... Cette consécration peut même avoir
lieu avant la naissance et dans ce, cas, toutes les cérémonies se font
sur deux petits bois portés par la mère, l'un de ces bois représentant


un garçon et l'autre, une fille. » Notons encore l'affirmation de l'un
de nos informateurs : « Si l'imposition du nom n'a pas lieu avant que
l'enfant n'ait atteint l'âge d'être initié, c'est surtout que l'on craint
toujours qu'il n'atteigne jamais cet âge 3. » L'explication est plaut
sible : elle s'explicite dans le fait — observé souvent — que le peti-
enfant (qui peut disparaître d'un jour à l'autre, emporté par la
maladie) n'est jamais complètement intégré à la communauté ; suivant
l'expression du même informateur :^ « Personne ne « connaît » le
petit enfant (uuzo), sauf ses parents. »
Le baptême va donner à l'enfant un « statut social », l'intégrer à
la communauté que forment les vivants et les morts, lui conférer
certaines prérogatives comme le droit d'être enterré rituellement, et
celui de rejoindre après sa mort les ancêtres du groupe. La cérémonie
porte le nom de yenu : le verbe ye signifie primitivement échanger,
mais il s'emploie également dans le sens de « sacrifier pour
quelqu'un » 4 ; yenu marque donc l'action d'offrir un sacrifice pour
l'enfant.

1. Op. cit,, p. 12.


'2. On imagine mal un enfant de deux ans prenant une part active au culte du do. P. Léger
semble confondre ici le baptême et l'initiation.
:î. Le taux de mortalité infantile est très élevé.
4. La formule pour un sacrifice ordinaire est : we man (we : faire, man : sacrifice). L'emploi du
verbe ye queJ'on peut traduire aussi bien par acheter que par vendre,- Jes deux sens étant
confondus dans l'esprit des В"а, ajoute cette idée que le sacrifiant n'est qu'un intermédiaire et
qu'il n'est pas bénéficiaire ultime du sacrifice : û ye o ňn na se traduit : « je fais un sacrifice pour
toi • ni ye : j'échange, о ; toi, ňn : tête, na : moi-forme indirecte).
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 115

La veille ou le matin même de la cérémonie, les parents rasent la


tête de l'enfant qui doit être baptisé *. Puis ils préparent de la bouillie
de mil et se rendent, avec l'enfant, à la case des naso (ancêtres) du
village : ils apportent avec eux une poule; si l'enfant est un garçon,
un silure, si c'est une fillette. Le chef de village égorge la poule,
fait couler un peu de sang sur le front du garçon, y colle quelques
plumes, puis il prend un peu de bouillie de mil, l'approche de la
bouche de l'enfant, la retire, répète le geste trois fois : le. garçon ne
doit pas entrer en contact physique avec cette bouillie et encore
moins l'avaler 2. S'il s'agit d'une fillette, le chef de village, par quatre
fois, pose le silure 3 sur son front puis. la. présentation de la bouillie,
identique, a lieu (quatre fois).
Ce premier rite accompli, les parents et les enfants, accompagnés
du chef de village, se rendent en procession près de l'autel de brousse
du do. Les poules, les silures, la bouillie de mil sont portés par les
femmes. Les griots précèdent le cortège, frappant sur les du-
mâtonu 4. Le prêtre du do accueille les arrivants : il a préparé des
petites poteries — une par enfant — , les a emplies d'eau prélevée dans
les grandes poteries du do 5. Successivement, il appelle tous les hommes
qui tournent trois fois autour de l'autel, portant leur fils, puis toutes
les femmes qui accomplissent quatre fois le même trajet, leur fillette
dans les bras. Enfin, les parents, à tour de rôle, s'approchent de l'autel
tenant le petit garçon ou la fillette, à baptiser. Le prêtre du do lave
la tête de l'enfant avec l'eau de la poterie ; en même temps, il
prononce le noni qu'il impose à l'enfant. Seul, le père ou la mère peuvent
entendre ce nom que le prêtre prononce à voix basse. Lorsque tous
les enfants ont reçu leur nom, les parents, le chef de village, le prêtre
du do, les griots consomment la viande et la bouillie du sacrifice ;
puis tous regagnent le village où les enfants peuvent enfin prendre
de la nourriture et boire 6.
Le père et la mère taisent soigneusement . le nom imposé par le
prêtre du do à l'enfant. Ils ne le révéleront à ce dernier que lorsqu'il
sera en âge de se le rappeler. Ce nom est secret et ne sera jamais
1< Cérémonie observée à Daga. Les enfants baptisés étaient tous très jeunes (3 à 4 ans environ).
2. Nous ignorons le sens exact de ce geste rituel.
3. Voir p. 120.
4. Voir p. 94.
5. Voir p. 86.
G. Certains détails de la cérémonie de baptême peuvent varier d'un village à l'autre; l'essentiel
demeure :
— 1° Le sacrifice dans la case des naso sur le front de l'enfant.
2° L'ablution et l'imposition du nom près de l'autel du do ou de l'arbre qui lui est consacré.
Cf. sur ce sujet.
P. Léger, op. cit., p. 12. Marie-André. — La mère et l'enfant en A. O. F. (in : «L'etnographie»
1939. n» 37).

8*
116 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

utilisé au cours de l'existence terrestre de son porteur К Lorsque


celui-ci mourra, il rejoindra les ancêtres du village, tous les ancêtres
des Bwa, et ce nom qu'il a gardé secret jusqu'alors, deviendra le sien
dans cette nouvelle existence qui commencera pour lui... Ainsi
s'explique que l'enfant qui n'a pas été baptisé, ne puisse être enterré
rituellement : car les funérailles ont pour fonction d'assurer le passage
du défunt de l'un à l'autre groupe de la communauté : le groupe
des vivants et celui des morts.

L'initiation' — révélation de la nature exacte des masques.

Le baptême marque l'entrée — passive pourrait-on dire — de


l'enfant dans la communauté que forment les vivants et les morts ;
l'initiation, par contre, marque son entrée active dans le cercle des
vivants. Jusqu'à ce moment, l'enfant est incomplet (Ъига) ; à partir
de l'initiation, il est « en vie » lo mi = il vit, ou encore lo baraa
mi : il a reçu la force. Citons Cremer 2 : « Telle est la coutume
(l'initiation). Quand on a montré le secret à une personne, celle-ci se
promène, est en vie, une autre personne ignorant cela n'est pas en
vie/ »
1. Initiation et instruction :
L'initiation : Hnu (littéralement, action de manger, de /e =
manger 3) est centrée autour de la révélation de la nature exacte
des masques. Cette révélation pour importante qu'elle soit — en
raison même de la valeur d'épreuve qu'y attachent les adultes aussi
bien que les néophytes eux-mêmes, et des réactions affectives
.

-violentes qu'elle provoque chez ces derniers — n'est qu'un moment


privilégié d'une instruction civique et religieuse qui a débuté bien
avant l'initiation et qui se poursuivra durant de longues années,
voire, pour les enfants qui seront amenés à exercer l'autorité, durant
toute leur vie. Nous ne connaissons ni les formes que revêt cette
instruction, ni le contenu des « leçons » que prodiguent les vieillards,
« gardiens de la coutume » aux néophytes ou aux initiés d'une même
classe d'âge, réunis dans des séminaires de brousse ou de village.
L'accès à cette instruction — progressive et ordonnée — serait la

1. Il est remarquable que le mot si désigne à la fois :


— Le nom, quel qu'il soit d'ailleurs : nom patronymique, prénom, nom secret.
— La « force vitale » celle, par exemple, qui est libérée, lors du sacrifice, par la mort de la victime.
2. Op. cit., p. 143.
3. Nous expliquerons plus loin l'origine de l'emploi de ce verbe pour désigner l'initiation.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU . (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 117

condition indispensable à une connaissance, par l'intérieur, de la


signification profonde du culte du do et des rites par lesquels il
s'extériorise 1. Il est indispensable, en tout cas, de ne pas oublier ce côté
éducation de l'initiation : la formation de la « personnalité de base »
en dépend pour une grande part, et l'on ne comprendrait rien au
rôle du do dans la vie journalière des Rwa, si l'on réduisait l'initiation à
ce seul aspect — visible dans la révélation de la nature des masques — :
la consécration religieuse des personnes 2.

2. Achat du do :
Certains auteurs ont longuement insisté sur « l'achat du do ». Il
est exact que l'initiation est précédée d'offrandes, et du paiement
d'une certaine somme, (effectués par le père du futur initié et dont
bénéficient le chef de village, le prêtre du do et les notables) 3. Cet
achat cependant ne doit pas faire illusion. N'oublions pas que le
verbe ï/e, acheter, signifie également « sacrifier en faveur de » 4.
Aujourd'hui encore — et bien que cette monnaie, qui fut
toujours affectée de valeurs religieuses, ne soit plus - en usage —
c'est avec des cauris que le père de l'initié achète le do pour son
fils. Plus significatif nous paraît « l'achat » du do par les néophytes
eux-mêmes, sous forme, soit* de prestations en travail dans les champs
des initiés des classes d'âge précédentes, soit du ramassage collectif
des fruits de gounan destinés à la préparation de la boisson rituelle
du do 5. Crémer insiste également, dans les nombreuses descriptions
qu'il donne des cérémonies d'initiation, sur l'obligation pour les
futurs initiés de fournir un certain nombre de jarres de dolo 6 au chef
de village et aux vieillards. Citons, par exemple : « L'ancien leur
ordonne d'apporter de grands vases et de grandes calebasses à
manches. Les quarante-deux néophytes arrivent avec quarante-deux
vases et quarante-deux calebasses, les remplissent de bière et disent
à l'ancien qu'ils ont fini. »

1. Tant que l'entrée des séminaires de brousse ou de village sera refusée aux enquêteurs, ceux-ci
en seront réduits — c'est notre cas — à des approximations partielles.
2. Nous, préférons la formule de A. Loisy, cité par H. Labouret (op. cité, p. 9) « adaptation
magique de l'individu aux fonctions de son existence dans le groupe auquel il appartient ».
Encore serait-il nécessaire de supprimer le mot « magique » absolument inadéquat.
3. La répartition de ces offrandes entre les différents bénéficiaires fait apparaître l'importance
du rôle des différentes hiérarchies sociales dans le culte du do.
4. Voir p. 114, note 4.
5. Voir p. 87, note 3.
6. Dolo : bière de mil — son emploi lors des cérémonies du do est comparable à celui de la
boisson obtenue à partir du gounan, mais pose- un problème que nous avons abordé plus haut
(cf.,- p. 87).
7. Cremeh, op. cit., p. 118.
118 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

II s'agit bien là d'un « service social » au sens le plus fort du terme.


Ce « service social » ne cessera pas après l'initiation : la récolte de
gounan comme la préparation de la bière de mil est une « introduction »
à tous les travaux collectifs qu'effectueront plus tard les initiés1.

3. Initiation et maturité sociale :


Plus que des parents eux-mêmes, la date d'initiation dépend de
l'enfant lui-même A C'est de l'ensemble de l'éducation diffuse que
reçoivent les enfants depuis leur plus jeune âge, qu'il faudrait parler
ici : cette éducation détermine leur aptitude à vivre en communauté
et par là même, le moment favorable à leur entrée réelle dans le
monde des adultes. Ce ne sont pas les parents qui sont juges de ce
moment favorable, mais les intéressés eux-mêmes non pas
individuellement, mais en tant qu'ils vivent déjà en groupes organisés, à l'image
des adultes 3. Cette liberté laissée aux enfants, nous ne pouvons
mieux la décrire que ne le fit un informateur interrogé par Cremer 4 :
« Notre do est fort. Les masques chassent le jeune homme qui n'a
pas fait l'offrande de la poule et de la bière. Ils le poursuivent pour
qu'il rentre dans sa maison, lui lancent des pierres et si leur victime
est atteinte, blessée à la tête, elle ne proteste pas, son père non plus.
Mais le jeune homme réfléchit, ses camarades d'âge, grandis avec
lui sont nombreux, vingt, quarante, peut-être, les voici qui sortent,
s'appellent, discutent. Ne connaissent-ils pas la coutume de leurs
pères, ils sont adultes maintenant et les masques les chassent encore,
leur cassent la tête, sans qu'ils puissent protester. Il faut demander
aux vieillards les cérémonies à accomplir pour n'être plus traités
ainsi. L'un d'eux explique comment les garçons du même âge,
cultivant déjà de compagnie, sont poursuivis par les masques comme s'ils
étaient des enfants, ils sont frappés et blessés, cela n'est pas bon.

1. Voir p. 124.
2. Nous nous plaçons dans le cadre d'un village fonctionnant selon la tradition.
3. Ces groupes ne sont pas seulement des groupes de jeu, mais aussi des groupes de travail.
Les enfants cultivent en commun, pour le compte de certaines familles, des champs d'arachide
ou de mil. Une partie de la récolte leur revient dont la vente produit l'argent nécessaire à
l'organisation de fêtes auxquelles les adultes n'assistent jamais. D'autre part, les enfants —
garçons et filles - , qui continuent à être nourris par leurs parents, vivent en communauté, soit
dans le cadre du quartier, soit dans celui du village : à chacun des deux groupes -- garçons
et filles — une case est réservée dans laquelle les membres du groupe se réunissent et passent
la nuit ; cette case commune est appelée : yaradare, pour les garçons (yara = garçons, da —
dormir) ; azawe dare, pour les filles (azawe = fillettes).
Dès ce stade existe un embryon d'organisation politique avec un chef de case, un chef de travail,
un meneur de jeu. Les premières relations sexuelles entre garçons et filles • datent également
de cette époque.
4. Cremer, op. cit., p. 112.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ -DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 119

C'est pourquoi ils demandent ce qu'il faut faire pour éviter cette
persécution. »
Cette démarche initiale des enfants est plus importante que la
révélation de la nature exacte des masques. En réalité, les néophytes
n'ignorent pas que les korwa sont des habitants du village recouverts
de feuilles et portant un masque de paille qui leur recouvre la. figure.
Cette connaissance même nous semble nécessaire à la réussite —
en tant qu'épreuve de vie en communauté — de la cérémonie
d'initiation elle-même. Le néophyte doit savoir que l'initiation, si elle
le « consacre » au do, marque également son entrée dans le monde
des adultes qu'il n'a fait que côtoyer et dont, maintenant, il va saisir
les rouages essentiels. D'où ce long cérémonial qui précède la décision
du chef de village et du prêtre du do relative à la date d'ouverture
des cérémonies d'initiation. Là encore, le récit de l'informateur de
Cremer est significatif et recoupe entièrement nos observations
personnelles x :
« Le ■ messager réunit ses camarades d'âge. Ils sont nombreux,
s'interpellent, viennent s'asseoir autour du premier, qui leur rapporte
les paroles du vieillard. Ils ont compris. Il faut s'adresser maintenant
aux gens de la classe d'âge précédente qui sont meilleurs qu'eux.
Mais tous n'iront pas, deux suffiront. Ces deux là s'en vont chez un
ami qui dit : Ha ! lui-même est leur compatriote, mais les mystères
du do ne sont pas discutés avec des enfants. Qu'ils aillent trouver
le plus âgé de ses amis. Ils partent, exposent l'affaire à ce dernier :
ils veulent savoir ce qu'il faut faire pour que les masques ne les
frappent plus, qu'on leur dise. L'autre répond : Waï ! Sont-ils assez
grands ? — Ils sont assez grands. — Peuvent-ils faire le service du
do ? — Ils ne savent pas ce que c'est, mais qu'on leur explique et si
cela leur paraît impossible, il n'insisteront pas. Si, au contraire, ils
peuvent le faire cela sera accompli. — Eh -bien ils vont s'asseoir et
attendre son retour.
Il part, s'adresse au plus ancien de la classe précédant la sienne,
celui qui lui a montré le mystère du do. Les enfants assurent qu'ils
sont assez grands et réclament qu'on leur donne le do. L'autre dit :
Hé ! les fait asseoir pour attendre son retour.
Il se lève va trouver l'ancien de la classe précédente, celui qui
lui,- a montré le mystère. Les non initiés qui sont encore derrière
prétendent qu'ils sont assez grands et lui ont demandé de le prévenir.
L'autre se lève, va chez le vieux du quartier, qui a mangé la vieillesse

1. Cremer, op. cit., p. 113-114.


120. SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

dans le quartier. C'est lui le gardien de la parole, s'il ne parle pas,


personne ne parle. L'affaire lui est exposée. Le vieux a compris, il
accepte. N'a-t-il pas lui-même acheté le do avant eux ? Leurs pères
ont fait cela avant leur naissance, et maintenant ils sont des jeunes
gens, on les chasse, on les poursuit, cela n'est pas bon. Qu'ils, soient
acceptés, qu'ils paient, se rassasient et les feuilles seront à eux.
Est-ce entendu ? »
' 4. Le sacrifice :
La révélation proprement dite est précédée d'un sacrifice au do
dans le sanctuaire de village. Seuls y assistent le chef de village, le
prêtre du do et le père du néophyte. Les victimes sont :
— Pour un garçon : deux coqs.
— Pour une fille : une poule et un silure cru *.
La viande est consommée par tous les vieux du village. Par ce
sacrifice, les enfants — qui seront initiés le. lendemain — sont
présentés au- do 2. Dans certains villages, ce sacrifice de consécration
n'a lieu que,trois années après la: première cérémonie d'initiation.
Nous aurons l'occasion de montrer que cet intervalle de trois années
correspond à la première période d'instruction, celle qui donne
accès à la connaissance superficielle.
Remarquons enfin que les jeunes filles sont initiées au do au même
titre que les garçons. Chez les Bobo-Fing — au contraire — le « secret
des masques » n'est pas révélé aux femmes. Quelle que soit l'origine
de cette différence entre les deux groupes 3, il est à noter que
l'initiation des femmes, chez les Bwa, n'apparaît absolument pas comme une
dégénérescence du culte du do. Les vieillards interrogés ont été
formels : «Les femmes ont toujours acheté le do». Les initiées, d'ailleurs,
participent, elles aussi, au service du do 4. Ceci illustre encore le

1. Cf. p. 115, l'emploi du silure lors du sacrifice du baptême.


2. Nous n'avons pu obtenir l'autorisation d'assister à ce sacrifice. Л Bénéna, le prêtre du </o
fait couler le sang des victimes sur les poteries du do et sur le bâton sacré (Voir p. fi.). Il prononce
la formule : « п уаго о do ne » : « Je te donne, do, le garçon ».
3. Il pourrait s'agir, par exemple, de structures complémentaires.
4. Au moment de la fête du lopànu a lieu une danse de femmes : (ânâ kor"a yuenu) :
ânâ = femmes
korKa = masques
yuenu — action de faire danser.
La plus vieille femme du village — en accord avec le prêtre du do choisit le jour ou aura lieu
la danse, généralement le quatrième jour après la grande sortie rituelle des masques (cf., p. 103).
Hommes et femmes, ne dansent jamais ensemble. C'est la vieille femme elle-même qui
choisit les danseuses et les accompagnent en brousse : seules, les femmes enceintes — à cause
de l'enfant qu'elles portent — ne peuvent participer à la danse. Celle-ci dure une journée et les
costumes de feuilles sont ceux-là même que portent les hommes. Ainsi, la différenciation entre
masques mâles (siriure kor'a) et femelles (yirasâ kor'a) n'entraîne aucune différenciation entre
les porteurs, puisqu'aussi bien hommes et femmes portent les uns et les autres.
NOTES SUR LA SOCIETE DU dû CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 121

caractère collectif, mieux communautaire du culte du do. La


démocratie religieuse s'étend aux femmes elles-mêmes К

5. La révélation 2.
Le lendemain du sacrifice au do, les néophytes, accompagnés de
leur père, sont conduits en brousse, près du korwabuo 3. Les initiés
des années précédentes — non masqués — les accompagnent frappant
sur les yirnsâ (tambours du do). Tous les villageois, femmes comprises,
sont présents. Arrivés au lieu d'initiation, le cortège s'arrête, se
forme en demi-cercle ouvert vers l'Est. Le prêtre du do et les
néophytes 4 prennent place au centre de ce demi-cercle. Le prêtre ordonne
aux néophytes de retirer entièrement leurs vêtements 5, et de se
coucher sur le sol, la face tournée, vers la terre. Puis, il frappe le sol
à l'aide d'une hache 6 :'les masques apparaissent soufflant dans les
korozo 7, faisant entendre le « cri du do » 8. Ils entourent les enfants,
les frappent de leur badine 9, cependant que les joueurs de yirasâ
redoublent d'ardeur... Individuellement et successivement, les enfants
— invités par le prêtre à se relever — vont faire face à un masque.
Le père est au côté du néophyte, l'empêchant de fuir s'il en a le
désir ; il pique son amour propre : « Si tu as la tête dure 10, il faut
lutter avec le masque. » L'enfant surmonte sa frayeur n, fait front :

1. On ne peut s'empêcher de penser, à ce propos, à la grande liberté dont jouissent les femmes
en pays B"a.
2. Cérémonie observée à Tominian.
3. Voir p. 107,-108.
4. Garçons et filles sont initiés séparément. La cérémonie d'initiation des fllles est beaucoup
plus simple : elle ne comporte pas de lutte avec les masques.
3. Cremer, op. cit., p. 116 : « Ils se lèvent, ôtent leurs cache-sexes, les tiennent à la main.
La personne de Kohui qui les accompagne proteste : il y a beaucoup de femmes dehors pour regarder.
Les jeunes gens enlèvent quand même leurs cache-sexes, car c'est la coutume du do. Si quelqu'un
refuse pour que les femmes ne voient pas sa verge, il n'a qu'à partir, les feuilles ne le couvriront
pas, il ne descendra pas chasser les femmes... _»
6. Voir p. 111, 112.
7. Voir p. 93.
8. Voir p. 93, note 3.
9. Dans certains villages, ils las recouvrent de feuilles, aidés des jeunes initiés des années
précédentes. Cf. P. Léger, op. cit., p. 13 :
« Alors les masques s'approchent au son des tambours sacrés, poussant des cris terrifiants
et sautant comme des démons; ils sont suivis de tousles jeunes gens qui brandissent des branches
d'arbres. Arrivés près des enfants, ils les recouvrent entièrement de feuilles, et les masques
poussent de grands cris en frappant le sol autour d'eux avec leur badine. »
'

10. Si tu es courageux.
11. Cette frayeur est réelle bien que l'enfant n'ignore pas la nature humaine de son « adversaire »
N'oublions pas que — théoriquement du moins — le néophyte n'a jamais vu de masques ;
du moins, il ne les a jamais approchés d'aussi près et de plus il a conscience de leur caractère
sacré. D'autre part, il doit lutter avec un homme qu'il sait beaucoup plus âgé que lui, et à qui
— dans la vie journalière — il doit obéissance et respect.. Tout concours à ce que l'acte qu'il doit
accomplir se présente à lui comme un acte sacrilège. D'oii le sentiment de culpabilité qui le
saisira lorsqu'il aura tué le masque.
122 ' SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

tout à coup, le masque s'écroule, est. agité de soubresauts, puis


s'immobilise. Le père alors accuse l'enfant : « о кого lo bwo », « tu as tué
le masque » ; l'enfant se met à pleurer x. Le père ou le prêtre du do z
souffle sur le masque qui se relève. Puis le кого retire son « bonnet »
de paille : le père demande à son fils : « Qui est-ce ? », l'enfant, qui
a reconnu l'un des habitants du village, prononce son nom ; son
père alors lui inflige une correction, le même manège recommence
plusieurs fois jusqu'à ce que l'enfant — à la question posée —
réponde : « C'est un кого 3. »

6. Le serment :
Après que lui ait été révélé la nature humaine des masques, l'enfant
doit jurer qu'il ne révélera jamais aux non-inités le secret des masques
Pour cela, il mangera "l'œuf du masque" (кого /ř, /F = œuf) 4. Le
prêtre lui explique que l'œuf du masque, c'est son habit de feuilles
(korovarà) 6. Le nouvel initié descend dans un trou creusé dans le
sol 6. Puis, il mâche quelques feuilles prélevées sur l'habit du кого,
crache trois fois dans le trou en jurant qu'il ne révélera jamais à
ceux qui ne sont pas " dans le do ", la nature véritable des masques.
Le prêtre du do l'avertit que, s'il rompt son serment, il mourra et
que le trou sera sa tombe 7 ; si on l'interroge, il doit répondre que
les korwa sortent de la terre et qu'ils portent sous le ventre des œufs
dont il s'est rassasié. Lorsque tous les enfants ont prêté * serment
individuellement 8, le prêtre du do les réunit ; aidé de quelques initiés
il pétrit de^ la terre, en emplit les tombes 9 « virtuelles » sur lesquelles

1. Citons P. Léger : « On dit alors (à l'enfant) qu'il a tué le masque que — s'il ne pleure pas —
celui-ci ne pourra revivre. L'enfant n'a aucun mal à pleurer après une telle séance. » (Op. cit., p. 13.)
2. Il serait nécessaire — ce que nous avons essayé vainement — de faire préciser qui — du
père ou du prêtre du do — doit « théoriquement • ressusciter le masque.
3. Nous n'essayerons pas de faire la psychanalyse de ce moment essentiel de l'initiation
(meurtre et renaissance du masque) : elle serait cependant intéressante dans la . mesure où il
semble bien que l'on soit en présence d'une variante du schéma classique du meurtre rituel du
père.
4. Voir p. 111-112.
5. Voir p. 89.
6. Nous n'avons pu obtenir de nos informateurs la nomenclature complète des termes se
rapportant à l'initiation. La plupart seraient certainement révélateurs du contexte mythique.
7. L'initié qui a révélé le secret des masques, est enterré en brousse. Rejeté de la communauté,
il ne pourra rejoindre les ancêtres (naso).
8. La formule du serment est identique pour les filles, comme en témoigne ce texte de
Crëmer (op. cit., p. 134) : « Les feuilles du vêtement sont détachées, posées sur place, puis le
vieillard creuse un trou profond, ramasse les feuilles, appelle un des enfant assis là, lui demande
son nom, l'enfant le lui donne. Le vieillard remet une feuille à l'enfant. Il se trouve que c'est
une fille, elle déchire encore la feuille, remonte, redescend ainsi quatre fois, puis .va s'asseoir
à l'écart. Le vieillard appelle un garçon, qui prononce son nom, déchire une feuille, la met
au fond du trou, remonte, redescend trois fois. »

9. C'est le terme même employé par le prêtre : b'i.


NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU dû CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 123

il verse ensuite de l'eau1 ; enfin, il ordonne aux enfants de poser la


main droite sur la « tombe » et de frapper le sol. En même temps,
il leur rappelle les termes du serment < qu'ils ont prêté. Ainsi se
termine la cérémonie d'initiation2 : les réjouissances vont pouvoir
commencer.
L'exposé du déroulement de la cérémonie d'initiation rend clair
l'emploi du mot tenu (le = manger, tenu = action de manger) pour
désigner l'initiation 3. L'initié bâta (celui qui a mangé) fait désormais
partie de la communauté religieuse du do et nous allons le voir plus
en détails, de la communauté sociale des Bwa.
7. Quelques détails supplémentaires sur l'initiation :
Les détails des cérémonies d'initiation varient sensiblement selon
les villages. L'essentiel cependant demeure :
1° La lutte avec le masque et la mort de celui-ci.
2° La renaissance du masque et la révélation de sa nature humaine.
3° La consommation de "l'œuf du masque" et le serment4.

1. Le geste du prêtre du do versant Геаи sur la terre est significatif. Lorsqu'un B"a désire
faire un serment sur un autel, il verse de l'eau sur le corps de l'autel en disant : « ú ňu /но »
littéralement : « je verse de l'eau (fi = je, nu = eau, fuo = verse), expression qui signifie en
réalité « je promets » ou « je jure ». D'autre part, la plupart des serments sont faits sur la terre
(tub"enu, voir p. 2): ainsi l'homme accusé de vol jure de son innocence en faisant une libation
à la terre. S'il est vraiment coupable, il mourra; sinon ce sera son accusateur qui subira ce sort.
2. Cremer cite un rite de désacralisation — du moins présente-t-il ce caractère — qui suit le
serment sur la terre et clôt la cérémonie d'initiation (op. cit., p. 135) :
« Un vieillard puise de l'eau, la pose sur le sentier et s'assied à côté. Les enfants se lèvent, se
mettent en rang, s'avancent vers lui. Le vieillard tient le récipient à deux mains, et chaque
néophyte plonge sa main droite dans l'eau, passe, et rentre chez lui. »
Nous n'avons pas observé ce rite. Cependant la même préoccupation de purification apparaît
dans le premier geste accompli par les nouveaux initiés : de retour au village,' ils se lavent
soigneusement avant de toucher à la moindre boisson ou nourriture. Tous les masques d'ailleurs
leur service terminé — accomplissent le même geste.
3. C'est également l'origine de l'expression : yaro wue yu кого fî, « l'enfant a gagné l'œuf du
masque ». (C'est-à-dire : l'enfant est initié, yaro = enfant, wue = marque le passé, ум = recevoir
ou gagner, кого = masque, fï = œuf du masque). Le texte suivant de Cremer illustre également
la généralité de l'emploi du mot korofï (il est — d'autre part — significatif du sens général de
l'initiation en pays Bobo) : « Aucun Bobo ne peut révéler le secret du do, dont les masques sortent
de brousse. C'est une coutume 'ancienne...
Un garçon naît, grandit, s'assied à côté de son père, écoute les paroles de ce dernier qui ne
fait jamais allusion aux masques. Si le père révèle que le masque est un homme enveloppé de
feuilles, il meurt.
Le père a gardé le secret. Un jour qu'il est assis avec le garçon, les masques sortant de la
brousse s'approchent. L'un d'eux appelle l'enfant lui dit de venir avec 100 cauris, pour attraper
l'œuf du masque. L'enfant répond : Hé ! qu'il va chercher.
Le père part avec son fils, entre chez le forgeron, annonce à ce dernier qu'une chose de la
brousse est venue appeler l'enfant. Celui-ci doit répondre : Oui, mais pour cela il faut lutter
avec l'être inconnu, car l'œuf se trouve sur le ventre du masque. »
Signalons enfin que le verbe te (manger) s'emploie également au moment du déshabillage
des masques : lorsque ces derniers regagnent la brousse pour se dévêtir, ils disent : • wa yo ts
wa кого », nous allons manger notre кого » (wa = nous, notre, yo = aller).
4. Voir notamment : P. Léger, op. cit., p. 13.
Cremer. op. cit,, p. 110-111, 114-115, 130-136, 142-143.
124 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Dans certains villages, l'initiation est suivie — trois jours


durant — d'un repas nocturne des nouveaux initiés x. La signification
de ce rite nous est inconnue.
Notons enfin que la révélation de la nature exacte des masques,
n'est qu'un premier pas dans l'initiation complète des enfants. Les
renseignements épars que nous avons pu recueillir,. indiquent qu'une
seconde cérémonie se déroule trois années plus tard, cérémonie sur-
laquelle malheureusement nous n'avons aucun détail. Ilest possible
qu'à ces deux cérémonies, correspondent — dans certains villages x —
l'acquisition successive du masque mâle (siriureoro) et femelle
(yirasàoro). Dans d'autres villages, il nous fut affirmé que la seconde
cérémonie était, en tout point, identique à la première, mais qu'à
ce moment seulement intervenait le sacrifice de la poule (o mao) 2.
Durant ces trois années en tout cas, les jeunes initiés — qui reçoivent
une instruction en séminaire de brousse ou de village, et qui doivent,
en toute occasion, assurer le service du do — sont tenus à certaines
obligations vis-à-vis des initiés des classes d'âge supérieures :
prestations en travail, offrandes de bière de mil lors des grandes fêtes
religieuses, surtout obéissance et respect absolus.

U initiation — entrée dans une classe d'âge.

Nous avons vu que l'initiation, qui suppose une certaine maturité


« sociale » du. garçon ou de la jeune fille qui acquièrent le do 3, marque

1. Voir p. 93,
2. En réalité, le sacrifice de consécration au do, cf. p. 120-121.
Un texte de Cremer est significatif de cette période de trois années durant laquelle les nouveaux
initiés doivent prouver leur capacité à vivre en communauté et à respecter la règle
fondamentale de tous les rapports sociaux : l'obéissance aux aînés.
« Ils (les nouveaux initiés) se rendent alors chez celui qui les instruit et lui demandent : N'y
a-t-il pas quelque chose d'autre concernant le do '! — Si, ce que vous avez acquis, c'est le nouveau
<řo. Mais vos poules ne sont pas encore sorties, et vous n'avez rien fait. Si l'un de vous insulte
un aîné, et que le cœur de celui-ci brûle, il faudra lui payer des «vases de bière, lit encore cei-i
lorsque le mil est rentré, les masques descendent au village, les nouveaux initiés paient la bière.
Plus tard, vous ne paierez plus. Celui d'entre vous qui aura commis une faute durant cette
période sera seul puni. Et maintenant, promenez-vous !
Mais comment faire pour finir d'acheter le do ?
Descendez pendant trois ans au village avec les masques, puis parlez à vos anciens, et s'ils
consentent, vous achèterez définitivement le do, car il s'achète deux fois. Après, c'est fini.
Trois années passent, et les derniers initiés vont trouver leurs anciens, demandent à terminer
leur affaire, car les enfants qui sont derrière ont grandi. Les derniers initiés ont beaucoup de
mal, ils ne peuvent parler et chaque fois qu'ils offensent un aîné, ils doivent payer des amendes,
ils sont fatigués de cela.
Les aînés s'adressent aux vieillards, et ceux-ci répondent : la tourterelle roucoule de même le
malin et le soir. La seconde cérémonie est pareille à la première sans être identique cependant,
car les poules sont là. Que l'on prépare la bière dans les vases. •
A. Voir p. 118-119.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 125

également l'entrée dans le « monde » des adultes. Plus qu'à des


vérités religieuses — qui ne leur seront révélées que progressivement
— c'est à des structures sociales nouvelles que les initiés ont accès :
en réalité, ces structures ne leur sont pas entièrement inconnues ;
ils ont appris à en vivre l'esprit, lorsqu'ils habitaient la case
commune *. L'initiation ne se traduira donc pas par un changement
brutal des règles de vie : l'enfance des nouveaux initiés les a préparés
à une vie fraternelle, qui va se dérouler désormais au sein des classes
d'âge.
Tous les jeunes gens initiés la même année forment une « rangée »
(onu) dont ils sont les habitants (onuso). Plus tard, plusieurs onu
fusionneront pour donner une classe d'âge plus étendue \.wz (wz>—
pluriel de onu).
1. Classes d'âge et culte du do:
Toute classe d'âge — en tant qu'association d'initiés v — est tenue
de participer au service du do. Lors de toutes les cérémonies de
préhivernage et d'hivernage, qui s'accompagnent* de sorties de masques,
chaque classe d'âge doit fournir un certain nombre de danseurs
masqués : ceux-ci sont choisis par le chef de classe d'âge (onube =
Ъг ~ chef) 2 et ne peuvent se récuser. Les autres membres de la
classe d'âge participent à l'habillage des danseurs. Les initiés trop
âgés pour- revêtir l'habit de feuilles et de paille, doivent, sur l'ordre
de leur chef de classe, accompagner en brousse les initiés des classes
inférieures et tresser le masque de tête des danseurs. Le même
processus intervient lors des sorties de masques apériodiques 3.
La place donnée aux classes d'âge dans l'organisation des
cérémonies illustre bien le caractère collectif du culte du do: chaque
"troupe " de* masques est comme un microcosme de toute la
communauté 4. Notons encore, dans le même esprit, l'interdiction faite aux
initiés de revêtir seuls et de leur propre initiative l'habit des masques :.
« Personne ne peut venir seul tresser les costumes, car le do le tue »
(Cremer, op. cité, p. 143) ; de même c'est une obligation absolue pour
l'initié désigné comme participant à une sortie de masques, de se
faire" accompagner de quelques-uns de ses compagnons de classe
d'âge : eux seuls ont le droit d'attacher sur lui les bouquets de feuilles

1. Voir p. 118, note 3.


2. Le chef d'une classe tl'âge est, le plus souvent, désigné par ses compagnons, quelquefois
par le prêtre du do.
3. Voir notamment, p. 110 (dammage rituel de la margelle du puits) et plus loin, p. 128.
4. Le nombre, l'âge (ou le degré d'initiation) des membres de cette troupe comme des vieillards
qui les accompagnent sont fixés selon des règles, qui varient en fonction de la cérémonie
considérée.
126 SOCIETU DES AFRICANISTES

de karité, de même que seuls les initiés plus âgés peuvent tresser son
masque de tête x.

2. Classe d'âge et vie communautaire :


Si le service du do est l'une des fonctions dévolues aux classes
d'âge, là ne se borne pas leur rôle de « catalyseurs » de la vie
communautaire des initiés : en fait, c'est dans de cadre de la classe d'âge
que se déroule toute l'existence « fraternelle » des Bwa. Nous ne
pourrons donner qu'un aperçu du rôle que joue dans tous les moments
de sa vie, l'appartenance d'un individu à une classe d'âge. Suivant
les activités qu'elle organise, la classe d'âge prend des noms
différents, qui illustrent bien sa fonction.
1° omi-nubwali (nubwali = aider) : association de travail. Les
circonstances où les compagnons de même classe d'âge travaillent
ensemble sont multiples. Citons :
Les prestations en travail effectuées par le fiancé dans les champs
de son futur beau-père (fwamu venu, venu = culture, fwamu =
fiancée).
— Le défrichage d'un nouveau champ de brousse.
— La construction d'une case ou d'un grenier, la réfection d'une
terrasse.
— Certains travaux de culture, notamment les semailles et les
récoltes (lorsque les membres de la' famille ne suffisent pas à la tâche).
— Pour les femmes (tant qu'elles n'ont pas quitté le village) la
cueillette en brousse des fruits de baobab ou de kapock, le ramassage
des noix de karité.
2° onu-yia (yin = s'amuser) : association de jeu 2. •
Chaque fois qu'une fête a lieu, soit religieuse, soit profane, les
compagnons de même classe d'âge, se réunissent et « s'amusent »

1. Nous ne nous attarderons pas sur les obligations des masques et leurs pouvoirs, ils découlent
de leur nature (incarnation du do) et de leur rôle (variable selon les rites).
— Le masque n'est plus un homme, ne connaît plus personne, ne parle plus la langue des
humains et s'exprime seulement par des cris ou à l'aide du korozo (voir p. -6-7 et 13). '
— - Le masque doit • poursuivre et chasser les non-initiés. Si les enfants refusent de s'enfuir,
il doit les frapper et les parents n'ont pas le droit de protester...
— Le masque qui veut satisfaire un besoin s'éloigne, se dissimule, enlève son vêtement.
Quiconque ne prend pas cette précaution oflense le do et meurt.
— Le masque ne peut se nourrir, il ne peut que se désaltérer avec la boisson rituelle du do.
Lorsqu'un initié a quitté son habit, il doit se laver avant de toucher à toute nourriture.
— En toute occasion, le masque doit' obéir au prêtre du do ou à son représentant (le masque
le plus âgé).
— Le masque doit accomplir tous les getes rituels, qui lui ont été enseignés.
2. Le dn — dit un informateur de Chemer — « aime l'amusement », op. cit., p. 123.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 127,

ensemble. Toutes les occasions, d'ailleurs, sont bonnes pour se


divertir en commun (marchés, beuveries de dolo, chasses collectives...).
— Lorsqu'un jeune homme reçoit sa fiancée (mariage traditionnel),
ce sont deux de ses compagnons qui « gardent » son épouse tout au
long des cérémonies. Tous les autres membres de sa classe d'âge lui
apportent poulets et cauris 1, jouent en son honneur sur les guitares-
lyres.
— Après les. dernières récoltes, une fête (sani) réunit toutes les
classes d'âge. Un terrain de lutte est aménagé ; des feux sont allumés.
Les jeunes gens vont lutter : ils s'affrontent d'abord entre membres
d'une même classe d'âge, puis entre vainqueurs successifs. Le
lutteur le plus fort (swabe: chef de lutte) jouira d'un grand prestige.
La fête s'achève par des danses et des libations.
— Jeunes gens et jeunes filles sont également liés par l'initiation;
il existe un système compliqué d'échanges de cadeaux et de services
entre jeunes gens et jeunes filles initiés la même année.
Ce ne sont que quelques exemples illustrant cette « fraternité » qui
naît lors de l'initiation et qui, loin de s'épuiser dans les exercices
religieux, s'élargit à tous les moments de la vie sociale de l'individu,
formant* l'un des supports de la vie communautaire des Bwa.

Le do puissance sociale.

Nous venons de voir comment le do — par l'intermédiaire des


classes d'âge — organisait. toute la vie communautaire des Bwa. Peu
à peu se dessine sa véritable figure, celle d'une puissance sur qui
repose non seulement l'ordre naturel, mais aussi l'ordre social. Les
Bwa ont conscience de cette ambivalence ; de même qu'ils disent de
do qu'il est woroso (maître de la pluie), . de même ils affirment : do
tue le jeune homme qui veut s'emparer de la femme de son oncle
maternel, celui qui cultive seul et « mange » sa récolte sans rien donner
à son père, celui qui sacrifie sur l'autel des naso (ancêtres) sans avertir
son père et lui demander son concours, celui qui, dans une querelle,
donne tort à son père et proclame que la- parole de celui-ci n'est pas
douce, celui qui vole le mil dans les greniers ou dans les champs...
tous ceux qui « mangent » 2 la coutume.
Le do fils et frère de debwenn symbolise l'alliance des générations,
les classes d'âge l'inscrivent dans la vie journalière : hiérarchisées,

1. Destinés à payer les musiciens (griots).


2. « Qui ne respectent pas ».
128 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

elles tiennent les unes par les autres et assurent la transmission de


toutes les impulsions données par les anciens formant la classe d'âge
supérieure. Nous n'insisterons pas sur les rapports hiérarchiques qui
existent entre les différentes classes d'âge x ; leur examen nous
entraînerait à un exposé d'ensemble sur les structures sociales et politiques
des Bwa. Notons seulement que l'obéissance due par les plus jeunes
aux aînés, se retrouve ici, non plus sur un plan individuel mais sur.
un plan collectif. La classe d'âge toute entière est responsable- du
manquement de l'un de ses membres à cette règle 2. Notons encore
que les masques peuvent intervenir pour veiller à l'exécution, d'un >
ordre du chef de village : il en est ainsi lors de la réfection de la case
du prêtre du do, du dammage de la margelle du puits, de la
préparation de certaines cérémonies religieuses, de l'accomplissement de
travaux d'intérêt général : réparation d'une piste, par exemple, ou
simplement achèvement des travaux agricoles en temps voulu 3...
Si nous nous efforçons, à la fin de cet exposé, de cerner la «
personnalité » du do, nous constatons que :
1° Le do est la figure centrale de toutes les croyances, profondes
des Bwa. Il apparaît que ces croyances sont explicitées dans un mythe
de création, dont nous n'avons malheureusement que quelques
bribes : la connaissance de ce mythe permettrait seule d'analyser,
par l'intérieur, les différentes parties du rituel.
2° Si nous nous bornons à un examen de l'extérieur, le do et les
structures socio-religieuses qui se rapportent à son culte, se

.
présentent comme organisant toute l'existence des Bwa. Cette existence
repose matériellement sur l'agriculture, socialement sur un ensemble
de formes de vie communautaire. C'est pourquoi le do, d'une part
réintègre l'homme dans la nature et assure le déroulement régulier
des cycles de pluie et de végétation, d'autre part, veille au
fonctionnement harmonieux des rapports sociaux, condition d'une vie
communautaire paisible К Mais le do est « un » et, à travers lui, les deux

1. Nous en avons donné un aperçu, p. 118-119.


2. Ainsi l'amende infligée par le chef de village à un individu ayant rompu un interdit ou
manqué à ses devoirs sociaux, est payée par l'ensemble des membres de la classe d'âge à laquelle
appartient le coupable. Si cette amende s'accompagne de corvées, celles-ci réuniront de même,
autour du coupable, tous ses compagnons de même classe d'âge (cf. p. 103-104).
3. Cf. Cremer, op. cité, p. 120, note n° 1 : « A la saison sèche le mil est frappé, les chefs
proclament que les cultivateurs se hâtent de rentrer leur récolte pour tel jour, car ce qui est abandonné
en brousse après ce moment appartient au do ; à l'aube les masques iront le prendre. Le travail
de la hache et de la houe est terminé. Les masques ne toucheront pas aux patates, mais le
gros mil blanc, le gros mil rouge, les pois souterrains abandonnés seront ramassés par les masques
et portés au forgeron.
4. Le rhombe - — hiérophanie suprême du do — illustre, par sa fonction, ce va-et-vient entre
le monde naturel et le monde humain : lors des sacrifices les plus importants au do, le prêtre
transporte le rhombe sur l'autel du do de brousse. Le sang versé assurera l'intégration des deux
uiuodes.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU llo CHEZ LES POPULATIONS' DE .SAN 129

faces de la création : la nature et l'homme, apparaissent auxBwa


comme intimement liées ; en respectant les règles de vie que do leur
a enseignées, les Bwa s'assurent du bon fonctionnement non seulement
de la communauté humaine qu'ils forment, mais encore des forces
naturelles dont ils dépendent.

International African Institute.


Paris

Bibliographie sommaire :
Cinger : « Du Niger au golfe de Guinée », Paris 1887.
Lieut. Colonel Monteil : « De Saint-Louis à Tripoli par le lac Tchad ». Paris 1894.
P. Guébhard : « Notes contributives à l'étude de la religion, des mœurs, des coutumes des Bobo
du cercle de Koury » (in : « Revue d'ethnographie et de sociologie », Paris 1911).
Dominique Traore : « Sur le royaume mandingue de Bobo » (in : • Bulletin de renseignement :
Gorée).
M. Delafosse : • Haut-Sénégal - Niger », tome I : « Le pays, les peuples, les langues », Paris 1912,
L. Tauxier : « Le noir du Soudan (Pays Mossi et Gourounsi) », Paris 1912. (Chapitre I consacré
aux Bobo de la région de Léo.)
G. Chèron : « Les Bobo-Fing » (in : « Annuaire et Mémoires du Comité d'Études Historiques et
Scientifiques, A.O.F., 1916).
Ch. de la Roncière : « Découverte d'une relation de voyage datée du Touat et décrivant le Bassin
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H. Labouret : « Introduction au livre de J. Cremcr : « Les Bobo (tome III : la vie sociale »),
Paris 1924.
Sibidé (Mumby) : « Contribution à l'étude de l'histoire et des coutumes des indigènes de la région,
de Bobo-Dioulasso » (in : t Bulletin de l'enseignement », A. (J. F. 1927).
Birahim (Cire Ba) : « Esquisse historique sur les « Bobo » et « Bobo-Dioula » (in : « Bulletin de
l'enseignement de l'A. O. F. 1930).
Birahim (Cire Ba) : « Les Bobo, la famille, les coutumes » (in : « Education Africaine 1954 »).
Urvoy : « Petit atlas ethno-démographique du Soudan entre Sénégal et Tchad », M. I. F. A. N.
Dakar 1942.
M" de Lavergne. de Tressan : « Inventaire linguistique de l'Afrique Occidentale Française et
du Togo » I. F. A. N.. Dakar 1953.

Système de transcription :
u = ou (fr. poule).
û = ou nasalisé.
e = è (fr. balais).
e = é (fr. été).
a = e (fr. meringue).
â = an (fr. planche).
ù = on (fr. balcon).
d", b" = modification du b ou du d par w (phonème unique).
s, t = modification du s ou du t par un yod (y) (phonème unique).

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