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Africanistes
Capron Jean. Quelques notes sur la société du do chez les populations Bʷa du cercle de San. In: Journal de la Société des
Africanistes, 1957, tome 27, fascicule 1. pp. 81-129;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1957.1882
https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1957_num_27_1_1882
PAR
J. Capron
1. Le groupe Bwa appartient à la fraction la plus septentrionale des populations connues sous
le nom de Bobo. Les Hobo occupent les deux rives du cour» moyen de la Volta Noire. 11ч sout
répandus depuis Djeimé (nu Nord) jusqu'à Bobo-Dioulasso (au Sud) ; lu limito Nord-Ousst de
leur peuplement est constituée par le cours supérieur du Hani, cependant qu'au Sud-Est les villugps
les plus excentriques sont situés uu Nord de la frontière de l'Etat de Ghana, sur la rive gauche
de la Volta (cf. carte jointe).
11 est impossible d'aborder ici les problèmes relatifs à la nomenclature des sous-groupes Bobo.
Notons seulement que les B"a (nom autochtone) ont conscience d'appartenir à un groupe plus
vaste : celui des Bobo (le nom Bobo fut donné par les Dioula, envahisseurs d'origine mandingue,
aux habitants de la région de Bobo-Dioulasso ; par la suite, les Dioula appliquèrent ce vocable
à tous les autochtones de la région délimitée plus haut, se contentant de différencier chaque sous-
groupe en accolant au mot Bobo, un qualificatif classificatoire : Bobo-Oulé : « Bobo-rouges »,
Bobo-Fing = « Bobo-noirs », Bobo-Diè = « Bobo blancs •). Actuellement, les B"a incluent dans
le terme générique Bobo : les ňina (ou Bobo-Fing des Dioula), les duepara (ou Bobo-Oulé des
Dioula) et eux-mêmes. De leur côté, les Dioula et les Marka nomment les B"a : Bobo-Oulé ; ce
nom a été repris par l'administration française et il est, aujourd'hui, couramment admii par les
B"a.
Il est possible que le nom B"a (sing. Bô) ait été porté autrefois par toutes les populations
reconnaissant aujourd'hui le générique Bobo. Il est, d'autre part, acquis que certaines populations
Bobo-Oulé de Haute- Volta se désignent entre elles, aujourd'hui encore, par le nom B"a. Le vocable
U"a n'étant pas restrictif, nous pensons qu'il est nécessaire d'avertir nos lecteurs que, lorsque
nous parlerons de B"a, il s'agira exclusivement de ceux habitant le cercle de San ou les territoires
proches.
Les enquêtes sur le terrain ont été réalisées de novembre 1933 à octobre 1D36 par J. Capron
et Ch. de Tanneur.
2. Л propos des différents ordres de connaissance dans les religions soudanaise?, voir
Mme 11. Dieterlen : « Essai sur la religion Bambara », p. XVI et XVIII.
82 SOCIETE DES AFRICANISTES
• Sak o a.
Ke-f
Ecbe-lle. I/^OOO'OOO
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 83
le masâdeanu
propriété de la famille du chef de village et dont les cérémonies
nocturnes s'accompagnent de sorties de masques.
— La communauté elle-même, en tant qu'elle réunit les vivants
et les morts : chaque village — comme chaque famille — possède
ses naso (vieux morts) et ses nawuya ou nawera (habitants du village
morts très jeunes). Les manifestations du culte des ancêtres sont
journalières en pays Bwa.
— Les générations futures présentes dans la vie du groupe par
l'autel de pierre situé dans le bois sacré (bànu, lobwale) d'où naissent
tous les enfants du village.
A ce niveau — avons-nous dit — la religion devient collective.
Parallèlement se produit une spécialisation dans les fonctions
religieuses, spécialisation où apparaît la confusion des pouvoirs politique
et religieux. De même que l'individu — dans tout ce qui touche à
son existence journalière — doit en référer au chef de famille, de-
même lui faut-il s'adresser à lui et obtenir .son concours lorsqu'il
désire — par un sacrifice '■— établir une relation d'échange entre
lui-même et les "puissances" objet d'un culte officiel. Citons encore,
sur le plan de la hiérarchisation des attributions religieuses, la1 place
prépondérante du chef de village (lob г) à qui tous les autels
appartiennent et dont il est — pour nombre d'entre eux — le prêtre
officiant, les prérogatives des vieillards gardiens de la tradition, et des
forgerons à qui debwznu (Dieu) a « donné ;> plus qu'il n'a donné aux
autres Bwa...
3. Au niveau le plus élevé de la religion se place l'eiTort fait par
la pensée Bwa pour ordonner le monde et le dominer, pour établir
une cosmogonie cohérente et l'exprimer dans les grands moments
de la vie des individus et de la communauté. Les manifestations
rituelles deviennent la répétition d'événements mythiques ; à la
multiplicité- vécue des forces qui modèlent la vie quotidienne des
personnes, se substitue l'unité pensée — primordiale — qui fixe
définitivement la place de l'homme dans la création.
La connaissance initiatique de la genèse de l'univers et de la
communauté humaine, n'est pas réservée à quelques élus : simplement,
elle comporte plusieurs degrés ; le chemin est long de la leçon apprise
par le jeune initié Bwa, à la tradition que se transmettent les
vieillards, gardiens sur qui repose le soin de conserver la « Connaissance »
et d'assurer ainsi la permanence du pouvoir des humains sur l'ordre
naturel.
Devant les multiples problèmes que pose l'accession à cette
connaissance profonde et essentielle, l'enquêteur se senť désarmé; devant lui
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 85
1. La place occupée par les enfants dans les cérémonies religieuses mériterait à elle seule une
longue étude : « Tout commence par l'enfant, tout finit par lui, » affirme un proverbe B"a.
2. Il serait intéressant d'étudier la répartition de l'emploi du bull-roarer en Afrique de l'Ouest-
Notons que le bull-roarer (meuglement du taureau), semble toujours lié au culte des ancêtres.
Le « meuglement » de l'instrument est la « voix des ancêtres »,
3. Bruit produit par le claquement des lèvres.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 87
1. Il serait faux de conclure de la sacralité des masques à une crainte qu'ils inspireraient aux
habitants du village : l'apparition des masques provoque, au contraire, la joie et déchaîne des
excès eorporels (danses anarchiques, mouvements désordonnés) et affectifs (enthousiasme,
surexcitation) qui marquent bien le caractère de « fête » que revêt le retour de do sur la terre... C'est
d'ailleurs l'ensemble des relations entre l'homme et le sacré qu'il faudrait définir ici : une erreur
commune est de penser, que la crainte, voire la terreur sont les seuls ressorts de ces relations.
Deux remarques s'imposent :
A) La toute-puissance des divinités n'est pas absolue : elle est régie et limitée par des
définitions qui — pour humaines qu'elles soient et peut-être pour cela même — établissent une
communauté hommes-divinités, basée sur un- contrat et dont la crainte est presque totalement
exclue.
B) On est étonné, au contraire, de ce que M. Lévi-Strauss a appelé le « sang-gêne vis-à-vis
du surnaturel ». Proche et familière, la divinité (le do en particulier) ne trouble l'harmonie de ses
rapports avec les humains que dans la mesure où ceux-ci détruisent d'eux-mêmes, par leurs actes,
le mécanisme codifié de cette harmonie.
2. N'oublions pas que dans l'un et l'autre cas, ces masques sont des représentations du do.
3. .Cette préoccupation apparaît encore dans l'interdiction de fabriquer et de consommer du
dolo (bière de mil), lors des cérémonies consacrées au do ; le dolo, en effet, est préparé à partir
du mil cultivé par les hommes. Les seules boissons rituelles utilisées lors des fêtes du do s'obtiennent
par macération, dans l'eau, de fruits « mûris en brousse » : gounan et pingou. Toute cuisson est
prohibée de cette préparation. (Les non-initiés ne peuvent consommer ces boissons rituelles : ils
mourraient ; cette interdiction vaut également pour une femme enceinte, à cause de l'enfant
qu'elle porte).
88 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
1. L'opposition entre les masques « nés en brousse » (tels qu'ils apparaissent chez les D"a du
cercle de San) et les masques dont la fabrication fait appel à des techniques humaines (tels qu'ils
apparaissent chez les Bobo-Fing et peut-être chez d'autres populations Bobo) transparaît dans
un texfe curieux de Cremer (in : « Matériaux d'ethnographie et de linguistique soudanaises »,
t. IV. Les Bobo, p. 150-153). Le texte intitulé : « L'homme qui a vu le кого et le simbo... », présente
les deux variétés de masques avec leurs caractéristiques propres et opposées. Citons :
— A propos du кого : « Pour le кого, quand le mil est rentré, la brousse brûlée, les jeunes gens
sortent, c'est le moment où le feuillage du caïlcédra est fourni. Ils en attachent des branches aux
jambes de l'un jusqu'en haut, coupent de l'herbe, la tressent, en couvrent 1л figure de la personne
et rentrent au village annoncer que les кого- sont- arrivés... • « Les A-oro demeurent dans
la brousse... », etc.
— A propos du simbo : « Ils mettent dans le magasin (case ?) le visage de simbo, vont trouver
le forgeron habile à tailler le bois, lui montrent le masque, disent à l'ouvrier de se cacher pour
en sculpter un pareil. » ...» Le forgeron prépare des blocs dans le fourré, entre sous bois, s'assied,
se cache pour travailler. Pendant ce temps, si une chèvre errante s'approche, il la tue parce qu'elle
est tombée sur le masque... » « Cependant, le prêtre du do se procure du chanvre indigène, l'attache
autour du masque et cela fait un simbo. Il offre en sacrifice une chèvre noire, un chien, une poule... »
Un autre fait, s'il était confirmé par de nombreuses observations, mériterait une étude
approfondie. Les R"a ne sacrifient jamais sur l'autel du do ni chèvres., ni chiens : ces animaux
constituent — selon nos informateurs — le lund (interdit alimentaire) du </o, la victime préférée
des sacrifices est le mouton. Au contraire, dans tous les sacrifices cités par Cremer so rapportant
à des cérémonies du i/o où interviennent les masques de fibres peintes et de bois м-ulpté, les
victimes sont des chiens et des chèvres ; le mouten» lui, n'est jamais sacrifié.
Il serait également intéressant d'étudier :
— La couleur des victimes,
— Le moment de la journée où ont lieu les sacrifices. (Des variantes apparaissent selon le
groupe Bobo considéré.)
2. D'autres auteurs se sont efforcés de donner une liste des différents masques Bobo-Oulé.
Citons :
Paul Léger : in « Simples notes sur quelques croyances et pratiques de culte chez les Robo-
Oulé ».
Cremer. op. cit. Chapitre : « Associations utilitaires et mystiques ». en particulier p. 1:57-141.
Les différences avec ce que nous avons observé nous-mêmes, le manque de détails descriptifs,
nous interdisent d'en tenir compte dans notre exposé.
3. Chacun des *>ix autres jours de la semaine porte le nom du village proche ou se déroule un
marché : ils portent donc des noms différents suivant la région oii est situé le village considéré.
NOTES .SUR LA SOCIETE DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 89
Fitf. I. - Sirinri-oni.
1. Pour l'explication rie cette expression voir plus loin les cérémonies d'initiation.
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Fig. 2. — Yirasâoro.
Fig. 3. — Korobâu.
père (bama) des masques. Le korolenu ne « sort » que tous les trois
ans lors de la fête du siriure 2. Sa fabrication mérite que l'on s'y
arrête. Le jour venu, tous les initiés du village se rendent en brousse
porteurs de bâtons sacrés (en bura, sorte de bambou) conservés
ordinairement dans la case du chef de famille. Arrivés à l'endroit
consacré au do, ils posent les bâtons les uns à côté des autres, les
lient entre eux à l'aide de lianes ; puis les bâtons situés à chaque
extrémité sont rapprochés et ligaturés : l'ensemble forme un cylindre.
On construit ainsi cinq ou six cylindres de diamètre de plus en plus
étroit, qui sont ensuite fixés les uns au bout des autres 3. Sur ce bâti
sont alors ajustées, toujours à l'aide de lianes, des feuilles de nimi
(pingou) qui recouvrent entièrement les bâtons sacrés. A l'extrémité
du cylindre, on place un masque de tête (duba) semblable à ceux
employés pour les siriureorwa ordinaires. Cette sorte de tour conique 4
1. La panthère — au contraire d'autres animaux — ne paraît pns. en particulier dans les contes,
jouer un rôle mythique important.
■
Fis. 4. Kornímu
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU tlo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 93
15 cm
1. Paul Léger : « Simples notes sur quelques croyances et pratiques de culte chez les Bobo-
Oulé » (en particulier ceux de Mandyakuy), in « Les Pères Blancs », sept.-oct. 1947, n» 70.
96 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
2° S'il est vrai que les ancêtres du village sont appelés naso, le
nazumbwe (littéralement, na : bœuf, zunu: queue; bwe: manche;
,
éthymologie descriptive/ puisque le nazumbwe se présente sous la
forme d'une queue emmanchée) n'apparaît jamais comme
représentant l'ancêtre de la famille. Il existe plusieurs sortes de nazumbwe 2.
En l'occurence, il s'agit probablement du nazumbwe bazru qui associe
la queue d'un animal à certaines racines recueillies en brousse. Le
bazru 3 — éthymologie inconnue, — s'il peut être possédé
individuellement, est généralement un bien familial se transmettant de
génération en génération. Cependant, il n'est pas un autel de famille :
toutes les familles n'en possèdent pas et le chef de famille n'en est
pas toujours le prêtre ; de plus il peut être acheté par quiconque le
désire alors que l'autel des ancêtres est un bien inaliénable 4. D'ailleurs
l'examen des caractéristiques du bazru infirme à lui seul, la thèse
de P. Léger.
— Le bazru est un autel réservé aux hommes qui — seuls —
peuvent assister aux sacrifices et consommer Ja viande 5.
1. Ainsi d'ailleurs qu'au bord des mares ou trous d'eau qui jouent un rôle analogue à celui
du bois sacré.
. 2. Il existe chez les Bwa plusieurs types d'autels. Chaque type portant- un nom générique.
Citons :
Caractéristiques Nom générique
Mélange d'eau et de racines contenues dans une poterie sonu
Sachet de cuir renfermant une poudre végétale sebe
Bracelet de cuir renfermant des fils de coton, noués suivant des règles
variables lopo
II est possible que nazumb"e soit un nom générique ; outre le nazumbue bazru que nous connaissons
pour l'avoir étudié de près, nous citerons :
— un nazumb"e servant à la divination,
— un nazumbwe utilisé pour se rendre invisible et voler impunément le bétail.
3. Les liwa l'appellent indiffére.niucnt nazumbwe ou baz'u.
4. De même n'importe qui peut demander à un propriétaire de baz'u de sacrifier pour lui sur-
l'autel.
5. La consommation de la viande sacrificielle entraînerait la sterilitě de la femme.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU do CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 97
— Les sacrifices' au bazru sont soumis à plusieurs interdits :
a) présenter Ja part de viande sacrificielle réservée au bazru
dans un plat de bois ;
b) offrir de la bouillie de mil ou tout autre élément végétal.
— Le bazru « aime l'eau » mais celui qui porte le feu dans la case
où il se trouve, le « feu lui brûlera les yeux ». Le bazru qui peut tuer,
donne toujours des maladies d'yeux.
— La couleur du bazru est le noir. Tous les sacrifices ont lieu
la nuit.
— Le bazru, bien qu'il soit un autel polyvalent, est spécialement
utilisé :
a) pour le combat (il rend invulnérable aux flèches (fer) mais
non aux armes de jet en bois (casse-tête),
b) pour l'empoisonnement .à distance.
3° En réalité, les ancêtres de la famille, du quartier, du village
portent tous le. nom de naso ; ce qui s'explique si l'on songe à la
structure primitive des villages : lors de sa création, le village ne
comprenait qu'un seul lignage, celui de l'ancêtre-fondateur. Ce
n'est que peu à peu que ce lignage s'est éparpillé et que le village
s'est subdivisé en quartiers : longtemps, les membres des sous-
lignages ont continué à sacrifier sur la tombe du fondateur du village.
Puis, chaque quartier a eu ses naso propres, bien que continuât le
culte des naso du village К De même, les familles qui, par migration,
vinrent s'installer, dans le village (particulièrement les familles de
forgerons et de griots) apportèrent avec elles leurs « ancêtres » (sous
forme d'un peu de terre prélevée dans la case des naso du village
d'origine).
Cet aperçu surJa formation des villages montre combien est erron-
née l'affirmation que les Bwa distinguent les ancêtres du village, de
ceux du quartier ou de la famille 2. Les structures d'une religion ne
peuvent être pensées en dehors des structures sociales.
1. Le village de Tioutiou fondé, il y a une centaine d'années ; par les B"a du lignage Dembélé
venus de Suiri et commandés par Tioutiou (d'où le nom du village) ne possède qu'une seule case >
des naso : celle où vécut et fut enterré Tioutiou. Pourtant depuis une quarantaine d'années, le
lignage de Tioutiou s'est dispersé, d'où la structure actuelle du village : six quartiers ayant chacun
son ancêtre connu (Nani, Tiewa, Dogodi, Kouabe, Batiouan, Masan). On dit ainsi : Tiewa ni wi :
le quartier (wi) des parents (ni) de Tiewa. Lors des cérémonies du do, les masques après avoir
rendu visite à la case de Tioutiou, font halte dans chaque quartier, pénètrent dans le vestibule
(boro) de la case du chef de quartier (nizûso) et chantent les louanges de l'ancêtre du quartier.
Ainsi se forme peu à peu la distinction-historique pourrait-on dire — des naso du village et des
naso du quartier.
2. Ajoutons que les naso sont secondés par les nawzra ou navuga habitants du lignage, ou du
sous-lignage, qui morts très jeunes.
98 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
do et debwtnu.
L'hétérogénéité d'origine et,, par là, de nature entre le do et les
naso 5 apparaît nettement si l'on étudie les relations qui unissent
do et debwenu.
debwenu 6 est « Dieu » conçu comme le créateur de l'univers, l'ori-
1. Cf. page 96 le tableau des noms génériques désignant les différents types d'autels.
2. Tï désigne aussi bien les médicaments empiriques que les poudres sacrées, la différenciation
entre eux n'étant pas faite dans la conscience des B"a.
3. Ce serait le seul exemple où le culte du do se manifesterait par un rite individuel.
4. Le Père Léger a séjourné plus de vingt ans en pays Bwa.
5. Nous ne prétendons pas rejeter l'hypothèse — ce ne peut être qu'une hypothèse dans l'état
actuel de nos connaissances sur la cosmogonie B"a que do serait l'ancêtre du genre humain.
Simplement, il s'agit de marquer l'irréductibilité du do aux naso : les naso sont considérés comme
les ancêtres réels d'un groupe humain donné, ayant une assise géographique ou sociale déterminée :
groupe de plusieurs villages, village, quartier, famille ; en tout état de cause, le do ne saurait être
que l'ancêtre t mythique » des hommes.
6. Suivant les dialectes : "dôb'enu, dôbeni, etc.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 99
1. Le sacrifice (mao) libère une force (si) qui, après passade dans l'autel, est partagée entre
la puissance et le sacrifiant.
2. L'un de nos informateurs disait de deb"e.nu ; * deb"enu est en haut, il est partout, entend
tout ce que tu dis. Riais personne ne « sait » (zu) deb"snu. Il est blanc, il est rouge, il est vert, etc. »
La non-connaissance de debwznu est corrélative dans l'esprit des B"a, à l'impossibilité d'établir
des rapports avec lui. On ne peut sacrifier qu'à une puissance connue avec laquelle a été établie
une sorte de contrat. C'est le cas, nous le verrons pour le do.
3. Quelques précisions sont nécessaires ici :
a) P. léger (pp. cit, page 12) écrit : " Certains (Bobo-Oulé) font de temps en temps, des sacrifices
à Dieu seul. Ces sacrifices se font la nuit et en plein air, sous le ciel ; la bête offerte doit être blanche
et belle, et le nom de Dieu seul est prononcé par le sacrificateur ". Le texte est en contradiction
avec les affirmations de nos informateurs qui insistent sur l'impossibilité — presque matérielle —
de sacrifier à deb^sim.
lin réalité 1'. Léger désigne par le vocable « Dieu », deux déités bien distinctes : citons, « Les
Bobo ont la croyance en un Dieu unique, qu'ils nomment « Dofini • (ou Dembwénon, Dombéni)... »
II resterait donc à préciser si le sacrifice nocturne s'adresse à deb"znu ou à dofini.
b) En quoi аеЬ"гпи et dofini se distinguent-ils l'un de l'autre. Dofini, lorsqu'il apparaît seul
— c'est le cas chez les populations Bobo-Oulé étudiées par Cremer (op. cit.) — est représenté par
plusieurs autels (cf. Cremer, p. 14-17), l'un consacré à un culte de village, l'autre consacré à un culte
de famille. « L'autel du Dofini familial est construit sur la terrasse, avec la terre de ces termitières,
dont les occupants servent à nourrir les pintades, il est consacré par l'offrande d'un coq blanc".
(Cremer, p. 15). Nous avons nous-mêmes observé à Bénéna — village situé à proximité de la
frontière de la Haute- Volta — un dofini de village, il est constitué d'un cône de terre d'une hauteur
de deux mètres environ, absolument vierge de toute décoration ou peinture extérieures. Une
petite ouverture (0,40 m x 0,40 m) tournée vers l'Est et obturée par une petite porte de bois,
permet de pénétrer à l'intérieur. Ce sanctuaire renferme une poterie (sonu) contenant de l'eau
et des racines. Le propriétaire du dofini est le chef de village, mais le prêtre ayant été choisi —
par le fondateur du village — parmi une famille de captifs (wobz) est aujourd'hui encore un fils
d'anciens captifs (woroso) (il est possible d'ailleurs que cette dernière caractéristique soit purement
locale).- Les sacrifices à dofini sont apériodiques et se font à la demande des intéressés. Ils se
déroulent toujours de nuit ; n'y assistent que le prêtre, le sacrifiant et le chef de village. Les
victimes, lorsqu'il s'agit de sacrifices sanglants, sont toujours des animaux blancs (poulets,
moutons). En cas d'offrandes de gâteau de mil, le mil — quelque soit le sacrifiant — est toujours
recueilli, par collecte, auprès de l'ensemble des familles du village, les femmes de la famille du
chef de village ou du prêtre se chargeant du pilage et de la préparation du gâteau. Autrefois, les
victimes étaient égorgées sur la poterie sacrée et la part du gâteau déposée près de cette poterie.
Aujourd'hui, le prêtre ne pénètre plus à l'intérieur du sanctuaire et se contente — ayant ouvert
la porte — de faire couler le sang sur le seuil ou de déposer le gâteau à l'entrée du sanctuaire.
Ainsi court-il moins de danger : le seul fait d'être vu, alors qu'il pénétrait dans le sanctuaire pouvait
causer sa mort... La viande sacrificielle comme le gâteau sont consommés par les chefs de famille
et les enfants; leur consommation par un empoisonneur pourrait entraîner sa mort. Les précisions
qui précèdent (sacrifices nocturnes de victimes blanches) semblent bien indiquer que les sacrifices
à « Dieu », dont parle le Père Léger, étaient destinés non à deb"enu mais à dofini.
c) Ce qui complique le problème, c'est que bien souvent, les B"a, qui pensent deb"snu comme
le Dieu créateur de qui dépend toute vie, mais à qui il n'est pas possible de s'adresser directement,
l'appellent dofini ou encore sari dofini. C'est le cas de la quasi-totalité des B"a du cercle tie San ;
ils disent : deb'tnu est fort, parce qu'il possède plusieurs noms.
Il est évidemment malaisé de conclure. Notons seulement l'impossibilité d'assimiler deb'tnu
et dofini.
100 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
rapports entre ces deux divinités, n'est qu'un premier pas vers la
connaissance de l'organisation générale de la cosmogonie Bwa x.
Cette connaissance ne pourrait progresser- qu'en s'appuyant sur un
exposé du mythe de création auquel se réfère les rites qui composent
l'essentiel du culte du do.
Le do et Г univers physique.
1. Dans l'impossibilité d'exposer, par le détail, l'ensemble des cérémonies auxquelles il nous
fut permis d'assister, nous nous contenterons d'extraire de chacune d'entr'elles les rites qui nous
paraissent les plus aptes à illustrer notre effort pour cerner la véritable « personnalité » du do.
2. Cette conscience de la singularité de l'expérience humaine apparaît dans plusieurs contes.
A titre d'illustration, nous citerons celui de la mort.
. « Au commencement, les B"a ne creusaient jamais de tombes, ne frappaient jamais les
funérailles. Personne ne mourait dans le village. Mais, peu à peu, le village s'est « gâté ». Les
vieillards devinrent incapables de tenir la houe, les femmes n'enfantèrent plus. Alors, les 'Anciens
se réunirent et demandèrent, aux Dieux de les aider. Do fit entendre sa voix dans les ruelles du
village. Deb"snu vint au secours des hommes et leur donna la mort. De nouveau, il y eut des
enfants, de nouveau les greniers s'emplirent de mil. Et les vivants remercièrent deb"&nu de leur
avoir donné la mort. »
II existe plusieurs versions de ce conte, connu dans tout le pays B"a, mais le sens général
reste le même. Ainsi ce- peuple, dont les occupations se déroulent- au rythme des événements
naturels, succession des jours et des nuits, des saisons et des végétations, dont la brousse •
bruissante de vie et de mort ne constitue pas seulement le cadre de l'existence journalière, mais
l'espace religieux par .excellence, ce peuple cherche une justification de la mort de l'homme,
non dans cette nature exemplaire où la mort est un phénomène proche et accessible, mais dans
une liberté humaine s'exerçant librement. Cette démarche de. l'homme demandant à deb'enu
de lui accorder la mort, illustre son ambition et consacre son échec.
Il est remarquable que la culture B"a présente à chacun des problèmes soulevés par la
présence de l'homme sur la terre, une solution où tout a été élucidé, où rien n'a été éludé.
Planche I
Л. — Autel des ancêtres (naso) du village B. — Tïsonu : le tïsnnu renferme de l'eau et des racines
de Kirikongo. ou poudres déterminées ; il existe une infinité de tïsonu se
rapportant à des îituels différants : ici le durutïsonu ,
Planche II
А. — " Sanctuaire " du do . Village de Tominian П. — Jeune initié confectionnant, de nuit, le masque de tête
Au premier plan : les sept tambours rituels du do (yirasà). ilirasâoro. (fêtes du lopômt - Village de Tioutiou).
<
pardon » aux anciens pour les faute s commises : il s'ensuit de longs palabres avant que les deux
parties ne se mettent d'accord.
1° Sur le nombre de jarres de unâ à fournir par les coupables pour les cérémonies du do.
2° Sur le montant de l'amende qui servira à l'achat du poisson séché et du mil nécessaire à
ja préparation du repas offert aux " Anciens " par les t coupables » pardonnes.
Il est remarquable également que les coupables soient aidés dans le ramassage du unâ par
tous leurs compagnons de classe d'âge, II s'agit d'une sorte de responsabilité collective.
Ajoutons que l'organisation en classes d'âge repose sur l'initiation au do,
104 \ SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
1. Cet interdit, qui est commun à tous les Bobo, vaut aussi bien pour les jeunes gens que %
pour les adultes mariés ou célibataires. Sa rupture entraîne la sécheresse : la terre, rendue impure,
ne peut plus recevoir la pluie, d'où le rite de réparation décrit par Cremer (op. cit. p. 158).
« Cependant, les forgerons pétrissent trois seules boules d'argile, qu'ils mettent sous la gouttière
de la maison des coupables pour que la pluie tombe et lave ces boules... Aussitôt, l'eau se
précipite jusqu'au crépuscule... » Ajoutons que, vu l'importance des conséquences, la rupture
de l'interdit est sanctionné très durement (exposition publique des fautifs, mutilation par le
feu des parties sexuelles...).
2. C'est le thème d'un conte П"а intitulé le « goût des hommes » que. l'on peut résumer ainsi :
« Au commencement, hommes et femmes vivaient dans deux villages séparés. Ils n'avaient pas
d'enfants. Un jour, un homme recueillit du miel en brousse, se rendit dans le village des femmes,
fit goûter le miel à l'une d'entr'elles ; il lui dit : « le miel est doux, mais je connais quelque
chose de plus doux encore ; c'est le goût des hommes. » La femme ayant goûté trouva cela
très bon... Au bout de quelques mois, elle fût enceinte... C'est depuis ce temps-là que les
hommes et les femmes vivent ensemble... »
3. Les rapports entre la sexualité et la végétation mériteraient une étude que — faute de
documents suffisants — nous ne pouvons entreprendre.
4. Nous trouvons la, outre la levée de l'interdit sexuel. la caractéristique d'une épreuve de
virilité imposée aux jeunes initiés.
5. Cette cérémonie a toujours lieu le jour du do (sirîure).
6. L'itinéraire sacré des masques constitue un « test » de l'importance relative de chacun des
autels de village.
106 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
1. L'explication du rituel nous a été donnée par un informateur lettré, qui nous a demandé
de taire son nom.
2.' Celte explication, pour plausible qu'elle soit, ne nous satisfait pas entièrement (Le
mécanisme de ces « transports » successifs de forces est seulement entrevu, non démonté). Elle'
marque bien, en tout cas, l'aspect « d'autels-vivants » que prennent parfois les masques et dont
nous retrouverons plus loin d'autres exemples.
3. Voir pages 84, 97, 98.
4. Voir page 86.
5. Voir page 83.
6. Voir page 84.
7. Voir page 83.
8. Nák"a, est représenté au village par deux poteries semblables par leur forme à celles du
do. Elles contiennent également des racines. Ainsi l'itinéraire qui a commencé en bousse se
termine, au village, sur l'autel représentant la brousse.
9. Une étude détaillée de cet itinéraire sacré serait nécessaire ; elle tiendrait compte :
de la répartition géographique des autels,
de leurs caractéristiques propres,
des relations qui les unit à i/o,
des changements qui interviennent dp village à village.
NOTES SUR LA SOCIETE DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 107
1. Ces branches sont des substituts de l'habit des kor'a. Leur port est obligatoire. La diffusion
des forces de renouvellement à travers toute la communauté humaine est ainsi possible, puisque
virtuellement tous les habitants sont des kor'a.
-2. Là encore les variations nombreuses, de village à village, seraient intéressantes à étudier.
3. Le village est orienté Est-Ouest, l'entrée ou la • tète • se trouvant à l'Est.
108 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
30
1. Cire Ba Birahim : Les Bobó, la famille, les coutumes in t L'éducation africaine », n° 23,
1954, p. 61 et 75.
1. Voir p. 86.
NOTES SUR LA SOCIETE DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 111
1. En réalité, il est possible que les autres racines soient également utilisées par la suite.
Celle qui est choisie serait alors représentative de l'ensemble des racines recueillies.
2. Cet habillage est la réplique exacte de celui des masques.
112 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
avec les néophytes, le prêtre frappe le sol avec une hache ; aussitôt,
les masques, jusqu'ici cachés derrière les buissons,, se précipitent sur
les enfants. Cremer décrit également ce geste x : «... Puis le vieux
saisit une hache, en frappe la terre et" appelle un masque, lui ordonne
de se lever, d'accourir comme le vent, très vite. Aussitôt un masque
arrive, soufflant dans le kozo2, et fait trois fois le tour des enfants... »
La référence aux œufs de masque est également notée 3 : « Le prêtre
du do sort avec une hache, va s'asseoir seul, les enfants forment un
groupe à part. Cependant, les masques sont réunis dans un petit
bois ; ils s'approchent et l'on fait coucher les enfants, on leur couvre
la tête. La terre est frappée trois fois : Fin ! Fin! 4 est entendu,- la
terre est encore frappée trois fois. Alors un masque s'avance, court,
saute... » Ce thème est enfin repris dans le récit: « L'homme qui a vu
le кого et le simbo 5 » : Le cultivateur à qui deux masques sont apparus,
alors qu'il travaillait dans son champ, raconte «... comment кого est
venu le trouver dans son champ en faisant siffler une cravache, en
s'agitant beaucoup, puis est rentré dans son trou. »
II est évidemment impossible de tirer une conclusion de ces
différentes informations. Notons seulement que là aussi les masques
apparaissent comme des « créatures de la nature ».
Le do et l'univers social.
■.
au delà des communautés réduites : villages, groupes de villages,
ou même sous-groupes à dialecte commun ; elle vaut pour tous les
initiés « possédant » le do, fussent-ils installés à plusieurs centaines de
kilomètres les uns des autres 2, leurs langues réciproques fussent-elles
totalement étrangères. Parrallèlement à cette extension dans
l'espace, la communauté du do s'étend dans le temps et enserre les
vivants et les morts.
C'est cette insertion du do dans la vie « communautaire » des
Bwa, que nous devons maintenant analyser.
•
un garçon et l'autre, une fille. » Notons encore l'affirmation de l'un
de nos informateurs : « Si l'imposition du nom n'a pas lieu avant que
l'enfant n'ait atteint l'âge d'être initié, c'est surtout que l'on craint
toujours qu'il n'atteigne jamais cet âge 3. » L'explication est plaut
sible : elle s'explicite dans le fait — observé souvent — que le peti-
enfant (qui peut disparaître d'un jour à l'autre, emporté par la
maladie) n'est jamais complètement intégré à la communauté ; suivant
l'expression du même informateur :^ « Personne ne « connaît » le
petit enfant (uuzo), sauf ses parents. »
Le baptême va donner à l'enfant un « statut social », l'intégrer à
la communauté que forment les vivants et les morts, lui conférer
certaines prérogatives comme le droit d'être enterré rituellement, et
celui de rejoindre après sa mort les ancêtres du groupe. La cérémonie
porte le nom de yenu : le verbe ye signifie primitivement échanger,
mais il s'emploie également dans le sens de « sacrifier pour
quelqu'un » 4 ; yenu marque donc l'action d'offrir un sacrifice pour
l'enfant.
8*
116 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
2. Achat du do :
Certains auteurs ont longuement insisté sur « l'achat du do ». Il
est exact que l'initiation est précédée d'offrandes, et du paiement
d'une certaine somme, (effectués par le père du futur initié et dont
bénéficient le chef de village, le prêtre du do et les notables) 3. Cet
achat cependant ne doit pas faire illusion. N'oublions pas que le
verbe ï/e, acheter, signifie également « sacrifier en faveur de » 4.
Aujourd'hui encore — et bien que cette monnaie, qui fut
toujours affectée de valeurs religieuses, ne soit plus - en usage —
c'est avec des cauris que le père de l'initié achète le do pour son
fils. Plus significatif nous paraît « l'achat » du do par les néophytes
eux-mêmes, sous forme, soit* de prestations en travail dans les champs
des initiés des classes d'âge précédentes, soit du ramassage collectif
des fruits de gounan destinés à la préparation de la boisson rituelle
du do 5. Crémer insiste également, dans les nombreuses descriptions
qu'il donne des cérémonies d'initiation, sur l'obligation pour les
futurs initiés de fournir un certain nombre de jarres de dolo 6 au chef
de village et aux vieillards. Citons, par exemple : « L'ancien leur
ordonne d'apporter de grands vases et de grandes calebasses à
manches. Les quarante-deux néophytes arrivent avec quarante-deux
vases et quarante-deux calebasses, les remplissent de bière et disent
à l'ancien qu'ils ont fini. »
1. Tant que l'entrée des séminaires de brousse ou de village sera refusée aux enquêteurs, ceux-ci
en seront réduits — c'est notre cas — à des approximations partielles.
2. Nous, préférons la formule de A. Loisy, cité par H. Labouret (op. cité, p. 9) « adaptation
magique de l'individu aux fonctions de son existence dans le groupe auquel il appartient ».
Encore serait-il nécessaire de supprimer le mot « magique » absolument inadéquat.
3. La répartition de ces offrandes entre les différents bénéficiaires fait apparaître l'importance
du rôle des différentes hiérarchies sociales dans le culte du do.
4. Voir p. 114, note 4.
5. Voir p. 87, note 3.
6. Dolo : bière de mil — son emploi lors des cérémonies du do est comparable à celui de la
boisson obtenue à partir du gounan, mais pose- un problème que nous avons abordé plus haut
(cf.,- p. 87).
7. Cremeh, op. cit., p. 118.
118 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
1. Voir p. 124.
2. Nous nous plaçons dans le cadre d'un village fonctionnant selon la tradition.
3. Ces groupes ne sont pas seulement des groupes de jeu, mais aussi des groupes de travail.
Les enfants cultivent en commun, pour le compte de certaines familles, des champs d'arachide
ou de mil. Une partie de la récolte leur revient dont la vente produit l'argent nécessaire à
l'organisation de fêtes auxquelles les adultes n'assistent jamais. D'autre part, les enfants —
garçons et filles - , qui continuent à être nourris par leurs parents, vivent en communauté, soit
dans le cadre du quartier, soit dans celui du village : à chacun des deux groupes -- garçons
et filles — une case est réservée dans laquelle les membres du groupe se réunissent et passent
la nuit ; cette case commune est appelée : yaradare, pour les garçons (yara = garçons, da —
dormir) ; azawe dare, pour les filles (azawe = fillettes).
Dès ce stade existe un embryon d'organisation politique avec un chef de case, un chef de travail,
un meneur de jeu. Les premières relations sexuelles entre garçons et filles • datent également
de cette époque.
4. Cremer, op. cit., p. 112.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ -DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 119
C'est pourquoi ils demandent ce qu'il faut faire pour éviter cette
persécution. »
Cette démarche initiale des enfants est plus importante que la
révélation de la nature exacte des masques. En réalité, les néophytes
n'ignorent pas que les korwa sont des habitants du village recouverts
de feuilles et portant un masque de paille qui leur recouvre la. figure.
Cette connaissance même nous semble nécessaire à la réussite —
en tant qu'épreuve de vie en communauté — de la cérémonie
d'initiation elle-même. Le néophyte doit savoir que l'initiation, si elle
le « consacre » au do, marque également son entrée dans le monde
des adultes qu'il n'a fait que côtoyer et dont, maintenant, il va saisir
les rouages essentiels. D'où ce long cérémonial qui précède la décision
du chef de village et du prêtre du do relative à la date d'ouverture
des cérémonies d'initiation. Là encore, le récit de l'informateur de
Cremer est significatif et recoupe entièrement nos observations
personnelles x :
« Le ■ messager réunit ses camarades d'âge. Ils sont nombreux,
s'interpellent, viennent s'asseoir autour du premier, qui leur rapporte
les paroles du vieillard. Ils ont compris. Il faut s'adresser maintenant
aux gens de la classe d'âge précédente qui sont meilleurs qu'eux.
Mais tous n'iront pas, deux suffiront. Ces deux là s'en vont chez un
ami qui dit : Ha ! lui-même est leur compatriote, mais les mystères
du do ne sont pas discutés avec des enfants. Qu'ils aillent trouver
le plus âgé de ses amis. Ils partent, exposent l'affaire à ce dernier :
ils veulent savoir ce qu'il faut faire pour que les masques ne les
frappent plus, qu'on leur dise. L'autre répond : Waï ! Sont-ils assez
grands ? — Ils sont assez grands. — Peuvent-ils faire le service du
do ? — Ils ne savent pas ce que c'est, mais qu'on leur explique et si
cela leur paraît impossible, il n'insisteront pas. Si, au contraire, ils
peuvent le faire cela sera accompli. — Eh -bien ils vont s'asseoir et
attendre son retour.
Il part, s'adresse au plus ancien de la classe précédant la sienne,
celui qui lui a montré le mystère du do. Les enfants assurent qu'ils
sont assez grands et réclament qu'on leur donne le do. L'autre dit :
Hé ! les fait asseoir pour attendre son retour.
Il se lève va trouver l'ancien de la classe précédente, celui qui
lui,- a montré le mystère. Les non initiés qui sont encore derrière
prétendent qu'ils sont assez grands et lui ont demandé de le prévenir.
L'autre se lève, va chez le vieux du quartier, qui a mangé la vieillesse
5. La révélation 2.
Le lendemain du sacrifice au do, les néophytes, accompagnés de
leur père, sont conduits en brousse, près du korwabuo 3. Les initiés
des années précédentes — non masqués — les accompagnent frappant
sur les yirnsâ (tambours du do). Tous les villageois, femmes comprises,
sont présents. Arrivés au lieu d'initiation, le cortège s'arrête, se
forme en demi-cercle ouvert vers l'Est. Le prêtre du do et les
néophytes 4 prennent place au centre de ce demi-cercle. Le prêtre ordonne
aux néophytes de retirer entièrement leurs vêtements 5, et de se
coucher sur le sol, la face tournée, vers la terre. Puis, il frappe le sol
à l'aide d'une hache 6 :'les masques apparaissent soufflant dans les
korozo 7, faisant entendre le « cri du do » 8. Ils entourent les enfants,
les frappent de leur badine 9, cependant que les joueurs de yirasâ
redoublent d'ardeur... Individuellement et successivement, les enfants
— invités par le prêtre à se relever — vont faire face à un masque.
Le père est au côté du néophyte, l'empêchant de fuir s'il en a le
désir ; il pique son amour propre : « Si tu as la tête dure 10, il faut
lutter avec le masque. » L'enfant surmonte sa frayeur n, fait front :
1. On ne peut s'empêcher de penser, à ce propos, à la grande liberté dont jouissent les femmes
en pays B"a.
2. Cérémonie observée à Tominian.
3. Voir p. 107,-108.
4. Garçons et filles sont initiés séparément. La cérémonie d'initiation des fllles est beaucoup
plus simple : elle ne comporte pas de lutte avec les masques.
3. Cremer, op. cit., p. 116 : « Ils se lèvent, ôtent leurs cache-sexes, les tiennent à la main.
La personne de Kohui qui les accompagne proteste : il y a beaucoup de femmes dehors pour regarder.
Les jeunes gens enlèvent quand même leurs cache-sexes, car c'est la coutume du do. Si quelqu'un
refuse pour que les femmes ne voient pas sa verge, il n'a qu'à partir, les feuilles ne le couvriront
pas, il ne descendra pas chasser les femmes... _»
6. Voir p. 111, 112.
7. Voir p. 93.
8. Voir p. 93, note 3.
9. Dans certains villages, ils las recouvrent de feuilles, aidés des jeunes initiés des années
précédentes. Cf. P. Léger, op. cit., p. 13 :
« Alors les masques s'approchent au son des tambours sacrés, poussant des cris terrifiants
et sautant comme des démons; ils sont suivis de tousles jeunes gens qui brandissent des branches
d'arbres. Arrivés près des enfants, ils les recouvrent entièrement de feuilles, et les masques
poussent de grands cris en frappant le sol autour d'eux avec leur badine. »
'
10. Si tu es courageux.
11. Cette frayeur est réelle bien que l'enfant n'ignore pas la nature humaine de son « adversaire »
N'oublions pas que — théoriquement du moins — le néophyte n'a jamais vu de masques ;
du moins, il ne les a jamais approchés d'aussi près et de plus il a conscience de leur caractère
sacré. D'autre part, il doit lutter avec un homme qu'il sait beaucoup plus âgé que lui, et à qui
— dans la vie journalière — il doit obéissance et respect.. Tout concours à ce que l'acte qu'il doit
accomplir se présente à lui comme un acte sacrilège. D'oii le sentiment de culpabilité qui le
saisira lorsqu'il aura tué le masque.
122 ' SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
6. Le serment :
Après que lui ait été révélé la nature humaine des masques, l'enfant
doit jurer qu'il ne révélera jamais aux non-inités le secret des masques
Pour cela, il mangera "l'œuf du masque" (кого /ř, /F = œuf) 4. Le
prêtre lui explique que l'œuf du masque, c'est son habit de feuilles
(korovarà) 6. Le nouvel initié descend dans un trou creusé dans le
sol 6. Puis, il mâche quelques feuilles prélevées sur l'habit du кого,
crache trois fois dans le trou en jurant qu'il ne révélera jamais à
ceux qui ne sont pas " dans le do ", la nature véritable des masques.
Le prêtre du do l'avertit que, s'il rompt son serment, il mourra et
que le trou sera sa tombe 7 ; si on l'interroge, il doit répondre que
les korwa sortent de la terre et qu'ils portent sous le ventre des œufs
dont il s'est rassasié. Lorsque tous les enfants ont prêté * serment
individuellement 8, le prêtre du do les réunit ; aidé de quelques initiés
il pétrit de^ la terre, en emplit les tombes 9 « virtuelles » sur lesquelles
1. Citons P. Léger : « On dit alors (à l'enfant) qu'il a tué le masque que — s'il ne pleure pas —
celui-ci ne pourra revivre. L'enfant n'a aucun mal à pleurer après une telle séance. » (Op. cit., p. 13.)
2. Il serait nécessaire — ce que nous avons essayé vainement — de faire préciser qui — du
père ou du prêtre du do — doit « théoriquement • ressusciter le masque.
3. Nous n'essayerons pas de faire la psychanalyse de ce moment essentiel de l'initiation
(meurtre et renaissance du masque) : elle serait cependant intéressante dans la . mesure où il
semble bien que l'on soit en présence d'une variante du schéma classique du meurtre rituel du
père.
4. Voir p. 111-112.
5. Voir p. 89.
6. Nous n'avons pu obtenir de nos informateurs la nomenclature complète des termes se
rapportant à l'initiation. La plupart seraient certainement révélateurs du contexte mythique.
7. L'initié qui a révélé le secret des masques, est enterré en brousse. Rejeté de la communauté,
il ne pourra rejoindre les ancêtres (naso).
8. La formule du serment est identique pour les filles, comme en témoigne ce texte de
Crëmer (op. cit., p. 134) : « Les feuilles du vêtement sont détachées, posées sur place, puis le
vieillard creuse un trou profond, ramasse les feuilles, appelle un des enfant assis là, lui demande
son nom, l'enfant le lui donne. Le vieillard remet une feuille à l'enfant. Il se trouve que c'est
une fille, elle déchire encore la feuille, remonte, redescend ainsi quatre fois, puis .va s'asseoir
à l'écart. Le vieillard appelle un garçon, qui prononce son nom, déchire une feuille, la met
au fond du trou, remonte, redescend trois fois. »
•
1. Le geste du prêtre du do versant Геаи sur la terre est significatif. Lorsqu'un B"a désire
faire un serment sur un autel, il verse de l'eau sur le corps de l'autel en disant : « ú ňu /но »
littéralement : « je verse de l'eau (fi = je, nu = eau, fuo = verse), expression qui signifie en
réalité « je promets » ou « je jure ». D'autre part, la plupart des serments sont faits sur la terre
(tub"enu, voir p. 2): ainsi l'homme accusé de vol jure de son innocence en faisant une libation
à la terre. S'il est vraiment coupable, il mourra; sinon ce sera son accusateur qui subira ce sort.
2. Cremer cite un rite de désacralisation — du moins présente-t-il ce caractère — qui suit le
serment sur la terre et clôt la cérémonie d'initiation (op. cit., p. 135) :
« Un vieillard puise de l'eau, la pose sur le sentier et s'assied à côté. Les enfants se lèvent, se
mettent en rang, s'avancent vers lui. Le vieillard tient le récipient à deux mains, et chaque
néophyte plonge sa main droite dans l'eau, passe, et rentre chez lui. »
Nous n'avons pas observé ce rite. Cependant la même préoccupation de purification apparaît
dans le premier geste accompli par les nouveaux initiés : de retour au village,' ils se lavent
soigneusement avant de toucher à la moindre boisson ou nourriture. Tous les masques d'ailleurs
leur service terminé — accomplissent le même geste.
3. C'est également l'origine de l'expression : yaro wue yu кого fî, « l'enfant a gagné l'œuf du
masque ». (C'est-à-dire : l'enfant est initié, yaro = enfant, wue = marque le passé, ум = recevoir
ou gagner, кого = masque, fï = œuf du masque). Le texte suivant de Cremer illustre également
la généralité de l'emploi du mot korofï (il est — d'autre part — significatif du sens général de
l'initiation en pays Bobo) : « Aucun Bobo ne peut révéler le secret du do, dont les masques sortent
de brousse. C'est une coutume 'ancienne...
Un garçon naît, grandit, s'assied à côté de son père, écoute les paroles de ce dernier qui ne
fait jamais allusion aux masques. Si le père révèle que le masque est un homme enveloppé de
feuilles, il meurt.
Le père a gardé le secret. Un jour qu'il est assis avec le garçon, les masques sortant de la
brousse s'approchent. L'un d'eux appelle l'enfant lui dit de venir avec 100 cauris, pour attraper
l'œuf du masque. L'enfant répond : Hé ! qu'il va chercher.
Le père part avec son fils, entre chez le forgeron, annonce à ce dernier qu'une chose de la
brousse est venue appeler l'enfant. Celui-ci doit répondre : Oui, mais pour cela il faut lutter
avec l'être inconnu, car l'œuf se trouve sur le ventre du masque. »
Signalons enfin que le verbe te (manger) s'emploie également au moment du déshabillage
des masques : lorsque ces derniers regagnent la brousse pour se dévêtir, ils disent : • wa yo ts
wa кого », nous allons manger notre кого » (wa = nous, notre, yo = aller).
4. Voir notamment : P. Léger, op. cit., p. 13.
Cremer. op. cit,, p. 110-111, 114-115, 130-136, 142-143.
124 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
1. Voir p. 93,
2. En réalité, le sacrifice de consécration au do, cf. p. 120-121.
Un texte de Cremer est significatif de cette période de trois années durant laquelle les nouveaux
initiés doivent prouver leur capacité à vivre en communauté et à respecter la règle
fondamentale de tous les rapports sociaux : l'obéissance aux aînés.
« Ils (les nouveaux initiés) se rendent alors chez celui qui les instruit et lui demandent : N'y
a-t-il pas quelque chose d'autre concernant le do '! — Si, ce que vous avez acquis, c'est le nouveau
<řo. Mais vos poules ne sont pas encore sorties, et vous n'avez rien fait. Si l'un de vous insulte
un aîné, et que le cœur de celui-ci brûle, il faudra lui payer des «vases de bière, lit encore cei-i
lorsque le mil est rentré, les masques descendent au village, les nouveaux initiés paient la bière.
Plus tard, vous ne paierez plus. Celui d'entre vous qui aura commis une faute durant cette
période sera seul puni. Et maintenant, promenez-vous !
Mais comment faire pour finir d'acheter le do ?
Descendez pendant trois ans au village avec les masques, puis parlez à vos anciens, et s'ils
consentent, vous achèterez définitivement le do, car il s'achète deux fois. Après, c'est fini.
Trois années passent, et les derniers initiés vont trouver leurs anciens, demandent à terminer
leur affaire, car les enfants qui sont derrière ont grandi. Les derniers initiés ont beaucoup de
mal, ils ne peuvent parler et chaque fois qu'ils offensent un aîné, ils doivent payer des amendes,
ils sont fatigués de cela.
Les aînés s'adressent aux vieillards, et ceux-ci répondent : la tourterelle roucoule de même le
malin et le soir. La seconde cérémonie est pareille à la première sans être identique cependant,
car les poules sont là. Que l'on prépare la bière dans les vases. •
A. Voir p. 118-119.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 125
de karité, de même que seuls les initiés plus âgés peuvent tresser son
masque de tête x.
1. Nous ne nous attarderons pas sur les obligations des masques et leurs pouvoirs, ils découlent
de leur nature (incarnation du do) et de leur rôle (variable selon les rites).
— Le masque n'est plus un homme, ne connaît plus personne, ne parle plus la langue des
humains et s'exprime seulement par des cris ou à l'aide du korozo (voir p. -6-7 et 13). '
— - Le masque doit • poursuivre et chasser les non-initiés. Si les enfants refusent de s'enfuir,
il doit les frapper et les parents n'ont pas le droit de protester...
— Le masque qui veut satisfaire un besoin s'éloigne, se dissimule, enlève son vêtement.
Quiconque ne prend pas cette précaution oflense le do et meurt.
— Le masque ne peut se nourrir, il ne peut que se désaltérer avec la boisson rituelle du do.
Lorsqu'un initié a quitté son habit, il doit se laver avant de toucher à toute nourriture.
— En toute occasion, le masque doit' obéir au prêtre du do ou à son représentant (le masque
le plus âgé).
— Le masque doit accomplir tous les getes rituels, qui lui ont été enseignés.
2. Le dn — dit un informateur de Chemer — « aime l'amusement », op. cit., p. 123.
NOTES SUR LA SOCIÉTÉ DU (lo CHEZ LES POPULATIONS DE SAN 127,
Le do puissance sociale.
.
présentent comme organisant toute l'existence des Bwa. Cette existence
repose matériellement sur l'agriculture, socialement sur un ensemble
de formes de vie communautaire. C'est pourquoi le do, d'une part
réintègre l'homme dans la nature et assure le déroulement régulier
des cycles de pluie et de végétation, d'autre part, veille au
fonctionnement harmonieux des rapports sociaux, condition d'une vie
communautaire paisible К Mais le do est « un » et, à travers lui, les deux
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u = ou (fr. poule).
û = ou nasalisé.
e = è (fr. balais).
e = é (fr. été).
a = e (fr. meringue).
â = an (fr. planche).
ù = on (fr. balcon).
d", b" = modification du b ou du d par w (phonème unique).
s, t = modification du s ou du t par un yod (y) (phonème unique).