Vous êtes sur la page 1sur 26

PAUL CHAREST

Les classes d'âge che^ les Malinké


animistes de Kédougou (Sénégal oriental) '

LES qui s'appellent eux-mêmes Mandingo-Lu


M A L I N K É ,
font partie du grand groupe manding dont ils sont avec les Bambara les
principaux représentants. Ils sont aujourd'hui dispersés dans plusieurs
pays de l'Afrique de l'Ouest soit le Mali, la Guinée, le Sénégal, la
Gambie, la Guinée Portugaise et la Côte d'Ivoire. Ceux qui nous
intéressent se seraient établis dans la région de Kédougou au moment
du déclin de l'empire du Mali, en plusieurs vagues successives de
peuplement entre 1450 et 1650 approximativement 2 . Ils étaient
organisés, avant l'arrivée des Européens, en 5 chefferies : Sirimana,
Beledougou, Dantila, Niokholo et Badonba. Les observations et les
renseignements recueillis proviennent exclusivement de ces deux
dernières chefferies réunies aujourd'hui dans le département de Banda-
fassi avec un nombre important de villages peul et tous les villages (9)
du petit groupe tendanké ou bedik.
Les Malinké de l'arrondissement de Bandafassi habitent 22 villages
sur un territoire d'un seul tenant des deux côtés du fleuve Gambie.
Dans trois cependant, ils cohabitent avec un groupe minoritaire de
Bedik alors qu'un autre a accueilli quatre familles de Bassari. A part
quelques éléments étrangers dans trois d'entre eux, les autres villages

1. Les données ethnographiques de cette fique 1891-1892, Société d'Éditions scienti­


étude ont été recueillies lors de deux missions fiques (Paris, 1894). 572 p . ; G. ROURE, La
effectuées en 1966 et en 1968 dans le cadre Haute Gambie et le Parc National du Niokholo
des recherches poursuivies par le Centre de Koba (Grande Imprimerie africaine, Dakar,
recherches anthropologiques d u Musée de 1956), 191 p . ; Robert GESSAIN, Introduction
l'Homme de Paris, dirigé par le Professeur à l'étude du Sénégal Oriental (Cercle de
Robert Gessain. Kédougou), Cahiers du Centre de recher­
2. Cf. A. AUBERT, Légendes historiques ches anthropologiques, no. 1, in Bulletins
et traditions orales recueillies dans la Haute et mémoires de la Société d'Anthropologie
Gambie, in Bull. Corn. et. hùt. et se. d'A.O.F., de Paris, T . V. X I e série, Fasc. 1-2 (1963).
'923, pp. 384-428; D r A. R A N Ç O N , Dans PP- 5" 8 5-
la Haute Gambie, voyage d'exploration scienti­

131
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

sont homogènes du point de vue appartenance ethnique. La plUDan


de ces agglomérations se situent dans la plaine ou sur les bords de 1
Gambie. Quatre toutefois sont établies au sommet de collines asse?
élevées (200 mètres environ) formant les premiers contreforts du
Fouta Djalon. D'où trois paysages villageois différents : les villages des
bords de la Gambie, les villages de la « plaine », les villages des collines
Les ancêtres des habitants de ce territoire seraient arrivés en trois
vagues successives d'immigrants groupant principalement des indi­
vidus de même clan. Les premiers arrivés auraient été des Sadyakho.
Us auraient peut-être trouvé sur place les Bassari et les auraient refoulés
mais les sources ne sont pas très sûres à ce sujet. Vinrent ensuite des
Kamara et des Dabo qui auraient chassé les Sadyakho vers le Badomba.
Arrivèrent finalement des gens du clan royal Keita qui établirent
rapidement leur suprématie sur les familles déjà en place. Ces étapes
historiques expliquent la division actuelle des villages en trois groupes
selon l'appartenance clanique des chefs : des villages Sadyakho (3), des
villages Kamara (12), des villages Keita (5). Seuls deux chefs de
villages appartiennent à d'autres clans. Dans l'ensemble, ces villages
sont homogènes du point de vue clanique, car une majorité des
membres appartient au même clan que le chef, sauf dans quelques
villages de fondation récente.

L'unité politique, aujourd'hui, est le village. Il s'agit de petits


villages, les plus gros comptant tout au plus 250 habitants, les plus
petits moins de 100. Celui qu'on appelle en français « chef du village »
a peu d'autorité. En fait, sa fonction primordiale est une fonction
religieuse : il est le maître de la terre (dugu tigi). Il est aussi le
principal intermédiaire entre les gens de son village et l'administration.
L'autorité appartient principalement aux chefs de lignages ou chefs
de concessions (lu tigi) et pour certains cas à la classe des Bantanba
Tirolu comme on le verra plus loin. Par ailleurs, un groupe de cinq
villages, celui des collines, forme une unité assez homogène pour la
célébration des fêtes et pour les échanges matrimoniaux.
Les villages, dont l'habitat est groupé, sont composés d'un nombre
plus ou moins grand (entre 7 et 25) de concessions ou unités de
résidence de familles étendues (lu). La concession, spatialement
délimitée par une clôture, réunit généralement les membres d'un même
lignage mineur (bulunda) sur une profondeur allant jusqu'à six
générations sous l'autorité du plus ancien membre du lignage (lu tigi)-
Le lu comprend plusieurs ménages (dinbaya). La descendance est
agnatique et la résidence patrilocale. On peut se marier à l'intérieur
du même clan, mais pas à l'intérieur du même lignage majeur (kabili
ECHELONS DAGE CHEZ LES MALINKÉ

La polygynie est pratiquée couramment, mais la plupart des mark


polygynes n'ont pas plus de deux épouses à la fois.
Les différences de castes sont aujourd'hui très estompées On obs
assez peu de différence du point de vue social entre les familles T
cordonniers, de forgerons, de griots ou de descendants de captifs et
les familles de souche noble. Les intermariages sont possibles
Les Malinké de cette région pratiquent une agriculture extensive à
la houe. La majeure partie des travaux agricoles s'effectue de façon
collective au niveau des concessions ou au niveau du village. Les tra­
vaux collectifs sont cependant progressivement abandonnés dans les
villages en voie d'islamisation. Dans trois de ces derniers un petit
nombre de paysans utilise depuis quelques années la charrue et plus
rarement de l'engrais chimique. Deux villages, sièges d'organisations
coopératives, regroupent théoriquement les autres villages. Une seule
de ces coopératives fonctionne bien et l'exploitation de champs
d'arachide d'une superficie variant de 0,5 ha à 3 ha fournit à leurs
propriétaires des revenus monétaires assez substantiels alors qu'ailleurs
la production ne dépasse guère le niveau de la subsistance. Les
principales cultures pratiquées sont, par ordre d'importance, celles
du mil, de l'arachide, du maïs, du fonio, du riz, des pois de terre et
les cultures de jardin.
Dans chaque village il y a un troupeau de bovins comptant de
quelques têtes à une centaine de têtes. Le gros bétail est principalement
un capital qui passe de mains en mains à l'occasion des prestations
matrimoniales. En dehors des fêtes de circoncision et d'excision, seul
le petit bétail (chèvres, moutons) et les poulets servent à la consomma­
tion. La proximité de la réserve de faune du Niokholo Koba faisait
de la chasse une activité assez importante avant son interdiction
complète en 1967. La cueillette des fruits et des feuilles de plusieurs
arbres complète ces activités économiques.
La population est en partie animiste, en partie en voie d'islamisation.
Le principal refuge de l'animisme se trouve dans les villages des
collines dont tous les membres, à quelques exceptions près, sont
demeurés fidèles à la religion traditionnelle. Plus de la moitié des
villages ont une population en majorité animiste. Les bases de la
religion animiste reposent sur les cultes des ancêtres et les cultes
chthoniens. Les principaux officiants sont les chefs de village et les
chefs de lignages. Ils effectuent régulièrement, au début et à la fin de la
saison des pluies, des sacrifices de poulets, des libations de bière de mil
ou des offrandes de farine de mil ou de noix de cola sur des autels de
pierres de dolérite ou de latérite situés au pied de gros arbres, générale-

133
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

ment des caïlcédrats (dialla, Kaya senegalensis). p a r


gagne constamment de nouveaux adeptes, principale,? 1 1 ^ 1>islarn
agglomérations situées à proximité de la principale vo* T^ d a n s W
cation allant de Kédougou à Tambacounda. C'est un^' I °° mmu nU
géant, propagé principalement par des marabouts d i a k h ^ ^ 1 1 exi^
é et
s'accommode facilement des traditions ancestrales C W
e enc ant
villages en voie d'islamisation délaissent progressivere t ^ * > les
leurs traditions, dont l'organisation en classes d'âge ^ P a r t i e de
Dans les pages qui suivent, je décrirai l'organisation tnulV
nnell
structure et fonctions, des classes d'âge telle qu'elle exist f e,
onc
chez les Malinké animistes. tionrie

i. Nombre de classes.

Les informateurs comptent 8 groupes d'âge masculins ou boroAu


(sing. ; boro 3) englobant tous les individus mâles de leur naissance à
leur décès. Mais seulement 4 de ces groupes fonctionnent véritable-
ment comme des classes d'âge 4 . On peut donc subdiviser ces 8 groupes
en trois catégories :
— 3 pré-classes;
— 4 classes proprement dites;
— un groupe terminal réunissant tous les hommes âgés, qui sont en
quelque sorte sortis du système.
A commencer par les plus jeunes, voici les noms, leurs significations,
ainsi que les âges approximatifs des membres de chacun de ces groupes.
a. Pré-classes.

1) susula boro (a), groupe des « moustiques ». L'allusion au jeune


âge et à la petite taille des membres est évidente. Regroupe les garçons
dès leur naissance jusqu'à l'âge de 5 ans environ.

3. Il est difficile de fixer la signification d u ( D é p a r t e m e n t d e Kédougou), Cahiers du


mot boro. II désigne aussi le fil à coudre, le Centre d e recherches anthropologiques
coton filé. Par extension, cela peut signifier n ° n. in lfo/7*#Ä- ~* ~ *
que les membres d'un boro sont i J Ï Ï Î Z * Ï 7 \ ' " Bulletins e
* mémoires de la Société
ar,thro 0
eux comme les fils d'une bande de car™ î P°j sie de Paris, XII« série, tome II,
Ilfcu, peut-être rapprocher ce mot du / C ^ I " ^ « V « " 1 6 * à Ia ^ l6
''
bolo• bambara. L'appellation ton utilisée a » Les e n t è r e s uuh&és> dam ^ ^ ^
Mah pour d é s i r e r les associations dé t r avaH ^ * * * " " C , M " *'** S O n t IeS
SU1VantS : ( a )L e f a i t d a v o i r
collectif n'est pas connue Pour l e „ r ' « " « * * (b) Le
les D.alonke utilisent le terme buruti „ versement de prestations pour « l'achat » de
Phce
dés.gner leurs groupes d'âge Cf TA, 1°™ Puhii1™- W La participation à des
«". Note sur .es" D ü ü S ^ ^ ^ *""" "*"**•
J
34
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALINKÉ

2)mankara boro (b), groupe des mankara. Mankara est le


d'une biche (probablement Sylvicapra grimmia *) qui a une touffe Z
poils sur le sommet de k tête. On rase le crâne des enfants de cet are
de façon à ne laisser qu une touffe de cheveux sur le sommet de la tête
Les garçons de ce groupe ont entre 5 et 10 ans environ.
3) kuntan boro (c), groupe des « étourdis » (littéralement kun-ntan •
sans tête). Kuntan est aussi le nom d'une biche rouge au dôs noir avec
de petites cornes (peut-être Céphalophus rufilatus 6 ). On dit qu'elle
est facile à tuer parce qu'elle est « étourdie », qu'elle ne sait pas ce
qu'elle fait et qu'elle tourne la tête de tous côtés. Les garçons de cet
âge précédant immédiatement celui de la circoncision ont la réputation
d'être des étourdis ne sachant trop ce qu'ils font.
b. Classes proprement dites.
1) soliman-lu (A), « les futurs circoncis». La circoncision sanctionne
leur entrée dans le système des classes d'âge. Les jeunes gens de ce
groupe sont âgés de 15 à 20 ans environ.
2) kamarin-olu (B), « les adultes ». On distingue deux sous-groupes
à l'intérieur : celui des nansin-olu ou nouveaux circoncis qui se
joignent à un groupe de jeunes gens déjà circoncis ou kamarin propre­
ment dit. Quelques mois après la circoncision, aux premières pluies,
les nansin-olu deviennent effectivement des kamarin-olu. On dis­
tingue alors des kamarin dinolu (jeunes kamarin) et des kamarin
keba (anciens kamarin). Les membres de ce groupe ont entre 20 et
28 ans environ.
3) gulu tala (C), « ceux qui prennent la peau » (gulu : peau;
ta : prendre) : allusion au fait que, lors de la cérémonie de passage
à la classe suivante, les membres de ce groupe devraient changer la
peau du grand tambour du village. Les membres de ce groupe peuvent
avoir de 25 à 35 ans environ.
4) bantanba tiro-lu (D), « les propriétaires des grands fromagers »
et par extension les propriétaires de la place publique sous les grands
fromagers. Le bantanba est l'endroit où se déroulent toutes les mani­
festations sociales du village. Les membres de ce groupe, qui peuvent
avoir entre 30 et 45 ans, contrôlent donc la vie sociale du village.
c Groupe terminal : sukeba (Z), « les vieux du village ». Entre 35 et

5- Cf. G. ROURE, Faune et chasse en 6. D'après Marie-Paule FERRY du Centre


Afrique Occidentale française (Grande Impri- de recherches anthropologiques.
merie africaine, Dakar, 1956), 407 p., p. 89.

135
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

45 ans environ tous les individus mâles sortent du system


classc
d'âge proprement dites pour entrer dans ce groupe qui ^ s
estc
« sages » et des conseillers. elui des
A
Il existe aussi des groupes d'âge féminins portant le m
boro. Ce système, bien que calqué sur le précédent eme < n ° m de
certaine autonomie. Le nombre des boro féminins n'est n a P ° S ? ede Une
ment égal à celui des boro masculins. Il est plus général n e ° e s s a ' r e -
le groupe absent étant celui de la pré-classe « c », qui n'existe C
nt de 7)
que les filles sont excisées plus jeunes que les garçons ne so ^ P a r ° e
Quelques mois après l'excision, les jeunes filles nées dans u ^ f ^ -
dispersent, plusieurs d'entre elles allant se marier dans d • ese
ges
voisins. On réunit les femmes nouvellement mariées d'un vM?
un groupe correspondant à la classe masculine « B » Ai' -ageKdans
classe d'âge masculine a un boro féminin correspondant' Si I f °
d'un âge voisin sont suffisamment nombreuses, elles peuvent IT™**
deux boro correspondant à un seul et même boro masculin,0?0'
membres du boro féminin sont considérées comme les « éD
des membres du boro masculin qui lui est associé. Après l W ^ "
les classes d'âge féminines ainsi formées portent le nom de leur T '
géante ou présidente jusqu'à l'âge de la vieillesse alors que les fenT"
deviennent sorundin musolu c'est-à-dire « femmes initiées T l
secret des masques). ^au

«££ Ä ^ Bantata C ° mPtait ^ I968' ,eS 7 Z™^ d%


a) susula boro
b) mankara boro

A) solimansunkutu : « futures excisées ,,; «épouses» des soliman-lu


B) Nyama boro : « épouses » des kamarin-olu
C) Kumba boro : « épouses » des gulu tala
D) Sira boro : « épouses » des bantanba tirolu
Z) sorundin musolu : « épouses » des sukeba

S q ^ s ' a n i X fp°,UPeS *' b que


Jeunes * Z les
' l emembres
sfemmes sont
de h généralement
chsse mascu deline
~S„3^T
d e SyStèmeS linéaireS
prionÇn t^LtZ!? l ? ^ ' ^
d âge à a r t i r d e l a naisSanCC
jusqu'à la vieillesse c h "t^™ ' P
»eniesse. Chaque village possède son propre système de
136
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALINKÉ

groupes d'âge fonctionnant de façon autonome, mais il y a évidemment


correspondance d'un système villageois h un autre 7.
11 est à remarquer que les pré-classes groupent des individus ayant
un écart d'âge situé entre o et 5 ans environ, alors que pour les classes
cet écart d'âge est plus considérable. Ceci est attribuable au double
fonctionnement du système : on entre dans le système des classes
d'âge proprement dites vers le même âge, peu avant la circoncision;
par ailleurs, on passe d ' u n échelon à l'autre à l'occasion de la fête de
changement de classes d'âge, qui n'a pas lieu la même année que la
circoncision et dont la fréquence de célébration varie d'un village à
l'autre. T o u t le fonctionnement des systèmes est donc articulé autour
de trois rites de passage particulièrement importants : la circoncision,
Vexcision et la fête de changement de classe d'âge.

2. Circoncision et excision (kuyan).

Si tout nouveau-né, mâle ou femelle, fait automatiquement partie


de la pré-classe « a » dès sa naissance, il n'en est pas de même pour
l'entrée définitive dans le système des classes d'âge proprement dites
au moment d u passage de l'échelon A à l'échelon B. Ce passage, qui
correspond pour les jeunes gens au passage à l'état d'homme adulte
et pour les jeunes filles à celui de femmes nubiles, est sanctionné par
l'exécution des rituels d e la circoncision et de l'excision. La description
qu'a donnée Georges C h é r o n de ces deux rites de passage 8 est valable
dans son ensemble pour les Malinké de Kédougou. Aussi n'en sera-t-il
rappelé que les grandes lignes.
Circoncision et excision ont lieu tous les trois, quatre ou cinq ans
selon l'importance des contingents de jeunes gens à opérer et aussi
selon leur impatience à vouloir subir ces épreuves. L e rendement des
récoltes de l'année précédente entre aussi en considération pour fixer
la date des cérémonies, car les festivités auxquelles elles donnent lieu
coûtent cher en vivres et en bétail aux parents des candidats,
Quelques années auparavant, aux premières pluies suivant la
circoncision et l'excision d e leurs aînés immédiats, les deux groupes de
soliman actuels s'étaient choisi u n chef. Pendant les années suivantes
ils avaient effectué des travaux collectifs et fourni les prestations de

7- Selon A. LANGANEY d u Centre de 8. Cf. Georges CHÉRON, La circoncision


recherches anthropologiques, les noms des chez les Malinké, Journal de la Société des
pré-classes ne seraient pas tous les mêmes Africanistes (i933). PP- 2 97"3°4-
au village de Batranké, voisin de celui de
Bantata.

137
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

rigueur aux membres de la classe masculine « D ,». Quand l e s j e u n


eens se sentent prêts et que les récoltes ont été bonnes, l a date H
cérémonies est fixée conjointement par le chef du village et les p a r e m S
des futurs circoncis. Les fêtes ont heu en saison sèche, généralement
pendant les mois de mars ou d'avril. Pour des raisons d'économie
semble-t-il, la circoncision et l'excision se font généralement la même
année et en même temps.
Environ un mois avant la date fixée, un repas de riz et d'igname
préparé par les parents des candidats marque le début des cérémonies5
Le soir même les candidats dansent pour la première fois la danse de 1-
circoncision et de l'excision. Garçons et filles ont revêtu leur costume
de fête fabriqué uniquement avec des bandes de coton. Les garçons
portent un sabre ou une imitation de sabre en bois. Les deux groupes
les filles derrière les garçons, dansent en cercle sur la place du village'
A partir de ce moment, les candidats des deux sexes doivent faire une
sortie de danse tous les soirs sur la place du village.
Pendant les premiers jours précédant la fête, les futurs circoncis
amassent une provision de bois de chauffage qui servira à la cuisson des
aliments pendant toute la durée de la fête. U n énorme tas de bois de
plusieurs mètres de haut s'amoncelle alors sur la place du village. De
leur côté, les parents des candidats préparent la bière de mil, élément
essentiel de toute fête chez les Malinké animistes. Les quantités
préparées sont de l'ordre de deux à trois canaris, soit de 150 à 300 litres
par concession (lu). On fait appel aux parents pour qu'ils
fournissent eux aussi de la bière et pour des cadeaux de vivres. La
veille de la fête, parents et amis des villages voisins arrivent en grand
nombre. On procède aussi ce jour-là à l'abattage d'au moins un bovin
par famille de circoncis (ou/et d'excisées). Les jours précédents, ou la
veille même, il y aura peut-être eu une sortie de masques gankuran
venus prédire comment les fêtes se passeraient.
La veille du grand jour, les candidats doivent danser pendant toute
a nuit. Tot le matin, on procède d'abord à l'excision des filles. L'opéra-
ion est effectuée par un forgeron ou par une fille de forgeron selon
les cas. Comme les Malinké de cette région n'ont pas beaucoup de
lorgerons, ils requièrent souvent les services des forgerons d'une autre
ethnie, notamment des Bedik. Les filles sont opérées chacune dans
cirmn° nCeSS ! 1 0n L e n c o m m e n ç a n t par la plus âgée. Les garçons sont
en comm e n d e h o n d? V ' lla g e > e n ™ endroit qui est toujours le même,
p a n s é T a T T , P a r I e P 1 U S J' e u n e - ^ u a n d les opérés ont été soignés et
leurs ahr- f > A m e d , c a m e n t s à base de feuilles, ils se retirent dans
abris faits de nattes de paille, les filles à l'intérieur du village, les
138
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALINKÉ

garçons à l'extérieur. Les deux groupes passent leur période de réclu­


sion respective sous la surveillance d'un gardien et d'une gardienne
Pendant les premiers jours, alors que les plaies sont encore doulou­
reuses, ils ne bougent presque pas, se gavant de plats spécialement
préparés pour eux.
Dès qu'il s'en sent capable, le nouveau circoncis part en expédition
de chasse, car s'il réussit à tuer une grosse bête pendant la période de
sa réclusion, il en tirera beaucoup de prestige. Pendant cette période
les nouveaux circoncis s'initient aussi aux cris des masques — on doit
faire croire aux femmes que les masques se tiennent toujours aux
alentours du lieu de réclusion, ce qui a pour effet de les en tenir éloi­
gnées. Quand ils sont suffisamment guéris, les garçons et les filles
peuvent se promener en groupe dans le village. On ne peut alors rien
leur refuser de ce qu'ils demandent. De nos jours, la réclusion prend
fin après la guérison complète des plaies, soit environ trois semaines
après l'opération.
Garçons et filles ne doivent normalement pas avoir de relations
sexuelles avant ces rites de passage. Dans le cas contraire, on dit que
le garçon sera blessé par le couteau du forgeron lors de l'opération et
que la fille qui deviendrait enceinte ne pourra avoir un enfant normal.
Aussi procède-t-on à des cérémonies individuelles d'excision dans le
cas des jeunes filles devenues enceintes et des femmes qui se sont
mariées avant les fêtes d'excision. Par ailleurs, dans les villages en voie
d'islamisation, certains garçons préfèrent aller se faire circoncire au
dispensaire de Kédougou, se soustrayant ainsi aux plus dures exigences
de la tradition tout en sauvegardant l'essentiel du rite de passage, soit
l'ablation du prépuce.
Hommes et femmes malinké considèrent le moment de leur circonci­
sion et de leur excision comme la période la plus marquante de leur
vie. Ceux et celles qui ont participé aux mêmes travaux, qui ont subi
ensemble l'opération et la réclusion demeurent ensuite liés leur vie
durant. Ils se fournissent aide et assistance de façon préférentielle.
On se doit d'assister aux funérailles d'un ou d'une camarade de promo­
tion.
A ma connaissance, une promotion de circoncis se distingue d'une
autre en se référant généralement au nom de son chef, qui fut opéré
le dernier. On peut aussi faire allusion à un événement important
survenu pendant l'année de la circoncision (ou de l'excision). Les
groupes ainsi formés constituent des sous-promotions bien distinctes
à l'intérieur des classes d'âge supérieures qui comprennent générale­
ment plus d'une promotion de circoncis. Ainsi, la classe masculine B

139
cf.ASSES D ' Â G E E N A F R I Q U E D E L ' O U E S T

englobe des « anciens » et des « nouveaux » selon l'année de leur


circoncision. De même, tes nouvelles excisées se joignent après lCu
mariage à un boro comprenant des femmes opérées avant elles. ( W
distinction en sous-groupes aura d'autres conséquences lors du p a s s C
dans les échelons supérieurs comme cela apparaîtra dans le paragraphe
suivant. . . . ,, . .
Finalement, il est à noter que la circoncision et 1 excision marquent
pour les membres des pré-classes des deux sexes leur passage à un
groupe supérieur. Ainsi, les a deviennent b, les b deviennent c et les
c masculins deviennent A alors que les filles passent directement de
bàA.

3. Changement de classes d age.

Nous venons de voir qu'une promotion de garçons ou de filles


devient A lors de la circoncision ou de l'excision des membres des
promotions qui les précèdent immédiatement et B lors de leur propre
circoncision ou excision. A partir de ce moment, le passage d'un éche­
lon à l'autre se fait à l'occasion d'une grande fête appelée bantanba
san-o : littéralement « l'achat du/des grand(s) fromager(s) » et par
extension l'achat de la place publique du village. Cette fête n'est pas
célébrée à époque fixe. Dans les villages animistes les plusfidèlesaux
traditions — principalement les villages des collines — elle a lieu tous
les cinq ans environ. Dans certains villages en cours d'islamisation, on
peut attendre jusqu'à 8 ans. Dans les villages où le bantanba-san-o n'a
pas eu lieu depuis plus de 8 ans, le système des classes d'âge est en voie
d'abandon. Comme pour les circoncisions-excisions, le succès de la
récolte précédente influe sur la décision des autorités villageoises de
célébrer cette fête plus tôt ou plus tard. Entre aussi en ligne de compte
le désir des membres des classes inférieures d'accéder le plus rapide­
ment possible à la classe D, sommet de l'échelle. La fête de changement
de classes d'âge ne peut avoir lieu que lorsque la classe C a fini de verser
les prestations exigées par les D pour l'achat de « leur » place publique.
Pour bien comprendre l'importance de cette fête et de la classe des
bantanba tiro-lu (D), il faut avoir une juste idée de l'importance de
la place publique (bantanba) dans les villages malinké. Il s'agit d'une
aire de quelques centaines de mètres carrés située généralement au milieu
du village à l'ombre de deux grands fromagers (Ceiba guineensis).
i~es fromagers furent plantés par les fondateurs du village et l'on dit
souvent que les villages ont l'âge de ces fromagers. Aux pieds de ces
140
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALINKÉ

arbres se trouvent généralement une ou deux plates-formes (ou lits de


repos), de dimensions variables et d'environ i à 1,50 m de hauteur
recouvertes d'une claie de bambous fendus.
L'une de ces plates-formes est réservée aux D, l'autre aux vieillards
(groupe Z). En principe, seuls les membres de ces deux groupes ont
le droit de les ,'utiliser. De toute façon, les groupes d'âge inférieurs
ne peuvent jamais y monter sans l'assentiment au moins tacite de
leurs aînés. Les femmes, pour leur part, n'y ont jamais accès, quel
que soit leur âge.
Sur la place du village se trouve aussi en saison sèche le grand
tambour du village (tantanba), propriété de la classe D. Par ailleurs
les tisserands y ont installé les cadres de leurs métiers, à l'ombre des
fromagers.
La saison sèche rassemble toujours sur la place publique une partie
des hommes du village conversant entre eux alors que les tisserands
sont au travail. Lieu de repos et lieu de travail, la grande place du
village est aussi l'endroit où se déroulent toutes les manifestations
sociales importantes : fêtes, danses, sorties de masques. C'est dire
que la classe qui contrôle l'utilisation de cette place contrôle une partie
importante de la vie du village 9 .
Si la fête de changement d'échelon marque le transfert des droits
sur la place publique d'un groupe d'âge à un autre, le processus de
transfert a été engagé depuis longtemps, en fait depuis l'entrée d'une
promotion dans le système des classes d'âge, en devenant A. En effet,
chaque classe d'âge proprement dite a des « paiements », dont la
valeur est fixée à l'avance, à verser aux membres de la classe D ; elle
acquiert donc progressivement, sur une période de 15 à 20 ans, les
droits sur la place. C'est principalement parce qu'ils commencent
à participer à ce système de prestations qu'il faut considérer les
soliman-lu (A) comme formant une véritable classe d'âge bien
qu'ils n'aient pas encore été circoncis ou que les femmes n'aient pas
encore été excisées. Les classes d'âge de femmes ont aussi leur
quote-part à verser aux membres de la classe masculine D, qui
se montrent toutefois un peu moins exigeants pour elles.
Le tableau suivant donne une vue d'ensemble des prestations sta­
tutaires exigées par la classe masculine D de chacune des classes
d'âge inférieures :

9- L'importance d u bantanba a été GOLDBERRY, Fragments d'un voyage en Afrique


signalée très tôt chez les M a l i n k é d u B a m - fait pendant les années 1785, 1786 et 1787
bouk, au Mali, par G o l b e r r y . Cf. S . M . X . (Paris, 1892), 2 vol. Voir vol. I, p. 385.

I4I
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

Classes masculines Classes féminines


A-.o gourdes de bières (une Une chèyre chaque année ainsi
gourde contient environ que le mil ou le riz pour pré p a r e
20 litres) en plusieurs verse­ le repas accompagnant la chèvre
ments lors de la fête de à l'occasion de la fête Ha-Ar0 '
Nyambi Sin-o (mois de jan­
vier).

B : Continuation des versements U n e chèvre et un van de mû


précédents si ce n'est pas chaque année lors de la fête Ha
terminé. Amendes en cas de Aro.
retards indus : par ex. aller
cueillir du miel sauvage.
Pour devenir C : i chèvre,
3 gourdes d'hydromel,
i gourde de miel, du tabac
et du sel.

C : Pour devenir D : i bovin, Une chèvre avec mil ou riz pour


i mouton, 60 gourdes de la préparation du repas, lors de
bière, 100 noix de cola, au la fête Ha-Aro.
moins 20 boules de tabac.
Versements effectués sur deux
années.

Le versement des prestations fournies par les groupes de femmes


donne toujours lieu à la fête Ha-Aro (manger les amendes), qui a lieu
habituellement en saison sèche. Les versements des classes mascu­
lines sont effectués partie lors de la fête de changement d'échelon,
partie à l'occasion de fêtes cycliques annuelles telles que Nyambi
Sin-o (creusage de l'igname) ou Nyambu Hilo (lancement de l'igname),
qui sont la propriété du groupe D . Ces obligations coutumières,
dont la valeur est assez considérable pour cette région pauvre, repré­
sentent un fardeau économique pour les trois classes inférieures.
11 arrive même que les membres de l'échelon D jouent la suren­
chère en disant qu'ils ne veulent pas abandonner la place, qu'ils
veulent prolonger leur « règne », qu'ils sont trop jeunes pour devenir
des sukeba (vieux), qu'il faudrait attendre encore une année, etc.,
forçant ainsi les C à effectuer un versement supplémentaire d'une
chèvre par exemple. Pour s'acquitter de ces obligations, les membres
des echelons inférieurs doivent « louer » leur travail à des individus

142
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES M A L I N K É

qui leur fournissent en contrepartie l'animal, le mil pour préparer


la bière ou les autres prestations exigées par les D.
Venons-en maintenant à la description de la fête de changement
d'échelon. Pendant la semaine qui précède « l'achat » définitif de la
place publique par les C, ces derniers doivent courtiser les D « comme
pour un mariage ». Chaque jour, à partir du moment où le mil servant
à préparer la bière a été mouillé, les C doivent faire cadeau de colas
aux D. D'un autre côté, les C sont considérés déjà comme étant
partiellement des D et ils ont droit à une partie des cadeaux que
reçoivent les D. Ce sont les futurs D qui ont la charge de préparer
la fête qui dure trois jours et à laquelle les non-circoncis et les femmes
non-initiées — c'est-à-dire autres que les sorundin musolu — n'ont
pas le droit d'assister. Les D des autres villages y sont expressément
invités et ils ont droit à une part spéciale de bière et de nourriture.
Ce sont les trois plus jeunes membres de la classe d'âge qui sont char­
gés de préparer la bière et de s'occuper des autres préparatifs. Ils
continueront à remplir cet office lorsqu'ils seront devenus D.
Le premier jour de la fête est marqué par la venue d'un grand
nombre — jusqu'à une vingtaine — de masques gankuran 10 sur la
place du village. Ils y dansent toute la matinée ainsi qu'une partie
de l'après-midi. En fin d'après-midi tous ceux (et celles) qui ont
droit d'assister à la fête se réunissent avec les masques en un endroit
ombragé situé un peu à l'extérieur du village. On procède alors à
un partage de bière entre les assistants en commençant par les D
sortants. Le soir, il y a à nouveau danse sur la place du village. A
cette occasion, des masques font des prédictions et les assistants
peuvent les consulter sur différentes questions : mariage, sorcellerie,
maladies, etc. Cette séance de divination peut durer toute la nuit.
C'est au matin du deuxième jour qu'a lieu la cérémonie du trans­
fert de la place. Les deux groupes intéressés, C et D, se réunissent à
l'extérieur du village en un lieu déterminé par la coutume. On y
amène le grand tambour du village ainsi que deux chèvres qui seront
échangées par les deux groupes. C'est le chef de coutume qui effec­
tue le transfert, assisté par les deux chefs des classes C et D. Il perce
la peau du tambour avec une aiguille. Ceci représente une destruc­
tion symbolique de la peau. Autrefois on la défonçait avec un cou-

io. Leur costume est le suivant : feuilles jambières de feuilles de rônier (Borassus
de karité ('Butyrospermum paradoxum par- aethiopunt Mort), un bâton dans une main
kii) couvrant le haut du corps, pagne et un petit paquet de feuilles de karité dans
d'ecorces de Fara aux reins, mouchoir rouge l'autre.
sur la tête qui cache partiellement le visage,

H3
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

teau et on devait la remplacer. Il recouvre ensuite le tambour avec


une bande de coton de production locale, crache dessus un p e u d e
Mère Qu'il vient d'ingurgiter, puis fait boire les deux chefs de classes.
Te tambour est alors cédé aux C qui deviennent par le fait même
les nouveaux D. Le chef en prend possession en battant quelques
mesures Le transfert du tambour est immédiatement suivi de l'immo­
lation des deux chèvres en commençant par celle offerte p a r l es
anciens D. Le reste de la journée est employe à boire, à manger et à
regarder les masques danser sur la place du village. Il en est de même
pour la troisième et dernière journée.
La fête de changement d'échelon marque pour les anciens D leur
sortie du système des classes d'âge proprement dit. Ils rejoignent
dans le groupe Z tous ceux qui sont sortis lors des fêtes précédentes.
Ce groupe terminal se divise lui-même en sous-groupes selon les
différentes promotions qui en font partie, mais cette subdivision
de référence n'a aucune conséquence pratique. Par ailleurs, comme
le groupe D à cause de son importance doit être assez fort numéri­
quement, il arrive que la classe C, au moment de son passage en D,
s'adjoigne la plus ancienne promotion de circoncis de la classe B.
Les membres de cette promotion sautent alors un échelon, passant
directement de B en D. La seconde promotion de circoncis de la
classe B devient C et B ne compte plus de membre jusqu'à la pro­
chaine circoncision.

4. Initiation aux secrets des masques.

Les Malinké de cette région possèdent au moins huit sortes de


masques qui « sortent » à l'occasion de leurs différentes fêtes n . Tous
les costumes sont fabriqués à l'aide de feuilles, d'écorces d'arbre,
de longues herbes sèches et de tissus. Outre leur caractère mystérieux
et semi-sacré et leurs fonctions d'amusement, ces masques ont une
fonction de police et certains sont armés de fouets qu'ils utilisent
contre ceux qui troublent le déroulement normal des fêtes ou l'ordre
social du village. Les femmes et les jeunes garçons ignorent en prin­
cipe le secret des masques et doivent être persuadés que ce sont des
êtres surnaturels qui surgissent de la brousse à la demande des anciens
u village. La levée de ce secret pour les garçons et pour certaines
vieilles temmes donne lieu à deux cérémonies particulières portant

d e I c ^ e n e t n d ^ « ï n d a n * , , d e masclues aPPel à des masques Bedik lors des grands


certa.ns villages, on fait travaux agricoles collectifs.
144
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALINKÉ-

toutes les deux le même nom sorundiro (littéralement « l'action de


faire savoir »).
a. Initiation des garçons. Les jeunes garçons sont initiés au secret
des masques lorsqu'ils sont b ou c à l'occasion d'une grande fête
avec masques. Des D se saisissent alors des premiers garçons de
ces groupes d'âge qu'ils rencontrent sur la place et les emmènent à
l'endroit où se fabriquent les masques. En arrivant là, les masques
leur donnent quelques légers coups de cravache sur la tête. On révèle
alors aux garçons que les masques ne sont autres que des hommes
costumés et on leur apprend comment fabriquer ces masques. On
leur recommande aussi le plus grand secret en les menaçant de mort
s'ils révèlent ce secret aux femmes. Les mères des garçons nouvel­
lement initiés doivent fournir du riz et de la cola aux D masculins.
Ce sont les femmes initiées qui préparent le riz consommé par les
membres des groupes D, Z (hommes et femmes) et par les nouveaux
initiés.
Outre la révélation aux jeunes garçons du secret des masques
qu'ils auront eux-mêmes à porter plus tard, cette initiation a pour
but de fournir des aides aux masques. Ce sont les garçons b et c
qui coupent les feuilles ou les herbes, qui préparent les écorces et
qui aident les masques à s'habiller. Ils s'initient en même temps à
la fabrication des costumes, aux cris et aux danses des masques.
Les initiés ne pourront commencer à porter certains masques que
lorsqu'ils seront passés A.
b. Initiation des vieilles femmes (sorundin musolu). Cette initiation
a lieu à l'occasion d'une circoncision. On demande à une ou plusieurs
vieilles femmes d'apporter des calebasses d'eau aux masques qui sont
réunis en dehors du village près de l'endroit de réclusion des cir­
concis. En arrivant, les femmes se voilent le visage d'un pagne qu'elles
portent sur les épaules. Elles reçoivent des coups de cravache de la
part des masques. Ensuite elles se dévoilent, et au moins un des
masques enlève son costume devant elles, leur révélant ainsi qu'ils
sont des personnes humaines et non pas des êtres surnaturels comme
on voulait leur laisser croire. Comme aux garçons, on leur recom­
mande le plus grand secret. Pour s'acquitter des droits d'initiation,
les femmes doivent donner aux D du riz, du sel et leur préparer un
plat de « gâteau » (tu).
Les femmes admises à cette initiation ont passé l'âge d'avoir des
enfants et c'est pourquoi on les considère comme ressemblant phy-
siologiquement à des hommes. En parlant d'elles, on utilise les for-
145
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

mules suivantes : « celles qui savent », « celles qui connaissent »


« celles qui sont sorties », « celles qui sont comme des hommes ,,'
L'initiation a aussi un but pratique : ces femmes ont charge d'app0N
ter l'eau et la nourriture aux masques. A partir du jour de leur ini­
tiation, les sorundin musolu peuvent assister à la fabrication des
masques et elles n'ont plus à se tenir cachées lorsqu'ils viennent
dans le village.

5. Dignitaires.
Lorsqu'ils deviennent A, les membres d'un boro se choisissent
un chef (kuntigi) qui demeure en fonction jusqu'à ce qu'ils aient
rejoint les Z. On choisit toujours comme chef le garçon dont le père
est le plus âgé, ou serait le plus âgé, s'il est décédé. La dirigeante du
boro féminin A est choisie de la même façon. Les dirigeantes des
groupes d'âge de femmes mariées sont celles dont les maris sont les
plus âgés. De deux co-épouses faisant partie d'un même groupe,
c'est la plus âgée qui a la priorité. Les membres des castes et les
descendants de captifs peuvent aussi diriger un groupe d'âge.
De plus, chaque classe féminine se choisit un « père » (boro fa)
parmi les membres du groupe et dans les champs duquel elles vont
travailler chaque année. Elles désignent habituellement quelqu'un
en mesure de leur fournir les prestations exigées annuellement par la
classe masculine D. En principe, une classe conserve le même père
jusqu'à sa sortie du système. En cas de décès, on peut le remplacer
par un de ses parents. Finalement, le chef des D a autorité sur cha­
cune des classes d'âge féminines et peut leur donner des directives.
Comme les membres d'une classe d'âge ne sont jamais très nombreux
— 15 à 20 personnes au maximum — la fonction de chef de boro
est la seule importante. Cependant à l'occasion d'une grande fête
appelée Commandait Tulun (« l'amusement du commandant »), les B
se nomment d'autres dignitaires en copiant le modèle de l'organisa­
tion politique introduit par les Européens. Le chef de classe est
appelé « commandant » ou « préfet » et on lui adjoint un sous-préfet.
On choisit ensuite un chef de la gendarmerie, un secrétaire, un méde­
cin, des gendarmes, un griot, etc. Cette structure hiérarchique est
cependant abandonnée dès la fin de la fête et n'a aucune autre influence
sur le fonctionnement des classes d'âge par la suite 13.
nor'i1!cL?d^ar?0UVë,,ni,''nePhé- récproques en rapport avec leurs litres
un m eu r oV P e d « N socia,e
,gcna mais dans
' Les &*»■ Vn ( S.x f oF.r d N AUniversity
D « , A Black By**-
press L
SSÄÄSS*" avoir des
- "-" ° '
nt comportements 1946), p. 391.
I46
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALÏNKÉ

6. Attributs et privilèges.
Nous avons vu précédemment que les D sont les « propriétaires »
de la place publique du village et d'un lit de repos à l'ombre des
grands fromagers. Ils sont aussi propriétaires du grand tambour
(tantanba), tambour à 3 ou 4 pieds d'une hauteur totale de 80 cm
environ, creusé dans un tronc d'arbre et recouvert d'une peau d'animal
sauvage, biche ou antilope. Les non-circoncis et les femmes n'ont
pas le droit de battre ce tambour et nul autre ne peut le faire sans
l'accord d'un des membres du groupe D. La batterie comporte
au moins trois autres tambours de formes différentes : dinbe zvaran-o
kutiro et dundun-o. Les deux premiers appartiennent aux A et les
autres aux B. Les membres de ces classes ont priorité pour en jouer
mais les membres des autres classes et même les non-circoncis peuvent
aussi le faire. Lorsque les peaux des tambours doivent être changées,
il appartient à leurs propriétaires de les remplacer. Ils le font habi­
tuellement en effectuant un travail collectif d'une demi-journée chez
quelqu'un qui peut disposer d'une de ces peaux.
Le port des masques est le privilège premier des B et des A. S'ils
le désirent, les C et les D peuvent aussi se masquer, mais ils le font
plus rarement. Le port de certains masques est contrôlé par certains
individus parce qu'eux-mêmes ou leurs ancêtres ont été les premiers
à les introduire dans un village, mais leur sortie ainsi que celle des
autres masques est contrôlée par les D et par les vieux du village.
De même, la plupart des fêtes « appartiennent » à une ou plusieurs
classes d'âge qui ont la charge de les organiser. Voici une liste non
exhaustive de quelques fêtes avec les classes d'âge chargées de les
organiser :

Nom de la fête « Propriétaires » et organisateurs.


Dir in Fa (guêpes rassasiées). Se danse à la fin de la saison des
pluies. Le jour de la première
danse est fixé par les D. Aupara­
vant les A masculins doivent
désherber la place publique. Ce
sont les A qui inaugurent la
danse.

Makakulo Nyarandin (faire des- A lieu après la récolte du maïs.


cendre les épis de maïs). Sortie de masques et danse.
Organisée par les B masculins.

147
',i i . Al RIQ1 l. DE L'ut I i

,1,1 de lafêu "Propriétmet " ,/ , „ ; , i n i l n h


Nyatnbt Sùt-o (creu de Appartient aux homme« D
tame). L'igname «m '
les B mas« uliii. et - un p a i
-I- même

munta, Le groupe A deafemmt ,,,„


le ."ii ave« le griol pout file
< oton. On fail à tout de :
soir apr< i oit le tour .le cha
■ "i, on de . membre« de A.

St Don-o (danse de la nuit) Organi ié< pai V \ m< mbn


deux < la •• i A.

Si Don Dolo Fake (bu ><■ en rem­ ni


pli ement de la dan « de la nuit).

/,/ ßarö Dundino (l'entrée de Oi ' pendant la Bai ion h be


celles qui travaillent pom les par le i père i » des i ta
" pèn ) de femmes pout lee remercie!
d'avoir travaillé dans li
i hamp..

Ha-Aro fin. I' , amend) Propriété dea \> ma« ulins. H.


« onsomment a cette o< le
pr< tations annuelles (i I riz,
mil) V<T éi i pat i' • i la
femm< i.

Bantanba San-o (l'achat de la Fêtée pai I' > class« i d'homm« '
plai i et i>. Organi <.■<■ pat l< i ( 'I111
iennent h.

Comnumdan Tulun (l'amusement Organi >ée par li . membri i de B


-In commandant), - ulin,

:
dan* . sont don« la propriété presqu
■•"■■ l ela n'empêche pas les femmi particule
!;1
" i""" fenua i et les jeunes fill, i d'apporter leur coi
148
I ( H E L O N S D AGE CHEZ LES MALINKÉ

pour la préparation de la nourriture et aussi de la bière 13 et de par­


ticiper aux danses.
Finalement, les D ont droit à une part spéciale de bière, en plus
de leur part normale, dans tous les travaux collectifs auxquels ils
participent, de même qu'à un morceau supplémentaire de viande
(busunanu) d'un bovin abattu à l'occasion d'un travail collectif
ou immolé en sacrifice. Par contre, ils ont l'obligation de participer
en tant que groupe à tout travail collectif destiné à dédommager le
propriétaire qui a fourni l'animal.

7. Rapports des classes d'âge entre elles et avec les autorités.

Il ressort de ce qui précède que la classe d'âge masculine D, celle


des bantanba tiro-hty est la plus importante des deux systèmes de
groupes d'âge. T o u s les groupes masculins inférieurs, de même que
les groupes féminins, lui sont subordonnés. Les membres de cette
classe ont préséance sur leurs cadets et ont autorité sur eux dans les
domaines qui sont de leur ressort. Les membres de D masculin
n'ont pas autorité, toutefois, sur les membres des groupes Z. Les
vieux du village sont leurs conseillers. Pour les décisions importantes
les deux groupes doivent être d'accord.
Les rapports entre groupes d'âge sont des rapports de rivalité
d'autorité 15. Les aînés peuvent exiger des prestations de travail et
imposer à leurs cadets des amendes en cas de négligence ou de manque
de respect. Seul le groupe a, à cause du très jeune âge de ses membres,
est dégagé de toute obligation vis-à-vis de ses aînés. Déjà les plus
âgés du groupe b doivent fournir deux poulets aux D lors de la fête
annuelle Ha-Aro et aider à la fabrication de trois types de masques
(sikay tunturu-nyan, sambu-nyarandin). Les C doivent aller en
brousse chercher du miel sauvage à la demande des D. Ils doivent
aussi leur préparer de l'hydromel pour la fête de Ha-Aro et aider
à la préparation de tous les masques. Les A et les B peuvent comman­
der leurs cadets b et c et les frapper en cas de refus d'obéissance.
Comme leurs cadets immédiats, les A doivent aller en brousse cueillir
du miel sauvage pour les D . T a n t qu'ils n'ont pas fini de verser les
prestations de bière de mil pour l'achat de la place, les B peuvent

13- La bière peut être aussi préparée par 15. Il n'y a pas ici de correspondance
les hommes, en particulier lors de certaines entre les classes alternes ni de rapports de
fêtes telles que bantanba san-o. Iures n à a fils ».
14. Une partie du dos d e l'animal.

>4 ( )
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

aussi être envoyés en brousse par les D. Les versements terminés


on « leur laisse la paix ». Les membres de cette classe sont les « conseil­
lers » des groupes d'âge inférieurs. Les C, pour leur part, sont les
« interprètes », les « intermédiaires » des D. Ces derniers ne les envoient
plus en brousse, mais ils peuvent leur imposer des amendes de noix
de cola. Comme on peut s'y attendre, la rivalité est grande entre ces
deux dernières classes, principalement à l'approche de la fête de
changement d'échelons, car les C n'ont d'autre ambition que de
déloger les D de leur situation privilégiée, pour prendre leur place.
Il n'y a pas de rivalités semblables entre les membres des groupes
féminins, même entre C et D, car le groupe D n'a guère plus d'impor­
tance que les autres. Cependant, les membres des groupes inférieurs
doivent respect à leurs aînées. Par ailleurs, comme il a été mentionné
précédemment, les classes d'âge de femmes sont soumises à l'auto­
rité du chef de la classe masculine D et par extension aux membres
de cette classe. Finalement, les membres des boro féminins ont cer­
tains devoirs vis-à-vis de leurs « époux » des boro masculins corres­
pondants. Elles doivent, entre autres, leur préparer de la nourriture
lors de leurs fêtes propres.
Le chef de village n'a aucune autorité directe sur les groupes d'âge,
car c'est essentiellement la classe masculine D qui domine les deux
systèmes de groupes d'âge. Cependant, aucune décision importante
mettant en cause les groupes d'âge ne saurait être prise sans l'accord
du chef et des vieillards, parmi lesquels on trouve aussi les chefs
de lignages et de concessions. Il y a rarement conflit important lors
des prises de décision, car la tradition détermine encore les conduites
de chacun. Les systèmes des classes d'âge sont par ailleurs complète­
ment indépendants du système lignager. Comme l'a fait remarquer
Eisenstadt "\ les groupes d'âge, chez les Malinké animistes de Kédou-
gou, instituent l'égalité entre leurs membres par opposition aux
groupes lignagers dont les membres sont fortement hiérarchisés
selon l'âge et la position de chacun dans le lignage.

8. Fonctions des classes d'âge.

a. Éducatrices et sociaUsatrices. En dehors du cadre familial élargi,


groupe d'âge jouent un rôle non négligeable, bien que d'une

clncranL to fiÜ ,E,SENS™T- From Les classes d'âge en Afrique d< VOueSt cours
: R UtledRe & Pr
■ au, LonïT J ° °fessé à V
*™** p ™ * > u e des Hautes Étude,,
FF J4 17 et p. 248, aussi Denise PAULME,

*5°
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALINKÉ

façon plus diffuse, dans l'éducation et la socialisation de ses membres.


Ils les habituent à des activités communes selon un mode de parti­
cipation qui n'est pas basé sur l'appartenance à un même groupe de
parenté. C'est dans ce cadre du groupe d'âge que jeunes gens et
jeunes filles poursuivent leur apprentissage des techniques agri­
coles lors des travaux collectifs et que les garçons sont initiés aux
différents masques. Les groupes d'âge jouent aussi un rôle essentiel,
sinon exclusif, dans l'organisation des loisirs villageois à l'occasion
des nombreuses fêtes, danses et sorties de masques qui se succèdent
tout au long du cycle rituel annuel. Aussi n'est-il pas surprenant
de voir nombre de fêtes abandonnées ou célébrées sans faste dans les
villages où l'organisation en groupes d'âge est en voie d'abandon
et d'y remarquer une tendance à l'individualisme qui se traduit par
le fractionnement des groupes lignagers de résidence en petites unités
familiales et par l'abandon des travaux effectués sur une base collec­
tive au niveau du village.

b. Politiques. Au début de cet exposé, le chef de village a été décrit


comme étant principalement un chef religieux et un intermédiaire
entre ses co-villageois et l'administration. Bien que l'importance de
la chefferie varie d'un village à l'autre selon la personnalité de son
détenteur, l'autorité de ce dernier n'est jamais sans partage. Il ne peut
prendre aucune décision concernant l'ensemble du village sans avoir
consulté au préalable les chefs de concessions, les vieillards et, pour
certaines questions, les membres de la classe masculine D. Ceux-ci,
sous la conduite de leur chef, exercent une autorité non négligeable —
compte tenu du fait que dans ces petites sociétés villageoises le poli­
tique est réduit à assez peu de choses — dans certains domaines précis :
contrôle de la célébration des fêtes et de la sortie des masques, respect
des coutumes, entretien des « rues » du village et de la place publique.
De façon générale, le maintien de l'ordre public est de leur ressort.
Cette réalité trouve son expression dans les deux opinions suivantes :
« dans le village, ce sont les bantanba tiro-lu (classe D) qui font la
loi »; « après le chef du village, ce sont les bantanba tiro-lu qui
commandent ». On peut penser dans ce cas à une autorité politique de
type collégial en tenant compte cependant des limites pratiques de
cette autorité.

c. Économiques. Une des fonctions les plus importantes, sinon la


plus importante, des groupes d'âge est de fournir une main-d'œuvre
pour les travaux collectifs (bara dyoula). Il s'agit en majeure partie
de travaux agricoles qui ont lieu pendant la saison des pluies, princi-

I5 1
( i \S5ES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

paiement au tnomenl des semailles et des sarclages. Il existe plus de


\o noms différents pour désigner ces travaux collectifs suivant la
nature du travail, la nature des contre -prestations fournies p a r le
propriétaire du champ, les groupes de travailleurs. Du point de vue
des classes d'âge, cependant, on peut les diviser en deux grandes
catégories : les travaux auxquels participent un ou plusieurs groupes
d'âge m tant que tels; les travaux auxquels aucun groupe d'âge en
particulier n'est invité. Les travaux de la première catégorie sont plus
fréquents chez les femmes. En effet, pendant l'année qui précède leur
excision, les jeunes filles doivent travailler à trois reprises dans les
champs de leurs mères respectives et travailler trois fois dans le champ
de leur « père » de classe d'âge. Ainsi, au village de Bantata, pendant
la saison des pluies 1968, un groupe de 9 jeunes filles devant être
excisées au printemps de 1969 a fourni au moins 30 journées de travail
collectif. Les membres des trois autres classes de femmes ont l'habitude
île travailler à tour de rôle dans les rizières de chacune d'entre elles.
Elles douent en plus travailler au moins une fois par année dans les
champs de leur « père ». Chez les hommes, ce sont principalement les A
et les H (|iii exécutent des travaux collectifs de la première catégorie.
Ils le font principalement pour obtenir le mil nécessaire à la fabrication
de la bière qu'ils doivent offrir aux D pour l'achat de la place du village.
I )e plus les \i, lorsqu'ils sont suffisamment nombreux, peuvent effec-
tuer un grand travail collectif appelé ninsi baro (« travail d'un bovin »)
qui dure trois jours et pour lequel ils reçoivent un bœuf qui est tué
lors de leur fête Commandern Tulun. Les membres des deux classes
masculines supérieures participent moins souvent en tant que groupes
à des travaux de cette premiere catégorie.
Les travaux de la seconde catégorie sont plus nombreux. Ils sont
aussi plus importants tant par le nombre des participants que par la
valeur des eontre-prestations fournies. Toutefois, lorsqu'il désire
avoir un grand nombre de travailleurs, le propriétaire du champ
concerné fera inviter chaque classe d'âge par son chef.
Voici en bref comment les choses se passent. Le (ou la) propriétaire
d" champ s'adresse à un intermédiaire (madyo) qu'il charge de faire
1
■•demar« l,es en son nom. On choisit généralement un ami ou quel-
(|
" "" <l(' débrouillard pour qu'il attire un grand nombre de travailleurs.
«Dons intermédiaires sont connus dans un village et, en pratique,
0
J« presque toujours appel aux mêmes individus. L'intermédiaire
est OCdommagé de ses peines par un cadeau (par ex. un poulet ou
connaît 'm" " A) 1C J 0 U r d u t r a v a i l - Le propriétaire du champ fait
* * » « a 1 mtermed.a.re le nombre approximatif de travailleurs qu'il
IS2
ÉCHELONS D'ÂGE CHEZ LES MALINKÉ

aimerait avoir, de même que les contre-prestations qu'il est prêt à


fournir : nourriture, bière et/ou hydromel, cola, tabac, poulet, chèvre,
présence de masques, de joueurs de tambour ou du griot. L'intermé­
diaire se tourne alors vers les gens du village et principalement les chefs
de classes d'âge et demande leur avis. Guide par leurs réponses, il
fixe la date propice pour attirer le maximum de travailleurs. La date
des travaux doit souvent être prévue deux à trois semaines à l'avance
tellement le calendrier des travaux agricoles est rempli. Il appartient
au propriétaire du champ de veiller à la bonne marche des préparatifs :
fabrication de bière, préparation de nourriture, achat éventuel de colas
ou d'un poulet ou d'une chèvre. Si le travail est important, il fait appel
à ses parents pour l'aider. L'invitation des masques de culture Bedik
est l'affaire de l'intermédiaire. Le tarif est de l'ordre de 500 francs CFA
pour deux masques.
Les travaux agricoles collectifs réunissent de 2 à 80 individus. Un
travail de moyenne importance — ce sont les plus fréquents —
rassemble de 20 à 30 travailleurs. Le travail commence vers 9 h du
matin au début de la saison agricole, vers 10 ou 11 h en fin de saison
alors que la fatigue accumulée se fait sentir. Le travail du matin est le
plus efficace. Après deux heures de travail environ, on s'arrête pour le
repas du midi et pour boire. Les travailleurs se rassemblent par sexes
et par groupes d'âge à l'ombre des arbres et chaque groupe reçoit sa
part de nourriture et de boisson. La durée de ce premier arrêt est
d'environ une heure. Il y a deux autres arrêts de travail dans l'après-
midi pour boire à nouveau. Plus la boisson est abondante, moins le
travail de l'après-midi est efficace. Lors des travaux particulièrement
importants, alors que la bière et l'hydromel coulent à flot, le travail
tourne en fête joyeuse. Par contre il y a souvent émulation de travail
chez les jeunes gens entre membres d'un même groupe ou entre
membres de groupes voisins. Le rythme du travail devient alors
endiablé surtout lorsqu'il y a des masques, des batteurs de tambour ou
un griot pour soutenir ce rythme. Selon l'importance des prestations
fournies par le propriétaire du champ, le travail se termine vers 17 h
ou vers 19 h, à la tombée de la nuit. La plupart des travaux collectifs
durent une journée complète, mais il y en a qui ne durent qu'une demi-
journée. Pour obtenir un bovin, on doit travailler pendant deux jours
et demi ou trois jours, consécutifs ou non.
Les travaux de la première catégorie ne coûtent pas très cher au
propriétaire du champ qui ne fournit habituellement que la nourriture
et un peu de bière et/ou d'hydromel aux travailleurs. Il s'agit la plupart
du temps des travaux statutaires obligatoires dans le cadre du système

153
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

des classes d'âge : les travaux pour les « pères », travaux des futures
excisées travaux d'entraide entre membres d'une même classe. Il n'en
va pas de même pour les travaux de la seconde catégorie et il existe
même une espèce d'émulation entre les propriétaires, à savoir qui aura
réuni le plus grand nombre de travailleurs durant la saison agricole.
D'autre part, manquer de nourriture ou de bière à offrir est une honte
pour un agriculteur. Le rendement économique de tels travaux n'est
pas toujours avantageux. Par exemple, le plus grand travail collectif
qui eut lieu à Bantata pendant la saison des pluies 1968 réunit 75 travail-
eurs pour sarcler un champ de mil de moins d'un hectare; il coûta
plus de 10 000 F CFA au propriétaire du champ alors que la récolte
attendue pouvait être évaluée au maximum à 20 000 F CFA. Les
cultivateurs ne font évidemment pas un tel calcul, car le travail collectif
est autant une manifestation de solidarité sociale qu'une entreprise
économique, ce qui nous ramène encore au rôle éminemment social
des classes d'âge.
Outre les travaux agricoles, on peut faire appel aux groupes d'âge
pour les différentes opérations de construction des cases (coupe et
transport des graminées et des bambous, fabrication des murs et du
toit, pose du toit), pour le désherbage des sentiers et de la place
publique, pour nettoyer le village, pour la construction des plates-formes
de repos sous les fromagers. A la fin de la saison des pluies les A mascu­
lins doivent désherber et nettoyer la place publique à deux reprises.
A la seconde reprise, les membres de ce groupe avec les filles du groupe-
correspondant sont les premiers à danser la danse Dirin Fa que l'on
peut danser par la suite jusqu'à la fête Nyambi Sin-o qui a lieu en
janvier.
En saison des pluies, il y a des travaux collectifs tous les jours dans
les villages animistes et on peut donc parler ici d'une agriculture
collective. Dans les villages en voie d'islamisation, les travaux collectifs,
surtout ceux de la seconde catégorie, sont beaucoup moins importants
et l'agriculture est plus individualiste. Toutefois, dans ces villages, les
travaux collectifs exécutés par les groupes de femmes se maintiennent.
I ar ailleurs, les groupes d'hommes les plus jeunes, particulièrement
celui des B, y ont tendance à louer leur force de travail contre de l'argent
a des agriculteurs plus fortunés. Dans un de ces villages, les B mascu­
lins cultivent un champ d'arachide collectif d'environ un demi hectare
dont es profits doivent leur revenir. Ici apparaît l'amorce d'une
nouvelle fonction économique des classes d'âge
d. Guerrières Les Malinké de Bandafassi n'ont pas fait la guerre
ûepuis plus de 60 ans. Les seuls renseignements obtenus sur ce sujet
'54
ÉCHELONS D ' Â G E C H E Z LES MALINKÉ

sont les suivants. Il semble que c'étaient les membres de la classe D —


sans doute avec l'accord du chef de village et des vieillards — qui déci­
daient d'entrer en guerre. Les C formaient leurs troupes de choc.
En cas d'échec, les membres des deux classes inférieures se joignaient
à eux sous la direction des D pour une nouvelle offensive. Plusieurs
villages pouvaient aussi réunir leurs troupes pour faire face à un
ennemi commun, le plus souvent des Peul venant du Fouta Djalon
ou du Bondou. Certains villages malinké, par ailleurs, se sont faits
une solide réputation de pillards de caravanes au xvin e et au xix e
siècles.
Il est inutile d'insister davantage sur l'importance des boro comme
éléments structurels des villages malinké animistes de la région de
Kédougou. En effet, tous les habitants d'un village, hommes et
femmes, qui sont âgés de moins de 40 ans font partie d'un boro. Par
ailleurs, la majeure partie des activités économiques et sociales d'un
village s'accomplit dans les cadres des groupes d'âge. Dans les villages
influencés par l'islam, cependant, l'organisation en classes d'âge est en
nette régression. Chez les hommes, seuls les groupes de jeunes gens
sont actifs et ils ont tendance à devenir exclusivement des groupes
louant leur force de travail. T e l est le cas en particulier d'un village,
celui de Nyemeneki, dans lequel furent effectuées des études approfon­
dies en 1966 17 . Il faut rapprocher ces groupes de jeunes travailleurs des
« sociétés de culture » ou ton des Malinké et des Bambara du Mali
décrites par plusieurs auteurs, particulièrement par Emile Leynaud 18.
Il est à remarquer que ce dernier auteur n'utilise à aucun moment
dans son texte le terme « classe d'âge ». Reste à savoir si, dans son
esprit, « fraternité d'âge » et « classe d'âge » ont une connotation
identique. Pour sa part, Youssouf Cisse 19, lui-même Malinké et qui a
travaillé avec M. Leynaud, affirme que les kart 20 qui groupent 7 pro­
motions annuelles successives de circoncis forment des classes d'âge
dont les membres sont unis et se doivent assistance jusqu'à la mort.

17- Cf. Paul C H A R E S T , Relations inter« sans d a t e , 107 p . ; H e n r i LABOURET, Les


ethniques et d é v e l o p p e m e n t d a n s l'agglo­ Manditigues et leur langue (Larose, Paris,
mération de Nyemeneki-Segueko-Touba 1934), p p . 91-100; Solange de GANAY, Les
Diakha, Cahiers d u C e n t r e d e r e c h e r c h e s c o m m u n a u t é s d'entraide d e s Bambaras d u
anthropologiques, n o s 9 et 10, in Bulletins S o u d a n français, in Selected Papers of the
et mémoires de la Société d'anthropologie Fifth International Congress of Anthropolo­
de Paris, V O 9 6 9 ) , 101-229. gical and Ethnological Sciences (Philadelphie,
18. Cf. Emile L E Y N A U D , F r a t e r n i t é s d'âge 1956), p p . 424-429.
et sociétés de culture d a n s la H a u t e - 19. L o r s d ' u n e communication person­
Vallée du Niger, in Cahiers d'études afri­ nelle, le 21 mai 1969.
caines, 21, I V ( i 9 6 6 ) , p p . 4 1 - 6 S ; R É P U B L I Q U E 20. Cf. Emile L E Y N A U D , op. cit. p, 47-
DE MALI, Enquête agricole au Mali. — 1960,

*5$
CLASSES D'ÂGE EN AFRIQUE DE L'OUEST

La connaissance de la structure et des fonctions des kari mé t


d'être approfondie car Leynaud ne s'y attarde pas (pp. 4 7 ^ -J Crait
s'intéresser davantage aux ton qui semblent occuper une place ^T*
importante dans l'organisation socio-économique des Malinké d ?
Haute-Vallée du Niger. Les kari et les ton décrits sont très diff ' ^
des boro des Malinké de Kédougou. Par contre, ce dernier s y s t ^
ressemble étrangement à celui des Bolon de Haute-Volta d'o ' ^
malinké, décrit par le R. P. Jaquinod 21. On y retrouve égale ^
quatre classes d'âge (kuru) actives, coiffées par le groupe des vieilla^
agissant comme conseillers. Les âges des membres des classes à n t&
de la circoncision, correspondent sensiblement d'un système à l'aut ^
Chaque classe a aussi des responsabilités sociales et économiques bien
définies. Les classes d'âge masculines inférieures se réunissent en
sociétés de culture (ton sene). Bien qu'il ne semble pas y avoir de
classes féminines, certaines femmes sont initiées aux masques.
Tout en acceptant le fait que les Malinké de Kédougou ceux de la
Haute-Vallée du Niger et les Bolon diffèrent sensiblement entre eux
bien que de souche commune, on peut, à partir de ces trois cas connus'
poser 1 hypothèse suivante : les ton ou « sociétés de culture » ne seraient-
Us pas k résultat d'un processus de transformation d'un système de
classes d age plus complexe en groupes de travail ? Seule une connais­
sance plus approfondie des différents groupes malinké dispersés dans
1 Afrique de 1 Ouest permettra d'apporter une réponse.

Vous aimerez peut-être aussi