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LA COLOMBIE Á L´AUBE DU TROISIÉME

MILLÉNAIRE

Jean-Michel Blanquer et Christian Gros (dir.)


• diteur : Éditions de l’IHEAL

• Collection : Travaux et mémoires

• Lieu d’édition : Paris

• Année d’édition : 1996

Chapitre 11. Un ajustement à visage indien


Christian Gros

• * Professeur de sociologie, Institut des hautes études de l'Amérique latine, Université de


la Sorbon (...)

1Note portant sur l’auteur*

• 1 Chiffre officiel et... provisoire en l’absence d’un recensement récent digne de confiance.
Les org (...)

2Colombie, pays métis ! Qui ne souscrirait à cette définition quand on compare ce pays à
ses voisins andins : Équateur, Pérou, Bolivie. Ici, la population indienne des hauts
plateaux du Cundinamarca et Boyaca, celle qui faisait masse à l’arrivée des Espagnols,
a depuis longtemps déserté son indianité alors que le Chibcha était avec le Quichua une
des rares langues amérindiennes à avoir dans la Nouvelle-Grenade le statut de lengua-
géral et était enseignée aux curés doctrinaires. Comme, par ailleurs, on ne trouve pas de
forts contingents de migrants européens ou asiatiques qui seraient venus coloniser la
région à la fin du siècle dernier ou plus récemment, force est de penser que le métissage
s’est fait essentiellement sur les hauts plateaux entre Indiens et Créoles, ce qui donne à
ce pays un caractère bien particulier. La Colombie serait donc l’exemple d’une
miscégénation réussie. Les 610 000 personnes1, 1,7 % de la population, officiellement
recensées comme “indiennes,” traduiraient bien par leur faiblesse numérique un tel
phénomène. On pourrait croire que l’on se dirige à grands pas vers l’assimilation totale
des derniers descendants amérindiens.

Pourtant, vingt-sept départements sur trente deux ont sur leur sol une population indigène.
Dans le Guania, le Vichada et le Vaupes, celle-ci constitue même les 96,9 %, 82 % et
47,8 % de la population locale. Il est vrai qu’il s’agit là de régions périphériques très peu
peuplées et promues tout récemment au rang de département. Mais dans le Cauca ou
dans la Guajira, avec des contingents importants de 137 000 et 135 000 individus, elle ne
représente pas moins de 14 et 36 % de la population locale. Mieux encore, la carte
foncière du pays nous indique que plus du quart de la surface (27 millions d’hectares)
appartient légalement à des communautés indigènes. Territoire gigantesque mais
terriblement morcelé : certaines communautés sont réduites à quelques centaines
d’hectares alors que d’autres occupent d’immenses régions : 76,6 % du département
d’Amazonas, 55,4 % du Vaupes, 60,6 % de la Guajira, 96,8 % du Guanïa.

4A ce constat paradoxal pour un pays qui se pense et se veut essentiellement métis


s’ajoute la redécouverte d’une population noire, longtemps “invisible” en sa couleur, et qui
est beaucoup plus nombreuse que la population amérindienne : la plus importante
population noire de l’Amérique du sud après celle du Brésil, soit environ six millions de
personnes ! La reconnaissance constitutionnelle, en 1991, d’une Colombie multi-ethnique
et pluriculturelle n’est donc pas gratuite : elle vient en quelque sorte prendre en charge
une réalité sociologique longtemps occultée par le discours dominant de l’hispanité et du
métissage.

Cette Colombie “indienne” est par ailleurs d’une richesse singulière. On n’identifie pas
moins de 81 groupes ethniques dans le pays, parlant quelques 66 langues amérindiennes
: une véritable mosaïque faite de groupes petits - réduits parfois à une poignée
d’individus2 - ou grands - comme dans la Guajira ou dans le Cauca -, et qui occupe les
espaces les plus divers : du désert côtier de la Guajira, aux montagnes les plus hautes
des Andes ; des forêts du Pacifiques et de l’Amazonie, aux immenses savanes de
l’Orénoque ; des frontières politiques du pays à ses vallées et hauts plateaux centraux.
Et qui dit diversité des milieux, des cultures et des langues, dit aussi pluralité des histoires
et des économies. Résistant les armes à la main, les Wayuu de la Guarija ont très tôt
bouleversé leur mode de vie par l’adoption de l’élevage caprin et le recours à la
contrebande ; il faudra attendre ce siècle pour que leur territoire s’ouvre réellement
aux arijuna (les Blancs), et encore bénéficient-ils d’une très grande autonomie de fait.
Leurs voisins Arhuaco, Kogui, Arsario, solidement installés sur les versants de la Sierra
Nevada ont connu l’encomienda coloniale, la présence missionnaire et, pour certains, le
travail dans les plantations de bananes de la United Fruit au début du siècle ; plus
récemment, une forte poussée des colons attirés par la qualité de terres propices à
l’élevage, au café et à la marijuana est venue empiéter leurs frontières territoriales. Ils
n’en restent pas moins les défenseurs obstinés d’une culture dominée par l’autorité
spirituelle de leurs prêtres : les marnas (ou mamos). La population Embera et Wounaan
du Pacifique a pu compter sur une forêt difficilement pénétrable et l’absence de réseau
routier pour protéger ses tambos des envahisseurs. Elle partage son territoire avec une
nombreuse population noire réfugiée de l’esclavage et/ou venue pour exploiter le bois et
l’or, ce qui ne va pas sans quelques tensions ou conflits. Embera et Wounaan se trouvent
aujourd’hui confrontés à la dévastation perpétrée par les entreprises forestières et
minières et doivent faire face au Plan Pacifico, d’ouverture économique du gouvernement
(route panaméricaine, port en eau profonde de Tribuga,...). La région souffre aussi de
l’entrée récente de groupes de guérillas. Dans le Cauca, sur la cordillère centrale, Paez
et Guambiano ont investi depuis plusieurs siècles le moule colonial du resguardo3 et,
depuis lors, vivent comme des paysanneries indiennes suivant peu ou prou le modèle qui
massivement occupe les hautes terres de l’Équateur ou du Pérou. Leur tradition guerrière
(surtout pour les Paez) associée au désir d’indépendance et à la spoliation de leurs terres
par les familles aristocratiques de Popayan les ont amenés à de nombreuses révoltes, la
plus connue étant celle dirigée par Manuel Quintín Lame au début du siècle, révolte qui
préfigure la reconquête des terres menées à partir des années 70 dans la même région.
Situation voisine pour les populations indiennes, Pasto, Kamsà, et Ingano, installées sur
les marges de l’ancien empire inca dans le Narino et le Haut Putumayo à la frontière de
l’Équateur. Les horticulteurs sur brûlis qui pratiquent aussi la chasse et la pêche dans les
immenses territoires de l’Amazonie colombienne n’ont jamais été des paysans. Pour cette
population, la présence du Blanc prendra longtemps les traits du missionnaire et du
colporteur, quand ce ne sera pas celle, combien terrible, des patrons du caoutchouc.
Aujourd’hui, alors qu’elle se récupère lentement du désastre démographique provoqué
par les épidémies et le travail forcé du latex, elle est diversement touchée par l’avancée
colonisatrice, le boom de la cocaïne et l’orpaillage. Si la base de son économie demeure
pratiquement inchangée, il lui faut désormais trouver les moyens d’échange pour
satisfaire une consommation croissante de produits introduits par les Blancs. Quant aux
Sikuani vivant traditionnellement le long des tributaires de l’Orénoque, ils ont dû, sous la
poussée continue des éleveurs, abandonner pour la plupart un mode de vie itinérant
adapté à une économie de cueillette. Sédentarisés, ils affrontent désormais une difficile
reconversion de leur économie en direction de l’élevage : la forêt galerie, un écosystème
particulièrement fragile dont ils dépendaient pour leur alimentation, s’épuise. Et il faudrait
citer aussi le cas d’une multitude de petits groupes (Zenue, Bari, U’wa, Tunebo, Cuna,
etc.) situés aux quatre coins du pays et diversement articulés à l’économie nationale
comme producteurs vivriers, salariés temporaires des plantations, groupes souvent
réduits à la misère du fait de la dégradation de leur environnement et de la perte de leurs
terres.

LE RENOUVEAU INDIGÈNE

6Ce monde indigène si divers en lui-même par la multiplicité de ses cultures, de son
économie, de son histoire, est un monde désormais très largement organisé. Rares sont
les communautés indigènes qui ne participent pas de près ou de loin à des fédérations
ou conseils régionaux, eux-mêmes rassemblés dans des organisations de deuxième
degré au niveau national : l’ONIC, créée en 1982 et qui réunit la plus large part des
organisations indigènes, et l’AICO qui vient sur un projet différent associer un certain
nombre de communautés andines.

• 4 En une vingtaine d’années la récupération des terres indigènes dans le département


s’aparentera à (...)
7Il n’en a pas toujours été ainsi. Le premier conseil régional indigène est créé en 1971
dans le département du Cauca alors qu’en Colombie comme dans les pays voisins la
question ethnique semble appartenir au passé. A son apparition, il peut être interprété
comme la variante indigène du vaste mouvement paysan centré autour de la réforme
agraire que connaît le pays. Le Cric porte en effet l’étendard de la récupération des terres
indigènes spoliées par les haciendas voisines et lutte contre le travail gratuit (terraje) qui
y sévit4. Mais les années passant, le mouvement gagnera des populations indiennes qui
ne connaissent pas les mêmes problèmes : ainsi, dans les basses terres, le Criva (Conseil
régional indigène du Vaupes) sera créé en 1973 par des promoteurs formés par la
préfecture apostolique. La région est alors largement épargnée par la vague colonisatrice
mais directement touchée par la crise des cultures indiennes sous l’effet du prosélytisme
missionnaire (catholique et protestant). Dans le Choco, l’OREWA (organisation régionale
Embera et Wounaan) créée sous l’impulsion d’étudiants indigènes appuyés par l’Église,
naîtra huit ans plus tard.

8Comment expliquer cette multiplication des organisations indigènes - on en compte


aujourd’hui près d’une trentaine -, en saisissant contraste avec le processus de
désagrégation qui touche durant la même période le mouvement paysan ? Les facteurs
sont multiples et leur portée explicative inégale suivant les groupes et les régions. Pour
ne retenir que les plus significatifs, évoquons d’abord la question des terres indigènes et
de leur statut juridique. Si tous les groupes ne souffrent pas également du manque de
terres et de la colonisation, il n’y en a pas qui ne s’identifie à sa manière avec un territoire
et ne soit soucieux d’en réguler l’accès. Aussi, qu’il s’agisse de récupérer des propriétés
accaparées par des Blancs ou d’assurer aux yeux de la loi colombienne les frontières de
leurs territoires traditionnels, espace de vie et de culture, la question des terres et de leur
statut devient vite pour tous un enjeu central. Enjeu d’autant plus fort que la loi 89 de 1890
exhumée par le mouvement indigène offre un terrain juridique favorable à la
reconnaissance d’une territorialité indigène pour qui sait s’en emparer et l’utiliser.

9La revendication culturelle, associée à la défense de la langue et à une demande


d’éducation bilingue et “biculturelle”, constitue à n’en pas douter un autre point fort d’une
mobilisation qui se fait au nom d’une identité et d’une histoire. Affirmation d’une identité
“positive” pour des peuples bafoués et humiliés, droit au respect et à la dignité. Mais aussi
plus largement une volonté de changement et d’intégration qui se traduisent dans de
multiples demandes (économie, santé, services publics, éducation...). Le mouvement
indien qui se développe dans le pays n’est pas que défensif, les derniers soubresauts
d’un monde qui se meurt. Il saura progressivement allier expressivité et capacité
instrumentale. Les années passant, il apprend à instrumentaliser sa “différence” pour
revendiquer une discrimination positive, le bénéfice des droit spécifiques que son histoire
et la législation colombienne lui confèrent. Appelant à l’État et au droit, contestant des
formes de domination et d’exploitation bien réelles, il s’inscrit à sa manière dans la
modernité et œuvre en faveur de l’intégration.

10A la tête de ces organisations, on trouvera à côté de quelques figures historiques une
nouvelle élite indigène, souvent jeune et presque toujours scolarisée. Ces nouveaux
dirigeants qui jouent le rôle de médiateur entre les communautés et la société dominante
ont souvent été formés dans les internats missionnaires. Ils témoignent d’une ouverture
progressive du monde indien en direction de la société globale, ouverture du champ
culturel qui ne va pas sans provoquer ses propres traumatismes et contradictions au sein
des cultures traditionnelles.

11On ne saurait par ailleurs passer sous silence le poids parfois décisif qu’ont joué dans
ce processus organisationnel des acteurs non indigènes. Signalons l’intervention de
l’Eglise catholique qui dans certaines régions a pratiqué son aggiornamento et a mis sur
pied une pastorale des peuples indigènes aux accents “libérateurs” (Vaupes, Choco,
Antioquia...)- Ailleurs, on trouvera des professionnels, généralement avocats, journalistes,
anthropologues, qui vont mettre leurs compétences au service de la cause indienne.
Signalons enfin dans un certain nombre de conseils régionaux (Cauca, Tolima...) la
présence déterminante de militants politiques issus d’une gauche non institutionnelle et
qui viennent travailler sur un front nouveau et prometteur. Assesseurs travaillant parfois
dans les coulisses, ayant parfois leurs propres ONG prestataires de services et qui
exerceront une influence profonde sur le mouvement ; assesseurs aujourd’hui souvent
contestés par une élite indienne de la deuxième génération qui, dix ou vingt ans après
ses aînés, a souvent pu accéder à l’Université (au travers d’un programme spécial promu
par le gouvernement) et qui désire employer ses compétences au service du mouvement
indigène...
Enfin, le mouvement va rapidement pouvoir compter sur un environnement international
qui évolue favorablement. La cause indienne est de plus en plus associée aux droits de
l’homme et des peuples et aux questions environnementales, deux des préoccupations
majeures de cette fin de siècle. Il recevra un appui logistique non négligeable des ONG
du Nord. Ce support international joue un rôle essentiel dans le financement des appareils
indigènes et de leurs actions (programmes d’éducation et de formation, de santé ou de
coopératives, réunions et congrès, etc.)5.

13Ce vaste ensemble formé d’organisations de différents "niveaux" (local, régional et


national) n’est pas sans failles ni conflits. Le monde des paysanneries indigènes de la
montagne a peu à voir avec celui des populations forestières ou celui
des Llanos colombiens et il serait surprenant que cette diversité d’expérience et de culture
ne se traduise pas en une multiplicité de modèles organisationnels, de programmes et de
stratégies. Une source permanente de tension au sein de l’ONIC, tient largement à sa
structure verticale et à la rigidité du modèle organisationnel proposé aux communautés
(modèle inspiré de celui qui avait fait le succès des mobilisations indiennes dans les
hautes terres du Cauca) ; elle tient aussi au poids donné à sa bureaucratie, à sa volonté
d’exercer une hégémonie à l’échelle du pays et à se présenter comme le canal de
médiation obligé des organisations de moindre niveau quand il s’agit de négocier avec
l’État. Autant d’éléments ayant contribué incontestablement à faire la force de cette
organisation, mais qui en ont fait aussi les limites.

14D’autres clivages sont aussi à l’œuvre au sein du mouvement, clivages qui ne peuvent
se résumer à des oppositions forêt-montagne et tiennent plus à des antagonismes
doctrinaux quand il ne s’agit pas seulement d’enjeux de pouvoir et d’état-major. Pour
simplifier à l’extrême, on signalera deux des grands courants qui dans les Andes
traversent la mobilisation indigène dans les années 80 : un courant plus “politisé” ou
“classiste” qui envisage le mouvement indigène comme un mouvement social se
constituant autour d’une identité générique et destiné à s’allier avec d’autres mouvements
populaires dans l’espoir d’un changement politique global, et un autre, plus centré sur
l’“indianité”, l’ethnicité et qui s’oriente sur la défense d’une histoire, de la culture et d’une
autonomie s’incarnant dans les autorités coutumières. Clivage important qu’on retrouvera
aujourd’hui, bien qu’exprimé avec moins de virulence, quand il s’agira de redessiner
l’architecture du mouvement indigène (centralisée, décentralisée, avec une
reconnaissance de grands blocs régionaux, etc.) ou de se prononcer sur la mise en place
d’une territorialité indigène prévue par la nouvelle constitution (cf. supra).

15Ajoutons que la fragmentation du mouvement indigène n’est le monopole d’aucune de


ses grandes composantes essentielles et qu’elle a pris un aspect plus aigu avec la
compétition politique qui s’est organisée au niveau national et régional dans le cadre des
institutions mises en place par la constitution de 1991. Les postes de sénateurs, députés,
maires et conseillers municipaux, qui sont désormais à la portée des candidats indigènes
suscitent bien des convoitises et mobilisent des énergies centrifuges peu propices à la
constitution d’un front indien unifié. Mais si les turbulences sont réelles au point que le
mouvement indigène semble désormais traverser une crise sérieuse, elles étaient
largement inévitables et doivent être considérées aussi comme un signe de pluralisme et
de vitalité. Le monde indigène peut se glorifier d’avoir en l’espace d’un quart de siècle
accompli une mutation aussi considérable qu’inattendue.

LES QUATRE PHASES DE LA POLITIQUE INDIGENISTE DU GOUVERNEMENT

Le surgissement d’un acteur indigène turbulent et revendicatif ne pouvait laisser


insensible l’État colombien ; D’autant que la législation en vigueur lui faisait une obligation
de protection : ici, depuis l’époque coloniale, les “sauvages en processus de
civilisation”6 sont sous tutelle de l’État.

17Grosso modo, on peut distinguer depuis 1970 quatre phases dans la politique
indigéniste de l’État et deux grandes régions : les régions de montagnes, où la population
indienne était organisée sous forme de resguardo, et les autres, où les communautés
indiennes étaient considérées comme vivant dans des baldios (terres libres appartenant
à la nation).
La première phase qui se termine en 1974 n’est que le prolongement du statu
quo antérieur. Dans les montagnes où subsistent encore des resguardos indigènes, l’État
reste favorable à leur dissolution (confiée à l’INCORA). Dans les “terres de mission”, qui
correspondent sous forme d’intendance et de commissariat à 64 % du pays, l’État s’en
remet à l’Église pour civiliser “ses” Indiens. En effet l’Église catholique a par le Convenio
de Misiones - signé en 1887 - la haute main sur le système éducatif et dispose d’un droit
de regard dans de nombreux domaines dépendant de l’autorité de l’État. Asuntos
Indigenas, l’agence indigéniste du gouvernement, est une officine dépendant du ministère
de l’Intérieur à vocation essentiellement clientéliste. Sa philosophie générale est toujours
celle de l’assimilation. Le gouvernement n’a pas pris la mesure de ce qui se prépare et
son attention est accaparée par l’agitation paysanne menée par l’ANUC7 qui règne alors
dans le pays autour de la réforme agraire. Le mouvement indien reste essentiellement
localisé dans le Cauca. Le CRIVA, la plus ancienne organisation indienne des basses
terres, n’apparaît qu’en 1973 et elle est alors sous l’influence de la préfecture apostolique
de Mitù.

19La deuxième phase commence avec la modification du Concordat : la loi 20 de 1974


enlève à l’Église son privilège éducatif sur les populations indiennes et vient créer
l’éducation par contrat. Elle se termine avec la politique répressive mise en œuvre par le
gouvernement Turbay Ayala (1978-1982).

20La décision de récupérer le contrôle de l’éducation est alors en partie symbolique :


l’État n’a pas les moyens de remplacer au pied levé les quelques 1 300 écoles tenues par
l’Église et va négocier avec elle des contrats éducatifs assurant un financement. Mais elle
concerne un domaine capital pour le devenir des cultures indiennes et traduit une volonté
de reprise en main (et une perte subséquente d’influence de l’Église). Sont surtout
concernées les populations indiennes des basses terres ayant fait l’expérience
douloureuse de l’internat indigène. En 1978, le décret 1142 viendra définir pour la
première fois les principes d’une éducation bilingue et biculturelle. Les langues
vernaculaires font leur entrée à l’école et les groupes indigènes ont désormais le droit
d’intervenir sur les programmes scolaires et sur le choix de leurs instituteurs.
Cette période s’ouvre aussi avec le premier rassemblement indien organisé à Bogota en
1974 par le secrétariat indigène de l’ANUC. Sur la place Bolivar, le pays étonné découvre
la diversité rassemblée des populations indiennes. Et le pouvoir constate que
l’effervescence a débordé les frontières du Cauca. Face au danger d’une radicalisation
du mouvement indien et à la multiplication des invasions de propriétés, le gouvernement
se raidit, laisse les propriétaires organiser des milices et tente la répression. Mais la base
juridique sur laquelle s’appuie le mouvement de récupération est solide : les terres
revendiquées étaient inaliénables et elles ont bien fait l’objet d’une spoliation. Il lui faut
souvent en fin de compte céder. Le gouvernement Turbay Ayala marque l’apogée de cette
stratégie répressive8. Fortement marqué par l’idéologie de la sécurité nationale, il
considère que la mobilisation indienne dans les hautes terres du Cauca ou du Tolima est
le résultat de menées subversives devant être durement combattues. Il est vrai que les
guérillas des FARC et du M19 sont présentes dans ces départements et que leur jonction
éventuelle avec un mouvement social a de quoi l’inquiéter. Le gouvernement tentera de
faire passer une nouveau statut de l’Indien lui permettant d’intervenir plus directement
dans les communautés, et de contrôler les appuis étrangers dont pourraient bénéficier les
conseils9. Ce projet rendrait caduque la loi 89 de 1890, celle qui est utilisée avec efficacité
dans la lutte pour la récupération des terres, la politique répressive du gouvernement
Turbay sera un échec : les prises de terres se poursuivent, les organisations indiennes
les plus combatives et donc les plus menacées résistent aux coups qui leur sont portés.
L’agitation gagne de nouvelles régions.

22Le gouvernement Betancur (1982) marque le début d’une troisième phase qui se
terminera avec l’adoption de la constitution de 1991 sous la présidence Gaviria. Ces dix
ans sont ceux d’une nouvelle politique indigéniste aboutissant à une profonde
modification du paysage national. Les gouvernements successifs vont étendre
massivement la figure juridique du resguardo aux populations des basses terres
reconnaissant ainsi une territorialité indigène assortie d’une autorité, le Cabildo, sur près
du quart de la superficie nationale.
Dans les régions de conflits territoriaux où le mouvement est fortement implanté et a fait
preuve de sa combativité, le Cauca tout particulièrement, le gouvernement procédera
parallèlement à une véritable réforme agraire, en restituant aux communautés la majorité
des terres qui leur avaient été spoliées et en indemnisant parallèlement les propriétaires
fonciers10. Ainsi dans une cérémonie à fort contenu symbolique - elle a lieu sur les terres
d’une grande hacienda ayant appartenu à une puissante famille du département du Valle
et “récupérées” depuis peu par la communauté Guambiana - le Président Betancur
prononcera un discours largement diffusé par le département des affaires indigènes où
sera clairement reconnu la légitimité des droits territoriaux indigènes. Et quatre ans plus
tard, le président Barco, le premier président à manifester un véritable intérêt pour les
questions environnementales et la protection des zones de forêts, rééditera cette
performance en s’adressant cette fois-ci aux populations indiennes des basses terres du
Putumayo lors de la remise aux chefs indigènes d’une gigantesque propriété de 5,2
millions d’hectares autrefois propriété de Arana, le tristement célèbre baron péruvien du
caoutchouc.

Ce grand œuvre ne se fera pas sans mal : il faut souvent que les terres des haciendas
soient envahies par les familles indiennes pour que le gouvernement intervienne11 et,
inversement, si près de 90 % des terres indigènes sont aujourd’hui dans le pays
reconnues sous forme de resguardo12, il faut encore en évacuer les colons qui les
occupent et pour cela les indemniser, ce qui demande du temps et de l’argent. Par
ailleurs, le climat de violence qui règne en Colombie affecte négativement les
communautés indiennes. Ces dernières occupent souvent des régions d’accès difficile
propices aux affrontements armés entre forces gouvernementales, guérillas et milices
paramilitaires financées par l’argent de la drogue, etc. Or ces affrontements vont
augmenter considérablement tout au long des années 80. Le développement des cultures
illicites (marijuana, coca et plus récemment pavot) touche aussi les territoires indigènes,
provoquant une criminalité spécifique, l’arrivée massive de colons, etc. Les conflits autour
de la terre restent parfois très vifs (par ex. dans le Tolima et dans le nord du pays) et les
assasinats de dirigeants indigènes sont monnaie courante.
25Quoi qu’il en soit, le travail accompli est considérable et marque un brutal renversement
d’une tendance multiséculaire. La reconnaissance de jure d’une territorialité indigène est
une mesure conservatoire prenant en compte la pérennité de la population indienne.

ource : D N P - 19512

26Parallèlement le gouvernement colombien va favoriser une institutionnalisation du


mouvement indigène en lui reconnaissant un protagonisme régional et en faisant de
l’ONIC un interlocuteur privilégié au niveau national. Des représentants indigènes vont
figurer dans un certain nombre d’instances de consultation et de négociation. Certes, cette
reconnaissance a été acquise de haute lutte ; mais fondamentalement elle répond à un
double besoin : disposer d’instances de médiation dans la mise en place de la politique
indienne, organiser dans le cadre de la décentralisation les régions indiennes du pays. Le
fait est qu’elle contribuera à son tour au prestige et à la légitimité des organisations
indiennes.

27Enfin, un des volets du PNR (Plan national de réhabilitation) destiné aux régions
sinistrées du pays sera destiné aux populations indiennes. Un financement public arrivera
souvent pour la première fois jusqu’aux communautés sans être massivement détourné
par des pratiques clientélistes (le succès rencontré par ce programme tiendra largement
au fait qu’il va dans sa mise en œuvre associer directement les autorités coutumières).
Ajoutons de lents progrès dans la mise en place des programmes d’éducation bilingues
et biculturelles, un domaine dont on a signalé l’importance au sein de la revendication
identitaire : l’éducation se présente à la fois comme un moyen d’accéder à de nouveaux
savoirs, une nouvelle technologie - l’écriture - indispensables à une participation
citoyenne et comme le lieu où se met en œuvre activement le principe d’un respect de la
“différence” culturelle, à commencer par celle s’incarnant dans une spécificité linguistique
et historique.
28Ainsi l’État ne reste pas inerte : il inaugure une nouvelle politique indigéniste venant
rompre avec le credo traditionnel de l’assimilation et la répression bornée qui marquait la
période antérieure. Sous le double effet du travail mené par les organisations indiennes
et de la nouvelle politique indigéniste se met en place une dynamique qui va déborder les
protagonistes directs de l’action. Le pays découvre progressivement sa part indienne, et
la population indienne qu’elle dispose de droits à faire respecter et qu’il peut être opportun
de revendiquer et d’instrumentaliser son indianité.

29Cette période culminera par l’élection inattendue de deux dirigeants indigènes à la


constituante et par l’adoption par cette dernière d’un ensemble de dispositions venant
reconnaître dans ses principes l’œuvre antérieure.

LA CONSTITUCION DE 1991 ET SA DIFFICILE MISE EN ŒUVRE

La participation de deux constituants indigènes dans un cénacle qui devait décider de


l’avenir institutionnel du pays sera largement le résultat d’un vote d’opinion de populations
urbaines en faveur du mouvement indien (et un vote de sanction pour la classe politique),
et elle contribuera fortement à légitimer la nouvelle assemblée aux yeux du public.
Symbolique de l’ouverture démocratique, du surgissement de la société civile contre une
classe politique abhorrée, elle fera l’objet d’une grande publicité. Si des constituants
peuvent être indiens, c’est que les Indiens ne sont plus ce qu’ils étaient et que le pays est
bien devenu multi-ethnique et pluriculturel... ce que s’empresse de déclarer la nouvelle
constitution (art. 7)14. Dans la foulée de cette rupture historique avec la conception
unitaire de la nation qui dominait depuis l’Indépendance, les droits attachés aux
populations indiennes seront déclinés : droit à des territoires inaliénables et à un
environnement protégé (art. 63, art 329) ; droit au respect des langues et des cultures.
Droits essentiels qui en entraînent d’autres : le respect des cultures et des langues
débouche sur le droit à une éducation bilingue et biculturelle (art. 10) ; le droit au territoire
s’accompagne de la reconnaissance constitutionnelle du resguardo comme entité
administrative disposant de son autorité (art. 329 et 330) ; le respect des cultures suppose
que soit garanti le droit coutumier (consuetudinario) qui en forme l’ossature, ce qui
entraîne à son tour d’accepter le principe qu’il puisse exister des normes dérogatoires du
droit commun s’appliquant à des groupes particuliers (art. 246). La Constitution établira
l’élection par circonscription électorale spéciale de deux sénateurs indigènes (le vote pour
les listes indiennes étant ouvert à tous), assurant ainsi une représentation indigène au
plus haut niveau des institutions représentatives. Enfin, dans le cadre du
réordonnancement administratif du pays, il sera prévu la possibilité de créer des Entités
territoriales indigènes (ETI) disposant de prérogatives étendues proches de celles
des municipes.

Ajoutons que la nouvelle Constitution reconnaîtra dans la foulée l’existence de


populations noires, sur la côte Pacifique, organisées sous forme de communautés dotées
d’une identité culturelle spécifique et leur reconnaîtra des droits collectifs sur les terres
possédées traditionnellement (art. 55 transitoire) : une grande première pour un pays qui,
contrairement aux populations indiennes, n’avait jamais fait entrer dans son droit positif
les populations d’origine africaine15.

32A noter toutefois que si la Constitution donne mandat à l’État de protéger et d’organiser
la diversité ethnique et culturelle de la nation, s’engageant ainsi dans la voie d’une positive
action, elle affirme aussi, suivant le modèle hérité de la Révolution française, l’égalité de
tous devant la loi et l’absence de toute discrimination qui pourrait être fondée sur la race,
l’origine nationale, la religion, etc. (art. 13). Incohérence ? ou superposition d’un droit
général avec un droit particulier (droit à l’égalité, droit à la différence) ? la discrimination
n’est pas considérée comme telle dès lors qu’elle est positive...

POLITIQUE INDIGÉNISTE ET MOUVEMENT SOCIAL DANS LA COLOMBIE POST-


CONSTITUTIONNELLE

L’adoption de la Constitution de 1991 marque l’apogée d’une décennie marquée par la


mobilisation indienne et un certain activisme public. Elle ouvre aussi l’entrée dans une
quatrième phase, celle de la maturité et des doutes. L’euphorie passée, vient le temps de
la mise en œuvre des principes et dispositions constitutionnelles. Phase difficile et
toujours d’actualité, puisque, à ce jour, certains des articles de la Carta magna, et non
des moindres, n’ont pas encore donné lieu aux lois et décrets venant en réguler leur
application.

341- Du côté des organisations indigènes auréolées de leur succès national les
expectatives sont grandes. Plusieurs terrains s’ouvrent à leurs ambitions :

Il convient tout d’abord de travailler à la mise en place juridique des ETI qui devraient
venir couronner la reconnaissance d’une autonomie - un transfert de compétences - dans
sa traduction territoriale et institutionnelle. Nous verrons que les obstacles sur cette voie
ne vont pas tarder à se manifester. La commission de réordonnancement territorial qui
doit proposer un texte de loi concernant l’ensemble des nouvelles institutions et définir
notamment la mise en ouvre des ETI n’arrivera pas sur ces dernières à mettre en œuvre
un projet qui satisfassent les différentes parties. Au sein même des organisations
indiennes travaillant au niveau national, un intense débat a lieu sur la nature même de
cette nouvelle instance, la place qui doit y être faite aux resguardo et aux cabildos : les
nouvelles instances politico-administratives doivent-elles être subordonnées aux conseils
des communautés et à leurs autorités traditionnelles ? Et comment assurer une
représentation des populations non indiennes pouvant y habiter ? Si du côté des
organisations indiennes un texte commun est finalement rédigé en 199316, discussions,
projets et contre-projets vont se succéder d’un gouvernement à l’autre pour arriver à une
situation où le gouvernement Samper proposera en 1995 un énième projet de loi qui,
contrairement aux dispositions constitutionnelles et à ses engagements, n’aura pas fait
l’objet d’une consultation avec les intéressés, texte qui pas plus que les précédents ne
sera approuvé... C’est que, comme nous le verrons plus loin, derrière la question des ETI
se joue largement l’avenir du mouvement indigène et se pose pour le pays un problème
essentiel de gouvernabilité : la figure du resguardo mise en œuvre à l’époque coloniale
n’a pas été conçue pour répondre aux besoins d’administration et de développement d’un
pays comme la Colombie et elle couvre aujourd’hui près du quart du pays. Il faut donc
imaginer une nouvelle instance qui combine à la fois le désir d’autonomie des
communautés et protège leur diversité culturelle, comme l’exige la constitution, et
réponde aux critères d’organisation d’un État moderne... mais comment y arriver ?
L’autre grande question concerne l’ouverture du champ politique : élection de sénateurs
indigènes sur circonscription électorale spéciale ou dans le cadre de listes nationales,
élection de représentants à la Chambre, élection de députés et de gouverneurs au niveau
départemental, élections de maires et de conseillers municipaux. Le vote indien
commence à peser dans certains scrutins et peut être décisif dans certaines régions
et municipes où la population indienne se trouve majoritaire et bien organisée, tout cela,
pour la première fois dans le pays. Ainsi dans le Guania et le Vichada où la population est
majoritairement indienne (96,9 et 82 % respectivement), le poste de gouverneur devrait
être demain à la portée de voix indigènes et avec lui le budget et les postes qui font vivre
l’essentiel de la population blanche... De fait, en 1994, huit maires et cent soixante quinze
conseillers municipaux seront élus dans des municipes qui, de toute éternité, avaient été
gouvernés par des Blancs17. L’on aura aussi 12 député indiens pour les assemblées
départementales. Tout cela peut paraître bien modeste et l’est assurément comparé au
nombre total d’élus et aux ambitions affichées par les organisations indigènes. Bien
modeste donc, mais à certains égards décisif - il s’agit de la question du Pouvoir - et
devant être mesuré à l’aune des compétences et des budgets désormais attribués
aux municipes et départements dans le cadre de la décentralisation et du “fédéralisme
fiscal”.

37Cette entrée dans l’arène politique ne sera pas sans effets sur le mouvement indigène
lui-même. Une partie des cadres qui constituaient l’ossature des conseils et organisations
travaillant à différents niveaux dans le pays vont se trouver mobilisés par le jeu politique,
engagés parfois dans des luttes fratricides où derrière des positions de principe et des
lignes idéologiques se cachent souvent des rivalités personnelles et institutionnelles. Le
“factionnalisme” latent dans les communautés et les antagonismes pouvant exister à un
autre niveau entre régions du pays et groupes ethniques pourront s’exprimer avec
d’autant plus de force que le monde politique traditionnel tentera de les utiliser pour
récupérer une partie du terrain perdu. La multiplication des candidatures au poste de
sénateur et de représentant, dix listes seront présentées, illustrera cela parfois jusqu’à la
caricature. Qui ne voudrait pas être sénateur ou représentant et quelle région ne voudrait
pas disposer de son propre candidat dans le congrès de la République ? L’apprentissage
est donc rude, et les élections de 1992, puis de 1994, montreront que si le succès peut
être au rendez-vous, le chemin est long qui doit conduire dans certaines régions à une
véritable prise en charge des intérêts indigènes par les communautés elles-mêmes. En
fait, dans un cadre politique défini par l’État et la nation, démonstration est faite qu’il est
bien difficile pour qui se présente aux suffrages comme Indien de faire de la politique
“autrement”. 38Le troisième espace ouvert avec la nouvelle constitution est celui du droit.
L’utilisation de la loi et le recours aux juges et avocats sont choses anciennes pour les
communautés de la sierra et nous avons vu comment les dispositions juridiques
favorables aux revendications indigènes, en particulier la loi 89 de 1890, avaient été
systématiquement explorées et mises en œuvres ces vingt dernières années. Mais la
constitution de 1991 innove fortement en matière juridique en ce quelle reconnaît
désormais la validité du droit coutumier au sein des communautés indigènes. Un principe
congruent avec celui de la pluriculturalité et multi-ethnicité mais qui ouvre un vaste
chantier pour lequel, à vrai dire, ni l’État ni les organisations indigènes ne sont vraiment
préparées. Le droit coutumier dans un pays comprenant plus de 80 groupes ethniques
est d’une extrême diversité et l’État, qui ne s’en est jamais préoccupé, en ignore le
contenu et la complexité. Ajoutons que, dans une situation marquée par un changement
rapide des modes de vies et de pensées, la codification des us et coutumes prévalant au
sein de chaque communauté est loin d’être chose aisée. On en est donc en ce domaine
au tout début d’une réflexion devant déboucher un jour sur des lois d’application18... Par
contre, l’introduction d’une autre innovation, celle concernant le droit de tutelle, c’est-à-
dire la possibilité d’en appeler à un juge quand un individu ou un groupe estime ses droits
constitutionnels bafoués, va très rapidement conduire à une série de décisions de justice.
Sur des sujets d’une grande signification pour l’avenir des communautés indigènes : droit
à un environnement protégé, droit à un usage des ressources naturelles, droit à une
protection culturelle, etc., les magistrats seront amenés à interpréter la carta magna, et
sur la base d’une telle exégèse à rendre leurs sentences. Or, sur des dossiers importants
concernant diverses régions du pays (construction de route en territoire indigène,
recherche pétrolifère, usage de la langue vernaculaire et accès aux moyens d’information,
exploitation des bois, etc.) la “république des juges” tranchera clairement en faveur des
intérêts indigènes affirmant des principes destinés à faire jurisprudence (cf. dans cet
ouvrage le tableau qu’en donne M. Cepeda).

2 - Du côté de l’État, on ne notera pas sur le terrain de changement radical de sa pratique


indigéniste - dans la continuité de l’action antérieure plus de 40
nouveaux resguardo seront mis en place après 1991 - mais la grande question est de
faire entrer dans le droit courant et dans sa pratique politico-administrative les principes
constitutionnels : création des ETI, financement des resguardo assimilés à
des municipes, protection accrue du milieu ambiant, mise au point des programmes de
santé et d’éducation ad hoc, formation d’un personnel public et indigène à la
problématique de l’ethnodéveloppement, droit coutumier, etc. Le président Samper dans
son programme de gouvernement, El salto social19, s’y engagera clairement :

La politique pour les peuples indigènes s’orientera en direction d’une consolidation des
droits reconnus dans la Constitution politique de 1991 concernant leur participation à la
vie nationale et dans les prises de décision qui les affectent. Pour cela, on impulsera la
conformation des entités territoriales indigènes, la culmination de la légalisation et de
l’assainissement des terres indigènes, et la participation des peuples indigènes dans les
programmes gouvernementaux de développement auto-soutenable” (p. 109, ibid.)20. Le
programme prévoit aussi de renforcer les mécanismes de protection et de défense des
droit de l’homme dans les communautés indigènes et, pour ce qui concerne la protection
du milieu ambiant, il est dit que “les représentants des peuples indigènes participeront à
l’évaluation de l’impact sur le milieu ambiant des projets de développement qui affectent
le territoire et les cultures de leurs communautés” ajoutant : “ De la même manière, on
étudiera et appliquera les technologies et les connaissances développées par la
population indienne et on impulsera leurs initiatives de préservation, mises à profit et
maniement soutenable des ressources naturelles dans leurs territoires” (ibid., p. 110). Ces
propositions se traduiront par un “Programme d’appui, et de renforcement ethnique des
peuples indigènes de Colombie, (1995-1998), approuvé par le CONPES (Conseil de
politique économique et sociale) qui vient confirmer ces lignes directrices, recense les
différentes actions à mener et en précise le financement21. A lire ces documents ainsi
que celui rédigé par la nouvelle responsable des affaires indigènes, on pourrait se
convaincre que “les peuples indigènes por derecho proprio font partie du futur du pays et
qu’il est nécessaire d’avancer dans la construction de schémas de participation
spécifiques qui respectent leur autonomie et leur propre formes de reproduction
sociale”22. Et l’on voit aussi que la question environnementale, qui, depuis le président
Barco, s’articule fortement à la problématique indienne, est bien présente dans les
préoccupations d’un gouvernement qui va innover en créant un ministère de
l’Environnement23.

Certes, mais il n’en semble pas moins vrai que le pouvoir semble pris dans des exigences
contradictoires : d’un côté celles, macro-économiques, découlant de la mise en place de
politiques néolibérales et d’ouverture économique dans le cadre accepté d’un processus
de globalisation ; de l’autre, l’exigence d’un mode de développement “autosoutenable”,
d’une protection de l’environnement - on a parlé de Constitution “verte” à propos de la
charte de 1991 - et d’une protection et promotion de droits spécifiques liés à la
reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle du pays. Comment, en effet, favoriser
la diversité culturelle quand on prétend s’inscrire dans les autoroutes de l’information ou
que l’on mène à l’intérieur de resguardo des explorations pétrolifères sans accord
préalable des autorités indigènes, comment protéger l’environnement quand on rêve
d’ouvrir le Pacifique colombien au commerce international, comment défendre la
biodiversité quand on projette une route panaméricaine dans le “Tapón del Darien”,
conservatoire unique pour sa faune et sa flore, etc. ? Tout cela n’est pas impossible mais
suppose que soient clairement établis les principes déterminant la politique, l’ordre des
priorités et les procédures à suivre. Ce qui à son tour suppose que les questions de
l’ethnodéveloppement, des droits culturels et des autonomies locales soient prises au
sérieux et clarifiées. Or cette réflexion commence à peine et s’avère déjà conflictuelle.
D’où une politique ambiguë à l’égard des communautés indigènes - ce que donne une
main, l’autre semble la reprendre - et les retards successifs mis dans l’application des
mesures les plus compromettantes pour l’avenir comme la mise en place des ETI24.

42En définitive, après plus de vingt ans d’une “mobilisation” indienne dans le cadre d’un
mouvement d’affirmation ethnique doué d’une forte instrumentante et d’une politique
gouvernementale ayant abouti à l’acceptation d’une territorialité indigène assortie d’une
autonomie relative ; après une nouvelle constitution qui affirme le caractère multi-ethnique
et pluriculturel du pays et définit un ensemble de principes en rupture avec la conception
traditionnelle de la nation, le tout dans un pays soumis à d’extraordinaires tensions
sociales et politiques, le pays semble à la croisée des chemins et comme pris de vertige.
D’une certaine manière tout reste à inventer : pour les communautés indiennes elles
mêmes qui poursuivent une intégration dans la différence et pour l’État et la nation qui ont
besoin de changement et d’ordre. Et c’est bien sur la question du territoire et de
l’autonomie que cela semble devoir se jouer.

43Revenons donc sur ces questions dans le cadre de considérations finales.

TERRITOIRES, ETHNICITÉ, DÉVELOPPEMENT AUTOSOUTENABLE ET


GOUVERNABILITÉ : QUELQUES CONSIDÉRATIONS FINALES

441 - La nouvelle Constitution donne donc son aval au processus de reconnaissance


territoriale effectué sous la forme du resguardo et elle fait obligation à l’État de transférer
en leur direction des ressources publiques - ce qui sera fait dès la promulgation de la loi
de transferencia de recursos en 1993 - en attendant que soient mis en place les futures
ETI.

45La première remarque concerne la population indigène et porte sur la nature de ces
nouveaux territoires et des pouvoirs mis en place. Conçu sur le modèle colonial,
le resguardo moderne introduit le principe d’une frontière séparant clairement un dedans
d’un dehors, frontière qui est définie et reconnue par l’État et doit être défendue par lui le
cas échéant. Il fixe un territoire, propriété inaliénable d’un groupe et les contours d’une
autonomie, c’est-à-dire d’une responsabilité collective. Il instaure un pouvoir s’exprimant
de préférence dans l’institution d’une autorité élue, le cabildo, mais pouvant aussi être
selon la loi toute autre autorité définie à partir des traditions locales.

46Or ce principe qui veut une population et un territoire bornés par une frontière intangible
à l’instar de celle qui peut séparer deux pays, deux municipes ou deux propriétés
foncières, s’appuie sur une conception occidentale largement étrangère aux cultures
indigènes des basses terres qui établissent entre elles des relations établies selon le
modèle de la réciprocité, de l’alliance ou de la guerre et qui n’ont pas une définition rigide
de leurs frontières.

47Le paradoxe est que ce qui se présente comme la reconnaissance d’un droit historique
se fondant sur un usage immémorial - le droit à un territoire - introduit dans sa mise en
œuvre une rupture avec les conceptions et les pratiques traditionnelles. Et cette
innovation de portée considérable doit être assimilée du jour au lendemain par ceux qui
en font l’objet comme un élément de leur propre culture.

On pourra argumenter que ce qui se joue avec l’imposition du resguardo a des précédents
dans les hautes terres et que la manière dont les populations de la montagne ont, au
cours du temps, investi cette figure et, dernièrement, l’ont revitalisée et fortifiée, laisse
augurer de ce qui devrait se produire avec celles qui aujourd’hui en font une première
expérience25. On ne trouvera pas d’ailleurs de rejet explicite d’une institution vite
analysée par les populations indiennes comme une protection juridique contre la
poursuite de leur dépouillement. Nul doute que pour elles cette reconnaissance d’une
territorialité, même imparfaite, constitue un progrès par rapport à la situation antérieure
de non-droit. Mais, si aucun groupe ne vient rejeter cette garantie, les frontières dessinées
sont loin d’être toujours acceptées telles quelles (elles entérinent aussi des pertes
territoriales) et ne sont pas exemptes de conflits, conflits intercommunautaires et conflits
avec les populations non indiennes de la région.

Par ailleurs, la création d’un resguardo par décision de l’État ne permet pas en elle-même
l’apparition effective d’une autorité commune assurant une forme de gouvernement
interne et une médiation externe, deux des fonctions centrales attribuées aux cabildos par
l’État. Dans des territoires couvrant parfois plusieurs millions d’hectares, la “parcialidad”
qui se trouve l’habiter peut en fait rassembler plusieurs groupes ethniques différents,
chacun parlant sa langue et nourrissant parfois d’anciennes inimitiés. Ainsi, dans le
seul resguardo du Vaupes (3,3 millions d’hectares, 20 000 personnes), on ne trouvera
pas moins de 11 groupes ethniques... Ajoutons que dans des société organisées selon
un modèle segmentaire (un ensemble de clans et de lignages disposés généralement
selon un ordre hiérarchique), il n’existe pas de pouvoir centralisé disposant de la
contrainte26 selon le modèle de la violence légitime propre aux instances politique de
l’État moderne.

La mise en place d’une autorité politico-administrative dans un cadre territorial fixé par la
loi constitue donc une innovation majeure qui trouve son origine à l’extérieur et vient
rompre avec la coutume (i-e la Culture). Ajoutons que les autorités coutumières ne
disposent pas généralement de l’ensemble des savoirs nécessaires pour gérer les
situations nouvelles auxquelles elles se trouvent affrontées et sont souvent défiées ou
ignorées par les jeunes générations scolarisées loin de leurs familles et ayant perdu leurs
repères culturels. Ajoutons encore que ce qui ressort du champ du pouvoir traditionnel
est souvent fractionné en de multiples institutions spécialisées - capiton, kumú, chaman
- qui n’ont pas leur équivalent dans le modèle politique occidental et vont se trouver de ce
fait fatalement contestées. Or c’est précisément quand le changement est fort et que
l’anomie les guette que les communautés ont besoin de disposer de pouvoirs constitués
et respectés, s’appuyant sur une tradition solide. La crise qui peut en découler débouche
parfois sur une violence interne alimentée souvent par une recrudescence des pratiques
liées à la sorcellerie. Dans les basses terres où ce phénomène est le plus fort, le vide
politique est parfois comblé par des éléments plus jeunes qui ne disposent pas du même
bagage culturel mais ont puisé dans l’éducation et une reconnaissance externe une
nouvelle légitimité. Cette nouvelle élite, médiatrice culturelle et politique - elle a un pied
dans les deux mondes -, est bien présente au sein des organisations régionales et elle
peut être tentée de transférer vers ces dernières des responsabilités qu’il incombe aux
communautés de base d’exercer. Bref, le territoire et l’autonomie conçus par l’État portent
en eux la construction nécessaire d’un nouveau pouvoir indien : construction difficile car
elle suppose un réajustement plus large du mode de fonctionnement communautaire, un
réajustement conforme au modèle d’ethnicité et de territorialité générique venu de
l’extérieur27. De fait, aussi bien les communautés que les organisations qui les
rassemblent au niveau national ou régional sont amenées, de gré ou de force, à se couler
dans le modèle proposé par l’État et la société nationale dès l’instant qu’elles
reconnaissent le droit positif qui vient les réguler comme légitime et source ultime de leur
autorité28.
Pour l’État qui a mis sous forme de resguardo près du quart de son territoire et s’est
engagé à créer des nouvelles entités territoriales indigènes, le vide ou la confusion des
pouvoirs qui peut s’instaurer dans les espaces ainsi constitués n’est pas moins
préoccupant. Une des raisons l’ayant poussé à la création de resguardo tient précisément
au besoin de disposer, là où sa présence est presque nulle, d’interlocuteurs capables de
le relayer dans ses fonctions d’autorité et avec qui négocier des actions de
développement. Il lui faut disposer pour cela de pouvoirs indigènes faisant office d’autorité
politico-administrative clairement identifiables et “responsables”, c’est-à-dire ayant une
logique de fonctionnement de type occidental, avec qui il disposera d’un langage
commun. Le problème est bien perçu par les Affaires indigènes qui avancent l’idée que
dorénavant l’État doit se réformer afin d’obtenir une “inter-culturisation” de ses instances
spatiales et sectorielles”, et qui proposent pour la mise en place des ETI, de travailler "à
des actions de développement institutionnel pour une mutuelle préparation interculturelle
des autorités respectives et à la définition et au développement de la diversité culturelle
de la gestion publique”29... Mais il est bien difficile de demander à des fonctionnaires
d’entrer du jour au lendemain dans des logiques “indiennes” et on ne peut attendre que
le nouvel ordre instauré par l’État débouche sur une réorganisation en profondeur des
communautés indigènes.

52Un problème de “gouvernabilité” est donc posé à la mesure de ces immenses


territoires. N’oublions pas que sur les millions d’hectares reconnus sous forme
de resguardo se concentre une des biodiversité les plus riches de la planète, que c’est là
aussi que naissent ou coulent la majeure partie des cours d’eau, que l’on trouve les
réserves forestières, minières et hydrauliques du futur et que certaines de ces régions ont
un fort potentiel agricole. Et observons aussi que ces vastes étendues sont pour une
bonne part situées sur les frontières politiques du pays et qu’elles sont aussi un des
théâtres privilégiés de la lutte armée et du narcotrafic, soit deux des plus graves
problèmes qu’affronte aujourd’hui le pays...
Le transfert des ressources publiques en direction des communautés indigènes, transfert
qui constitue un des acquis les plus significatifs obtenu dans le cadre de la Constitution
de 1991, a été l’occasion de tester le dispositif mis en place30. L’article 357 établit en
effet le droit des resguardo indigènes à être considérés comme des municipes pour
pouvoir bénéficier des ressources courantes de la nation en application des principes de
décentralisation et de démocratie participative qui orientent désormais le pays. Ces
ressources sont considérées comme un moyen nécessaire pour assurer pleinement la
participation des communauté indigènes à la vie économique sociale et culturelle du pays.
La loi 60 de 1993 (art. 25) vient définir les conditions d’attribution de ces transferts : ces
derniers seront propriété exclusive des 364 resguardo existants au moment de la loi
(situés dans 26 départements et 116 municipes), et leurs montants seront proportionnels
au nombre de leurs habitants. Attribués sur la base de projets de développement
présentés par les autorités de la parcialidad, ils seront administrés par le maire du
municipe sur lequel ils sont situés, maire dont la fonction se bornera à un contrôle des
comptes. Insistons de suite sur la portée de cette mesure : c’est en effet la première fois
que les communautés indigènes se trouvent disposer de leur propre financement public
et ce, de plus, en toute autonomie (et, dit la loi, en fonction de leurs usages et
coutumes)31. Or les sommes en question sont loin d’être négligeables et peuvent
facilement être multipliées par deux ou trois dans la mesure où les responsables
indigènes utilisent les mécanismes de cofinancement offert par l’État.

54On ne dispose pas d’un premier bilan concernant l’application de cette mesure, mais
les fonctionnaires du Département national de planification et de nombreux dirigeants
indigènes signalent d’ores et déjà de sérieuses difficultés : si l’on met de côté celles tenant
à sa mise en œuvre bureaucratique - absence d’information, retard dans les versements,
erreurs sur le calcul du montant, etc. - un des premier obstacles tient au refus de certains
maires de se dessaisir des sommes attribuées aux resguardo - dans certaines communes
à dominante indienne, la population indigène recevra maintenant plus que le municipe -,
refus qui a pu aller dans les cas les plus extrêmes jusqu’à l’assassinat de dirigeants
indigènes. Mais la question la plus préoccupante est sans doute l’absence de formation
gestionnaire des autorités indiennes elles-mêmes. Certes les progrès de l’éducation dans
les communautés indigènes sont notables et devraient se poursuivre les années à venir,
mais, globalement, le monde indigène reste, et de loin, le moins scolarisé, celui où
l’analphabétisme est le plus élevé. Les dirigeants qui ne diposent guère des
connaissances nécessaires pour gérer des financements publics ont le plus grand mal à
trancher dans les multiples et immenses problèmes de leur resguardo et à s’ériger du jour
au lendemain en responsables avisés de projets de développement. A cela s’ajoutent les
multiples dangers de corruption que cette circulation d’argent favorise et une course au
pouvoir alimentée du désir de contrôler cette source de revenu.

55On ne peut guère s’étonner de ces difficultés et l’on ne saurait en prendre argument
pour revenir comme certains le réclament sur ce qui constitue une mise en œuvre
effective d’un principe constitutionnel fondamental. Mais comment faire en sorte que ce
financement et cette autonomie aboutissent aux résultats escomptés ? Les responsables
des organisations indiennes au niveau national et régional semblent avoir eux-mêmes
une claire conscience que l’urgence est désormais dans la formation d’un personnel
indien capable de relever le défi de l’autonomie. Travail de longue haleine alors que
l’impératif gestionnaire n’attend pas.

56La difficile mise en place de l’article 25 de la loi 60 ne fait qu’augurer ce qui demain à
une toute autre échelle risque fort de se produire avec la mise en œuvre des Entités
territoriales indigènes prévues par la Constitution. Et l’âpre débat qui depuis quatre ans a
lieu autour de cette question témoigne que les différentes parties ont pris progressivement
conscience des enjeux se cachant derrière cette disposition. Les ETI devraient disposer,
à peu de choses près, des mêmes pouvoirs que les municipes actuels, pouvoirs
considérables depuis que la réforme administrative est venue leur affecter une partie des
ressources de la nation leur transférant en échange nombre des responsabilités autrefois
exercées par l’administration centrale. Il appartient ainsi aux municipes - et il appartiendra
demain aux ETI - d’assurer l’ordre public, de financer l’éducation primaire, la santé, et de
mettre en place des programmes de développement autosoutenables, etc. (cf. encadré).
Responsabilités déjà considérables auxquelles viennent s’ajouter des devoirs et des
compétences particulières en ce qui concerne la protection de l’environnement. Que se
passera-t-il si demain un champ pétrolifère de l’importance de Cusiana est découvert au
sein d’un territoire indigène ? Avec 22 % des royalties revenant aux autorités locales (en
2001), se trouvera-t-on en présence d’un “émirat” indien ? Et les autorités indigènes
chargées de traduire ce pactole dans un programme d“‘ethno-développement
autosoutenable” pourront-elles résister aux énormes pressions qui s’abattront sur elles ?
Voila une question, parmi d’autres, qui ne peut manquer de venir à l’esprit de la classe
politique et peut expliquer l’embarras du gouvernement.

3 - L’État colombien a la réputation bien méritée d’être un État particulièrement faible,


incapable de faire entendre sa raison au-delà des intérêts partisans et oligarchiques ; un
État miné par le clientélisme et par la corruption, un État qui semble n’avoir jamais eu le
monopole de la violence “légitime”, ne contrôle pas son territoire ni ses frontières, un État
à qui manque cruellement un corps stable de fonctionnaires recrutés selon leurs mérites
et par concours et donnant à son administration la compétence et la stabilité nécessaires
à un bon fonctionnement de la machine publique. Ces maux sont bien connus et la
réforme qui a précédé l’adoption d’une nouvelle constitution a présenté la décentralisation
et l’élection des maires comme un élément de la modernisation de l’État, devant
contribuer à une meilleure efficacité de son administration, la rapprochant des citoyens :
à ceux qui participent de la démocratie locale de définir les priorités, de les traduire en
programmes et de sanctionner leur exécution32.

CONSTITUTION POLITIQUE DE LA COLOMBIE (EXTRAIT)


ARTICLE 330
En conformité avec la Constitution et les lois, les territoires indigènes seront gouvernés
par des conseils conformés et réglementés selon les us et coutumes de leurs
communautés et qui exerceront les fonctions suivantes :
1 - Veiller à l’application des normes légales sur l’usage du sol et le peuplement de leurs
territoires.
2 - Dessiner les politiques, les plans et les programmes de développement économique
et social dans leurs territoires en harmonie avec le plan national de développement.
3 - Promouvoir les investissements publics dans leurs territoires et veiller à leur
application.
4 - Percevoir et distribuer des ressources.
5 - Veiller à la préservation des ressources naturelles.
6 - Coordonner les programmes et projets promus par les différentes communautés au
sein de son territoire.
7 - Collaborer au maintien de l’ordre public au sein de leurs territoires en accord avec les
instructions et dispositions du gouvernement national.
8 - Représenter leurs territoires devant le gouvernement national et devant les différentes
entités auxquelles elles feraient parties,
9 - et celles qui leur désignent la constitution et la loi.
PARAGRAPHE :
L’exploitation des ressources naturelles dans les territoires indigènes se fera sans porter
atteinte à l’intégrité culturelle, sociale et économique des communautés indigènes. Dans
les décisions qui s’adopteront dans cette exploitation, le gouvernement provoquera la
participation des représentants des communautés concernées

Nous avons remarqué que la reconnaissance d’interlocuteurs indigènes, le recours à la


figure juridique du resguardo comme forme d’organisation des territoires communautaires
- et par-là même l’établissement de la “communauté” (parcialidad) comme unité sociale
d’intervention pour l’État33- s’inscrivait dans une logique de gouvernement indirect, ce
qu’ailleurs nous avons qualifié d’intervention de “basse intensité”34. Et nous avons
signalé que la Constitution de 1991 en prévoyant la création d’ETI allait plus avant encore
dans cette stratégie. La reconnaissance d’une autonomie indigène et de droits culturels
spécifiques constitue l’argument adéquat pour développer une forme de démocratie
participative dans le cadre particulier de l’autonomie indienne.

59Nous avons relevé aussi comment les réalités socioculturelles propres aux
communautés indigènes, comme leur insertion dans des contextes locaux et régionaux
qui leur sont parfois hostiles pouvaient s’opposer à un tel projet et rendre aléatoire la voie
suivie. Si l’intervention de “basse intensité” ne peut mobiliser de part et d’autre les
ressources nécessaires pour sa mise en œuvre efficace, le nouvel ordre voulu par l’État
peut déboucher sur du désordre et de la violence, comme c’est trop souvent le cas
ailleurs.
60Cela dit, il convient de prendre cette nouvelle politique indigéniste pour ce qu’elle est :
une tentative de (ré)-organisation du monde indigène dessinée par l’État, et largement
désirée par les communautés, tentative qui concerne près du quart du territoire national.
Si, à cette mise en ordre, on ajoute le formidable mouvement de colonisation qui en moins
d’un demi-siècle est venu affecter un autre quart du pays, on doit se rendre à l’évidence
que l’image d’un pays et d’un État autrefois réduit à ses hauts plateaux, quelques vallées
et la côte Atlantique, n’est plus adéquate. Dans un chapitre de cet ouvrage consacré au
processus de colonisation, D. Martin remarque judicieusement que si l’État colombien ne
précède pas le colon, il le suit inexorablement, même si c’est avec les criantes
insuffisances souvent dénoncées. Progressivement apparaissent
hameaux, corregimientos, municipes, inspecteurs de police, JAC, comités DRI ou PNR,
caisses de crédit agricole, postes de santé, écoles... Ajoutons à cela la politique de
création de parcs nationaux (cf. article de R. Pasquis dans cet ouvrage) et de réserves
forestières (58 millions d’hectares, la moitié du pays) qui se présente aussi comme une
volonté de mise en ordre de l’espace pour un contrôle plus rationnel de son usage et l’on
aura à l’esprit la transformation subie par le pays en quelques dizaines d’années, parfois
moins.

61Certes, on aura beau jeu de signaler comment, dans le Guaviare, les colons font peu
de cas du parc de la Macarena ou du territoire récemment délimité des indiens Nukak.
Mais, si ce cas n’est pas isolé, il renvoie à une autre forme d’impuissance et à d’autres
problèmes : ceux de l’État face à la colonisation armée, la guérilla et la coca. Et, bien
entendu, ce que l’État ne peut ici - faire respecter ses propres lois - il est difficile de
demander à des communautés indigènes d’y procéder... Bien que, ailleurs, dans le
Cauca, le Vichada, la Sierra Nevada, pour ne prendre que quelques cas, on pourra voir
des populations indigènes s’engager dans des négociations locales avec les acteurs en
armes (pour le respect du territoire et des autorités traditionnelles) et cela avec un certain
succès.

62Retenons ici comment l’histoire en cette fin de siècle s’est brutalement accélérée.
Comment la puissance publique violemment contestée, toujours en passe d’être
débordée, a, sous la pression des événements mais aussi avec une certaine dose
d’imagination et de savoir-faire, étendu finalement son emprise, répondant ici à des
exigences, les précédant ailleurs, pour en arriver à la situation actuelle, situation où il lui
faut désormais remettre un certain ordre dans l’ensemble des instances politico-
administratives qui désormais maillent l’essentiel du territoire. Et c’est bien là la tâche
difficile à laquelle elle se trouve aujourd’hui confrontée. Dire cela n’est pas affirmer que la
voie suivie depuis 1991 pour y arriver est la meilleure - parmi la classe politique nombreux
sont ceux qui pensent désormais que la création d’ETIs, ou la reconnaissance d’une
territorialité assortie de droits culturels pour la population noire du Pacifique, ne peuvent
qu’ajouter à la confusion régnante et accélérer un processus de balkanisation qui
s’empare du pays -, mais constater comment la question de son organisation territoriale
devient un enjeu crucial pour la Colombie à l’aube du troisième millénaire. Il lui faudra
donc le résoudre en ayant conscience qu’elle vient s’articuler avec de multiples exigences,
à commencer par celles qui concernent la protection de l’environnement.

634 - Peu de sujets, en effet, ont fait couler autant d’encre ces dernières années que ceux
de l’environnement, des menaces qui pèsent sur les équilibres écologiques de la planète
et sur la nécessité de veiller tout particulièrement à une protection des régions de forêts
tropicales humides. La conférence de Rio, “Eco-mundo”, a été l’occasion d’une mise en
scène fortement médiatisée des enjeux écologiques et des enjeux économiques qui lui
sont liés. On retiendra ici simplement que les grandes puissances et les organisations
internationales maîtres du processus de globalisation ont le plus grand intérêt à une
protection de ces zones sensibles et de leur potentiel biologique. Même si, par ailleurs,
ce sont elles qui pèsent le plus fortement sur les ressources naturelles de notre planète.

64Dans ce contexte, la Colombie occupe une place singulière. Détentrice de vastes


régions de forêts, elle a depuis quelques années décidé de se présenter aux yeux de
l’opinion publique internationale comme un pays exemplaire en matière de protection de
l’environnement. Sa politique de réserves forestières, de création de parcs naturels et
de resguardo indigènes est mise en avant. Non sans quelques raisons. Mais,
parallèlement, on voit les défrichements avancer inexorablement au rythme moyen de
600 000 hectares par an, ce qui n’est pas rien, et l’on peut voir tous les jours l’importance
des dégâts irrémédiables qui ont été et sont encore commis. Et cela pas que dans les
basses terres.
65Une autre singularité du pays est le fait que les défrichements sont le fait
essentiellement d’acteurs - petits et grands colons, producteurs de coca, compagnies
forestières - laissés très largement libres d’aller là où leurs intérêts les conduisent. Pas
de plan de colonisation digne de ce nom qui viendrait contrôler, orienter, organiser ce flux,
ce qui ne manque pas d’avoir des conséquences négatives pour les colons eux-mêmes
et pour le pays.

66Dans ce panorama, la politique de création de resguardo prend tout son sens. En effet,
les seules frontières qui s’opposent au défrichement massif sont nous l’avons vu, celles
des resguardo indigènes et des réserves naturelles, soit une forte proportion du territoire.
Et c’est bien dans cette optique qu’ont été créés les immenses resguardo du Vaupes,
Putumayo, Guania, etc.

67Entre réserves naturelles et resguardo indigènes une différence existe, et elle est de
taille : les premières sont censées être vides d’hommes alors que les secondes sont au
contraire définies à partir de l’existence d’une population native. Différence de taille, mais
qu’il convient de relativiser aussitôt : un certain nombre de réserves et de parcs sont de
fait habités et, inversement, la densité des peuplements au sein des
immenses resguardo forestiers est si faible qu’on a pu considérer ces derniers comme
pratiquement vides d’hommes ou habités par des populations vivant en symbiose avec
leur environnement et de ce fait assimilées à ce dernier.

68Les organisations indiennes ont parfaitement compris cette situation et comment


l’utiliser à leur profit. Le thème porteur de l’ethnodéveloppement, du développement
autosoutenable, des populations indiennes gardiennes de la “Terre-Mère” et de la
biodiversité n’ont plus de secret pour elles, ce qui, soit dit en passant, montre à quel point
elles savent désormais adapter leurs rhétoriques aux demandes environnantes et
communiquer. Le caractère de “défenseur de la nature” devient chaque jour davantage
un élément clé d’une identité générique en construction marquée au sceau de son
instrumentalité.

Ainsi, en moins de vingt ans, les représentations sociales attachées dans le pays à l’Indien
et au colon ont-elles connu une étonnante mutation : l’Indien, irrationnel, immature,
sauvage devant être réduit à la vie civilisée, est devenu le dépositaire de savoirs
millénaires et un gardien écologiquement correct de la Nature ; le colon (le “rarional”35),
figure emblématique d’un pays en construction civilisé à coups de hache et qui était paré
des vertus de l’emploi - courage, ténacité, esprit d’entreprise - est devenu un aventurier
peu scrupuleux, destructeur de son environnement, homme de sac et de corde par qui la
violence arrive, un maffieux ou guérillero en puissance. Inversion des stigmates et
nouveau capital symbolique pour l’Indien, voilà qui justifie aussi la discrimination positive
attachée désormais à son groupe. Voila qui explique aussi largement le processus
d’“ethnicisation” en cours dans les marges indiennes du pays : ne vaut il pas mieux
désormais être Indien que colon, i-e paysan sans identité ni droits36 ?

70Les relations que nourrissent les communauté indigènes avec leur environnement
peuvent être définies en termes culturels si on accepte l’idée que ces cultures indiennes
sont elles-mêmes des constructions douées de plasticité, qui changent en fonction des
questions qu’elles sont amenées à résoudre. Que la relation des hommes à l’espace se
modifie - par perte de territoires ou par croissance démographique -, que de nouveaux
besoins apparaissent et, alors, les relations des communautés indigènes à leur
environnement peuvent se modifier fortement. Par manque de terres, de nombreux Paez
sont devenus des colons ; les Arhuaco, “gardiens du temple” mais réduits à la portion
congrue ont été obligés de défricher des espaces qui n’auraient point dû l’être ; les
Sikuani, faute de changer leurs manières de produire sont dans leurs resguardo en train
de brûler les dernières forêts galeries dont ils tirent l’essentiel de leur subsistance ; etc.
D’où, d’ailleurs, au nom de l’écologie, leurs demandes pour des territoires plus vastes ou
leurs tentatives de définir des projet alternatifs de développement en phase avec leur
situation actuelle. Projets difficiles à mettre en œuvre - ils se heurtent aux habitudes (à la
culture), et tout ou presque doit être inventé - et qui ne pourront guère réussir sans des
interventions extérieures, notamment de la part de l’État, et du temps.

71Signalons comment sur les projets de développement autosoutenable qui font


aujourd’hui fureur de profondes divergences peuvent apparaître au sein des
communautés et entre elles, suivant leurs traditions culturelles et les conditions concrètes
auxquelles elles se trouvent affrontées. Les autorités spirituelles Arhuaco, suivies en cela
par le Cabildo mayor - mais pas, semble-t-il, par la part “métisse” de la population, n’ont
jamais considéré le resguardo comme formant leur territoire - celui-ci, fixé par la tradition,
est bien plus vaste - et ne veulent pas des projets et des financements qui se traduiraient
pour leur peuple par une entrée irrémédiable dans une dépendance à l’égard des Blancs.
Elles ont ainsi refusé d’utiliser les ressources publiques désormais affectées à
leur resguardo. Leurs voisins Kogui, qui ne sont pas moins “Indiens”, suivent une voie
différente ; et dans le Cauca, les Guambiano, qui ont porté haut les couleurs du “Derecho
mayor” indigène, auraient bien besoin de voir les transferts publics augmenter
sensiblement. Car, comment lutter efficacement contre les plantations illégales de pavot
qui ruinent l’autorité de leur Cabildo et introduisent la désorganisation sociale, si celles-ci
sont, jusqu’à preuve du contraire, la seule voie économiquement viable pour faire face à
l’extrême pénurie de terres ?

72Si l’on se tourne maintenant en direction de la biodiversité et de ses promesses, les


populations Embera et Waunaan du Pacifique sont par l’intermédiaire de leur organisation
des défenseurs acharnés de cette dernière et ne cessent de dénoncer le pillage des
ressources naturelles mené par des intérêts étrangers. Elles demandent à l’État des
mesures conservatoires, le respect de leurs territoires et un système de patente
protégeant leurs savoirs immémoriaux : elles ont compris que des intérêts considérables
et sans scrupules pouvaient s’emparer de leurs savoirs en matière de faune et de flore et
veulent préserver le futur. La puissance publique n’est pas insensible à ce problème -
d’autant qu’il s’agit de protéger une richesse nationale - et a engagé une réflexion en ce
sens. Mais l’ouverture économique a ses raisons et les acteurs économiques privés ont
une autre conception de (l’ethno-) développement...

73En définitive, la relation entre la question indienne et celle de l’environnement est bien
centrale et elle a toutes les chances de le rester. Et si l’on veut que le développement
“autosoutenable” exigé par la Constitution ne soit pas un vain mot - mais le veut-on
vraiment - il est probable que l’on verra augmenter les tensions que suscite sa mise en
œuvre tant les intérêts en présence sont contradictoires. Dans ce cadre signalons une
fois encore comment la création du resguardo est significative. En effet, si on pourra
toujours trouver des autorités indigènes pour autoriser l’entrée de compagnies forestières,
accepter la présence dévastatrice de l’orpaillage ou fermer les yeux sur des formes
abusives de pêche ou de cueillette, le resguardo reste globalement un obstacle efficace
à la mise à l’encan des terres - elles ne peuvent être vendues et donc achetées -, à la
construction de routes stratégiques pour la colonisation et à une destruction massive du
milieu. Les réserves indiennes sont, dans les basses terres, d’abord des réserves
naturelles, et en les défendant les peuples qui les habitent ne font pas que défendre des
modes de vie, des cultures éminemment respectables. A leurs corps défendant, peut-être,
elles défendent aussi des intérêts qui largement les dépassent... et les dominent.

74De cette dernière question on pourra peut-être tirer une conclusion plus générale, à
savoir que les logiques du “centre” sont d’autant plus efficaces, ou pernicieuses, qu’elles
donnent l’impression d’être librement acceptées et, mieux encore, d’être le résultat
victorieux de batailles passées (reconnaissance de la diversité culturelle, droit à un
territoire et à une autonomie, droit à une protection de l’État, etc.). Et il faut dire que l’on
ne pourrait guère entendre ce qui s’est produit sans la présence d’une vigoureuse
mobilisation indigène tranchant si notablement avec la crise des acteurs collectifs que
connaît le pays. La comparaison avec un passé récent fait d’un racisme tranquille, d’une
domination et d’une exploitation brutales, est éloquente. Mais cette entrée dans la société
nationale s’est faite au prix d’une incorporation supposée volontaire des populations
indiennes dans la structure juridique, politique et administrative du pays et dans une
intégration toujours plus poussée. Dans cet ajustement "à visage indien", l’altérité
demeure, mais elle change de nature : elle est négociée et recomposée sur l’autel de
l’ethnodéveloppement. L’identité générique construite par les uns, instituée par les autres,
vient créer une nouvelle frontière, mais celle-ci désormais ne vient pas séparer des
peuples autochtones d’une société nationale, mais est le lieu où se rejoignent deux parties
d’un même ensemble, deux parties inégales.

NOTES

1 Chiffre officiel et... provisoire en l’absence d’un recensement récent digne de confiance.
Les organisations indigènes préfèrent quant à elles parler d’un million de personnes...

2 32 groupes ethniques comptent moins de 1 000 personnes chacuns.


3 Resguardo : terres collectives et inaliénables appartenant à une communauté
(parcialidad) gouvernée par un cabddo. Le resguardo trouve son origine dans la politique
coloniale menée dans la Nouvelle Espagne à partir des Nuevas leyes de lndias.

4 En une vingtaine d’années la récupération des terres indigènes dans le département


s’aparentera à une véritable réforme agraire effectuée sur le tas. Ainsi plus de 70 000
hectares de terres vont être récupérés dans les sept municipes à population indigène qui
sont proche de Popayan, ce qui représente plus d’un doublement de surfaces occupées
par les resgurdo en 1972 : 64 526 hectares ; Cf. Rojas (J. M.), “La bipolaridad del poder
local. Caldono en el Cauca Indígena”, Edición Previa, serie investigación, U. del Valle,
Cali, 1993 (pp. 44- 46). A noter que toutes les terres récupérées ne rentrent pas dans le
cadre des anciens resguardo, certaine constituant des communautés civiles indigènes
dotées de cabildos.

5 Ainsi, avec plus d’une centaine de salariés, le CRIC est désormais devenu la deuxième
entreprise du Cauca et s’apparente à certains égards à une grosse ONG pratiquant
l“‘ethno-développement”.

6 Terme utilisé par la loi 89 de 1890.

7 Association nationale des usagers paysans créée quelques années plus tôt par le
président Lieras Restrepo.

8 II édictera un “statut de sécurité” taillé sur mesure pour réprimer les mouvements
populaires considérés en règle générale comme étant “subversifs”.

9 Cf. Gros C, “Vous avez dit indien ? L’État et les critères de l’indianité en Colombie et au
Brésil”, Cahiers des Amériques Latines, mai 1985.

10 L’indemnisation portera uniquement sur les investissements accomplis sur


l’exploitation s’il apparaît que la terre appartenait juridiquement à la communauté
indienne.

11 Ainsi, en 1989, le CRIC déclare avoir eu plus de 200 militants indigènes assassinés
depuis sa création. Cf. : Unidad Alvaro Ulcué, sept. 1989.
12 Selon l’INCORA qui fait office d’agence foncière et a en charge la délimitation
des resguardo, la situation serait la suivante : 31 240 000 hectares sont occupés d’une
manière ou d’une autre par une population indienne évaluée à 500 000 personnes, dont
5 millions d’hectares restent encore à reconnaître.

13 Gros C, “Attention un Indien peut en cacher un autre ! Droits indigènes et nouvelle


constitution en Colombie”, Caravelle, n° 59, 1992.

14 Art. 7 : “L’État reconnaît et protège (souligné par nous) la diversité ethnique et


culturelle de la nation colombienne”.

15 Sur cette importante question on pourra consulter : Arocha, J., “Los negros y la nueva
constitución colombiana de 1991”, America negra, n°3, junio 1992 (pp. 39-54) ; Arocha,
J. ; Friedemann, N. de., “Marco de referencia histórico-cultural para la ley sobre derechos
étnicos de las comunidades negras en Colombia”, America Negra, n°5, junio 1993 ;
Losonczy A. M./’Frontières inter-ethniques au Choco et espace national colombien.
L’enjeu du territoire”, Civilisations, n°17-18, 1996 ; Maya Restrepo A., “Propuesta de
estudio para una formación afroamericanísta”, America Negra, n°7, junio 1994 (pp 139 -
158) ; Wade P., Blackness and race Mixture : the Dynamics of Racial Identity in
Colombia, The John Hopkins Press, Baltimore and London, 1993 ;
Wade P..”Identités noires, identités indiennes en Colombie", in : Cahiers des Amériques
latines, n° 17,1994.

16 Cf. Proyecto de ley de ordenamiento territorial indígena. Texto definitivo acordado por
las organizaciones, Bogota, mimeo, agosto de 1993.

17 171 listes indiennes ont été présentées pour les conseils municipaux par l’ASI, l’AICO
et le MIC (sur un total de 18.783 listes). Cf sur ce sujet : Laurent V., “Elections
colombiennes de 1994 et participation politique des populations indiennes” mimeo, 1996
(non publié).

18 Cf. à ce propos le préambule du Proyecto Juridición Especial Indígena. Elaboración


del proyecto de desarrollo legal de la Juridicción Especial Indígena. (Art. 246 de la C. N.),
ministerio de Gobierno (mimeo, sans date) : “ Le développement des dispositions
constitutionnelles et des normes internationales, concernant en particulier une Juridiction
spéciale indigène en accord avec les “droits internes ou plus élevés (mayores)” des
différentes ethnies, est un défi pour les communautés indiennes et pour le gouvernement
“ (p. 4) ; et l’objectif général du projet : “impulser la systématisation des mécanismes de
contrôles sociaux propres aux communautés indigènes avec pour objectif de présenter le
projet de loi qui développe l’art. 246 de la constitution nationale, permettant l’exercice des
espaces d’autonomie reconnus aux peuples indigènes” (p. 5).

19 “Base para el Plan Nacional de Desarrollo 1994-1998 : el salto social” Bogota,


Presidencia de la República, 1995.

20 Pour ce qui concerne le reordenamiento territorial, le plan prévoit des actions “pour la
formation des autorités indigènes dans les domaines de base de la gestion publique” (p.
109).

21 Departamento nacional de Planeación, Programa de apoyo, y fortalecimiento étnico


de los pueblos indígenas en Colombia, 1995-1998, Documento CONPES, Mingobierno,
Santafé de Bogota, D. C, marzo 17 de 1995. Parmi les actions prévues, on signalera la
mise en place d’un Conseil coordinateur interinstitutionnel des affaires indigènes et d’un
Comité des droits de l’hommes individuels et collectifs des peuples indigènes.

22 Cf. : “Política del gobierno para los pueblos indígenas”, ministerio de Gobierno,
Dirección general de Asuntos indígenas, Bogota, mimeo, (sans date). Cf. Aussi : Jimeno,
G.,“Pueblos indígenas, derechos humanos y participación política”, Derechos
Humanos, n° 22, mayo-agosto 1994, (pp. 4-9).

23 Cf. dans cet ouvrage la contribution de R. Pasquis.

24 Ainsi dans le haut Sinù verra-t-on la Direction des affaires indigènes prendre
résolument la défense des Indiens Embera et Zenú et demander la suspension d’un projet
hydroélectrique soutenu par le gouvernement et le ministère du milieu ambiant
: Cf. Dirección General de Asuntos Indígena, “Documento para la Audiencia Pública del
Proyecto Hidroeléctrico de Urrá 1, Montería, Córdoba. Marzo 3 de 1995”, (mimeo), 1995.
25 Pour ce qui est du fonctionnement des cabildos indigènes à l’intérieur du cadre
administratif municipal là, où comme dans le Cauca, ils sont d’ancienne tradition on
consultera la pénétrante analyse de J. M. Rojas (1993) op. cité.

26 Le cas des populations indiennes de la Sierra Nevada ou des Cuna fait, semble-t-il,
exception.

27 Cf. sur ce thème : Padilla G., “Lo que contempla el bien. La ley y los pueblos indígena
en Colombia”, mimeo, 1995 ; cf. aussi Jackson, J., “Being and becoming an Indian in the
Vaupès”, in Sherzer, J. ; Urban, G, Nation States and Indians in Latin America, Austin,
University of Texas Press, 1991.

28 Et cela même, semble-t-il, quand du côté indigène on défend l’idée d’un Derecho
mayor, antérieur et supérieur au droit de Blancs, comme c’est le cas avec le Mouvement
des autorités indiennes.

29 “Política del gobierno para los pueblos indígenas”, Ministerio de Gobierno, Dirección
general de Asuntos indígenas, Bogota, mimeo,\995, (p. 3 et 4) (souligné par nous).

30 cf. “Ley 60 del 93, descentralisación con recursos. La participación de los resguardos
indígenas en los ingresos corrientes de la nación”, Departamento nacional de Planeación,
Unidad Administrativa Especial de Desarrollo Territorial, Bogota, 1994, (58. p).

31 N’oublions pas que le resguardo avait été constitué comme un des lieux essentiels de
la fiscalité coloniale.

32 Cf. “Colombia : descentralización y federalismo fiscal”. Informe de la misión para la


descentralización”, Presidencia de la República, Departamento nacional de Planeación,
Bogota, sans date, 383 p.

33 La loi ne fait semble-t-il que reconnaître l’existence préétablie de communautés


indigènes, mais, ce faisant, elle intervient sur elles par sa force instituante, et elle
contribue à sa création, à sa réalité, à son existence...
34 C/Gros C., “O movimento indigenista do nacional-populismo ao neo-
liberalismo”, Caderno CRH, n° 22, jan.-jun. 1995.

35 Du nom qu’il se donne lui-même dans les llanos.

36 Cf. Gros C., “Identités indiennes, identités nouvelles. Quelques réflexions à partir du
cas Colombien”, Caravelle, n° 68,1995.

NOTES DE FIN

* Professeur de sociologie, Institut des hautes études de l'Amérique latine, Université de


la Sorbonne nouvelle, Paris III.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

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