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I.

Peuplement de l’Afrique
Introduction
Il a été dit que l’histoire du peuplement du sous-continent africain (au sud du Sahara) était
« l’aventure démographique la plus incroyable qu’ait jamais portée l’histoire de l’humanité »1.
Et c’est vrai ! Vrai depuis le début, puisque l’humanité naît en Afrique, vrai aujourd’hui
encore car le continent africain a connu et continue de connaître une histoire démographique
qui la distingue des autres continents.

QUELS SONT LES ÉLÉMENTS QUI FONT DE CETTE HISTOIRE DÉMOGRAPHIQUE UN


CAS SINGULIER ?

1. Les ancêtres de l’homme sont apparus en Afrique il y a plusieurs millions d’années.


L’Afrique fut le berceau du peuplement mondial. Tous les sapiens sapiens
descendraient d’une même population qui prit forme en Afrique orientale. Le fait est
confirmé par le matériel génétique des populations africaines, qui est le plus diversifié
dans la catégorie homo sapiens.
2. Le facteur le plus important est une tradition très ancienne (qui perdure aujourd’hui)
de déplacements de populations. En raison de ces mouvements incessants à l’intérieur
du continent, les lieux de vie se sont recomposés en permanence : cela a donc une
incidence à la fois sur l’occupation de l’espace et sur l’organisation sociale et
politique des sociétés africaines, sur leur économie, et même sur leur vision du monde.
3. Le peuplement de l’ensemble de l’Afrique s’est déroulé de manière beaucoup plus
lente que celui de l’Europe ou du Proche-Orient : il ne s’est véritablement achevé
que vers 1500 de l’ère chrétienne. Ceci s’explique par le cadre peu favorable à la
mobilité et à l’occupation humaine en de nombreuses régions, pour des raisons
climatiques, géologiques, nosologiques ou de couvert végétal. Occuper le continent a
été une véritable conquête de la nature, qui a marqué le rapport à la terre, la vision du
monde et l’organisation de la société.
4. Au moment où les populations africaines achevaient leur conquête du continent,
survinrent deux saignées démographiques très importantes provoquées par des
facteurs exogènes : les traites négrières et la colonisation. Ces deux facteurs ont eu un
impact déterminant sur l’histoire démographique de l’Afrique : de 1500 à 1900, la
population mondiale a été multipliée par 3,5, alors que celle de l’Afrique diminuait.
On estime que vers 1500, le poids démographique du continent dans la démographie
mondiale était de 17%. En 1900, il ne pesait plus que 7%.
5. Le continent africain fut donc très longtemps un continent sous-peuplé. Aujourd’hui,
la dynamique s’est inversée et la population croît à une vitesse exponentielle. Depuis
la fin de la Première Guerre mondiale, on assiste à ce que les démographes appellent
la première phase de transition démographique (brusque chute de la mortalité grâce
aux progrès sanitaires et fécondité persistante). En 100 ans (20 e siècle), la population a
été multipliée par 7. On s’attend à ce que la population actuelle (environ 1,2 milliard
en 2016, dont 974 millions au sud du Sahara) atteigne entre 2 et 3 milliards en 2050, et
3,9 milliards en 2100. En effet, il faudra encore attendre au moins 50 ans pour
atteindre une seconde phase de transition, celle qui voit les taux de natalité diminuer

1
J.-M. SEVERINO et O. RAY, Le temps de l’Afrique, Paris, 2011, p. 18.

1
dans la même proportion que ceux de mortalité. Cela signifie que le continent rattrape
son retard démographique et est en passe de dépasser la Chine et l’Inde, même avec
l’épidémie du sida. En un siècle, la population sera multipliée par 10, un phénomène
sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Ceci pose de graves problèmes aux
autorités publiques (explosion des villes, accès à l’eau, au logement, aux
infrastructures de transport, à l’éducation, à la santé, etc.), sans compter les
bouleversements que cela implique dans les rapports sociaux et l’économie.

Il est donc très important pour comprendre les sociétés africaines, dans le passé comme
aujourd’hui, d’appréhender la manière dont les hommes ont « colonisé » leur continent et se
sont appropriés les terres et les ressources.

1. PREMIÈRES RÉGIONS DE PEUPLEMENT

L’homme apparaît en Afrique dans la région du Rift, ce fossé tectonique marquant la fracture
de l’écorce terrestre du Nord au Sud dans l’Est du continent africain. L’histoire des débuts de
l’humanité dans cette zone n’est pas l’objet de ce cours. Le fait est néanmoins important pour
comprendre les mouvements de population et les premières implantations sur le continent.

Au cours de centaines de milliers d’années, des hominidés descendent le long du Rift et


aboutissent en Afrique du Sud, une région qui bénéficie d’un climat méditerranéen plus
propice à la vie humaine. Ils seront suivis par les hommes modernes, rassemblés en petits
groupes itinérants de chasseurs-collecteurs, qui remontent le long du Rift et s’installent dans
deux zones, d’une part le Sahara (à partir de 20.000 acn) et d’autre part la vallée du Nil
(à partir de 12.000 acn), où leur présence s’accompagne de celle de bétail. À partir de
10.000 acn, un épisode de pluies exceptionnellement abondantes provoque un bond
démographique considérable dans toute l’Afrique, surtout dans les zones aujourd’hui
désertiques. Les hauts plateaux sahariens sont habités, tandis que la vallée du Nil inférieur est
inondée. A l’époque, le désert est couvert de savanes, de prairies, de rivières et de forêts, et
peuplé d’animaux sauvages et domestiqués. Les populations s’installent dans les plaines
environnantes et vivent de pêche et de cueillette.

2. LA RÉVOLUTION NÉOLITHIQUE

Le néolithique est généralement défini par les débuts de l’agriculture (ici aussi un concept
élaboré en Occident). Sur le continent africain toutefois, il constitue une révolution due à la
sédentarisation sans impliquer directement l’agriculture. Au Sahara par exemple, il prend
d’abord le visage de l’élevage et du fauchage de graminées sauvages. En fonction
d’environnements géographiques divers, le néolithique prend en Afrique la forme d’une
sédentarisation d’éleveurs, d’agriculteurs ou encore de pêcheurs. On y trouve cinq formes de
néolithique : une civilisation de crues (région du Nil et Soudan oriental) ; une culture agro-
pastorale (Sahara) ; une culture des fortes pluies (boucle du Niger) ; une culture de l’igname
(forêt humide) et une culture pastorale (Afrique orientale).

a) La « civilisation des crues » (région du Nil et Soudan oriental)


La région du Nil sert de refuge aux populations chassées par la sécheresse à partir de
11.000 acn. Une civilisation basée sur la pêche et la cueillette de tubercules s’y met en place.
Cette sécurité alimentaire accrue pousse les populations à se sédentariser. Progressivement,
s’y ajoutent des activités pastorales (domestication des bovins, chèvres et moutons), puis la

2
culture de céréales (orge et froment vers -5.000 en Égypte). Les pêcheurs ont été les premiers
groupes sédentaires, les premiers habitants de villages en Afrique.

b) La culture agro-pastorale (hauts plateaux sahariens)


Dans le Sahara, le changement climatique qui s’installe vers -8000 transforme le désert en une
savane arborée à végétation méditerranéenne. La partie centrale (Tassili, Hoggar, Ennedi,
Tibesti) attire une population importante venue des montagnes marocaines et des marécages
soudanais. C’est d’abord une civilisation de chasseurs qui s’y développe, aux réalisations
artistiques remarquables (fresques et gravures des abris sous roche, Tassili, Hoggar, Fezzan).

Ex cursus. Les peintures rupestres du Tassili des Ajjers et du Hoggar (6.000/500 acn)
Ces peintures permettent de suivre les acquisitions techniques des populations des hauts plateaux. On
peut notamment y voir le passage progressif de la chasse au pastoralisme, et suivre l’évolution des
types de peuplements. Au 4e millénaire, trois groupes coexistent sur les plateaux sahariens, que les
peintures rupestres permettent de distinguer (une population noire portant masques et scarifications ;
des pasteurs à peau plus claire ; des pasteurs noirs aux traits dits « non négroïdes »). Au milieu du
1e millénaire, arrivent des populations blanches utilisant le cheval puis le chameau. Ces chameliers
dominent l’espace avec leurs montures, chassant les agriculteurs qui se réfugient dans des sites
fortifiés et fuient la sécheresse. Le chameau est une véritable révolution technologique dans la région :
avec ses sabots adaptés au sable, sa capacité à manger des plantes qu’aucun autre animal ne toucherait,
à marcher 10 jours sans boire, et à parcourir de 30 à 50 km par jour, il provoque un changement
complet dans les échanges transsahariens à partir du 5 e siècle.

Avec le retour de la sécheresse à partir de –6000, les chasseurs sont contraints d’exploiter plus
intensivement la faune puis de la domestiquer pour accumuler des réserves. Les conditions
climatiques permettent également la domestication des céréales dans la bande entre le Mali et
la vallée du Nil. L’association bétail, céréales et céramique marque le démarrage du
néolithique sous la forme d’une civilisation pastorale sédentaire. Mais à partir du
3e millénaire, le dessèchement progressif pousse une partie des pasteurs des massifs
montagneux du Sahara vers le Sud. Ils prennent la route du lac Tchad et du fleuve Niger où
vont s’établir des pêcheurs-agriculteurs.

c) La « culture des fortes pluies » (savane, côtes et boucle du Niger)


A partir de -8000, outre les hauts plateaux qui verdissent, les pluies plus abondantes créent
dans une grande partie du Sahara des zones propices aux pêcheurs. Il s’agit d’un immense
espace aquatique, d’une « ceinture de pêche » qui se compose de fleuves, rivières, lacs,
marécages et lagunes permettant une pêche intensive et donc la vie de communautés
humaines importantes et sédentaires. Les populations qui s’y installent vivent aussi de la
cueillette de baies sauvages et de la récolte de coquillages terrestres qui sont séchés et
probablement commercialisés (des amas coquilliers importants témoignent de ces activités,
ainsi que des fragments d’œufs d’autruche gravés).

Sur les côtes, le long des lagunes et des fleuves, une civilisation de pêcheurs sédentaires
s’épanouit également. Du Niger au Nil, des campements permanents aux caractéristiques
similaires se multiplient à partir de -5500 (outils en os, bois et pierre, pêche, chasse, cueillette,
bétail et culture de céréales). Des échanges existent déjà à moyenne distance, empruntant la
voie fluviale, moyennant des pirogues creusées dans des troncs : on en a retrouvé des traces
archéologiques dès – 4400. Les pluies en savane permettent par ailleurs au bétail de se
répandre dans la même bande climatique. La période pastorale dure jusque vers -2500. La
domestication des céréales se développe en parallèle : les populations passent de la cueillette
des céréales sauvages au mil cultivé en Mauritanie. Ailleurs, d’autres céréales se répandent :

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le sorgho dans la savane humide et le riz africain dans la vallée du Niger. Des villages
néolithiques se structurent en grand nombre. À Dar Tichitt (SE Mauritanie), les archéologues
en ont dénombré plus de 400, dont les habitants étaient agriculteurs, pêcheurs et pasteurs. Ces
villages en pierre sèche étaient des centres d’activité importants : voies de circulation, ateliers
de taille de la pierre, ateliers de céramiques très diversifiées (cannelures, vagues). Avec
l’accentuation de la sécheresse, les villages furent abandonnés vers -500, leurs habitants se
réfugiant dans les oasis.

d) La « culture de l’igname » (régions forestières)


Pendant que le néolithique se met en place dans des régions favorisées sur le plan climatique,
de petits groupes de population de chasseurs-cueilleurs vivent en îlots isolés dans les régions
forestières du Nigeria et du Congo. Ils commencent à cultiver l’igname dans la forêt humide à
partir du 5e millénaire, et peut-être même déjà au 6e millénaire. D’abord produit de cueillette,
extrait avec le bâton à fouir, l’igname est progressivement cultivé et il donne naissance à de
nombreuses variétés. Il permet de quitter le stade du recours exclusif à la chasse-cueillette. Il
permet le début de l’agriculture en forêt et la constitution de villages. Il favorise la croissance
démographique, provoquant une forte densité de population au Nigeria et le long du golfe de
Guinée. L’igname est donc la clé de la première colonisation de la forêt. À partir du
4e millénaire, l’usage de houes et de haches, et de la poterie se répand dans la forêt de l’Est
vers l’Ouest. Par contre l’élevage est impossible dans ces zones où abondent les glossines.

e) Le pastoralisme (Afrique orientale)


Le néolithique apparaît en Afrique orientale à partir de -5000, comme l’attestent des poteries
et vases en pierre taillée au Kenya. Aux environs de -2500, le pastoralisme apparaît près du
lac Turkana, puis descend vers le Sud au cours d’un lent processus. La présence de bétail
n’est cependant pas possible partout, notamment dans les savanes humides où prolifèrent les
tsé-tsé. Le matériel archéologique (meules de pierre polie, céramiques, mortiers et pilons)
témoigne d’une sédentarisation au moins partielle des chasseurs consommateurs de céréales.

3. EN ROUTE VERS LA GRANDE FORÊT


DESSÈCHEMENT ET NOUVELLE RÉVOLUTION TECHNIQUE, LA MÉTALLURGIE

a) Climat et croissance démographique


Vers 2500, la désertification du Sahara, devenue irréversible, entraîne une accélération des
migrations des populations sahariennes vers les vallées méridionales où elles trouvent des
terres favorables à l’agriculture de décrue (Niger, Sénégal), ou en direction du Nord, vers le
Nil. Beaucoup se concentrent dans une bande longue de plusieurs centaines de kilomètres
entre le lac Tchad et la frontière sud du Niger et du Mali. Elles s’installent dans des villages
de pêcheurs-agriculteurs qui domestiquent des plantes sauvages (mil, fonio, riz africain,
karité...). Les pasteurs se déplacent vers le sud par divers itinéraires : certains se dirigent vers
la vallée du Moyen Sénégal, par l’Est du Mali ou par le Sahara atlantique. D’autres
empruntent la bande soudanaise du Sahara. D’autres encore longent les vallées se déversant
depuis le Nord-Ouest dans le lac Tchad. Ces pasteurs recherchent d’abord les savanes gagnées
sur la forêt par la sécheresse, puis les hauts plateaux qu’ils trouveront en Afrique orientale.

Ces populations qui s’installent le long de la bande climatique et écologique favorable (à


l’Ouest du lac Tchad) sont techniquement supérieures aux populations paléolithiques qu’elles
rencontrent (agriculture et élevage) et connaissent une rapide expansion démographique. Elles

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se divisent en deux groupes, les uns se dirigeant vers les prairies du Cameroun, les autres vers
les Grands Lacs.

b) Une révolution technologique : la métallurgie


La métallurgie a un impact essentiel sur la colonisation des terres. Véritable révolution, elle
permet la fabrication d’outils en fer qui rendent les défrichements plus efficaces. Les
populations des savanes du Nigeria pénètrent plus facilement dans la forêt et se lancent à sa
conquête par l’Ouest puis le Sud en suivant les fleuves. Les outils en fer facilitent l’avancée
des populations d’Afrique occidentale chassées par la sécheresse et la pression des Sahariens
venus du Nord. La métallurgie permet également la fabrication d’armes, condamnant les
sociétés des premiers occupants (chasseurs-récolteurs restés à l’âge de la pierre) à la
disparition ou à la subordination envers les nouveaux arrivants. L’association du travail du
métal et de l’agriculture permet enfin un accroissement significatif de la population et donc
l’émergence de concentrations humaines sous forme de villages, puis de petites villes.

* La métallurgie : une invention africaine originale ?


L’existence d’une métallurgie africaine autonome a fait couler beaucoup d’encre, un certain
nombre d’auteurs se montrant réticents à accepter qu’une telle innovation soit le fait de
populations considérées comme arriérées. Pendant longtemps, la thèse diffusionniste a
prévalu. Certains auteurs ont attribué la paternité de la métallurgie africaine à l’Asie mineure,
via l’Égypte, la vallée du Nil et la Nubie. D’autres auteurs ont déclaré qu’il y avait eu un
transfert technologique de l’Afrique du Nord vers l’Afrique de l’Ouest. Ces thèses sont
aujourd’hui battues en brèche par de nombreuses découvertes archéologiques.

* Plusieurs foyers
Un premier foyer métallurgique autonome du cuivre apparaît vers -1000 au Niger (Agadès et
Termit), dans une région où le minerai est accessible. Il s’agit d’une méthode primitive par
martelage, débouchant sur un métal fort malléable. Deux cents ans plus tard, ces zones
pratiquent la fonte du cuivre dans des fourneaux : les métallurgistes purifient et réduisent le
métal par martelage répété de la loupe (du cuivre fondu mélangé aux scories). Vers -700, la
région passe à la métallurgie du fer avec les bas fourneaux de Do Dimini.

Plus au Sud, en divers endroits du Nigeria, apparaissent également au 1er millénaire acn
d’autres foyers autonomes de métallurgie du cuivre (entre autres Nok). Les métallurgistes y
réalisent du bronze (cuivre + étain) et du laiton (cuivre + zinc). Au Mali également, sur l’île
du Bani (affluent du Niger), un centre apparaît à Jené-Jeno dans une des premières cités
découvertes par les archéologues en Afrique occidentale. Un courant de diffusion de la
métallurgie part du plateau nigérian (Nok et Taruga), descend vers le Sud et oblique vers la
lisière de la forêt dense (Cameroun).

Ex Cursus. Nok
Située au centre du Nigeria, la civilisation de Nok s’est déployée du 9 e acn jusqu’à la fin du 2e siècle
de notre ère. Étendue sur plus de 100.000 km 2 en lisière de la forêt, cette société comportait une
population dense occupée principalement par l’agriculture et la chasse. À partir de - 500, d’excellents
métallurgistes y travaillent le fer (sans passer par le stade du bronze), tandis que des artisans
produisent des sculptures de terre cuite remarquables par leur qualité esthétique et leur perfection
technique (matériaux, maîtrise de la cuisson, finesse du modelé). Des centaines d’objets ont été
trouvés et datés au radiocarbone.

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Un troisième foyer autonome émerge dans la région des Grands Lacs, où la métallurgie du fer
est associée à l’agriculture dès le 9e siècle acn. Elle se diffuse des lacs vers la Tanzanie et le
Zimbabwe vers l’an 500 pcn. La technologie se répand aussi au Sud-Ouest de la forêt
(Congo), qu’elle atteint vers la même époque, et enfin dans l’Ouest. La propagation de cette
technologie a pu se produire sous l’effet de migrations ou par emprunts de voisinages.

4. LES MIGRATIONS BANTOUES OU LA CONQUÊTE DE L’ENSEMBLE DU


CONTINENT

Le continent africain fut difficile à coloniser, notamment en raison de la grande forêt aux
terres peu fertiles qui rendait les déplacements malaisés, sans compter les maladies
endémiques pour l’homme comme pour le bétail (la tsé-tsé forme une véritable barrière au
sud du Sahel). On peut donc véritablement dire que les sociétés de langue bantoue sont nées
du défrichement de la forêt, que les traditions présentent d’ailleurs comme le lieu des origines.
Les premiers défricheurs, les pionniers, sont dès lors devenus des personnages mythiques, des
héros civilisateurs qui ont appris aux hommes l’agriculture et la métallurgie du fer. Nous
reviendrons sur l’importance de cette forêt dans le chapitre consacré à la cosmogonie africaine
et aux pratiques et croyances qui y sont liées.

a) Qu’entend-on par « bantu » ?


Bantu signifie « peuple » ou « les gens ». Le vocable a retenu en 1862 par le linguiste
allemand Guillaume-Henri Bleek pour manquer la très nette parenté entre tous les dialectes
parlés par les populations vivant en Afrique centrale, orientale et australe. Cette parenté se
marque également par une série de traits de civilisation communs, notamment le travail du
fer. À partir de là, des hypothèses basées sur la linguistique, l’archéologie et la botanique ont
suggéré l’existence d’un noyau bantu primitif à partir duquel des populations se seraient
dispersées. Selon de nombreux linguistes, ce noyau se situerait au sud-est du Nigeria. Les
études linguistiques montrent que les populations de cette région connaissaient l’agriculture,
le bétail, les chèvres, la hache, mais qu’elles pratiquaient également la chasse et la pêche, ce
qui permit une croissance démographique et une certaine densité de population.

b) Histoire des migrations : une hypothèse


À partir de ce noyau, il y aurait eu vers le Sud de l’Équateur des migrations de populations
supérieures sur les plans technique, culturel et militaire ((agriculture, élevage, poterie, tissage,
armes en fer), ces populations imposant leur langue aux populations rencontrées et se
métissant avec elles (d’où les différences significatives d’un peuple à l’autre). Ces populations
se seraient implantées sur près de la moitié du continent. L’archéologie apporte des arguments
en faveur de cette hypothèse : elle démontre une association entre l’apparition de la
métallurgie du fer et un nouveau type de poterie (channelled ware). Il semblerait donc que les
migrations bantoues se confondent avec la diffusion de la métallurgie.

Cette hypothèse est-elle plausible ? Il est certain que la désertification du Sahara a poussé une
partie des populations pastorales sahariennes vers le Sud, où elles ont rencontré autour du lac
Tchad une population déjà dense grâce aux débuts de l’agriculture (igname) et à la maîtrise de
la métallurgie du fer (outils, armes) (le « noyau bantu »). Sous la pression démographique
désormais trop importante, certains groupes entament une migration. Une partie prend la
direction du Sud-Ouest (prairies du Cameroun). L’autre se dirige vers l’Est en suivant la
lisière nord de la forêt équatoriale et se dirige vers les Grands Lacs d’Afrique orientale.

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* Le courant occidental
Le groupe occidental se dirige vers le Cameroun, puis vers les terres au Nord du Gabon, une
région où la forêt s’éclaircit à cause du changement du régime des pluies et est donc plus
facile à pénétrer. Grâce à leurs technologies agricoles et à la métallurgie, les agriculteurs
défrichent des clairières et croisent les premiers occupants, des chasseurs-récolteurs (sans
doute pygmées). Ces derniers se déplacent plus loin, sont absorbés par les nouveaux arrivants
(mariages) et disparaissent, ou cohabitent et échangent des produits avec les agriculteurs.

A la même époque, les agriculteurs entament la conquête de la forêt guinéenne. Au milieu du


1er millénaire, ils aménagent des clairières dans les zones forestières de l’Afrique centrale
qu’ils commencent par longer par l’Ouest avant de remonter les rivières pour atteindre les
sources du fleuve Congo vers -400. Progressivement, les groupes initiaux se segmentent en
une série de peuples d’agriculteurs doublés de métallurgistes, (vers le 1er siècle acn). Certains
descendent vers la Namibie, où ils sont bloqués par le désert du Kalahari. D’autres bifurquent
vers l’Est, remontent les rivières, traversent la forêt, rejoignent le Sud-Ouest du Soudan, avant
de se diriger vers le lac Tanganyika et le Moyen Zambèze.

La segmentation de ces agriculteurs bantu en plusieurs peuples aboutit vers l’an mil de notre
ère à l’apparition de chefferies au sud de la grande forêt qui seront à l’origine des futurs
royaumes Kuba, Lunda et Luba. Ces chefferies pratiquent la métallurgie et le commerce du
cuivre qu’elles transportent sur le fleuve. Par ailleurs, l’arrivée de la banane (originaire
d’Indonésie) donne une nouvelle impulsion à la colonisation des terres, car elle permet un saut
démographique. Au 13e siècle, les pasteurs bantu atteignent l’Afrique méridionale, chassant
les premiers habitants des zones écologiques favorables dans le désert.

* Le courant oriental
Le second courant de migrations bantoues longe la forêt équatoriale par le nord et atteint la
région des Grands Lacs. La maîtrise du fer leur permet de défricher les clairières et de cultiver
le sorgho et l’igname. Les migrants avancent ensuite dans la savane orientale et australe, après
avoir domestiqué les céréales au contact de peuples venus de la vallée du Nil. Vers l’an 0, ils
se livrent à de grands défrichages autour des Grands Lacs (la production de trois houes de fer
nécessite une tonne de charbon de bois). Sur les hauts plateaux d’Afrique orientale, le bétail
devient une donnée essentielle et un moteur de la conquête des terres et de la constitution des
futurs royaumes. Le déploiement du bétail est facilité par la déforestation (liée à la
métallurgie) qui fait reculer la tsé-tsé. Dans la foulée des migrations bantoues, la métallurgie
se répand depuis le Rwanda et le Burundi vers l’Est (Tanzanie) et le Sud (Zimbabwe).

c) Profil des migrations


Il s’agit d’un processus lent s’étalant sur près de trois millénaires. Vers l’an mil, de
nombreuses populations sont déjà installées dans des villes et villages, mais le continent
continue d’être parcouru de migrations lentes, processus encore visible au 19 e siècle en
Afrique australe. Il ne faut donc pas imaginer une migration organisée et structurée ni des
invasions massives. Il s’agit plutôt du déplacement de petits groupes s’adaptant aux milieux
rencontrés, échangeant leurs technologies et leur production avec les populations locales ou
avec d’autres migrants. En bref, le processus s’apparente davantage à de lentes infiltrations et
à un brassage de populations aboutissant à une transformation du paysage humain. En outre,
les mouvements de population et transferts culturels et technologiques qui les accompagnent
sont très complexes et ne concernent pas uniquement des peuples bantouphones, même si ces
derniers ont joué le rôle le plus important dans la conquête des terres.

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Ces migrations sont intimement liées à la maîtrise ou à l’adaptation au milieu de la forêt dense
et de la forêt équatoriale, un milieu jusqu’alors fréquenté uniquement par de tout petits
groupes de chasseurs-cueilleurs. Les agriculteurs itinérants commençaient par défricher et
brûler un pan de forêt, puis ils cultivaient les champs autour des grands arbres jusqu’à ce que
la terre soit épuisée. Ils se déplaçaient alors plus loin, laissant le couvert végétal se
reconstituer et faire place à une forêt secondaire. C’est ainsi que de proche en proche, les
agriculteurs et métallurgistes bantu ont progressé. Les pasteurs procédaient de la même
manière, suivant leurs troupeaux dans une quête de bons pâturages.

Ex cursus. Les premiers habitants de la grande forêt de la cuvette congolaise


Des populations habitent la forêt avant l’arrivée des agriculteurs bantu. Leur présence est attestée dès
7000 acn. Elles se composent des premiers occupants de ces terres et de populations marginalisées au
cours des siècles, isolées et forcées de développer des techniques de survie. Ces populations vivent de
chasse, cueillette, pêche et récolte du miel. Leur dénomination de Pygmées recouvre en réalité une
série de peuples : les Baka, Mbuti, Akka, Twa...

d) Une colonisation des terres variables selon l’environnement


Dans les savanes d’Afrique occidentale, les agriculteurs bantu investissent prioritairement les
plaines inondables et les collines où ils développent une agriculture intensive à partir du
10e siècle de notre ère. Dans la savane sèche, ils privilégient le mil et le fonio, tandis que dans
la savane humide ils développent la culture du sorgho. Dans le delta intérieur du Niger, c’est
le riz africain qui prend le dessus. Parmi ces peuples, on peut compter les Tellems du Mali.

Contrairement à la savane, la forêt occidentale (Sénégal, Guinée, Liberia, Côte d’Ivoire,


Ghana, Togo, Bénin, Nigeria) rend la colonisation très difficile. Selon les régions, on y trouve
deux biotopes. De la Sénégambie à la Côte d’Ivoire, il n’y a qu’une saison des pluies, et c’est
le riz en polders qui est développé. À l’Est de la Côte d’Ivoire s’étend une zone qui connaît
deux saisons des pluies. Les migrants bantu y cultivent le yam sur sol vierge (une céréale très
productive qui exige un sol vierge à chaque semailles). Cela entraîne une colonisation très
lente puisqu’il faut défricher à chaque saison.

La forêt équatoriale est particulièrement difficile à pénétrer et à défricher. Les migrants


privilégient donc des microenvironnements tels que les lisières savane-forêt, marais ou bords
de rivières. Ils y cultivent le yam, le palmier à huile et peut-être la banane plantain.

Dans les régions orientales, on trouve une grande diversité de reliefs et de climats. Dès lors,
les migrants s’installent en noyaux dispersés chevauchant plusieurs environnements et
demeurent très mobiles. La diversité des milieux entraîne également la cohabitation de
pasteurs et d’agriculteurs. Les populations y développent des techniques sophistiquées
(aqueducs, terrasses, irrigation artificielle) et multiplient diverses cultures (yam, sorgho et
banane d’Asie à partir de 900 de notre ère).

L’Afrique australe est investie de manière assez similaire à l’Afrique orientale : des noyaux
isolés, dispersés et mobiles privilégient un habitat à cheval sur plusieurs environnements
(vallée du Zambèze, partie basse du veld de la côte, hauts plateaux) et font cohabiter pasteurs
et agriculteurs. Mais les poches de population sont plus éloignées les unes des autres en raison
des grandes étendues sans eau. Ces environnements variés imposent la diversification des
cultures (yam, sorgho, millet) et le recours à deux types d’agriculture : soit intensive (ce qui
suppose une migration lente), soit par brûlis sur des prairies et des terres sèches boisées (ce
qui permet une migration plus rapide).

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Conclusion
Les peuples bantu ont changé de façon radicale le paysage humain de l’Afrique
subsaharienne, qui est passé d’un continent peuplé de façon clairsemée par des chasseurs-
cueilleurs à un peuplement de fermiers dans des villages. Partout où ils sont allés, ils ont
apporté l’art de la fonte et du travail des métaux. Pour certains auteurs, « ces migrations ont
constitué une des plus grandes contributions culturelles à l’histoire culturelle de l’humanité »
(Gann et Duignan, 2000).

5. CONSOLIDATIONS DÉMOGRAPHIQUES (11E-15E SIÈCLES)

Entre le 11e et le 15e siècle, le continent subsaharien est colonisé presque dans sa totalité par
les populations bantu, à l’exception de certaines régions d’Afrique orientale et australe. Mais
le peuplement et la consolidation de la conquête des terres diffèrent selon les régions.

Dans la savane, l’habitat se structure par regroupements progressifs. Les villages sont établis
de manière concentrique. Au centre, le village proprement dit, portant le nom de son pionnier,
avec un noyau intense, entouré d’un second cercle de terres cultivées en permanence par des
noyaux plus faibles. Un troisième cercle consiste en des champs temporaires, un quatrième
par des bois extérieurs. Enfin, entre les villages, des terrains en friche séparent les groupes. Le
paysage social se présente donc comme un filet de pêche, plein de vides inhabités. La
multiplication de villages découle de l’essaimage des jeunes. Nous y reviendrons dans le
cadre des structures sociales.

Dans la forêt occidentale, la trouée du Dahomey se termine et des concentrations


apparaissent dans la région côtière. Les régions boisées sont colonisées par de nouveaux
pionniers vers l’an mil. Par contre la forêt dense est laissée aux premiers habitants. Dans la
région forestière, les structures sont plus fortes qu’en savane, car l’effort commun
considérable qui doit être fourni pour la défricher soude le groupe : c’est l’apparition de
micro-États. L’organisation des villages est également concentrique, avec des enceintes
séparant le village de la brousse. L’habitat est structuré autour d’une place publique, entouré
de palmiers à huile, puis de terres cultivées. À l’extérieur se trouve l’espace non maîtrisé,
appelé la « mauvaise brousse ».

Dans la forêt équatoriale, la conquête se termine vers l’an mil, mais il reste de nombreuses
zones inoccupées. La population croît fortement notamment grâce à la banane plantain,
générant beaucoup de main-d’œuvre. Les villages sont séparés par de vastes étendues et
installés en zones de lisière. Les barrières naturelles freinent les contacts entre groupes,
entraînant la formation de groupes ethniques liés à des environnements spécifiques. Ainsi,
dans le nord-est de la forêt, on trouve des cultivateurs sylvestres ; au Katanga, les cultivateurs
exploitent à la fois l’agriculture de forêt et les céréales, tandis que dans la savane angolaise au
sud-ouest, ce sont principalement les céréales qui sont cultivées.

En Afrique orientale, la colonisation des terres n’est pas terminée. De nouveaux migrants
venus du Soudan méridional, de langue non bantu, arrivent dans la région vers l’an mil. La
sécheresse qui s’installe pousse les populations à conquérir la savane orientale. Dans le centre
et l’ouest de la Tanzanie, l’agriculture se base sur les céréales, tandis que dans les forêts des
sommets montagneux, c’est la banane asiatique qui permet le peuplement.

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En Afrique australe, la colonisation n’est pas terminée au 15e siècle. Les populations vivent
d’un pastoralisme extensif et les villages se concentrent autour de parcs à bétail. Les
populations poursuivront la conquête des terres vers le Sud depuis le Katanga et la Copper
Belt zambienne jusqu’au 19e siècle.

6. IMPACT ARABE ET OCCIDENTAL : TRAITES ET COLONISATION

Deux césures vont ensuite marquer la démographie et le peuplement du continent africain. Il


s’agit des traites esclavagistes et de la colonisation. Ces mécanismes, liés à l’irruption
d’acteurs occidentaux et arabes, eurent un impact fondamental sur l’histoire démographique.
En effet, l’Afrique est le seul continent au monde dont la population n’a pas augmenté entre le
16e et la fin du 19e siècle.

Les traites négrières ont opéré des ponctions importantes au sein de la population jeune. On
les évalue à environ 50 millions. Elles ont provoqué non pas un recul global de la population,
mais une stagnation, en annulant la croissance démographique. Elles ont aussi engendré de
vastes mouvements migratoires liés à l’insécurité qui gagna toute l’Afrique subsaharienne. En
effet, comme les chefs ne vendaient pas leur propre population, il y eut une multiplication de
guerres entre groupes pour faire des razzias. Le résultat fut une répartition très inégale des
populations selon les régions : noyaux surpeuplés dans les zones-refuges difficiles d’accès
(par exemple le Rwanda), sous-peuplement dans les zones soumises à une traite continue.

La traite a par ailleurs eu un impact sur la colonisation des terres et la production agricole, en
puisant dans les forces de travail. A contrario, elle a provoqué une nouvelle révolution
agricole par l’introduction de plantes à haut rendement (manioc, maïs, etc.). Le manioc,
attesté au Congo à partir de 1600, ne craint ni la sécheresse ni les sols pauvres et fournit trois
fois plus de calories que le sorgho. Il se diffuse rapidement dans toute l’Afrique centrale. Le
maïs, quant à lui, est adapté à la savane humide ; il procure deux fois plus de calories que le
millet. Il se répand à la lisière entre la forêt et la savane, ainsi que dans les bassins fluviaux, et
aux points de départ des caravanes de la traite. L’introduction de ces plantes américaines
provoque un bond démographique qui compense en partie l’hémorragie de la traite atlantique.
Cependant, ces nouvelles plantes facilitent aussi la traite en procurant de quoi nourrir les
esclaves sur le chemin vers leur embarquement, dans les camps où ils sont concentrés avant
leur embarquement, et sur les bateaux vers le Nouveau Monde.

La colonisation européenne des 19e et 20e siècles a également un impact sur le peuplement du


continent africain, à la fois sur les implantations de populations, les mouvements migratoires,
et le profil démographique global. En effet, l’arrivée de populations exogènes, l’installation
de colonies de peuplement, de grandes plantations et d’industries ou de parcs nationaux, le
développement de postes administratifs et économiques, la naissance de villes, etc. ont touché
les régions de manière variable. La domination occidentale et les diverses pressions exercées
sur les populations en termes de travail forcé, de construction d’infrastructures, d’effort de
guerre pendant les conflits mondiaux, de portage, etc., sans compter les guerres coloniales ont
provoqué des migrations d’évitement, affaibli les populations, ce qui les a rendues plus
sensibles aux maladies anciennes et nouvelles, et engendré des pertes démographiques.
A contrario, les politiques sanitaires et l’apport de nouveaux traitements médicamenteux ont
progressivement diminué la mortalité et permis un accroissement démographique.

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7. AFRIQUE CONTEMPORAINE

En 2016, l’Afrique subsaharienne comptait plus de 970 millions d’habitants, et on estime


qu’en 2050, elle en comptera plus du double. Le peuplement est très inégal selon les régions,
mais le foyer bantu originel demeure le plus peuplé (en 2016, le Nigeria comptait
187 millions d’habitants). L’urbanisation explose au sud du désert et à la lisière de la forêt
équatoriale. Les changements climatiques vident certaines régions de leurs populations et
provoquent des mouvements migratoires de grande ampleur. Les maladies anciennes ne sont
toujours pas éradiquées, tandis que de nouvelles surviennent (sida). Il faut encore y ajouter
l’insécurité politique et économique (guerres et pauvreté) qui influence le peuplement de
zones entières du continent.

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