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Peuplement de l’Afrique
Introduction
Il a été dit que l’histoire du peuplement du sous-continent africain (au sud du Sahara) était
« l’aventure démographique la plus incroyable qu’ait jamais portée l’histoire de l’humanité »1.
Et c’est vrai ! Vrai depuis le début, puisque l’humanité naît en Afrique, vrai aujourd’hui
encore car le continent africain a connu et continue de connaître une histoire démographique
qui la distingue des autres continents.
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J.-M. SEVERINO et O. RAY, Le temps de l’Afrique, Paris, 2011, p. 18.
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dans la même proportion que ceux de mortalité. Cela signifie que le continent rattrape
son retard démographique et est en passe de dépasser la Chine et l’Inde, même avec
l’épidémie du sida. En un siècle, la population sera multipliée par 10, un phénomène
sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Ceci pose de graves problèmes aux
autorités publiques (explosion des villes, accès à l’eau, au logement, aux
infrastructures de transport, à l’éducation, à la santé, etc.), sans compter les
bouleversements que cela implique dans les rapports sociaux et l’économie.
Il est donc très important pour comprendre les sociétés africaines, dans le passé comme
aujourd’hui, d’appréhender la manière dont les hommes ont « colonisé » leur continent et se
sont appropriés les terres et les ressources.
L’homme apparaît en Afrique dans la région du Rift, ce fossé tectonique marquant la fracture
de l’écorce terrestre du Nord au Sud dans l’Est du continent africain. L’histoire des débuts de
l’humanité dans cette zone n’est pas l’objet de ce cours. Le fait est néanmoins important pour
comprendre les mouvements de population et les premières implantations sur le continent.
2. LA RÉVOLUTION NÉOLITHIQUE
Le néolithique est généralement défini par les débuts de l’agriculture (ici aussi un concept
élaboré en Occident). Sur le continent africain toutefois, il constitue une révolution due à la
sédentarisation sans impliquer directement l’agriculture. Au Sahara par exemple, il prend
d’abord le visage de l’élevage et du fauchage de graminées sauvages. En fonction
d’environnements géographiques divers, le néolithique prend en Afrique la forme d’une
sédentarisation d’éleveurs, d’agriculteurs ou encore de pêcheurs. On y trouve cinq formes de
néolithique : une civilisation de crues (région du Nil et Soudan oriental) ; une culture agro-
pastorale (Sahara) ; une culture des fortes pluies (boucle du Niger) ; une culture de l’igname
(forêt humide) et une culture pastorale (Afrique orientale).
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culture de céréales (orge et froment vers -5.000 en Égypte). Les pêcheurs ont été les premiers
groupes sédentaires, les premiers habitants de villages en Afrique.
Ex cursus. Les peintures rupestres du Tassili des Ajjers et du Hoggar (6.000/500 acn)
Ces peintures permettent de suivre les acquisitions techniques des populations des hauts plateaux. On
peut notamment y voir le passage progressif de la chasse au pastoralisme, et suivre l’évolution des
types de peuplements. Au 4e millénaire, trois groupes coexistent sur les plateaux sahariens, que les
peintures rupestres permettent de distinguer (une population noire portant masques et scarifications ;
des pasteurs à peau plus claire ; des pasteurs noirs aux traits dits « non négroïdes »). Au milieu du
1e millénaire, arrivent des populations blanches utilisant le cheval puis le chameau. Ces chameliers
dominent l’espace avec leurs montures, chassant les agriculteurs qui se réfugient dans des sites
fortifiés et fuient la sécheresse. Le chameau est une véritable révolution technologique dans la région :
avec ses sabots adaptés au sable, sa capacité à manger des plantes qu’aucun autre animal ne toucherait,
à marcher 10 jours sans boire, et à parcourir de 30 à 50 km par jour, il provoque un changement
complet dans les échanges transsahariens à partir du 5 e siècle.
Avec le retour de la sécheresse à partir de –6000, les chasseurs sont contraints d’exploiter plus
intensivement la faune puis de la domestiquer pour accumuler des réserves. Les conditions
climatiques permettent également la domestication des céréales dans la bande entre le Mali et
la vallée du Nil. L’association bétail, céréales et céramique marque le démarrage du
néolithique sous la forme d’une civilisation pastorale sédentaire. Mais à partir du
3e millénaire, le dessèchement progressif pousse une partie des pasteurs des massifs
montagneux du Sahara vers le Sud. Ils prennent la route du lac Tchad et du fleuve Niger où
vont s’établir des pêcheurs-agriculteurs.
Sur les côtes, le long des lagunes et des fleuves, une civilisation de pêcheurs sédentaires
s’épanouit également. Du Niger au Nil, des campements permanents aux caractéristiques
similaires se multiplient à partir de -5500 (outils en os, bois et pierre, pêche, chasse, cueillette,
bétail et culture de céréales). Des échanges existent déjà à moyenne distance, empruntant la
voie fluviale, moyennant des pirogues creusées dans des troncs : on en a retrouvé des traces
archéologiques dès – 4400. Les pluies en savane permettent par ailleurs au bétail de se
répandre dans la même bande climatique. La période pastorale dure jusque vers -2500. La
domestication des céréales se développe en parallèle : les populations passent de la cueillette
des céréales sauvages au mil cultivé en Mauritanie. Ailleurs, d’autres céréales se répandent :
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le sorgho dans la savane humide et le riz africain dans la vallée du Niger. Des villages
néolithiques se structurent en grand nombre. À Dar Tichitt (SE Mauritanie), les archéologues
en ont dénombré plus de 400, dont les habitants étaient agriculteurs, pêcheurs et pasteurs. Ces
villages en pierre sèche étaient des centres d’activité importants : voies de circulation, ateliers
de taille de la pierre, ateliers de céramiques très diversifiées (cannelures, vagues). Avec
l’accentuation de la sécheresse, les villages furent abandonnés vers -500, leurs habitants se
réfugiant dans les oasis.
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se divisent en deux groupes, les uns se dirigeant vers les prairies du Cameroun, les autres vers
les Grands Lacs.
* Plusieurs foyers
Un premier foyer métallurgique autonome du cuivre apparaît vers -1000 au Niger (Agadès et
Termit), dans une région où le minerai est accessible. Il s’agit d’une méthode primitive par
martelage, débouchant sur un métal fort malléable. Deux cents ans plus tard, ces zones
pratiquent la fonte du cuivre dans des fourneaux : les métallurgistes purifient et réduisent le
métal par martelage répété de la loupe (du cuivre fondu mélangé aux scories). Vers -700, la
région passe à la métallurgie du fer avec les bas fourneaux de Do Dimini.
Plus au Sud, en divers endroits du Nigeria, apparaissent également au 1er millénaire acn
d’autres foyers autonomes de métallurgie du cuivre (entre autres Nok). Les métallurgistes y
réalisent du bronze (cuivre + étain) et du laiton (cuivre + zinc). Au Mali également, sur l’île
du Bani (affluent du Niger), un centre apparaît à Jené-Jeno dans une des premières cités
découvertes par les archéologues en Afrique occidentale. Un courant de diffusion de la
métallurgie part du plateau nigérian (Nok et Taruga), descend vers le Sud et oblique vers la
lisière de la forêt dense (Cameroun).
Ex Cursus. Nok
Située au centre du Nigeria, la civilisation de Nok s’est déployée du 9 e acn jusqu’à la fin du 2e siècle
de notre ère. Étendue sur plus de 100.000 km 2 en lisière de la forêt, cette société comportait une
population dense occupée principalement par l’agriculture et la chasse. À partir de - 500, d’excellents
métallurgistes y travaillent le fer (sans passer par le stade du bronze), tandis que des artisans
produisent des sculptures de terre cuite remarquables par leur qualité esthétique et leur perfection
technique (matériaux, maîtrise de la cuisson, finesse du modelé). Des centaines d’objets ont été
trouvés et datés au radiocarbone.
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Un troisième foyer autonome émerge dans la région des Grands Lacs, où la métallurgie du fer
est associée à l’agriculture dès le 9e siècle acn. Elle se diffuse des lacs vers la Tanzanie et le
Zimbabwe vers l’an 500 pcn. La technologie se répand aussi au Sud-Ouest de la forêt
(Congo), qu’elle atteint vers la même époque, et enfin dans l’Ouest. La propagation de cette
technologie a pu se produire sous l’effet de migrations ou par emprunts de voisinages.
Le continent africain fut difficile à coloniser, notamment en raison de la grande forêt aux
terres peu fertiles qui rendait les déplacements malaisés, sans compter les maladies
endémiques pour l’homme comme pour le bétail (la tsé-tsé forme une véritable barrière au
sud du Sahel). On peut donc véritablement dire que les sociétés de langue bantoue sont nées
du défrichement de la forêt, que les traditions présentent d’ailleurs comme le lieu des origines.
Les premiers défricheurs, les pionniers, sont dès lors devenus des personnages mythiques, des
héros civilisateurs qui ont appris aux hommes l’agriculture et la métallurgie du fer. Nous
reviendrons sur l’importance de cette forêt dans le chapitre consacré à la cosmogonie africaine
et aux pratiques et croyances qui y sont liées.
Cette hypothèse est-elle plausible ? Il est certain que la désertification du Sahara a poussé une
partie des populations pastorales sahariennes vers le Sud, où elles ont rencontré autour du lac
Tchad une population déjà dense grâce aux débuts de l’agriculture (igname) et à la maîtrise de
la métallurgie du fer (outils, armes) (le « noyau bantu »). Sous la pression démographique
désormais trop importante, certains groupes entament une migration. Une partie prend la
direction du Sud-Ouest (prairies du Cameroun). L’autre se dirige vers l’Est en suivant la
lisière nord de la forêt équatoriale et se dirige vers les Grands Lacs d’Afrique orientale.
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* Le courant occidental
Le groupe occidental se dirige vers le Cameroun, puis vers les terres au Nord du Gabon, une
région où la forêt s’éclaircit à cause du changement du régime des pluies et est donc plus
facile à pénétrer. Grâce à leurs technologies agricoles et à la métallurgie, les agriculteurs
défrichent des clairières et croisent les premiers occupants, des chasseurs-récolteurs (sans
doute pygmées). Ces derniers se déplacent plus loin, sont absorbés par les nouveaux arrivants
(mariages) et disparaissent, ou cohabitent et échangent des produits avec les agriculteurs.
La segmentation de ces agriculteurs bantu en plusieurs peuples aboutit vers l’an mil de notre
ère à l’apparition de chefferies au sud de la grande forêt qui seront à l’origine des futurs
royaumes Kuba, Lunda et Luba. Ces chefferies pratiquent la métallurgie et le commerce du
cuivre qu’elles transportent sur le fleuve. Par ailleurs, l’arrivée de la banane (originaire
d’Indonésie) donne une nouvelle impulsion à la colonisation des terres, car elle permet un saut
démographique. Au 13e siècle, les pasteurs bantu atteignent l’Afrique méridionale, chassant
les premiers habitants des zones écologiques favorables dans le désert.
* Le courant oriental
Le second courant de migrations bantoues longe la forêt équatoriale par le nord et atteint la
région des Grands Lacs. La maîtrise du fer leur permet de défricher les clairières et de cultiver
le sorgho et l’igname. Les migrants avancent ensuite dans la savane orientale et australe, après
avoir domestiqué les céréales au contact de peuples venus de la vallée du Nil. Vers l’an 0, ils
se livrent à de grands défrichages autour des Grands Lacs (la production de trois houes de fer
nécessite une tonne de charbon de bois). Sur les hauts plateaux d’Afrique orientale, le bétail
devient une donnée essentielle et un moteur de la conquête des terres et de la constitution des
futurs royaumes. Le déploiement du bétail est facilité par la déforestation (liée à la
métallurgie) qui fait reculer la tsé-tsé. Dans la foulée des migrations bantoues, la métallurgie
se répand depuis le Rwanda et le Burundi vers l’Est (Tanzanie) et le Sud (Zimbabwe).
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Ces migrations sont intimement liées à la maîtrise ou à l’adaptation au milieu de la forêt dense
et de la forêt équatoriale, un milieu jusqu’alors fréquenté uniquement par de tout petits
groupes de chasseurs-cueilleurs. Les agriculteurs itinérants commençaient par défricher et
brûler un pan de forêt, puis ils cultivaient les champs autour des grands arbres jusqu’à ce que
la terre soit épuisée. Ils se déplaçaient alors plus loin, laissant le couvert végétal se
reconstituer et faire place à une forêt secondaire. C’est ainsi que de proche en proche, les
agriculteurs et métallurgistes bantu ont progressé. Les pasteurs procédaient de la même
manière, suivant leurs troupeaux dans une quête de bons pâturages.
Dans les régions orientales, on trouve une grande diversité de reliefs et de climats. Dès lors,
les migrants s’installent en noyaux dispersés chevauchant plusieurs environnements et
demeurent très mobiles. La diversité des milieux entraîne également la cohabitation de
pasteurs et d’agriculteurs. Les populations y développent des techniques sophistiquées
(aqueducs, terrasses, irrigation artificielle) et multiplient diverses cultures (yam, sorgho et
banane d’Asie à partir de 900 de notre ère).
L’Afrique australe est investie de manière assez similaire à l’Afrique orientale : des noyaux
isolés, dispersés et mobiles privilégient un habitat à cheval sur plusieurs environnements
(vallée du Zambèze, partie basse du veld de la côte, hauts plateaux) et font cohabiter pasteurs
et agriculteurs. Mais les poches de population sont plus éloignées les unes des autres en raison
des grandes étendues sans eau. Ces environnements variés imposent la diversification des
cultures (yam, sorgho, millet) et le recours à deux types d’agriculture : soit intensive (ce qui
suppose une migration lente), soit par brûlis sur des prairies et des terres sèches boisées (ce
qui permet une migration plus rapide).
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Conclusion
Les peuples bantu ont changé de façon radicale le paysage humain de l’Afrique
subsaharienne, qui est passé d’un continent peuplé de façon clairsemée par des chasseurs-
cueilleurs à un peuplement de fermiers dans des villages. Partout où ils sont allés, ils ont
apporté l’art de la fonte et du travail des métaux. Pour certains auteurs, « ces migrations ont
constitué une des plus grandes contributions culturelles à l’histoire culturelle de l’humanité »
(Gann et Duignan, 2000).
Entre le 11e et le 15e siècle, le continent subsaharien est colonisé presque dans sa totalité par
les populations bantu, à l’exception de certaines régions d’Afrique orientale et australe. Mais
le peuplement et la consolidation de la conquête des terres diffèrent selon les régions.
Dans la savane, l’habitat se structure par regroupements progressifs. Les villages sont établis
de manière concentrique. Au centre, le village proprement dit, portant le nom de son pionnier,
avec un noyau intense, entouré d’un second cercle de terres cultivées en permanence par des
noyaux plus faibles. Un troisième cercle consiste en des champs temporaires, un quatrième
par des bois extérieurs. Enfin, entre les villages, des terrains en friche séparent les groupes. Le
paysage social se présente donc comme un filet de pêche, plein de vides inhabités. La
multiplication de villages découle de l’essaimage des jeunes. Nous y reviendrons dans le
cadre des structures sociales.
Dans la forêt équatoriale, la conquête se termine vers l’an mil, mais il reste de nombreuses
zones inoccupées. La population croît fortement notamment grâce à la banane plantain,
générant beaucoup de main-d’œuvre. Les villages sont séparés par de vastes étendues et
installés en zones de lisière. Les barrières naturelles freinent les contacts entre groupes,
entraînant la formation de groupes ethniques liés à des environnements spécifiques. Ainsi,
dans le nord-est de la forêt, on trouve des cultivateurs sylvestres ; au Katanga, les cultivateurs
exploitent à la fois l’agriculture de forêt et les céréales, tandis que dans la savane angolaise au
sud-ouest, ce sont principalement les céréales qui sont cultivées.
En Afrique orientale, la colonisation des terres n’est pas terminée. De nouveaux migrants
venus du Soudan méridional, de langue non bantu, arrivent dans la région vers l’an mil. La
sécheresse qui s’installe pousse les populations à conquérir la savane orientale. Dans le centre
et l’ouest de la Tanzanie, l’agriculture se base sur les céréales, tandis que dans les forêts des
sommets montagneux, c’est la banane asiatique qui permet le peuplement.
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En Afrique australe, la colonisation n’est pas terminée au 15e siècle. Les populations vivent
d’un pastoralisme extensif et les villages se concentrent autour de parcs à bétail. Les
populations poursuivront la conquête des terres vers le Sud depuis le Katanga et la Copper
Belt zambienne jusqu’au 19e siècle.
Les traites négrières ont opéré des ponctions importantes au sein de la population jeune. On
les évalue à environ 50 millions. Elles ont provoqué non pas un recul global de la population,
mais une stagnation, en annulant la croissance démographique. Elles ont aussi engendré de
vastes mouvements migratoires liés à l’insécurité qui gagna toute l’Afrique subsaharienne. En
effet, comme les chefs ne vendaient pas leur propre population, il y eut une multiplication de
guerres entre groupes pour faire des razzias. Le résultat fut une répartition très inégale des
populations selon les régions : noyaux surpeuplés dans les zones-refuges difficiles d’accès
(par exemple le Rwanda), sous-peuplement dans les zones soumises à une traite continue.
La traite a par ailleurs eu un impact sur la colonisation des terres et la production agricole, en
puisant dans les forces de travail. A contrario, elle a provoqué une nouvelle révolution
agricole par l’introduction de plantes à haut rendement (manioc, maïs, etc.). Le manioc,
attesté au Congo à partir de 1600, ne craint ni la sécheresse ni les sols pauvres et fournit trois
fois plus de calories que le sorgho. Il se diffuse rapidement dans toute l’Afrique centrale. Le
maïs, quant à lui, est adapté à la savane humide ; il procure deux fois plus de calories que le
millet. Il se répand à la lisière entre la forêt et la savane, ainsi que dans les bassins fluviaux, et
aux points de départ des caravanes de la traite. L’introduction de ces plantes américaines
provoque un bond démographique qui compense en partie l’hémorragie de la traite atlantique.
Cependant, ces nouvelles plantes facilitent aussi la traite en procurant de quoi nourrir les
esclaves sur le chemin vers leur embarquement, dans les camps où ils sont concentrés avant
leur embarquement, et sur les bateaux vers le Nouveau Monde.
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7. AFRIQUE CONTEMPORAINE
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