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Histoire de l'agriculture
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Aujourd’hui, les informations concernant les marchés et leur organisation, les techniques et le
savoir-faire bénéficiant des progrès de l'agronomie, les produits, instruments et méthodes de
haute technologie élaborés par les industries de l'agro-fourniture, sont à la disposition de
l'agriculteur pour obtenir des niveaux de production jamais atteints dans l'histoire de
l'Homme. Les marges réalisées par les entreprises agricoles dans les pays développés restent
cependant très variables, dépendant de prix de vente fluctuants et d'aides apportées ou non par
les États, tandis que, dans les autres pays, la situation de nombreux paysans reste précaire.
En contrepartie, ces développements récents de type industriel conduisent une partie des
consommateurs des pays riches à des inquiétudes et des remises en question concernant la
qualité des aliments, leur innocuité et les conséquences des méthodes modernes sur
l'environnement.
Pendant des centaines de milliers d'années, les humains assurent leur subsistance avec la
chasse, la pêche et la cueillette. Les chasseurs-cueilleurs contrôlent déjà leur environnement
afin de favoriser le développement des espèces végétales et animales qu'ils consomment.
À partir de - 400000 cela passe par l'utilisation du feu qui permet de créer des prairies pour les
herbivores, la conservation de certaines plantes ou l'élimination du sous-bois des forêts pour
faciliter la chasse1,2.
Lors du passage à l'agriculture, les humains accumulent les connaissances sur les cycles
biologiques des plantes et des animaux, développent les techniques qui permettent de les
exploiter et apprennent à modifier à leur profit les cycles naturels (par exemple la
reproduction et la sélection des espèces).
Selon Bettinger et al.4, l'agriculture ne pouvait apparaître avant la fin du Pléistocène, vers
9 700 av. J.-C., à cause de la faible productivité végétale due à la faible teneur en CO2 de
l'atmosphère terrestre. Ce phénomène aurait été aggravé par l'augmentation de la conductivité
stomatique, mise en place en réponse, mais qui augmente les besoins en eau, dans un contexte
d'aridité glaciaire. Cette théorie est également soutenue par Ronald Wright5. Il faudrait
cependant prouver que cette faible teneur constitue bien un facteur limitant dans un contexte
de très faibles rendements. D'autre part, des espèces présentant un mode de fixation du
carbone en C4 étaient apparues, leur proportion devenant significative il y a environ cinq
millions d'années6. Ces espèces qui comprennent notamment les ancêtres du maïs, du sorgho,
de la canne à sucre et du millet allient à une voie de synthèse particulière des sucres, un
système de concentration du gaz carbonique (anneau cellulaire de type kranz), une pousse
d'été et une utilisation très efficace de l'eau7. Leur culture n'est cependant pas considérée
comme économe car leurs besoins maximum se situent, dans les régions de grandes cultures
actuelles, souvent à une saison où l'eau est rare, et elles ont pu nécessiter l'usage de l'irrigation
dès le Néolithique.
D'une façon globale, si on regarde l'évolution de l'atmosphère sur le très long terme, la teneur
en CO2 a graduellement baissé depuis l'optimum climatique de l'Éocène, il y a environ 50
millions d'années, passant d'une valeur estimée entre 500 et 1 000 ppm à un minimum de
150 à 200 ppm, il y a environ 20 000 ans ; cette valeur remonte ensuite à 240 ppm, il y a
environ 10 000 ans pour atteindre 280 ppm au début de l'ère industrielle8 et 400 ppm
aujourd'hui.
On peut tracer une courbe à peu près parallèle pour les températures moyennes de
l'atmosphère. Les températures commencent à augmenter, il y a environ 18 000 ans, pour se
stabiliser, il y a environ 11 700 ans. À ce point qui marque le début de l'Holocène, la
déglaciation est enclenchée8. Les températures moyennes vont rester à peu près stables
jusqu'au début de l'ère industrielle.
Une fois les conditions climatiques adéquates pour l'agriculture, il fallait encore, pour les
chasseurs-cueilleurs, surmonter les contraintes et les freins liés à leur organisation sociale, et
au besoin développer de nouvelles formes d'organisation adaptées à la gestion d'une activité
agricole. En effet, l'agriculture nécessite au moins un début de sédentarisation pour le suivi
des ressources disponibles ; cette condition est acquise au Proche-Orient dès le Natoufien13.
Il faut fournir aux paysans des outils d'une qualité suffisante pour défricher et travailler le sol.
La rusticité de ces outils fait que l'on rencontre souvent les premiers villages de paysans à
proximité de zones aux sols meubles, c'est-à-dire présentant une structure à dominante
sableuse ou sablo-limoneuse. On rencontre ces sols, avec la disponibilité de l'eau, dans les
oasis, les grandes vallées ou au bord des lacs. En plus d'être faciles à travailler, ces sols
permettent d'enfoncer facilement des pieux nécessaires à la confection de clôtures de
protection pour les récoltes, d'enclos pour les animaux, de tuteurs pour les jeunes arbres ou de
greniers pour les réserves17.
Protéger les cultures obligeait à tenir à distance les grands animaux, les oiseaux et les
rongeurs susceptibles de les détruire. En plus de la confection de clôtures, cela pouvait obliger
à une entente avec les chasseurs éventuellement aidés de chiens, domestiqués au
Paléolithique.
Par exemple, chez les Amérindiens d'Amérique du Nord, les hommes sont restés chasseurs
tandis que les femmes cultivaient de petites parcelles auprès des campements2. Les immenses
troupeaux de bisons ou les nuées de pigeons migrateurs (tourte voyageuse, ectopistes
migratorius) n'auraient pas permis la culture de parcelles importantes ou éloignées. Les
colons le comprendront si bien que ce pigeon est aujourd'hui une espèce éteinte, le bison
échappant de peu au même sort18.
Tir au pigeon migrateur en Iowa (États-Unis) pour éviter la destruction totale des cultures, fin
XIXème
Dès que les grains constituent une part importante de la ration alimentaire, il faut la corriger
avec un apport de sel (voir histoire du sel). Sur le site d'Aşıklı Höyük en Cappadoce, une
population sédentarisée pratiquait à la fois chasse, cueillette et agriculture sur des niveaux
datés de 11 500 à 7 000 ans environ. On y a relevé les premières traces d'un commerce du sel
et quelques-unes des premières perles en cuivre natif19, ce qui laisse supposer des échanges
actifs.
Il semble également que l'apparition de l'agriculture ait entraîné une aggravation des inégalités
hommes-femmes20, en particulier dans les zones pratiquant la culture des céréales, peut-être
du fait de la nécessité d'organiser la défense des greniers, ce qui semble apparaître dans les
plus anciens sites néolithiques, Tell Qaramel ou Tell es-Sultan où des tours défensives ont pu
être associées à des stockages21. La croissance des inégalités semble moins forte chez les
populations pratiquant une agriculture basée sur les légumes-racines et caractérisées par une
différence de dimorphisme sexuel moins marquée22. Les travaux des archéologues et
anthropologues féministes depuis la fin du XXe siècle considèrent que la division sexuelle du
travail, source d'inégalités, était moins présente avant le développement de l'agriculture,
proposant même le modèle de la « femme collectrice »23 pour le substituer à celui de
« l'homme chasseur »24. Selon l'hypothèse de l'archéologue Jacques Cauvin sur le rôle
prépondérant des femmes, ce sont elles qui auraient assuré une continuité entre la cueillette au
Paléolithique (activité supposée féminine), et la domestication des plantes à partir des graines
tombées et germées accidentellement25. « Avec le développement de l'élevage et la maîtrise de
nouvelles techniques, les hommes auraient progressivement remplacé les femmes dans les
travaux liés à l'agriculture. L'exploitation des animaux pour la laine ou le lait aurait entraîné
un cantonnement accru des femmes dans l'espace domestique24 ». Le développement des
sociétés patriarcales et la généralisation de la patrilocalité auraient accentué ces inégalités26.
Les raisons du passage du mode de vie chasseur-cueilleur au mode de vie agricole sont encore
discutées et font l'objet de plusieurs hypothèses.
La théorie démographique proposée par Carl Sauer27, adaptée ensuite par Lewis Binford28 et
Kent Flannery postule une population de plus en plus sédentaire qui augmenta jusqu'à
dépasser les capacités de l'environnement local et qui nécessitait plus de nourriture qu'elle ne
pouvait en recueillir.
Cela rejoindrait les théories de Marshall Sahlins selon lequel les sociétés de chasseurs étaient
des sociétés d'abondance et qu'être chasseur-cueilleur demandait beaucoup moins d'effort
qu'être agriculteur30. On peut objecter à ces idées, qu'à partir du moment où l'agriculture était
possible, les chasseurs, qui possédaient des armes, pouvaient obliger une autre partie de la
population à cultiver, ne serait-ce d'ailleurs que par le poids des habitudes culturelles, comme
cela semble avoir été le cas chez les Amérindiens2 ou chez les Badjoué (peuple) du Sud-
Cameroun31.
Articles détaillés : Domestication, Domestication des plantes et Culture sélective des plantes.
Les sept produits de la Terre Promise : « le pays qui porte blé, orge, vignes, figuiers,
grenadiers, oliviers, une terre d'huile et de miel où le pain ne vous est pas mesuré ».
Deutéronome 8:8-9
Sur une période comprise entre 9 000 et 5000 av. J.-C., l'agriculture apparaît de manière
indépendante dans au moins cinq foyers :
La figue serait le plus ancien fruit sucré domestiqué connu, après la découverte en 2006, sur le
site de Gilgal I, dans la vallée du Jourdain (Israël actuel) de neuf figues parthénocarpiques,
c'est-à-dire ne produisant pas de graines et pour lesquelles l'intervention de l'homme était
nécessaire, car cela nécessite une culture recourant à des boutures. Ces figues seraient vieilles
de 11 400 ans32. Pour l'orge et le blé, la domestication a commencé entre 9 500 et 9 000 av. J.-
C. dans le Croissant fertile.
Vers 9 000 av. J.-C., débute l'élevage avec les chèvres, puis les moutons, les bovins… mais le
premier animal domestiqué est le chien entre - 20000 et - 4000033.
Bouc du Rove (race caprine) et moutons. La chèvre et le mouton sont les deux premières
espèces élevées pour l'alimentation humaine (lait, viande) puis la laine.
L'histoire de la domestication des plantes et de leur diffusion peut être très complexe, une
même plante pouvant être domestiquée simultanément dans plusieurs endroits, être introduite
plusieurs fois dans un territoire après sa domestication, être redomestiquée après avoir été
introduite puis être retournée à l'état sauvage... C'est par exemple le cas du bananier,
domestiqué en Asie, introduit deux fois en Afrique, où il a été redomestiqué, puis introduit
deux fois en Amérique, à chaque fois à plusieurs millénaires d'écart34. Le cochon a lui été
domestiqué plusieurs fois de manière indépendante dans diverses parties de l'Europe, du
Proche-Orient et de l'Extrême-Orient35.
Selon Jared Diamond36 il est significatif que seules quelques plantes cultivées (riz, orge, maïs,
blé, sorgho) soient présentes sur la majorité des terres agricoles exploitées, et que ces plantes
aient toutes été domestiquées à la préhistoire ; Il explique ceci par le fait que seulement un
petit nombre de plantes sont effectivement domesticables (il faut entre autres qu'elles aient un
cycle de vie annuel, et que seulement quelques mutations soient nécessaires pour obtenir une
variété avantageuse).
Fleurs de lin cultivé, première plante textile domestiquée avec le chanvre
La domestication est un processus quasi automatique à partir du moment où les espèces sont
cultivées ou élevées pendant plusieurs générations, même sans intervention consciente des
agriculteurs. Le cas des céréales est bien connu. À partir du moment où les céréales récoltées
une année sont ressemées l'année suivante, les lignées dont les graines présentent une
dormance (liée à des glumes et glumelles épaisses, et à des substances inhibitrices) sont
rapidement éliminées. La compétition au champ entre les plantules favorise les plantes issues
de gros grains, riches en amidon qui donnent des plantes plus vigoureuses. La moisson, si elle
est effectuée en un temps restreint, défavorise les lignées produisant de nombreuses
inflorescence à maturité échelonnée. C'est aussi le cas des plantes dont les graines se
détachent facilement, tombent au sol et échappent à la récolte. Tous ces caractères inadaptés
aux conditions de l'agriculture étaient des caractères favorables dans les conditions naturelles.
En conséquence, les céréales domestiquées présentent un syndrome de domestication
caractérisé par l'absence de dormance, des enveloppes de taille réduite, de gros grains riches
en amidon, une grande taille, des tiges et des tigelles solides et un égrenage difficile37.
Chez ces deux familles de plantes, l'apparition du syndrome de domestication est facilitée par
l'importance de l'autofécondation, qui limite les flux de gènes avec les plantes sauvages. Il
faut noter que pour que le syndrome de domestication apparaisse, il fallait que les graines
semées soient majoritairement issues de plantes cultivées (et non sauvages), et ce pendant
plusieurs générations. Une fois que des syndromes de domestication suffisamment marqués
apparaissent, les agriculteurs peuvent alors choisir visuellement les plantes qu'ils souhaitent
favoriser ou éliminer, et enclencher une phase de sélection active des caractères37.
Le cas des plantes pérennes est plus compliqué en raison de la durée de leur vie et du fait
qu'elles se reproduisent parfois par voie végétative (cas du figuier, du bananier...). Certaines
plantes pérennes ont aussi été épargnées lors des défrichements car considérées comme utiles
(baobab, palmier à huile, karité) voire volontairement propagées par les humains sans subir de
processus de domestication (Acacia albida)37,38.
Dans le cas des animaux, les plus craintifs qui refusent de s'alimenter ou de se reproduire en
captivité sont éliminés, tout comme les plus agressifs qui sont tués par les éleveurs. Les
animaux d'élevage sont donc peu craintifs et peu agressifs. Ils sont aussi plus petits et moins
vigoureux que les animaux sauvages. Cela s'explique par la préférence des éleveurs d'abattre
les animaux les plus gros, par le fait que les animaux les plus petits et plus faibles sont aussi
protégés des prédateurs, qu'ils résistent mieux aux carences et aux disettes qui frappent
fréquemment les animaux d'élevage et que le contrôle de la reproduction par les humains
autorise l'accès à la reproduction de mâles plus faibles, qui en auraient été exclus par la lutte
pour la reproduction en conditions sauvages37.
Les natoufiens, entre 14 000 et 10 000 av. J.-C., sont parfois considérés comme la première
population d'agriculteurs du Croissant fertile39 avant celles du PPNA (néolithique
précéramique A) . Les natoufiens récoltent de grandes quantités de graines de céréales et de
légumineuses et disposent d'un matériel diversifié composé de faucilles, de mortiers et de
meules et de molettes pour broyer les graines40. Les natoufiens au Levant et, à un degré
moindre, les zarziens, dans ce qui est aujourd'hui le Kurdistan iraquien et iranien, sont
probablement des chasseurs-cueilleurs sédentarisés s'essayant à l'agriculture mais aucun lieu
de stockage de la nourriture n'a encore été retrouvé41. Des expériences de mise en culture et de
domestication ponctuelles ont peut-être lieu à cette époque, servant de tests avant l'adoption
réelle de l'agriculture40.
Dans le Zagros, l'abondance des céréales et des espèces fruitières sauvages, ancêtres des
nôtres, ainsi que la proximité de lieux d'épanouissement des deux grandes premières
civilisations (Sumer et l'Élam) entraînent des questions sur la possibilité d'une proto-
agriculture43.
Il est difficile d'établir les critères d'un syndrome de domestication pour les arbres fruitiers, les
caractéristiques des fruits résultant probablement d'un long processus de coévolution entre les
angiospermes et les animaux frugivores dont les hominidés44. On recense cependant de plus en
plus de preuves de l'implication de l'homme dans la modification radicale et ancienne des
biotopes forestiers, outre au Japon, en Amazonie45 et en Australie46. Les méthodes aborigènes
pré-néolithiques sont d'ailleurs qualifiées d'agriculture par les préhistoriens australiens (Fire-
stick farming (en)).
Des scientifiques comme Augustin Holl de l'Université du Michigan affirment que dans les
zones tropicales, comme en Afrique, des plantes ont pu être cultivées sans être domestiquées
et que donc la domestication n'est pas nécessairement concomitante de la naissance de
l'agriculture47. De même pour Sylvain Ozainne (Université de Genève), en Afrique de l'Ouest,
l'agriculture commence vers - 10000, l'élevage d'animaux domestiques vers - 6000 et la
domestication réelle de plantes vers - 350014.
Il faudrait donc considérer, dans certains cas, une période intermédiaire où l'on cultive ou
élève majoritairement des espèces sauvages 48. Cette phase est appelée proto-agriculture,
cueillette intensive (Intensive gathering (en)) ou agriculture pré-domestique.
Les graines sèches des graminées et légumineuses sont produites en grandes quantités et se
conservent relativement bien sur de longues périodes. Il en est de même pour les noyaux et
coques dures de fruits et les fibres végéales. Les climats arides et à un moindre degré les
tourbières ont pu faciliter la conservation de restes alimentaires. La mouture des céréales
nécessite des meules en pierre facilement identifiables. Ainsi le néolithique du Proche-Orient
bénéficie aujourd'hui d'une description précise alors que celle du néolithique de l'Amazone en
est à ses débuts45.
À partir d'un foyer d'apparition, l'agriculture diffuse vers les régions adjacentes. Plusieurs
modèles peuvent rendre compte de cette diffusion : adoption progressive de proche en proche
par les populations de chasseurs-cueilleurs ; arrivée d'agriculteurs migrants qui apportent leurs
techniques, et remplacent les populations locales. Ce dernier mode étant actuellement
privilégié par les chercheurs en paléogénomique50,51. Les archéologues distinguent52 :
Des indices archéologiques laissent penser que des populations de chasseurs-cueilleurs ont
localement pu coexister longtemps avec les premiers agriculteurs55. Ainsi des analyses d'ADN
faites sur le site de Bouldnor Cliff (en) montrent que des chasseurs-cueilleurs des actuelles
îles britanniques semblent avoir importé des blés domestiqués Moyen-Orient, vers 6 000 av.
J.-C.55. Une étude publiée en 2013 a conclu que vers 4 000 av. J.-C. environ, des agriculteurs
ont commencé à enterrer leurs morts dans la même grotte que celle utilisée par des chasseurs-
cueilleurs et qu'« ils ont continué à le faire pendant 800 ans, ce qui suggère que les deux
groupes étaient en contact étroit ». Une autre étude, plus controversée amène à conclure que
« il y a environ 6500 ans, des chasseurs-cueilleurs d'Allemagne et de Scandinavie pourraient
avoir acquis des porcs domestiqués d'agriculteurs vivant à proximité »55.
L'agriculture se diffuse d'autant plus rapidement qu'il n'y a pas de grandes différences
climatiques et de longueur d'ensoleillement entre les nouveaux territoires et le foyer d'origine.
En conséquence l'agriculture se diffuse plus vite sur un axe est-ouest que sur un axe nord-sud.
Les différences de climat et durée du jour obligent les agriculteurs à sélectionner de nouvelles
variétés et races de plantes et d'animaux36.
Les succès des grands foyers d'origine sont inégaux. En particulier, le foyer nord-américain se
trouve vite submergé par l'agriculture centre-américaine et contribue peu au développement
agricole des autres régions. Le foyer néo-guinéen est aussi englobé dans la zone de diffusion
de l'agriculture chinoise (culture de Dapenkeng).
Cette théorie diffusionniste est aujourd'hui parfois critiquée car élaborée à partir du modèle de
diffusion de l'agriculture du Croissant fertile vers l'Europe47.
Conséquences sociales et environnementales du passage à
l'agriculture[modifier | modifier le code]
Thèse de Jared Diamond[modifier | modifier le code]
Amalthée perdit une de ses cornes qui fut retrouvée par Achélôos et dont des naïades firent la
corne d'abondance (à gauche sur le tableau), représentation mythologique d'une agriculture
facile et généreuse. Achélôos dut la céder à Héraclès. Le banquet d'Achélôos, Pierre Paul
Rubens, vers 1615.
Néanmoins, dans les principaux centres d'apparition de l'agriculture, sont cultivés des
graminées qui apportent des glucides, des légumineuses qui apportent des protéines, et des
oléagineux qui apportent les lipides, contribuant à l'équilibre de l'alimentation comme,
d'ailleurs, les produits laitiers. Mehmet Ödoğan, le fouilleur de Çayönü note aussi que « les
habitants pouvaient vivre dans la prospérité, tout en chassant »60 mais ce site est privilégié car
relativement arrosé et parce que c'est l'habitat naturel des ancêtres des premières espèces
domestiquées.
L'argument portant sur la quantité de travail nécessaire à l'agriculture est à relativiser. Il est en
effet basé sur la culture des céréales et légumineuses qui est gourmande en temps mais qui a
l'avantage de fournir des produits faciles à conserver (Sahlins30). Mais ce sont aussi ceux que
l'on retrouve le plus facilement lors des fouilles archéologiques, ce qui peut entraîner un biais.
Or il n'est pas certain que la culture des plantes pérennes (figuier, dattier, bananier, vigne) ou
faciles à multiplier et à gros rendement comme le taro demande toujours plus de travail que la
simple cueillette exigeante en temps de déplacement. Le même argument peut être repris pour
l'élevage pastoral par rapport à la chasse. Les fruits secs (noix, amandes, pistaches, glands
doux), issus de plantes pérennes et faciles à conserver constituent sans doute une solution
intermédiaire.
Au moins dans certaines régions, les populations d'agriculteurs ont éliminé et remplacé les
populations de chasseurs-cueilleurs. Le rapport de force favorable aux paysans peut
s'expliquer par leur nombre (« Dix paysans mal nourris sont néanmoins plus forts qu'un seul
chasseur en bonne santé »71), par la présence d'une stratification sociale et donc d'armées ou de
classes de guerriers professionnels chez les agriculteurs, par la transmission de maladies des
agriculteurs aux chasseurs-cueilleurs (les agriculteurs sont confrontées à de nombreuses
maladies, pour lesquelles ils ont acquis une immunité)53. C'est par exemple le cas de
l'expansion des cultures du cardial et du rubané en Europe. Les peuples agriculteurs ont pu
propager leurs langues, comme dans les cas de l'expansion bantoue, de l'expansion
austronésienne ou de l'expansion des langues uto-aztèques. Une hypothèse de diffusion
conjointe des langues et de l'agriculture est proposée par la « théorie de la dispersion
agriculture/langue »72. Pour certains (Louis Hjelmslev, Colin Renfrew...), les langues indo-
européennes, les langues afro-asiatiques voire les langues nilotiques seraient toutes issues des
langues des premiers agriculteurs du Proche-Orient73 (Hypothèse anatolienne). Ces idées ont
aussi été développées par Jared Diamond dans son ouvrage De l'inégalité parmi les sociétés.
Pour Jean-Denis Vigne (CNRS) « Le théâtre de cette première naissance de l'agriculture des
céréales et des légumineuses se situe non pas, comme on coutume de le dire, au centre du
Croissant fertile entre le Tigre et l'Euphrate, mais en périphérie sur les piémonts du Zagros, du
Taurus et du Mont-Liban. »76
Tout le matériel (et probablement les connaissances) nécessaires à l'agriculture étaient déjà
connus des Natoufiens. Ceci expliquerait qu'on ne trouve aucune trace de crise alimentaire
majeure au moment du passage à l'agriculture77.
La culture du PPNA utilise certaines plantes sauvages, en cours de domestication (les cultures
fondatrices du néolithique) : engrain, amidonnier sauvage, orge, lin, légumineuses diverses41.
À Chypre, on a pu prouver la présence de chats (Felis sylvestris lybica) sur les premiers sites
néolithiques (Klimonas), il y a 10 800 ans. Ces chats ont probablement été importés pour
lutter contre les souris et rats car on n'a jamais trouvé des restes de chats antérieurs au
néolithique sur l'île76.
On peut déjà parler d'agriculture, étant donné les quantités récoltées; le figuier montre des
indices de domestication comme cela apparaît à Gilgal I (Cisjordanie)78. Les cochons, les
moutons, les chèvres et les bovins sont domestiqués au-cours du IXe millénaire av. J.-C. La
domestication des ruminants était probablement plus motivée par la consommation du lait que
par celle de la viande qui reste fournie principalement par la chasse79 car les populations du
PPNA continuent de pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette.
Les Monts Zagros (en Iran, aujourd'hui) sont probablement le lieu où l'élevage a commencé
avec celui de la chèvre80. L'élevage a pu y être favorisé par la présence de nombreux dépôts
géologiques affleurants de sel, nécessaire aux animaux parqués et encore plus aux animaux
laitiers (Histoire du sel). Pêchers, pistachiers, caroubiers, pruniers, abricotiers, amandiers,
grenadiers et noyers pourraient aussi avoir leur origine dans cette région43. Un très ancien
village néolithique y a été découvert à Saneh (Kermanshah) avec des représentations de
chèvres81.
La lentille, première légumineuse cultivée
Les villages sont environ dix fois plus peuplés que ceux des Natoufiens, probablement en
raison de l'augmentation de la production alimentaire due à l'agriculture41.
On cite souvent Jéricho comme étant la première des villes ; c'est à Jéricho et dans ses
alentours que la notion de Néolithique précéramique (PPNA puis PPNB) a été forgée,
principalement par Kathleen Kenyon.
Pendant la culture du néolithique précéramique B (v. 8500 à 7000 av. J.-C.), la part de la
cueillette dans l’alimentation diminue et le nombre d'espèces domestiquées augmente. La liste
des céréales s'enrichit de l'épeautre et du blé dur (une espèce de blé nu), les légumineuses de
la gesse (Lathyrus sativus), du pois chiche (Cicer arietinum)82 et de la vesce (vicia ervilia ou
ers); les graines de ces deux plantes nécessitent plusieurs cuissons à l'eau avant d'être
consommables. Le câprier83, le lin cultivé oléagineux et textile apparaissent aussi58, ce dernier
est la première plante textile à avoir été domestiquée84 comme le montrent les fouilles de Tell
Ramad (en) en Syrie. Les techniques semblent s'améliorer : emploi de la faucille courbe, de
la houe, vannage. La proportion de plantes adventices augmente fortement, signe d'une
probable intensification83.
Les populations élèvent des bovins, des chèvres, des porcs et des moutons, ainsi que des
chiens (déjà domestiqués mais rares jusque-là) et des chats85 indispensables à la préservation
des stocks de grains. L'abeille (Apis mellifera) semble avoir été domestiquée à cette époque86.
La période d'Obeïd à partir de 6500 av. J.-C. est concernée par l'adaptation de l'agricuture aux
climats secs et aux zones plus sèches du sud de la Mésopotamie. L'irrigation (Choga Mami) et
l'élevage pastoral se développent.
La culture du blé tendre ou froment apparaît vers 6000 av. J.-C. au Proche-Orient58. Elle
permettra la fabrication des pains de froment levés à Sumer et en Égypte.
Une fresque de la tombe de Sennedjem illustrant l'agriculture dans l'Égypte antique dans les
champs d'Ialou : au-dessus d'un canal bordé de palmiers à dattes, scènes de récolte à la
faucille de l'orge et du lin, de semailles et de labourage avec une araire87.
Sumer est la première grande civilisation, du moins la mieux connue, à partir de 3200 av. J.-
C. Outre les céréales, légumineuses et fruitiers cités, on y cultivait l'oignon, l'ail, la laitue, la
moutarde, le poireau, le pommier, le pavot et le melon.
Les anciens Égyptiens auraient domestiqué le papyrus, la fève, le trèfle d'Alexandrie (bersim),
une espèce de dattier (Balanites aegyptiaca, dattier du désert) et des millets, l'oie (3500 av. J.-
C.) et la pintade de Numidie (500 av. J.-C.)79.
L'agriculture apparaît en Europe dès -7000. Le plus ancien site néolithique repéré est la Grotte
Franchthi en Argolide (Grèce). On y a retrouvé des restes d'orge à deux rangs, d'amidonnier,
de chèvres et de moutons domestiqués en rupture radicale avec la période précédente où l'on
utilise que des espèces sauvages89. L'agriculture progresse d'abord en Europe du Sud à partir
de - 6500 puis en Europe centrale vers - 5000 et en Europe du Nord vers - 4000, à partir d'un
foyer balkanique, où les agriculteurs arrivés du Proche-Orient se sont mélangés avec les
chasseurs-cueilleurs locaux90. Deux courants partent ensuite en direction de l'ouest. Un
premier courant longe la côte méditerranéenne, en progressant à saute-mouton (leapfrog
colonization), c'est-à-dire par la formation de villages isolés d'agriculteurs, enclaves au sein
d'une zone peuplée par les chasseurs-cueilleurs91. Ce courant est lié à la diffusion des cultures
de la céramique imprimée et de la céramique cardiale. Un autre courant, lié à la culture de la
céramique rubanée, remonte la vallée du Danube puis continue vers l'ouest, traversant le nord
de l'actuelle France. Dans cette zone, la progression de l'agriculture est liée à l'avancée (demic
diffusion) de petits groupes d'agriculteurs au sein des zones de chasseurs-cueilleurs92. Les
agriculteurs ont peu à peu éliminé et supplanté les chasseurs-cueilleurs90 sauf une minorité
d'entre-eux qui a été assimilée93.
Cette colonisation partielle de l'Europe à partir de L'Anatolie semble confirmée par des études
génétiques récentes portant sur les populations humaines94.
Expansion des peuples Yamna, des langues indo-européennes (et de l'élevage du cheval) :
Céramique cordée à l'Ouest, pasteurs des steppes à l'Est ; selon le linguiste Anthony.
Au nord de la Mer Noire et de la Caspienne les espèces du Proche-Orient sont aussi adoptées.
Le chanvre y serait utilisé depuis - 9000 environ, à la fois comme textile, oléagineux et peut-
être psychotrope102. Le myrobolan (Prunus cerasifera) et le cheval103 (vers - 4000) y sont
probablement domestiqués. D'étonnantes villes y sont bâties comme Talianki (en) (culture
de Cucuteni-Trypillia au nord-Ouest de la Mer Noire, - 5000 à - 800). À la même époque à
l'est de la Mer Noire domine la culture de Maïkop où la roue, la culture attelée, les cultures en
terrasses et les espèces domestiques du Proche-Orient sont utilisées.
Les Indo-Ariens s'installant en Inde avec leurs élevages. Dessin dans l'Histoire des Nations de
Hutchinson, 1940.
Ces deux cultures semblent avoir influencé des populations de chasseurs-cueilleurs du nord de
la Mer noire pour former la culture Yamna à partir de - 3300104. Celle-ci est basée sur le
pastoralisme nomade facilité par l'utilisation du cheval qui est monté105 (invention du mors106)
puis de charriots à roues à rayons à la fin de la période et l'alimentation repose sur la
consommation de viande et surtout de produits laitiers65. On y parlerait une forme d'Indo-
Européen (hypothèse kourgane) ; en expansion rapide (-2200 à -2000) grâce à la maîtrise du
cheval, elle serait à l'origine aussi bien des cultures ultérieures nomades des steppes comme la
Culture d'Afanasievo, que de la Culture de la céramique cordée qui va submerger l'Europe
déjà néolithisée, ainsi que de l'arrivée des Indo-Ariens en Inde. Les populations de chevaux
domestiques remplacent « en quelques siècles à peine toutes les populations de chevaux
sauvages de l'Atlantique à la Mongolie »101. Ces hypothèses ont été confirmées par des études
portant sur des marqueurs génétiques104,101.
L'Arabie est touchée par la culture présumérienne d'Obeïd, vers - 4000107. Le dromadaire y est
domestiqué vers - 3000.
Pasteurs armés d'arc défendant leur troupeau, Gravures rupestres de l'Oued Djerat, Tassili
n'Ajjer, Algérie, vers - 5000
L'agriculture se diffuse en Afrique suivant deux routes. L'une longe la rive sud de la
Méditerranée, avant -7 000, puis s'étend vers le Sahara108 et l'Afrique de l'Ouest. C'est le
Néolithique de tradition Capsienne lié à l'extension du domaine du Tamazight (Langue
berbère). L'autre emprunte la vallée du Nil puis l'Éthiopie109 ou la voie du Yémen et traverse
l'Afrique de l'Est (Néolithique pastoral de savane) en direction du sud. Des analyses
génétiques effectuées sur du matériel provenant du site de Luxmanda en Tanzanie attestent de
la venue de populations liées au PPNA du Proche-Orient et correspondant aux locuteurs des
langues couchitiques110. L'agriculture atteint le golfe de Guinée et le bassin du Congo entre -
5000 et - 2000 et l'extrémité sud de l'Afrique après - 500.
L'agriculture proche-orientale atteint ces régions dès - 7000. Blé, orge, jujubier, amandier,
pêcher, bovins, moutons et chèvres apparaissent dès cette époque111. Le palmier-dattier94 (-
7500), la luzerne, le chameau (- 500)112, le trèfle de Perse, la tulipe, l'épinard sont
probablement domestiqués sur le plateau iranien. Encore aujourd'hui, l'agriculture iranienne
est reconnue pour ses variétés tolérantes à la sécheresse et au sel (céréales, trèfle,
pistachiers…).
L'Éléphant d'Asie, le sésame, plante annuelle à usage oléagineux et le buffle sont domestiqués
dans la vallée de l'Indus et la culture attelée y est présente depuis - 2600113.
Le coton est domestiqué au Cachemire, le zébu (un bovin) au Baloutchistan vers -6000 et
probablement le jacquier (artocarpus heterophyllus), le manguier (- 2000)115, une espèce de
canne à sucre (saccharum barberi) dans la vallée du Gange. La vallée du Gange est aussi
influencée par le néolithique chinois (Cemetery H culture (en)). Le riz y devient la culture
principale vers - 1900.
Des études116 menées par le Cnrs et Le Museum national d'histoire naturelle « montrent
clairement que le génome des habitants du Zagros iranien représente l'ancêtre de celui des
populations de l'Asie du Sud-Est (Afghanistan, Pakistan, Inde) et que le Zagros serait le foyer
de l'expansion néolithique vers l'est », ces populations étant par ailleurs génétiquement
distinctes de celles de l'Anatolie du Sud qui ont colonisé l'Europe94.
Articles détaillés : Néolithique en Chine, Liste des cultures néolithiques en Chine et Période
de la céramique Jeulmun.
Le premier néolithique de Chine est daté de - 8500, - 7700 à Nanzhuangtou, Hebei (près de
Pékin) avec culture du millet et fabrication de poteries. Des études génétiques placent la
première domestication de cannabis sativa vers - 10000 (période de la poterie à impression de
corde à Taïwan et en Chine du Sud), avec des variétés textiles et d'autres psychotropes117. Les
dernières datations de Cishan, dans le Hebei, font remonter la culture du millet à - 8500 dans
ce site118; des poteries et une forte consommation de noix et noisettes y sont attestées119.
L'agriculture continue dans le centre (Henan). Vers -6 000, des systèmes agricoles basés sur le
soja119 et surtout les millets : principalement Setaria italica et de manière secondaire Panicum
miliaceum, sont présents dans le bassin du fleuve Jaune (culture de Yangshao, Hebei),
poteries et bambou y sont utilisés.
Des systèmes basés sur le riz apparaissent sur le cours médian du Yangzi Jiang et à Hemudu
(baie de Hangzhou)123. Les autres espèces domestiquées ou utilisées dans ce foyer sont le
chou, le navet, la ramie, le mûrier, l'oie121, le chien, le porc124 et le buffle125.
Les fouilles de Hemudu révèlent un village daté entre - 5500 et - 4900, où l'on cultive le riz
avec des rendements estimés à environ 9 quintaux/hectare123. La chasse, la cueillette (riz
sauvage, glands, jujubes, chataignes d'eau (Trapa natans), noix, herbe à chapelets (Coix
lacryma-jobi) et la pêche y occupent une place importante126.
La culture du blé tendre attestée dans le bas bassin du Fleuve jaune (- 2600) et l'élevage des
moutons, chèvres et chevaux auraient été transmis par les nomades des steppes à partir de
souches proches-orientales. Dès lors le blé dispute au riz la place de première céréale en
Chine99.
Il faut noter, en ce qui concerne les foyers de Chine Centrale, que ces premiers agriculteurs
appartenaient probablement à des cultures austronésiennes (Culture de Dapenkeng, Nord de
Taïwan) aujourd'hui présentes en Asie du Sud-Est et en Océanie.
Son expansion sur de vastes territoires de la zone indo-pacifique commence vers - 2200 à
partir de Taïwan ; elle est remarquable par sa céramique, l'élevage du chien, du porc et du
poulet.
Savoir si les productions alimentaires de l'époque Jōmon (- 14000 à - 1000) au Japon relèvent
de la cueillette ou de l'agriculture est un problème débattu depuis longtemps119 :
Depuis le début de cette période, les populations fabriquent des poteries, sont
probablement sédentarisés et ont accès à des ressources importantes en fruits de mer,
gibier et poissons131
Sur la côte ouest du Japon, on commence à cultiver des plantes domestiques arrivées de Chine
vers - 3500. À partir de - 800, l'immigration de cultivateurs depuis le continent donne
naissance aux premières civilisations rizicoles dans l'archipel (période Yayoi)134.
Ce foyer reste mal défini dans le temps, il pouvait s'étendre sur la Nouvelle-Guinée et les îles
voisines : Borneo, Palawan où des traces de culture du taro ont été remarquées aux mêmes
époques.
Un courant de diffusion de l'agriculture chinoise rejoint le foyer néo-guinéen vers - 2000 puis
continue enrichi des innovations néo-guinéennes, vers les îles du Pacifique98. À partir de -
1500, la culture de Lapita (du nom d'un site de Nouvelle-Calédonie) liée à l'expansion
austronésienne propage l'agriculture dans les îles inhabitées du Pacifique. Elle pratique un
agriculture basée sur les tubercules (igname, taro), les fruits dont la noix de coco et l'élevage
des cochons. Ce courant prolonge la diffusion des langues austronésiennes.
Il existe un large consensus pour affirmer (en 2022) que le premier peuplement des
Amériques a été réalisé à partir de populations paléolithiques venues de Sibérie et passées par
l'Isthme de Béring à partir de - 20000 à -15000 ; ces chasseurs arrivent avec des chiens déjà
domestiqués137.
En Amérique du Nord, l'agriculture apparaît dans l'est des États-Unis actuels (Eastern
agricultural complex)138. Les plantes domestiquées dans ce foyer comprennent deux plantes
utilisables comme pseudo-céréales et légumes-feuille : le chénopode de Berlandier (- 2000)139
proche du quinoa et la renouée dressée, la courge (- 3000) utilisée comme récipient et pour ses
graines, deux céréales : Hordeum pusillum et Phalaris caroliniana, deux oléagineux : le
tournesol (- 2800)140probablement141 et Iva annua (marsh elder, - 2400)138, et le topinambour142.
L'agriculture y est pratiquée à l'origine par des chasseurs-cueilleurs nomades qui pratiquent
des cultures saisonnières (printemps-été) dans les zones de décrue. Le passage à l'agriculture
sédentaire se produit entre - 250 et 200143. L'agriculture nord-américaine entre ensuite en
contact avec l’agriculture centre-américaine. Une première variété de maïs à 12 rangs, peu
productive, atteint le moyen Mississippi vers 200. Sa culture reste limitée. En revanche, une
variété à 8 rangs et à cycle court, beaucoup plus productive, apparaît vers 800, et s'impose
jusqu'au Saint-Laurent130. À la suite de cette dernière expansion du maïs, les cultures locales
régressent et la culture de Iva annua sera même abandonnée138.
Les seuls animaux productifs domestiqués dans cette zone sont (peut-être) le dindon et le
chien à laine (Salish Wool Dog (en)).
Cette région s'étend, selon Paul Kirchhoff, du Costa Rica au centre du Mexique, on peut
cependant y rajouter, pour les débuts de l'agriculture, le nord du Mexique et une région des
États-Unis actuels englobant le Nouveau-Mexique (voir Anasazis). Déterminer les premiers
foyers dans cette région compartimentée s'avère difficile45. L'emplacement exact de
l'apparition de l'agriculture, son contexte écologique (plateaux semi-arides ou basses-terres
tropicales) et l'importance relative de la culture olmèque dans ce processus restent sujets à
controverses144.
Piments jalapeño encore verts. Le piment est une des toutes premières plantes domestiquées
en Mésoamérique.
La culture du tournesol atteint le Mexique (à moins qu'elle n'en soit originaire) avant 2 400
av. J.-C., puis le Salvador après 1 000 av. J.-C.148. Vers - 1500, le coton, le sapotier et
l'amarante sont domestiqués146, vers - 200, la cochenille à carmin (Dactylopius coccus) élevée
sur des opuntia149 ainsi que la dinde (vers l'an 1)146, le papayer, la noix-pain, le figuier de
Barbarie (opuntia ficus indica) et des agaves : Agave sisalana, une plante à fibres qui donne le
sisal, Agave americana, autre plante à fibres qui permet en outre d'obtenir une sorte de vin, le
pulque.
Les première domestications ont eu lieu avant que les populations ne se sédentarisent (la
sédentarisation a lieu essentiellement au Préclassique moyen ou récent, entre - 1800 et 200)144.
Les cultures ont alors lieu pendant le printemps et l'été et pendant le reste de l'année les
populations reprennent un mode vie nomade et de chasseur-cueilleur146. San José Mogote (-
1500 -500, civilisation zapotèque) est le plus vieux village d'agriculteurs sédentaires connu
dans cette zone.
L'agriculture de ce foyer diffuse fortement vers le nord et vers le sud, après -6000. En
direction du nord, elle atteint le sud de la Californie et le moyen Mississippi vers l'an 1, puis
le Saint-Laurent et le nord-ouest des États-Unis actuels vers l'an 1000 (même si elle n'a pas
été adoptée dans l'actuel Midwest). Elle incorpore le foyer nord-américain dans son aire
d'extension130. Seul l'extrême sud de l'Amérique du Sud, le nord du Canada, les Montagnes
Rocheuses et les prairies du centre des États-Unis restent en dehors de sa zone d'influence130.
Dans la zone andine, l'agriculture apparaît en Colombie dans la vallée du Río Cauca et au
Panama, il y a environ 10 000 ans avec des espèces comme la marante, Calathea allouia
(topinambour de Cayenne), la courge musquée et les gourdes mais ces plantes sont
probablement originaires du piémont amazonien150. À partir de - 6000, les espèces
domestiquées sont la pomme de terre, l'oca, le haricot de Lima, le haricot commun, l'arachide,
l'ulluque (-2000), le quinoa (-1000)137, le lupin, la coca151, le canard de barbarie (vers - 700), le
cochon d'inde, le lama et l'alpaga98. Le quinquina et le maté apparaissent au Pérou.
Avant la conquête de leurs territoires par le Chili et l'Argentine, les Amérindiens Mapuches
utilisaient Bromus mango comme céréale152 et cultivaient poivrons, haricots et le fraisier
Fragaria chiloensis.
Récolte de manioc.
Alors que l'on pensait que l'agriculture n'avait jamais été pratiquée en Australie avant l'arrivée
des Britanniques, des recherches récentes (Rhys Jones (archeologist) (en)) ont pu mettre en
évidence des pratiques pré-agricoles et agricoles :
Sur les zones centrales de côtes Est et Ouest, des formes d'agriculture ont été mises en
évidence avec la culture de Dioscorea hastifolia, Cyperus bulbosus (une espèce de souchet),
Panicum decompositum, une espèce de millet, Marsilea drummondii, une espèce de fougère46.
En Afrique, il est encore difficile d'établir s'il s'agit de centres secondaires ou d'apparitions
autonomes de l'agriculture47,14 : l'importance de ce continent est probablement sous-estimée. Il
peut en être de même pour le Sud-Est asiatique.
Madagascar est sans doute la terre d'origine de Raphia farinifera, un palmier qui
fournit des fibres, le raphia, et une farine (sagou).
En Sibérie, les Samis (Lapons) ont domestiqué puis exploité le renne suivant un
système pastoral après - 1000, avant d'occuper leurs parcours de l'extrême nord de
l'Europe (aujourd'hui nord de la Scandinavie, péninsule de Kola, Carélie)165. Les
Iakoutes avaient domestiqué l'élan, animal particulièrement adapté à la vie dans les
marais et les forêts, il fut utilisé surtout comme animal de trait et ponctuellement pour
son lait et comme monture (atteignant 60 km/h, l'élan peut distancer les chevaux)166.
À partir de ces centres, les nouvelles espèces domestiquées se diffusent à leur tour vers
d'autres territoires, à l'exemple du taro et du bananier qui atteignent la côte est de l'Afrique
puis se diffusent à l'intérieur des terres, vers l'ouest47.
Lorsque l'agriculture est devenue la source principale de l'alimentation, les paysans se sont
organisés, inventant des successions d'activités et de cultures sur les parcelles, utilisant un
outillage dédié pour chaque catégorie de culture, définissant des itinéraires culturaux
(succession des soins à apporter à la culture de la préparation du sol à la récolte); finalement,
les sociétés s'organisent de façon telle que ce système puisse fonctionner. On peut alors parler
de systèmes agraires : agriculture sur brûlis et pastoralisme sont probablement les premiers
systèmes apparus3.
Ces systèmes permettent pour la première fois la colonisation agricole d'espaces immenses.
Ils contribuent de façon décisive à l'augmentation de la population des hommes et des
animaux domestiques. Ils entrainent une modification radicale des biotopes.
Agriculture sur abattis-brûlis. La photo représente la phase de brûlis, qui fait suite à la phase
d'abattage. Eno, Finlande, vers 1893
Il consistent à défricher une parcelle par essartage : abattage des arbres à la hache, puis
nettoyage par le feu (permettant un enrichissement du sol), mais sans dessouchage. La
parcelle est ensuite cultivée de un à trois ans, avant de laisser la végétation se développer
pendant plusieurs années (10 à 50 ans, dans les systèmes contemporains). Le processus est
ensuite réitéré ailleurs, l'année suivante. Le développement de ces systèmes a été permis par le
perfectionnement des techniques de la pierre polie, qui autorisent la fabrication de haches
réaffutables dans des roches plus solides que celles utilisées pour faire les haches en pierre
taillée3,167.
Ils sont également adaptés pour des agriculteurs qui ne possèdent pas d'outils du travail du sol,
à l'exception de la houe et du bâton fouisseur. Ces systèmes s'implantent dans les zones de
forêt dense : taïga, forêt tempérée décidue ou mixte, forêt méditerranéenne, forêt tropicale à
saison sèche130.
L'expansion bantoue est liée à la connaissance des techniques de l'agriculture sur brûlis et sans
doute de l'agroforesterie, puis du fer, par des peuples originaires du Nord-Cameroun
Les systèmes sur brûlis peuvent nourrir une population de l'ordre de 10 à 30 habitants/km².
Lorsque la population augmente au-dessus de la densité que peut supporter le système, une
partie de la population du village émigre et forme un nouveau système agraire dans une zone
de forêt encore non exploitée. Cette dynamique continue encore de nos jours, dans les
dernières forêts tropicales d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Indonésie.
Ces systèmes ont entraîné une croissance démographique importante, par rapport aux époques
précédentes. Ainsi, entre -8 000 et -3 000, la population humaine passe de 5 à 50 millions.
Néanmoins, à cette époque le taux de croissance de la population était inférieur à 1 % par an,
la formation de nouveaux villages se produisait moins d'une fois par siècle et le front pionnier
de l'agriculture avançait environ de 1 km par an167.
Les systèmes d'agriculture sur brûlis existent toujours dans les dernières forêts tropicales
d'Amazonie, d'Afrique centrale, d'Inde, et d'Asie du Sud-Est (Laos, Vietnam, Indonésie,
Papouasie-Nouvelle-Guinée...), facilitée souvent par l'utilisation d'outils en fer126,168. En Europe
ils se sont maintenus jusqu'au début du XXe siècle en Fennoscandie169,170. En Europe de l'Ouest,
des systèmes similaires (écobuage, essartage) se sont maintenus au moins jusqu'au XIXe siècle
sur des terres marginales (landes, forêts de montagne)171,172.
Lorsque le brûlage revient trop souvent sur la même parcelle, la forêt n'a pas le temps de se
reconstituer et la dégradation des sols s'amorce. On atteint alors les limites du système.
Dans les zones de forêt tropicale humide, la végétation très dense complique le défrichement
avec les outils en pierre tandis que le climat humide limite l'utilisation du feu. Dans ces
conditions, l’écorçage des arbres peut être plus efficace que le feu pour les tuer126.
Pour s'adapter à ces conditions, en Asie du Sud-Est à partir de -2000, les Austronésiens
développent des systèmes agroforestiers basés sur l'association de plusieurs espèces de
tubercules pérennes (taro, igname) et d'arbres (bananier, sagoutier). Ils utilisent le feu comme
méthode de défrichement ou installent les cultures dans des marais. Parfois, seul le sous-bois
est éliminé126. Ces systèmes peuvent être comparés aux jardin-forêts contemporains. En
Amazonie se développent des techniques de création de sols arables et de « domestication du
paysage »173. À partir de -4000 (mais de façon plus significative à partir de -500)156, les
populations utilisent le brûlis pour enrichir les sols par la production de biochar, donnant
naissance à la terra mulata et à la terra preta, qui couvrent suivant les estimations de 0,1 à
3,2 % de la surface de la forêt amazonienne. Ces systèmes sont également associés à des
concentrations d'arbres fruitiers : soit des vergers installés volontairement, soit des arbres
issus des graines présentes dans les déchets domestiques174. De manière générale, ces
populations géraient les forêts environnant les zones agricoles pour favoriser les espèces qui
leur étaient utiles156. Ces arbres privilégiés sont également des sources de nourriture pour le
gibier, encore nécessaire à l'alimentation, tout comme la pêche, la majorité de ces systèmes se
trouvant en bordure de rivière45. Dans les zones de savane périodiquement inondées des
Guyanes, à partir de 1 000, les agriculteurs construisent des champs surélevés, associés à des
canaux et des mares, sur lesquels ils cultivent maïs, manioc et courges175,176. Ces systèmes
existent aussi au Nord de la Bolivie dans les llanos de Moxos, au Brésil dans l'Amapá et dans
les llanos de l'Orénoque156. Il est possible que les champs surélevés et la terra mulata aient été
cultivés sans phase de friche forestière173. Des « îlots forestiers », situés sur des zones
surélevées par les humains, sont aussi observés dans la région, et ont peut-être servi de base à
l'agroforesterie. À l'échelle du paysage, l'entretien d'une mosaïque de zones de forêt, savane,
vergers, champs et jardins, a sans doute permis de maintenir et augmenter la biodiversité du
gibier et des plantes utiles173.
Dans les biomes caractérisés par des formations herbacées (toundra, montagne
méditerranéenne, steppe, prairie, savane, puna des Andes), les systèmes d'abattis-brûlis
s'implantent difficilement car les premiers agriculteurs ne disposent pas d'outils de travail du
sol permettant de défricher l'épais tapis racinaire ou parce que le climat est trop sec ou le sol
peu fertile. Les sociétés qui ont atteint ces territoires ont donc développé des systèmes
extensifs basés sur l'élevage.
Au début du Néolithique, une grande partie des actuelles savanes tropicales et subtropicales
était couverte par la forêt tropicale à saison sèche, et occupée par les systèmes sur abattis-
brûlis. À partir de - 6200 (événement climatique de 8200 BP comportant baisse des
températures et du taux de CO2} cette forêt ne se reconstitue plus177 et se transforme en
savane.
Le Sahara qui n'était pas encore un désert fait partie de ces territoires conquis par l'élevage
pastoral130. Les plus anciens bovidés connus y apparaissent au VIIe millénaire av. J.-C. sur sa
bordure nord, et les premiers caprinés au VIe millénaire, mais l'élevage ne prend de
l'importance qu'à partir du Ve millénaire179. À partir de - 3900, le climat le Sahara devient
désertique. Les éleveurs se replient vers les oasis, les vallées des fleuves (Nil) ou migrent vers
le sud. Au Niger, cette émigration au sud du 20e parallèle s'observe à partir de - 2000179.
Dans les steppes eurasiatiques, l'élevage pastoral (cheval, chèvre, mouton, vache et après -
500, le chameau) s'étend à partir de - 3300. Les peuples Yamna maîtrisent les productions
dérivées comme la laine, la force de travail du cheval, les produits laitiers65 et le cuir.
Dans la toundra, les systèmes pastoraux basés sur l'élevage du renne et sa domestication
apparaissent en Sibérie et Fennoscandie, soit directement par évolution des pratiques des
chasseurs-cueilleurs (Samis165,180), soit par contact avec les sociétés pastorales de la steppe, par
exemple dans les monts Saïan181. En Scandinavie, l'apparition de l'élevage du renne est
controversée et est datée soit entre 200 et 1 000, soit entre 1 300 et 1 600182.
À partir de - 5000 la sélection des races de moutons et chèvres à sous-poil fourni (laine)
permet d'étendre considérablement l'aire d'élevage de ces animaux, vers les zones à hiver
froid : steppes et montagne : cette sélection a été particulièrement réussie pour le mouton183 et
la chèvre mais aussi pour le yack, le lama et le chien (races spitz). La laine permet de
confectionner pour les éleveurs habits, couvertures, lanières et tentes. Dans un premier temps,
elle a pu être utilisée sans connaissance des méthodes de tissage simplement par tressage ou
feutrage (Histoire de la laine et du drap), ce qui est un avantage de la laine sur les fibres
végétales. Des animaux aidant au transport sont domestiqués : onagre, âne, cheval,
dromadaire et chameau.
À partir de l'époque de la culture Yamna (- 3300 à - 2000), les éleveurs des steppes du Nord
de la mer Noire ont amélioré une série de techniques leur permettant de vivre au mieux dans
les immenses steppes d'Eurasie184 :
la domestication d'un cheval au dos résistant qui peut être monté101 et maîtrisé grâce au
mors
l'utilisation en fin de période de charriots à roues légères à rayons
Ovide chez les Scythes, nourri au lait d'une jument, Eugène Delacroix, 1859
Ces systèmes peuvent mener à une déforestation quasi complète lorsqu'il y a surpâturage.
L'événement climatique de 8200 BP (- 6200) est cependant suivi d'une période clémente :
optimum climatique de l'Holocène.
L'événement climatique de 5900 BP (- 3900) est plus intense et plus durable, des régions
entières, comme le Sahara, l'Arabie ou l'Iran sont devenues définitivement arides voire
désertes. Il correspond à la formation des premières « villes ».
Ce phénomène affecte les régions victimes de la déforestation mais également les régions
distantes qui recevaient les pluies issues de l'évapotranspiration forestière167.
Lorsque les villages pratiquant l'abattis-brûlis se retrouvent éloignés des forêts primaires,
parce que la zone est cultivée depuis longtemps et que le front pionnier s'en est éloigné, ou
lorsque ce front atteint une limite géographique (bord de mer, de désert, montagne...), il n'est
plus possible de faire face à l'accroissement démographique par l'émigration et la création de
nouveaux villages. La taille de la population augmente, la durée de la friche forestière est
raccourcie et au bout d'un certain temps, lorsque les parcelles sont exploitées trop
fréquemment (tous les dix ans ou moins, par exemple), la friche forestière ne se reconstitue
plus, c'est la déforestation.
Ce processus est d'autant plus rapide que la forêt est facile à abattre. Cela a probablement été
le cas des savanes arborées et des forêts subtropicales à saison sèche qui couvraient le proche
et le Moyen-Orient et le Sahara aux débuts de l'agriculture. Dans ces régions, la déforestation
commence au VIIe millénaire av. J.-C., et au Ve millénaire av. J.-C. se produit un mouvement
de désertification.
Les landes atlantiques de l'Europe de l'Ouest apparaissent ainsi au début de l'Âge du Fer1.
L'effet de l'introduction de la chèvre et du mouton sur la composition floristique des prairies
est visible en France dès le IVe millénaire av. J.-C.186. Ces modifications de l'environnement
peuvent entrainer l'apparition de nouvelles espèces (par exemple Pseudorchis straminae,
dérivée de Pseudorchis albida1, une orchidée, et diverses espèces d'adventices). D'autres
espèces : insectes ravageurs des cultures, phytopathogènes, pathogènes et insectes du bétail,
ravageurs des aliments stockés se propagent également en accompagnant l'agriculture,
dissimulées dans les lots de semences ou sur le bétail. La forêt méditerranéenne est déboisée
progressivement, d'est en ouest, entre -2 000 et l'an 1. Les forêts feuillus de l'Europe tempérée
sont déboisées dans les premiers siècles de notre ère. La forêt tropicale à saison sèche, au sud
du Sahara, disparaît aux premiers siècles de notre ère. Elle a laissé la place aux écosystèmes
de savane tropicale. La forêt équatoriale subit actuellement ce processus de déforestation187.
La déforestation entraîne une baisse de la teneur du sol en matière organique, ainsi qu'une
baisse de la quantité de nutriments restitués au sol lors du brûlis. Sous les climats chauds, la
teneur en matière organique peut descendre sous les 1 %, tandis qu'elle peut se maintenir
autour de 2 % en zone tempérée. Ceci entraîne une chute de la fertilité du sol (diminution de
la réserve hydrique, de la taille du complexe argilo-humique et des flux de minéralisation). En
zone de subtropicale, des phénomènes de latérisation peuvent se produire.
Les sols déforestés sont soumis à l'érosion et les alluvions et colluvions emportés par les eaux
provoquent le comblement des vallées et des golfes marins et l'accroissement des deltas. Les
zones recevant ces éléments peuvent devenir de nouvelles terres particulièrement fertiles pour
l'agriculture. La déforestation provoque également un assèchement du climat pouvant aller
jusqu'à la désertification. Ce phénomène est dû à la diminution des stocks d'eau contenus dans
la biomasse forestière, au dessèchement du sol et à la diminution du flux d’évapotranspiration
entre la biosphère et atmosphère. Ce phénomène affecte les régions victimes de la
déforestation mais également les régions distantes qui recevaient les pluies issues de
l'évapotranspiration forestière.
Dans son essai Effondrement, Jared Diamond présente plusieurs sociétés dont l'effondrement
pourrait avoir été causé au moins en partie par la dégradation des sols due à l'agriculture.
Les activités agricoles ont-elles réellement entrainé une baisse de fertilité des
sols ?[modifier | modifier le code]
la forêt brûlée peut être rapidement remplacée par des formations herbacées ou
arbustives qui ne comportent pas tous les inconvénients précités,
L'aridification semble avoir commencé dès - 6500, sans doute un peu avant les phases
d'expansion des premiers foyers néolithiques.
Les pratiques d'agriculture sur brûlis ont également parfois mené à la formation de
sols riches en matière organique similaires aux tchernozems, comme la terra preta en
Amazonie où vivait une population relativement dense jusqu'à l'arrivée des
Européens176.
Des systèmes mixtes agriculture-élevage-forêt étaient déjà pratiqués. En Europe
occidentale, les défrichements commencés dès l'époque de Hallstatt semblent avoir
permis l'établissement de populations importantes et l'agriculture gauloise était réputée
encore sous l'Empire romain. Cette agriculture comportait des éléments
d'agroforesterie et associait l'élevage qui facilitait la fertilisation des terres sans doute
dès le début des défrichements. Il en était probablement de même en Chine.
En même temps ou à la suite de ces crises, différents systèmes alternatifs ont été conçus pour
les surmonter : systèmes agraires hydrauliques, systèmes rizicoles, systèmes de savane,
systèmes de culture attelée légère167...
Dans les régions asséchées, les peuples de cultivateurs ou d'éleveurs se sont progressivement
repliés vers les zones où l'eau restait abondante : vallées des grands fleuves prenant leur
source dans des régions lointaines (vallées de l'Indus, de l'Euphrate, du Tigre et du Nil),
vallées des cours d'eau descendant des montagnes ou oasis situées à la résurgence de nappes
phréatiques (parfois fossiles). Un phénomène similaire s'est produit dans les zones désertiques
de la plaine côtière située sur le versant oriental des Andes, au débouché des fleuves qui
descendant de la montagne, et dans les hautes vallées des Andes. Ici, le rôle de la
déforestation dans l'aridification est possible mais pas certain189.
Les agriculteurs réfugiés dans les vallées des fleuves durent développer de nouveaux systèmes
pour tirer profit des eaux du fleuve, protéger les cultures des crues, et éventuellement évacuer
les excès d'eau. Deux systèmes ont pu être mis en place : les cultures de décrue et les cultures
irriguées167. En général, les deux systèmes ont cohabité dans la vallée des grands fleuves.
Ainsi en Égypte, les cultures de décrue ont été majoritaires avant de laisser la place aux
cultures irriguées. Dans le système de cultures de décrue, l'eau de la crue est dirigée par des
digues et des canaux vers des bassins, où elle est retenue le temps que l'eau recharger la
réserve utile du sol et que les limons se déposent, afin de fertiliser le sol. L'enjeu est d'étaler
au maximum l'eau de la crue pour arroser la plus grande superficie possible de terres
agricoles. L'eau doit ensuite être évacuée, puis les cultures doivent pouvoir être protégées d'un
éventuel retour de la crue. Ce système n'est possible que dans les vallées de fleuves dont la
crue est importante et certaine. Par contre les systèmes irrigués peuvent être appliqués dans
tous les cas et en toute période (y compris pendant la crue, sur les zones restant émergées).
L'eau provient soit de puits, soit de canaux qui apportent l'eau au plus près des parcelles par
gravité. L'eau doit être ensuite élevée jusqu'au niveau de la parcelle puis distribuée à la
culture. Les systèmes les plus rudimentaires se contentent de prélever et distribuer l'eau avec
de simples cruches. Des machines plus complexe se développent ensuite : le puits à balancier
(delou, chadouf) inventé en Mésopotamie au XIVe siècle av. J.-C., la vis d'Archimède et la
roue à godets. Ces deux dernières, d'abord actionnées par la force humaine, sont actionnées
ensuite par la traction animale (roue persane). Ce moulin à eau inventé en Chine est passé en
Iran dans les premiers siècles de notre ère. Il est utilisé sporadiquement à la fin de l'Empire
romain, son usage se généralise en Europe vers 500 et indépendamment dans les pays
musulmans (noria arabe)190 jusqu'en Andalousie.
À mesure que les systèmes irrigués se mettent en place, une spécialisation s'établit entre
activités d'élevage et activités de production végétale193,194. L'élevage, à l'exception de l'élevage
des animaux de trait, disparaît des systèmes irrigués en raison de l'absence de pâturages (les
animaux doivent y être nourris avec des fourrages cultivés), et en raison du temps de travail
nécessaire au maintien du système hydraulique, qui rend indisponible la main d’œuvre
nécessaire pour pratiquer la transhumance durant la saison sèche. La nécessité de protéger les
cultures des dégâts causés par les animaux domestiques rend également souhaitable la
séparation géographique des deux activités. D'autre part, certains groupes se sont spécialisés
dans l'élevage, sur les marges arides, tout en pratiquant des formes d'agriculture pluviale à
petite échelle. L'existence de liens commerciaux entre groupes de pasteurs et groupes de
cultivateurs permet d'augmenter la quantité de ressources disponibles pour les deux groupes,
et les deux activités font partie d'un même système socio-économique. Néanmoins, la
présence des éleveurs constitue un risque pour les agriculteurs, les éleveurs, particulièrement
mobiles, pouvant être tentés d'obtenir des ressources agricoles par la razzia. Lors de périodes
de crise et de dégradation des systèmes hydrauliques, des cultivateurs peuvent aussi choisir de
devenir éleveurs. Au Proche-Orient ce processus a peut-être commencé dès la fin du
néolithique précéramique B, vers - 6500194.
Les systèmes de culture irriguée existent toujours aujourd'hui, tout comme les systèmes de
pastoralisme nomade associés.
Dans les régions tropicales humides, où les fonds de vallée sont périodiquement submergés
par les pluies et les crues, se développent des systèmes de riziculture aquatique. En Asie, ces
systèmes se développent à partir de - 4000, mais ce n'est qu'à partir du XIe siècle av. J.-C. en
Chine, et à partir de -800 dans vallée du Gange, que se développent des cités-états basés sur
les systèmes hydrauliques rizicoles. En Afrique, la riziculture se développe à partir de - 1500
dans le delta du Niger. Elle gagne ensuite les vallées du Niger, du Sénégal, de la Gambie et de
la Casamance, et la côte guinéenne. Après la colonisation européenne des Amériques, la
riziculture gagne également l'Amérique, ainsi que certaines zones d'Europe (delta du Rhône,
plaine du Pô, côte méditerranéenne de l'Espagne)167. À partir de - 200 se mettent en place les
systèmes de rizières irriguées du sud-est asiatique, associés au buffle pour la traction animale
et aux outils en fer126.
Les premières rizières sont implantées dans des plans d'eau naturels et utilisent des variétés de
riz flottant, capables d'adapter la longueur de leur tige aux fluctuations du niveau d'eau. Des
casiers rizicoles, à fond plat et entourés d'une digue en terre de quelques dizaines de
centimètres ont ensuite été construits, d'abord sur des zones surélevées afin de faciliter le
drainage. Les casiers sont remplis par les eaux de pluie (riz pluvial) puis vidés par
l'agriculteur qui pratique une brèche dans la diguette. La construction de rizières en terrasse a
ensuite permis dStructuration de l'espace agricole'étendre la riziculture le long des versants
des vallées (par exemple, rizières en terrasses des cordillères des Philippines). Dans les
vallées inondables et les deltas, l'extension des casiers rizicoles a nécessité la mise en place de
véritables systèmes agraires hydrauliques: construction de digues pour protéger les cultures de
la crue ou de la mer, construction de canaux pour étaler les eaux de la crue (cas des cultures
de décrue) ou apporter l'eau d'irrigation, et pour évacuer les excès d'eau. La mise en place de
systèmes d'irrigation a également permis l'extension de la riziculture dans les zones tropicales
sèches et en zone méditerranéenne167.
Le Lotus sacré (Chine, Japon) et le taro peuvent aussi être cultivés en rizière inondable .
Pendant cette période qui correspond à l'Antiquité et au Moyen Âge occidentaux, les
méthodes utilisées en agriculture sont souvent bien plus élaborées que dans le reste du monde.
Vue partielle des aménagements hydrauliques de Dujiangyan (Chine)
Les systèmes de culture et d'élevage pratiqués en Chine à ces époques sont variés et comme la
riziculture souvent très exigeants en main d'œuvre. Certaines activités comme l'aquaculture
(élevage et sélection de carpes Koï et de poissons rouges, culture de plantes aquatiques),
l'élevage des vers à soie (sériciculture) associée à la culture du mûrier blanc 195, la culture du
laquier (toxicodendron vernicifluum) ou la culture du théier y sont très tôt importantes et
parfois même prestigieuses. La fabrication des nouilles est attestée depuis - 2000196 et celle du
gluten (miàn jīn) dès le VIe siècle197. L'agriculture fournit aussi les plantes à papier (mûrier à
papier, chanvre, lin, ramie, jute, bambou pour les fibres) et l'amidon de riz pour les
imperméabiliser198.
De nouveaux outils fournis parfois par une véritable industrie voient le jour199:
Moulin hydraulique pour le décorticage et/ou la moûture des céréales. Ère dynastique
des Song du Nord (960-1127)
Les ingénieurs chinois savent mener des travaux d'aménagement hydraulique à très grande
échelle depuis la Période des Royaumes combattants, par exemple le célèbre système
d'irrigation de Dujiangyan conçu par Li Bing et inscrit au patrimoine mondial de l'humanité.
Les pratiques chinoises de cette époque ont été étudiées et décrites par l'agronome américain
F.H. King et ont influencé la naissance de l'agriculture biologique200.
Systèmes de savane[modifier | modifier le code]
Des systèmes sans élevage avec buttage et billonnage, par exemple en Afrique
centrale. Dans ces systèmes, le tapis herbacé est défriché à la houe après brûlis. Les
cultures alternent avec une phase de jachère herbeuse de quatre à sept ans. Les sols
sont peu fertiles et peu épais, en raison d'une vitesse de minéralisation de la matière
organique élevée, de l'usage du feu, et d'un lessivage intense par les pluies. Pour faire
face à ce problème, les agriculteurs découpent l'horizon superficiel du sol et l'entassent
en billon et en buttes, qui concentrent la fertilité du sol. Les billons et les buttes sont
utilisés pour les cultures peu exigeantes et à cycle long, comme le manioc. Les
cultures à cycle court et exigeantes (maïs, pomme de terre) sont cultivées sur des
buttes soumises à un brûlis long et à couvert afin de minéraliser rapidement et rendre
disponibles les nutriments. Dans certains systèmes (sur le plateau congolais), des
arbres fruitiers (cacaoyer, caféier, palmier à huile) sont plantés sur les buttes et
alternent avec une phase de friche forestière.
Savane à chênes à gros fruits (Quercus macrocarpa) nettoyée par le feu. Cette pratique,
souvent interdite, épargne ces arbres parce qu'ils ont une écorce très épaisse. Wisconsin,
États-Unis
Des systèmes avec élevage associé, dans les savanes d'altitude de l'Afrique des grands
lacs. Le bétail pâture la journée dans la savane. La nuit, il est regroupé dans des enclos
à proximité des maisons et situés au sommet d'une colline. Les cultures se situent en
contrebas de l'enclos, et se succèdent les unes aux autres sans phase de jachère. Les
cultures profitent du ruissellement des nutriments provenant des déjections animales
dans l'enclos. Les déjections sont également transportées quotidiennement à la main
depuis l'enclos vers les cultures. Lorsque la densité de population augmente dans ces
systèmes, l'élevage tend à régresser[réf. nécessaire] et à laisser la place à des systèmes
d'agroforesterie basés sur l'utilisation d'arbres et de cultures pérennes (jardins créoles
des Antilles201, du Yucatán et d'Asie du Sud-Est).
Dans les zones comptant à la fois des savanes et des zones de forêt (par exemple, région du
Pool au Congo) peuvent exister des systèmes mixtes, associant culture à la houe et élevage
dans la savane et système d'abattis-brûlis dans la forêt.
De manière générale, les différents espaces sont disposés en cercles concentriques autour de
l'habitat : au plus près l'hortus, ensuite l'ager puis le saltus et enfin la silva.
Les sols de fonds de vallée, rendus plus fertiles par le colluvionnement et l'alluvionnement
sont dessouchés et réservés à la culture des céréales et des légumineuses à graines (zone
dénommée ager en latin). La rotation dure généralement deux ans (assolement biennal),
alternant une culture et une jachère herbeuse. La culture est généralement une céréale d'hiver
(blé, épeautre, seigle, méteil, orge ou avoine). Elle peut également être une céréale (orge,
avoine, millet) ou une légumineuse (pois, lentille) de printemps. Les cultures de printemps
permettent notamment de rattraper un échec des semis à l'automne. La récolte se fait à l'aide
de la faucille. La jachère, qui dure de 15 à 20 mois, est soumise à des travaux d'entretien (au
moins trois), afin d'éliminer les adventices qui s'y développent. Afin de travailler le sol,
l'araire, inventée dans les systèmes de culture irriguée mésopotamiens, est introduite. Elle
exige le développement de la traction animale. L'araire sert également à préparer le lit de
semence avant le semis puis à enfouir les graines. Le labour à bras peut également être
pratiqué à la houe ou à la bêche mais uniquement sur des surfaces limitées en raison du temps
de travail demandé et de sa difficulté. Les animaux de trait permettent également le transport
sur bât. Les champs sont généralement carrés afin de permettre des passages d'araire dans
deux directions perpendiculaires. Les champs peuvent être complantés ou bordés d'arbres
utiles qui fournissent de l'ombrage, du bois, des fruits (olivier, caroubier, chêne, châtaignier)
ou du fourrage (frêne).
Dans certains systèmes (comme les landes de Gascogne) où la superficie des pâturages est
très importante et permet de fournir de grandes quantités de déjections, une petite jachère de
seulement 7 mois est suffisante pour renouveler la fertilité et alterne avec une culture de
printemps comme le millet. Dans les systèmes de montagne humide, la jachère peut être
remplacée par une friche herbeuse de quelques années qui sert de pâturage.
Les sols profondément érodés des hautes vallées et des pentes (le saltus) sont réservés au
pâturage. Ils sont régulièrement soumis à l'incendie, afin de maintenir la végétation herbacée
et de limiter le développement des arbres. Le transfert de fertilité depuis les pâturages vers les
cultures est assuré par les animaux, qui pâturent la journée et sont parqués la nuit sur les
champs en jachère, afin d'enrichir le sol de leurs déjections. Le pâturage nocturne sur les
jachères contribue également à lutter contre les adventices. En zone méditerranéenne, la
quantité d'herbe disponible en été est insuffisante pour nourrir les troupeaux. Les stratégies
adoptées pour contourner ce problème sont le regroupement des naissances en fin d'hiver ou
en fin d'été, avant les périodes de forte pousse de l'herbe, et l'adoption de la transhumance
estivale. La mise en défens de certains prés au printemps permet également de conserver
l'herbe sèche sur pied et de l'utiliser comme fourrage pendant l'été.
L'araire, outil de travail du sol typique des systèmes de culture attelée légère
La forêt (la silva), qui se maintient sur les sols trop superficiels, trop excentrés ou trop
accidentés pour avoir été cultivés dans la phase précédente, continue de jouer un rôle en
fournissant bois, fruits, miel, gibier, et fourrages supplémentaires. Elle peut également être
utilisée comme zone de pâturage, la limite entre silva et saltus n'étant pas toujours nette.
Autour des maisons, les jardins et les vergers (l'hortus), abondamment fertilisés par les
déchets domestiques, sont occupés par les arbres fruitiers, la vigne, les légumes, les plantes
textiles (lin), les oléagineux (pavot-œillette, colza) et souvent les légumineuses à graines
(pois, lentille). Parfois s'y trouvent également des plantes fourragères (trèfle, vesce). Ils sont
travaillés à la bêche et à la houe, permettant un véritable travail du sol assimilable au labour, à
la différence de l'araire qui ne fait que scarifier le sol202.
À l'époque romaine, le jardin vivrier se généralise. Philippe Marinval a pu établir une liste de
115 plantes domestiques attestées dans les jardins de Grande-Bretagne, Gaule, Germanie,
Helvétie, Italie, Grèce par l'archéologie ou la littérature (notamment Pline) sans compter les
légumineuses à graines qu'il suppose principalement cultivées sur l'ager ; cependant de
véritables exploitations fruitières et maraîchères existent aussi autour des grandes villes
comme par exemple à Reims203.
Ces systèmes se sont retrouvés en crise alimentaire quasi-permanente par manque de terre et
ont eu des difficultés importantes à approvisionner la population des villes. Ils sont
contemporains de l'apparition de cités-états militarisées comme Mycènes qui pratiquent
l'esclavage, la servitude pour dettes, une politique agressive de colonisation et cherchent à
obtenir des peuples voisins des terres, des ressources alimentaires et de la main-d'œuvre
(esclaves sans famille à charge qui permettent de dégager des surplus alimentaires), sous
forme de tributs ou par le pillage. Dans ces cités, la terre relève généralement du régime de la
propriété privée. La faible productivité agricole conjuguée au régime de propriété privée a
pour conséquence l'endettement des paysans dépendant de la cité, ce qui entraîne l'esclavage
pour dettes, l'augmentation des inégalités, puis la constitution de domaines agricoles
(latifundium) aux mains d'une minorité de grands propriétaires tandis que la plupart des
paysans disposent d'exploitations trop petites ou sont relégués sur les terres les moins
productives. Ces paysans sans ressources alimentent les mouvements de colonisation ou
s'engagent comme mercenaires. La situation de la paysannerie est à la source de tentatives de
réformes agraires (réforme de Solon et de Clisthène à Athènes, Lex Sempronia et diverses
tentatives de réforme agraire à Rome) comme de forte tensions sociales (prise du pouvoir par
Pisistrate à Athènes, question agraire à Rome)202.
Dans les premiers siècles de notre ère, ce système à rotation biennale et jachère s'étend à
l'Europe tempérée. Les proportions du territoire occupées par l'ager, le saltus et la silva varient
suivant les conditions pédoclimatiques. Dans les grandes plaines limoneuses et les vallées
alluviales, tout le territoire peut-être mis en culture. La surface destinée à la forêt et au
pâturage est alors réduite au minimum nécessaire pour répondre aux besoins de bois et de
l'élevage. Dans d'autres régions aux sols plus minces et plus pauvres, la déforestation donne
naissance à des landes (sur sol siliceux) ou à des pelouses calcicoles (sur rendosol) qui feront
office de saltus. L'ager est alors concentré dans les fonds de vallée. Certains massifs forestiers
sont inexploitables avec les techniques de la culture attelée légère (forêt boréale, forêts
d'altitude, forêts sur terrains humides, pierreux, accidentés, filtrants...) et se maintiendront
jusqu'au Moyen Âge. Les zones de l'Europe tempérée qui avant l'arrivée de l'agriculture ne
portaient pas de forêt sont intégrées au saltus, dans le cas où elles sont situées sur des sols peu
fertiles (landes sur podzol, sur sol sableux filtrant ou sur ranker, pelouses d'altitude), ou elles
sont mises en culture, lorsqu'elles sont situées sur des sols fertiles comme les tchernozems
(cas de la steppe eurasienne)202.
Au fil du temps, le système est perfectionné par la création de terrasses sur les versants, qui
permettent de retenir le sol et d'étendre l'espace cultivé, l'utilisation de l'irrigation et par le
développement des vergers et de l'agroforesterie (vigne, figuier, amandier, olivier,
châtaignier, caroubier, chêne, frêne), les arbres utilisant les ressources minérales profondes du
sol et supportant mieux la sécheresse estivale des zones méditerranéennes. La vigne poursuit
sa progression autour de la Méditerranée et vers le Nord suivant l'expansion grecque puis
romaine. Bien que le vin soit conservé principalement en amphores, le tonneau est mentionné
dans des textes autour du passage à l'ère actuelle après avoir été probablement inventé par les
Rhètes208. Les Gallo-romains pratiquent le vieillissement en fûts de chêne.
À la fin de l'Empire romain, le statut de colon évolue. Désormais, les colons, sont liés
juridiquement à la terre qu'ils exploitent ou au propriétaire de la terre, dans une forme qui
préfigure le servage. Les troubles sociaux et les invasions qui accompagnent le déclin de
l'empire poussent les grands propriétaires à se retirer sur leurs domaines (villa), dont ils
organisent eux-mêmes la défense. Des esclaves en fuite et des familles de paysans viennent
trouver refuge sur ces domaines. Le propriétaire alloue à chaque famille un lot de terre qu'elle
peut cultiver pour son compte, en échange d'une part de la récolte. Ces nouveaux colons
voient cependant leur liberté se réduire. Progressivement ce système évolue vers le système
médiéval caractérisé par la seigneurie, le servage et le domaine médiéval organisé en réserve
et tenures serves ou libres202. Au début du Moyen-Âge, les tenanciers, vilains ou serfs, des
parcelles concédées (tenures) sont astreints à des redevances (cens ou champart, chevage pour
les serfs) et à des corvées sur les terres du propriétaire, la réserve qu'il exploite pour lui-
même. Les serfs exploitent des tenures petites sans attelage et ne peuvent quitter leur terre.
Les alleux, terres sans seigneur présumées dépendre directement du roi, tendent à disparaître
pour passer, volontiers ou de force, sous la protection seigneuriale209. Les enfants des paysans
héritent à leur tour du statut de dépendance de leurs parents. Cette organisation est commune
à toute l'Europe occidentale (en deçà de l'Elbe)190.
Les tenanciers libres qui possêdent un attelage sont aussi appelés laboureurs. Ceux qui
n'exploitent qu'une tenure insuffisante doivent se louer à la tâche, ce sont les brassiers.
Sur la réserve le seigneur installe et entretient des équipements (moulins, four, pressoir,
forge …) que les paysans peuvent utiliser contre redevance. Il en bannit la construction
ailleurs sur son domaine (Banalité). Le seigneur banal est donc un entrepreneur bénéficiant de
privilèges. Le seigneur met à la disposition des paysans une partie de la réserve (forêt, landes,
parcours, sources) le plus souvent à titre gratuit210.
Afin de protéger les cultures des animaux qui pâturent sur les jachères, les villages
commencent à organiser l'assolement réglé à leur échelle. Toutes les terres du village sont
regroupées en deux soles, chacune des soles étant alternativement en jachère et en culture. Les
champs en jachère sont ouverts à la vaine pâture. Chaque paysan conserve la jouissance de ses
terres (qui se trouvent réparties entre les deux soles) et de ses animaux. Ce système concerne
surtout d'abord les meilleures terres de plaine, le nord de la France, la plaine du Rhin, les
lowlands britanniques par exemple210. Cette évolution aurait été rendue possible par
l'affaiblissement du droit romain à la suite des invasions en Europe et en Afrique du Nord, les
coûtumes germaniques et slaves privilégiant la propriété communautaire211.
En Scandinavie et dans les zones colonisées par les Vikings (Islande, Finlande, Nord des Îles
britanniques, Danelaw), un système plus compliqué a été mis en place212 basé sur :
une première répartition classique entre saltus, ager et sylva, cependant souvent encore
soumise à l'exploitation en abattis-brûlis
Dans l'Europe tempérée le système de culture attelée légère est supplanté par la culture attelée
lourde avec la révolution agricole du Moyen Âge. Il se maintiendra plus longtemps en
Scandinavie et se rencontre encore en Afrique du nord et du nord-est, au Proche-Orient et
dans certaines zones d'Asie et d'Amérique latine.
L'agronome andalou Ibn al-Awam avait écrit une encyclopédie complète de l'agriculture et
probablement expérimenté lui-même. Cependant, son ouvrage n'a été traduit dans une langue
europénne (l'espagnol) qu'en 1802. Il y est question de techniques peut-être encore inconnues
dans le reste de l'Europe d'alors telles que l'irrigation au goutte à goutte, l'usage du rouleau-
émotteur, la culture des agrumes ou encore en médecine vétérinaire221.
Ces innovations se diffusent surtout à partir du Xe siècle, une époque où l'Europe est
surpeuplée par rapport aux possibilités de la culture attelée légère (la population, qui s'était
écroulée au moment de la chute de l'Empire Romain et des grandes invasions, s'est
reconstituée). On parle de révolution agricole du Moyen Âge223 ; l'Europe comble son retard
par rapport à la Chine. L'archéologue Isabelle Cattedou s'appuyant sur les chantiers de fouilles
de l'Inrap estime que ces changements se généralisent dès le VIIe siècle en Gaule224.
Labour avec une charrue, noter la présence du joug de cornes, de l'avant-train à roues et du
versoir. La partie en gris représente l'ensemble coutre-soc en fer ou reille. Les très riches
heures du Duc de Berry, mars. Vers 1410
Dans les zones à hiver froid, la disponibilité de l'herbe pendant l'hiver limite la taille du
troupeau et les animaux en surnombre (animaux de réforme, jeunes de l'année) doivent être
tués à l'automne afin de ne conserver que les animaux reproducteurs. Ce problème limite les
transferts de fertilité et donc le niveau de production du système. La diffusion de la faux
permet la production de foin qui permet de nourrir un troupeau plus important pendant l'hiver.
La faux apparaît chez les gaulois dès le Ier siècle av. J.-C. mais sa fabrication est complexe, et
il faut attendre l'an 1 000 pour qu'elle se diffuse rapidement grâce aux progrès de la
métallurgie. Comme à cette époque les pâturages enclos sont rares, le foin est réalisé dans des
clairières en forêt et stocké en meules. Pendant l'hiver les animaux sont conduits pour
s'alimenter auprès de la meule pendant la journée et parqués sur les jachères pendant la nuit.
Néanmoins, ce mode de fertilisation est peu efficace, les déjections de la journée n'étant pas
récoltées, et beaucoup de temps et d'énergie sont perdus dans les déplacements. Pour répondre
à ce problème, se développe peu à peu l'affouragement en stabulation : le foin est stocké dans
un fenil et distribué pendant l'hiver aux animaux tenus à l'abri (étable, bergerie, chèvrerie,
écurie...). Le bâtiment d'élevage est paillé d'une litière qui forme du fumier en se mélangeant
aux excréments, ce qui facilite leur manutention. Si la litière provient des pâturages ou de la
forêt elle constitue un transfert supplémentaire de fertilité vers la zone cultivée. Le fumier est
transporté jusqu'aux champs et épandu avant la préparation du sol pour les semis.
Le transport du foin, de la litière et du fumier exige des chars, des charrettes ou des
tombereaux, coûteux et complexes à fabriquer, qui ne se répandent pas avant le milieu du
Moyen Âge. Pour enfouir chaque année plusieurs dizaines de tonnes de fumier, la charrue se
substitue à l'araire. Équipée d'un soc asymétrique et d'un versoir, elle permet d'effectuer un
véritable labour avec retournement de la couche supérieure du sol relativement rapidement.
L'avant-train permet de régulariser la profondeur de travail225. À la différence du labour à la
houe ou à la bêche, elle laisse souvent de grosses mottes et des touffes d'adventices mal
arrachées. Le travail d'émottage et de désherbage est ensuite réalisé à la main, à l'araire, ou à
la herse. L'usage de la herse apparu en Europe pendant la Tène se généralise au IXe siècle.
Elle sert également à enfouir les graines après le semis.
L'emploi de tous ces nouveaux matériels demande une force de traction animale accrue. Elle
est, en partie, permise par la diffusion de différents systèmes d'attelage : le collier d'épaule
remplace la bricole pour les chevaux et le joug de cornes remplace le joug de garrot pour les
bœufs. Les deux autres systèmes avaient, dans certains cas, pour conséquence d'étouffer les
animaux. Mais le collier était plus coûteux que la bricole et le joug de cornes pouvait
nécessiter des ajustements du fait de la pousse continue des cornes.
Cependant ces considérations reposent sur les travaux du commandant Richard Lefebvre des
Noëttes qui ont longtemps fait autorité226. Marie-Claire Amouretti a démontré que ses
conclusions sont fausses, les attelages antiques étaient en fait très divers et beaucoup
présentent des pièces de harnachement supplémentaires qui évitent justement que l'animal ne
soit étouffé227. Pour les bovins, le problème était connu depuis l'époque de la Tène, le musée
de Bibracte expose d'ailleurs un joug de cornes de cette époque228.
Zébus au travail dans une rizière en Inde. Ces animaux sont équipés de jougs de garrot qui
sont calés sur leurs bosses mais dont la pièce inférieure peut gêner la respiration. Les bovins
restent relativement à l'aise en terrain très humide.
Le développement du ferrage avec des fers cloués vers l'an 1000 renforce également leurs
capacités de traction en limitant l'usure des sabots des chevaux et des ongles des bœufs229.
L'usage du cheval de trait, d'un entretien coûteux, se développe au détriment de celui du bœuf
de trait. Le cheval travaille une fois et demie plus vite que le bœuf et peut travailler deux
heures par jour de plus. Néanmoins, une partie des paysans continuent à utiliser des bœufs
plus à l'aise en terrains très humides et des ânes et des mulets plus sûrs en terrain accidenté, et
aussi en raison de leur faible coût et de leur rusticité223. Mais «... on se sert indifféremment de
toutes les bêtes de labour (bœufs, chevaux, ânes, muelté, mules en Auvergne, Poitou,
Gascogne, Languedoc et voisinage», conclut l'agronome Olivier de Serres vers 1600225. Dans
les petites exploitations (moins de 10 ha) on utilisait des vaches qui fournissaient un travail
moindre mais suffisant et restaient rentables grâce à leurs veaux et leur lait.
La petite taille des chevaux représentés sur les frises du Parthénon est généralement
interprétée comme répondant à un souci d'esthétique. Elle pourrait, en fait, n'être pas si
éloignée de la réalité. British Museum
L'augmentation de la force de traction est liée à l'augmentation de la taille des animaux227. Les
chevaux laténiens mesuraient 1,30 m au garrot contre 1,70 m aujourd'hui et les bovins 1,10 m
contre 1,35 m228. Dans l'antiquité, la plupart des chevaux n'étaient pas capables de porter
longtemps un cavalier en armure (cataphractaire). Ce sont les peuples d'Iran (Scythes,
Parthes) qui y parviendront les premiers, surpassant les Romains (bataille de Carrhes) grâce à
la qualité de leurs élevages incluant sélection et création de races hybrides230. Ces
améliorations ne passeront que lentement aux armées de l'Empire romain tardif et des Francs
qui privilègeront encore leurs propres besoins avant ceux des paysans.
L'utilisation de l'énergie du vent et des rivières se généralise en Europe, d'abord avec la roue à
aubes, on compte déjà 6000 moulins en Angleterre au XIe siècle. Au XIIe siècle, l'usage du
moulin à vent également originaire de Chine se généralise en Hollande puis partout191.
Ce système voit apparaître un nouvel écosystème cultivé : le pré de fauche, qui occupe 25 à
70 % des zones en herbe, le reste étant constitué de pâturages. Les prés de fauche sont enclos,
échappant à la vaine pâture qui est de règle sur la jachère ou après récolte des céréales. Afin
de faciliter le fauchage, ils sont établis préférentiellement sur des zones fertiles, planes, sans
rochers ou épierrées et sans arbres ni arbustes. En revanche des prés de fauche peuvent
s'installer sur des zones peu propices au pâturage pour des raisons sanitaires, comme les zones
humides, ou sur des terres froides, où la pousse de l'herbe commence tardivement. Les prés de
fauche sont donc fréquemment localisés dans les bas-fonds argileux ou humides. Ils sont
souvent soumis à la propriété privée et protégés du bétail divagant par des clôtures ou par
gardiennage. Les pâturages restent généralement soumis au pâturage commun et sont
cantonnés aux zones caillouteuses, accidentées et peu productives. Ils peuvent également être
embroussaillés (landes à genêts ou ajoncs) ou compter des arbres et des arbustes223.
Les cultures d'hiver sont le blé, le seigle et l'orge d'hiver. Les cultures de printemps sont l'orge
de printemps, le millet et l'avoine (pour l'alimentation des chevaux ou des humains), des
légumineuses (pois, fève, lentille) ou des associations vesce-avoine (fourrage). Le blé tendre
et le seigle à grains nus dépasse définitivement l'épeautre à grains vêtus dans les zones
tempérées ou froides comme le blé dur à grains nus remplace l'amidonnier à grains vêtus en
zone méditerranéenne. Le sarrasin (culture d'été) apparait surtout dans les zones de bocage
humides et encloses. La deuxième culture de la rotation profite des reliquats de fertilité du
fumier apporté pendant la jachère, qui continue encore à se minéraliser. La jachère est
labourée au moins trois fois afin d'enfouir le fumier et de lutter contre les adventices. Le
labour favorise également la minéralisation. La succession culture d'hiver-culture de
printemps permet également de lutter contre les adventices en brisant leurs cycles de vie. La
petite période de jachère entre la culture d'hiver et la culture de printemps n'est généralement
labourée qu'une seule fois.
Au XIIIe siècle, le marnage est devenu d'usage courant et d'autres sources de fertilité sont
recherchées, comme la vase des rivières, l'humus superficiel mélangé à la litière obtenu par
étrépage dans les landes et forêts ou le goémon mais il n'y a pas encore suffisamment de
fumier204.
Plan détaillé (mais hypothétique) d'un village anglais au Moyen-Âge avec son moulin, ses
clos, ses trois soles, ses communs (pâtures), forêt, landes et marais. Les terres exploitées au
bénéfice direct du seigneur ou réserve (couleur moutarde) et de l'église (hâchuré) sont très
importantes. Les traits continus, hormis clos, préfigurent l'évolution qui aura lieu avec les
enclosures.
Dans les régions du nord les terres labourées sont donc exploitées selon un assolement réglé et
un régime de vaine pâture223 permis par l'openfield (régime des champs ouverts). Ce régime
d'openfield fut commun en Europe occidentale, en Russie, en Iran, en Turquie dans les
meilleures terres. En Europe, il semble correspondre à une tradition amenée par les
envahisseurs germaniques, scandinaves et slaves (openfield) et à l'extension du féodalisme.
Les forêts sont l'objet de la glandée pour les porcs avec des règlementations diverses et des
déplacements parfois importants (transhumance forestière).
Haies près du château d'Andrezé, dans les Mauges, pays de bocage et région insurrectionnelle
pendant les Guerres de Vendée.
Plan schématisé d'un village au Moyen Âge : au centre les trois soles en rotation triennale, blé
ou seigle puis jachère puis avoine ou pois, entourées par les parties communes.
Dans les régions à fortes traditions celtiques comme le Grand Ouest français (Bas-Poitou,
Maine, Bretagne, Basse-Normandie), le Massif central, le Nord du Pays-de-Galles, les comtés
bordant la Manche en Angleterre, la Galice et les Asturies en Espagne, il s'est peu développé
laissant progressivement la place au bocage232 mais on trouve aussi du bocage au Pays basque
et au Schlesvig-Holstein. En Irlande et en Écosse où le finage a été imposé brutalement par les
Normands puis par les grands propriétaires fonciers, la situation est plus diverse. Le bocage
est emblématique de la Vendée, de la Normandie et de l'Irlande. On peut aussi remarquer qu'il
s'agit de régions pour la plupart vallonnées, à pluviosité soutenue où les haies présentent des
avantages techniques : abris en cas de vents et de pluie, nourriture des troupeaux en été
(frêne), stabilisation des fourrières, limitation de l'érosion. Parfois lorsque le sol s'y prêtait
davantage, comme dans la Plaine de Niort, on a commencé à enclore les champs de murets de
pierres sèches.
Dans les régions méditerranéennes le système est plus irrégulier : les champs sont ouverts, la
vaine pâture n'est pas souvent pratiquée et l'assolement commun n'est pas obligatoire233. Les
parties communes sont aussi très importantes (parcours).
En France, à partir du XIIIe siècle des assemblées de villages, chargées de gérer cette
organisation et d'autres aspects de la vie communautaire, sont mises en place un peu sur le
modèle des communes urbaines médiévales et bénéficient de la « bienveillance seigneuriale »
selon l'expression de l'époque. Les assemblées se tenaient souvent dans l'église ou sous son
porche233.
Dans la pratique, le paysan ne dispose plus de ses terres après la récolte puisque la vaine
pâture qui apporte cependant du fumier, le glanage, l'usage des chaumes ou chaumage et
même les regains y sont permis aux membres de la communauté villageoise, la paroisse
généralement mais parfois plusieurs paroisses dans le cas des parcours pastoraux. Dans
certaines paroisses, les paysans ont le droit de laisser vagabonder leur taureau à la recherche
de vaches en chaleur (droit de feu), c'est à la fois un service et une source de dégâts. Bien qu'il
existe parfois des droits de mise en défens234, ce système, qui n'incite pas les paysans à investir
dans de nouvelles cultures, permet aux pauvres (mais ni aux étrangers ni aux vagabonds) de
survivre. Le droit de vaine pâture est défendu par les paysans pauvres et par l'Église pour la
défense des pauvres mais aussi parce que souvent le foin n'est pas « dîmable »234. Ce sont
cependant les propriétaires de gros troupeaux (parfois le seigneur lui-même, parfois les gros
bouchers aux abords des villes235) qui profitent le plus de ce système236.
La grande transhumance peut même être organisée au niveau de l'état ; c'est le cas en Castille
avec la Mesta, en Aragon avec la Casa de Ganaderos de Zaragoza (es), dans le Royaume de
Naples avec la Dogana delle pecore. Elle est souvent un obstacle au développement des
cultures.
Au XIVe siècle les paysans perdent le droit de piégeage du gibier (mais le conservent pour les
nuisibles), la chasse et la pêche sont entièrement réservées au seigneur (droit de garenne) mais
le braconnage continuera même s'il est sévèrement puni234.
Comme les travaux dans la réserve seigneuriale, les dégâts du gibier, de la chasse et des
pigeons domestiques, l'entretien de la voirie par le système des corvées, l'aide pour les chasses
au loup (huées), le soutien au seigneur et à ses chevaliers comme « piétaille » pour la défense
du domaine (droit de guet et garde), l'assistance aux pauvres était donc supportée par les
paysans233 (mais aussi par les ordres religieux).
La gabelle existe ou non et plus ou moins fortement suivant les régions (histoire du sel).
Les paysans doivent aussi la dîme à l'Église depuis 779 en France, comme les autres groupes
sociaux. Elle est calculée sur la valeur des récoltes selon un pourcentage variable suivant les
régions : de 4 % à 13 % en France, plus proche de 10 % en moyenne en Angleterre236.
Les opérations de culture et d'entretien sont multipliées223 mais la rotation triennale permet
également d'alléger les pointes de travail, en répartissant les opérations de semis et de
moisson sur deux périodes. Les risques de mauvaise récolte sont également réparties sur deux
cultures au lieu d'une. Ce système de culture associe une quantité importante de matériels,
d'animaux (de trait ou de d'élevage) et de bâtiments spécialisés (étables, fenils...), qui le
rendent très coûteux. Dans les faits, la plupart des paysans ne possèdent qu'une partie du
matériel ou des animaux requis, et des mécanismes d'entraide se développent. Un équipage de
labour pouvait être la copropriété de plusieurs laboureurs. Les paysans brassiers, qui ne
disposent pas d'animaux de trait sont cependant la majorité233 et d'ailleurs, jusqu'au
XIXe siècle, les villages européens compteront de 10 à 30 % de paysans brassiers .
La rotation triennale ne se généralise qu'au XIIIe siècle, et au XVIIe siècle la rotation biennale
est encore répandue dans plusieurs régions de l'Europe du Nord. Les difficultés d'expansion
de la rotation triennale peuvent s'expliquer par l'étape de remembrement compliquée
nécessaire pour faire passer les terres du village d'une division en deux soles à une division en
trois soles, mises en culture simultanément, et qui tournent chaque année. Elles peuvent
s'expliquer également par la nécessité de disposer d'une quantité de fumier suffisante pour que
la deuxième culture soit productive, et donc que la taille du troupeau et la surface des
pâturages aient atteint une taille suffisante, un processus qui a pu prendre du temps.
Enfin la mise en œuvre des grands équipements comme les moulins à vent et les pressoirs
demande un investissement seigneurial ou communautaire.
L'augmentation de la population (elle double en Europe occidentale entre 1000 et 1340 233 et
triple en France où « elle atteint à peu près 15 millions en 1328 »237) et de ses besoins en bois,
le développement de la métallurgie (consommation de bois de feu), la construction de
nouveaux bâtiments agricoles et urbain (consommation de bois de construction) s'ajoutent aux
défrichements et essarts qui se multiplient à partir du Xe siècle. La forêt européenne régresse
et se dégrade. En réponse, les seigneurs commencent à réduire les droits d'usage des forêts et
réglementent les coupes. Les modes d'exploitation en taillis, futaie régulière et taillis sous
futaie apparaissent à ce moment223.
Selon Mazoyer et Roudart, le rendement devait être de 8 q/ha pour la première céréale de la
rotation et de 6 q/ha pour la deuxième. Ce système pourrait supporter une densité de
population de 30 habitants par km² dans les zones défavorables (climat froid qui nécessite
plus de bois et de fourrage, sol lessivé) et de 80 habitants par km² dans les zones les plus
favorables (climat doux, sol de lœss fertile), avec une moyenne de 55 habitants par km², ce
qui explique le triplement de la population. C'est surtout un système qui permet aux paysans
de dégager d'importants surplus alimentaires, alors que le système précédent permettait juste
de nourrir la famille paysanne. Ces surplus alimentaires vont stimuler le développement de
groupes sociaux comme les artisans et les commerçants, ainsi que le développement des
villes. Les succès de la Hanse ou des foires de Champagne sont une conséquence du
développement des flux commerciaux agricoles. En retour, le développement de l'artisanat
(métallurgie, charronnerie, bourreliers, métiers du bâtiment) accélère le développement de
l'agriculture en assurant la fabrication des outils nécessaires. Des industries d'aval, comme les
moulins ou les tanneries se développent également. Les artisans et commerçants, regroupés
dans les villes forment des guildes et obtiennent des chartes de franchise, donnant naissance
aux communes médiévales223. On peut aussi faire la remarque que ces chartes qui comportent
des exemptions de taxes créent un nouveau groupe de privilégiés (que l'on commence à
appeler bourgeois) et renforce le fait que les paysans sont les seuls ou presque à payer des
impôts236.
Ainsi vers 1200, en Prusse, alors peuplée par les Borusses, un peuple balte païen, les
défrichements ont été précédés de croisades menées par les Chevaliers Teutoniques. Ces
croisades furent suivies par l'installation de colons germaniques, connaissant les techniques de
la culture attelée lourde, et la constitution d'un bassin céréalier autour de la Baltique dont les
exportations étaient assurées par la Hanse. Les Borusses disparurent en tant que peuple
(Prussiens). Ces mouvements de colonisation germanique ont concerné de nombreuses
régions d'Europe de l'Est (Drang nach Osten ou marche vers l'est)238.
C'est aussi à cette époque que sont aménagés les polders des Flandres, dans les estuaires de
l'Aa, de l'Yser et du Rhin. L'expertise des ingénieurs flamands et hollandais sera ensuite
appréciée pour l'aménagement des polders des côtes de la mer du Nord, de la Baltique, puis de
l'Atlantique (Baie du Mont-Saint-Michel, Marais poitevin, îles de Ré, Oléron et Noirmoutier,
estuaire de la Gironde).
Les seigneurs encouragent les défrichements en diminuant les impôts sur les terres
nouvellement défrichées (essarts), et en investissant (Banalité) pour attirer les paysans et les
aider à s'installer. Ces installations sont rendues nécessaires par le départ de chevaliers et
paysans-soldats vers les pays conquis : Allemands et Flamands vers l'Est, Normands,
Angevins vers la Grande-Bretagne et la Sicile, Poitevins vers la Grande-Bretagne, Chypre, la
Palestine et même en Castille lors de la Reconquista, expansion italienne et aragonnaise en
Méditerranée, puis conquête du Nouveau Monde. Enfin, il faut repeupler les territoires
dévastés par les guerres ou les épidémies. En installant la banalité, le seigneur s'assure le
monopole de services qu'il pourra ensuite parfois monnayer au prix fort. Les besoins
importants en investissements financiers conduisent à la création du contrat de pariage237. Un
nouveau monde se crée sur les terres défrichées, composé d'investisseurs, de salariés et de
paysans libres (censitaires, fermiers ou métayers). Dans les zones cultivées anciennement, les
rapports sociaux n'évoluent tout d'abord pas et la culture attelée lourde se développe peu.
Néanmoins, la concurrence exercée par les denrées agricoles produites à plus faible coût dans
les territoires nouvellement défrichés va obliger les seigneurs des anciens terroirs à s'adapter
et va progressivement conduire à l'abandon du servage en Europe occidentale. Les corvées
manuelles, peu productives, régressent tandis que les seigneurs salarient parfois des
laboureurs, propriétaires de leur attelage, pour exploiter leurs propres terres.
Une couche de paysans riches prend à ferme les terres des réserves écclésiastiques ou
seigneuriales dont les propriétaires abandonnent la mise en valeur directe dans le quart nord-
est de la France à partir de 1450239. Ailleurs dans le pays le métayage se développe dans des
villages éventuellement remembrés par les seigneurs240, c'est le cas de la Gâtine de
Parthenay241. À l'autre bout de l'échelle sociale les paysans sans terre se multiplient. Le
servage reste la règle en Europe à l'est de l'Elbe et en Russie (Servage en Russie). Les moines
cisterciens gèrent de grands domaines. Ils sont particulièrement impliqués dans ces
défrichements et l'élevage (ainsi que dans le développement de la métallurgie). Ils mettent au
point la pisciculture et l'élevage moderne des lapins avec séparation des sexes. Ils portent une
grande attention à l'élaboration de la cire, du miel, des vins (invention des climats à Clos-de-
vougeot), des fromages et à l'élevage des pigeons (colombiculture)242 pour la chair. Ils
construisent de magnifiques colombiers permettant, en outre, de récupérer la colombine, un
engrais très apprécié pour les jardins. Cet élevage était alors règlementé et réservé aux
propriétés seigneuriales et ecclésiastiques, les pigeons se nourrissant gratuitement chez les
paysans. Ces productions permettent en effet de passer le carême avec des plats « sans
viande » ou réputés tels (lapereaux, pigeonneaux).
En Grande-Bretagne et Espagne, ils sont très fortement impliqués dans l'élevage ovin et la
production de laine. En 1535, Henri VIII fit estimer la valeur des propriétés foncières de
l'Église et des monastères en Angleterre avant de les confisquer. Elles représentaient 20 % de
la valeur totale foncière du pays243.
À partir de 1484, les paysans sont représentés marginalement dans les états généraux et
provinciaux en France244.
Le maïs, qui avait mis 5 000 ans pour se propager depuis le Mexique jusqu'au Saint-Laurent
au nord et au Rio de la Plata au sud, se propage sur tous les continents en moins d'un siècle,
transporté par les espagnols, les portugais et les français247,248 : arrivée en 1493 en Espagne et
au Maroc, en 1496 en Indonésie, en 1517 en Égypte, en 1534 à Sao Tomé, en Europe du Nord
(XVIe siècle) puis diffusion vers le bassin du Congo, l'Éthiopie (1623), l'Afghanistan
(XVIe siècle), l'Inde, la Chine...
De leur côté, les céréales européennes, le gombo, l'igname, le caféier, la canne à sucre, la
banane commencent à être cultivés en Amérique et plus généralement dans toute la zone
intertropicale. Le développement de ces cultures dans les colonies européennes est lié à celui
de l'esclavage et des plantations.
L'échange colombien concerne aussi les adventices, les bioagresseurs, les pathogènes et
parasites du bétail et certaines espèces invasives. Les adventices arrivées en Europe après
1500 sont nommées néophytes. Parmi les espèces d'adventices présentes en Europe et
provenant d'Amérique, on peut citer : Amaranthus retroflexus, Ambrosia artemisiifolia,
Conyza canadensis, Panicum capillare, Conyza bonariensis, Datura stramonium, Galinsoga
quadriradiata. Artemisia verlotiorum et Matricaria discoidea proviennent d'Extrême-Orient,
Senecio inaequidens et Oxalis pes-caprae d'Afrique du Sud, Chenopodium pumilio
d'Australie250.
Ces mouvements d'échange continuent jusqu'à nos jours, à un rythme toujours plus rapide, dû
au développement des échanges commerciaux. À titre d'exemple, entre 1492 et 1799, 9
nouvelles espèces d'invertébrés ont été observées en Europe. Entre 2000 et 2007, 153
nouvelles espèces d’invertébrés ont été observées251. Le rythme d'implantation de nouvelles
espèces d'adventices était d'environ 3 espèces par an jusqu'au XIXe siècle. Il est d'environ 30
espèces par an au XXe siècle252,253.
Les états tentent de réserver l'usage des grandes forêts à la fourniture de bois d'œuvre pour la
construction immobilière et navale; pour cela ils imposent des méthodes de gestion rationnelle
et sont bientôt imités par les autres propriétaires forestiers : en France, l'Ordonnance de 1669
de Colbert est ainsi à l'origine du Code forestier. Après avoir perdu le droit de piégeage, les
paysans perdent alors progressivement le droit de panage (ou droit de glandage pour les
porcs), le droit de pacage en forêt (pour tous les animaux) et le droit d'affouage (prélèvement
de bois de feu). Il faut donc compenser la perte de ces ressources communes.
Cette « révolution » repose sur un cycle vertueux : la meilleure alimentation animale permet
d'obtenir des chevaux et des bœufs plus puissants, pouvant tirer des machines plus
imposantes. Les instruments agraires sont rapidement améliorés. On augmente ainsi la
productivité des terres, tandis qu'on utilise les déchets organiques pour faire du fumier, ce qui
autorise la suppression de la jachère. En France, un tel modèle perdurera jusqu'au XXe siècle,
voire jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, tandis que les États-Unis avaient amorcé dès les
années 1930 la révolution agronomique moderne. Le point-clé de ces changements est le
passage de la rotation triennale avec jachère à la rotation quadriennale sans jachère. Toutefois,
on trouve aussi des rotations de trois ou six ans mais toujours sans jachère ou encore des
prairies de longue durée.
Pour conserver à la terre sa fertilité sans jachère, on cultive systématiquement des plantes
améliorantes. Celles-ci sont de deux sortes :
Les plantes sarclées, dites aussi nettoyantes parce qu'il faut les biner. Au prix d'un
travail supplémentaire, on détruit les plantes adventices et leur cycle de reproduction
est ainsi rompu. Parmi ces plantes, les plus appréciées sont celles qui possêdent une
racine pivotante qui permet d'aller chercher en profondeur les éléments minéraux.
Elles contribuent aussi à ameublir le sol. Elles se conservent l'hiver en terre s'il ne gèle
pas trop ou en silo. Les variétés fourragères sont proches des variétés potagères et
peuvent être consommées en cas de famine. Ce sont les raves : le navet, le rutabaga
(navet de Suède, chou-navet), le radis fourrager (il existait des variétés géantes), le
panais et la carotte fourragère257. La betterave fourragère n'apparait que vers 1750 en
Rhénanie258.
Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, scène avec labour, semis, hersage et roulage. En bas à
gauche, la charrue de Jethro Tull.
François Quesnay, fils de petits paysans, célèbre physiocrate, auteur des articles « Fermiers »,
« Grains » et « Hommes » de L'Encyclopédie, il révolutionna l'économie politique
Moutons pâturant des navets fourragers, Argyll (Écosse). Les moutons avaient chassé les tenants
(tenanciers) écossais de leurs terres ancestrales.
En terrain non calcaire, le trèfle incarnat remplace avantageusement la jachère (racine importante,
fourniture d'azote au sol, pâturage apprécié)
Portrait de l'homme d'état anglais Turnip Townshend (Vicomte Charles Townshend), propagateur
de la rotation de Norfolk qu'il expérimenta sur ses domaines dans ce comté
Robert Bakewell (I726-1795), peut être le premier ingénieur zootechnicien ; ses travaux
concernent l'amélioration des prairies et la sélection des animaux domestiques.
Dans le Royaume de Prusse, les seigneurs (junkers) reprirent les terres de leurs serfs et
modernisèrent leurs domaines. Affiche publicitaire pour les charrues et locomobiles Kemna
fabriquées à Breslau, Silésie.
Champs bocagés en hiver dans le Devon. Le bocage a été la façon commune pour les
propriétaires de s'affranchir de la vaine pâture aussi bien dans l'Ouest de la Grande-
Bretagne que dans le Grand-Ouest français mais en France les seigneurs n'usurpent les
droits des paysans que de façon marginale (piégeage, affouage, pannage).
Un croft aux Shetland (musée) : tas de tourbe et toit de chaumes. Accueillant les
métayers des Highlands évincés après 1886, ils étaient dotés d'un pré communal.
En Écosse après les Actes d'Union (1707) avec l'Angleterre, le droit rural anglais est
imposé, les grands propriétaires (les leirds qui n'étaient jusqu'alors que des chefs de
clan) prennent le contrôle total de leurs terres comme en Angleterre lors du
mouvement des enclosures. Leurs paysans (tenants), qui pratiquaient une agriculture
diversifiée, sont évincés au profit de l'agriculture nouvelle et de l'élevage moderne des
moutons qui demande beaucoup moins de main-d'œuvre. Lors des crises, ils
émigreront par centaines de milliers vers les Amériques (Scottish Agricultural
Revolution (en)). Le processus est plus lent dans les Highlands, cependant les chefs
de clans, survivants des nombreux conflits, finissent par se servir des nouvelles lois
aussi. Ce sont les Highland Clearances qui provoquent le déplacement des tenants vers
les crofts, de toutes petites tenures le long des côtes où ces paysans vivent de la
pomme de terre et du ramassage du kelp (varechs) et de la tourbe. L'apparition du
mildiou dans les années 1840 provoque la famine de la pomme de terre dans les
Highlands. Les aides alimentaires anglaises sont limitées et subordonnées à la
fourniture d'importantes corvées par les paysans, les rébellions sont matées par
l'armée. Au total 1,7 million d'Écossais quittent leur patrie entre 1846 et 1852 sur des
bateaux souvent affrêtés par les grands propriétaires eux-mêmes, responsables de cette
situation. Cette famine, ainsi que celle similaire d'Irlande (Grande Famine en Irlande,
1 million de morts, 2 millions de réfugiés), profite aux grands propriétaires et à
l'Empire britannique qui se débarrasse de populations majoritairement catholiques et
celtophones, promptes aux révoltes, tout en peuplant les provinces outre-mer265.
Cette période est aussi le temps d'une amélioration significative des méthodes de
transformation et conservation des produits agricoles. Les légumes-racines, en particulier pour
les animaux, sont conservés en silos semi-enterrés, recouverts de paille et abrités
sommairement257. La pomme de terre se conserve en cave et le topinambour simplement en
terre. Les salaisons, les fabrications fromagères et la vinification se développent
considérablement. La méthode champenoise est définitivement mise au point vers 1700 (Dom
Pérignon).
Le petit pois et le haricot vert ne sont pas de nouvelles espèces mais des variétés dont on
mange les grains ou les gousses avant maturité. Ce sont des innovations italiennes qui se
répandent dans toute l'Europe à partir de 1700.
La culture des asperges violettes ou blanches à gros turions est mise au point progressivement
aux Pays-Bas et en France par la pratique du buttage et l'obtention de nouvelles variétés266.
Les cultures sur couches chaudes (terreau mélangé à du fumier en cours de fermentation) ou
en serres, alors coûteuses, commencent. La culture du champignon de couche en cave est mise
au point en France et celle de la barbe-de-capucins et des endives (des variétés de Cichorium
intybus, la chicorée) en Belgique durant cette période. La France est aussi un pays très réputé
pour son pain. Cette situation serait due à l'excellence de sa meunerie où l'on utilise comme
meules des pierres meulières comme celles de La Ferté-sous-Jouarre qui sont, par ailleurs,
largement exportées268.
Sur le très long terme, l'histoire de l'humanité ne semble être qu'une longue suite de
migrations, d'invasions et de colonisations. La colonisation est loin d'être une spécificité
européenne et de nombreux états actuels trouvent leur origine dans un processus de
colonisation subi ou voulu.
Certaines colonisations très progressives se sont déroulées sur des espaces immenses : ainsi la
première colonisation de l'Europe par des agriculteurs venus du Sud de l'Anatolie, l'expansion
des peuples Yanma et celle des Austronésiens (chapîtres précédents).
L'état actuel du Viet-nam trouve son origine dans la migration (Nam tiến ( vi ), marche vers
le sud) des Viêt, un peuple du Sud de la Chine, vers le sud depuis plusieurs millénaires. Les
Viêt repoussent progressivement les autochtones vers les montagnes grâce à la supériorité de
leurs techniques, en particulier des techniques agricoles apprises avec les Chinois270. Ce
processus dure jusqu'au XXe siècle; la colonisation française (Indochine française) n'apparaît
finalement que comme un épisode, important parce qu'il permet aux Vietnamiens de
s'émanciper de la tutelle chinoise.
Les Bugis, un peuple originaire des Célèbes installèrent des comptoirs en Asie du Sud-Est à
partir de 1200 et développèrent un commerce intense de la Chine et des Philippines au Nord
de l'Australie. Pour ce qui concerne l'agriculture, leur commerce favorisa le développement
des rizières, de la soie, du coton et de l'opium271. Une dynastie bugi régna sur le Sultanat
d'Aceh, premier producteur mondial de poivre dans les années 1820272.
Le Sultanat de Mascate (puis Mascate et Oman) fut un état colonisateur transcontinental qui
s'étendait sur les côtes et les îles d'Afrique orientale jusqu'aux Comores de 1650 à 1891. Ses
marchands y géraient de grandes plantations de girofliers et de cocotiers et pratiquaient la
traite des esclaves noirs. Zanzibar était considérée comme la perle de cet empire. Le swahili y
a été répandu par les commerçants arabes, il servait de langue véhiculaire.
Certains envahisseurs se contentent de laisser les paysans et leurs systèmes de culture en place
et remplacent simplement les anciens systèmes administratifs et commerciaux par de
nouveaux leur permettant de percevoir les profits de l'agriculture. C'est ce qui se passe, par
exemple lors de l'invasion de l'Égypte par Alexandre le Grand, l'administration perse est
remplacée par une administration gréco-macédonienne et le commerce grec est favorisé. Le
sort des paysans égyptiens reste le même. Dans le cas de l'invasion de l'Angleterre par les
Normands, les seigneurs saxons sont en grande partie remplacés par des seigneurs normands
mais le statut des paysans saxons reste le même. Il en va de même dans les anciens territoires
lettons et estoniens où à partir de 1200, Danois, Chevaliers Porte-Glaive et évêques impose
l'ordre féodal pour le plus grand bénéfice de la Hanse qui considère ces territoires comme un
« grenier à blé » (Histoire de l'Estonie).
Paysannes boer rechargeant les fusils de leurs hommes lors d'une attaque, 1909.
À partit du XVIe siècle, de nombreux paysans pauvres européens, poussés par les dissentions
religieuses, les guerres, la précarité ou la famine émigrent vers les colonies de peuplement
européennes puis les nouveaux états ainsi formés. Cette expansion se réalise souvent sur des
terres rachetées à bas prix, accaparées ou déclarées libres mais utilisées en réalité par des
communautés de chasseurs ou de pasteurs : Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande,
Nouvelle-Calédonie, États-Unis, Canada, Patagonie, Brésil, Hauts-Plateaux algériens. En
Russie, la colonisation des steppes du sud et de la Sibérie a souvent été motivée par
l'opportunité de fuir le servage273.
Les Anglais, pour affermir leur domination en Irlande, confisquent des domaines, les vident
de leur population et y installent des paysans anglais (mais aussi gallois, écossais, hollandais
et huguenots). Les premières installations à partir de 1560 sont officiellement faites pour faire
progresser l'agriculture irlandaise qui ne maîtrise pas complètement les techniques de la
culture attelée lourde. On parle alors de « plantations exemplaires » (Plantations en Irlande).
Plus tard, les plantations sont le fait d'une politique ouvertement punitive de la part des
Anglais274.
Pressés par les plantations, les Irlandais sont obligés d'émigrer. Ils vont d'abord aux Antilles
expédiés comme esclaves et en particulier à la Barbade où la culture du tabac est d'un très bon
rapport et où ils forment l'essentiel de la population vers 1640. Selon Exquemelin « Cromwell
a vendu plus de dix mille Écossais et Irlandais pour envoyer à la Barbade » (Irlandais de la
Barbade)275. Lorsque la rentabilité du tabac diminue, les plantations de tabac sont remplacées à
la Barbade par des plantations sucrières, le travail y est plus dur et les Irlandais sont remplacés
par des esclaves africains et amérindiens de la province de Caroline (Traite des Amérindiens
de Caroline). Une grande partie de ces Irlandais se réinstallent alors dans les autres Antilles
(en particulier à la Jamaïque où ils contribuent au développement des plantations sucrières) et
aussi dans la Caroline où ils créent à leur tour des plantations de tabac (Histoire de la
Barbade). Dans l'est de la province, à partir de 1663 aux mains des huit lords propriétaires de
Caroline, les terres, souvent des marécages à bonifier en plantations de riz, ne sont attribuées
que si l'on s'engage à employer des esclaves africains276 dont les conditions de travail sont très
dures277.
Lors de son voyage en Amazonie en 1542, Gaspar de Carvajal note que cette région est bien
cultivée et abrite une population nombreuse279.
Récolte et transport de canne à sucre dans un plantage néerlandais entre 1840 et 1860. À
droite, un blank officier supervise le travail des esclaves
En Amérique du Sud, le choc microbien, qui est postérieur à ce voyage de 1542, provoque la
mort rapide de la majorité de la population. Le système agraire alors existant disparaît, les
champs surélevés, les vergers et la terra mulata sont abandonnés. La forêt gagne du terrain.
Des systèmes de culture sur abattis-brûlis plus simples émergent ensuite. Néanmoins, jusqu'à
nos jours, les populations continuent de bénéficier de l'importante densité d'arbres fruitiers
issue des vergers pré-colombiens, et de manière plus générale, des modifications
environnementales apportées par les peuples pré-colombiens (terra preta et mulata, champs
surélevés, ilots forestiers...)176,173.
Aux Antilles, conquises d'abord par les Espagnols, les populations indigènes ne survécurent
pas aux maladies et au travail forcé. Les Antilles (sauf l'est d'Hispaniola, Porto Rico et Cuba)
furent alors recolonisées par d'autres nations (Angleterre, Pays-Bas, France, Danemark,
Suède, Courlande) qui y installèrent des plantations, faisant appel à l'esclavage des Africains,
pour la production de sucre, tabac, indigo, coton, cacao, par exemple.
Déplacement d'un élevage appartenant à des colons allemands, Sud-Ouest africain, avant
1911
Haïti fournissait à l'Europe la moitié de son sucre et la Jamaïque, le quart. À Haïti, les
ingénieurs français améliorent les techniques de culture, d'irrigation de la canne, les ateliers
de fabrication du sucre et du rhum qui deviennent de véritables usines. Haïti fournissait aussi
à l'Europe une grande partie de son indigo et de son café (Révolution du café), elle rapportait
autant à la couronne de France que toutes les colonies espagnoles réunies à la couronne
d'Espagne280. Sur une population d'environ 500 000 personnes en 1789, on comptait environ
dix esclaves pour un libre (blancs, métis, affranchis), (Sugar plantations in the
Caribbean (en)). Considérés comme des experts, les planteurs de Haïti sont à l'origine de
nouvelles plantations de sucre performantes à Trinité, Cuba et en Louisiane. Après l'abolition
de l'esclavage, Cuba devient la première région productrice de sucre. Plantation est aussi le
nom retenu en Anglais, on parle de plantage en néerlandais, danois et allemand, d'hacienda en
Espagnol, d'habitation aux Antilles et en Guyane françaises.
Dans les régions où l'agriculture intensive n'est pas possible, de grands élevages extensifs
d'ovins ou de bovins sont mis en place. C'est le ranching, popularisé par la littérature et le
cinéma sur les cow-boys de l'Ouest américain. Cependant cette pratique est originaire
d'Espagne (Histoire de la laine et du drap#L'élevage ovin en Espagne). En Amérique
hispanophone ces grandes fermes extensives, qui peuvent aussi porter des cultures, sont
appelées estancias, au Brésil fazendas, en Afrique du Sud plaas, en Louisiane francophone
vacheries et dans la zone du Pacifique stations. Ce type d'élevage a aussi été pratiqué par les
Soviétiques en Sibérie et en Asie centrale, par les Français sur les Hauts-Plateaux algériens et
en Nouvelle-Calédonie et par les Allemands dans le Sud-Ouest africain où il aboutira à la
révolte des tribus contre l'extension des élevages et le contrôle des points d'eau et finalement
au massacre des Héréros et des Namas (1904-1911) par les troupes allemandes avec le
passage par des camps de concentration.
En Amérique, l'accès à l'indépendance des colonies au XIXe siècle a entraîné, en fait, une
expansion des pratiques de plantations et de ranching, due à l'afflux de migrants et à la course
à la colonisation interne de certains états (États-Unis, Mexique, Brésil, Argentine, Chili). Les
ranches repoussent les éleveurs nomades traditionnels vers des contrées plus difficiles et sont
à l'origine de véritables guerres comme dans l'Ouest des États-Unis (Guerres indiennes),
contre les Indiens Mapuches et Ranquel en Patagonie (Conquête du Désert) et au Chili
(Occupation de l'Araucanie). La Colonisation galloise du Chubut en Argentine est plus
pacifique.
En Amérique tropicale, dès la fin du XIXe siècle, des firmes américaines mettent en place
d'immenses plantations. Ces firmes deviennent parfois plus puissantes que les états
indépendants et en profitent pour installer des gouvernements à leur dévotion (République
bananière). La plus connue de ces firmes fut la United Fruit Company282, aujourd'hui Chiquita
Brands International. La Hawaïan Pineapple Company soutint efficacement le coup d'état de
1894 qui permit de renverser la reine Liliuokalani puis aux États-Unis d'annexer Hawaï en
1898. C'est aujourd'hui la Dole Food Company, seconde compagnie bananière mondiale. La
Compagnie Fruitière (Marseille, France) créée en 1939, est, après le rachat d'une partie des
actifs de Dole, la première compagnie fruitière opérant en Afrique (2014).
Une hacienda à Porto Rico en 1899 (au moment où l'île est annexée par les États-Unis).
Hacienda Aurora de Francisco Oller.
À la fin du XIXe siècle, après l'interdiction de l'esclavage, dans certaines zones tropicales, des
plantations furent mises en place dans les colonies pour des cultures de type industriel comme
l'hévéa283, le cacaoyer ou le palmier à huile. Ces plantations étaient établies soit sur des
terrains expropriés où l'on employait des travailleurs libres déplacés (coolies) soumis à des
conditions très dures selon les contrats d'indenture ou d'engagisme, soit sur les terres des
paysans selon des systèmes proches du travail forcé . Ce fut le cas dans les Philippines
américaines, sur l'île de Formose japonaise (canne à sucre, riz), au Suriname et dans les
Antilles néerlandaises, en Malaisie et sur Ceylan britannique, au Congo belge et aux Comores
(plantations de vanilliers et de plantes à parfum comme l'ylang-ylang284) et en Indochine
française... Les coolies étaient principalement Indiens ou Chinois mais pouvaient provenir de
n'importe quels endroits du globe. Il y eut comme travailleurs soumis à ces types de contrats
des Irlandais, des Bretons, des Malgaches, des Mélanésiens en Australie (Blackbirding), des
Japonais (Immigration japonaise au Brésil), des Népalais dans les plantations britanniques de
thé en Inde (Histoire du thé), des Indonésiens en Nouvelle-Calédonie où les conditions
imposées par les Français étaient un peu moins dures que celles des Hollandais en Indonésie
(Indonésiens de Nouvelle-Calédonie).
Portrait de Edmond Albius qui inventa, alors jeune esclave à La Réunion, une méthode
révolutionnaire de pollinisation de la vanille
George Washington, premier président des États-Unis, était aussi un riche planteur
esclavagiste impliqué sur son domaine. Moisson à la faucille et liage manuel des gerbes.
Junius Brutus Stearns, 1851.
L'exemple le plus achevé de ces systèmes fut sans doute le cultuurstelsel (appelé Tanam
paksa, soit plantation forcée en indonésien) aux Indes orientales néerlandaises devenues une
immense plantation où les paysans étaient obligés de consacrer une grande partie de leur
temps et de leur terre aux cultures d'exportation : café, thé, indigo, hévéa, sisal, quinquina,
opium, tabac285. Il fut aboli en 1870 mais les grandes lignes du système persistèrent286. C'est
dans ce contexte que fut écrit Max Havelaar (roman) en 1859.
Le prélèvement de bonnes terres pour ces productions d'export contribue aux grandes famines
du siècle car, dans les zones traditionnelles, les rendements stagnent, ils n'augmenteront
vraiment qu'avec la révolution verte. On peut citer, outre les famines en Irlande et Écosse, les
famines des années 1840 aux Indes orientales néerlandaises285, la famine en Inde de 1866 et la
famine algérienne de 1866-1868. Les administrations coloniales auront compris trop tard la
nécessité de disposer de capacités de stockage accrues et de moyens de transport suffisants
(voie ferrée) pour approvisionner les régions où le système colonial fait regresser la part des
cultures vivrières.
Articles détaillés : Pavot somnifère, Guerres de l'opium et origines et Révolte des Taiping.
Le Semeur
Jean-François Millet, 1865
Clark Art Institute
À partir des années 1800, les agronomes vont progressivement comprendre que la structure du
sol, c'est-à-dire l'arrangement des parties qui le composent, leur taille (texture du sol) et
l'activité des êtres vivants qui s'y trouvent conditionnent la circulation de l'eau, de l'air et des
éléments nutritifs sous sa surface. Les éléments inertes s'assemblent pour former le complexe
argilo-humique (CAH) qui sert de réservoir nutritif. L'absorption de l'eau et des éléments
nutritifs dépend donc de cette structure. Elle détermine en fin de compte la fertilité de ce sol288.
Ellisland Farm, vers 1840, où vécut le paysan et poète Robert Burns, dit le Barde de l'Écosse.
Dans sa jeunesse, il fut aussi tenté par l'émigration
Les étudiants de Justus von Liebig, chimiste allemand, dans son laboratoire vers 1841.
Le tracteur Froelich, premier tracteur à moteur à explosion produit industriellement, 1892, Iowa,
États-Unis.
Arracheuse de pommes de terre Lanz. Le mécanisme entraîné par les roues porteuses ne nécessite
pas de moteur. Cette disposition est caractéristique de la première mécanisation.
Justus von Liebig pose et vulgarise les fondements de cette chimie à travers les éditions
successives de son ouvrage, La Chimie organique appliquée à la physiologie végétale et à
l'agriculture, de 1840 à 1865. Jean-Baptiste Boussingault, agronome français, s'attache à
éclaircir la dynamique de l'azote et le fonctionnement de la photosynthèse, il mène des
expériences agronomiques sur son propre domaine en Alsace. Chimistes et agronomes
recherchent quels éléments sont absorbés par les plantes et quels éléments déterminent une
bonne structure du sol289. À partir de ce moment, on fait la différence entre engrais et
amendements. Les engrais visent à compenser les prélèvements effectués dans le sol par les
plantes, on distingue principalement trois éléments majeurs : azote, phosphore290 et potassium
et trois éléments mineurs : calcium, magnésium et soufre. Les engrais sont d'abord définis par
leur teneur en azote, phosphore, potassium (engrais NPK).Les amendements sont
principalement de deux types : organiques (fumier, tourbe...) qui enrichissent le CAH en
matière organique et calciques (marnes, faluns) ou calco-magnésiens (dolomies) capables de
corriger la capacité d'échange du CAH et le potentiel hydrogène du sol. Les amendements
sont déjà utilisés de façon empirique.
Dès 1802, Alexander von Humboldt a découvert au Pérou le guano et compris ses propriétés
fertilisantes. Engrais complet d'origine organique, le guano devint rapidement une source
d'azote recherchée (comme engrais mais aussi pour la fabrication des explosifs291) suscitant de
véritables fièvres comparables à celles que l'on connaitra pour le pétrole. Ces fièvres sont à
l'origine de la guerre hispano-sud-américaine et du Guano Islands Act aux États-Unis qui
autorise tout citoyen américain à s'emparer d'une île à guano (en principe inoccupée) au nom
des États-Unis. Par exemple l'île de la Navasse a été confisquée en 1857 à Haïti292.
Le salpêtre du Chili (nitrate de sodium, nitrate de potassium), exploité depuis 1820 fut aussi
considéré comme stratégique et fut la cause de la Guerre du Pacifique (1879-1884).
Le phosphore dont l'importance a été très tôt reconnue par Liebig pouvait être apporté, par
exemple, par les phosphates contenus dans les craies phosphatées du Nord de la France,
utilisées comme amendements, ou provenir de gisements de phosphates naturels. Cependant
les phosphates naturels, y compris ceux déjà présents dans le sol, ne peuvent être assimilés par
les plantes que lorsque l'état de leur rhizosphère est optimal, ce qui n'est pas souvent le cas
pour les cultures de plantes annuelles293. On a donc eu recours dès avant la fin du siècle aux
superphosphates facilement assimilables obtenus par traitement des phosphates naturels ou
des ossements à l'acide sulfurique. Les scories Thomas produites par l'industrie sidérurgique
fournissaient un amendement de qualité (chaux) contenant, de plus, du phosphore
relativement assimilable et d'autres éléments.
Avant la découverte des énormes gisements de potasse de Staßfurt en Allemagne et leur mise
en exploitation en 1852 (Entdeckung der Staßfurter Kalisalzlagerstätte ( de )) on a souvent
utilisé le purin, la cendre de bois ou les varechs puis le guano comme engrais potassiques.
Enfin, la maîtrise de la fertilisation permet de cultiver plus facilement des plantes exigeantes
comme la pomme de terre, le chanvre ou la betterave fourragère ou sucrière.
Raúl Castro et Che Guevara en 1958. La suppression des grandes plantations américaines à
Cuba comptait parmi les principaux objectifs des révolutionnaires cubains.
Articles détaillés : Gracchus Babeuf et Philippe Buonarroti.
Préparation du sol, semis de blé et fertilisation en un seul passage avec un train de semis complet
tiré par un tracteur de très forte puissance. Dakota du Nord (États-Unis)
L'agronome américain Norman Borlaug, prix Nobel de la paix en 1970, considéré comme le père
de la Révolution verte.
Tracteur John Deere 4010 (80 chevaux) emblématique, avec le 4020 (106 chevaux), des années
1960, en grandes cultures. John Deere, forgeron américain, avait fabriqué la première charrue à
châssis en acier coulé en 1837.
Jeune plantation de pommiers, variétés Gala, Topaz, Golden delicious, près du lac de Constance,
Allemagne, 2007.
Salle de "post-sevrage" dans un élevage de porcs. L'élevage sur caillebotis et les nourrisseurs
automatiques limitent le travail nécessaire. Remarquer la propreté et le fait, que les animaux (des
hybrides) paraissent identiques.
Démonstration d'une nouvelle variété de maïs de la firme Pioneer Hi-Bred. Les plantes au premier
plan ont été écimées et leurs épis épanouillés pour en montrer la qualité. Belgique, 2009.
L'utilisation croissante des techniques modernes, les progrès en matière de machinisme, les
améliorations génétiques des productions animales et végétales, les progrès en matière de
fertilisation et de protection des cultures (produits phytosanitaires) ont permis d'augmenter
très fortement les rendements au cours du XXe siècle. Cette intensification de l'agriculture
datée des années 1946 à 1980 est aussi connue sous le terme de révolution verte. Elle est
contemporaine de l'accession à l'indépendance des colonies occidentales d'Afrique et d'Asie et
de réformes agraires. La perte des colonies stimule d'ailleurs la modernisation de l'agriculture
des pays de l'Ouest européen. Une nouveauté essentielle de la révolution verte est qu'elle
s'adresse à tous les agriculteurs, partout dans le monde à condition qu'ils puissent obtenir les
financements nécessaires. Les pays en développement ne peuvent souvent pas bénéficier des
avantages de l'agriculture moderne en raison d'un climat défavorable et d'un manque de
capital financier. En plus des aides étatiques, des programmes d'aide aux pays démunis sont
mis en place par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)
ou des organisations non gouvernementales.
Cependant dans de nombreux pays, les paysans s'organisent pour se financer, s'assurer,
acheter les semences et les engrais, transformer et vendre leurs produits et utiliser du matériel
plus efficace en commun (Coopérative agricole, Coopérative d'utilisation de matériel
agricole).
En raison des gains de productivité, la population agricole s'est fortement réduite dans les
pays économiquement développés. En France, par exemple, le nombre d'exploitations a été
divisé par deux entre 1970 et 1993. Un agriculteur nourrit en moyenne 7 personnes en 1960,
et plus de 30 personnes en 1990297.
Cette agriculture repose sur des concepts fondamentaux tels que la fiabilité et la rapidité
d'action mais connait aussi des crises.
La révolution verte est synonyme de production agricole de masse cependant les guerres, les
crises politiques ou les périodes climatiques difficiles provoquent encore des famines.
Certaines maladies sont difficilement contenues, comme la grippe aviaire. Lorsque ces
maladies sont suspectées de pouvoir contaminer un jour l'être humain, le problème est plus
grave encore. La plupart des états sont dotés de services vétérinaires afin d'éviter de telles
crises. Du fait du commerce international maladies et aliments frauduleux ou défectueux
peuvent être dispersés rapidement.
Malgré des règles d'hygiènes sévères et omniprésentes, la crainte d'une contamination à
grande échelle rendue possible par la taille des élevages et des usines est parfois ressentie
comme une hantise dans l'opinion publique. Exemples: affaire Lactalis en Europe
(Lactalis#Lait infantile contaminé), épidémie de listériose en Afrique du Sud299.
Il existe des normes internationales pour la sécurité des denrées alimentaires : les séries ISO
22000.
Expansion des productions de grand renom : une agriculture pour les couches
sociales favorisées ?[modifier | modifier le code]
Nurserie d'huîtres et moules dans les Rías Baixas, un des plus importants sites d'élevage d'huîtres
en Europe, Galice, Espagne
Les yacks produisent une laine de très grande qualité, le khullu, utilisé au Tibet, et aussi en haute
couture (Kim Yeshi)
Ces productions peuvent être protégées par des marques déposées, des labels, des appellations
d'origine.
Les productions de luxe agricoles se portent plutôt bien, ainsi pour le Champagne AOC,
produit emblématique du secteur, le chiffre d'affaires mondial atteint 4,9 milliards d'euros en
2017 soit 1 milliard de plus qu'en 2005 pour un vignoble de seulement 34 000 ha304.
L'augmentation sans précédent des populations, due entre autres aux progrès agricoles, surtout
depuis 1850 fait que de nombreuses terres fertiles sont abandonnées pour la construction de
logements, d'infrastructures industrielles, de transport et de loisirs. Parallèlement, les
dernières grandes forêts du globe comme l'Amazonie sont défrichées. Défrichements et
constructions peuvent favoriser des phénomènes d'érosion entraînant des pertes
supplémentaires de sols agricoles. Le développement des mégalopoles entraîne
l'artificialisation peut-être définitive de surfaces immenses. Face à cette situation, de
nouvelles possibilités commencent à être utilisées. Ce sont, par exemple, l'agriculture urbaine,
les productions sur support naturel recyclé (terreau de compostage et bois raméal fragmenté,
littoral marin) ou sur support artificiel : l'hydroponie et ses variantes.
Articles détaillés : Agriculture urbaine, Apiculture#L’apiculture urbaine et l’environnement
urbain et Bois raméal fragmenté.
Parmi ses missions, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture doit
fournir des statistiques, synthétiser les informations et harmoniser les normes dans les
domaines de la nutrition, l’agriculture, les forêts et la pêche, notamment par le biais de ses
publications (par exemple : rapports périodiques sur l'agriculture, la pêche et les forêts), et de
ses bases de données.
Elles couvrent la période 1961-2021. Entre 1961 et 2021, la surface mondiale de terres
cultivables par personne a été presque divisée par 4 (1,6ha/personne en 1961, 0,6 en 2021 et
seulement 0,4 en Europe), alors que l’indice de production agricole mondiale a été multiplié
par 3 (28,86 en 1961, 103,16 en 2021). L’indice de productivité par unité de surface et par
personne a donc été multiplié par 10 (18 en 1961, 173 en 2021)305. Ce « miracle » tient
essentiellement à deux facteurs : la mécanisation (production, transport) et l’utilisation
d'engrais et de pesticides issus de la pétrochimie. Le pic de production pétrolière intervenu en
2007 selon l'agence internationale de l'énergie, constitue l'amorce de la diminution
progressive et inexorable de la production mondiale de pétrole. La production agricole
mondiale étant très fortement dépendante de la production de pétrole, la contraction
progressive des approvisionnements en pétrole (la production mondiale de pétrole va être
divisée par 2 d’ici 2050) devrait provoquer une mutation majeure.
Femelle de trichogramme s'apprêtant à pondre dans des œufs de noctuelles (exemple de lutte
biologique)
La lutte biologique permet parfois d'éviter le recours aux pesticides. Par exemple, les
trichogrammes sont utilisés pour lutter contre la pyrale du maïs depuis 1980.
L'élevage d'insectes sur déchets permettrait de fournir de la nourriture pour poissons d'élevage
carnivores au lieu de les alimenter avec des protéines «nobles» que l'on réserverait à
l'alimentation humaine306.
Un des défis majeurs de l'agriculture moderne est aujourd'hui de concilier performance, bien-
être du consommateur, protection de l'environnement et pérennité.
En 1909, l'invention du procédé Haber-Bosch, qui permet de produire des engrais azotés à un
prix très avantageux, laisse envisager le développement d'une agriculture différente,
totalement déconnectée des limitations naturelles.
Un des problèmes les plus importants est celui de la qualité de l'eau qui a amené de nombreux
états à légiférer (directive Nitrates, CEE, 1991) et qui y est maintenant l'objet d'une
surveillance continue307.
Un cas extrême est l'agriculture naturelle de Masanobu Fukuoka qui tend à se rapprocher de
l'économie de cueillette. La permaculture peut être considérée comme une évolution de
l'agriculture naturelle tant du point de vue philosophique que technique311.
Dès ses débuts, l'agriculture biologique est influencée par les travaux de penseurs occultistes,
en particulier Rudolf Steiner, mais aussi par des travaux de botanistes comme Gabrielle et
Albert Howard ou d'agronomes comme F.H. King (en). Depuis 1990 certaines thèses de
l'agriculture biologiques sont confortées par les études réalisées sur les organismes du sol,
particulièrement bactéries et champignons mycorhyziens312. La glomaline produite par les
champignons endomycorhyziens et qui stabilise la structure du sol est découverte en 1996 par
Sara F. Wright313.
Bien que sémantiquement incorrecte, l'expression « agriculture biologique » (on peut en effet
dire que toute agriculture a un rapport avec les sciences biologiques) s'est indiscutablement
imposée dans les pays francophones, néerlandophones (biologishe landbouw) et dans d'autres.
Elle rend compte du choix fait par ses partisans de refuser l'artificialisation à outrance de
l'agriculture. On parle désormais d'agriculture bio et même simplement de bio. Dans les pays
anglophones, on a toujours parlé d'organic farming. Cette expression a été popularisée par
l'influent Lord Northbourne qui déclarait que « Le sol, ses micro-organismes et les plantes qui
poussent dessus forment ensemble une entité organique »314. Cependant dans beaucoup
d'autres pays, on emploie, de plus en plus, l'expression agriculture écologique moins
ambivalente.
Les partisans des agricultures naturelles optent aussi souvent (comme d'ailleurs nombre de
producteurs de denrées de haute qualité) pour des formes de commercialisation alternatives :
vente à la ferme, magasins de producteurs ou coopératives de consommateurs, circuits courts
(ex. : La Ruche qui dit Oui ! en France),
Une innovation notable est la création d'associations locales fortement impliquées dans le
soutien aux producteurs. En retour les producteurs se conforment aux souhaits des
consommateurs (autant que possible) et expliquent leurs méthodes. Ce sont les teikei japonais
depuis les années 1970, les « community-supported agriculture farms » en Amérique du Nord
depuis les années 1980, les AMAP (Association pour le maintien de l'agriculture paysanne
et/ou de proximité) en France depuis 2003.
Au début du XXIe siècle, l’agriculture mondiale est « soumise à un triple défi : produire plus,
développer de nouvelles cultures et, surtout, produire autrement pour répondre aux attentes
d’un public de plus en plus sensibilisé à sa santé et aux risques environnementaux. Selon les
spécialistes mondiaux en la matière, les agriculteurs devront inévitablement s’adapter à des
contraintes que l’on voit déjà se profiler : la hausse des prix de l’énergie, l’ouverture des
marchés internationaux, le retrait du marché de plusieurs fongicides à large spectre, les
changements climatiques et l’émergence de nouvelles maladies316 ». On peut y rajouter la
nécessité de réduire le gaspillage des sols arables et le gaspillage alimentaire282. En 2020 le
contrôle effectif des ressources en eau et le retrait de nombreux pesticides, déjà bien engagé317,
obligent tous les agriculteurs à des changements sensibles de méthodes.
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