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Au XVIe siècle, à l'arrivée des Conquistadors lors de la colonisation espagnole des Amériques,
la pomme de terre, avec le maïs, est à la base de l'alimentation de l'ensemble de l'empire Inca
et des populations vivant dans les régions voisines. Après leur découverte par les
Conquistadors, les tubercules sont embarqués à bord des galions comme vivres de soute, et les
explorateurs du « Nouveau Monde » les débarquent dans les ports d'Espagne et d'ailleurs. De
là, la pomme de terre part à la conquête de l'Europe et du monde.
Objet de curiosité des botanistes et des rois, remède à certaines maladies pour les
ecclésiastiques, elle n'est pas tout de suite considérée comme pouvant servir à l'alimentation
des humains. Dans le sud de l’Europe, elle circule de cour en couvent, d'Espagne en Italie
(appelée taratuffi et tartuffoli dans les Alpes italiennes), Piémont-Sardaigne, Savoie (appelée
cartoufle) puis vers l'Autriche, d’Angleterre vers l'Irlande et les Flandres, mais il faudra
attendre le début du XVIIe siècle pour qu'elle commence à être sporadiquement cultivée.
Sa conquête du territoire européen s'accélère alors, poussée dans les campagnes par les
famines et les guerres. Pour l'aider dans cette conquête, sa diversité allélique naturelle3 lui
permet de rapidement adapter son horloge circadienne aux saisons et aux climats des latitudes
du « vieux continent »N 1.
Au XVIIIe siècle, dans tout le vieux continent, jusqu'aux confins de la Russie, un véritable
engouement se développe pour ce tubercule facile à cultiver et à conserver, et qui permet à
l’Europe d'espérer la fin des famines. La culture de la pomme de terre, en libérant le peuple
des disettes, renforce les États, nourrit leurs soldats et accompagne leurs armées dans des
conquêtes plus lointaines. Au XIXe siècle, la force et la stabilité alimentaire acquises grâce à
la pomme de terre offrent aux empires coloniaux la possibilité de s'étendre et de dominer une
grande partie du monde.
« Le fer était entré au service de l'homme, la dernière et la plus importante de toutes les
matières premières qui jouèrent dans l'histoire un rôle révolutionnaire, la dernière... jusqu'à la
pomme de terre. » écrit Friedrich Engels en 1884 dans L'Origine de la famille, de la propriété
privée et de l'État.
La pomme de terre est originaire des Andes où elle a été domestiquée et cultivée depuis
l'époque néolithique dans la zone côtière de l'actuel Pérou, à la fin de la dernière période
glaciaire alors que l'Altiplano était encore en partie recouvert par les glaces4.
Dans les grottes de Tres Ventanas situées à 2 800 mètres d'altitude dans le canyon Chilca à
65 km au sud-est de Lima, ont été mis au jour les plus anciens restes de tubercules de pommes
de terre cultivées datant d'environ 8000 av. J.-C. On y a aussi découvert des spécimens de
haricot, haricot de Lima, piment, oca et ulluque5.
Des découvertes similaires ont été faites sur des sites archéologiques situés le long de la côte
péruvienne, depuis Huaynuma dans la vallée de Casma6 (région d'Ancash, à 360 km au nord
de Lima), jusqu'à La Centinela dans la vallée de Chincha située à 200 km au sud de Lima.
Cérémonies Incas, d'après Felipe Guaman Poma de Ayala, El primer nueva corónica y buen
gobierno (1615).
Axomama, déesse de la pomme de terre, Mochica, Pérou.
Un spécimen de Solanum maglia, espèce de pomme de terre sauvage, datant de 13000 av. J.-
C., a été identifié sur le site archéologique de Monte Verde, près de Puerto Montt dans le sud
du Chili. Sûrement consommée mais non cultivée, elle est la plus ancienne espèce connue
ayant pu servir à l'alimentation humaine. Cette découverte tend à confirmer cette région
comme étant le berceau de la pomme de terre7.
Plantation de pommes de terre à l'aide de la chaquitaclla (Felipe Guaman Poma de Ayala : El
primer nueva corónica y buen gobierno 1615-1616).
Après une longue période d'appropriation, alors que la région côtière connaissait un climat de
plus en plus aride, c'est sur l'Altiplano, autour du lac Titicaca, chez les Tiwanaku que la
domestication de la pomme de terre a vu son premier accomplissement, par la rationalisation
d'un processus de détoxification permettant de faire baisser les taux de glycoalcaloïdes
présents naturellement dans la plante, notamment celui de l’α-solanine, toxique pour l'homme
et présente en grande quantité quand le tubercule se développe en altitude : les
glycoalcaloïdes lui permettant de résister au gel. C'est en perfectionnant vers 1500 av. J.-C.
ces techniques de conservation, mises en pratique depuis plus de 4 000 ans par les peuples de
l'Altiplano et consistant en une suite d'opérations de lessivage, de séchage au soleil puis de
congélation dans la glace, que les agriculteurs Tiwanaku sont parvenus à cette rationalisation :
le lessivage et le séchage faisant baisser les taux de solanine, et la cuisson des pommes de
terre congelées ceux des inhibiteurs de protéinase et lectines nuisibles à sa digestion par
l'homme et les animaux8. Les Quechuas pratiquent encore de nos jours des techniques de
conservation de la pomme de terre similaires9, le Chuño, aux propriétés également
détoxifiantes.
C'est aussi dans les Andes, que l'on observe encore aujourd'hui la plus grande variabilité
génétique des espèces et variétés de solanées tubéreuses, avec plus de cent espèces sauvages
et plus de 400 variétés indigènes de pommes de terre cultivées10.
Les poteries ayant pour thème la pomme de terre, découvertes dans la région, témoignent de
l'importance qu'a pu revêtir sa domestication pour les cultures qui s'y sont succédé. Ces
poteries, qui s'échelonnent du IIe siècle au XVIe siècle, de l'ère Nazca à la fin de l'ère Inca,
figurent les tubercules de manière très réaliste, puis celles-ci évoluent jusqu'à prendre la forme
de créatures humaines ou animales, sur lesquelles sont toujours représentés les « yeux » des
pommes de terre de façon de plus en plus stylisée11.
La première partie des Crónicas del Perú de Pedro Cieza de León (1553).
Il est fort probable que Francisco Pizarro et ses hommes ont eu contact avec le tubercule et
même mangé des pommes de terre lors de leur expédition au Pérou dès 1532. Toutefois il n'en
existe aucune relation écrite.
Le chroniqueur espagnol Juan de Castellanos, arrivé en Colombie en 1544 où il meurt en
1607, narre dans ses Êlegías (1601, publiées à Madrid en 1886 dans Historia del Nuevo Reino
de Granada (es)16) la découverte des pommes de terre faite en 153717. Il rapporte que celles-
ci, qu'il appelle turmas (truffes), étaient cultivées chez les indiens Moscas (Chibchas)18 dans la
région de Neiva (Colombie)16 : leur découverte a lieu au cours de l'expédition menée par
Gonzalo Jiménez de Quesada à partir de 1535 en Colombie et qui aboutit à la fondation de
Bogota le 6 août 153819,20.
Pedro de Cieza de León, qui voyagea en Colombie et au Pérou entre 1536 et 1551, signale la
pomme de terre en 1553, sous le nom papa, dans Crónicas del Perú21. Il y rapporte aussi la
façon qu'ont les Indiens de la faire sécher au soleil pour la conserver et que le tubercule (qui
ressemble à une « truffe de terre » : turma de tierra) une fois sec se nomme le chuño. («El
principal mantenimiento dellos es papas, que son como turmas de tierra, y éstas las secan al
sol y guardan de una cosecha para otra; y llaman a esta papa, después de estar seca, chuno»)
Une autre description de la papa est publiée en 1557 par Jérôme Cardan (Hieronymus
Cardanus), un des plus illustres savants italiens du XVIe siècle, dans son De Rerum
varietate22. Il n'a jamais séjourné en Espagne et la pomme de terre est alors inconnue dans son
pays. Sa description aura sans doute été inspirée par les Crónicas del Perú de Pedro de Cieza.
« À Colla ou pays du Pérou, la papa est un genre de tubercule, utilisé pour faire du pain, il se
développe dans le sol : c'est que partout la nature se soucie avec sagesse de toutes les
nécessités. Les papas sont séchées et ensuite appelée ciuno. Certaines personnes ont trouvé le
moyen d'en tirer des profits en transportant uniquement cette marchandise vers la province de
Potosi. Ils disent que cette racine porte une plante similaire à celle de l'Argemone. Elles ont la
forme de châtaignes, mais ont un goût plus agréable : elles sont consommées cuites ou
transformées en farine. On les trouve aussi chez les autres peuples de cette Chersonèse (?),
ainsi que parmi les habitants de la province de Quito. »N 2
En 1589, le missionnaire et naturaliste José de Acosta, qui séjourna dans les Andes de 1569 à
1585, évoque la culture de la pomme de terre (papas) dans son ouvrage Historia natural y
moral de las Indias (Livre quatrième, chapitre XVII)23. Il note la façon qu'ont les Indiens de la
conserver (chuño) et il indique aussi que la pomme de terre sert à fabriquer une sorte de pain.
Gómez Suárez de Figueroa dit Inca Garcilaso de la Vega
Puis en 1609, Gómez Suárez de Figueroa, dit Inca Garcilaso de la Vega dans ses
Comentarios Reales de los Incas, décrit la pomme de terre et donne le détail de sa méthode de
conservation24 :
« Dans toute la province des Collas, sur une étendue de plus de cent cinquante
lieues, le maïs ne pousse pas, parce que le climat est trop froid. On récolte
quantité de quinoa, qui est comme du riz, et d'autres graines et légumes qui
fructifient sous la terre : parmi eux il y en a un qu'ils appellent papa : il est
rond et fort sujet à se corrompre à cause de son humidité. Pour empêcher que
cela n'arrive, ils mettent les papas sur de la paille, car on en trouve
d'excellente dans cette contrée; ils les exposent à la gelée pendant plusieurs
nuits; en effet, pendant toute l'année, il gèle fort dans cette province; et
pendant que le gel les a brûlées comme si elles avaient cuit, ils les recouvrent
de paille et les pressent doucement pour en faire sortir l'humidité qui leur est
naturelle ou que la gelée leur cause. Puis ils les mettent au soleil et les
préservent du serein jusqu'à ce qu'elles soient entièrement desséchées.
Préparée de cette façon, la papa se conserve longtemps, et prend le nom de
chuño. C'est ainsi qu'ils séchaient les pommes de terre qu'ils récoltaient sur les
terres du Soleil et de l'Inca, et ils les conservaient dans les magasins avec les
autres légumes et graines. »
Jusqu'au milieu du XVIe siècle, la pomme de terre, considérée plus comme une médecine que
comme un aliment, va rester cantonnée autour des couvents, des cours royales, des jardins de
botanistes, et il faudra que l'Europe subisse les nombreuses disettes et les guerres qui vont
l'accabler pendant les XVIIe siècle et XVIIIe siècle pour que sa culture et sa consommation,
remèdes aux famines, se développent malgré les préjugés et les superstitions25 qui lui sont
attachés. Au Cinquecento, par exemple, la pomme de terre va être classée avec les truffes ou
la mandragore au plus bas de l'échelle des êtres vivants dans la scala naturæ, parmi les
plantes souterraines, considérées comme impures et impropres à la consommation humaine.
Se développant sous la terre, dans le Sheol, les plantes souterraines sont synonymes de
mortification alimentaire et de pénitence25.
Dans la culture populaire, elle gardera ce rang dans l'échelle de la nature jusqu'au milieu du
XVIIe siècle, comme le fait en 1675 Johannes Franciscus Van Sterbeeck dans son Theatrum
fungorum26.
Galion (anonyme).
Tout concorde pour affirmer que la pomme de terre a d'abord été introduite en Espagne par les
conquistadors, et, très peu de temps après, dans les îles Britanniques par Sir Francis Drake.
Les caraques puis les galions qui ramènent en Espagne les denrées en provenance des
colonies espagnoles des Amériques, dont les pommes de terre et leurs premières semences,
embarquent leur cargaison depuis le port de Carthagène des Indes. Pour effectuer la traversée
de retour vers l'Espagne et les ports de Cadix et de SévilleN 3 d'où ils sont partis au printemps
de l'année précédente pour un voyage transatlantique d'environ un mois, portés par les alizés,
les navires de la carrera de Indias devaient quitter les parages des Caraïbes avant la fin du
mois de juin et la période des cyclones. Après une dizaine de semaines de traversée
océanique, ils atteignaient les îles Canaries où ils faisaient escale, puis gagnaient les côtes
espagnoles sous l'escorte de l'Armada de la mer Océane en une dizaine de jours27,28.
En 2006 des analyses ADNN 5 sont menées sur les microsatellites et les chloroplastes de plus
de 150 variétés traditionnelles de pommes de terre des îles Canaries et d'Amérique du Sud :
les résultats de ces recherches ont été croisés avec des données historiques, moléculaires et
agronomiques31 et vont dans le sens des hypothèses de Hawkes.
32
La Papas Indorum dans Nova typis transacta navigatio novi orbis Indiæ occidentalis (1621) .
Illustration extraite de Georgica Curiosa Aucta (1695) de Wolf Helmhardt von Hohberg (de).
C'est au botaniste bâlois Gaspard Bauhin qu'on doit la première publication en 1596 d'une
description botaniqueN 6 dans son ouvrage Phytopinax seu Enumeratio plantarum33 Il la
rapproche des Solanum, « en raison de la ressemblance de ses feuilles et de ses fruits avec la
Tomate, et de ses fleurs avec l’Aubergine, ainsi que pour sa semence qui est celle des
Solanum, et pour son odeur forte qu’elle a de commun avec ces derniers » : il lui attribue le
nom de Solanum tuberosum34. Il y cite aussi l'appellation italienne du tubercule Tarutffoli. Il
étend le nom de laSolanum tuberosum en 1620 dans Prodromos Theatri Botanici35, puis en
1623 dans Pinax theatri botanici, en Solanum tuberosum esculentum, (Morelle tubéreuse
comestible)36. Ce nom, repris par la suite et abrégé en Solanum tuberosum selon la
nomenclature binomiale par Linné dans son Species Plantarum publié en 1753, est encore
aujourd'hui le nom scientifique de l'espèce37. Dans son Prodomos, où il propose la première
représentation publiée en Europe de la pomme de terre, il écrit qu'on lui aurait rapporté qu'en
Bourgogne les tubercules, accusés d'être vecteur de la lèpreN 7, auraient vu leur usage interdit,
ce qui ne sera pas sans conséquences sur l'avenir de la culture de la pomme de terre en France.
En 1596 également, le botaniste anglais John Gerard publie le catalogue des plantes qu'il
cultive dans son jardin de Holborn, près de Londres, parmi lesquelles figure, sous le nom de
Papus orbiculatus, la pomme de terre38, dont il donne une description botanique détaillée dans
son herbier (Herball, Generall Historie of Plants) publié en décembre 1597. Gerard appelle la
plante potatoe of Virginia, ou English potato of America, pour la distinguer de la common
potatoe qui désignait alors la patate douce, et affirme l'avoir reçue des mains de Sir Francis
Drake, en provenance de Virginie, première colonie anglaise d'Amérique39,40. Toutefois, en
1596, la pomme de terre n'avait pas encore été introduite sur le continent nord américain où
elle ne pousse pas naturellement : Gerard crée alors une confusion qui durera jusqu'à nos jours
en nommant l'objet de son étude la pomme de terre de Virginie. Il a sans doute rapproché trop
hâtivement la pomme de terre (Solanum tuberosum) avec la glycine tubéreuse (Apios
americana)41 présente, elle, naturellement en Virginie. Gerard fait aussi d'autres erreurs,
donnant comme autre nom à la Virginie celui de Norembega39 (un lieu imaginaire sans
localisation précise), et nommant Openauk l'Apios americana prétextant que c'est ainsi que le
faisaient les Amérindiens: Openhauk est le nom du lieu où les premiers colons anglais
tentèrent de s'installer en 158540. Notons enfin que Gerard cite les travaux de Clusius sur la
pomme de terre39 dont il a connaissance avant leur publication en 1601.
En 1601, Charles de l'Écluse (dit Clusius) publie dans son ouvrage Rariorum plantarum
historia42, une nouvelle description scientifique de la pomme de terre, appelée Papas
peruanorum, qu'il assimile à l'Arachidna de Théophraste (identifiée en 1938 par Berthold
Laufer comme Lathyrus amphicarpos43). Charles de l'Écluse avait reçu le 24 janvier 158844,
alors qu'il était encore à Vienne, deux tubercules et un fruit de pomme de terre envoyé par
Philippe de Sivry, gouverneur de la ville de Mons en Pays-Bas méridionaux (il en deviendra
le prévôt (Ancien Régime) à la mort de son père Jacques en 169145). De Sivry avait lui-même
reçu46 des tubercules l'année précédente (1587) du nonce apostolique et légat du pape Sixte V,
Jean-François Bonnhomme45 (Giovanni Francesco Bonomi, 1572-158747) évêque de Verceil,
qui les nommaient « Taratouffli »48,N 8. En cultivant ces deux tubercules, Clusius en obtint
d'autres, ainsi que des graines, en quantité suffisante pour en distribuer à d'autres naturalistes
de l'époque avec lesquels il était en relation49, en Autriche, en Allemagne et en Italie
notamment à l'université de Padoue50, ce qui lui vaut d'être considéré comme le « propagateur
de la pomme de terre » à la fin du XVIe siècle.
L'hôpital de la Sangre y de las Cinco Llagas en 1688, aquarelle de Pier Maria Baldi.
Elle prend le nom de patata , ce qui la différencie de la patate douce nommée batata52, et
évite la confusion du nom d'origine indienne papa avec le mot Papa désignant le Pape53.
L'hôpital de la Sangre était en Europe l'un des plus modernes de son époque56. À partir de
1576, des sœurs de l'Ordre des Carmes déchaux, du couvent carmélite de Los Remedios fondé
par sainte Thérèse d'Avila, y ont exercé le service religieux. Dans une lettre57,58 envoyée le 19
décembre 1577 par sainte Thérèse depuis Tolède à la supérieure du carmel de Séville, la Mère
Marie de Saint Joseph, on peut lire : « Que Jésus soit toujours avec votre Révérence, ma fille.
J'ai reçu votre lettre, et également les pommes de terre, la citrouille et les sept citrons. Tout
arriva en excellent état... »N 9. Au début de la même année, le 29 janvier 1577 elle évoque
aussi la pomme de terre comme ayant un effet thérapeutique57.
À la même période, l'hôpital de la Sangre n'est pas le seul endroit où la patata est utilisée
pour ses vertus médicinales. Dans un autre hôpital de Séville, l'Hospital de San
Hermenegildo, le médecin Bartolomé Hidalgo Agüero (es) (Séville, 1530-1597) l'utilise
pour traiter ses patients. On lui attribue des propriétés thérapeutiques notamment sur certaines
inflammations, l'eczéma, les brûlures et les calculs rénaux (le mal de piedra)59. Un autre
botaniste et médecin de l'époque, Nicolas Monardes (1493-1588), est réputé avoir étudié les
facultés thérapeutiques de la pomme de terre à l'Université de Séville60.
Philipe II,
par Sofonisba Anguissola.
Le roi Philippe II d'Espagne semble lui aussi attacher une certaine importance médicinale à la
pomme de terre à défaut de la trouver bonne à l'alimentation humaine comme le pense
également son médecin personnel, le botaniste Francisco Hernández de Tolède55. En effet, en
1565 Philippe II en envoie des plants61 au pape Pie IV pour le soulager de la fièvre romaine
(ou fièvre des marais) une forme particulièrement mortelle de la malaria dont le pape est
atteint : ce fut sans effet car il en décédera à la fin de la même année62. C'est à cette occasion,
afin de ne pas froisser le souverain pontife, le 'Papa', que la pomme de terre, la papa, prendra
en Espagne le nom de patata.
Les vertus médicinales supposées de la pomme de terre ne lui enlèveront toutefois pas sa
mauvaise réputation et il faudra attendre le milieu XVIIe siècle pour la voir être cultivée plus
largement à travers le pays. En effet, lorsque Clusius, alors médecin de cour et responsable du
jardin impérial de l'empereur Maximilien II du Saint-Empire, publie en 1576 Rariorum
aliquot stirpium per Hispanias observatarum historia63, ouvrage sur la botanique d'Espagne
où il voyagea pendant près de deux ans, en 1564 et 1565 et où il eut l'occasion de visiter le
jardin botanique du roi Philippe II à Valence64, rien n'y mentionne la pomme de terre cultivée
ou non. Pas plus que dans l'abondante correspondance qu'il échange avec les naturalistes et
médecins espagnols64 de l'époque, (comme le médecin et collectionneur de plantes du nouveau
monde65 Simón de Tovar (Séville, 1528-1596)), jusqu'à la publication de son ouvrage en 1576.
Si dans cette fin de XVIe siècle la pomme de terre est bien présente à Séville, sa culture y est
vraisemblablement réduite à de petites surfaces, à la manière des plantes médicinales. Quant à
l'armée espagnole, supposée avoir diffusé le tubercule dans les Flandres notamment lors de la
guerre de Quatre-Vingts Ans, son ordinaire n'incorpore pas la pomme de terre66, pas plus à
l'époque que plus tard.
Au début du XVIIe siècle les premiers signes d'une extension de la culture de la pomme de
terre apparaissent en Espagne.
En effet, dans Tesoro de las dos Lenguas espanola y Francesa67, publié en 1607 et rédigé par
hispaniste français César Oudin proche du roi Henri IV, on constate qu'apparaissent en
Espagne, en plus du mot Patata (« Une sorte de racine qui a la saveur de la châtaigne »), les
mots Patatal (« le lieu où croissent telles racines »), et Patatero (« celui qui mange ou vend
de ces racines »).
Que des termes du langage courant espagnol désignent l'un les champs de pommes de terre et
l'autre les personnes qui en font le commerce, démontre que la culture, le commerce et la
consommation de patates ont pris une importance non négligeable dans la société. (Patatal
désigne encore de nos jours un champ de patates). Toutefois, la description lapidaire de la
Patata comme une sorte de racine, fait penser que le tubercule ne soulève pas grand intérêt
dans l'entourage du roi de France en ce début de XVIIe siècle.
Terre d'accueil des premiers tubercules arrivées des Andes par les Canaries, l'Espagne est sera
un des premiers territoires que le tubercule va conquérir et avec lui, la population.
D'Andalousie, depuis les ports accueillant les navires en provenance du Nouveau Monde69, la
pomme de terre va passer en Galice cultivée pour vaincre la famine qui y sévit entre 1730-
1735, puis au Pays basque et finalement la majorité du territoire au milieu du XVIIIe siècle et
y sera de toutes les cuisines70. C'est par le Pays basque que le tubercule se diffusera dans les
régions françaises frontalières.
Au XIXe siècle, avec la diffusion de la tortilla de patatas qui devient la base de l'alimentation
d'une grande partie de la population d'un pays qui a perdu la prospérité que lui donnaient ses
possessions coloniales, la culture de la pomme de terre va connaître une véritable explosion.
Si les premières pommes de terre issues des plants offerts en 1565 par le roi d'Espagne
Philippe II au Pape Pie IV n'ont pas eu beaucoup de succès thérapeutique sur la santé de ce
dernier, elles vont toutefois croître dans les jardins du Vatican d’abord comme plantes
décoratives puis petit à petit en sortir pour se répandre dans le pays71 et être cultivées à la fois
pour l'alimentation humaine et celle du bétail.
Les 'patatas' espagnoles y prendront le nom de Taratufolli (du latin Tubera terrae, truffe de
terre55), mais, avec la popularisation de sa culture, c'est son nom d'origine espagnole, patata,
qui aura la préférence du peuple. Dans le Val d'Aoste elle prendra le nom de Tartifle.
La papa et les Papes[modifier | modifier le code]
Charles de l'Écluse.
La diffusion de la pomme de terre en Italie (puis en Suisse et dans les États voisins) est
étroitement liée à la papauté, même si rien ne vient attester que le tubercule pût être l'objet
d'un certain intérêt de la part des souverains du Vatican, si ce n'est éventuellement celui
gastronomique.
En effet, dans son ouvrage Opera dell'arte del cucinare72, Bartolomeo Scappi, chef des
cuisines du Vatican successivement sous Pie IV puis Pie V, donne quelques recettes de
tartuffoli, ce qui laisse supposer que des plats à base de pommes de terre furent servis à la
table papale.
Jean-François Bonhomme, duquel Charles de l'Écluse en janvier 1588 recevra ses premiers
tubercules, sera nonce et légat apostolique à partir de 1579, et proche collaborateur de
Grégoire XIII puis de Sixte V47: ces derniers ont eu connaissance de la pomme de terre lors de
leur légation en Espagne à la cour de Philippe II, l'un en tant que légat, l'autre en tant que
mandataire.
Au moment où Charles de l'Écluse décrit la pomme de terre dans son Rariorum plantarum
historia : Fungorum in Pannoniis observatorum brevia historia42, elle est déjà cultivée en
Italie comme il l'écrit lui-même (4e livre, chapitre 52) :
« ..il est certain qu'ils l'ont reçue ou de l'Espagne ou de l'Amérique. Il est cependant
surprenant que la connaissance nous en soit parvenue si tard, tandis qu'ils assurent que cette
plante est si commune dans quelques endroits de l'Italie, qu'on y mange ces tubercules cuits,
avec de la viande de cochon, de la même manière qu'on la mange avec des navets ou avec des
racines de panais, et qu'ils en nourrissent même les porcs; et ce qui est encore plus surprenant,
c'est que l'université de Padoue ne connaissait pas cette plante, avant que je ne l'eusse envoyée
de Francfort à quelques amis qui y étudiaient en médecine. »
« On mange les pommes de terre coupées en lamelles, à la manière des truffes ou des
champignons, frites et enfarinées, où à la poêle avec de « l'agresto » . C'est un véritable
délice, elles ont la saveur de la châtaigne. Elles se multiplient de façon innombrable, se
cuisinent facilement, et se conservent bien. »N 11
Au moment du récit du doyen de l'abbaye de Vallombrosa, les Carmes déchaux ne sont pas
encore présents en Italie. En 1583 le premier frère de cet ordre, et non le moindreN 10, à fouler
le sol italien est Nicola Doria, qui vient plaider sa cause auprès de saint Charles Borromée,
principal soutien des carmes déchaux auprès du pape77, en vue d'ouvrir son couvent de Gênes.
C'est ce même Doria qui va faire parvenir, la même année, des tubercules de pomme de terre
au nonce Bonhomme à Verceil.
Saint Charles Borromée, cardinal et archevêque de Milan et légat du pape Sixte V, neveu et
proche conseiller du pape défunt Pie IV, est un ami intime78 du nonce Bonhomme47 qui est un
de ses plus proches collaborateurs. Borromée est à la même période en train de mettre en
forme la construction du sanctuaire du mont Sacré d'Orta : l'abbaye de Vallombrosa en sera le
principal financier et saint Charles connait bien cette abbaye pour l'avoir visitée plusieurs
fois79,80.
Il est remarquable de constater que les personnages qui ont possédé, introduit et contribué à la
diffusion de la pomme de terre en Italie et indirectement dans toute l'Europe, par
l'intermédiaire de Clusius connu pour être protestant81, soient tous des acteurs majeurs et
influents de la Contre-Réforme. L'ont-ils fait en toute connaissance de cause ? Le nonce
Bonhomme, à l'article de la mort, a-t-il délibérément confié ses tubercules à de Sivry pour
qu'il les envoie au déjà très célèbre botaniste Clusius ? Rien ne vient à ce jour ni le confirmer
ni l'infirmer. Sans doute y a-t-il eu aussi d'autres vecteurs de propagation du tubercule
d'Espagne vers l'Italie, mais l'histoire ne les a pas retenus.
Au début du XVIIe siècle, les tartuffoli des papes devenues les patate du peuple, sont
cultivées en Toscane, en Vénétie, en Émilie-Romagne, en Italie méridionale et au cours du
siècle, vont conquérir toutes les régions voisines. Au XVIIIe siècle la culture de la pomme de
terre se sera largement répandue à travers tout le territoire italien.
La pomme de terre cultivée comme curiosité botanique par Gaspard Bauhin, ou par le docteur
Martin ChmieleciusN 12,33 s'est ensuite peu à peu répandue dans les cantons voisins puis à
travers toute la Suisse et, à l'ouest, vers la Franche-Comté, la Bourgogne et le Dauphiné83.
En 1771, dans son Traité de la nature, de la culture et de l'utilité des pommes de terre ,
Samuel Engel, géographe et agronome suisse, en témoigne en observant que la pomme de
terre est déjà cultivée en Suisse en abondance et ce au moins depuis le début du
XVIIIe siècle85.
En ce qui concerne les Pays-Bas méridionaux, et comme dit ci-avant, l'on sait que Charles de
l'Ecluse (dit Clusius) reçut à Vienne en 1588 deux tubercules de pommes de terre de Philippe
de Sivry, gouverneur de Mons. Mais des preuves convaincantes montrent que l'on vendait
déjà à cette époque des patates au marché de Bruges86.
Par ailleurs, un religieux chartreux nommé Robert Clark aurait également rapporté des
pommes de terre d’Angleterre au début des années 1630 et les aurait fait planter dans la
région de Nieuport.
Les témoignages d’une soixantaine de cultivateurs consignés dans les archives de procès
relatifs aux dîmes, démontrent87 que la pomme de terre était cultivée en Flandre, à Esen,
Zarren, Merkem dès avant 1670. Ainsi, il est certain que des champs de pommes de terre
existent vers cette époque dans la région de Dixmude et d'Ypres. La diffusion de cette culture
progresse ensuite vers le Nord et l'Est des Flandres. La culture de la pomme de terre était ainsi
répandue partout dans les campagnes flamandes dans le premier quart du XVIIIe siècle88.
En 1570, Jean Bauhin est appelé à Montbéliard au titre de médecin personnel du duc de
Wurtemberg ; vers 1590 il y cultive la pomme de terre dans les Grands-Jardins de
Montbéliard dont il a la charge jusqu'à sa mort (1612). Jean Bauhin connaît bien de l'Écluse.
Ils ont suivi les enseignements de Guillaume Rondelet à Montpellier et y ont tous deux logé
dans sa propre maison49 : il est raisonnable de penser que Jean Bauhin est l'un des destinataires
à qui Clusius envoie des tubercules de pomme de terre en 1589. Elle a d’abord été cultivée par
son frère Gaspard Bauhin dans le jardin botanique de Bâle que ce dernier a fondé en 158991,
soit un an après que Clusius ait cultivé ses premiers tubercules. Elle se répand ensuite peu à
peu dans les cantons de l’ouest de la Suisse puis en Franche-Comté, en Bourgogne et dans le
Dauphiné83.
Olivier de Serres (Anonyme).
La pomme de terre est ensuite décrite en 1600 par l'agronome ardéchois Olivier de Serres, qui
la nomme « cartoufle » dans Le théâtre d'agriculture et mésnage des champs : « Cet arbuste,
dit Cartoufle porte fruict de mesme nom, semblable à truffes, et par d'aucuns ainsi appelé »92.
De Serres y indique aussi qu'elle aurait été introduite de Suisse vers le Dauphiné. Bien qu'il la
signale, la comparant aux truffes, comme ayant quelque vertus culinaires : « Quant au goust,
le cuisinier les appareille de telle sorte, que peu de diversité y recognoist-on de l'un à
l'autre92 », rien n'indique que la pomme de terre n'ait franchi l'enclos de ses jardins du Pradel.
La culture de la pomme de terre reste encore longtemps une curiosité des jardins ou une
particularité régionale, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Son classement botanique parmi les
morelles (Solanum) qui comptent parmi elles plusieurs plantes vénéneuses ou réservées à un
usage médicinal ne joue pas en faveur du tubercule dont la consommation reste très localisée
ou contrainte par les disettes.
À la fin du XVIe siècle la pomme de terre est introduite dans les Vosges et y est cultivée
sporadiquement. Il n'est possible d'attester qu'à partir de 1715, qu'elle fait l'objet d'une activité
plus importante que le simple jardinage ou la culture d'appoint : deux ordonnances de la cour
de Lorraine et du Barrois prises par Léopold Ier duc de Lorraine et de Bar y imposent « la
dîme aux pommes de terre » les 28 juin 1715 (« de l'ancienne disme établie sur les pommes de
terre ») et 4 mars 1719 (« Déclaration concernant la Disme des pommes de terre »)94.
Portrait de Parmentier.
Mais c’est surtout Antoine Parmentier qui va devenir en France le porte drapeau de la culture
de la pomme de terre comme moyen de parer aux famines répétitives qui sévissent dans le
pays et qui va œuvrer à la rendre populaire auprès d'une population parfois réticente face à ce
tubercule mal considéré. On lui a prêté notamment la faculté de transmettre la lèpre25. En
1748, un arrêt du Parlement de Paris en interdit la culture100 dans le nord de la France101.
Capturé par les Prussiens pendant la guerre de Sept Ans et libéré en 1766, au cours de sa
captivité en Westphalie il découvre les vertus nutritives de la pomme de terre, principale
nourriture donnée alors aux prisonniers par leurs geôliers. En 1773, dans Examen chymique
des pommes de terre, il écrit : « Nos soldats ont considérablement mangé de pommes de terre
dans la dernière guerre ; ils en ont même fait excès, sans avoir été incommodés ; elles ont été
ma seule ressource pendant plus de quinze jours et je n’en fus ni fatigué, ni indisposé ».
À la suite des famines survenues en France en 1769 et 1770, l’Académie des sciences, belles-
lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté lance en 1771 un concours sur le thème
suivant : « Indiquez les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette à ceux que l’on
emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation ».
Le 24 août 1772, le mémoire de Parmentier102 remporte le premier prix, devant ceux d’autres
concurrents également consacrés à la pomme de terre, preuve que l’usage de ce tubercule était
à l’ordre du jour.
Dès lors (1772), la Faculté de médecine de Paris103 déclare la pomme de terre sans danger101,
ce qui lève l'interdiction de 1748100.
Parmentier s’empresse d'offrir les fleurs de pommes de terre qu’il vient de cueillir dans le
champ des Sablons à Louis XVI et Marie-Antoinette alors à la promenade à Versailles
(Gravure, Le Petit Journal, mars 1901).
En 1775, Voltaire à qui Parmentier avait fait parvenir deux de ses mémoiresN 15 lui écrit :
Le 31 mai 1785, alors que la sécheresse ravage bon nombre de régions françaisesN 16, le roi
Louis XVI ordonne de publier une « Instruction sur les moyens de suppléer à la disette des
fourrages, et d'augmenter la subsistance des bestiaux »105. Il y est mentionné que « les
pommes de terre et les diverses espèces de choux et de navets, forment une excellente
nourriture pour le bétail, et surtout pour les vaches, auxquelles elles procurent un lait
abondant et de bonne qualité ». Selon la légende106, Parmentier réussit alors sans difficulté à
obtenir l'appui du roi et de plusieurs de ses conseillers pour inciter la population à consommer
des pommes de terre en employant en 1786107 un stratagème resté célèbre108 : de jour, il fait
monter une garde autour des cultures de pommes de terre qu'il a mis en place près de Paris sur
des terres mises à la disposition de l'Académie d'Agriculture par le roi dans les plaines des
Sablons et de Grenelle, donnant ainsi l'impression aux riverains qu'il s'agit d'une culture rare
et chère, destinée au seul usage des nobles. La garde est levée la nuit, ce qui incite la
population à voler des tubercules, contribuant ainsi à leur diffusion dans le bassin parisien. Si
les vols sont avérés, ils n'ont en fait été ni voulus ni provoqués par Parmentier109. Le roi Louis
XVI, qui n’hésite pas à en porter les fleurs à la boutonnière, le félicite en ces termes : « La
France vous remerciera un jour d'avoir inventé le pain des pauvres. » La publicité que lui
apporte Parmentier, aidé par le soutien du roi, permet à la pomme de terre de se débarrasser
son image d'aliment des pauvres. Elle est désormais appréciée par les élites, ce qui lui vaut
d'être surnommée « légume de la cabane et du château »N 17.
À partir de 1779, le receveur général des finances Jean Chanorier pratique la culture de la
patate sur ses terres de Croissy110. Il y développe une variété à partir de tubercules que lui a
offert Benjamin Franklin ; par reconnaissance pour ses efforts en vue de développer la culture
de la pomme de terre, on lui attribue le nom de « la chanorière »111. Entre 1780 et 1820, la
culture maraîchère se développe autour de Croissy en profitant de la proximité de Paris qui
offre un important marché.
En 1793, « les pommes de terre furent tellement considérées comme indispensables, qu’un
arrêté de la Commune en date du 21 ventôse ordonna de faire le recensement des jardins de
luxe afin de les consacrer à la culture de ce légume ; en conséquence la grande allée du jardin
des Tuileries et les carrés de fleurs furent cultivés en pommes de terre ; ce qui leur fit donner
pendant longtemps le surnom d’oranges royales en mémoire de la restauration qui en avait
fait apprécier l’utilité »112.
« Les autorités constituées sont tenues d’employer tous les moyens qui sont en
leur pouvoir dans les communes où la culture de la pomme de terre ne serait
pas encore établie, pour engager tous les cultivateurs qui les composent à
planter, chacun selon ses facultés, une portion de leur terrain en pommes de
terre. »
À la fin du XVIIIe siècle, 4 500 hectares sont consacrés à la culture de la pomme de terre en
France et les famines jouent un rôle déterminant dans son développement. L'Année sans été,
cause une disette qui sévit en 1816 et 1817 dans toute l'Europe et ressentie particulièrement
dramatiquement dans une France éreintée par les guerres napoléoniennes. Alors que toutes les
denrées alimentaires de base manquent, le prix de la pomme de terre est par endroits sextuplé
alors que le prix des céréales triple ou quadruple115, en d'autres, la pomme de terre sera le seul
moyen de subsistance qui restera à la population116.
Cela va fournir une motivation supplémentaire aux paysans pour se lancer dans la culture du
tubercule qui va connaître sa première véritable expansion.
Jules Bastien-Lepage, Saison d'octobre : Récolte des pommes de terre, 1879. (National
Gallery of Victoria).
À partir de 1818 des concours sont organisés par l'Académie d'agriculture de France pour en
encourager l'exploitation et récompenser les « cultivateurs, inspirés sans doute par la
Providence à laquelle on doit rendre grâce de ce nouveau bienfait, ont confié à de vastes
champs la plupart en jachères, ou à des terres jusqu'alors incultes, de nombreux plants de
pommes de terre, et sur un espace beaucoup plus grand que les besoins ne semblaient
l'exiger. »117. On la recommande aussi dans les manuels d'hygiène militaire118 et de nombreux
ouvrages agronomiques et médicaux lui sont consacrés. On voit fleurir des éloges119 qui vont
participer à la construction du mythe Parmentier et encourager l'enthousiasme national pour le
tubercule. La pomme de terre prend aussi définitivement place dans la gastronomie française,
à l'exemple des Pommes Anna, recette créée en 1870, par le chef Adolphe Dugléré, du fameux
Café Anglais.(voir aussi Cuisine de la pomme de terre)
Pendant la guerre de 1870 la pomme de terre est d'un grand secours notamment pour les
assiégés de Paris. Elle sera à l'ordinaire des gardes nationaux qui la mangent avec plaisir
bouillie, frite ou dans le rata. Le tubercule y gagnera encore un peu de popularité.
Affiche du ministère de l'Agriculture guerre 14-18.
Puis, entre 1882 et 1885, l'ampélographe et botaniste français Alexis Millardet met au point
un traitement de la pomme de terre contre le dernier obstacle qui s'oppose au développement
de sa culture en France : le mildiou. De nos jours, on utilise encore ce pesticide inventé par
Millardet et connu sous le nom de bouillie bordelaise.
Quelques années plus tard, en 1892, 1 450 000 hectares sont consacrés à la culture de la
pomme de terre.
Dans des manifestes de transport maritime de 1567 on trouve la trace des premières
exportations de pommes de terre depuis la Grande Canarie vers Anvers, soit six ans avant leur
première mention en 1573 dans les registres des marchés de l'hôpital de la Sangre à Séville en
Andalousie. Il est probable qu'elles sont importées aux Îles Canaries depuis l'Amérique du
Sud dès 1562, et de là vers l'Europe122.
Avec l'expansion des empire coloniaux européens à la fin du XIXe siècle, la pomme de terre
est diffusée en Afrique. Les colons la considèrent comme un aliment de haute valeur et s'en
réservent la consommation. Avec la décolonisation elle devient un aliment de base ou
d'accompagnement largement répandu123.
Introduction et diffusion en Amérique du Nord[modifier |
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États-Unis[modifier | modifier le code]
En 1621, le Capitaine corsaire Nathaniel Butler alors gouverneur des Bermudes, fait parvenir
une cargaison de 20 000 livres de pommes de terre et de 20 000 épis de maïs124,125 à
Jamestown126, à destination du gouverneur de Virginie, Sir Francis Wyatt (en) : cet
évènement est considéré comme la première apparition de la pomme de terre en Amérique du
Nord.
En 1719 des immigrants écossais et irlandais implantent autour de Londonderry (Derry (New
Hampshire)) les premières exploitations agricoles permanentes consacrées à la culture de la
pomme de terre127. De là, la pomme de terre s'est répandue à travers les États-Unis. En Idaho,
c'est à partir de 1836 que des missionnaires ont encouragé sa culture auprès des tribus
amérindiennes traditionnellement chasseurs-cueilleurs. Au moment de la Grande Famine en
Irlande, aux États-Unis, le journal American Farmer s'intéresse à la maladie de la pomme de
terre et à son évolution, via des articles de l'European Times128.
En 1971 le Centre international de la pomme de terre (CIP) est fondé à Lima (Pérou), dans le
berceau historique de la pomme de terre133. Cette institution internationale vise à améliorer la
sécurité alimentaire des pays en voie de développement en misant sur l'amélioration des
rendements et de la production de la pomme de terre et d'autres tubercules alimentaires.
En 1995, la NASA expérimente pour la première fois la culture de pommes de terre dans
l'espace lors d'une mission de la navette spatiale Columbia134.
L'Organisation des Nations unies a déclaré l'année 2008, l'année de la pomme de terre afin de
« renforcer la prise de conscience du rôle clé de la pomme de terre, et de l'agriculture en
général »135.
En février 2016, la Chine a annoncé que la pomme de terre deviendrait son quatrième aliment
de base, au même titre que le riz, le blé et le maïs136.
« La pomme de terre était connue sous le nom de truffole, et c'est vers 1540, dans notre Haut-Vivarais,
sur le territoire du village de Saint-Alban d'Ay, au hameau de Bécuze, à trois lieues d'Annonay, que ce
tubercule a été semé pour la première fois dans le royaume, ayant été importé par un moine franciscain,
de Tolède en Espagne, nommé Pierre Sornas, natif de Bécuze, qui, malade et très âgé, s'était retiré dans
sa famille. De Saint-Alban-d'Ay, la culture de la truffole s'étendit aux localités et villages voisins
Annonay, Satillieu, Saint-Romain d'Ay, Saint-Jeure-d'Ay, Préaux, Saint-Symphorien-de-Mahun,
Quintenas, Roiffieux et Vanosc ; puis dans toute la partie septentrionale du Vivarais, où de vastes
champs furent ensemencés en truffoles, qu'on appela truffoliers. La truffole fut d'abord une nourriture
pour les bestiaux, le porc principalement ; mais on ne tarda pas à mettre cet aliment sur la table, chez le
paysan et chez l'artisan, puis chez le seigneur. Tous le trouvèrent agréable au goût, nutritif. En 1585, il y
a deux cents ans, la truffole était une marchandise courante, à Annonay, Satillieu, Saint-Félicien, la
Mastre, le Cheylard et Tournon, puis à Saint-Péray et Valence. Au commencement du XVIIe siècle, la
truffole se cultivait aussi dans le Dauphiné, le Forez, le Velay, une partie de l'Auvergne et dans
quelques autres provinces. »
15. ↑ Examen chimique des pommes de terre (1773) et Mémoire qui a remporté le prix de l'académie de
Besançon, sur cette question : Indiquer les végétaux qui pourraient suppléer, en temps de disette, à
ceux que l'on emploie communément à la nourriture des hommes, et quelle en devrait être la
préparation (1772).
16. ↑ 1785 : Grande sécheresse dans toute la France. À Paris, le total de l'eau tombée du 1er mars au 31 mai
n'atteint que 21 millimètres. En Bretagne, aucune pluie notable n'est enregistrée « entre la Toussaint
1784 et la Madeleine 1785 ». Dans la Sarthe, « les bestiaux se donnent ; à peine peut-on se défaire des
chevaux, car on les refuse à qui les donne pour rien. On ne parle que de chiens enragés ; il en est tué une
quantité prodigieuse. » Il en est de même dans le Limousin où par suite du manque de foin, les paysans
abandonnent tous leurs animaux. Dans l'Ain, la disette de fourrage oblige à nourrir les ânes avec des
sarments coupés dans les vignes. Au mois de mai de cette année, « la livre de beurre vaut 20 sol dans la
Sarthe, 36 sols en Ille-et-Vilaine et jusqu'à 48 sols à Bourges et à Issoudun ». (Voir le Rapport final
Fondation Maif - Aléa et risque sécheresse [archive], « Annexe 3 : Annexe relative à l’analyse de la
sécheresse et des événements climatiques extrêmes dans le cadre du changement global. Le cas de l’Île
de France » [archive], sur fondation-maif.fr, janvier 2009 (consulté le 8 décembre 2018), p. 429 (p. 8 du
compteur pdf).
17. ↑ « La pomme de terre, légume de la cabane et du château » : citation du marquis Louis de
Cussy [archive] (1767-1841), fait baron d'Empire par Napoléon, et gourmet réputé.
Ernest Roze, Histoire de la pomme de terre : traitée aux points de vue historique,
biologique, pathologique, cultural et utilitaire, Lausanne, J. Rothschild, 1898, 464 p.,
Wikisource (lire en ligne [archive]).
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fourragère, Gauthier-Villars et Fils, 1891, 2e éd., 198 p..
(en) Berthold Laufer et Clarence Martin Wilbur, The Potato (Volume 1 de The
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Christian Ferault, Une Histoire de pomme de terre : la variété Institut de Beauvais
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(it) David Gentilcore, Italiani mangia patate : Fortuna e sfortuna della patata in
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Christian Ferault, « Histoire de la pomme de terre (Solanum tuberosum) : des Andes à
la conquête du monde », Actes du Colloque scientifique SNHF "Les Plantes en
voyage", 1er juin 2018, p. 58-64.
Pomme de terre
Chronologie de la pomme de terre
Histoire de la pomme de terre dans les îles britanniques
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Histoire de la pomme de terre au Luxembourg
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Histoire de l'agriculture
L'Histoire merveilleuse de la pomme de terre (Film d'animation)
« Année internationale de la pomme de terre 2008 »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que
faire ?)
(en) « L'Odyssée de la Pomme de Terre »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur
cipotato.org
« Exposition virtuelle pour le bicentenaire de la mort d'Antoine-Augustin Parmentier
(1737-1813) : Plaidoyer pour la pomme de terre » [archive], sur
biusante.parisdescartes.fr (consulté le 8 décembre 2018)
(en) (es) « The World Potato Atlas » [archive], sur research.cip.cgiar.org (consulté le 8
décembre 2018)
« La Belgique dans l'histoire de la pomme de terre » [archive], sur musee-
gourmandise.be (consulté le 8 décembre 2018)
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