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AUX ORIGINES DE LA TOMATE

C'était il y a bien longtemps, quelque chose comme quatre mille ans avant notre ère,
des groupes humains nomadisaient sur les terres qui allaient devenir plus tard le Chili,
le Pérou, l'Equateur et la Colombie, d'une part le Mexique et le Guatemala d'autre
part.
Ils devaient se contenter, pour assurer leur subsistance, de la capture de petits gibiers et
de la cueillette des graines et des fruits des plantes qui poussaient spontanément sur
leur territoire, parmi lesquelles le maïs, et aussi des petits fruits ronds, rouges et pleins
de saveur.
Lorsqu'ils eurent atteint des terres qui leur parurent propices à l'exécution de leurs
desseins, ils décidèrent de se sédentariser et de consacrer leurs activités à la culture de
ces plantes qui allaient leur permettre de disposer des ressources énergétiques
indispensables à leur survie, surtout s'ils y ajoutaient celles de la domestication de
certains mammifères.
Ainsi naquit chez eux l'agriculture, et cela mille cinq cent ans avant notre ère. Mais
pour cultiver efficacement le maïs, le tabac, la pomme de terre (et aussi le coton) ils
durent inventer des outils rudimentaires qu'ils allaient sans cesse perfectionner.
Lorsqu'ils eurent atteint les zones plus chaudes, ils ajoutèrent à leurs productions la
courge, le haricot, la papaye, l'avocat et le piment.
Cultivée par eux, la petite baie rouge ne cessait de s'adapter au terrain, se modifiant en
grosseur et en saveur à tel point qu'elle devint bientôt nécessaire à leur existence. C'est
ainsi que la tribu Natuhalt, un peuple de l'empire aztèque lui donna le nom de tomatl,
car, entre temps s'étaient constitués deux formidables empires, celui des Incas en
Amérique du Sud et celui des Aztèques en Amérique centrale qui durèrent jusqu'au
début du XVIe siècle, pour être plus précis jusqu'en 1519, date à laquelle Cortès,
partant de la possession déjà espagnole de Cuba, débarqua avec ses chevaux et ses
armes à feu, précipitant la dislocation de l'empire aztèque. En 1532, c'est Pizzaro,
toujours au nom de l'empereur Charles-Quint, qui débarqua en Amérique centrale et
profitant des dissensions locales provoqua l'écroulement de l'empire inca.

LA TOMATE ARRIVE EN EUROPE

Les Conquistadors étaient partis à la découverte de l'"Eldorado" et ils y trouvèrent (et


ramenèrent dans leur pays) beaucoup d'or et beaucoup d'argent. Mais parmi les
membres de leur suite, notamment parmi les maîtres des équipages qui les avaient
amenés et qui ne recevaient que les poussières de ce butin, on trouvait nombre

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d'Italiens (il ne faut pas oublier que parmi les grands navigateurs de l'époque on trouve
Christophe Colomb natif de Gênes et Americo Vespucci né à Florence) et que c'est
sans doute par le port de Naples, alors possession espagnole, que la tomate fit son
entrée en Europe, considérée alors seulement comme plante médicinale. Mais les
Indiens avaient raconté aux voyageurs que chez eux, la tomate faisait de bonnes sauces,
relevées par "l'aji", "ce piment à la fois chaud et frais et qui emporte la bouche". Les Espagnols,
portés sur le piquant l'adoptèrent, cependant que les Italiens, toujours pleins de lyrisme
allaient la nommer "pomodoro", la pomme d'or.
On ne s'étonnera pas si la tomate reçut en Europe un accueil mitigé. Elle figura, dès le
début, dans les "cabinets de curiosité" des grands seigneurs de l'époque.
Pour ce qui est des Aztèques, "leurs descendants utilisent encore la tomate pour ses
vertus médicinales : la pulpe broyée avec du beurre s'emploie contre les hémorroïdes,
des tranches fines s'appliquent sur les yeux dans les inflammation, le jus s'utilise
comme désinfectant en compresses en cas de piqûres d'insectes venimeux, frelons,
guêpes, araignées".

Pour les "gens du Nord", la tomate était une plante étrange, à la tige velue et à l'odeur
forte ; appartenant à la famille des Solanacées, de ce fait à la famille de la
"mandragore", plante mythique et vénéneuse, dont il était beaucoup questions en
sorcellerie, c'est pourquoi l'accueil ne fut guère chaleureux. Dodoens la dit "aussi
dangereuse que la mandragore ", en 1581 le botaniste lillois Matthias de l'Obel
souligne "son odeur forte et nauséabonde". L'accueil est bien meilleure en Europe du
Sud : en 1550, Matthioli l'appelle "Mala peruviana", soit la "la pomme du Pérou". En
1572, le botaniste Guilhandius de Padoue évoque la "tumatle americana". Lorsqu'elle
parvient en Provence, les habitants adoptèrent la légende selon laquelle, associée à la
planète Vénus, elle aurait des vertus aphrodisiaques, c'est pourquoi ils la nommèrent
"la pomme d'amour" ; quand, quelques siècles plus tard, poursuivant son voyage vers le
sud, elle arrive chez les Bambaras du Sénégal, du Mali et du Burkina Faso, pour eux le
jus de la tomate va symboliser le sang et de ce fait elle est associée à a fertilité de la
femme. Et, ajoute un ethnologue, dans cette ethnie les couples, avant de s'unir,
mangent une tomate (Eloïse Mozzani : le Livre des superstitions).
En France, Olivier de Serres la décrit dans son "Théâtre d'Agriculture" ajoutant que
"ses fruits ne sont pas bons à manger : seulement sont-ils utiles en la médecine et
plaisants à manier et flairer". En 1750, le grand botaniste Linné la baptise "Solanum
lycoperdum" c'est-à-dire "la pêche à loup" cependant qu'un confrère va préciser
"Lycopersicum esculentum" soit "la pomme comestible". Voilà donc la tomate devenue
un légume, et c'est depuis lors que naît la querelle qui a divisé nos grands-parents : fruit
ou légume ? La logique (gastronomique) a tranché : selon la place qu'elle occupe dans
le déroulement d'un menu, c'est un légume, quoique… quoiqu'on fasse de l'excellente
confiture de tomate et qu'un "trois étoiles" de Michelin ait inscrit à son menu "un
dessert magistral, incongru et déjà entré dans les annales de tomate confite farcie aux
douze saveurs" ! La Quintinie ne l'a pas admise dans le "Potager du Roi" et c'est ainsi
que la tomate est seulement considérée comme une plante ornementale jusqu'à ce

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qu'en 1778, elle entre dans le catalogue de la Maison Vilmorin Andrieux en qualité de
"légume".
Cette absence d'engouement pour la tomate (pour ne pas dire de répulsion) était, en
France, le propre des "gens du Nord" alors que les "gens du Midi" lui faisaient le
meilleur accueil (la proximité de l'Italie y étant pour quelque chose). "Par Gênes et Nice
(les Italiens) la transmirent aux Provençaux. Ceux-ci désignèrent sous le nom "pomme d'amour"
ces jolies baies rouges dont l'odeur éloignait fourmis et moustiques, mais ne se décidèrent à sa
consommation qu'à la génération suivante, d'abord avec précaution, puis avec enthousiasme".
(Maguelonne Toussaint–Gamet : Histoire naturelle et morale de la Nourriture – Bordas – Paris)
"Il y a bien deux mondes qui accueillent la tomate : celui des savants, méfiants, et celui des
paysans méditerranéens : ces derniers goûtent la tomate et lui font un triomphe. La Méditerranée
accueille la tomate comme elle l'a déjà fait pour d'autres plantes : l'ail, l'oignon, l'aubergine…
mais aussi les hommes" (Jean-Luc Danneyrolles : la tomate – Actes Sud – 1999).

Les colons anglo-saxons, "gens du Nord", connurent la tomate par les Indiens de leur
Amérique, mais s'en méfièrent encore plus longtemps que les Européens. Pour les
espèces introduites par les paysans italiens et espagnols, il fallait beaucoup de soleil et,
chez nous, seules la Provence et le Roussillon en disposaient.
En 1830, un article du "Gastronome" se plaint "d'une cuisine qui abuse de la tomate, reproduite
cent fois de manières diverses". En 1803, Grimaud de la Reynière dit la tomate introuvable à
Paris. Et pourtant elle y est "montée", accompagnant les Fédérés Marseillais en 1790, "car la
délégation marseillaise aimait les tomates et se retrouvait dans une contrée encore superstitieuse
où le légume fruit appartenait toujours à la famille de la mandragore, plante repérée pour ses
penchants en sorcellerie. Eux arrivaient du soleil et prirent l'histoire à la blaguer, fermement
décidés à déniaiser ces Nordistes d'un autre âge. Par charrois express, ils firent parvenir dans la
capitale de la "pomme d'amour" en quantité abondante, premier coup de commando paysan,
pommes d'amour sûrement vannées par le voyage, mais qui sonnaient l'éveil d'une unité
probablement nationale. Coup de foudre. Sous les chaleurs bleutées de l'Ile de France, on tomate
à tout va. On en produit partout. On aime ça. Les plumets révolutionnaires se rougissent "à la
montfavet". On les croque juteuses sur des chemises déjà marbrées de sang. Et le goût s'installe.
Définitif. Il ne nous quittera plus" (Jean-Pierre Québin : Une certaine idée de la tomate, in "Le Monde" –
1er juillet 1998).

Un autre témoin du phénomène, Brillat-Savarin confirme : "Ce légume ou fruit,


comme on voudra l'appeler, était presque entièrement inconnu à Paris il y a quinze
ans(…) D'abord fort cher, il est ensuite devenu très commun, et dans l'année qui vient
de finir, on le voyait à la Halle par grands paniers, tandis qu'il s'y vendait auparavant
par demi-douzaine (…) Quoi qu'il en soit, les tomates sont un grand bienfait pour une
cuisine recherchée. On en fait d'excellentes sauces qui s'allient à toutes espèces de
viandes" (Brillat-Savarin : Almanach des gourmands – Paris – 1803). Alexandre Dumas est discret
en ce qui concerne la tomate : "Fruit qui nous vient des peuples méridionaux, chez
lesquels il est en grand honneur ; on mange sa pulpe en purée et on emploie son sucre
comme assaisonnement" (Alexandre Dumas : Dictionnaire de la cuisine – réédition 10/18 – Paris).

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QU'EST-CE QUE LA TOMATE ?

La tomate est, nous l'avons vu, une "solanacée" ou "solanée" selon l'école des botanistes
à laquelle on se rattache. C'est une plante annuelle dont les graines, d'un blanc grisâtre,
très aplaties, ont une durée germinative de quatre ans. Elles ont résistantes puisque
après ingestion par l'homme, après les fosses sceptiques, les égouts publics, on les
retrouve croissant spontanément dans les résidus des stations d'épuration des eaux
usées. Sa tige est charnue, rameuse, couverte de poils rudes, portant des feuilles
alternées, irrégulièrement pennées, d'un vert sombre ; les fleurs sont jaunes et disposées
en grappes auxiliaires. Les fruits sont d'abord verts et généralement prennent lors de la
maturité une belle couleur jaune, orange, rouge… violette. Toutes les parties de la
plante, à l'exception des fruits, exhalent une odeur forte, pénétrante et peu agréable. La
tomate constitue une source alimentaire riche en minéraux et en vitamines
(notamment les vitamines A et C).
"Les derniers travaux menés par le Dr Edward Giovannucci de l'Université de Harvard (USA)
confirment l'effet protecteur des tomates. Elles contiennent un antioxydant bénéfique, le lycopède
et préviennent du cancer de la prostate, du poumon et le l'estomac". Plus encore, elle contient
des agents qui freinent le vieillissement ! Elle se caractérise par une adaptation au
terrain et au climat du lieu où elle se trouve, quoique craignant les gelées, ce qui fait
qu'elle est actuellement cultivée en de nombreux pays du monde (grâce aux serres). Les
principaux producteurs sont, actuellement, les Etats-Unis (surtout la Californie), la
France (Sud-Est, Bretagne, Val de Loire, Roussillon, Aquitaine – Marmande et le Lot et
Garonne – Est), l'Italie, l'Espagne, la Hollande, le Maroc et la Chine.

Sa nature favorise l'hybridation, ce qui fait que deux plantations très voisines de
variétés différentes peuvent aboutir, par la pollinisation de leurs fleurs par les insectes,
à une variété nouvelle. C'est ce qui explique qu'alors qu'à l'origine au Chili croissait
spontanément le Lycoperdum chilense, au Pérou on trouvait le Lycoperdum
peruvianum, le Lycoperdum pimpinellifolium (qui est considérée comme l'origine de la
tomate d'aujourd'hui), le Lycoperdum chmiliewskii, le Lycoperdum pennelii, le
Lycoperdum esculentum, le Lycoperdum parviflorum, en Equateur et en Colombie le
Lycoperdum hirsutum, alors qu'aux îles Galápagos, perdues dans l'Océan Pacifique,
croissait le Lycoperdum cheesmanii (ce qui prouve combien les oiseaux constituent des
vecteurs de dissémination des espèces végétales).

Dans les années 1970, des laboratoires allemands de biotechnologie réussirent à créer
(à titre expérimental heureusement) les "pomates" fruit de l'hybridation de la tomate
(Lypersicum esculentum) avec la pomme de terre (Solanum tuberosum), autre solanée.
Ce fut un échec tant sur le plan gastronomique que sur le plan commercial. Et on
constate parfois chez nous des hybridations accidentelles avec d'autres solanées dues à
la proximité.

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Il existe actuellement plusieurs centaines de variétés de tomates, de toute forme, de
toute grandeur, une liste non exhaustive (car chaque année voit la création dans le
monde entier d'une sinon plusieurs nouvelles variétés de tomates). Certains grainetiers
vendent des plants de tomates greffés, mieux adaptées au climat du Nord de la France.

QUAND LA TOMATE ARRIVA A MARMANDE

"En 1863 survient "le plus grand désastre viticole depuis le Déluge, l'apparition du "pou
ténébrant" nommé phylloxéra, près de Roquelaure dans le Gard et de Foirac en
Gironde. On constate l'affaiblissement et la disparition de quelques vignes. En 1865,
ce sont le Gard et les Bouches du Rhône qui sont ravagés. En juillet 1868, un savant de
Montpellier, le professeur Planchon, identifie le parasite sur les racines de la vigne.
Bientôt, c'est au tour du Marmandais d'être atteint" (Jean Condou : Des "vins du Haut
Pays aux Côtes du Marmandais" – Marmande – 1987). A Marmande, le vignoble est
durement touché ; il disparaîtra presque entièrement dans la section de Garrigues,
pourtant autrefois renommé pour ses "eaux de vie de Carpète". Une fois le remède
défini (greffe sur des plants américains résistants au phylloxéra), il fallait replanter (ce
qui coûtait cher) et la récolte ne pouvait intervenir qu'au bout de plusieurs années. Or
beaucoup de nos agriculteurs ne pouvaient attendre. Ils durent donc, comme leurs
collègues de la vallée du Rhône, s'orienter vers de nouvelles productions, dont la
tomate, car à a fin du XIXe siècle, la tomate n'est pas une inconnue en Agenais et dès
1865, M. Dumas, jardinier chef de la ferme école de Bazens écrit dans "Le cultivateur
agenais" : "La meilleure tomate pour toute la France est la tomate hâtive à feuille
crispée. Elle est la plus précoce et la plus productive (…) In n'est donc pas rare de voir
dans nos contrées chaque pied de cette plante donner jusqu'à quatorze douzaines de
fruits" (cité par M. André Sylvestro de la Chambre d'Agriculture de Lot et Garonne in "Cent ans d'histoire de la
tomate") La tomate figurait déjà dans les jardins potagers, mais il n'existait guère alors de
culture massive organisée.
A la même époque, un marmandais, M. Pierre Gautriaud est horticulteur à l'enseigne
des "Pépinières de Tivoli" sur la route de Tonneins. Il a appris le métier d'horticulteur
chez Vilmorin et celui de pépiniériste dans la vallée de la Loire. Il connaît donc la
technique de la tomate, et il s'y engage en plantant de la "tomate rampante" dans son
champ ; mais bientôt il s'aperçoit qu'en repiquant le plant et en l'attachant à un
échalas, non seulement le fruit était meilleur mais que, de plus, il supportait mieux le
transport. Il fallut mettre au point un instrument permettant d'enfoncer plus
facilement les échalas. Et bientôt, nombre d'ex viticulteurs (surtout ceux de la plaine
bordant les deux rives de la Garonne) se reconvertirent dans la tomate. En 1869, "Le
cultivateur agenais" pouvait écrire : "La culture de la tomate, devenue si lucrative pour nos
contrées, prend chaque jour de l'extension, dans nos potagers, avec obligation bien rigoureuse

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d'arroser expressément, car c'est une plante avide d'eau. A cette seule condition elle est
productive".

En 1885, Charles Gautriaud, le gendre et neveu de Pierre, crée un commerce


d'expédition de tomates par le chemin de fer, se créant un réseau de mandataires aux
Halles de Paris et dans d'autres grandes villes. Seulement les débouchés sont
insuffisants en France alors que la tomate est très demandée en Angleterre. Alors il se
dirige vers le marché anglais de Covent Garden, se rendant fréquemment à Londres et
recevant à Marmande ses clients. Il exploite 70 000 pieds entre "Tivoli" et le cimetière,
installe sur la plantation même une voie de Decauville afin de favoriser le transport des
cageots de 25 kilos jusqu'à la vois publique bordant le cimetière, et de là jusqu'à la gare,
car le transport de fait alors par chemin de fer et les Compagnies du Midi et du Paris-
Orléans ont compris toute l'importance de cette activité. La variété choisie était alors
"la Merveille des Marchés". Les graines étaient soigneusement sélectionnées par M.
Gautriaud, les plants se faisaient sous châssis dans ses pépinières puis étaient distribués
aux planteurs de tomates de la plaine (Saint Pardoux du Breuil, Garrigues, Coussan)
avec qui il avait conclu des contrats. La tomate d'expédition se commercialisait du 1er
juillet au 31 août. Comme après le 1er septembre, les fruits n'avaient plus la qualité
requise, ils allaient aux conserveries qui d'étaient créées à Bouglon, Marmande (avec la
conserverie Guittard, par la suite celle d'Ulysse Casse) et même à Bordeaux dans les
usines où la tomate de Marmande faisait prime pour la fabrication du concentré. Afin
de faire face à la demande, Charles Gautriaud avait affermé les terres du château de
Malvirade, près de 100 hectares et l'expédition se faisait par la gare du Clavier. Ses
descendants m'ont dit qu'on parlait dans la famille d'un volume annuel de 1 000
tonnes. Pour diriger les plantations, M. Gautriaud avait embauché un contremaître, M.
Gabriel Drouilhet, dont la famille possédait une ferme "au Cramat" à Marmande
(transmise par la suite à la famille Jardiner).

Au début du XXe siècle, le rythme était établi : en début de saison, expédition vers les
grandes villes de France et de Grande-Bretagne, en fin de saison vers les usines de
conserves.
Mais Marmande n'était pas le seul lieu de production en France et pour obtenir un
bon prix pour sa marchandise, on avait intérêt à arriver le plus tôt possible sur les
marchés de consommation. On songea tout d'abord à des plantations sur les flancs de
coteaux exposés au soleil, mais l'irrigation y était impossible. En 1910, le "Journal de la
France agricole" écrivait que "la tomate qui convient le mieux à l'exportation est toujours la
"Merveille des Marchés". Alors, il fallut utiliser des variétés hâtives, alors on eut recours à
la "Reine des hâtives", à la "Perfection" et à la "Pondorosa écarlate".
M. Albert Labardin, qui fut pendant des décennies un animateur de la vie agricole du
Marmandais, pense que c'est au moment où la "Merveille des Marchés", la "Pondorosa"
et la "Mikado" écarlates furent cultivées chez nous côte à côte que naquit par
hybridation naturelle sur place une nouvelle variété qui, s'adaptant à notre climat et à
notre sol, allait devenir "la tomate de Marmande".

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On continuait cependant à planter de la "Pierrette", de la "Marmande précoce" et de la
variété dite "de Perpignan".
Et puis, un jour, les anglais décidèrent de protéger leur production des îles anglo-
normandes par des droits d'importation élevés. Mais, on était déjà en 1914, la guerre
éclatait et, au moins d'août, la famille Gautriaud passa le relais de son exploitation à M.
Drouilhet.
La guerre achevée, les affaires reprenaient et on relève parmi les mandataires qui
recevaient de M. Drouilhet, la tomate de Marmande, les noms de Gipoulou et de
Ducasse (au pavillon 8 des Halles centrales de Paris), d'Arthur Rose (rue Turbigo), de
Mauvezin (96 rue Saint-Denis), de Villy (7 rue des Halles), de Mascaro (37 rue des
Lombards), de la Maison Sica (aux Capucins de Bordeaux), d'A. Olive de Cherbourg
(relais pour l'expédition vers l'Angleterre) et de la Geo Monro Ltd (au Covent Garden
de Londres).

En 1931, un certain nombre de producteurs fondent la coopérative "La Marmande",


dotée d'une trieuse calibreuse mécanique et cet organisme fait déposer la marque
d'origine "Tomate de Marmande".
Les années passent ; bien souvent les producteurs se contentent de remplir "en bout de
champ" les cageots qu'un "ramasseur" transportera chez l'expéditeur. On ne leur verse
qu'un acompte et ce n'est qu'en fin de saison que la transaction sera réglée
financièrement "au cours du marché du jour" !
En 1954, la Ville de Marmande, à l'initiative de M. Grassot, maire et de M. Labardin,
son adjoint, décide la création d'un marché de gros dans lequel le producteur va
rencontrer son acheteur (expéditeur ou représentant du mandataire) sans passer par un
intermédiaire. Pendant la période transitoire, il va falloir éduquer le producteur de
tomates, lui apprendre à utiliser des cageots standard à deux couches, à ne pas "farder"
sa marchandise, c'est-à-dire à ne pas cacher sous la couche supérieure des tomates
atteintes d'une maladie ou d'une malformation. Le succès du marché de gros est
foudroyant, à tel point qu'il faut bientôt aménager un "Complexe agricole", réunissant
un carreau des producteurs, des bureaux, des cases négociants. Les utilisateurs vont
disposer d'une voie ferrée sur place, avec des trains spéciaux partant dans la soirée pour
arriver au petit matin aux halles de Rungis à moins qu'ils ne préfèrent le transport par
la route dont ils trouvent les bureaux des représentants sur place. S'installent en outre
la S.A.M.A.R.C. et la S.I.C.A.M. (deux SICA dotées de trieuses et emballeuses), une
usine de jus de fruit (Pampryl), deux stations de conditionnement de fruits et légumes
(Ortolan et De la Cruz) et une usine de conserves notamment de tomates (Coop). Les
apports, de 1 529 tonnes en 1955, passent à 10 020 tonnes en 1977.

L'usine de jus de fruits, la SOCOMA, devenue "Pampryl", va constituer un élément


moteur de la production de tomates. Elle en traite 7 500 tonnes par an et extrait 7 500
litres de jus. La totalité des tomates ainsi transformées provient d'exploitations du
Marmandais. "L'exigence de qualité maximum a poussé la Société Pampryl à passer contrat avec
un groupement de producteurs à qui elle fournit les graines".

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L'année suivante, la profession s'organise avec la création d'un Syndicat
interprofessionnel de la tomate. Cette dernière ne cesse d'agrandir son aire de
production : bientôt 149 hectares dans le seul canton de Marmande. Cette tomate part
vers Bordeaux, Paris, la côte bretonne et atlantique, ainsi que les stations thermales des
Pyrénées (Pau, Dax, Bagnères). Le marché de gros de Marmande va commercialise 80%
de la production du Lot et Garonne.

Pendant ce temps, le Centre d'Etudes Techniques Agricoles (C.E.T.A.), sous


l'impulsion de M. Acquier, met au point une technique de semi forçage "sous tunnel
de nylon" permettant d'allonger la durée de la période de production. De plus, on
utilise des espèces plus hâtives : la "H 63-128", la "Fournaise", variétés complétées par la
"H 63-4" qui mûrit quelques jours plus tard mais qui est plus productive.
En 1964, on expédie de la "Merveille des Marchés" et de la "Saint Pierre", la conserve
utilisant la "Roma" et la "Casaque rouge".

L'ADAPTATION AUX CONTRAINTES DU MARCHE

En 1974 va se produire une tension entre le Syndicat des Producteurs et les


expéditeurs de fruits et légumes. La campagne de 1973 avait été calamiteuse, et c'est
pourquoi les producteurs du "carreau" partent chercher des idées en Bretagne et en
Hollande pour y voir sur place quelle est l'organisation des marchés. Sous l'impulsion
de M. Boxberger naît alors un organisme, la CADRAM, qui dispose d'un système de
vente au cadran, à l'exemple des veilings hollandais (vente aux enchères dégressives).
Pour chaque transaction, le prix est affiché aux yeux de tous : pour la campagne 1974,
la CADRAM commercialise 9 000 tonnes, le Carreau des producteurs au Marché de
Gros 1 200 tonnes, les coopératives 9 500 tonnes et les 19 expéditeurs 17 000 tonnes.
En 1980, le tonnage traité par la CADRAM est passé à 13 000 tonnes. Elle dispose de
calibreuses, de trieuses selon la couleur et de chambres climatisées. Les gros acheteurs
demandent des lots à la fois importants, homogènes en qualité, en calibre et en couleur
que seule une telle organisation est capable de fournir.
Les producteurs utilisent des variétés nouvelles : "Apla" (obtention Vilmorin), "Baron",
"Floradade" et "Count" (deux variétés américaines) et "Piersol.
1985 voit les premières cultures sur grilles en serres. Aux espèces cultivées l'année
précédente s'ajoutent la "Rio Grande" (tomate allongée), la "Ferline" qui est "une
tomate sensuelle et sophistiquée"; Marmande arrive même à exporter des tomates en
Espagne et en Italie. En 1986 est dressé un plan de construction de 50 hectares de
serres afin de faire face à la demande des Centrales d'achat des grands groupes de
supermarchés. Grâce aux travaux de l'Institut National de la Recherche Agronomique
(INRA), une sélection de cinq variétés peut être opérée.

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1988 voit le marché envahi par le dumping organisé par les producteurs belges et
hollandais sur des tomates (heureusement de mauvaise qualité), cependant que les
producteurs espagnols cassent les prix.
1989 va être une campagne catastrophique, surtout par l'arrivée à prix très bas, en
raison du faible coût de la main d'œuvre, de la tomate du Maroc.
En 1994, les marchés au cadran de Marmande (tomate), Agen (marché d'intérêt
national), Nérac (melon) et Vergt (fraise) sont interconnectés, ce qui constitue un
avantage sur le marché national des fruits et légumes.
1995 va voir s'ouvrir une crise au sein des adhérents du CADRAM qui aboutit à une
scission en son sein.

Au même moment, les milieux de l'agro-alimentaire songent à la nécessité de maîtriser


l'ensemble des éléments de la chaîne, depuis la production de la tomate jusqu'à sa
commercialisation, que ces éléments soient situés en Aquitaine, en Midi-Pyrénées ou
en Provence. C'est ainsi que va naître à Marmande, sous la houlette "d'Agro Marché
Stratégie" un ensemble de 15 hectares de serres (le plus vaste de France) ! Son principe,
créer un écosystème, lequel va aboutir à une certification "zéro traitement". La serre est
un milieu fermé dans lequel on maintient une température constante de 19 à 23°
centigrades et un taux d'humidité de 75 à 85 %, conditions optimales pour favoriser la
croissance des plantes et également éviter toute maladie cryptogamique. La gestion de
l'ensemble des "Serres du Perrinots" est assurée par un ordinateur central qui pilote
entre autres choses l'aération, le chauffage et l'irrigation des plantes par des solutions
nutritives. De ce fait, étant donné qu'il s'agit d'un espace clos, la pollinisation des fleurs
n'est pas possible naturellement. Aussi a-t-on prévu l'utilisation à cet effet d'auxiliaires
des bourdons, insectes d'une durée de vie d'environ 8 semaines, sui sont introduits
dans les serres et qu'on renouvelle régulièrement, puisque la durée de production de la
serre va d'étendre à 10 mois sur 12. Mais, cependant, on constate la présence d'insectes
parasites (pucerons, araignées rouges, aleurodes). Pas question d'utiliser des
insecticides, on va les combattre par une "lutte intégrée", c'est-à-dire par l'introduction
de prédateurs de ces parasites "l'encarsia" et le "macrolofus". De ce fait, les tomates
sortant de ces serres bénéficieront de la qualité "zéro traitement". Mais pour assurer
une production de longue durée, il faut que soient créées des espèces intermédiaires de
tomates : les tomates charnues "Trust", "Britz" (déjà dépassées avec les espèces nouvelles
dont le goût se rapproche de celui de la tomate de Marmande originelle), la "Quest" (à
laquelle va succéder la "50-6" non encore baptisée). S'y ajoutent les espèces "Palmero",
"50-11 Label" et "Raïssa" et d'autres part les "tomates long life" (aptes aux transports
lointains) : "Telus", "Daniela" et "Abigaï". Dans cet univers travaillent actuellement 103
personnes (dont 65 permanents) en majorité des femmes recrutées localement.

15 hectares, cela fait un volume à climatiser ! Aussi a-t-on choisi une astuce technique :
on a installé un "co-générateur", c'est-à-dire une turbine "Turboméca" fonctionnant au
gaz naturel qui produit de l'énergie électrique, laquelle est revendue au réseau local
d'EDF. Mais pour assurer le refroidissement nécessaire de la turbine, on utilise de

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l'eau… laquelle va assurer le chauffage des serres ! Ce qui permet un abaissement
sensible du coût de production.
Quel progrès depuis 1975 où il fallait 30 litres d'eau pour produire un kilo de tomate,
5 grammes d'azote contre 2 actuellement, 20 KW/h d'électricité contre 10 KW/h
actuellement !

VERS UN RETOUR AUX SOURCES

De même que nos anciens partaient à la conquête du Graal, des agriculteurs partent à
la recherche de la tomate de Marmande originelle. Groupés autour des Ets Verdié, à
l'initiative de M. Rouillon, ils veulent défendre "un produit noble, sain : la tomate de pleine
terre". Elle pousse d'une façon artisanale, sous abri, que ce soit un tunnel ou tout autre
abri plastique. "La tomate puise son énergie dans la terre, dans un milieu naturel". La
variété retenue a été "la Pecula" qui offre toutes les garanties : qualité gustative et calibre
homogène. M. Rouillon ajoute : "Nous nous soucions d'apporter tous les soins au traitement.
Nous avons investi dans une chaudière à vapeur, une machine qui permet de désinfecter les sols
et d'apporter une cure de jouvence à la terre. D'une manière tout à fait écologique, les insectes,
nous n'en voulons plus. Nous avons anticipé sur la mesure d'interdiction qui sera faite d'utiliser le
bromure de méthyle; Au niveau de la culture, nos producteurs adhérents introduisent des
prédateurs naturels". Et il conclut : "La différence, nous la marquons par la provenance du
produit. Nous sommes des artisans qui luttent contre les mammouths de l'industrie".

On le voit, "ça bouge dans la tomate à Marmande !" Mais cette voie "écologique" ou
"traditionnelle" pourra-t-elle faire face aux demandes (et aux ressources) des
consommateurs du XXIe siècle ? Ce sera à eux d'arbitrer.

La consommation française se situe aux alentours de 850 000 tonnes par an, dans
lesquelles 500 000 tonnes représentent la production nationale au sein de laquelle
Marmande figure pour 23 000 tonnes, dont 98 % en serres (dont 75 % hors sol).
Mais lorsqu'on prononce le nom de "tomate", les mots qui viennent immédiatement à
l'esprit des français sont "de Marmande" et il n'est guère de marché, de magasin
d'alimentation sans que ce nom n'y soit prononcé. Ce mot "émigre" désormais vers
l'Allemagne et la Grande-Bretagne, et même vers l'Espagne et l'Italie.
Tous ces chiffres manquent peut être de poésie, et pourtant notre ville à su promouvoir
"cette carte de visite reconnue de la France entière" avec un "Grand Prix de la Tomate"
qui regroupe le meilleurs coureurs cyclistes, espoirs du moment et, une "Confrérie de
la Tomate de Marmande", chargée d'en célébrer les louanges (tout comme le "Consulat
des Côtes du Marmandais" assure la promotion de nos vins). "Les Toques
Marmandaises" ont à cœur de la faire figurer au rang de leurs préparations.

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C'est là qu'intervient le consommateur : pour pouvoir bénéficier de tous les atouts que
lui apporte la tomate de Marmande, il doit choisir une tomate arrivée à maturité, une
tomate ferme à la couleur homogène et bien rouge qui laisse deviner une pulpe juteuse,
une tomate avec un pédoncule frais et d'un beau vert foncé, enfin une tomate à la peau
lisse et brillante.

Ceci fait, fermons maintenant les yeux et écoutons la légende de la tomate de


Marmande :

Il était une fois, à Marmande, la fille d'un riche bourgeois, jeune, belle et sage. Les
prétendants ne cessaient de tourner autour d'elle mais Ferline Giraudeau (c'était son nom) n'en
trouvait aucun à son goût, au désespoir de son père qui, veuf, voyait s'avancer son âge. Et
pourtant, un de ces jeunes gens, Peyrot Bory, de modeste extraction, mourait d'amour pour
elle, mais n'osait de le lui avouer, conscient d'être trop pauvre pour pouvoir y prétendre ; tant et
si bien que, rempli de chagrin, il décida de quitter Marmande. Il arriva à Bordeaux juste au
moment où un navire mettait les voiles pour "les isles". Pendant quatre ans, il bourlingua,
visita les Antilles et la Nouvelle Grenade. Il travaillait dur et pourtant, il ne pouvait se
défaire de l'image de Ferline.
Un beau jour, il prit le chemin du retour avec, dans ses bagages, un gros sac de cuir rempli de
doublons d'Espagne et une pochette dans laquelle se trouvaient d'étranges graines plates et d'un
gris foncé. Revenu à Marmande, il sema dans un coin ensoleillé du jardin paternel les
fameuses graines et, au début de l'été, apparurent des grappes de magnifiques fruit rouges,
ronds et lisses. Chaque matin, il en cueillait quelques uns et les déposait dans une petite
corbeille d'osier qu'il abandonnait sur le bord de la fenêtre de la belle.
Au bout de quelques jours, elle le surprit et, au moment même où il renouvelait son offrande :
"Dis-moi, ami, lui dit-elle, comment s'appelle donc ce fruit délicieux que tu m'apportes chaque
jour ?"
"Lorsque j'étais aux Amériques, les Indiens l'appelaient la "tomate", mais moi je l'appelle
"Ferline" en souvenir de toi, tant elle était belle !"
"Eh bien, lui dit-elle en se jetant dans ses bras, à partir d'aujourdh'ui, nous l'appellerons "la
pomme d'amour".
La preuve que cette histoire, livrée par un vieux grimoire aujourd'hui disparu, est vraie :
c'est que Ferline et sa pomme d'amour ont leur statue au cœur du jardin de l'Hôtel de
Ville de Marmande !

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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Le cultivateur agenais

Le Républicain du Marmandais

André Silvestro :
• Cent ans d'histoire de la tomate – Chambre d'Agriculture – Agen

Alexandre Dumas
• Dictionnaire de cuisine – réédition 10/18 – Paris

Jean-Luc Danneyrolles
• La tomate – Actes Sud – 1999

Sofie et Dominique Guillet


• Catlogue "Terre de Semences"

REMERCIEMENTS

Au personnel de la Bibliothèque municipale Albert Camus de Marmande

A Mme Nicole trani, Chargée de mission à la Ville de Mamrande

A Mesdames Lozes er Bouyer, nées Gautriaud

A M. Michel Jardinet de Marmande-Granon

A M. Menegaldo, Chef de culture des Serres des Perrinots

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