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L’olivier dans la littérature agronomique arabe

L’adaptation- traduction de l’héritage gréco-romain

Introduction

Quand on évoque la Méditerranée, on a souvent tendance à différencier les


peuples selon leur ethnie, leur religion et leur pays d’origine. Aujourd’hui, pour se
démarquer de cette distinction un peu dépassée, on parle de frontières culturelles et
religieuses : Islam contre Judéo-christianisme. Et même les adeptes les plus fervents
d’une civilisation méditerranéenne, qui regroupe les deux rives ainsi que les deux
bassins, sont souvent contrariés, voire gênés quand on fait allusion devant eux à la
Mare Nostrum. Ils vous considèrent immédiatement comme un nostalgique, qui vit
dans un autre monde déconnecté de la réalité. Mais on peut néanmoins parler de
notre agriculture tout en sachant que l’histoire de l’agriculture en Méditerranée fait
souvent l’objet d’à priori stéréotypés: cette agriculture ne peut être que prospère
durant l’Antiquité, et en crise au Moyen-Âge. Et pour preuve de cette évolution, c’est
souvent l’olivier que l’on cite en exemple. Un exemple on ne peut plus mal choisi car
cet arbre se distingue de tous les autres par sa longévité à la fois végétative et
historique. Un arbre dont on peut aisément suivre le périple de l’Antiquité au
Moyen-Âge. Les débuts de son histoire sont glorieux. Pendant l’Antiquité, on y
voyait un symbole de paix, de richesse et de puissance, mais aussi de grand profit.
Et qu’en est il à l’époque arabe classique ? A-t-il alors perdu toutes ses
précieuses qualités ?
Nous avons basé notre travail sur les sources écrites dites théoriques, c’est à
dire les écrits agricoles arabes classiques qui nous permettent de suivre le voyage de
l’olivier de l’Antiquité à l’Époque médiévale. Comme nous le verrons, il s’agit souvent
de compilations/traductions de textes plus anciens mais retravaillés et enrichis
d’apports spécifiques. Cette méthode de travail nous permet une double approche

Abrégé des sources :
- Caton : Caton, De l'agriculture, trad. R. Goujard, Paris, 1975.
- Columelle : Columelle, De l'agriculture, Dans Les agronomes latins, M. NISARD, Paris, 1874.
- Géoponika : Cassianus Bassos Scholasticus, Geoponicorum sive de re rustica libri XX, Lipsiae,
1895.
- Hésiode : Hésiode, Théogonie - Les Travaux et les Jours, Le Bouclier, trad. P. Mazoni, Paris,
1951.
- Ibn Al cAwwam : Ibn Al cAwwam, Le livre de l'agriculture, trad. J.J. Clément Mullet, Tunis,
1977.
- Ibn Wahshiyya : Kitâb al-Filâha al-Nabatiyya, Damas, 1993, t.1.
- Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya: Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya, B.N.T, Ms, 14243, 16297 et 19444.
- Kitâb al-Zar‘: Kitâb al-Zar‘, Berlin, Landberg 291.
- Palladius : Palladius, De l'économie rurale, trad. M. Cabaret-Dupaty, Paris, 1844.
- Varron : Varron, Économie rurale, trad. J. Heurgon, Paris, 1978.
- Virgile : Virgile, Géorgiques, trad. E. De Saint-Denis, Paris, 1982.
- Xénophon : Xénophon, Économique, trad. P. Chantaigne, Paris, 1971.
du sujet en définissant la place de l’olivier chez les auteurs gréco-romains et en la
resituant selon la vision des auteurs qui ont écrit en arabe.
Dans une première partie, nous allons esquisser les grandes phases de
l’évolution de la littérature agronomique et le rôle que l’olivier y jouait, de l’antiquité
à la période arabe classique, celle-ci ayant conduit à la naissance de l’agronomie
arabe.
Dans une deuxième partie, nous analysons l’apparition de l’olivier au cours de
la période protobyzantine.
Dans la troisième partie, nous allons étudier le travail des traducteurs sous les
Abbassides et leur importante contribution aux débuts de l’âge classique arabe, que
certains qualifient de haut Moyen-Âge.

La littérature agronomique médiévale : le relais arabe

Une tradition géoponicienne protobyzantine


La Grèce a été le premier pays à s’intéresser à l’agriculture1. Hésiode effectue
un travail de précurseur parmi les auteurs grecs en évoquant, en termes encore très
rudimentaires, l’administration d’une exploitation agricole dans son poème Les
Travaux et les Jours, probablement rédigé au VIIIe siècle avant J.C. Quatre siècles plus
tard, Xénophon écrit l’Économique. Le disciple de Socrate nous donne des
enseignements agricoles dans quatre2 des vingt-et-un chapitres que comporte
l’oeuvre. On attribue aussi un ouvrage du même titre à Aristote. À ces écrits sur
l’économie, s’ajoutent des ouvrages de botanique, notamment quatre ouvrages dont
deux attribués à Théophraste, Historia plantarum et De causis Plantarum, un à Aristote3
et un autre à Démocrite4.
C’est grâce à cette riche bibliothèque agronomique5 que va naître l’économie
rurale dont le père fondateur, d’après Columelle, serait Magon. Juste après la chute
de Carthage, les Romains font traduire l’encyclopédie de Magon et font établir la liste
de ce qu’ils ont appelé les agronomes. La tradition agronomique romaine va voir le
jour avec Caton6, Varron7, Virgile8, Columelle9 et Palladius10, réunis dans un recueil

1 Les Chaldéens ont été les premiers à vouloir transmettre le savoir de cultiver non pas oralement

mais par écrit, des préceptes qu’on trouve d’ailleurs dans l’almanach du fermier, recopié vers 1700 av.
J.C. S. N KRAMER, L’histoire commence à Sumer, Paris, 1957, p.105.
2 XENOPHON, V, 1.
3 PS. ARISTOTE, De Plantis (Par Nicolas de Damas), trad. de ISHAQ IBN HUNAYN, révisée par

THABIT IBN KURRA, dans Islamica, XVI, Le Caire, 1954, p.243 sq.
4 Ne se trouve que dans sa traduction arabe, intitulée Kitâb al-Filâha. Deux exemplaires du manuscrit

attribué à un certain Démocrite sont conservés à la Bibliothèque Nationale de Paris, ce sont les
manuscrits n° 2802 et 2806 -De Slane.
5 Tout en tenant compte des ouvrages perdus, cités dans les sources agronomiques latines.
6 (232-149) Surnommé Caton le Censeur, Il écrivit un grand nombre d’ouvrages, notamment le « De

agricultura », le plus ancien ouvrage latin en prose et le seul des ouvrages de l’auteur qui soit parvenu
jusqu’à nous. C’est un manuel pratique où on trouve des conseils, des instructions et des préceptes
sous forme de notes qui traitent de la culture des céréales, de l’arboriculture, de l’horticulture et divers
chapitres annexes repris. Caton, p. XXXIX-XXXIV.
portant le nom de Scriptores rerum rusticarum. Mais c’est avec Columelle qu’on peut
parler d’une littérature agronomique proprement dite. En se plaçant dans la lignée
de l’enseignement de son précurseur Virgile et de la pensée de Caton et de Varron, il
opte pour un style plutôt littéraire que scientifique.
Après Palladius la littérature agronomique entre progressivement dans
l’antiquité tardive, un voyage de courte durée puisqu’elle sera protobyzantine. En
effet, les écrits seront à nouveau rédigés en Grec, plutôt qu’en latin et sous forme de
compilations. Au Ve siècle Ouindanios Anatolios de Bèrytos et Didymos rédigent
chacun une compilation intitulée les Géorgiques, en se basant sur les écrits d’un
certain Bolos de Mendès et Florentinos. Au VIe siècle Kassianos11 compose une
compilation qu’il nomme les Géorgiques, en se basant sur les Géorgiques de
Florentinos, de Ouindanios Anatolios de Bèrytos et de Didymos.
Mais la version originale grecque de Kassianos sera perdue. Il faudra attendre
e
le X siècle pour en retrouver trace, quand un compilateur inconnu, travaillant sous
les ordres de Constantin VII porphyrogénète, rassembla tout ce que les
protobyzantins avaient écrit d’utiles sur l’agriculture12.

Les Arabes découvrent l’agronomie par le biais des Syriaques


Les Arabes ont découvert la littérature agronomique protobyzantine par le
biais des Syriaques, qui se sont mis, dès le Ve siècle à la traduction de l’héritage
gréco-romain, dans les derniers écoles hellénistique d’Antioche et Édesse. Parmi les
plus brillants traducteurs de cette période transitoire, citons Sergios de
Théodosiopolis, décédé en 53613, à qui l’on doit une traduction de l’ouvrage de
Ouindanios Anatolios de Bèrytos.
Et c’est avec les Abbassides que les Arabes commencent à s’intéresser à ces
traductions syriaques pour ensuite les traduire en arabe. Les traductions arabes se

7 (116-27 av. J.-C.), il nous apprend qu'à soixante-dix-huit ans il avait déjà écrit 490 volumes. Parmi les
oeuvres de Varron on trouve le De Re rustica; le seul traité qui nous soit parvenu au complet, Varron
l’avait écrit à l'âge de quatre-vingts ans, et le dédia à sa femme Fundania.
8 (70-19 av. J.-C.) est un poète latin, parmi ces oeuvres on trouve un traité sur l’agriculture, sous forme

d’un poème en quatre chants, écrit entre 36 et 29 av. J.-C. c’est l’un des plus célèbres texte antique qui
constitue un appel au retour à la vie paysanne traditionnelle en Italie.
9 Naquit à Gadès (Cadix), On ignore l'époque de sa naissance ainsi que celle de sa mort ; on sait

seulement qu'il vivait sous le règne de Claude et que c'est là qu'il écrivit sur l'économie rurale. Il nous
reste de Columelle deux ouvrages, l’un intitulé De arboribus, le second De re rustica en douze livres.
10 Le dernier parmi les écrivains latins qui se sont occupés de l'agriculture. Son ouvrage, intitulé De Re

rustica, renferme des extraits d'auteurs anciens, surtout de Columelle, dont certains textes semblent
avoir été repris intégralement. L'Économie rurale de Palladius est divisée en quatorze livres.
11 Il habitait, un village que les Géoponika nomme Μαρατωνύμω. Dans l’une de ses dédicaces il révèle

qu’il était « avocat » (Σχόλαστικος), et qu’il avait dédié ce traité à son fils Bassos. Il avait des terres à
Mariandyne (Μαριανδυνων). Il aurait été solicité par les villageois, suite aux abus commis par les
puissants et leurs agents et serait alors devenu le patron de cette localité. Sa première tâche aurait été
d’arbitrer les querelles entre faibles et puissants. et pourquoi pas alléger le fardeau des impôts.
T.Bouraoui, Nasha’at ‘ilm al-Filâha al-‘Arabî, Tunis, 2005.
12 P. LEMERLE, op. cit., p.289.
13 J. B. CHABOT, Littérature chrétienne de l’Orient, Paris, 1934, p.44-79. G. TROUPEAU, le rôle des

Syriaques dans la transmission et l’exploitation du patrimoine philosophique et scientifique grec,


Arabica, XXXVIII, 1991, p.2.
multiplient, notons dans l’ordre le Kitâb al-Filâha attribué à Balînâs, traduit en 179 de
l’hégire / 79514 ou encore les Géorgiques du pseudo-Démocrite.
Mais deux traductions seulement vont constituer le noyau de l’agronomie
arabe : Le Kitâb al-Zar‘et le Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya. Le Kitâb al-Zar‘ est la traduction
du traité de Kassianos. L’original de ce traité, qui n’est malheureusement pas arrivé
jusqu’à nous, a été traduit du grec en syriaque, du syriaque en pahlavi et du pahlavi
en arabe. Quant au Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya, c’est une deuxième traduction tardive
du traité de Kassianos faite par Sardjîs Ibn Haliyâ, qui s’est inspiré de la traduction
syriaque et de la traduction du pahlavi en arabe.

La réaction des Sabéens : naissance de l’agronomie arabe.


Les Araméens de Harrân n’ont pas attendu longtemps avant de réagir aux
différentes traductions syriaques des écrits agricoles protobyzantins. Il s’agit là du
grand tournant de l’histoire de la littérature agronomique à l’époque arabe classique.
Et pour comprendre ce tournant, il faut revenir à l’histoire des traducteurs de
Harrân. Notons tout d’abord qu’il ne faut pas les confondre avec les Mandéens qui
sont originaires de Chaldée et que les sources nomment les baptisés. Les Araméens
dont il est question sont les adorateurs des étoiles, connus dans les sources arabes
classiques sous le nom de Sabéens de Harrân. C’est pourquoi on préfère le plus
souvent les appeler les Harraniens. Les sources arabes rapportent que suite aux
conseils des Ulémas, ils auraient emprunté au IXe le nom de Sâbi’a pour figurer parmi
les peuples qui ont un Livre. Ils voulaient éviter ainsi qu’on les considère comme un
peuple de païens. Le dernier traducteur de ce centre « païen » en terre d’Islam, un
certain Ibn Wahshiyya, a traduit le Kitâb al-Filâha al-Nabatiyya au Xe siècle.
Dans son préambule, Ibn Wahshiyya prétendait que le livre aurait été
composé par trois auteurs, Saghrîth, Yanbûshâd et Qûthâma et aurait été écrit en
syriaque ancien15. Plusieurs indices prouvent cependant qu’Ibn Wahshiyya aurait eu
en sa possession les trois Géorgiques de Kassianos Bassos, Ouindanios et Appolonios
de Tyane16 ainsi que les Kutub al Filâha al_Rûmiyya avant de le dicter à Abû Tâlib en
318H/93017. Ce travail gigantesque et génial, de traducteur et de compilateur, va
donner naissance au Xe siècle à une littérature agronomique médiévale, une
littérature agronomique arabe, basée sur une formidable synthèse d’un substrat
agronomique protobyzantin et sur une tradition orale perpétuée par les paysans de
l’Irak abbasside, dépositaires d’une tradition millénaire qui remonte à la période
assyrienne.
Après le Kitâb al-Filâha al-Nabatiyya et les Géoponika du Xe siècle, l’Orient
marque un temps d’arrêt. Le relais sera pris par la littérature agronomique yéménite et
surtout par l’al-Andalous.

14 Blînûs al-Hakîm, Kitâb Sirr al-Khalîq, édité par URSULA WEISSER, Alep, 1979.
15 T. FAHD, “Matériaux pour l’histoire de l’agriculture en Irak : al-Filaha N-Nabattiyya.”, dans
Handbuch der orientalistik, Bans 6, Geschichte der islamichen lander-Cologne, E.Brill, 1977, p.291, note
65.
16Ibid, p.368
17Ibid, p.291
L’olivier chez les Byzantins : l’honneur trouvé
Les sources : les agronomes de l’olivier
Si le traité de Kassianos est perdu dans sa version originale, les Géoponiques
e
du X nous ont précieusement préservé trois sections attribuées à Kassianos, dont
celle consacré à l’olivier. Chaque section est numérotée et il est probable que le
numéro six que porte la section traitant de l’olivier vient de l’original tout comme le
résumé des extraits18 qui la compose. Quant aux extraits ils sont suivis de l’indication
de la source.
Pour rédiger la section traitant de l’huile, Kassianos aurait eu sous les yeux
deux listes, celle de Didyme et une autre de Ouindanios Anatolios de Bérytos. Cette
dernière a été reprise par Photius19 et on y trouve les noms de Dèmokritos qui n’est
autre que Bolos, le Pseudo-Théocrite qui vivait à Mendès au IIe siècle av. J.C.20,
Diophanes (Diophane de Bithynie) le second abréviateur de Magon 21. Apouleios
(Apulée) l’auteur d’un De Arboribus22, Afrikanos, qui est Julius Africanus, un
architecte du début du IIIe siècle après J.C. qui écrivait en grec23, Phlôrentios
(Florentinos) probablement contemporain d’Africanus24. Tarantinos, probablement
Archytas de Tarente qui était un homme d’état au IVe siècle25, et un certain Léon.
Quant à la liste de Didyme, elle contenait les noms suivant Varron, les Kyntiliôn
(Gordianos et Maximus Quintilus)26, Sotion qui pourrait être le philosophe dont avait
parlé Diogène Laërce. Paxamos qui avait transmis aux géoponiciens byzantins
l’essentiel de l’enseignement antique pour la reconnaissance des eaux, et un certain
Damègérôn.
Pour sa section traitant de l’olivier, Kassianos se réfère huit fois à Didyme, six
fois à Florentinos, quatre fois à Tarentinos, deux fois à Africanos, Sotion, Démocrite
et Daméghéron et une fois à Varron, Léon, Apulée, Diophane et les Quintilien.

L’olivier trouve son honneur


Personne ne contestera que l’olivier occupait une place plus ou moins
importante dans l’agronomie latine. Caton, par exemple, lui consacre quelques
notices27, il le classe au quatrième rang, derrière sa rivale la vigne. Varron n’en parle

18 L’eklogè
19 P. Lemerle, Le premier humanisme byzantin, Paris, 1971, p.290.
20 Varron, p.98, note, 25.
21 Varron, p.XXXIV, note, 1.
22 R. MARTIN, Recherche sur les agronomes latins et leurs conceptions économiques et sociales, Paris, 1971,

p.21, note 6.
23
ibidem
24 Ibidem
25 Varron, p.98, note, 28.
26 P. Lemerle, op.cit., p.290.
27 Le pressoir. Le cellier. Le broyeur à olive. Mode de plantation. Le greffage. La taille de l’olivier. Les

boutures d’olivier. Le marcottage. La récolte. La fabrication de l’huile verte. Le soin apporté à l’olivier
qui ne produit pas. La conservation des olives blanches. De quelle façon préparer de l’épityrum blanc,
noir, variant avec des olives. Conditions de la récolte et le traitement des olives et conditions pour
cultiver les olives sur pied. Caton, XV ; XVI ; XXIII-XXV ; XXXI ; XLIX ; LII ; LIII ; LX ; LXXIII ;
LXXIV ; CII ;CXXVI ; CXXVII ; CXXVIII ; CLIII-CLV.
que quatre fois28. Virgile lui dédie quelques vers dans le deuxième chant29. Quant à
Palladius, il s’intéresse plus particulièrement à la fabrication de l’huile30. Columelle
par contre parle par deux fois de l’olivier dans son De agricultura et De arboribus.
Selon lui l'olivier est le premier de tous les arbres et le plus riche en qualités. Et c’est
dans cette ligne de pensée que les Byzantins ont choisi de fournir à l’olivier une place
de choix dans leurs recueils. Désormais il n’a plus à avoir de complexes par rapport à
la vigne, puisqu’une section entière est réservée uniquement à l’olivier et une autre à
la vigne.
L’olivier sera abordé par Kassianos Bassos Scholasticos dans la sixième section qui
vient juste après la section de la vigne et des arbres fruitiers31. La section est divisée
en trente-trois extraits. Cette place sera maintenue plus tard dans les Géoponiques.
Mais l’olivier ne sera pas seulement honoré par le privilège d’occuper toute
une section à lui seul, mais il sera littéralement comblé en lui attribuant une histoire
qui parle de ses origines. En effet la section six va s’ouvrir sur une histoire, sur un
récit mythologique qui explique les origines lointaines de cet arbre
‘Géoponika, IX, 1). C’est une légende grecque, connue des
sources anciennes, qui nous apprend comment l’olivier est apparu sur terre.
Poséidon et Athéna voulaient chacun construire une ville qui porte son nom. Pour les
départager, Zeus leur proposa de faire, chacun, un don à l'humanité. Poséidon lui
fournit les ports et les chantiers navals. Quant à Athéna, elle imagina l’olivier qui fut
déclaré le don le plus utile à l'humanité et Athéna sortit vainqueur de cette
confrontation et obtint la protection de la ville qui porte toujours son nom : Athènes.

Comment cultiver l’olivier d’après les agronomes byzantins


Pour bien cultiver l’olivier, les agronomes protobyzantins avaient décidé
d’oublier ce que Virgile préconisait en la matière: « qu’il n’exige aucune culture ; et que
les oliviers n'attendent pas l'intervention de la serpe recourbée, ni des houes tenaces, une fois
qu'ils ont fermement pris pied en terre ». Ils s’affirmaient plutôt comme des disciples de
Columelle qui préconise divers travaux en la formule suivante :" Qui laboure l'olivette
la prie de donner des fruits, qui la fume le lui demande, qui la taille l'exige" (Columelle, V, 9,
13). En revanche ils se montraient plus didactiques que tous les agronomes romains,
leurs préceptes étaient plus pratiques que théoriques, faciles à comprendre par
n’importe quel paysan. Des préceptes utiles pour l’amélioration du rendement des
oliveraies. Il s’agit en fait d’un manuel pratique d’agriculture. D’ailleurs Kassianos a
suivi, même s’il y a parfois quelques perturbations dans l’ordre des extraits, les

28 Quelle sorte de terrain pour le planter, comment faire la cueillette, la conservation et de quelle façon

en extraire l’huile. (Varron, 24 ; 55 ; 60 ; 66.)


29 Où il est question de la terre convenable à l’olivier et le climat, les variétés de l’olivier la

multiplication de l’olivier par semis, par bouturage et marcottage, la taille, la récolte et le broyage et
l’huile. (Virgile, II, 179-183.)
30 À l’exception des plants d’oliviers. Il a parlé de l’huile verte et de la confection de l’huile selon les

Grecs et de l’huile semblable à celle de Liburnie, de l’épuration de l’huile, de l’huile infectée, de l’huile
rance, comment confire les olives. (Palladius, III, 18; XII, 4 ; XI, 10 ; XII, 17 ; XII, 18 ; XII, 19. XII, 20. XII,
21. XII, 22.)



( Géoponika, IX)
grandes étapes de l’histoire de l’olivier qui donne l’huile et les olives, depuis la
culture jusqu’aux divers usages des fruits de cet arbre.
La culture de l’olivier
En rédigeant sa compilation, Kassianos a bien compris que si l’olivier est le
plus rustique et le moins exigeant de tous les arbres, il faut cependant faire preuve de
pas mal de connaissances agronomiques pour en tirer un rendement optimal.
La première mesure à prendre pour une culture rentable de l’olivier est de
choisir une main-d’œuvre agricole appropriée. Kassianos en parle dans un des
paragraphes consacrés à la récolte et recommande l’intervention de jeunes garçons
(Géoponika, IX, 2). Puis, il préconise la fumure (Géoponika, IX, 15) pour augmenter la
production des oliveraies ainsi que la taille (Géoponika, IX, 13). Il parle également des
techniques destinées au rajeunissement des arbres et des soins à apporter aux vieux
plants (Géoponika, IX, 9). Ainsi que d’autres procédés, par exemple pour rendre les
arbres plus fertiles (Géoponika, IX, 8) et pour en accélérer la floraison (Géoponika, IX,
10). Et même si l’olivier est l’arbre par excellence des terrains arides et supporte
parfaitement la sécheresse, Kassianos recommande de l’arroser (Géoponika, IX, 11).
On trouve aussi dans Les Géorgiques des préceptes sur la multiplication de
l’olivier (Géoponika, IX, 5), néanmoins, en témoignant de son intérêt pour les jeunes
pousses (Géoponika, IX, 7), Kassianos nous fait comprendre qu’il préfère la
multiplication par bouturage (Géoponika, IX, 5), rejoignant ainsi l’enseignement des
agronomes latins32. Il est aussi question de la pratique de greffage (Géoponika, IX, 16),
l’entage de la vigne sur l’olivier (Géoponika, IX, 14), ainsi que d’autres soins que les
plantations requièrent (Géoponika, IX, 2), le moment de la plantation (Géoponika, IX, 4),
le choix du sol (Géoponika, IX, 3), les vents favorables (Géoponika, IX, 3) et comment
préparer les fosses pour les planter (Géoponika, IX, 6). Pour terminer par les soins
contre les maladies et les insectes nuisibles (Géoponika, IX, 10).
La fabrication de l’huile
Kassianos rappelle qu’on peut extraire de l’huile d’autres fruits que de l’olive
(Géoponika, IX, 18), et fait allusion au rapport existant entre la qualité des huiles, la
qualité des fruits et leur degré de maturité dans son chapitre consacré à la récolte de
l’olivier (Géoponika, IX, 17). Quant à la fabrication de l’huile proprement dite, les
écrits agricoles protobyzantins ne nous fournissent aucun texte comparable à celui de
Virgile qui décrit les trois opérations principales de la fabrication de l’huile. En
revanche, en lisant le chapitre consacré à l’huile dite omphakinos (Géoponika, IX, 19) on
peut se faire une idée assez précise sur l’extraction de l’huile, en commençant par le
broyage, en continuant par le pressurage de la pâte jusqu’à l’opération la plus
délicate : la séparation de l’huile et des margines. En outre on trouve des
informations sur les différentes variétés d’huiles. L’huile dite appelée par
les Latins oleum omphcium33, ’est une huile très demandée (Géop., IX, 19) pour les
soins du corps, une sorte d’huile sucrée, parfumée (Géoponika, IX, 20), pure,
provenant peut être d’olives trop mûres, cueillies en fin de récolte (Géoponika, IX, 21).
Kassianos nous livre aussi des traitements pour les huiles défectueuses, qu’on peut
reconnaître tout d’abord à leur saveur, comme l’huile rance (Géoponika, IX, 22) ou
fétide (Géoponika, IX, 23) et par leur aspect et leur limpidité comme l’huile bourbeuse

32 J.P. Brun, Le vin et l'huile dans la Méditerranée antique, Collection des Hespérides, 2003, p., 128.
33 Ou oleum viride . ibid, p.137.
(Géoponika, IX, 24). Ainsi que d’autres traitements des huiles infectées par des souris
ou d’autres animaux nuisibles (Géoponika, IX, 25). Dans les Géorgiques les huiles
d’olives sont également répertoriées d’après leur région d’origine, Kassianos parle
par exemple de l’huile dite espagnole extraite des olives blanches (Géoponika, IX, 26).
Et on trouve aussi des recettes anciennes pour changer le goût des huiles, comme par
exemple l’huile dite d’Istrie (Géoponika, IX, 27).
Les usages de l’huile et des olives
Conformément aux sources agronomiques anciennes, on tirait de l’olive
plusieurs types d’huiles et plusieurs sortes d’olives à confire. Même si pendant la
période byzantine, les textes qui mentionnent la consommation des olives34 sont
plutôt rares, les sources agronomiques protobyzantines contiennent malgré tout de
précieuses informations. En effet, Kassianos nous livre plusieurs recettes pour la
conservation des olives, en nous parlant tout d’abord du meilleur confit d’olives
(Géoponika, IX, 28), de l’oxymel (Géoponika, IX, 29), du confit d’olive avec du vin doux
(Géoponika, IX, 30), avec du marc de raisin (Géoponika, IX, 31), d’ olives « concassées »
(Géoponika, IX, 32), ainsi que d’un confit d’olive appelé kolumbados (Géoponika, IX,
33).
A cette époque, l’usage de l’huile n’est pas alimentaire. Elle est utilisée pour
les soins du corps et comme médicament, car parallèlement à son rôle dans les soins
corporels, l’omphacium servait également à des fins thérapeutiques, en bain de bouche
contre les gencives putrides.
C’est donc une matière relativement abondante que les traducteurs, syriaques
et Harrâniens, ont à transmettre aux Arabes, un peuple dont on entend parfois dire
qu’il ne connaît l’huile d’olive que par ce qu’en dit le Coran.

L’olivier chez les Arabes : le travail des traducteurs


Les traducteurs face à l’arbre mythique : l’adaptation
Dès le premier extrait des Géorgiques, les traducteurs sont déjà confrontés à
une grande difficulté à savoir le récit mythologique. Car si cette légende est encore
tolérée à Byzance au VIe siècle, qu’en est-il sous le califat abbasside ? Le traducteur
du Kitâb al-Zar‘ a opté par la solution de facilité, il ignore tout simplement le récit de
l’olivier. Il a décidé de ne pas le traduire. C’est l’un des premiers signes d’adaptation
qu’on peut qualifier de naïf, car en procédant ainsi c’est toute une tradition qui a été
gommée. Il a néanmoins choisi de transmettre certains symboles de l’olivier qui ne
vont à l’encontre ni de l’Islam, ni du Christianisme. Il déclare donc que l’olivier est
un arbre éternel et béni.
Quant à Sardjîs ibn haliya, le deuxième traducteur présumé des Géorgiques, il
néglige également le récit des origines de l’olivier, mais il essaie de combler ce vide
en cherchant à adapter les anciens symboles grecs à la nouvelle religion. Si l’olivier
est noble, signe d’éternité, et ne pousse que dans les lieux bénis, alors le prophète lui-
même va vanter les mérites de cet arbre. On est en présence des premières tentatives
préméditées d’adaptation de la matière transmise, comme le prouve l’incorporation
des hadiths. C’est le signe d’un voyage que l’olivier va entreprendre sans risque et à
l’issue duquel les Syriaques ont essayé de remplacer un ancien mythe païen par le

34 KAPLAN (M.), Les hommes et la terre à Byzance du Vie au XIe siècle, Paris, 1992, p.34.
symbolisme de l’olivier dans les trois religions monothéistes. On retrouve en effet le
symbole de la noblesse, de la pureté, de la bénédiction et de la longévité dans les
trois Livres sans exception : dans l’Ancien Testament : « Jacob se leva de bon matin, il
prit la pierre dont il avait fait son chevet, l’érigea en stèle et versa de l’huile au sommet. Il
appela ce lieu Béthel » (Genèse, 28, 18) ; le Nouveau Testament : « «Cinq d'entre elles
étaient folles, et cinq sages. Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d'huile avec
elles; mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. Comme l'époux
tardait, toutes s'assoupirent et s'endormirent. Au milieu de la nuit, on cria : Voici l'époux,
allez à sa rencontre ! Alors toutes ces vierges se réveillèrent, et préparèrent leurs lampes. Les
folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. Les sages
répondirent : Non; il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous; allez plutôt chez ceux
qui en vendent, et achetez-en pour vous. Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva.
Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. Plus
tard, les autres vierges vinrent, et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Mais il répondit :
Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas. Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour,
ni l'heure » (Mathieu, 25, 1-13) » et dans le Coran : « Allah est la Lumière des cieux et de
la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un
(récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat; son combustible vient
d'un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l'huile semble éclairer sans même
que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah
propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient » (le Coran, XXIV, 35).
Mais à peine un siècle plus tard, l’un des plus brillants traducteurs de Harrân,
va non seulement se démarquer de la traduction syriaque mais aussi de la tradition
géoponicienne protobyzantine, et adapter une nouvelle fois la matière transmise. Ibn
Wahshiyya commence tout d’abord par placer l’olivier en tête du Kitâb al-Filâha al
Nabatiyya.
C’est un privilège purement arabo-byzantin, car l’olivier ne va pas connaître
ce même privilège chez les agronomes du bassin occidental. Chez Ibn al-‘Awwâm
par exemple, l’olivier n’occupe qu’un seul article sur les 56 articles du septième
chapitre consacré aux arbres fruitiers de l’Espagne. Chez l’Italien Pierre de Crescent,
on ne traite de l’olivier que dans un des trente-trois chapitres du livre V de sa
compilation intitulée Ruralium commodorum.
Le deuxième effort fourni par le traducteur de Harrân est de garder la place
du récit mythologique même s’il propose une autre version du récit original. Ce
n’est plus Athéna qui a offert le premier olivier à l’humanité, mais Saturne. Il nous
explique que tout ce qui est noir parmi les animaux, les minéraux et les végétaux,
appartient à Saturne (Ibn Wahshiyya, I, p. 12). Et puisque cet arbre produit des olives
noires il est attribué à Saturne. Il ajoute encore que certains y voient plutôt un don
d’al-chi’ra al-yamâniya (Sirius du Yémen) (Ibn Wahshiyya, I, p.18) Mais Saturne est
avant tout le dieu des dieux, le tout puissant, comme l’est d’ailleurs aussi son fils
Jupiter (Ibn Wahshiyya, I, p.18). Il est le dieu de l’agriculture (Ibn Wahshiyya, I, p.
12).
Quand le traducteur établit un rapport entre l’olivier et Saturne, et même s’il
est difficile de faire des supputations sur ses sources agronomiques chaldéennes
écrites, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec des croyances mésopotamiennes
très anciennes mais qui existaient encore à l’époque d’Ibn Wahshiyya35. Car parmi les
divinités astrales de Babylonie et d’Assyrie on trouve Saturne, appelé Kaymânu en
akkadien, ce qui signifie « durable, perpétuel » à cause de la durée de sa révolution
autour du Soleil36. On ne peut donc ignorer la similitude entre ses attributs et ceux de
l’olivier. Ajoutons encore que dans la religion babylonienne, Sag-ush (Saturne) est
aussi l’astre de la justice et du droit. Toutes ces similitudes quasi magiques sont
cependant trompeuses car le Zuhal (Saturne) d’Ibn Wahshiyya n’est pas
mésopotamien, mais plutôt romain37.
À la fin du chapitre, Ibn Wahshiyya nous traduit un poème attribué à un
certain Tala Karnâsh. Dans ce poème, l’olivier apparaît comme un arbre très
narcissique, très sûr de lui quand il vante ses mérites et ses vertus médicinales et
talismaniques. Il rappelle avec une certaine emphase que son dieu n’est autre que
Saturne qui est le tout-puissant et que si certains lieux sont saints, c’est parce qu’il y a
été planté. Comme il est la représentation de Saturne, il faut le prier chaque jour et lui
faire des offrandes. Il est l’éternel. Il faut l’adorer (Ibn Wahshiyya, I, p.35)
Dans une démarche d’authentification de ce poème, on arrive très vite à une
première constatation, il ne s’agit pas d’une adaptation du poème de Virgile, ni de
celui de Palladius38, mais d’une réplique géniale à ce qui est rapporté dans l’Ancien
Testament : « Écoutez-moi, habitants de Sichem, et que Dieu vous écoute ! Les arbres
partirent pour aller oindre un roi et le mettre à leur tête. Ils dirent à l’olivier : Règne sur
nous. Mais l'olivier leur répondit : Renoncerais-je à mon huile, qui m'assure les hommages de
Dieu et des hommes, pour aller planer sur les arbres ? Et les arbres dirent au figuier : Viens,

35 Ibn Wahshiyya avait déjà précisé qu’il avait traduit les Géoponiques nabatéennes à partir de la
langue syriaque ancienne alors qu’il appartenait à la communauté élargie des Kasdéens, une
transcription incorrecte des Chaldéens (Kaldu). Une communauté à propos de laquelle des éminents
assyriologues avancent l’hypothèse qu’il s’agit de tribus sémitiques venues s’installer dans le sud de la
Babylonie, Assâfil Iqlîm Bâbil. C’est après s’être apparentées avec les nouveaux venus, que les
Araméens se sont sédentarisés progressivement et que leur langue a supplanté dans l’usage courant
l’akkadien. Le nom de Chaldée s’est ensuite étendu à toute la Babylonie. J. Bottéro, Mésopotamie, Paris,
1987, p. 348 et p.350.
36 R. Dussaud, Les religions des Hittites et des Hourrites des Phéniciens et des Syriens, Paris, 1949, p.80.
37 Saturnus (romain) ou Cronos (grec). Il est le dieu de l’agriculture dans la mythologie romaine. Fils

d'Uranus et de Tellus, il obtient de son frère aîné Titan la faveur de régner à sa place à condition de
faire disparaître sa postérité. Il épouse Cybèle dont il a plusieurs enfants qu'il dévore avidement.
Cependant, Cybèle parvient à sauver Jupiter. Celui-ci fait la guerre à son père, qu’il vainc et il le
chasse du ciel et le réduit ainsi à la condition de simple mortel. Celui-ci se réfugie en Italie et son règne
est qualifié d'âge d'or. Ses sujets sont gouvernés avec douceur. Pour garder le souvenir de cet âge
heureux, on célébrait les Saturnales à Rome. On lui attribue la faucille qui lui servait à couper la
moisson, à émonder les arbres, à tailler la vigne. Il préside au déroulement du temps. Il est à la fois le
dieu de l'Agriculture, celui qui présidait à l'ensemencement, qui protégeait les semences et le dieu des
engrais. Dans quelques cités helléniques, le mois de la moisson portait le nom de kroniôn; à Athènes,
on célébrait une fête de la moisson appelée kronia; le culte populaire voyait dans Kronos le dieu de la
maturité, de la moisson, de l'abondance.
38 Le premier qui était un peu maladroit, croyant vanter la rusticité de l’arbre, n’a pas réalisé qu’il l’a

rabaissé en disant qu’il n’avait pas besoin de beaucoup de soins pour se développer, Contra non ulla est
oleis cultura ; neque illae procuruam exspectant falcem rastrosque tenacis, cum semel haeserunt artuis aurasque
tulerunt (Virgile, II, 420-423). Quant à Palladius, à la fin de son livre, on trouve un poème sur la greffe.
Après avoir parlé de la vigne il chante l’oléastre qui donne l’olivier cultivé, Robora Palladii decorant
silvestria rami, Nobilitat partus bacca superba feros. Feccundat sterilis pingues oleastrer olivas, et quae non
novit munera ferre docet (Palladius, XIV)
toi, règne sur nous. Mais le figuier leur répondit : Renoncerais-je à ma douceur et à mon
excellent fruit, pour aller planer sur les arbres ? Et les arbres dirent à la vigne : Viens, toi,
règne sur nous. Mais la vigne leur répondit : Renoncerais-je à mon vin, qui réjouit Dieu et les
hommes, pour aller planer sur les arbres ? Alors tous les arbres dirent au buisson d’épines :
Viens, toi, règne sur nous. Et le buisson d'épines répondit aux arbres: Si c'est de bonne foi
que vous voulez m'oindre pour votre roi, venez, réfugiez-vous sous mon ombrage; sinon, un
feu sortira du buisson d'épines, et dévorera les cèdres du Liban. »

L’huile d’olive chez les traducteurs


De la culture à la récolte
Dans le Kitâb al Zar’ le traducteur n’a apparemment pas rencontré de
problèmes majeurs pour traduire les chapitres consacrés à l’engrais (Kitâb al-Zar‘, VI,
10) ou à la taille de l’olivier (Kitâb al-Zar‘, VI, 20). Par contre, le mode de plantation
de l’olivier semble avoir été un casse-tête. Il nous décrit néanmoins les conditions
idéales de la plantation de l’olivier, le moment de cette plantation (Kitâb al-Zar‘, VI,
2) le sol lui convenant (Kitâb al-Zar‘, VI, 2), l’irrigation (Kitâb al-Zar‘, VI, 10), la
préparation des fosses pour le planter (Kitâb al-Zar‘, VI, 3) ainsi que comment
combattre les maladies et les insectes (Kitâb al-Zar‘, VI, 6). La traduction des chapitres
parlant de la multiplication est assez confuse. On remarque d’ailleurs que l’ordre de
ces chapitres n’a pas été respecté dans la traduction.
Et pour combler cette lacune, il faut attendre la deuxième traduction, où non
seulement le traducteur nous transmet les différents procédés de multiplication,
notamment par « rejeton »39 ((Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya, VI, 4) mais où il préconise au
nom de Kassianos la multiplication par bouturage (Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya, VI, 4). Il
renoue ainsi avec l’enseignement des anciens.
Quant à Ibn Wahshiyya, il a rencontré de gigantesques difficultés à expliquer
la culture de l’olivier d’après un enseignement agronomique pseudo nabatéen. Ses
préceptes manquent étrangement de fondements, et à divers endroits du chapitre il
tente même de s’esquiver en précisant que les enseignements qu’il donne à propos de
l’olivier ne s’appliquent pas à toutes les contrées, car il faut tenir compte des
différences climatique et géographique et astrologique (Ibn Wahshiyya, I, p.35). Ceci
explique la perturbation, non pas dans l’ordre des feuillets comme l’a confirmé Toufy
Fahd40, mais dans la manière qu’a choisi Ibn Wahshiyya d’adapter la matière
transmise. Cependant, et bien que d’une manière assez sommaire, Ibn Wahshiyya
nous parle d’un nouveau type de greffage, l’entage du cédratier sur l’olivier (Ibn
Wahshiyya, I, p.13), des contrées et des vents qui conviennent à l’olivier (Ibn
Wahshiyya, I, p.22-24), des fosses à creuser pour les jeunes plants (Ibn Wahshiyya, I,
p.22), des différents traitements des maladies de l’olivier. Il cite même six maladies,
et parmi elles les maladies accidentelles. Il nous montre comment remédier aux
maladies dues à la sécheresse, aux vents et les maladies dues à l’urine d’un ours,
ainsi que les maladies dues à des champignons (Ibn Wahshiyya, I, p.28-32).
La fabrication de l’huile

39 En Tunisie on nomme le “rejeton” Zannû, qui veut dire le bâtard.


40T. Fahd, op.cit., p.293
En ce qui concerne la fabrication de l’huile, les traducteurs syriaques ont
également fait remarquer que l’olive n’était pas le seul fruit dont on tirait de l’huile,
ils ont cité l’huile tiré de l’arbre appelé térébinthe, du sésame et de la noix . Ibn
Wahshiyya par contre, traite de l’huile de sésame à un autre endroit (Ibn Wahshiyya,
I, p.524).
Ils ont aussi fait le lien entre la manière de récolter les olives et la qualité de
l’huile en recommandant, comme les auteurs antiques, de bien choisir le moment de
la récolte et de cueillir les olives à la main (Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya, VI, 8 ). Ils
perpétuent la même tradition, à savoir que la cueillette doit être faite par des jeunes
garçons non encore pubères (Kitâb al-Filâha al-Rûmiyya, VI, 1). Ibn Wahshiyya par
contre ne parle pas de la cueillette mais bien de la culture, qui doit être confiée de
préférence à des hommes entre la trentaine et la vieillesse (Ibn Wahshiyya, I, p.33). Il
ajoute qu’il est interdit à une femme qui a ses règles de toucher l’arbre, et la même
recommandation s’applique à un homme souillé. Il appelle souillé un homme ou une
femme qui ont touché un cadavre d’animal, et surtout un cadavre humain. Si l’on
transgresse ces règles, l’arbre ne donnera plus de fruits ou pire encore l’olivier
portera des fruits mortels (Ibn Wahshiyya, I, p.33)
Quant à l’extraction de l’huile, les traducteurs syriaques ont rapporté ce qu’ils
ont trouvé dans le chapitre consacré à l’huile dite omphakinos. Les olives sont d’abord
concassées grossièrement dans un broyeur, probablement de forme circulaire. Puis,
on laisse reposer la pâte dans des sacs41, de façon à se que l’huile s’en écoule
naturellement, c’est ce qu’on appelle l’huile de première pression (huile de pulpe)42.
Ensuite, on exerce une pression sur les sacs de façon à obtenir une huile de deuxième
pression. Et en accentuant encore cette pression, on obtient une huile de rebroyage,
mais dont il faut éliminer les margines. Une fois l’huile obtenue, il est conseillé de la
conserver dans des bonbonnes en verre, car c’est la meilleure manière de stocker
l’huile.
La fabrication de l’huile est absente du livre d’Ibn Wahshiyya, si ce n’est une
allusion à l’huile blanche (Ibn Wahshiyya, I, p. 27). Toutefois il nous fait remarquer
que l’extraction est un sujet très complexe (Ibn Wahshiyya, I, p.10). En ce qui
concerne les différentes variétés d’huiles, les traducteurs syriaques n’ont traduit que
le chapitre sur l’omphakinos (Kitâb al-Zar‘, VI, 13). En revanche, ils nous ont transmis
les différents traitements à réserver aux huiles défectueuses comme l’huile rance
(Kitâb al-Zar‘, VI, 16) fétide (Kitâb al-Zar‘, VI, 17), bourbeuse (Kitâb al-Zar‘, VI, 18) ou
bien infectée par une souris ou un autre animal (Kitâb al-Zar‘, VI, 19).
L’huile et l’olive : les usages
Les traducteurs syriaques ont rencontré beaucoup de difficultés à traduire
l’usage alimentaire des olives, car cet usage n’était pas généralisé à leur époque. En
effet parmi les six recettes de confits, ils ne nous en ont transmise qu’une seule (Kitâb
al-Zar‘, VI, 22). Quant à Ibn Wahshiyya, qui n’a cité aucune salaison, il nous explique
qu’il se limite à la traduction des textes qui se rapportent à l’agriculture (Ibn
Wahshiyya, I, p.20). Pourtant il se contredit quand il consacre tout un passage aux
propriétés de l’olivier, aux bienfaits médicinaux et talismaniques des racines de

41 Dans l’original grec on parle de , et le traducteur a choisit le mot Zinbîl (‫)زنبيل‬. La traduction
de ce terme par scourtin ne s’impose pas d’emblée..
42 En Tunisie on appelle cette huile Zayit ndhûh (‫)زيت نضوح‬.
l’olivier, de ses feuilles, de sa cendre, de son huile, du noyau et tout ce qui concerne
le greffage de l’olivier sur d’autres arbres (Ibn Wahshiyya, I, p.36-47) et notamment le
cédratier (Ibn Wahshiyya, I, p.13)43. Sans oublier au passage, de parler de l’usage de
l’huile pour l’éclairage. Quant aux traducteurs syriaques, ils font allusion aux soins
du corps à l’occasion de la fabrication d’une huile sucrée et douce (Kitâb al-Zar‘, VI,
14). Tout ceci indique clairement qu’à l’époque classique arabe, l’huile d’olive occupe
une place plus importante dans les pratiques médicinales que dans les habitudes
alimentaires.

Conclusion
En guise de conclusion, on peut donc avancer que le voyage de l’olivier de
l’Antiquité classique au Haut Moyen-âge ou Age classique arabe, a été bien moins
périlleux que certains l’ont pensé et même exprimé tout au moins si l’on se base sur
les sources théoriques.
L’arbre a traversé la Méditerranée vers un nouveau territoire, plus éloigné
encore. Il s’est aventuré dans un nouvel espace géographique, relativement hostile,
où le climat et le sol ne lui sont pas propices. En revanche, le contexte socioculturel
lui a été très accueillant. Mieux encore, l’olivier a su profiter des clivages ethnique et
religieux au temps des premiers Abbassides, de l’ambiance de la shu’ûbiyya entre al-
‘Arab et al-‘Adjam, des querelles confessionnelles entre Araméens et Syriaques, entre
les chrétiens de la Syrie et les Sabéens de l’Irak. Il a su préserver le respect, l’estime et
l’honneur qui lui ont toujours été réservés, parce qu’il est avant tout un arbre béni
par tous les dieux.
Si le voyage de l’olivier s’est passé sans problèmes dans les écrits agricoles,
qu’en est-il de son voyage sur le terrain ?
Une première remarque s’impose : si les traducteurs ont réussi à adapter la
matière transmise, c’est qu’ils disposaient d’un lexique arabe approprié. Bien qu’ils
sont partis d’un ensemble d’expériences méditerranéennes, d’un recueil théorique de
préceptes, il n‘empêche que tout ce qu’ils ont traduit appartient également au
domaine de l’histoire. Certes ils ont transmis une matière ancienne, mais en même
temps, ils y ont ajouté les techniques d’actualisation et d’adaptation de l’héritage
gréco-romain et ensuite protobyzantin au milieu où ils vivaient.
L’étude des textes anciens, de leurs traductions et de leurs adaptations nous
ramène tout naturellement à la polémique sur la décadence de la culture de l’olivier
au Moyen-Âge ! Le problème devient plus aigu encore lorsque cette polémique est
transposée au Maghreb, où l’on établit trop facilement un lien entre décadence et
nomadisme. En fait, au fil des périodes historiques, l’olivier est passé du statut de
culte et de commerce intérieur à petite échelle à celui de denrée commerciale à plus
grande échelle, l’échelle méditerranéenne, des échanges qui ne peuvent être garantis
que par des empires possédant les moyens et les structures nécessaires pour réaliser
leurs ambitions. A l’orée de l’âge classique arabe, les agronomes ont bien compris
que l’olivier n’est plus une culture spéculative et que sa vocation s’est élevée aux
sphères de la médecine et du bien-être pour quitter celles du grand négoce, sa
carrière commerciale n’ayant été que le reflet d’une époque.

43
Il n’est pas exclu que le traducteur ait eu recours aux sources théosophique de son époque,
notamment le livre d’Apollonios de Tyane, le Balînâs des Arabes.
Faut-il en conclure que l’olivier a amorcé une décadence avec la conquête
arabe ou l’arrivé des Hilaliens ? La réponse à cette question est bien évidemment
mitigée : l’olivier va retrouver son honneur, entaché par les visées spéculatives.
L’olivier est de nouveau symbole de paix et de réconciliation, et non plus de profit et
d’hégémonie44. Quand les Arabes sont entrés en Ifriqiya, l’olivier avait bouclé son
cycle, et l’arbre béni avait non seulement retrouvé son territoire normal45 mais
également sa vocation originelle.

44
Quand on évoque l’olivier au Moyen-Âge, on se réfère souvent au sort qu’Al-Kahina lui a réservé.
Selon certaines sources tardives, la princesse berbère aurait en effet fait brûler les oliveraies pour
remporter la guerre qu’elle menait contre les Arabes, les nouveaux venus. Mais en réalité, la guerre de
l’olivier ne s’est pas menée sur le terrain, mais dans les écrits. C’était une guerre qui se reproduisait, à
plus d’un siècle d’intervalle, entre deux symboles de l’olivier : l’hégémonie et la paix. Si l’on se place du
côté des Berbères, ils ont brûlé les oliveraies parce qu’ils refusent une nouvelle hégémonie. Si l’on se
place du côté des Arabes, si la princesse berbère a fait brûler les oliveraies, c’est parce qu’elle refuse la
paix.
45 Quand les sources juridiques classiques parlent de Zaytûn djâlî, il faut y voir plutôt l’olivier non

soigné et non pas l’olivier à l’abandon. En effet, et en l’absence de commerce spéculatif, l’oléiculteur
revient à un vieil enseignement, l’olivier ne demande pas beaucoup de travaux. De plus, il ne se soucie
pas d’améliorer le rendement. Ce que cet arbre va produire, suffit à un commerce à petite échelle. Il est
probable qu’il donne des soins à la première ceinture d’oliviers, la deuxième ceinture ne bénéficiant
d’aucun soin. L’Al-Zaytûn al-Djâlî se situe donc à la frontière entre le pâturage des Nomades et les
oliveraies des Sédentaires. Chacun de son côté tient à ce qu’on respecte cette frontière même s’il ne y a
pas d’accord entre eux.

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