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Analyse historique du développement

éonomique
Enseignant: David Cayla
Contact: david.cayla@univ-angers.fr
Bureau 216
1. Introduction
1.1 Histoire de l’économie ou histoire des hommes ?
• Analyser l’économie revient à répondre à deux grandes questions.
1. Comment produire ?
 Comment gérer et économiser les ressources ?
 Comment organiser le travail et la production ?
 Comment inventer et innover pour améliorer la manière de produire.
2. Comment partager cette production ?
 Tout partage implique une hiérarchie sociale, des conflits et souvent, aussi, un élément arbitraire.
 Mais tout partage doit aussi permettre la survie du système économique, c’est-à-dire, au
minimum, la survie des individus qui y participent.
• Ces deux questions sont dépendantes l’une de l’autre.
 L’esclavage, le servage, le salariat constituent à la fois des manières de produire et de
partager.
 Ces deux questions doivent donc avoir des réponses cohérentes: elles forment un
système économique.
1. Introduction
• Au cours du temps, les hommes ont amélioré leur manière de produire. Les sociétés,
devenant plus riches, sont également devenues plus complexes.
 Naturellement, plus la production de richesses est efficace, plus les possibilités de
répartition peuvent être variées et complexes.
 Dans les sociétés paléolithiques un partage relativement égalitaire est une condition de
survie. Mais dès que les sociétés deviennent capables de produire plus que le minimum
vital, elles sont confrontées à un choix de répartition, et donc établissent des règles, des
systèmes politiques… qui vont préciser l’utilisation de ce surplus.
 Dès qu’une société produit plus que ce qui lui faut pour survivre, elle peut donc faire la
guerre, construire des bâtiments religieux, créer des œuvres d’art, bâtir des villes, faire de
la science, explorer l’espace…
 L’histoire telle que nous la connaissons est donc d’abord une histoire économique.
Aucune grande bataille, aucune œuvre, aucun système politique ne peut exister sans une
infrastructure économique suffisamment efficace pour l’entretenir.
1. Introduction
Étudier l’histoire économique ce n’est pas seulement apprendre des faits, mais
comprendre des dynamiques et des logiques.
– La crise économique des années 30 n’est pas simplement un évènement historique.
Elle a des causes, des conséquences et une logique propre.
– Comment la révolution industrielle s’est-elle propagée en Europe et le reste du
monde ?
– Pourquoi des puissances comme l’Inde ou la Chine ont-elles sombrées dans le sous-
développement au cours du XIXème siècle ?
– Comment la croissance des « trente glorieuses » a-t-elle pu être possible ? Pourquoi
s’est-elle achevée ?
– Pourquoi le manque de bois en Angleterre a-t-il failli mettre un terme à la révolution
industrielle naissante ?
– Tenter de répondre à ces questions c’est aussi tenter de répondre à des questions
d’actualité (fin du pétrole, puissances émergentes, crise des « subprimes »…).
1. Introduction
1.2 Y a-t-il des lois dans l’histoire économique ?
• Issac Asimov, auteur de science-fiction et inventeur de la "psychohistoire" (cycle de
Fondation): les grandes évolutions des sociétés composées de milliards d’individus
seraient prévisibles, tout comme le comportement de la matière est prévisible à
partir des statistiques sur les comportements des éléments.
• Civilization (jeu d’ordinateur): Les sociétés humaines doivent, pour se développer,
passer par un certain nombre d’étapes qui leur permettraient de parvenir de l’âge de
pierre à l’âge spatial.
1.2.1 Les trois grandes étapes de l’histoire économique
• On peut diviser l’histoire économique en trois grandes périodes qui impliquent trois
types de « lois »
– Au cours du paléolithique, il n’y a peu d’évolution économique (mais il y en a quand
même. Ex de l’invention de l’art rupestre, de l’arc…). Les sociétés humaines ont à peine
la capacité de se reproduire à l’identique.
1. Introduction
– L’invention de l’agriculture au cours du néolithique transforme le mode alimentaire et
culturel des sociétés. Ce sont des sociétés agricoles dont l’évolution est principalement
déterminée par l’amélioration des techniques agricoles. L’évolution économique suit donc
une loi simple:

Plus l’agriculture est efficace, moins elle emploie de monde, plus les
villes se peuplent et plus de la main d’œuvre est disponible pour
d’autres activités.

– L’industrialisation de l’Angleterre, puis de l’Europe, et aujourd’hui du reste du monde obéit à


d’autres lois. Ce sont les modes de production, de répartition et de contrôle qui
déterminent l’évolution économique. L’évolution de l’économie contemporaine apparaît
aujourd’hui, largement indépendante des contraintes des ressources primaires (agriculture,
matière 1ère, énergie…). Elle est en revanche dépendante des forces sociales et politiques qui
tentent d’agir sur elle.
– Vers une quatrième phase ? la gestion de la rareté des ressources.
1. Introduction

Source: Michel Aglietta (2012): conférence à l’université d’Angers


1. Introduction
1.2.2 L’approche marxiste des modes de production
– Dans cette approche, les sociétés humaines sont organisées en modes de production. Ces
modes de production possèdent des caractéristiques propres qui déterminent la manière
dont est produite et répartie la richesse.
 Les mode de production mettent en œuvre des forces productives qui dépendent de trois
paramètres: les degrés de compétence, de collectivisation et de mise en œuvre. Ces forces
productives déterminent la manière dont la société exploite son environnement naturel.
 Certaines sociétés antiques étaient esclavagistes. La société capitaliste est fondée sur le
salariat… A chaque fois, ces manières d’organiser le travail impliquent des niveaux de
compétences, de collectivisation et de mise en œuvre différents.
 Le mode de production détermine les classes sociales en fonction de la répartition sociale de
l’activité productive (par exemple, qui apporte le travail et qui apporte le capital…)
1. Introduction
 Les relations entre les forces productives, les rapports sociaux et économiques, constituent
l’infrastructure du système économique. La superstructure correspond aux institutions légales
et juridique, au système politique ou culturel.
 Un mode de production correspond donc à un système cohérent capable de mettre en œuvre
des forces productives suffisamment efficaces pour exploiter son environnement naturel
(rapport hommes/nature), mais également d’installer un système politique et juridique qui
permette à ce mode de production de se perpétuer (rapport hommes / hommes).
 Or, l’infrastructure évolue (principe dialectique): les rapports sociaux changent, les forces
productives peuvent nécessiter de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles classes sociales
peuvent émerger… Pour Marx, les modes de productions disparaissent ou se transforment
lorsqu’il existe une contradiction trop forte entre l’infrastructure et la superstructure.
 Parfois, le système politique et juridique qui a permis d’organiser les forces productives
s’effondre et génère un nouveau système : c’est une révolution. Ex. de 1789.

Ref. pour cette partie: Jean-Pierre Doujon 1990 - Histoire des faits économiques et sociaux, PUG, 124 p.
1. Introduction
1.2.3 Vers la fin de l’histoire ?

• A la fin des années 1980, constatant l’échec du système communiste et la fin des dictatures
en Europe du sud et en Amérique Latine, Francis Fukuyama (1952- ) énonce l’idée de la
« fin de l’histoire ».
• Pour cet auteur, la démocratie libérale constituerait le point d’achèvement de l’évolution
socioculturelle de l’humanité.
• Cette « fin de l’histoire » ne signifie pas la fin des évènements historiques, ni la fin des
crises économiques, mais simplement que l’humanité serait parvenue au système
productif le plus performant possible et que la démocratie libérale de marché finira par
s’imposer à tous les pays du monde.
• Une thèse non encore vérifiée.
1. Introduction
1.3 En somme…
• Dans le cadre de ce cours, nous n’allons pas chercher à déterminer des lois
générales pour expliquer l’évolution des systèmes économiques mais nous allons
plus modestement étudier des faits économiques, ou plutôt tenter de caractériser
les dynamiques, les évolutions et les ruptures de l’histoire économique.
1. Introduction
2. Fonctionnement et évolution des
sociétés préindustrielles
2.1. Introduction
• Jusqu’à la révolution industrielle, l’histoire économique repose sur deux dimensions
principales:
– Le rapport à la nature qui s’inscrit dans l’évolution des techniques agricoles (2.2)
– Les relations humaines qui dérivent du rapport marchand (2.3)

2.2 Fonctionnement et transformations des sociétés agricoles


• L’histoire économique commence bien avant l’invention de l’écriture. Elle s’inscrit d’abord dans
la manière dont les sociétés humaines exploitent leur environnement naturel pour répondre
aux besoins vitaux de ses membres (se nourrir, s’abriter, se chauffer, se vêtir…) et également
pour produire le « superflu » qui les caractérise (enterrement des morts, peintures rupestres…)
• La « révolution cognitive » selon Yuval Noah Harari (70 000 av JC)
• L’écriture apparaît vers 3300 av. JC en Mésopotamie et un siècle plus tard en Egypte, mais les
sociétés dans lesquelles elle apparaît sont déjà des sociétés évoluées d’un point de vue
économique et social.
2.2.1 Le néolithique: l'invention de l'agriculture
• La fin de l’époque paléolithique (de -15 000 à -9 000) est marquée par un
réchauffement progressif qui améliore les conditions de vie des populations humaines
de l’hémisphère nord: c’est le mésolithique. L’Europe se couvre de forêts. Les
techniques de chasse s’améliorent avec la généralisation de l’usage de l’arc. Un début
de culture d’espèces sauvages apparaît. Dans certaines régions on constate les débuts
d’une industrie céramique.
• L’apparition du néolithique se produit à partir de plusieurs foyers indépendants entre
9000 av. JC et 3000 av. JC.
• Le néolithique (ou « l’âge de la nouvelle pierre ») se caractérise par:
– La généralisation de la pierre polie. Les outils sont plus effilés et tranchants, ils sont donc
plus efficaces.
– La généralisation de l’usage de la céramique
– La maitrise de la production du feu (son usage est antérieur à homo sapiens, vers 500 000
ans av JC)
– La domestication de plantes vivrières et d’animaux d’élevage (le chien a été domestiqué
au cours du paléolithique) qui donne naissance à une véritable agriculture.
– La sédentarisation progressive des populations.
– L’usage du bronze se généralise quelques milliers d’années plus tard en Asie, au Moyen
orient puis en Europe (3000 av. JC à 1000 av. JC).
• Les principaux foyers d’apparition du néolithique sont:
– Autour de -9000, le foyer de Mésopotamie et d’Egypte (le « croissant fertile ») qui
permet de domestiquer le mouton, la chèvre, le bœuf, l’âne, le dromadaire et le
porc et de cultiver le blé, l’orge et des légumineuses (pois, lentilles, lin). Ce foyer
néolithique s’est ensuite étendu à la Méditerranée et à l’Europe.
– En Chine vers -8500 se développe la culture du millet, du riz du choux et l’élevage
du porc.
– En Inde, vers -6000 le néolithique permet de domestiquer la volaille et le buffle.
– L’Afrique subsaharienne, à partir de -5000 permet de développer la culture du mil,
du sorgho et de l’igname.
– En Amérique, à partir de -5000, le néolithique permet de domestiquer le maïs, la
pomme de terre, le haricot, le dindon, les camélidés, les cochons d’inde…
• L’apparition des villes et des premières civilisations
– Au paléolithique l’apparition des villes était impossible. Pour qu’il y ait ville, il faut un surplus
vivrier stockable et transportable.
– Or, la population était nécessairement clairsemée. Pour P. Bairoch, 1 km² pouvait faire vivre,
selon le climat:
• 2-3 habitants dans les zones tropicales
• 0,1 habitants dans les régions tempérées
• 0,003 habitants dans les régions arctiques.
– Ainsi, en Europe, nourrir une ville de 1000 habitants, en faisant l’hypothèse d’un surplus de
10% et en tenant compte des coûts de transport, aurait nécessité une superficie de 200 000
km², soit la taille de la Grande Bretagne.
– Le passage au néolithique permet de multiplier les rendements agricoles par 100. Les
premières sociétés agricoles peuvent en effet nourrir 10 à 20 habitants par km² en région
tempérée. Paradoxalement, le néolithique entraîne une baisse de la productivité du travail.
Selon Mark N. Cohen (1977), il fallait 800 à 1000h de travail par an pour nourrir une personne
dans les sociétés préagricoles. Avec l’invention de agriculture, le volume de travail augmente à
1000-1300h.
 Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, 1972 [1976]
 Mark N. Cohen, Food Crisis in Prehistory: Overpopulation and the Origins of Agriculture, Yale University Press,
1977.
– Le néolithique permet donc une explosion démographique. La population mondiale
passe de 15 millions vers -8000 à 200-350 millions d’habitants en l’an 100. En
moyenne, le taux de croissance démographique s’établit à 0,04%, soit un taux 10 fois
plus rapide que lors du paléolithique (0,004%).
– L’apparition des villes entraine la sédentarisation définitive d’une partie de la société,
ce qui permet de constituer un réseau de communication et d’échanges et donc
favorise le développement de l’artisanat et des relations commerciales.
– Les villes structurent le territoire autour d’elles. Elles impliquent un État, un pouvoir
politique et une armée, c’est-à-dire une société organisée.
– Vers l’an 100, 90% de la population mondiale vit dans une région soumise à l’influence
urbaine, c’est-à-dire dans une civilisation.
• L’abattis-brûlis
– Les premières formes d’agriculture n’impliquent pas nécessairement la sédentarisation
des populations ou l’appropriation privée des terres: l’abattis-brûlis repose sur un
élevage pastoral nomade et la culture de parcelles de forêt préalablement brûlées.
– Ce type d’agriculture nécessite une rotation des terres cultivées tous les 20 ans
environ (le temps que la forêt repousse). Elle est néanmoins suffisante pour faire
apparaître une population non agricole urbaine.
– La civilisation Mycénienne (1500 à 1100 av. JC) est une société fondée sur ce type
d’agriculture. Elle est constituée de petits États indépendants organisés autour d’un palais.
Elle maitrise le bronze et cultive la vigne et l’olivier (qui ne nécessitent pas de brûlis).
– C’est également une société guerrière car la puissance de l’État dépend de la profondeur
territoriale de celui-ci. Néanmoins, le territoire est difficile à contrôler et l’agriculture est très
dépendante des conditions climatique (pas d’irrigation).
• L’âge du fer et l’agriculture attelée légère
– La métallurgie du fer marque un tournant socio-économique majeur. Le fer est à la fois bien
plus efficace (en particulier pour la guerre) et bien plus difficile à produire que le bronze (un
alliage de cuivre et d’étain). Sa température de fusion dépasse les 1500° C.
– La métallurgie du fer nécessite donc plus de ressources, plus d’énergie, de travail et doit
donc s’appuyer sur une agriculture plus efficace: l’agriculture attelée légère.
– Cette agriculture est caractérisée par l’invention de l’araire et l’apparition d’animaux de
trait.
– La terre peut à présent être appropriée et valorisée (notion de terroir). Les agriculteurs
deviennent attachés à la terre. En se sédentarisant, ils deviennent également plus facilement
contrôlables (généralisation de l’esclavage).
Les palais de la
civilisation
mycénienne

(1500-1100 av.
J.C.,
âge du bronze)
Comment réduire le minerais de fer dans un bas fourneau
traditionnel?
– Les cités grecques sont le produit de ce type d’agriculture. Les cités rassemblent
des propriétaires fonciers qui constituent la classe aristocratique au pouvoir ainsi
que des artisans et commerçants (auparavant itinérants) dont certains sont libres
et parfois riches. Les cités accueillent également une importante population
d’indigents.
– La population qui exploite les terres est bien souvent esclave. Il faut compter
quatre esclaves pour un homme libre environ.
– La société grecque est également guerrière. A la différence de ses voisins, son
armée est constituée d’hommes libres.
– Un système démocratique apparaît comme l’organisation naturelle d’une société
de propriétaires / militaires égaux. Cependant, cette égalité est instable. En effet,
l’appropriation privée des terres permet une concentration de la propriété
foncière qui sabote les bases démocratique de la société (cette concentration
entraîne une répartition de plus en plus inégalitaire des terres).
– Plus tard, la société romaine (très proche de la société grecque) abandonnera la
République, le pouvoir politique basculant du côté des riches propriétaires
fonciers au détriments des citoyens romains appauvris (fin de la République). [cf. J-
P Doujon 1990, diapo 9]
• La période médiévale et l’apparition de l’agriculture attelée lourde
– Avec la chute de l’Empire romain et les « grandes invasions », l’agriculture européenne se
réorganise autour de fiefs seigneuriaux.
– Pendant le haut moyen-âge (500 – 1000 ap. JC), l’autorité royale est faible. Chaque domaine est
géré par son seigneur qui possède des terres auxquelles sont attachés des serfs, lesquels
doivent taille (après l’an 1000) et corvée au seigneur, ainsi que la dime pour l’Eglise.
– Les guerres seigneuriales sont fréquentes et nuisent aux progrès de l’agriculture.
– La période entre 1000 et 1300 ap. JC est caractérisée par le renforcement du pouvoir royal et
l’apparition d’importantes innovations techniques qui augmentent:
Les rendements agricoles…
• La métallurgie se développe et permet l’amélioration des outils agricoles.
• L’apparition de la charrue (venant de Chine) et l’usage de la herse permettent de mieux cultiver les
sols lourds du nord de l’Europe que l’araire.
• Le pâturage se développe sur les terrains communaux. La taille des troupeaux augmente. L’utilisation
de la fumure permet de fertiliser les sols.
… et la productivité du travail
• Utilisation du fléau, de la faux
• L’attelage est amélioré, le cheval remplace progressivement le bœuf comme animal de trait.
– Les seigneurs investissent dans leur domaine foncier en développant les terres
arables (défrichage, assèchement des marais…) et en construisant du capital collectif
(pressoirs, moulins à eau et à vent, ponts, fours collectifs…)
• Trois types d’agriculture sont pratiqués en Europe (et en France).
– L’assolement triennal sur les sols lourds et profonds d’Europe du nord.
• Rotation des culture: céréale riche d’hiver (blé) / céréale pauvre de printemps (orge, avoine) ou
légumineuse (pois, lentille…) / Jachère
• Utilisation de la charrue
• Champs ouverts ou « openfield », donc organisation collective du village pour les travaux agricoles
(droits de passage, etc.)
• Terrains communaux publics qui servent au pâturage, à des cultures complémentaires.
– L’assolement biennal caractérise les sols légers de la méditerranée. La rotation des
cultures se fait sur un cycle de deux ans. L’araire sera utilisée jusqu’au début du
XXème siècle.
– Dans les régions humides (nord ouest de la France, ouest de l’Angleterre) ou dans les
massifs alpins, c’est le bocage: des champs clos par des haies ou des murets. Cette
configuration limite l’érosion des sols et les haies permettent de cultiver des arbres
fruitiers et des baies.
Terrains communaux: bois,
pâturages, marais, landes…

Finage: champs labou-


rés en « openfield »

Village
et
jardins

Forêt seigneuriale
Forêt seigneuriale
• Le moyen âge en Europe: Un essor agricole considérable…
– L’agriculture du moyen-âge bénéficie de l’optimum climatique médiéval (950 – 1300 ap. JC).
– Le renforcement du pouvoir royal permet de limiter les guerres seigneuriales. Les
expéditions militaires touchent peu les populations locales européennes (croisades).
– La croissance des rendements et de la productivité agricole permettent de multiplier la
population non agricole et de développer l’artisanat, la métallurgie et la construction
(châteaux fort, églises, cathédrales…).
– Même si le blé reste la base alimentaire, l’alimentation se diversifie y compris chez les classes
les plus pauvres.
– La population s’accroit rapidement et l’urbanisation progresse. Sur le territoire français, la
population passe de 8-9 millions vers l’an 1000 à 16 millions en 1250 (28 millions en 1789).
Les surfaces agricoles progressent d’environ 15% sur cette période au détriment des forêts et
des zones humines.
– Les villes deviennent les lieux de commerce importants, notamment dans les foires du nord
de l’Europe (Champagne, Flandres, Paris, Lyon…). De nombreuses villes deviennent
« franches » (libres): elles rachètent (ou conquièrent) leur liberté au seigneur des terres et
s’administrent elles-mêmes. Certaines ville-Etat deviennent très puissantes comme Venise (la
République de Venise est gouvernée par une oligarchie dès le moyen âge).
– A la fin du XIIIème siècle, près de 20% de la population européenne est urbaine. Une ville
comme Paris compte 200 000 habitants.
• Mais qui butte devant des contraintes physique et politique
– Malgré des progrès certains, l’agriculture du moyen-âge est peu productive: les sols sont
appauvris par la surexploitation. Sans engrais, les rendements sont 10 fois plus faibles
qu’aujourd’hui.
– A la fin du XIIIème siècle, les surfaces cultivées plafonnent. La réduction de la taille des forêts
rend le bois de chauffage et de construction plus cher.
• En France, Philippe le Bel crée l’administration des eaux et forêts en 1291 qui est chargé de protéger la forêt
et de limiter son exploitation sauvage (aujourd’hui ONF).
– La guerre de cent ans (1337-1453) décime la chevalerie française et désorganise l’Etat.
– La Grande peste (1348 - 1352) dévaste l’Europe. La population européenne est réduite de 30%
environ. Les villes se dépeuplent, des terres sont laissées à l’abandon. De nouvelles épidémies
apparaissent environ tous les 15 ans au XIVème siècle. En France, la population tombe à
environ 12 millions en 1400.
– Ces épidémies vont avoir des effets durables:
• Disparition presque totale du servage en Europe occidentale et apparition d’exploitations indépendantes.
Un certain nombre d’agriculteurs possèdent une partie de la terres qu’ils cultivent.
• Augmentation des salaires et de la productivité (plus de surface est disponible par habitant). Les salaires
réels doublent. Ils ne feront que baisser jusqu’au début du XIXème siècle. En Angleterre, il faudra attendre
1878 pour que les salaires dépassent le niveau atteint au milieu du XVème siècle.
• Conclusions:
– L’évolution des sociétés préindustrielles est largement dépendante des progrès de
l’agriculture. Plus les rendements augmentent, plus la population croît, plus la
productivité augmente, plus la civilisation s’urbanise et s’enrichie.
– Le type d’agriculture pratiquée détermine le type de société et l’organisation du
travail (esclavage, servage, agriculteurs indépendants…). La diffusion des progrès
agricoles au moyen-âge est liée aux conditions socio-économiques qui caractérisent
l’organisation productive féodale.
– La part de la population non agricole est cruciale pour le développement. En effet, à
mesure que l’agriculture s’améliore, les outils se complexifient et nécessitent une
main d’œuvre non agricole de plus en plus nombreuse.
– Néanmoins, il existe des phases de stagnation. Jusqu’au 18ème siècle, malgré la mise
en culture de nouvelles plantes (pomme de terre, haricot…), la population sur le
territoire français plafonne à 20 – 21 millions.
– Malgré les progrès de l’agriculture, les rendements agricoles du moyen-âge en
Europe ne sont pas suffisants pour permettre un véritable décollage économique. La
révolution industrielle devra s’appuyer sur une révolution agricole afin de libérer
suffisamment de main d’œuvre pour l’industrie.
2.3 Une brève histoire de la relation marchande
• Si le rapport à la terre et les techniques agricoles permettent d’appréhender les
contraintes physiques qui pèsent sur les sociétés préindustrielles, l’étude des relations
marchandes permet de mesurer l’évolution culturelle qui a permis l’émergence de
« l’esprit du capitalisme ».
– Le capitalisme n’est pas un système naturel. Le marché est une institution qui s’inscrit dans
l’histoire et la relation marchande un type particulier de rapport social. Les idées de profit, de
capital, d’accumulation, sont des constructions sociales et culturelles qui ont émergé au cours
de l’histoire.
• Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs le don ritualisé (ou potlatch) est tout autant
une manière d’échanger que de tisser des liens sociaux. Le don transmet une obligation
qui implique un don de valeur égale en retour.
– Mais la valeur d’un bien n’est pas marchande, c’est-à-dire déterminée socialement. Elle est
individuelle, sentimentale et donc subjective. La valeur de l’échange implique une relation
entre le donneur et son bien qui se transmet lors de l’échange. Contrairement à la relation
marchande, dans le Potlatch, on donne ce qui a de la valeur pour soi.
Dans « L’essai sur le don » (1923), Marcel Mauss montre que le potlatch est encore aujourd’hui un
fondement de la relation sociale (voir p. suivante).
Heureusement, tout n'est pas encore classé exclusivement en termes d'achat et de vente. Les choses ont
encore une valeur de sentiment en plus de leur valeur vénale, si tant est qu'il y ait des valeurs qui soient
seulement de ce genre. Nous n'avons pas qu'une morale de marchands. Il nous reste des gens et des classes qui
ont encore les mœurs d'autrefois et nous nous y plions presque tous, au moins à certaines époques de l'année
ou à certaines occasions.
Le don non rendu rend encore inférieur celui l'a qui accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour.
[…] La charité est encore blessante pour celui qui l'accepte, et tout l'effort de notre morale tend à supprimer le
patronage inconscient et injurieux du riche « aumônier ».
L'invitation doit être rendue, tout comme la « politesse ». On voit ici, sur le fait, la trace du vieux fond
traditionnel, celle des vieux potlatch nobles, et aussi on voit affleurer ces motifs fondamentaux de l'activité
humaine l'émulation entre les individus du même sexe (1), cet « impérialisme foncier» des hommes, fond social
d'une part, fond animal et psychologique de l'autre, voilà ce qui apparaît. Dans cette vie à part qu'est notre vie
sociale, nous-mêmes, nous ne pouvons « rester en reste », comme on dit encore chez nous. Il faut rendre plus
qu'on a reçu. La « tournée » est toujours plus chère et plus grande. Ainsi telle famille villageoise de notre
enfance, en Lorraine, qui se restreignait à la vie la plus modeste en temps courant, se ruinait pour ses hôtes, à
l'occasion de fêtes patronales, de mariage, de communion ou d'enterrement. Il faut être «grand seigneur» dans
ces occasions. On peut même dire qu'une partie de notre peuple, se conduit ainsi constamment et dépense
sans compter quand il s'agit de ses hôtes, de ses fêtes, de ses «étrennes».
L'invitation doit être faite et elle doit être acceptée. Nous avons encore cet usage, même dans nos
corporations libérales. Il y a cinquante ans à peine, peut-être encore récemment, dans certaines parties
d'Allemagne et de France, tout le village prenait part au festin du mariage; l'abstention de quelqu'un était bien
mauvais signe, présage et preuve d'envie, de « sort». En France, dans de nombreux endroits, tout le monde
prend part encore à la cérémonie.
Entre l'économie relativement amorphe et désintéressée, à l'intérieur des sous-groupes, qui règle la vie des
clans australiens ou américains du Nord (Est et Prairie), d'une part; et l'économie individuelle et du pur intérêt
que nos sociétés ont connue au moins en partie, dès qu'elle fut trouvée par les populations sémitiques et
grecques, d'autre part entre ces deux types, dis-je, s'est étagée toute une série immense d'institutions et
d'événements économiques, et cette série n'est pas gouvernée par le rationalisme économique dont on fait si
volontiers la théorie.
Le mot même d'intérêt est récent, d'origine technique comptable : « interest », latin, qu'on écrivait sur les
livres de comptes, en face des rentes à percevoir. Dans les morales anciennes les plus épicuriennes, c'est le
bien et le plaisir qu'on recherche, et non pas la matérielle utilité. Il a fallu la victoire du rationalisme et du
mercantilisme pour que soient mises en vigueur, et élevées à la hauteur de principes, les notions de profit
et d'individu. On peut presque dater – après Mandeville (Fable des Abeilles) le triomphe de la notion d'intérêt
individuel. On ne peut que difficilement et seulement par périphrase traduire ces derniers mots, en latin ou
en grec, ou en arabe. Même les hommes qui écrivirent le sanskrit classique, qui employèrent le mot artha,
assez proche de notre idée d'intérêt, se sont fait de l'intérêt, comme des autres catégories de l'action, une
autre idée que nous. Les livres sacrés de l'Inde classique répartissent déjà les activités humaines suivant la loi
(dharma), l'intérêt (artha), le désir (kama). Mais c'est avant tout de l'intérêt politique qu'il s'agit : celui du roi
et des brahmanes, des ministres, celui du royaume et de chaque caste. La littérature considérable des
Nitiçastra n'est pas économique.
Ce sont nos sociétés d'Occident qui ont, très récemment, fait de l'homme un « animal économique». Mais
nous ne sommes pas encore tous des êtres de ce genre. Dans nos masses et dans nos élites, la dépense pure
et irrationnelle est de pratique courante; elle est encore caractéristique des quelques fossiles de notre
noblesse. L'homo oeconomicus n'est pas derrière nous, il est devant nous; comme l'homme de la morale et
du devoir comme l'homme de la science et de la raison.
M. Mauss, Essai sur le don, pp. 90-91 (édition numérique)
• L’échange marchand est une relation qui s’inscrit dans un contexte social. Il implique
une objectivisation des relations sociales.
– Il nécessite un langage et un système commun de représentation de manière à avoir un
référentiel commun de valeur.

• Chez les sumériens (-5000 à -3000 av. JC), l’ordre social est théocratique. Les échanges
se font en relation avec l’au-delà, par les temples et l’autorité centrale incarnée par le
monarque. Il n’existe pas d’échange généralisé entre les membres de la société.
L’échange s’inscrit dans une relation verticale [J-M Viel, Une riche histoire de la société
marchande].
– Les métaux précieux sont des signes divins. L’or correspond au soleil et l’argent à la lune.
L’équivalence entre l’or et l’argent est établie en fonction de paramètres cosmiques. Ainsi,
comme la lune fait le tour du zodiac 13,3 fois plus vite que le soleil, l’or valait 13,3 fois plus
que l’argent.
– Les métaux précieux appartiennent aux temples et ne sont que prêtés. Ils servent simplement
à la circulation des objets. Dès que ceux-ci ont atteint leur destination, ils sont rendus au
temple sous forme d’offrandes (pas d’accumulation monétaire privée).
– Dans la société sumérienne, la relation marchande est donc avant tout déterminée par des
représentations religieuses et non en fonction de réalités matérielles.
• Introduction et généralisation de la monnaie
– En l’absence de monnaie, la valeur n’est pas déterminée objectivement: elle dépend de
dimensions subjectives ou du pouvoir politique. Les transactions ne peuvent être comparées entre
elles. Il n’existe donc pas de marché.
– Les monnaies sociales n’achètent pas de marchandises mais établissent des rapports sociaux [D.
Graeber 2013, Dette: 5000 ans d’histoire, Les Liens qui libèrent].
– La monnaie métallique apparaît en Anatolie vers -600. Elle est frappée par l’autorité centrale
(monnayage), ce qui lui garantie valeur et authenticité.
– Elle permet l’échange décentralisé horizontal: Ses caractéristiques renvoient aux spécificités du
monde grec (relations entre égaux).
– La monnaie est aussi une unité de compte qui permet de dégager une valeur déterminée
socialement.
• Avec la monnaie, l’échange n’est plus interindividuel mais social. La valeur est donc elle aussi déterminée
socialement.
• La monnaie renforce la cohésion de la citée: elle détermine un étalon commun, elle socialise la
transaction… C’est aussi un symbole d’autorité (cours légal).
– La monnaie est tout d’abord utilisée dans les transactions domestiques. Il faudra attendre un
siècle pour que les monnaies grecques soient utilisées dans le cadre du commerce extérieur.
– Plus tard, la monnaie Athénienne (la tétradrachme d’argent) devient un instrument de
l’impérialisme grec: Athènes impose l’usage de sa monnaie dans le paiement du tribut. Cela place
ses colonies en situation de dépendance économique et participe à l’unification du monde
grecque.
• Les conséquences économiques de la monnaie
– L’utilisation de la monnaie n’est pas neutre dans l’échange. En effet, elle dissocie
l’action de vente et l’action d’achat dans le temps et l’espace et permet l’accumulation
privée de pouvoir d’achat.
– Or, les situations d’achat et de vente ne sont pas symétriques. Dans le cadre d’un
marché:
• L’acheteur est en position de force: Il peut choisir différents vendeurs: La monnaie qu’il
possède est un bien universellement accepté (liquide) car très facilement échangeable.
• Le vendeur est vulnérable: bien souvent, il ne dispose que d’un bien imparfaitement
liquide et il est en concurrence avec d’autres vendeurs.
• Avec la monnaie, « l’échange passe d’une relation mutuelle directe, à une cascade de
relations non réciproques, nettement polarisées en rapports de pouvoir », J-M Viel, Une
riche histoire de la société marchande, pp. 48-49.
– La monnaie permet en outre la thésaurisation. Celle-ci contribue à rompre
l’équilibre entre acheteurs en vendeurs: pour thésauriser, il faut vendre sans
acheter: cela entraîne la possibilité d’une crise des débouchés. Plus la monnaie
sera recherchée pour elle-même, plus la vente deviendra difficile.
• L’empire romain: 1ère société entièrement monétarisée
– Rome est une société militariste et expansionniste. L’un des objectifs de l’organisation
économique romaine est l’approvisionnement de Rome en blé.
• L’économie romaine repose en grande partie sur l’initiative privée, y compris lors des conquêtes
militaires. Cependant, la société romaine n’est pas une société marchande. L’Etat impérial domine
l’initiative privée.
– La stabilité et la cohérence de l’empire romain sont garanties par la monnaie et le
droit.
• Le droit permet l’application des contrats signés lors des relations marchandes, et en particulier
d’honorer les dettes.
• La monnaie permet à l’Etat central de contrôler économiquement son territoire. L’Etat contrôle la
création monétaire en gérant directement des mines de métaux précieux.
– La monétarisation de la société entraine l’apparition de l’usure. Dans un monde
entièrement monétarisé, l’usure est à la fois un outil qui permet l’activité économique
en même temps qu’il prélève une partie du surplus de cette activité.
« L’usure nait donc de la dissociation temporelle de l’achat et de la vente de biens permise par la
généralisation de l’usage de la monnaie comme intermédiaire de circulation » (J.-M. Viel, Une riche histoire
de la société marchande. p. 55).
• Apparition de la société marchande au moyen-âge
– De l’échange au commerce.
• Le commerce représente un échange institutionnalisé autour d’un produit standardisé qui possède une
valeur reconnue socialement: la marchandise.
• Le but du commerce n’est pas d’échanger des biens mais de réaliser un profit. Cela suppose non
seulement l’existence d’une monnaie, mais aussi la reconnaissance de cette monnaie comme institution
de pouvoir d’achat universel.
• La marchandise devient un intermédiaire pour acquérir de la monnaie accumulable. La relation monnaie –
marchandise est inversée (M-A-M’  A-M-A’)
• La monnaie représente la capacité d’approprier. Dans un monde où les droits de propriété sont respectés,
la monnaie devient ainsi l’instrument prioritaire du pouvoir économique et de l’accumulation du capital.
(Parenthèse sur le pouvoir des milliardaires.)

– Le développement du commerce au moyen âge (cf. diapo 27)


• Le commerce se développe en Europe occidentale à partir de 1100. Il nait tout d’abord des besoins des
seigneurs que les améliorations de l’agriculture ont rendu plus riches.
• Pour se développer, le commerce a besoin d’un Etat qui garantisse la valeur et la qualité de la monnaie.
L’Etat (où le seigneur local) accorde des « privilèges » aux marchands, leur assurant protection en échange
d’une taxe.
• Pouvoir politique et pouvoir marchand vont progressivement évoluer ensemble, chacun ayant besoin de
l’autre pour se développer. C’est le développement du mercantilisme.
– Du commerce à la banque
• Contrairement à l’usure, le crédit n’est pas l’expression d’un rapport de force, mais d’une relation
commerciale. Il apparaît avec les facilités de paiement que les marchands accordent à leurs clients.
Le crédit leur permet d’écouler leurs marchandises et de rééquilibrer le rapport de force entre
acheteur et vendeur.
• Pour maximiser leurs revenus, les marchands apprennent à faire circuler la monnaie plus vite: Ils
pratiquent le remploi (ou réemploi). Pour accélérer cette circulation monétaire, ils peuvent trouver
emprunter ou prêter.
• Le crédit devient le « prix du temps » pendant lequel la monnaie n’est pas utilisée.
• Dans un monde politiquement divisé, de nombreuses monnaies circulent, ce qui implique la
nécessité du change. Avec le développement du commerce international, celui-ci est accéléré par
l’invention de la lettre de change.
• Dans la lettre de change, la transaction a lieu sans échange de monnaie physique, simplement par
transfert de compte à compte. L’apparition de la lettre de change (12è - 13è s. en Europe) permet
l’émergence du métier de banquier à partir du milieu du 14è siècle.
• L’activité bancaire permet de diviser l’activité commerciale entre les métiers du financier, du
négociant et de l’armateur.
– L’expansion de la société marchande
• A partir de la Renaissance (1450 - 1600), pouvoirs politiques et économiques sont de plus en plus
interdépendants. L’expansion coloniale repose sur l’association de l’Etat et des marchands via
l’initiative privée (ex. des voyages de Christophe Colomb).
• Mais la société marchande s’étend également à l’intérieur du système féodal. Dès le moyen-âge,
l’apparition des villes franches émancipent du pouvoir seigneurial une partie du territoire. Les villes
deviennent des lieux de production de marchandises soumis aux traditions des métiers et à la loi des
corporations.
• Certains marchands exclus du commerce international (le plus rentable), vont se spécialiser dans le
commerce intérieur et dans l’organisation de l’activité productive (financement des matières 1ères et
des machines…)
• Plus tard, une partie de la production sera réalisée dans les campagnes et les petites villes. Pour les
paysans c’est une activité d’appoint pendant la saison hivernale. La production textile, d’abord
produite dans le cadre de l’autoconsommation, finit par être produite sur les ordres d’un marchand
qui se fait entrepreneur.
• La production rurale est d’autant plus profitable que le producteur et le client final sont éloignés. Les
campagnes sont isolées et se situent en dehors des circuits marchands classiques. Le commerçant, seul
intermédiaire, est ainsi en position de force.
• Le contrôle de la fabrication apparaît comme le prolongement naturel du commerce,
une stratégie de diversification.
« Dans la manufacture rurale, les rapports entre employeurs et employés se traduisent plus souvent
en termes de créances et de dettes qu’en termes de salaires. Ainsi les négociants achetaient aux
mineurs indépendants , avant qu’ils ne soient extraits, le plomb, l’étain et la houille; ils
consentaient également des avances aux artisans fabriquant de fils de fer, des épingles, des clous,
etc. Le marchand d’étoffe, lui aussi, ne pouvait tirer parti de son capital qu’en élargissant les
occasions de prêt. Les mines d’étain de Cornouailles nous offrent un exemple classique de cette
exploitation du petit possédant par le biais du crédit. Le travailleur empruntait argent et
marchandises qu’il s’engageait à rembourser par le minerait qu’il extrait; les capitalistes
achetaient à l’avance l’étain 15-16 livres les mille weights et le revendaient de 20 à 30 livres aux
chaudronniers. L’attente payait! Les mineurs indépendants finirent par être aux abois, et l’industrie
passa aux mains des gros affairistes. »
Source: M. Dobb, Etude sur le développement du capitalisme, 1981, cité par J-M. Viel, p. 83.

– L’extension de la société marchande entraîne d’importants bouleversements


économiques et politiques qui annoncent la révolution industrielle.
3. Mécanismes et extension de la
révolution industrielle
3.1. Une « révolution » industrielle
• A partir du début du XVIIIème siècle, l’histoire mondiale connait un brutal
bouleversement: En quelques siècles toutes les sociétés du monde vont connaître une
transformation radicale: le passage à la modernité.
– Explosion démographique liée à la transition démographique.
– Transformation de la production agricole et donc exode rural et croissance urbaine.
– Hausse très rapide des rendements agricoles et de la productivité du travail dans tous les
secteurs.
– Progrès scientifiques et technologiques
• Puis, un siècle plus tard:
– Alphabétisation de masse, sécularisation des sociétés, émancipation des femmes,
démocratie.
– Amélioration du niveau de vie, consommation de masse.
• Cette révolution peut se lire dans les statistiques de la démographie, de la
productivité et des revenus.
Evolution de la
population
mondiale (échelle
logarithmique)
Source: INED
• Ce tableau montre l’augmentation très importante de la production de différents secteurs
permise par la révolution industrielle. Attention, les échelles de temps sont différente (3 siècles
contre 7).
– Pris annuellement, ces chiffres sont beaucoup moins impressionnants: Rappel de la formule: Pfin = Pdébut
x (1+ n/100)durée
– Une croissance de 1% par an entraîne une multiplication par 20 en 300 ans.
– La croissance économique n’a pas dépassé 2% par an pendant la révolution industrielle.

Données globales Données par habitant


Secteur De 1000 à De 1700 à De 1000 à De 1700 à
1700 1990 1700 1990
Ption de céréales 2 à 4 fois 14 fois 1 à 2 fois 2 fois
Ption de fer 4 à 9 fois 2000 fois 2 à 3 fois 260 fois
Ption de fibres textiles 2 à 4 fois 29 fois 1 à 2 fois 4 fois
Ption d’énergie 2 à 6 fois 280 fois 1 à 2 fois 36 fois
Commerce international 6 à 12 fois 920 fois 3 à 4 fois 120 fois
Ption totale 2 à 4 fois 44 fois 1 à 2 fois 6 fois
Population 2 à 3 fois 8 fois - -

Comparaison de la multiplication de quelques paramètres de l’économie mondiale


Source: Bairoch 1997 T1, p. 99
• L’augmentation du niveau de vie sera beaucoup plus lente à arriver et n’aura lieu
que dans une seconde phase à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle pour le
pays le plus avancé.
• Les transformations sociales et sociétales arriveront elles aussi dans une seconde
phase, en particulier la fin de la transition démographique et la démographie.
3.2. Où, quand et pourquoi ?
• Où ? Indéniablement en Angleterre (et non en Grande Bretagne ou au
Royaume-Uni).
– Il faudra attendre 50 ans pour que la révolution industrielle se propage sur le
continent européen.
– En 1790, l’Angleterre (1% de la population mondiale) produisait 10% du fer mondial,
soit 71 000 tonnes par an. En 1860, sa production était passée à 3,79 millions de
tonnes, soit 5 fois plus que la production mondiale en 1700.
– En 1790, la productivité agricole anglaise est le double de celle des sociétés
traditionnelles les plus avancées.
• Quand ? Pour Paul Bairoch, il est impossible de déterminer une date précise, car
il s’agit d’une mutation graduelle. Bairoch détermine néanmoins deux
fourchettes de périodes:
– Début de la « révolution agricole »: 1680 – 1720
– Début de la « révolution industrielle »: 1740 – 1760 (date la plus fréquemment
retenue: 1760).
• Pourquoi ?
– L’explication religieuse / culturelle
– L’explication politique ?
– L’abondance en matières premières ?
– Le commerce international et la colonisation ?
– La présence de Londres ?
– L’avance technologique ?
– Une spécificité européenne ?
On remarque que la société anglaise ne se démarque pas spécialement des autres
sociétés européennes. C’est sans doute le cumul de ces explications qui permet de
comprendre pourquoi la révolution industrielle est née dans ce pays. Notons que le cas
des Pays-Bas est très proche de celui de l’Angleterre… mais l’industrialisation des Pays-
Bas viendra bien plus tard.

Pour approfondir, voir Paul Bairoch t. 1, pp. 223-266.


3.3. La « révolution » agricole anglaise
• Au XVIIème siècle l’Italie du nord et surtout les Pays-Bas (qui comprennent la Belgique)
sont les régions les plus avancées d’Europe en matière de techniques agricoles.
– Ce sont des régions de tradition marchande, au tissus urbain très dense. Aux Pays-Bas, la
population urbaine a été multipliée par trois entre 1500 et 1700. Près de la moitié de la
population hollandaise est urbanisée (contre 20-30% en moyenne dans le reste de l’Europe).
– Les rendements agricoles sont très élevés, 2 – 3 fois supérieurs à ceux des autres pays
d’Europe mais, en raison de la faible taille des exploitations, la productivité du travail y est à
peine supérieure (20-40% de plus).
– Malgré ces rendements élevés la population active agricole ne peut nourrir la totalité de la
population. 40% des biens agricoles consommés aux Pays-Bas sont importés: seul le
commerce avec l’étranger permet de nourrir les Hollandais.
– L’impossibilité d’augmenter la productivité agricole explique pourquoi la révolution
industrielle n’est pas née en Italie du nord ou aux Pays-Bas: En effet, le développement de
l’industrie nécessite qu’une main d’œuvre soit disponible pour s’engager dans l’industrie
manufacturière.
• La révolution agricole anglaise commence par l’importation depuis les Pays-Bas
des nouvelles techniques agricoles. Celle-ci est favorisée par l’émigration
protestante (avant 1609 l’ensemble des Pays-Bas est sous domination Espagnole)
et par la proximité géographique des deux pays.
• Guerre d’indépendance des Pays-Bas: (1568-1648), guerre de Quatre-Vingts Ans.
• La diffusion des techniques agricoles en Angleterre a également été favorisée par
de nombreux pionniers, souvent militants, en particulier dans la noblesse. Par
exemple, Lord Charles Townshend (1674-1738) préconise le drainage des sols, la
rotation continue des cultures sur un cycle de quatre ans et la culture (ainsi que la
consommation) du navet.
« Bientôt, ce fut une mode universelle et tout gentilhomme se vanta de diriger lui-même
la mise en valeur de ses terres. La génération précédente ne s’intéressait qu’à la chasse,
ne parlait que de chevaux et de chiens, celle-ci parle engrais et drainage, assolement,
trèfle, luzerne et turnips [navets]. Au cavalier du XVIIème siècle, qui avait tiré l’épée dans
les guerres civiles, succède le gentleman farmer » Paul Mantoux (1906), cité par P.
Bairoch 1997, p. 289.
Les innovations de la révolution agricole
• La révolution agricole du XVIIème-XVIIIème siècle repose sur trois grands
principes:

1/Une autre rotation des cultures qui permet la culture en continue des sols.
– Le principe est de cultiver des plantes qui nécessitent des composés chimiques
différents, voire de cultiver des plantes régénératrices telles que les plantes
fourragères (trèfle, luzerne) qui fixent dans le sol l’azote de l’air.
– En pratique on passe (en Angleterre) de l’assolement triennal à une rotation plus
complexe sur 3-4 ans, voire 6-12 ans qui permet de supprimer la jachère.
– Les plantes fourragères permettent de développer les cheptels et d’augmenter l’usage
de la fumure: La révolution agricole permet de développer pour la première fois en
Europe une agriculture où élevage et culture sont véritablement intégrés.
2/Introduction ou extension de cultures nouvelles
– Les nouvelles techniques agricoles s’appuient aussi sur la culture de nouvelles plantes
importées du Nouveau monde (maïs, pomme de terre…) ou d’Asie (sarrasin) ou
simplement redécouvertes (raves – betteraves, navet, céleri – carottes, chou, colza)
– Il faut noter l’importance de la pomme de terre qui, à partir de la fin du XVIIIème siècle
permet de nourrir une population en forte augmentation et accompagne ainsi les
début de la révolution industrielle.
• En 1845 - 1848, la grande famine irlandaise (1 million de morts, 2 millions
d’émigrants sur plus de 8 millions d’habitants) est en partie due à l’apparition du
mildiou, un champignon qui dévaste les récoltes de pommes de terre locales.
3/ Amélioration de l’outillage et des techniques agricoles
– La charrue est améliorée, l’usage des chevaux et de la faux se généralise. Le semoir est
inventé, ce qui permet d’économiser des semences et de mieux les répartir sur le sol.
– La sélection et l’amélioration des races se fait de manière plus scientifique. Entre 1710
et 1795, le poids moyen des bœufs dans les foires agricoles passe de 370 à 800 livres.
Celui des moutons de 38 à 80 livres.

Les enclosures
• Les enclosures constituent des actes juridiques d’attribution des champs
communaux: La fin de la jachère et l’extension de l’élevage ovin impliquent une
clôture des champs et la fin des terrains communaux.
• Parfois, les enclosures se font de manière sauvage par de riches propriétaires pour
l’élevage de moutons et sont légalisées a posteriori.
• Le rythme des enclosures s’accélère à partir de 1720, et surtout après 1750. Après
1740 les actes d’enclosures ne sont plus fondées sur le consensus des habitants du
village.
• Les enclosures ont d’importantes conséquences sociales. Elles entrainent la
concentration des terres et le déclin des yeomen (paysannerie riche propriétaire des
terres qu’elle cultive), ainsi que des cottagers (qui disposent d’une petite propriété) et
des squatters (qui ne possèdent aucune propriété foncière).
– Si les premiers peuvent vendre leur terre et se tourner vers une activité industrielle, les autres,
dépourvus de capital, n’ont d’autre choix que de s’employer dans les manufactures. Les
enclosures qui avaient, au XVIème et au XVIIème siècle entraîné vagabondage et brigandage,
vont, cette fois, permettre de constituer une main d’œuvre pour l’industrie.

Les conséquences économiques de la révolution agricole


• Appliquées sur de vastes propriétés, les techniques agricoles hollandaises permettent de
multiplier les rendements agricoles et, par l’augmentation de la productivité, ressources
et main d’œuvre deviennent disponibles pour d’autres usages.
– Entre 1650 et 1800, le rendement de la culture du blé en Angleterre passe de 7,4 quintaux/ha
à 13,5 qt/ha (à titre de comparaison aujourd’hui, en France, les rendements dépassent les 76
qt/ha). Globalement, la production agricole double entre 1700 et 1800.
– Au cours du XVIIIème siècle, l’Angleterre devient l’un des premiers exportateurs
européen de céréales (avec la Russie). En 1750, l’Angleterre exporte 220 000 tonnes
de céréales (sur un volume de 500 000-600 000 tonnes exportées en Europe), soit 13-
15% de sa production totale.
– Comme la quantité de nourriture disponible augmente et que les besoins en
nourriture ne peuvent augmenter en proportion (limites physiologiques, même en
tenant compte de l’amélioration qualitative des repas), les prix des produits
alimentaires baissent et une partie de la main d’œuvre et des ressources doivent
trouver d’autres usages: c’est l’industrie, en particulier sidérurgique et textile, qui
absorbera ces ressources.
3.4 La révolution industrielle anglaise à ses débuts: le développement de la sidérurgie et
du textile.
• Pour se développer, la révolution agricole nécessite une consommation accrue
de fer.
– L’outillage plus performant implique la généralisation de l’usage du fer (dans
certaines zones, le bronze était encore utilisé)
– La suppression de la jachère entraîne une augmentation de 45% des labours en 50-60
ans. Les outils s’usent plus vite et doivent être plus souvent remplacés.
– Le développement du cheval permis par l’extension des plantes fourragères et la
généralisation de l’usage du cheval dans les labours entraînent une augmentation de
la ferrure.
– Au total, le secteur agricole représente 30 à 50% de la demande fer, la ferrure 15%
– Entre 1720 et 1760, la consommation de fer augmente de 70% en Angleterre: il faut
donc répondre à cette augmentation de la demande par une augmentation de l’offre.
Or, au XVIIIème siècle, l’industrie sidérurgique anglaise bute sur d’importantes
contraintes physiques et technologiques.
• L’impérieuse nécessité du bois
– Par rapport au reste de l’Europe, l’Angleterre est relativement pauvre en bois et donc
en énergie. Depuis le moyen-âge, les anglais ont pris l’habitude de se chauffer au
charbon de terre. Cependant, au début du XVIIIème siècle la production de fer
nécessite impérativement du charbon de bois. Conséquence: jusqu’en 1760,
l’Angleterre est incapable d’ajuster sa production à la demande et doit recourir à
l’importation.
Année Production Importations Exportations Consommation
1720 22 16 - 38
1760 25 40 - 65
1825 580 15 35 560
1850 2250 30 780 1500
Fer en milliers de tonnes Source: Bairoch 1997, p. 297

– Des innovations technologiques vont néanmoins progressivement permettre d’utiliser


le charbon de terre dans la production de fer.
– 1603, invention du coke par distillation du charbon (pyrolyse). Le coke permet de
fondre le minerais de fer, produisant ainsi de la fonte. Chimiquement, la fonte est un
mélange de fer et de carbone (plus quelques autres résidus). Une teneur en carbone
supérieure à 2-3% produit invariablement de la fonte. A des taux inférieurs à 2%, on
produit de l’acier.
– L’industrie de la fonte se développe à partir de 1730 comme substitut du fer.
Néanmoins, la fonte est un substitut imparfait, car cassant. S’il est possible de réaliser
beaucoup d’objets du quotidien, il est difficile d’en faire des outils.
– C’est en 1784 pour qu’Henry Cort invente un procédé pour transformer la fonte en
acier à partir du charbon. Il faudra donc attendre la fin du XVIIIème siècle pour que
l’industrie sidérurgique anglaise se développe véritablement en échappant à la
contrainte du bois.
• L’industrialisation du textile
– Le textile représente un secteur stratégique où peuvent se déverser les ressources
dégagées par la réduction du secteur agricole. C’est un secteur traditionnel, bien
connu, où la demande est immense.
– L’industrialisation de la production de textile implique de résoudre une contrainte
technique: la mécanisation de la production de fil. La filature constitue l’essentiel du
travail nécessaire à la production textile. Or, les fibres traditionnelles (le lin et la laine
principalement) sont trop fragiles pour permettre la mécanisation. La soie est une
fibre très solide, mais trop chère et difficile à produire.
– C’est grâce à l’usage du coton que la mécanisation du filage peut se généraliser. C’est
en 1769 que Paul Arkwright développe la première entreprises de filature du coton (à
base d’énergie hydraulique). En 1800, la filature anglaise est entièrement mécanisée.
– Les métiers à tisser mécaniques (inventés par le français Joseph-Marie Jacquard en
1801) s’imposeront à partir du milieu du XIXème siècle.
– En 1840, le secteur textile anglais représente 60% des actifs de l’industrie
manufacturière et l’industrie du coton représente 50% du secteur textile.
Invention du coke, de la
fonte, puis production
Fer
Secteur Augmen-
de fer au charbon (1784)

agricole tation Secteur


de la
produc- Sidérurgique
Révolution tivité. Enclosures
agricole (après 1740)

Fer (après 1780)


(1700)

Fer (jusqu’en 1760


Techniques
hollandaise Textile manufacturé
Développement de
l’industrie textile
Reste du
monde Secteur
textile
Colonisation
(USA jusqu’en Coton Mécanisation du
filage (1769) puis
1776, puis Inde) du tissage (1801)
3.5 Mécanismes de développement de la révolution industrielle anglaise
• Une fois amorcée, la révolution industrielle anglaise s’est progressivement
généralisée et a entrainé de profonds changements dans la société et l’économie.
• Selon Bairoch (1997) le développement de l’industrialisation anglaise a été favorisé
par trois caractéristiques principales:
1/ Le degré relativement faible des innovations techniques requises
2/ Le faible coût des investissements industriels
3/ L’importance des coûts de transport
1/ Des innovations abordables et simples à diffuser
• Le brevet: une invention européenne.
– 1421, République de Florence: 1er brevet d’invention. Le système des brevets est adopté
par Venise dans les années 1460.
– 1623 en Angleterre: adoption du système de brevet de 14 ans par le Parlement. Il faudra
attendre la fin du XVIIIème siècle pour que le reste de l’Europe adopte des systèmes
nationaux équivalents, notamment, sous l’impulsion de la France.
– La 1ère convention internationale sur les brevets date de 1883.
− Le brevet permet à la fois de récompenser l’inventeur en lui accordant un droit de
monopole sur son invention (limité dans le temps) et de diffuser des nouvelles
techniques (la description complète de l’invention est requise).
• L’information permet l’innovation
− L’état des technologies est suffisamment simple pour qu’il soit possible de les adopter
par la simple lecture d’un procédé technique.
− La 1ère unité sidérurgique moderne française (produisant de la fonte au coke) fut
construite en 1776 au Creusot à l’aide d’un seul technicien anglais et en utilisant la
main d’œuvre et l’équipement local.
− Dans le textile, les machines à filer anglaises furent frauduleusement importées
d’Angleterre, puis copiées à partir de modèles uniques.
− Au Japon, le premier haut fourneau a été érigé en 1858 sur la base d’un traité
sidérurgique traduit du néerlandais.
• La main d’œuvre des économies traditionnelles peut être reconvertie facilement.
− Selon P. Bairoch, « Pratiquement, jusqu’à la fin du XIXème siècle, il n’y aura pas de
fossé profond entre l’ouvrier spécialisé qui construit et répare les divers outillages […]
et le forgeron ou le chaudronnier traditionnel », Bairoch 1997, t. 1, p 374.
– Ces technologies simples ont pu être exploitées par des ouvriers sans
qualification jusqu’à la fin du XIXème siècle.
– En 1830, en Angleterre, malgré le développement important de l’industrie
(l’agriculture représente moins de 30% de la population active) 44% de la
population est analphabète (incapable d’écrire son nom). L’instruction primaire
ne sera obligatoire qu’à partir de 1880.

2/ Le faible coût de l’investissement industriel


• Le développement de l’industrie nécessite non seulement des technologies
accessibles, mais surtout de faible moyens de financement. En effet, à l’époque,
en Angleterre, le système bancaire n’est pas en mesure de financer l’activité
industrielle.
 Selon P. Bairoch, « le capital total (fixe et circulant) nécessaire pour mettre un actif au
travail dans l’industrie en Angleterre représentait, vers 1800, environ 4 à 5 mois de
salaire moyen masculin » Ibid. p. 332. En 1800-1820, en France, ce coût atteignait 6 à 8
mois. Vers 1950, il faudra l’équivalent de 300 à 350 mois de salaire moyen pour
produire un unique emploi industriel.
 Le coût faible du capital industriel a permis l’émergence d’une nouvelle classe
d’entrepreneurs venue du monde paysan ou des artisans.
• D’après Bairoch, les premiers entrepreneurs anglais, notamment dans le textile, ne
seraient pas issus de la classe marchande, mais plutôt des Yeomen qui auraient
profité de la vente de leurs terres pour investir dans l’industrie. Cela a été permis en
raison de l’écart important entre le coût du capital industriel (peu cher) et le coût du
capital agricole (plus cher).

Rapport entre la valeur du capital par actif dans


l’industrie et l’agriculture
Royaume-Uni vers 1810 1à8
France vers 1850 1à7
Belgique vers 1850 1à6
Etats-Unis vers 1880 1 à 2,5
Japon vers 1905 1à8
Source: Bairoch 1997 t.1, p. 334
 On retrouve ce même écart dans pratiquement tous les pays (sauf les USA). Cela a été
d’autant plus nécessaire que la révolution agricole a conduit à une baisse de la rentabilité
des exploitations (notamment les plus petites).
 L’apparition d’une nouvelle classe d’entrepreneur permet un brassage socio-
économique: « Un fait d’ensemble apparaît: la plupart d’entre eux [les industriels du
textile] viennent des campagnes; ils sortent de cette classe moitié agricole, moitié
industrielle qui avait formé jusqu’alors une partie notable, peut-être la majorité de la
population anglaise. Et si l’on essaie de remonter plus haut, on arrive presque toujours à
une souche paysanne, à la vieille race disparue mais non éteinte des yeomen », Paul
Mantoux (1906).

• L’autre facteur qui explique la modicité du coût de l’investissement est l’absence


de taille minimale ou optimale des entreprises.
 La taille minimale est souvent liée à l’importance des coûts fixes; la taille optimale à
l’importance des complémentarités entre les différentes unités des production.
 En 1845, en Belgique, la taille moyenne des entreprises sidérurgique était de 26 personnes,
contre 446 en 1930 et 5000 à 7000 dans les années 1990. Dans le secteur textile, la taille
moyenne des entreprises était sans doute encore plus petite.
 La plupart des grandes sociétés sidérurgiques du XIXème siècle ont commencé avec quelques
dizaines d’employés. Plus tard, ce sera le cas de l’industrie automobile, et encore plus tard de
l’industrie électronique.
• Enfin, le développement des entreprises industrielles a été permis par
d’importants profits et la pratique de l’autofinancement.
 D’après P. Bairoch, dans les premières phases de la révolution industrielle, les taux de
profits avant impôt étaient généralement compris entre 20% et 35% (et parfois même
supérieurs)… contre 10% aujourd’hui.
 Ces taux de profits ont permis un développement considérable des entreprises via
l’autofinancement: le réinvestissement de 25% du capital implique une multiplication
par plus de 80 du capital de départ en 20 ans à peine.
3/ L’importance des coûts de transport: un atout dans les 1ères phases
d’industrialisation
• La révolution des transports ne viendra qu’à partir du milieu du XIXème siècle
(chemin de fer, bateau à vapeur maritime…). Auparavant les coûts de transport
sont très élevés. Ainsi, au début du XIXème siècle.
 Par voie d’eau, le transport du blé double son prix après 1200 km
 Par voie de terre, le prix du blé est doublé après 400 km (malgré l’amélioration des
routes).
• Les coûts de transports élevés associés à une faible circulation de l’épargne et une
faible taille optimale des entreprises ont permis une généralisation de
l’industrialisation et la création d’un véritable « tissu industriel », y compris dans
les campagnes.
 Des bassins industriels émergent là où se trouvent des ressources naturelles,
notamment en énergie (charbon, énergie hydraulique).
 L’importance des coûts de transport doit néanmoins être mis en relation avec la valeur
des produits. Ex: le kilo de textile de coton vaut 200 fois plus que le kilo de fer.
 Les droits de douanes (notamment sur le textile importé) ont pu compléter les coûts
de transport naturel.
 Par ailleurs, l’Angleterre interdit l’exportation de machines à vapeur jusqu’en 1843, ce
qui incite les autres pays à produire leurs propres biens d’équipement.

• Les conséquences économiques et sociales de la révolution industrielle.


 En matière économique, la croissance est faible pendant la première phase de la
révolution industrielle. En Angleterre, entre 1740 et 1840, la croissance annuelle de la
productivité agricole est d’environ 1% et celle de l’industrie de 2%.
 Cependant, cette faible croissance est suffisante pour transformer profondément
l’économie anglaise. La croissance de la productivité agricole n’avait, auparavant,
jamais excédé 0,2% par an (lors des innovations médiévales).
 Globalement, entre la Rome antique et le XVIIème siècle la croissance de la
productivité agricole n’a été que de 30%, celle de l’industrie de 60%, soit des taux de
croissance annuels moyen de 0,02% et 0,03%.
 Les progrès dans l’agriculture permettent de diminuer le prix de l’alimentation. En
1860-1880, 1kg de pain coûtait 1h de travail d’un ouvrier, contre 4h au début du
XVIIIème siècle.
 Dans l’industrie, les progrès sont encore plus importants. Au milieu du XIXème siècle, la
consommation de fer par habitant est 50 fois plus élevée qu’avant la révolution
industrielle.
• Malgré l’amélioration de la productivité, le niveau de vie d’une majorité de la population
anglaise stagne ou régresse pendant la 1ère phase de la révolution industrielle.
 En Angleterre, alors que la population salariée passe de 20-25% à 60% au milieu du
XIXème siècle, les salaires réels baissent entre 1750 et 1810 et ne retrouveront un
niveau comparable à leur maximum historique (la fin du moyen âge) qu’après 1850.
 Les journées de travail sont très longues (souvent 12-14h). La durée annuelle de travail
double par rapport au niveau de l’aire préindustrielle.
 Le travail des femmes et des enfants se fait dans des conditions qui relèvent de
l’esclavage (les châtiments corporels ne sont pas rares). Les conditions de vie misérable
des ouvriers entraînent une surmortalité dans les zones urbaines.
 Ex du règlement d’une usine textile en 1851, cf. Bairoch 1997 t.1, p. 622.
 La mécanisation du travail a permis d’embaucher des enfants plus jeunes (moins de 6-8
ans), alors que chez les artisans de l’économie traditionnelles, les apprentis ne
commençaient jamais avant 10 ans (et parfois 12-14 ans). De plus, le travail dans les
usines se fait souvent hors du contrôle des parents. Leur salaire est 6 fois inférieur au
salaire des adultes et ne suffit souvent pas à les nourrir.
 Ex d’une annonce parue dans un journal de Manchester en 1784: « A louer le travail de
260 enfants avec un emplacement et toutes les commodités pour l’activité cotonnière.
Pour renseignements, s’adresser… »
 Au Royaume-Uni il faudra attendre le Factory act de 1833 pour que le travail des enfants
soit réglementé dans l’industrie textile. Le travail des enfants de moins de 11 n’est
interdit qu’en 1893.
• L’absence de progrès dans les conditions de vie des ouvriers a été rendu possible
par deux phénomènes:
 L’accroissement des inégalités: D’après J. G. Williamson (1983), e, Angleterre les 40% de
la population à plus faible revenu ont vu leur part dans le total des revenus passer de
13,7% à 10,2% entre 1757 et 1802 (baisse de 25%). Or, le PIB/hab s’est accru de moins
de 20%. Les plus pauvres ont donc connu une baisse réelle de leurs revenus.
 Il faudra attendre 1867 pour qu’ils retrouvent leur part de 1757. A cette époque, les 4%
les plus riches possèdent 46% du total des revenus.
La part importante de l’investissement dans la production nationale:
– En comptabilité nationale: Y + M = CF + I + G + X.
– En l’absence de commerce extérieur et d’intervention publique, on a donc: Y = CF + I.
– Pour un même niveau de production, plus les dépenses d’investissement sont
importantes, plus la consommation finale des ménages est faible.
3.6. La propagation de la révolution industrielle anglaise
 Initiée en Angleterre, la révolution industrielle va rapidement (à l’échelle de l’Histoire)
se propager au reste du monde. A la fin du XIXème siècle, pratiquement l’ensemble du
monde sera touché par les conséquences de la RI anglaise: c’est ce que certains auteurs
appellent la « première mondialisation ».
 Les conséquences seront cependant très différentes selon les parties du monde:
• Pour certains pays, l’importation de la révolution industrielle sera l’occasion d’un
développement comparable à celui de l’Angleterre.
• Pour d’autres, le contact avec le processus d’industrialisation anglais entraînera ces
pays vers des crises économique et le sous-développement.
 Dans ces processus, les logiques économiques, géographiques, historiques et
politiques sont étroitement imbriquées. Chaque pays est confronté à des spécificités et
des logiques propres qui aboutissent à des résultats différents et souvent
contradictoires.
 La révolution industrielle du XIXème siècle marque cependant un profond
bouleversement de l’ordre économique mondial. Elle construit le monde moderne en
engendrant des processus cumulatifs hétérogènes.
Production manufacturière par hab. sur base R-U 1900 = 100 ( Bairoch 1997, t. 1 p. 404)
1800 1830 1860 1880 1900 1913

Royaume-Uni 16 25 64 87 100 115


Suisse 10 16 26 39 67 87
Belgique 10 14 28 43 56 88
États-Unis 9 14 21 38 69 126
France 9 12 20 28 39 59
Allemagne 8 9 15 25 52 85
Suède 8 9 15 24 41 67
Autriche-Hongrie 7 8 11 15 23 32
Italie 8 8 10 12 17 20
Russie 6 7 8 10 15 20
Japon 7 7 7 9 12 20
Danemark 8 8 10 12 20 33
Portugal 7 7 8 10 12 14
Futurs PVD 6 6 4 3 2 2
Monde 6 7 7 9 14 21
Production manufacturière par hab. sur base R-U 1900 = 100 ( Bairoch 1997, t. 1 p. 404)
1800 1830 1860 1880 1900 1913

Royaume-Uni 16 25 64 87 100 115


Suisse 10 16 26 39 67 87
Belgique 10 14 28 43 56 88
États-Unis 9 14 21 38 69 126
France 9 12 20 28 39 59
Allemagne 8 9 15 25 52 85
Suède 8 9 15 24 41 67
Autriche-Hongrie 7 8 11 15 23 32
Italie 8 8 10 12 17 20
Russie 6 7 8 10 15 20
Japon 7 7 7 9 12 20
Danemark 8 8 10 12 20 33
Portugal 7 7 8 10 12 14
Futurs PVD 6 6 4 3 2 2
Monde 6 7 7 9 14 21
3.6.1 Les pays de la première vague: Belgique, France, Etats-Unis, Suisse
• Dans ces pays, la révolution agricole commence vers 1750-1790 et la révolution
industrielle vers 1770 et 1810. Malgré leurs différences, ces pays possèdent des
caractéristiques communes (la Suisse étant un cas à part) qui expliquent leur précocité:
1. Proximité culturelle ou géographique avec l’Angleterre
2. Une puissance publique au service de l’industrialisation (droits de douane, interventionnisme,
réorganisation de l’Etat).
3. Des pays ouverts aux capitaux et à l’émigration anglaise (notamment des minorités religieuses)
• La politique anglaise tend à protéger son avance économique en instaurant des
restrictions à la diffusion des connaissances et du capital:
 De 1719 à 1825: interdiction de l’émigration des techniciens. Jusqu’en 1843: interdiction
d’exporter des machines anglaises sur le continent.
 Jusqu’au milieu du XIXème siècle, les politiques commerciales européennes restent fortement
protectionnistes. Cela est également vrai des Etats-Unis.
• Les gouvernements et les entrepreneurs locaux tendent à copier les machines et les
méthodes de production anglaises: l’industrialisation passe par l’émigration des
techniciens, l’espionnage industriel et l’accueil d’entrepreneurs anglais.
• L’industrialisation de la France est perturbée par les guerres, les révolutions et une
croissance très lente de sa population.
3.6.2 Les pays de la seconde vague: Europe germanique, Italie, Russie, Japon.
• L’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque commencent leur révolution
agricole vers 1800-1820 et leur révolution industrielle vers 1840-1860.
 Ces pays peuvent bénéficier de techniciens de nationalités plus variée (R-U, France,
Belgique et Suisse). Ils bénéficient également de l’apport du capital étranger: des
familles d’entrepreneurs anglais comme les Cockerill participent à la création
d’entreprises en Belgique, puis en Allemagne diffusant ainsi les techniques anglaises
des industries textiles et sidérurgiques.
 Cette deuxième phase d’industrialisation est également marquée par le rôle
structurant du chemin de fer et du secteur bancaire: ce type d’industrialisation (on
peut parler de modèle allemand) a permis le développement de l’industrie lourde
(sidérurgique, puis chimique après 1870).
 Le développement allemand est très rapide comparé aux autres pays plus précoces.
Outre le rôle des banques, il faut noter le très bon niveau d’éducation de la population
allemande. En 1850, seuls 15-20% des personnes de plus de 15 ans sont illettrées,
contre entre 41% au R-U, 46% en France et 48% en Belgique. L’Allemagne bénéficie
aussi d’un réseau d’écoles techniques créé dès 1825.
 L’Allemagne dispose aussi de très nombreuses ressources minières (métaux et surtout
charbon). Enfin, le développement allemand est favorisé par l’unification et la création
d’un Etat central (sous l’impulsion de la Prusse). En 1871, l’unification allemande est
achevée (au détriment de la France). Le royaume de Prusse se fond dans l’Empire
allemand.
– Sous l’impulsion du Chancelier Otto Von Bismark (1862-1890), l’Allemagne mène une
« Realpolitik » pragmatique, associant protection de l’industrie (via une politique
commerciale protectionniste) et avancées sociales.
• Le développement Italien est handicapé par de nombreux facteurs:
 Une société très riche et urbanisée: beaucoup de ressources sont détournée vers les
villes au détriment de l’investissement. Les progrès dans l’agriculture sont lents.
 L’Italie est pauvre en charbon ce qui de fait lui interdit de développer une industrie
sidérurgique compétitive avant la révolution des transports (fin du XIXème siècle).
 L’unification italienne (achevée en 1861) ne permet pas à l’Italie de compenser ses
handicaps structurels. Cependant, elle connaîtra un développement important au début
du XXème siècle en se spécialisant dans l’industrie légère. En 1962, l’Italie est le 6ème
exportateur mondial en produit manufacturées. Elle dépasse le R-U en 1992.
• La Russie: un développement tardif amorcé par le pouvoir central et soutenu par des
capitaux étrangers.
 La Russie: un empire peuplé, centralisé et hétérogène.
 Au début du XIXème siècle, la Russie est encore un pays féodal. Le servage n’est aboli qu’en
1861 par Alexandre II. L’abolition du servage (1/3 de la population soit 25 millions de
personnes) permet le début de la révolution agricole et la mobilité de la main d’œuvre.
 Le développement russe est très largement soutenu par le capital étranger. Ainsi 91% des
mines appartiennent à des étrangers. En 1913, la Russie représente 33% du capital européen
investi à l’étrangers. La France est le principal investisseur en Russie (1/3 des capitaux
étrangers). Cependant, en proportion, la Belgique est encore plus impliquée que la France (14%
du montant des capitaux étrangers).
• Attention: certains des célèbres « emprunts Russes » sont des emprunts de l’Etat Russe pas des IDE. En
revanche d’autres sont des emprunts qui servent à financer directement le développement des entreprises
(transsibérien par ex.).
 L’industrialisation de la Russie, qui connaissait de lents progrès depuis 1830, s’accélère après
1880. En 1910, la Russie dispose de 9% des capacités européennes en filature du coton
(multiplication par 4,5 depuis 1860). La production de fer est multipliée par 10 entre 1880 et
1913. A la même époque, elle devient le quatrième producteur mondial d’acier (devant la
France).
• L’exception japonaise
 Le Japon est le premier pays de population non européenne à s’industrialiser. D’après
P. Bairoch, trois caractéristiques expliquent cette exception:
1. Le Japon se trouve dans une zone climatique tempérée
2. Le Japon est le pays d’Asie le plus éloignée de l’Europe
3. Les produits manufacturés du Japon traditionnel n’étaient pas les plus avancés d’Asie.
 Ces trois caractéristiques expliquent le peu d’intérêt des Européens pour le Japon et la
faiblesse des relations commerciales jusqu’au milieu du XIXème siècle.
 À partir du XVIème siècle, le Japon est fermé aux échanges avec les populations étrangères: seuls
les Hollandais, les Coréens et les Chinois peuvent commercer avec le Japon (mais le volume de ce
commerce est limité).
• En 1640, le Shogun décapita tous les marins (sauf trois) d’un navire portugais. Il laissa reparti les
survivants avec un message: « Dites à l’Occident qu’il fasse comme si nous n’existions plus ».
 L’isolement du Japon prend fin en 1854 par le traité de Kanagawa signé (sous la contrainte) avec
les Etats-Unis (qui venaient de conquérir la Californie en 1848). Cette défaite du Shogunat
entraina un mouvement d’opposition et le rétablissement du pouvoir impérial: c’est « l’ère
Meiji », qui commence en 1868 et marque la volonté du Japon de s’industrialiser.
 Les axes du développement économique japonais:
1. Une réforme agraire: Afin d’augmenter la productivité agricole les taxes proportionnelles sont
remplacées par une taxe fixe. Certaines terres sont redistribuées aux paysans qui l’exploitent et
la vente des terres est interdite (jusqu’en 1872).
2. Une politique d’industrialisation ambitieuse: Lorsque le secteur privé se révèle incapable
d’investir dans certains domaines, l’Etat crée lui-même les entreprises, puis les revend au secteur
privé: En 1880, l’Etat japonais possédait 54 entreprises industrielles, 10 mines et 3 centres de
chantiers de construction naval. L’Etat importait des modèles de machines européennes et les
faisait circuler dans les provinces. Il a enfin engagé une politique de formation à l’étranger de
nombreux techniciens. L’industrialisation du Japon s’est faite principalement sur les ressources
propres de l’économie traditionnelle japonaise, sans capitaux et main d’œuvre étrangers.
3. Transformation de l’enseignement: La société traditionnelle japonaise était relativement bien
alphabétisée (un taux supérieur proche de 50% pour les hommes, 15% pour les femmes). L’ère
Meiji transforme l’enseignement traditionnel sur le modèle occidental. L’école primaire est
rendue obligatoire en 1872 (en France il faudra attendre 1881). Très vite, le Japon rattrape et
dépasse la moyenne européenne dans les domaines de l’enseignement secondaire et supérieur.
 Le décollage industriel du Japon commence lors de la 1ère guerre mondiale.
3.6.3 Le cas du Portugal et du Danemark
• L’histoire économique de ces pays au cours du XIXème siècle est particulièrement
intéressante: ce sont ce que P. Bairoch appelle des pays complémentaires du Royaume-Uni.
En effet, le Danemark et le Portugal sont liés à l’économie anglaise par des accords
commerciaux. Très vite, leurs économies se spécialisent et s’intègrent à l’espace
économique anglais.
• Le Portugal: une complémentarité qui mène à la pauvreté.
 Depuis 1703, le Portugal et l’Angleterre sont liés par le traité de Methuen qui instaure le libre
échange entre le vin portugais et le tissu de laine anglais. Cet accord va s’avérer néfaste pour
l’économie portugaise dont la dépendance vis-à-vis de l’Angleterre va devenir insoutenable
(surtout après l’indépendance du Brésil en 1822). En 1870 1% des exportations britanniques
était destinée au Portugal, mais le Royaume-Uni représentait 60% des exportation
portugaises. A la fin du XIXème siècle, le vin représente près de la moitié des exportations
portugaises et les biens manufacturés seulement 10%.
 Le Portugal, qui était l’un des pays les plus développés d’Europe au début du XVIIIème siècle
ne parvient pas à s’industrialiser et devient l’un des plus pauvres à la veille de la 1ère guerre
mondiale.
• Le Danemark: cas d’une complémentarité qui mène vers l’opulence.
 Comme le Portugal, le Danemark est lié à l’Angleterre par des traités commerciaux
depuis la fin du XVIIème siècle. Très vite, il se spécialise dans la production de céréales
et de produits agricoles: Vers 1860, le Danemark exporte 1350 kg de céréales par
habitants contre 30 kg pour la Russie et 2 kg pour les USA.
 Cependant, la révolution des transports entraine une baisse de 40% du prix des
céréales au Royaume-Uni entre 1865 et 1900 (concurrence des pays du Nouveau
monde). L’agriculture danoise se reconvertit dans l’exportation de biens agricoles plus
élaborés (beurre, lard, jambon, œufs).
 La part du R-U est très importante dans les exportations danoises, passant de 38% en
1880 à 60% en 1900. La reconversion agricole se fait sur la base du développement
des coopératives agricoles après 1880 (on en compte 1100 en 1913). En 1913, la
productivité agricole danoise est 2,5 fois plus élevée que la moyenne européenne, et
12-14% en dessous de celles des USA.
Exportations de beurre du Danemark (en millier de tonnes)
1860 1872 1894
1 10 000 50 000
 L’amélioration de la productivité agricole du Danemark est favorisée par le très fort
taux d’alphabétisation de la population (97% en 1880) et par des réformes agraires
(redistribution des terres) et sociales (système d’assurance chômage, assurance-
maladie et assurance vieillesse).
 Privé de matières premières, le Danemark s’industrialise tardivement (après 1880). On
constate un développement de l’industrie cotonnière après 1890 (importation de coton
brut). De même, le Danemark ne commence à importer du fer que dans les années
1880.
 Malgré son faible niveau d’industrialisation, et grâce à son agriculture très productive,
le Danemark devient l’un des pays les plus riches du monde au cours du XIXème siècle
(parmi les 6-7 pays les plus riches du monde en termes de PIB/hab).
Tableau récapitulatif des différentes modalités de la RI
Préco- Rôle de Rôle des Libre- Capitaux Educa- Richesse
cité l’Etat banques échange étrangers tion globale
avt 1850 en 1913
Angleterre ++ - - NON -- 0 ++
Suisse + - - NON - + ++
Belgique + + + NON 0 0 ++
France + + - NON - 0 ++
USA + + - NON 0 0 +++
Allemagne 0 + ++ NON + + ++
Italie - - - NON 0 - 0
Russie - ++ - NON ++ - -
Japon - ++ + NON -- + -
Portugal -- - - OUI ? -- --
Danemark - + - OUI ? ++ ++
4. Colonisations et entrée dans le sous-développement
• Si le XIXème siècle est l’occasion d’un développement historique pour de nombreux pays
européens (mais pas tous), il engendre aussi l’entrée dans le sous-développement pour la
majorité de la population mondiale.
• Entre 1800 et 1913, la production manufacturière par habitant des futurs pays du tiers monde est
divisée par trois (voir le tableau de la diapositive 74). Comment se fait-il que des pays comme
l’Inde et surtout la Chine, qui en 1800 étaient encore parmi les société les plus avancées du monde
entrent dans un processus de sous-développement ?
 Au XVIème siècle, le niveau de développement de l’empire Ottoman et de la Perse est comparable à celui
de l’Europe. En 1530, Istanbul est la 1ère ville européenne avec 300 000 - 400 000 hab.
 Vers 1500, la Chine représente 40% de la population asiatique et 25% de la population mondiale. Pékin
est la plus grande ville du monde et compte près de 700 000 habitants. La Chine possède alors 4 des 6
plus grandes villes du monde.
« En 1100, la Chine était sans aucun doute la société la plus avancée dans le monde du point de vue de la
technologie; et particulièrement dans l’utilisation du coke (dans la fusion du fer), les canaux et
l’équipement agricole. La mise au point des ponts et des machines textiles se développa également
rapidement. Dans la Chine du XIème siècle, il y avait dans tous ces domaines une utilisation de techniques
qui ne furent égalées en Europe qu’après 1700. » Arnold Pacey, 1990.
 L’Inde est une civilisation très avancée sur le plan technique, en particulier dans le textile du coton
(cotonnades), appelées aussi « indiennes ». Mais c’est un pays politiquement divisé et souvent
dominé par des puissances militaires étrangères (Mongoles, Etats musulmans…)
 Les autres pays d’Asie (Siam, Cambodge, Birmanie, Viêt-Nam…) sont également d’un haut niveau
de développement et possèdent d’importants pôles urbains.
 L’Amérique est un continent faiblement peuplé dans ses extrémités nord et sud, mais est habitée
par 50-60 millions de personnes. Bien que la civilisation Aztèque soit très avancées (notamment
en astronomie), elle possède un important retard technologique (métallurgie du fer, usage des
chevaux, armes à feux, moyens de transport…). Tenochtitlan (aujourd’hui Mexico) était une ville
de 150 000 à 200 000 habitants à l’arrivée des Européens. Grâce à la culture du maïs et de la
pomme de terre, les rendements et la productivité agricole sont élevés. Le taux d’urbanisation des
Aztèques est sans doute supérieur à celui de l’Europe.
 En 1500 l’Afrique est déjà victime de l’esclavage. Entre 650 et 1500, 6 à 7 millions d’Africains sont
déportés vers le monde musulman. Quelques grands royaumes existent: Le Bénin, dont la capitale
possède près de 70 000 hab. en 1500, l’empire de Monomotapa (sur l’actuel Zimbabwe) s’étend
sur 700 000 km² (un territoire plus grand que la France). Sa capitale, le Grand Zimbabwe devait
compter un peu moins de 20 000 habitants et était fait de maisons de pierre.
• Comparaison de l’évolution du PNB des pays développés et du tiers monde (en dollars
constant 1960).
Total (milliards de dollars) Par habitant (dollars) Ces extrapolations
Tiers Monde Pays développés Tiers Monde Pays développés historiques sur longue
1750 112 35 188 182 durée doivent être
prises avec prudence.
1800 137 47 188 198
1830 150 67 183 237 Le PNB ne représente
1860 159 118 174 324 que la richesse
1900 184 297 175 540 monétaire.
1913 217 430 192 662
1928 252 568 194 782
1938 293 678 202 856
1950 338 889 214 1180
1970 810 2450 340 2540
1980 1280 3400 390 2920
1990 1730 4350 430 3490
Source: Bairoch 1999, Mythes et Paradoxes de l’histoire économique, p. 134
Evolution du PNB/hab entre 1750 et 1990
4000

3500

3000

2500

2000

1500

1000

500

Tiers Monde Pays développés


4.1 Modalités et fonctionnement de la colonisation européenne
• Le fait colonial n’est pas propre à l’Europe moderne et contemporaine. C’est une
permanence de l’histoire. Les civilisations méditerranéennes (Egypte, Grèce,
Perse, Rome…) possédaient des colonies. Les empires Arabes, Mongols et
Ottomans étaient des empires coloniaux.
 La colonisation implique une relation de domination entre un centre (métropole) et
une périphérie (colonie). Cette relation se caractérise par un échange de type féodal:
protection militaire contre avantages économiques et commerciaux.
 Il existe deux grands types de colonisation:
• Les colonies de peuplement (principalement sur des territoires peu peuplées au climat
tempéré)
• Les colonies d’exploitation (principalement sur des territoires qui disposent de ressources
précieuses pour la métropole).
• Certaines colonies peuvent être des deux types (ex: Afrique du Sud)
 Le rapport colonial n’est pas figé: il peut évoluer vers une intégration et une
assimilation des colonies à la métropole (ex. de Rome, des DOM…) ou vers
l’indépendance.
4.1.1 Principes généraux de la colonisation
• Le « pacte colonial »
 Les historiens appellent « pacte colonial » les pratiques qui ont gouverné les relations entre les
métropoles et leurs colonies. On peut distinguer cinq grands ensembles de règles:
1. Seuls les produits en provenance de la métropole peuvent être importés dans les colonies.
2. Les produits des colonies sont exportés exclusivement vers la métropole, d’où ils sont ensuite
réexportés vers les partenaires commerciaux de la métropole. En contrepartie, la métropole
accorde une préférence aux produits de ses colonies (ex. de la banane ACP).
3. La production d’articles manufacturés susceptibles de concurrencer ceux de la métropole est
interdite dans les colonies
4. Les relations commerciales et le transport entre métropole et colonies sont réservés aux
citoyens de la métropole (il existe parfois un monopole sur le commerce accordé à une
compagnie privée).
5. Dans les colonies de peuplement, il existe un statut juridique différent entre la population
d’origine européenne et la population d’origine locale (statut de l’indigénat) qui implique des
règles d’exception, taxes, travaux forcés, conscription… et peut aller jusqu’à l’instauration
d’un système d’apartheid racial (En Afrique du sud l’apartheid est instauré après
l’indépendance).
• Les grandes étapes du processus colonial
 Le processus de colonisation commence souvent par l’exploration à des fins commerciales
(découverte de nouvelles voies navigables) et l’instauration de comptoirs commerciaux (souvent sur
des îles au large des côtes ou dans des ports) et de foire commerciales régulières.
 Ce commerce est favorisé par la métropole qui épaule les grandes compagnies marchandes
(compagnies des indes orientales ou occidentales) en mettant sa flotte militaire au service de sa
flotte marchande. En échange, les bénéfices de la compagnie sont taxés.
 L’engagement militaire de la métropole engendre des traités inégaux avec le pouvoir politique local
et l’installation d’une structure militaire et administrative. Des européens s’installent dans la colonie
de manière permanente et deviennent des Créoles.
 Parfois, la métropole dénonce l’accord d’exploitation accordé aux compagnies privées et en vient à
diriger directement l’administration locale (Cas de l’Inde).
1760 1830 1880 1913 1938
Royaume-Uni 2,7 189,0 270,9 393,8 496,1
France 0,6 0,5 7,1 48,0 70,6
Espagne 18,8 4,3 8,3 0,9 1,1
Portugal 1,6 0,7 1,8 5,6 10,6
Pays-Bas 3,3 11,1 24,1 49,9 68,4
Japon - - - 19,6 30,9
Superficie contrôlée en millions de km² Source: Bairoch 1997, Victoires et déboires, t. 2 pp. 608-609
Evolution du domaine colonial de l’Europe (population en
millions d’habitants, superficie en millions de km²)

Année Population de Domaine colonial européen


l’Europe Population Superficie
1760 125 27 24,2
1830 180 205 8,2
1880 244 312 24,5
1913 320 554 53,2
1938 396 724 56,7
1950 392 160 25,3
1963 437 30 6,5
Source: Bairoch 1997, Victoires et déboire, t. 2, p. 606
4.1.2 La première phase de la colonisation européenne (1510 – 1760)
 Cette colonisation est essentiellement le fait de l’Espagne, du Portugal, des Pays-Bas,
de l’Angleterre et de la France et concerne principalement le continent américain).
 Il faut distinguer les colonies de peuplement qui se situent principalement dans les
zones tempérées (Etats-Unis, Canada, Argentine, Uruguay, Australie, Nouvelle
Zélande) et les colonies d’exploitation qui se trouvent généralement en zone
tropicale.
 Elle s’appuie sur une conquête militaire extrêmement rapide rendue possible par
l’importante chute démographique et la désorganisation politique des sociétés
traditionnelles d’Amérique.
• Les maladies importés par les colons (variole, typhus, lèpre) et les massacres font passer la
population américaine de 50-60 millions en 1492 à… 10 millions en 1650.
• Dès lors, l’exploitation des terres et des mines nécessitera la déportation massive
d’esclaves venus d’Afrique. Au total, plus de 9 millions de captifs africains ont été
déportées entre 1450 et 1870). Attention: ne pas confondre esclavage et traite.
 Cette phase de la colonisation se termine avec l’indépendance de la plupart des
colonies américaines entre 1776 et 1828: Etats-Unis (1776), Haïti (1791), Mexique
(1810), Argentine (1816), Brésil (1822)…
Déportation d’esclaves africains (trafic transatlantique européen)
(rappel: le flux d’esclave vers l’orient est estimé à 14-15 millions, dont la moitié entre 650 et 1450)

1451- 1601- 1701- 1811- Total %


1600 1700 1810 1870
Amérique du nord - - 348 51 399 4,2
Caraïbes - 264 1401 - 1667 17,4
britanniques
Caraïbes françaises - 156 1348 96 1600 16,7
Autres caraïbes (sauf - 44 484 - 528 5,5
espagnoles)
Colonies espagnoles 75 293 579 606 1553 16,2
Brésil 50 560 1891 1145 3646 38,1
Europe 49 1 - - 50 0,5
Sao Tomé et îles de 101 24 - - 125 1,3
l’Atlantique
Total 275 1341 6052 1898 9566 100
Moyenne annuelle 2,9 13 55 32 23 -
Source: Bairoch 1997, Victoires et déboires, t.2, p. 691
4.1.3 La seconde phase de la colonisation européenne (1760 – 1960)
 Cette phase, est dominé par l’empire colonial britannique qui contrôle la
majorité des territoires et des populations. Elle concerne d’abord l’Asie (Inde,
Indochine, Indonésie), puis l’Afrique (principalement après 1850-1880) et le
Moyen Orient (après la disparition de l’empire Ottoman en 1923).
 Elle est l’œuvre des puissances industrialisées de l’époque, à l’exception de
l’Allemagne et des Etats-Unis (qui ne disposeront que d’un empire colonial
restreint).
 En Afrique subsaharienne, la colonisation s’impose dans des sociétés déjà
profondément désorganisées par la traite négrière. La période coloniale de
l’Afrique subsaharienne est cependant relativement courte (1880-1970)
4.2 Le Brésil: prototype d’une colonie d’exploitation
• Avant l’indépendance: de la phase du bois à celle du coton, en passant par le sucre et
l’or.
 Contrairement aux autres pays d’Amérique latine (notamment Pérou et Mexique), le Brésil
est assez peu peuplé (environ 1 million d’habitants) avant l’arrivée des Européens et ne
possède aucune ville de plus de 20 000 habitants sur les 25-30 que possède l’Amérique latine.
 C’est une colonie portugaise. En effet, en 1494, le traité de Tordesillas partage le monde entre
le Portugal et l’Espagne selon une ligne nord-sud. Or, les côtes du Brésil, découvert plus tard,
se situe à l’est de cette ligne. Entre 1630 et 1661, les Portugais sont brièvement supplantés
par les Hollandais.
 L’exploitation du bois (1510-1570) est peu importante économiquement. Pendant cette
phase, l’espace colonial du Brésil passe de 15 000 personnes à plus de 50 000.
 L’exploitation du sucre (1570-1700) est celle qui lance véritablement l’exploitation coloniale
du Brésil et l’arrivée massive d’esclaves Africains (600 000 entre 1570 et 1700).
• Les exportations de sucre passent de 3000 t/an à 45 000 t/an en 1650. Le sucre représente alors 95%
des exportations du Brésil. Après le départ des Hollandais; les exportation s’effondrent à 27 000 t/an
en 1700.
• En 1700, la population intégrée au circuit colonial est montée à 300 000.
 L’exploitation de l’or (1700-1790) entraîne une croissance très rapide de la population
qui atteint 3,6 millions en 1800.
•La production d’or passe de 2,8 t/an pour la période 1701-1720 à 14,6 t/an pour 1741-1760.
Le Brésil fournit alors 60% de la production mondiale d’or. Après 1780 la production d’or
chute pour tomber à 5,5 t/an.
•Cette période engendre une hausse des importations de produits manufacturés et une
disparition de l’artisanat local. Elle entraine également un déclin de l’industrie portugaise.
 L’exploitation du coton (1760-1820) est liée à la volonté politique du marquis de
Pombal, secrétaire d’Etat qui cherche à développer l’économie de la métropole et celle
du Brésil.
• La production de coton brésilien est néanmoins handicapée par la concurrence des Etats-Unis
qui disposent d’un savoir-faire et d’une technologie supérieure (machine à égrener le coton
inventée en 1793).
 Globalement, les exportations par habitant déclinent après 1650. Elles sont divisées
par 3 ou 4 entre 1600 et 1700, puis par 6 ou 8 entre 1700 et 1800. En 1800, le Brésil
n’est donc plus le pays riche qu’il était au XVIème et XVIIème siècle.
• Après l’indépendance en 1822, les cycles du café et du caoutchouc et un début de
développement industriel.
 L’exploitation du café commence véritablement au début du XIXème siècle. La production
de café passe de 8000 t/an vers 1810 à 83 000 t/an en 1840, puis 770 000 t/an en 1913.
Dans les années 1960, le café représentera encore plus de la moitié des exportations du
Brésil en valeur.
 A la fin du XIXème siècle le Brésil devient également un important exportateur de
caoutchouc. En 1910, le caoutchouc représente 39% de la valeur des exportations du Brésil.
 Un début d’industrialisation commence en 1808, avec l’arrivée de la famille royale qui fuit
l’occupation napoléonienne et qui abolit les restrictions à la production locale. En 1820, le
Brésil produit 200 tonnes de fer grâce à des hauts fourneaux modernes réalisés par des
immigrants européens. Cependant l’absence de volonté politique après 1820 de poursuivre
sur la voie de l’industrialisation et la concurrence des produits anglais mis fin à cette
première phase d’industrialisation.
 Il faudra attendre la réforme tarifaire de 1879 (augmentation des droits de douanes) pour
que l’industrie brésilienne soit relancée. Vers 1910, le Brésil devient le 10ème producteur
mondial de fil de coton et se place au 22-23ème rang mondial comme producteur de fonte.
L’industrie brésilienne est aujourd’hui l’une des plus puissante du monde en
développement.
4.3 L’Inde: une exploitation coloniale qui mène à la désindustrialisation et au
sous-développement
• La colonisation de l’Inde par le Royaume-Uni est facilitée par l’absence d’unité
politique de l’Inde, divisée en de nombreux Etats antagonistes.
• La colonisation directe commence en 1757 après la bataille de Plassey. Elle est
le fait de la Compagnie Anglaise des Indes Orientales (CAIO). Elle se traduit par
une intensification des relations commerciales entre les deux pays.
Exportations vers l’Inde Importations en
provenance de l’Inde
1700 0,5 2,5
1770 4,5 5,5
1800 10,0 19,0
1850 43,0 45,0
1900 156,0 134,0
1913 310,0 233,0
Source: Bairoch 1997, Victoires et Déboires, t. 2, p. 8
• Jusqu’en 1813, l’Inde exportait principalement des articles manufacturés vers l’Angleterre (environ
70% de la valeur de ses exportations).
• Avec la guerre de 1812-15 contre les Etats-Unis, le R-U doit trouver une nouvelle source de coton
brut pour son industrie textile. C’est la fin du monopole commercial de la CAIO qui lui permet
d’importer du coton brut de l’Inde et d’exporter vers l’Inde ses cotonnades. Les possessions de la
compagnie passent sous le contrôle direct de la Couronne au début des années 1860.
• En raison de la mécanisation, un ouvrier anglais produit 10 à 14 fois plus de fil de coton qu’un
ouvrier indien qui travaille dans une filature traditionnelle.
 Les importations indiennes de cotonnades anglaises passent de 1 millions de yard en 1814 à 13 millions
vers 1820 et 2050 millions en 1890.
 Ces importations massives entraîne la disparition d’environ 80% de l’industrie textile locale au cours du
XIXème siècle.
 Le même mécanisme entraine la disparition presque complète de l’activité sidérurgique indienne.
 Parallèlement, la production de coton brut est multipliée par 6 entre 1810 et 1914, au détriment des
cultures vivrières. Entre 1875 et 1900, les famines entraîneront la mort de 26 millions d’indiens.
• L’Inde commence à se réindustrialiser à partir du début du XXème siècle, en particulier grâce à des
industriels autochtones. Après l’indépendance (1947), les dirigeants de l’Inde adopteront une
politique très protectionniste, ce qui stimulera progressivement l’activité industrielle locale et
permettra une ouverture (relative) de l’économie indienne dans les années 1990.
4.4 La Chine: une ouverture forcée aux intérêts européens
• La Chine a longtemps été la civilisation la plus développée au monde. La dynastie des
Song (960-1276) correspond sans doute à l’apogée de la Chine traditionnelle. Son
avance technologique et culturelle était alors considérable (système du mandarinat,
urbanisation intense, échange commerciaux avec l’occident…). La domination
Mongols (1276-1368) n’a pas affaiblit la richesse chinoise et a permis une plus grande
ouverture de la Chine vers l’ouest. La dynastie des Ming (1368-1644) a d’abord
poursuivit la politique d’ouverture des Mongols. Entre 1405 et 1433, de grandes
expéditions maritimes de prestige sont lancées.
• La politique d’ouverture se termine en 1490. Seul le Portugal est autorisé, à partir de
1550, à tenir une foire annuelle sur une île au large de Macao. La ville de Canton est
également ouverte au commerce avec l’occident.
• Cette politique de fermeture est poursuivie par la dynastie Qing (1644-1912)
originaire de Manchourie. Cette fermeture n’empêche pas une explosion
démographique au cours du XVIIIème siècle, la population chinoise passant de 150 à
320 millions en 1800, grâce à une meilleure administration et à la culture des plantes
originaires du nouveau monde (maïs, patates douces…)
• A partir de 1757, la politique de fermeture de la Chine est renforcée et le commerce avec
l’occident très contrôlé. Après l’abdication de l’empereur Qianlong en 1796, le pouvoir
central est affaibli et confronté à des révoltes intérieures.
• Pour contrer la politique de fermeture économique, la CAIO va développer le commerce
de l’opium (généralement cultivé au Bengale) à partie de la seconde moitié du XVIIIème
siècle, bien que la Chine interdise le commerce de l’opium à partir de 1796.
Année Trafic d’opium (en tonnes)
1770 40
1800 200
1830 1 040
1838 1400
1906 3000

• La poursuite du commerce d’opium entraîne une réaction des autorités chinoises qui
saisissent et brûlent les marchandises (essentiellement de l’opium) des navire anglais
dans le port de Canton. C’est le début de la 1ère guerre de l’opium (1839-1842) qui se
termine une victoire anglaise. Le traité de Nankin ouvre 5 ports aux navires
britannique, leur accorde la liberté commerciale, réduit les droits d’entrée et leur
accorde le droit de s’installer à Hong Kong.
• En 1858, la « seconde guerre de l’opium » (expédition franco-britannique) permet aux
occidentaux de commercer librement de l’opium, d’ouvrir 11 nouveaux ports au
commerce, d’accorder une préférence aux marchands occidentaux…
 Les canonnières anglaises peuvent librement naviguer sur les rivières intérieures chinoise:
c’est la « politique de la canonnière ». A la fin du XIXème siècle, les Anglais obtiennent le
contrôle des douanes chinoises, ce qui fait de la Chine une semi-colonie de facto.
• L’échec de la révolte des Boxers (1899-1901) augmente encore les avantages
commerciaux des occidentaux, et le gouvernement chinois doit payer des réparations.
• Cette ouverture forcée (et inégale) de l’économie chinoise entraine, comme en Inde
une certaine désindustrialisation (moins importante que pour l’économie indienne).
Mais sous l’impulsion de l’Etat, une active politique industrielle est menée dès la fin du
XIXème siècle.
• Après 1906, la politique du Royaume-Uni est modifiée et le commerce de l’opium est
volontairement réduit. La Chine engage une politique de désintoxication et lutte
activement contre les fumeries d’opium. En 1907, environ 27% des hommes adultes
fument de l’opium.
4.5 La dépendance économique des colonies
• Le tableau ci-dessous montre la structure des relations commerciales entre les métropoles et les colonies en
1913 (en millions de dollars courants) – Source: Bairoch 1997, t.2 p. 611

Commerce des métropoles Commerce des colonies


Part du commerce Part du commerce
avec les colonies avec la métropole
Total Exp (%) Imp (%) Total Exp (%) Imp (%)
Royaume-Uni 2556 37,2 20,5 2450 42,0 45,7
France 1328 13,0 9,5 320 50,0 61,1
Pays-Bas 413 5,3 13,5 275 28,1 33,3
Etats-Unis 2429 2,0 9,2 150 75,4 75,4
Japon 356 5,2 6,6 70 58,8 62,7
Allemagne 2403 0,5 0,4 57 20,7 40,5
Portugal 37 14,2 3,2 35 31,0
Belgique 702 0,7 1,0 11 90,4 66,1
Espagne 204 2,1 0,5 7 27,3 38,5
5. La deuxième révolution industrielle
• La fin du XIXème siècle est marquée par de profonds changements qui font
évoluer en profondeur le capitalisme dans les économies développées.
 Après un premier siècle de croissance faible, le XXème siècle voit le rythme de
croissance s’accélérer.

Année Niveau Taux annuel de Année Niveau Taux annuel de


croissance croissance
1750 182 - 1929 799 1,3
1800 197 0,2 1939 894 1,1
1870 361 0,9 1945 825 -0,9
1890 454 1,2 1950 1050 4,4
1913 662 1,7 1973 2530 3,9
1923 647 -0,2 1990 3460 1,9
Evolution de la croissance du PNB par habitant dans les pays développés (en $ 1960).
Source: Bairoch 1997, t. III, p. 125
5. La deuxième révolution industrielle

Source: Banque mondiale


 La croissance est le produit de l’augmentation de la productivité du travail. Après 1870, celle-ci
touche progressivement tous les secteurs de l’économie grâce aux avancées technologiques, à la
mécanisation et à une nouvelle organisation du travail.
 D’après la théorie du déversement (Alfred Sauvy), cette croissance généralisée produit des effets
différents selon les secteurs. Le secteur des services (tertiaire), dont la productivité croit le plus
lentement, est celui qui absorbe le plus de main d’œuvre, notamment après 1950.
Pop. Active Répartition en fonction de la population active totale
Année
(millions) Agriculture Industrie Services
1500 29 Env. 80 Env. 10 Env. 10
1750 53 Env. 76 Env. 13 Env. 11
1800 56 74 16 11
1913 155 40 32 28
1950 210 23 37 40
1970 287 10 38 52
1980 331 7 34 58
1990 374 5 29 66
1995 388 5 27 68
Répartition de la population active des pays développés à économie de marché.
Source: Bairoch 1997, t. II, p. 188.
5.1. Les innovations technologiques
• Après 1870, de nombreuses innovations vont profondément transformer les
économies des pays développés.
 Révolution dans les transports: L’invention du chemin de fer (la première ligne est ouverte en
Angleterre en 1825), du bateau à vapeur (dont l’usage se généralise après 1870) et la
multiplication des canaux de navigation (dont le canal de Suez ouvert en 1869), l’amélioration
des routes et des ports… divisent les coûts de transport par 10 entre 1800 et 1900 
conséquences sur la taille moyenne des entreprises.
• En 1860, 108 000 km de voie ferrées sont exploitées dans le monde. En 1913, ce chiffre passe à 1 101
800 km, dont 80% dans les pays développés.
 Une nouvelle révolution agricole: Dans la seconde moitié du XIXème siècle, le développement
de l’industrie chimique permet de développer des engrais industriels qui vont
considérablement augmenter les rendements.
• Plus tard (dans les années 20-30 aux USA, dans les années 1950 en Europe) la mécanisation et
l’usage des pesticides vont à nouveau engendrer un bond dans la modernisation de l’agriculture.
• Rendement et productivité agricole augmentent de manière considérable. La mécanisation entraîne
une spécialisation et une concentration de l’agriculture.
• Deux innovations industrielles majeures: La maitrise de la production et de la
distribution électrique et le moteur à explosion.
 L’invention et le perfectionnement de la dynamo (dans les années 1860-70) permet de
produire efficacement de l’électricité. Celle-ci est utilisée à partir de 1875 pour
l’éclairage. Mais ce n’est qu’en 1878 qu’Edison invente l’ampoule à incandescence.
 La production d’hydro-électricité commence dans les années 1880. En 1913, la moitié
de l’électricité produite est d’origine hydraulique.
 L’électricité permet de distribuer localement une énergie produite à distance. C’est ce
qui permet l’invention de petits appareils consommateurs d’énergie (phonographe, TSF,
ampoules électriques, réfrigérateur, machine à laver…) et donc de l’électroménager.
 L’usage de l’électricité permet aussi de développer le télégraphe électrique à partir des
années 1850. Le 1ère câble transatlantique est tirée en 1858.
 Le moteur à explosion moderne est inventé en 1885-1887 par Gottlieb Daimler. Cette
technologie va permettre le développement des véhicules motorisés individuels dont la
production va devenir le secteur industriel moteur du XXème siècle.
5.2 Vers un nouveau système de production
• Entre 1846 et les années 1880, les pays européens engagent des politiques favorables au
libre-échange. Combinée à la baisse des coûts de transport, ces politiques vont entrainer
l’intensification des échanges, l’augmentation de la taille des entreprises et la
concentration industrielle.
 Les sociétés par action se développent dans la 2de moitié du XIXème siècle.
 La taille moyenne des entreprises industrielles augmente. Par ex. en Belgique, la taille moyenne
des unités productrice de fonte passe de 10 en 1760 à 54 en 1860 et 234 en 1913.
 Aux Etats-Unis, l’émergence de trusts (Standard Oil, Sugar Rafining Company, Western Union
Telegraph…) entraîne une réaction juridique avec le Sherman Act de 1890. En Allemagne, les
cartels dans certaines industries (chimique notamment) entendent contrôler l’organisation de la
production horizonta-lement, tandis que les konzerns instaurent des systèmes de concentration
verticale. En France, le Comité des forges, créé en 1864 est un cartel qui contrôle le secteur
sidérurgique jusqu’en 1940.
 Entre 1880 et 1929 apparaissent les premières véritables firmes transnationales. L’usage du
télégraphe permet la communication entre la maison mère et ses filiales. La monté du
protectionnisme incite les entreprises à préférer la création de filiales de production dans les
centres de consommation.
• Le modèle américain de production et le système fordiste
 L’organisation scientifique du travail (OST) de Taylor se développe dans les entreprises
américaines à partir de la toute fin du XIXème siècle. Elle est fondée sur l’intensification
de la division horizontale et verticale du travail.
• La division verticale du travail implique, pour l’ouvrier, d’être dépossédé de sa méthode de
travail et de son savoir-faire. C’est l’ingénieur du bureau des méthodes qui détermine les
méthodes de production.
• Chaque tâche est parcellisée et chronométrée. Le taylorisme permet le développement de
l’ouvrier spécialisé (OS).
 La chaine de montage est inventée par Henri Ford en 1913. Elle est permise par l’usage
de l’électricité. La distribution locale de l’énergie permet à la production de se déplacer
vers l’ouvrier qui lui, reste sur place.
• Le système fordiste avec ses ouvriers spécialisés et interdépendants est très vulnérable au
turn-over. Ford est contraint de fidéliser ses salariés en leur accordant d’importantes hausses
de salaires (et un paiement mensuel).
 Ce « deal » entre augmentation de la productivité d’une part et augmentation des
salaires d’autre part est la base du compromis fordiste. En s’étendant à l’ensemble de
l’économie, il va être à la source des « trente glorieuses », période qui associe
production et consommation de masse.
5.3 Emergence du mouvement ouvrier, développement de l’éduction primaire,
hausse du niveau de vie… et exode rural
 La baisse de la natalité s’engage dans la plupart des pays européens entre 1870 et 1890
(à l’exception de la France dont la natalité a baissé dès le début du XIXème siècle). C’est
la deuxième phase de la transition démographique.
 Cette évolution démographique apparaît en même temps que l’amélioration du niveau
de vie des ouvriers, l’augmentation du niveau d’instruction et le début de l’organisation
des mouvements syndicaux et ouvriers.
– L’instruction primaire devient obligatoire dans de nombreux pays après 1870: Massachusetts 1852, Italie
1877, Royaume-Uni 1880, France 1882, Norvège 1889, Irlande 1892, Portugal 1911, Belgique, 1914…
– L’instruction secondaire et supérieure reste marginale. Cependant, l’instruction technique et
technologique connait un véritable essor dans la seconde moitié du XIXème siècle, en particulier en
Allemagne.
– Le Manifeste du Parti communiste est publié en 1848. Les partis socialistes se fédèrent: L’association
Internationale des travailleurs est fondée en 1866 à Londres, l’Internationale ouvrière (socialiste) est
fondée à Paris en 1889.
– Les premières lois sociales (droit de grève et du fait syndical, congés payés, journée de 8h, protection
sociale…) vont être mises en place entre 1880 et 1939. En France, le droit de grève est accordé en 1864; les
syndicats sont reconnus en 1884, les premières lois de protection sociales sont votées entre 1890 et 1910,
la journée de 8h est instaurée en 1919 et les congés payés en 1936.
 Dans les zones rurales, l’amélioration de la productivité agricole et la concentration
industrielle consécutive à la baisse des coûts de transport conduisent à une désertification
économique des régions éloignées des centres urbains. C’est l’exode rural.
6. La crise économique des années 1930
6.1 Les crises économiques du capitalisme
 Jusqu'au milieu du XIXème siècle, l'agriculture est le principal secteur de production de richesses en
Europe. La plupart des crises économiques sont de type agricoles.
• De mauvaises récoltes entraînent une hausse du prix de l'alimentation, des revendications sociales, des grèves et
des troubles politiques.
 Entre 1845 et 1849, la conjugaison de mauvaises récoltes de céréales et l'apparition du mildiou de la
pomme de terre engendre les révolutions européennes de 1848 (« printemps des peuples ») et la famine
irlandaise.
 Après 1850, les crises économiques sont des crises essentiellement industrielles: Les ralentissements
dans la logique d'accumulation du capital peuvent être la conséquence d’une crises des débouchés...
Crise des débouchés  ↗ des stocks  ↘ de la production  ↘ de l'invest.
... ou d’une crise du financement bancaire
Créances douteuses  faillite(s) bancaire(s)  ↘ des prêts  ↘ de l'invest.
● Le secteur des chemins de fer est à la fois source de croissance et de crises financières.
 Les capitaux privés nécessaires pour construire de nouvelles lignes sont gigantesques... et la
rentabilité des voies ouvertes est aléatoire.
 Les crises de 1857, 1866, 1873 et 1890-93 sont toutes liées à la faillite de banques engagées dans le
financement d'activités ferroviaires
 Les phénomènes spéculatifs, le développement des sociétés par action et des bourses de valeur
multiplient les phénomènes de hausses suivies de baisses brutales.
 Ex de phénomènes spéculatifs célèbres : La « tulipomania » de 1633-1637 aux Pays-Bas, le système
Law (1716-1720) en France...
● La crise de 1893 aux États-Unis
 C'est la première grande crise économique du nouveau continent. Elle suit la phase d'expansion
industrielle très rapide des années 1880. La faillite d'une grande compagnie ferroviaire crée une
panique bancaire.
 Cette crise fut renforcée par des désordres monétaires liés au caractère bimétallique du dollar. Les
faillites de banques se poursuivent et entrainent la faillites de nouvelles compagnies ferroviaires.
 Ces crises bancaires entraînent un credit crunch, la baisse de la production industrielle et l'explosion
du chômage, qui passe de moins de 4% en 1892 à plus de 10% (souvent plus de 14%) entre 1893 et
1898.
6.2 L'économie américaine au début du XXème siècle
● Dès la fin du XIXème siècle, l'économie américaine devient la première puissance économique
mondiale, supplantant le Royaume-Uni.
 En 1913, le PIB par habitant américain représente plus du double de celui de la moyenne
européenne (hors URSS). Après la guerre, en 1925, il représentera 2,5 fois le PIB/hab européen.
 Durant les années 20, la production d'acier des USA dépassera le volume de production d'acier
européen, alors que la population américaine ne représente que 25-30% de la population
européenne.
● Une économie d'immigration prospère
 Jusque dans les années 20, les États-Unis imposent peu de restrictions à l'immigration et le pays
se développe en attirant une importante main d’œuvre européenne et asiatique.
 Les années 1860-1929 sont marquées par de nombreuses transformations socio-économiques
 Hausse de la productivité et des salaires (innovations, luttes sociales puis taylorisme et

fordisme)
 Développement des transports publics, apparition des grands magasins, de la culture de masse

(feuilletons, opérettes, comédies musicales, presse, cinéma...)


 Aux États-Unis, cette rupture est marquée par l'apparition des premiers gratte-ciel et du confort

moderne (électroménager, ascenseurs...)


● La crise des années 1920-1921
 La fin de la première guerre mondiale entraîne une chute des cours mondiaux des céréales.
 Or, les efforts de mécanisation de l'agriculture américaine a entraîné l'endettement de
nombreuses exploitations.
 L'agriculture qui représente 27% de la population active, voit ses revenus chuter de 25% entre
1919 et 1920, puis de 50% entre 1920 et 1921.
 La fin de la guerre entraîne le rapatriement de 4 millions de soldats et limite les débouchés
des 9 millions d'américains qui travaillent dans l'industrie d'armement.
 La baisse des revenus agricoles limite les débouchés de l'industrie classique.
 Cela entraîne une très forte hausse du chômage, qui touche 20% de la population active dans
l'industrie, et 12% de la population active totale.
 La situation économique de l'industrie se rétablit assez vite, tirée par de nouveaux secteurs
(automobile, TSF, bâtiment...). Dans les campagnes, en revanche, la situation restera difficile
pour de nombreuses exploitations, ce qui entraînera une concentration des terres et une
baisse de la population active agricole.
6.3 Le krach boursier de 1929
● Les années 20 (en particulier après 1925) sont marquées par une intense activité spéculative sur la
bourse de New York qui entraîne une hausse des cours des titres. L'économie américaine est à
nouveau dans une phase de prospérité. Les profits des entreprises sont importants et augmentent,
le chômage est faible, c'est « l’Ère nouvelle ».
● Les principales causes de la spéculation
 Les causes institutionnelles et technologiques :
 La bourse de New York est une institution privée qui n'est soumise a aucune réglementation nationale ou
fédérale. Les banques peuvent y intervenir en tant intermédiaires ou directement en tant qu'investisseurs
 L'apparition du téléscripteur dans les années 1920 permet la diffusion très rapide des dernières cotations
dans tout le pays (et y compris sur les paquebots).
 La mode et les oracles de l’Ère nouvelle
 Au fur et à mesure de la hausse des cours, de nombreux investisseurs s'enrichissent, ce qui incite de
nouveaux épargnant à acheter des titres. Des revues spécialisées donnent des conseils et encouragent la
spéculation.
 Les volumes des échanges s’accroissent : 3 à 5 millions de titres sont échangés tous les jours au début de
1929. Au total, les activités spéculatives concerneront 600 000 – 900 000 personnes (sur une population de
120 millions de personnes représentant 25 -30 millions de familles).
 De très nombreux analystes, banquiers, économistes ont encouragé le marché en développant des analyses
optimistes :
− Trois jours avant le krach, l’économiste Irving Fisher estimait : « le prix des actions ont atteint ce qui
apparaît être un haut plateau permanent »
− En novembre 1929 (après le krach du 24 octobre) La Harvard Economic Society écrivait : « une crise sévère
comme celle de 1920-21 est hors de toute probabilité. Nous ne sommes pas à la veille d'une liquidation
prolongée ».
 Parmi les optimistes figuraient bien entendu les banquiers et les sociétés d'investissement. Certains
journalistes étaient rémunérés par des groupes d'intérêt pour écrire des papiers optimistes.
 Parmi les « pessimistes », on trouvait la rédaction du New York Times, ainsi qu'un certain nombre de
responsables politiques et financiers. Ainsi, la banque fédéral de New York augmenta de 5% à 6% son
taux d'intérêt à court terme durant l'été 1929. Beaucoup de personnes cherchaient à lutter contre
l'exubérance des marchés et des cours manifestement trop élevés.

 Les mécanismes de levier


 En finance, le levier est un système qui permet de s'engager sur un volume de titres qui dépasse le
montant de ses fonds personnels. Il permet par exemple à quelqu'un qui possède $1000 d'acheter
pour $5000 de titres.
 Durant les années 20, cette possibilité a été offerte par les opérations sur marge, ouvertes à tous,
qui permettaient aux investisseurs de ne payer que 20% des achats effectués, en échange d'un taux
d'intérêt à court terme qui pouvait atteindre 10 à 15%
− Lorsque les cours baissaient, les courtiers exigeaient un rappel de marge qui nécessitait parfois de
vendre des titres, accélérant ainsi la chute des cours.
 Les banques d'affaire et les acteurs de 1er plan ont développé une autre sorte de levier : la
société d'investissement.
− En 1928 186 sociétés d'investissement furent créées ; elles furent 265 en 1929, vendant pour près de 3
milliards de titres (près du 1/3 des émissions totales de l'année).
− Le public était très demandeurs de titres des sociétés d'investissement. Il arrivait souvent que la valeur des
actions des sociétés d'investissement (son capital) dépasse la valeur de leurs actifs détenus.
− Le levier était permis par l'émission d'actions préférentielles (à dividendes garantis) ou d'obligations,
permettant de faire reposer la hausse des actifs uniquement sur les actions ordinaires.
− Il était également possible de constituer des sociétés d'investissement qui détenaient des actions d'autres
sociétés d'investissement, et ainsi de suite, ce qui permettait de multiplier infiniment la force du levier.
 Bien entendu, si le marché se retourne, la baisse des cours boursiers impacte prioritairement
les actions ordinaires. Le levier joue autant à la baisse qu'à la hausse.
Ex. Création d'une société d'investissement de 150 millions de capital, dont 50 millions d'obligations, 50 millions
d'actions à dividendes garantis et 50 millions d'actions ordinaires. Si les cours augmentent de 50%, la valeur de l'actif
représente 225 millions, soit 75 millions supplémentaires. Au total, les 50 millions investis dans des actions ordinaires
représentent donc 125 millions de dollars, soit une hausse de 150%. (Galbraith, 1955 [1970], pp. 81-82).
● Jeudi noir, mardi noir, etc.
 Après une année 1928 en dents de scie (mais globalement haussière), les cours boursiers avaient
considérablement monté pendant l'été. Dès le mois de septembre, les cours se stabilisent.
 Le premier krach a lieu le jeudi 24 octobre 1929. Ce jour là, 12,9 millions de titres sont échangés. La
bourse se reprend à la fin de la journée grâce à l'intervention de Richard Whitney et des banquiers de
Wall Street. Ce fut « l'aide organisée ».
 Le mardi suivant le marché s'effondra et personne ne put redresser les cours. Dès lors, la fin de l'année
1929 et les mois suivants, les cours boursiers baissèrent durablement, L'indice Dow Jones ne
retrouvera qu'en 1954 son niveau de 1929.
6.4 Les conséquences du krach boursier
● L'effet du « levier » est dévastateur. Il entraîne la faillite de nombreux opérateurs et
investisseurs, en particulier bancaires. Cela coupe la capacité de financement des
investissements.
● La crise se propage via l'effondrement de l'investissement privé, déjà affaibli par une baisse de
la demande amorcée dès l'été. Les stocks s'accumulent, notamment dans la production d'acier
(biens de production).
● La crise boursières et la baisse des ventes entraînent une baisse des revenus et donc une
baisse de la consommation. Cela renforce la surproduction et conduit à une baisse des prix
généralisée : c'est la déflation.
● Les salaires et les revenus baissent, la production s'effondre, les faillites bancaires se
multiplient : c'est la dépression. Elle durera jusqu'en 1940. Dans l'industrie et dans les villes, le
taux de chômage excède très souvent les 25%. De nombreux vagabonds tentent de traverser
les États-Unis vers la côte ouest, les soupes populaires sont organisées dans toutes les grandes
villes, de véritables bidonvilles apparaissent dans les jardins publics, notamment à Central
Park.


6.5 Les réactions politiques et le New Deal
● Bien que les effets du krach se soient fait rapidement sentir, les responsables politiques ne
mesurent pas immédiatement l'importance de la crise.
 Le précédent de 1920-21 laisse penser que la crise ne durera pas. Dans les premiers temps, le
président Hoover réagit peu mais promet une baisse d'impôts. Durant l'année 1930, il convoque
des réunions de « crise » avec les industriels et promet périodiquement le rétablissement de la
situation économique, perdant une grande partie de sa crédibilité.
 Dans une seconde phase (1932), Hoover augmentera très fortement le taux de l'impôt sur le
revenu, jusqu'à un taux maximal de 63% pour les revenus supérieurs à 1 million de dollars (il
montera ensuite à 81% en 1941 et 94% en 1944... pour les revenus supérieurs à $200 000).
 Démocrates comme républicains s'entendent sur l'importance de préserver l'équilibre des
comptes publics. En 1932, Roosevelt fait campagne en promettant « un budget fédéral
annuellement équilibré sur la base d'estimations exactes en matières de revenus » et demande
« une réduction immédiate et profonde des dépenses de l'Etat » pour parvenir à une baisse de 25%
des services publics. De la même façon, les démocrates rejetaient l'idée d'une politique monétaire
de relance (dévaluation, fin de l'étalon or, baisse des taux d'intérêt).
● Le « New Deal » (1933) (trad: Nouvel accord / partenariat)
 Une meilleure régulation de la bourse et du secteur bancaire
 Création d'une autorité de régulation des marchés financiers, la SEC (Security and Exchange Commission)
qui vise à encadrer les pratiques (délits d'initiés, arnaques, faillites frauduleuses...)
 Les banques sont mieux encadrées. Des critères de solvabilité leurs sont imposés. Le « Glass-Steagall act »
impose la séparation entre banque de dépôts et banques d'investissement.
 L'Agricultural Ajustment Act (AAA) organise la limitation de la production agricole afin de
maintenir les cours des produits agricoles.
 Le National Industrial Recovery Act (NIRA) labellise et incite les industriels à engager de « bonnes
pratiques »
 Négociations de conventions collectives sur les salaires, les conditions et la
durée du travail (généralisation de la norme de la semaine de 5 jours).
 Constitution de cartels autorisant les ententes sur les prix entre industriels. En
limitant la concurrence, le NIRA entend limiter qu'une concurrence trop
intense renforce les mécanismes déflationnistes.
 La National Recovery Administration (NRA) vérifie le respects des obligations
et labellise les entreprises partenaires. Cette politique est inspirée des thèses
corporatistes. Elle sera jugée illégale par la Cour suprême américaine en 1935.
●Par la suite, le New Deal permettra d'engager des politiques plus classiquement keynésiennes (fin de
l’étalon-or en 1933, dépenses publiques, grands travaux) et introduira une législation sociale et une retraite
minimale pour les plus de 65 ans (le « Social Security Act » de 1935).
 Ces mesures permettront de relancer la demande et donc l'activité productive... mais ne permettront pas
d'éviter la rechute de 1937.
 Finalement, seule la guerre et les dépenses militaires (à partir de 1940) permettront aux États-Unis de
sortir définitivement de la crise. Plus tard, la victoire, le plan Marshall et le « compromis fordiste »
assureront pour une longue période des débouchés pour l'industrie américaine...
6.6. Les véritables causes de la crise selon John K. Galbraith (et les parallèles avec la crise
de 2008...)
 La mauvaise répartition des revenus
 Entre 1919 et 1929, la productivité du travail s'est accrue de 43%, mais les salaires ont très peu
augmenté.
- La croissance économique a donc reposé sur l'accumulation de biens d'investissement (+6,3% par an) et des biens
durables (+5,9%), tirés par les profits des entreprises et les revenus des classes supérieurs, alors que les biens de
consommation courants n'ont augmenté que de 2,8% par an.
 Ce déséquilibre a accru l'instabilité de la demande et explique en partie les raisons de la spéculation
boursière.

Source : Saez, E. 2008 « Striking it Richer : The Evolution of Top Incomes in the United States »
● La structure déficiente des sociétés
 Les années 20 ont entraîne l'explosion des sociétés de holding parfois très complexes. La survie de ces
holding financées par endettement reposait sur l'exploitation des sociétés filiales.
 La logique de maximisation à court terme des dividendes pesait sur le développement des entreprises et leurs
profits futurs. La holding entière fonctionnait comme un système de levier.
 cf. Le Leveraged Buy-Out (LBO) qui se développe dans les années 2000.
● Un mauvais système bancaire
 En 1929, le système bancaire était composé de très nombreuses unités indépendantes. La faillite des
banques les plus fragiles entraînait une panique bancaire qui pouvait fragiliser les plus fortes.
 Pendant les six premiers mois de 1929, 346 banques firent faillite aux Etats-Unis... Entre 1930 et 1933,
9000 banques, représentant 15% des dépôts du système bancaire disparurent
● L'état de la balance commerciale
 Depuis la fin de la 1ère guerre mondiale, les USA connaissent un excédent commercial. Cet excédent
ne repose cependant que sur la capacité des pays importateurs (Allemagne, Amérique latine) à
emprunter auprès des américains les ressources financières pour acheter. La catastrophe financière de
1929 stoppe net les financements américains et donc la capacité exportatrice de son industrie.
● L'insuffisance des connaissances économiques
 Républicains et démocrates n'ont cessé de souhaiter un budget fédéral équilibré, ce qui a eu pour
conséquence d'affaiblir encore la demande intérieure.
 L'autre erreur fut de vouloir préserver à tout prix le système d'étalon-or. En limitant la création
monétaire pour assurer la convertibilité de la monnaie, les pouvoirs publics américains et la
Réserve fédérale ont contribué à nourrir la spirale déflationniste.
 « Le rejet, à la fois, d'une politique fiscale (impôts et dépenses) et d'une politique monétaire,
équivalait au refus de toute politique économique constructive de la part du gouvernement. Les
conseillers économiques avaient à la fois l'unanimité et l'autorité pour forcer les chefs des deux
partis à désavouer toutes les mesures possibles pour arrêter la déflation et la crise. Dans son
genre, ce fut une réussite remarquable – le triomphe du dogme sur la pensée. Les conséquences
en furent profondes. »
J. K. Galbraith 1961, La crise économique de 1929, Petite bibliothèque Payot, 1970, p. 211.

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