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éonomique
Enseignant: David Cayla
Contact: david.cayla@univ-angers.fr
Bureau 216
1. Introduction
1.1 Histoire de l’économie ou histoire des hommes ?
• Analyser l’économie revient à répondre à deux grandes questions.
1. Comment produire ?
Comment gérer et économiser les ressources ?
Comment organiser le travail et la production ?
Comment inventer et innover pour améliorer la manière de produire.
2. Comment partager cette production ?
Tout partage implique une hiérarchie sociale, des conflits et souvent, aussi, un élément arbitraire.
Mais tout partage doit aussi permettre la survie du système économique, c’est-à-dire, au
minimum, la survie des individus qui y participent.
• Ces deux questions sont dépendantes l’une de l’autre.
L’esclavage, le servage, le salariat constituent à la fois des manières de produire et de
partager.
Ces deux questions doivent donc avoir des réponses cohérentes: elles forment un
système économique.
1. Introduction
• Au cours du temps, les hommes ont amélioré leur manière de produire. Les sociétés,
devenant plus riches, sont également devenues plus complexes.
Naturellement, plus la production de richesses est efficace, plus les possibilités de
répartition peuvent être variées et complexes.
Dans les sociétés paléolithiques un partage relativement égalitaire est une condition de
survie. Mais dès que les sociétés deviennent capables de produire plus que le minimum
vital, elles sont confrontées à un choix de répartition, et donc établissent des règles, des
systèmes politiques… qui vont préciser l’utilisation de ce surplus.
Dès qu’une société produit plus que ce qui lui faut pour survivre, elle peut donc faire la
guerre, construire des bâtiments religieux, créer des œuvres d’art, bâtir des villes, faire de
la science, explorer l’espace…
L’histoire telle que nous la connaissons est donc d’abord une histoire économique.
Aucune grande bataille, aucune œuvre, aucun système politique ne peut exister sans une
infrastructure économique suffisamment efficace pour l’entretenir.
1. Introduction
Étudier l’histoire économique ce n’est pas seulement apprendre des faits, mais
comprendre des dynamiques et des logiques.
– La crise économique des années 30 n’est pas simplement un évènement historique.
Elle a des causes, des conséquences et une logique propre.
– Comment la révolution industrielle s’est-elle propagée en Europe et le reste du
monde ?
– Pourquoi des puissances comme l’Inde ou la Chine ont-elles sombrées dans le sous-
développement au cours du XIXème siècle ?
– Comment la croissance des « trente glorieuses » a-t-elle pu être possible ? Pourquoi
s’est-elle achevée ?
– Pourquoi le manque de bois en Angleterre a-t-il failli mettre un terme à la révolution
industrielle naissante ?
– Tenter de répondre à ces questions c’est aussi tenter de répondre à des questions
d’actualité (fin du pétrole, puissances émergentes, crise des « subprimes »…).
1. Introduction
1.2 Y a-t-il des lois dans l’histoire économique ?
• Issac Asimov, auteur de science-fiction et inventeur de la "psychohistoire" (cycle de
Fondation): les grandes évolutions des sociétés composées de milliards d’individus
seraient prévisibles, tout comme le comportement de la matière est prévisible à
partir des statistiques sur les comportements des éléments.
• Civilization (jeu d’ordinateur): Les sociétés humaines doivent, pour se développer,
passer par un certain nombre d’étapes qui leur permettraient de parvenir de l’âge de
pierre à l’âge spatial.
1.2.1 Les trois grandes étapes de l’histoire économique
• On peut diviser l’histoire économique en trois grandes périodes qui impliquent trois
types de « lois »
– Au cours du paléolithique, il n’y a peu d’évolution économique (mais il y en a quand
même. Ex de l’invention de l’art rupestre, de l’arc…). Les sociétés humaines ont à peine
la capacité de se reproduire à l’identique.
1. Introduction
– L’invention de l’agriculture au cours du néolithique transforme le mode alimentaire et
culturel des sociétés. Ce sont des sociétés agricoles dont l’évolution est principalement
déterminée par l’amélioration des techniques agricoles. L’évolution économique suit donc
une loi simple:
Plus l’agriculture est efficace, moins elle emploie de monde, plus les
villes se peuplent et plus de la main d’œuvre est disponible pour
d’autres activités.
Ref. pour cette partie: Jean-Pierre Doujon 1990 - Histoire des faits économiques et sociaux, PUG, 124 p.
1. Introduction
1.2.3 Vers la fin de l’histoire ?
• A la fin des années 1980, constatant l’échec du système communiste et la fin des dictatures
en Europe du sud et en Amérique Latine, Francis Fukuyama (1952- ) énonce l’idée de la
« fin de l’histoire ».
• Pour cet auteur, la démocratie libérale constituerait le point d’achèvement de l’évolution
socioculturelle de l’humanité.
• Cette « fin de l’histoire » ne signifie pas la fin des évènements historiques, ni la fin des
crises économiques, mais simplement que l’humanité serait parvenue au système
productif le plus performant possible et que la démocratie libérale de marché finira par
s’imposer à tous les pays du monde.
• Une thèse non encore vérifiée.
1. Introduction
1.3 En somme…
• Dans le cadre de ce cours, nous n’allons pas chercher à déterminer des lois
générales pour expliquer l’évolution des systèmes économiques mais nous allons
plus modestement étudier des faits économiques, ou plutôt tenter de caractériser
les dynamiques, les évolutions et les ruptures de l’histoire économique.
1. Introduction
2. Fonctionnement et évolution des
sociétés préindustrielles
2.1. Introduction
• Jusqu’à la révolution industrielle, l’histoire économique repose sur deux dimensions
principales:
– Le rapport à la nature qui s’inscrit dans l’évolution des techniques agricoles (2.2)
– Les relations humaines qui dérivent du rapport marchand (2.3)
(1500-1100 av.
J.C.,
âge du bronze)
Comment réduire le minerais de fer dans un bas fourneau
traditionnel?
– Les cités grecques sont le produit de ce type d’agriculture. Les cités rassemblent
des propriétaires fonciers qui constituent la classe aristocratique au pouvoir ainsi
que des artisans et commerçants (auparavant itinérants) dont certains sont libres
et parfois riches. Les cités accueillent également une importante population
d’indigents.
– La population qui exploite les terres est bien souvent esclave. Il faut compter
quatre esclaves pour un homme libre environ.
– La société grecque est également guerrière. A la différence de ses voisins, son
armée est constituée d’hommes libres.
– Un système démocratique apparaît comme l’organisation naturelle d’une société
de propriétaires / militaires égaux. Cependant, cette égalité est instable. En effet,
l’appropriation privée des terres permet une concentration de la propriété
foncière qui sabote les bases démocratique de la société (cette concentration
entraîne une répartition de plus en plus inégalitaire des terres).
– Plus tard, la société romaine (très proche de la société grecque) abandonnera la
République, le pouvoir politique basculant du côté des riches propriétaires
fonciers au détriments des citoyens romains appauvris (fin de la République). [cf. J-
P Doujon 1990, diapo 9]
• La période médiévale et l’apparition de l’agriculture attelée lourde
– Avec la chute de l’Empire romain et les « grandes invasions », l’agriculture européenne se
réorganise autour de fiefs seigneuriaux.
– Pendant le haut moyen-âge (500 – 1000 ap. JC), l’autorité royale est faible. Chaque domaine est
géré par son seigneur qui possède des terres auxquelles sont attachés des serfs, lesquels
doivent taille (après l’an 1000) et corvée au seigneur, ainsi que la dime pour l’Eglise.
– Les guerres seigneuriales sont fréquentes et nuisent aux progrès de l’agriculture.
– La période entre 1000 et 1300 ap. JC est caractérisée par le renforcement du pouvoir royal et
l’apparition d’importantes innovations techniques qui augmentent:
Les rendements agricoles…
• La métallurgie se développe et permet l’amélioration des outils agricoles.
• L’apparition de la charrue (venant de Chine) et l’usage de la herse permettent de mieux cultiver les
sols lourds du nord de l’Europe que l’araire.
• Le pâturage se développe sur les terrains communaux. La taille des troupeaux augmente. L’utilisation
de la fumure permet de fertiliser les sols.
… et la productivité du travail
• Utilisation du fléau, de la faux
• L’attelage est amélioré, le cheval remplace progressivement le bœuf comme animal de trait.
– Les seigneurs investissent dans leur domaine foncier en développant les terres
arables (défrichage, assèchement des marais…) et en construisant du capital collectif
(pressoirs, moulins à eau et à vent, ponts, fours collectifs…)
• Trois types d’agriculture sont pratiqués en Europe (et en France).
– L’assolement triennal sur les sols lourds et profonds d’Europe du nord.
• Rotation des culture: céréale riche d’hiver (blé) / céréale pauvre de printemps (orge, avoine) ou
légumineuse (pois, lentille…) / Jachère
• Utilisation de la charrue
• Champs ouverts ou « openfield », donc organisation collective du village pour les travaux agricoles
(droits de passage, etc.)
• Terrains communaux publics qui servent au pâturage, à des cultures complémentaires.
– L’assolement biennal caractérise les sols légers de la méditerranée. La rotation des
cultures se fait sur un cycle de deux ans. L’araire sera utilisée jusqu’au début du
XXème siècle.
– Dans les régions humides (nord ouest de la France, ouest de l’Angleterre) ou dans les
massifs alpins, c’est le bocage: des champs clos par des haies ou des murets. Cette
configuration limite l’érosion des sols et les haies permettent de cultiver des arbres
fruitiers et des baies.
Terrains communaux: bois,
pâturages, marais, landes…
Village
et
jardins
Forêt seigneuriale
Forêt seigneuriale
• Le moyen âge en Europe: Un essor agricole considérable…
– L’agriculture du moyen-âge bénéficie de l’optimum climatique médiéval (950 – 1300 ap. JC).
– Le renforcement du pouvoir royal permet de limiter les guerres seigneuriales. Les
expéditions militaires touchent peu les populations locales européennes (croisades).
– La croissance des rendements et de la productivité agricole permettent de multiplier la
population non agricole et de développer l’artisanat, la métallurgie et la construction
(châteaux fort, églises, cathédrales…).
– Même si le blé reste la base alimentaire, l’alimentation se diversifie y compris chez les classes
les plus pauvres.
– La population s’accroit rapidement et l’urbanisation progresse. Sur le territoire français, la
population passe de 8-9 millions vers l’an 1000 à 16 millions en 1250 (28 millions en 1789).
Les surfaces agricoles progressent d’environ 15% sur cette période au détriment des forêts et
des zones humines.
– Les villes deviennent les lieux de commerce importants, notamment dans les foires du nord
de l’Europe (Champagne, Flandres, Paris, Lyon…). De nombreuses villes deviennent
« franches » (libres): elles rachètent (ou conquièrent) leur liberté au seigneur des terres et
s’administrent elles-mêmes. Certaines ville-Etat deviennent très puissantes comme Venise (la
République de Venise est gouvernée par une oligarchie dès le moyen âge).
– A la fin du XIIIème siècle, près de 20% de la population européenne est urbaine. Une ville
comme Paris compte 200 000 habitants.
• Mais qui butte devant des contraintes physique et politique
– Malgré des progrès certains, l’agriculture du moyen-âge est peu productive: les sols sont
appauvris par la surexploitation. Sans engrais, les rendements sont 10 fois plus faibles
qu’aujourd’hui.
– A la fin du XIIIème siècle, les surfaces cultivées plafonnent. La réduction de la taille des forêts
rend le bois de chauffage et de construction plus cher.
• En France, Philippe le Bel crée l’administration des eaux et forêts en 1291 qui est chargé de protéger la forêt
et de limiter son exploitation sauvage (aujourd’hui ONF).
– La guerre de cent ans (1337-1453) décime la chevalerie française et désorganise l’Etat.
– La Grande peste (1348 - 1352) dévaste l’Europe. La population européenne est réduite de 30%
environ. Les villes se dépeuplent, des terres sont laissées à l’abandon. De nouvelles épidémies
apparaissent environ tous les 15 ans au XIVème siècle. En France, la population tombe à
environ 12 millions en 1400.
– Ces épidémies vont avoir des effets durables:
• Disparition presque totale du servage en Europe occidentale et apparition d’exploitations indépendantes.
Un certain nombre d’agriculteurs possèdent une partie de la terres qu’ils cultivent.
• Augmentation des salaires et de la productivité (plus de surface est disponible par habitant). Les salaires
réels doublent. Ils ne feront que baisser jusqu’au début du XIXème siècle. En Angleterre, il faudra attendre
1878 pour que les salaires dépassent le niveau atteint au milieu du XVème siècle.
• Conclusions:
– L’évolution des sociétés préindustrielles est largement dépendante des progrès de
l’agriculture. Plus les rendements augmentent, plus la population croît, plus la
productivité augmente, plus la civilisation s’urbanise et s’enrichie.
– Le type d’agriculture pratiquée détermine le type de société et l’organisation du
travail (esclavage, servage, agriculteurs indépendants…). La diffusion des progrès
agricoles au moyen-âge est liée aux conditions socio-économiques qui caractérisent
l’organisation productive féodale.
– La part de la population non agricole est cruciale pour le développement. En effet, à
mesure que l’agriculture s’améliore, les outils se complexifient et nécessitent une
main d’œuvre non agricole de plus en plus nombreuse.
– Néanmoins, il existe des phases de stagnation. Jusqu’au 18ème siècle, malgré la mise
en culture de nouvelles plantes (pomme de terre, haricot…), la population sur le
territoire français plafonne à 20 – 21 millions.
– Malgré les progrès de l’agriculture, les rendements agricoles du moyen-âge en
Europe ne sont pas suffisants pour permettre un véritable décollage économique. La
révolution industrielle devra s’appuyer sur une révolution agricole afin de libérer
suffisamment de main d’œuvre pour l’industrie.
2.3 Une brève histoire de la relation marchande
• Si le rapport à la terre et les techniques agricoles permettent d’appréhender les
contraintes physiques qui pèsent sur les sociétés préindustrielles, l’étude des relations
marchandes permet de mesurer l’évolution culturelle qui a permis l’émergence de
« l’esprit du capitalisme ».
– Le capitalisme n’est pas un système naturel. Le marché est une institution qui s’inscrit dans
l’histoire et la relation marchande un type particulier de rapport social. Les idées de profit, de
capital, d’accumulation, sont des constructions sociales et culturelles qui ont émergé au cours
de l’histoire.
• Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs le don ritualisé (ou potlatch) est tout autant
une manière d’échanger que de tisser des liens sociaux. Le don transmet une obligation
qui implique un don de valeur égale en retour.
– Mais la valeur d’un bien n’est pas marchande, c’est-à-dire déterminée socialement. Elle est
individuelle, sentimentale et donc subjective. La valeur de l’échange implique une relation
entre le donneur et son bien qui se transmet lors de l’échange. Contrairement à la relation
marchande, dans le Potlatch, on donne ce qui a de la valeur pour soi.
Dans « L’essai sur le don » (1923), Marcel Mauss montre que le potlatch est encore aujourd’hui un
fondement de la relation sociale (voir p. suivante).
Heureusement, tout n'est pas encore classé exclusivement en termes d'achat et de vente. Les choses ont
encore une valeur de sentiment en plus de leur valeur vénale, si tant est qu'il y ait des valeurs qui soient
seulement de ce genre. Nous n'avons pas qu'une morale de marchands. Il nous reste des gens et des classes qui
ont encore les mœurs d'autrefois et nous nous y plions presque tous, au moins à certaines époques de l'année
ou à certaines occasions.
Le don non rendu rend encore inférieur celui l'a qui accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour.
[…] La charité est encore blessante pour celui qui l'accepte, et tout l'effort de notre morale tend à supprimer le
patronage inconscient et injurieux du riche « aumônier ».
L'invitation doit être rendue, tout comme la « politesse ». On voit ici, sur le fait, la trace du vieux fond
traditionnel, celle des vieux potlatch nobles, et aussi on voit affleurer ces motifs fondamentaux de l'activité
humaine l'émulation entre les individus du même sexe (1), cet « impérialisme foncier» des hommes, fond social
d'une part, fond animal et psychologique de l'autre, voilà ce qui apparaît. Dans cette vie à part qu'est notre vie
sociale, nous-mêmes, nous ne pouvons « rester en reste », comme on dit encore chez nous. Il faut rendre plus
qu'on a reçu. La « tournée » est toujours plus chère et plus grande. Ainsi telle famille villageoise de notre
enfance, en Lorraine, qui se restreignait à la vie la plus modeste en temps courant, se ruinait pour ses hôtes, à
l'occasion de fêtes patronales, de mariage, de communion ou d'enterrement. Il faut être «grand seigneur» dans
ces occasions. On peut même dire qu'une partie de notre peuple, se conduit ainsi constamment et dépense
sans compter quand il s'agit de ses hôtes, de ses fêtes, de ses «étrennes».
L'invitation doit être faite et elle doit être acceptée. Nous avons encore cet usage, même dans nos
corporations libérales. Il y a cinquante ans à peine, peut-être encore récemment, dans certaines parties
d'Allemagne et de France, tout le village prenait part au festin du mariage; l'abstention de quelqu'un était bien
mauvais signe, présage et preuve d'envie, de « sort». En France, dans de nombreux endroits, tout le monde
prend part encore à la cérémonie.
Entre l'économie relativement amorphe et désintéressée, à l'intérieur des sous-groupes, qui règle la vie des
clans australiens ou américains du Nord (Est et Prairie), d'une part; et l'économie individuelle et du pur intérêt
que nos sociétés ont connue au moins en partie, dès qu'elle fut trouvée par les populations sémitiques et
grecques, d'autre part entre ces deux types, dis-je, s'est étagée toute une série immense d'institutions et
d'événements économiques, et cette série n'est pas gouvernée par le rationalisme économique dont on fait si
volontiers la théorie.
Le mot même d'intérêt est récent, d'origine technique comptable : « interest », latin, qu'on écrivait sur les
livres de comptes, en face des rentes à percevoir. Dans les morales anciennes les plus épicuriennes, c'est le
bien et le plaisir qu'on recherche, et non pas la matérielle utilité. Il a fallu la victoire du rationalisme et du
mercantilisme pour que soient mises en vigueur, et élevées à la hauteur de principes, les notions de profit
et d'individu. On peut presque dater – après Mandeville (Fable des Abeilles) le triomphe de la notion d'intérêt
individuel. On ne peut que difficilement et seulement par périphrase traduire ces derniers mots, en latin ou
en grec, ou en arabe. Même les hommes qui écrivirent le sanskrit classique, qui employèrent le mot artha,
assez proche de notre idée d'intérêt, se sont fait de l'intérêt, comme des autres catégories de l'action, une
autre idée que nous. Les livres sacrés de l'Inde classique répartissent déjà les activités humaines suivant la loi
(dharma), l'intérêt (artha), le désir (kama). Mais c'est avant tout de l'intérêt politique qu'il s'agit : celui du roi
et des brahmanes, des ministres, celui du royaume et de chaque caste. La littérature considérable des
Nitiçastra n'est pas économique.
Ce sont nos sociétés d'Occident qui ont, très récemment, fait de l'homme un « animal économique». Mais
nous ne sommes pas encore tous des êtres de ce genre. Dans nos masses et dans nos élites, la dépense pure
et irrationnelle est de pratique courante; elle est encore caractéristique des quelques fossiles de notre
noblesse. L'homo oeconomicus n'est pas derrière nous, il est devant nous; comme l'homme de la morale et
du devoir comme l'homme de la science et de la raison.
M. Mauss, Essai sur le don, pp. 90-91 (édition numérique)
• L’échange marchand est une relation qui s’inscrit dans un contexte social. Il implique
une objectivisation des relations sociales.
– Il nécessite un langage et un système commun de représentation de manière à avoir un
référentiel commun de valeur.
• Chez les sumériens (-5000 à -3000 av. JC), l’ordre social est théocratique. Les échanges
se font en relation avec l’au-delà, par les temples et l’autorité centrale incarnée par le
monarque. Il n’existe pas d’échange généralisé entre les membres de la société.
L’échange s’inscrit dans une relation verticale [J-M Viel, Une riche histoire de la société
marchande].
– Les métaux précieux sont des signes divins. L’or correspond au soleil et l’argent à la lune.
L’équivalence entre l’or et l’argent est établie en fonction de paramètres cosmiques. Ainsi,
comme la lune fait le tour du zodiac 13,3 fois plus vite que le soleil, l’or valait 13,3 fois plus
que l’argent.
– Les métaux précieux appartiennent aux temples et ne sont que prêtés. Ils servent simplement
à la circulation des objets. Dès que ceux-ci ont atteint leur destination, ils sont rendus au
temple sous forme d’offrandes (pas d’accumulation monétaire privée).
– Dans la société sumérienne, la relation marchande est donc avant tout déterminée par des
représentations religieuses et non en fonction de réalités matérielles.
• Introduction et généralisation de la monnaie
– En l’absence de monnaie, la valeur n’est pas déterminée objectivement: elle dépend de
dimensions subjectives ou du pouvoir politique. Les transactions ne peuvent être comparées entre
elles. Il n’existe donc pas de marché.
– Les monnaies sociales n’achètent pas de marchandises mais établissent des rapports sociaux [D.
Graeber 2013, Dette: 5000 ans d’histoire, Les Liens qui libèrent].
– La monnaie métallique apparaît en Anatolie vers -600. Elle est frappée par l’autorité centrale
(monnayage), ce qui lui garantie valeur et authenticité.
– Elle permet l’échange décentralisé horizontal: Ses caractéristiques renvoient aux spécificités du
monde grec (relations entre égaux).
– La monnaie est aussi une unité de compte qui permet de dégager une valeur déterminée
socialement.
• Avec la monnaie, l’échange n’est plus interindividuel mais social. La valeur est donc elle aussi déterminée
socialement.
• La monnaie renforce la cohésion de la citée: elle détermine un étalon commun, elle socialise la
transaction… C’est aussi un symbole d’autorité (cours légal).
– La monnaie est tout d’abord utilisée dans les transactions domestiques. Il faudra attendre un
siècle pour que les monnaies grecques soient utilisées dans le cadre du commerce extérieur.
– Plus tard, la monnaie Athénienne (la tétradrachme d’argent) devient un instrument de
l’impérialisme grec: Athènes impose l’usage de sa monnaie dans le paiement du tribut. Cela place
ses colonies en situation de dépendance économique et participe à l’unification du monde
grecque.
• Les conséquences économiques de la monnaie
– L’utilisation de la monnaie n’est pas neutre dans l’échange. En effet, elle dissocie
l’action de vente et l’action d’achat dans le temps et l’espace et permet l’accumulation
privée de pouvoir d’achat.
– Or, les situations d’achat et de vente ne sont pas symétriques. Dans le cadre d’un
marché:
• L’acheteur est en position de force: Il peut choisir différents vendeurs: La monnaie qu’il
possède est un bien universellement accepté (liquide) car très facilement échangeable.
• Le vendeur est vulnérable: bien souvent, il ne dispose que d’un bien imparfaitement
liquide et il est en concurrence avec d’autres vendeurs.
• Avec la monnaie, « l’échange passe d’une relation mutuelle directe, à une cascade de
relations non réciproques, nettement polarisées en rapports de pouvoir », J-M Viel, Une
riche histoire de la société marchande, pp. 48-49.
– La monnaie permet en outre la thésaurisation. Celle-ci contribue à rompre
l’équilibre entre acheteurs en vendeurs: pour thésauriser, il faut vendre sans
acheter: cela entraîne la possibilité d’une crise des débouchés. Plus la monnaie
sera recherchée pour elle-même, plus la vente deviendra difficile.
• L’empire romain: 1ère société entièrement monétarisée
– Rome est une société militariste et expansionniste. L’un des objectifs de l’organisation
économique romaine est l’approvisionnement de Rome en blé.
• L’économie romaine repose en grande partie sur l’initiative privée, y compris lors des conquêtes
militaires. Cependant, la société romaine n’est pas une société marchande. L’Etat impérial domine
l’initiative privée.
– La stabilité et la cohérence de l’empire romain sont garanties par la monnaie et le
droit.
• Le droit permet l’application des contrats signés lors des relations marchandes, et en particulier
d’honorer les dettes.
• La monnaie permet à l’Etat central de contrôler économiquement son territoire. L’Etat contrôle la
création monétaire en gérant directement des mines de métaux précieux.
– La monétarisation de la société entraine l’apparition de l’usure. Dans un monde
entièrement monétarisé, l’usure est à la fois un outil qui permet l’activité économique
en même temps qu’il prélève une partie du surplus de cette activité.
« L’usure nait donc de la dissociation temporelle de l’achat et de la vente de biens permise par la
généralisation de l’usage de la monnaie comme intermédiaire de circulation » (J.-M. Viel, Une riche histoire
de la société marchande. p. 55).
• Apparition de la société marchande au moyen-âge
– De l’échange au commerce.
• Le commerce représente un échange institutionnalisé autour d’un produit standardisé qui possède une
valeur reconnue socialement: la marchandise.
• Le but du commerce n’est pas d’échanger des biens mais de réaliser un profit. Cela suppose non
seulement l’existence d’une monnaie, mais aussi la reconnaissance de cette monnaie comme institution
de pouvoir d’achat universel.
• La marchandise devient un intermédiaire pour acquérir de la monnaie accumulable. La relation monnaie –
marchandise est inversée (M-A-M’ A-M-A’)
• La monnaie représente la capacité d’approprier. Dans un monde où les droits de propriété sont respectés,
la monnaie devient ainsi l’instrument prioritaire du pouvoir économique et de l’accumulation du capital.
(Parenthèse sur le pouvoir des milliardaires.)
1/Une autre rotation des cultures qui permet la culture en continue des sols.
– Le principe est de cultiver des plantes qui nécessitent des composés chimiques
différents, voire de cultiver des plantes régénératrices telles que les plantes
fourragères (trèfle, luzerne) qui fixent dans le sol l’azote de l’air.
– En pratique on passe (en Angleterre) de l’assolement triennal à une rotation plus
complexe sur 3-4 ans, voire 6-12 ans qui permet de supprimer la jachère.
– Les plantes fourragères permettent de développer les cheptels et d’augmenter l’usage
de la fumure: La révolution agricole permet de développer pour la première fois en
Europe une agriculture où élevage et culture sont véritablement intégrés.
2/Introduction ou extension de cultures nouvelles
– Les nouvelles techniques agricoles s’appuient aussi sur la culture de nouvelles plantes
importées du Nouveau monde (maïs, pomme de terre…) ou d’Asie (sarrasin) ou
simplement redécouvertes (raves – betteraves, navet, céleri – carottes, chou, colza)
– Il faut noter l’importance de la pomme de terre qui, à partir de la fin du XVIIIème siècle
permet de nourrir une population en forte augmentation et accompagne ainsi les
début de la révolution industrielle.
• En 1845 - 1848, la grande famine irlandaise (1 million de morts, 2 millions
d’émigrants sur plus de 8 millions d’habitants) est en partie due à l’apparition du
mildiou, un champignon qui dévaste les récoltes de pommes de terre locales.
3/ Amélioration de l’outillage et des techniques agricoles
– La charrue est améliorée, l’usage des chevaux et de la faux se généralise. Le semoir est
inventé, ce qui permet d’économiser des semences et de mieux les répartir sur le sol.
– La sélection et l’amélioration des races se fait de manière plus scientifique. Entre 1710
et 1795, le poids moyen des bœufs dans les foires agricoles passe de 370 à 800 livres.
Celui des moutons de 38 à 80 livres.
Les enclosures
• Les enclosures constituent des actes juridiques d’attribution des champs
communaux: La fin de la jachère et l’extension de l’élevage ovin impliquent une
clôture des champs et la fin des terrains communaux.
• Parfois, les enclosures se font de manière sauvage par de riches propriétaires pour
l’élevage de moutons et sont légalisées a posteriori.
• Le rythme des enclosures s’accélère à partir de 1720, et surtout après 1750. Après
1740 les actes d’enclosures ne sont plus fondées sur le consensus des habitants du
village.
• Les enclosures ont d’importantes conséquences sociales. Elles entrainent la
concentration des terres et le déclin des yeomen (paysannerie riche propriétaire des
terres qu’elle cultive), ainsi que des cottagers (qui disposent d’une petite propriété) et
des squatters (qui ne possèdent aucune propriété foncière).
– Si les premiers peuvent vendre leur terre et se tourner vers une activité industrielle, les autres,
dépourvus de capital, n’ont d’autre choix que de s’employer dans les manufactures. Les
enclosures qui avaient, au XVIème et au XVIIème siècle entraîné vagabondage et brigandage,
vont, cette fois, permettre de constituer une main d’œuvre pour l’industrie.
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
• La poursuite du commerce d’opium entraîne une réaction des autorités chinoises qui
saisissent et brûlent les marchandises (essentiellement de l’opium) des navire anglais
dans le port de Canton. C’est le début de la 1ère guerre de l’opium (1839-1842) qui se
termine une victoire anglaise. Le traité de Nankin ouvre 5 ports aux navires
britannique, leur accorde la liberté commerciale, réduit les droits d’entrée et leur
accorde le droit de s’installer à Hong Kong.
• En 1858, la « seconde guerre de l’opium » (expédition franco-britannique) permet aux
occidentaux de commercer librement de l’opium, d’ouvrir 11 nouveaux ports au
commerce, d’accorder une préférence aux marchands occidentaux…
Les canonnières anglaises peuvent librement naviguer sur les rivières intérieures chinoise:
c’est la « politique de la canonnière ». A la fin du XIXème siècle, les Anglais obtiennent le
contrôle des douanes chinoises, ce qui fait de la Chine une semi-colonie de facto.
• L’échec de la révolte des Boxers (1899-1901) augmente encore les avantages
commerciaux des occidentaux, et le gouvernement chinois doit payer des réparations.
• Cette ouverture forcée (et inégale) de l’économie chinoise entraine, comme en Inde
une certaine désindustrialisation (moins importante que pour l’économie indienne).
Mais sous l’impulsion de l’Etat, une active politique industrielle est menée dès la fin du
XIXème siècle.
• Après 1906, la politique du Royaume-Uni est modifiée et le commerce de l’opium est
volontairement réduit. La Chine engage une politique de désintoxication et lutte
activement contre les fumeries d’opium. En 1907, environ 27% des hommes adultes
fument de l’opium.
4.5 La dépendance économique des colonies
• Le tableau ci-dessous montre la structure des relations commerciales entre les métropoles et les colonies en
1913 (en millions de dollars courants) – Source: Bairoch 1997, t.2 p. 611
fordisme)
Développement des transports publics, apparition des grands magasins, de la culture de masse
Source : Saez, E. 2008 « Striking it Richer : The Evolution of Top Incomes in the United States »
● La structure déficiente des sociétés
Les années 20 ont entraîne l'explosion des sociétés de holding parfois très complexes. La survie de ces
holding financées par endettement reposait sur l'exploitation des sociétés filiales.
La logique de maximisation à court terme des dividendes pesait sur le développement des entreprises et leurs
profits futurs. La holding entière fonctionnait comme un système de levier.
cf. Le Leveraged Buy-Out (LBO) qui se développe dans les années 2000.
● Un mauvais système bancaire
En 1929, le système bancaire était composé de très nombreuses unités indépendantes. La faillite des
banques les plus fragiles entraînait une panique bancaire qui pouvait fragiliser les plus fortes.
Pendant les six premiers mois de 1929, 346 banques firent faillite aux Etats-Unis... Entre 1930 et 1933,
9000 banques, représentant 15% des dépôts du système bancaire disparurent
● L'état de la balance commerciale
Depuis la fin de la 1ère guerre mondiale, les USA connaissent un excédent commercial. Cet excédent
ne repose cependant que sur la capacité des pays importateurs (Allemagne, Amérique latine) à
emprunter auprès des américains les ressources financières pour acheter. La catastrophe financière de
1929 stoppe net les financements américains et donc la capacité exportatrice de son industrie.
● L'insuffisance des connaissances économiques
Républicains et démocrates n'ont cessé de souhaiter un budget fédéral équilibré, ce qui a eu pour
conséquence d'affaiblir encore la demande intérieure.
L'autre erreur fut de vouloir préserver à tout prix le système d'étalon-or. En limitant la création
monétaire pour assurer la convertibilité de la monnaie, les pouvoirs publics américains et la
Réserve fédérale ont contribué à nourrir la spirale déflationniste.
« Le rejet, à la fois, d'une politique fiscale (impôts et dépenses) et d'une politique monétaire,
équivalait au refus de toute politique économique constructive de la part du gouvernement. Les
conseillers économiques avaient à la fois l'unanimité et l'autorité pour forcer les chefs des deux
partis à désavouer toutes les mesures possibles pour arrêter la déflation et la crise. Dans son
genre, ce fut une réussite remarquable – le triomphe du dogme sur la pensée. Les conséquences
en furent profondes. »
J. K. Galbraith 1961, La crise économique de 1929, Petite bibliothèque Payot, 1970, p. 211.