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Chapitre 6 Karl MARX (1818-1883)

La synthèse des grandes connaissances de son époque

La philosophie classique allemande


(Hegel, Feuerbach) Le socialisme français
(Saint-Simon, Fourrier)

L'économie politique classique anglaise


(Smith et Ricardo)
Introduction (le socialisme et communisme prémarxiste)
Marx
Introduction
Les sources idéologiques du socialisme et du communisme français :

 La philosophie des lumières : esprit critique par rapport à l’ordre établi (religion, morale, organisation
économique, sociale, politique)
 Influence des « moralistes » : Rousseau, Mably, Morelly à partir des concepts de justice et d’égalité, question
de la répartition des richesses et remise en cause de la propriété privée
 Révolution française : remise en cause de la société de l’ancien régime et de ses privilèges, déclaration des
droits de l’homme et du citoyen
 Babeuf « La conjuration des égaux » : continuer la révolution pour aboutir à une mise en commun des
« biens et des travaux » (une société sans exploiteurs et sans exploités)
Introduction
Les sources idéologiques du socialisme et du communisme français :

 Idées influencent la révolution française : les masses populaires durant la Révolution se battent pour
défendre leurs droits de mieux vivre, leur droit au bonheur, pour réaliser le rêve rousseauiste d’une société
égalitaire

 faire gravir à la révolution les échelons vers une démocratie politique et même sociale
La révolution française [1789] La révolution de 1830

La révolution de 1848

La commune de Paris (1871) : première révolution


ouvrière dans le monde

•Contre l’Ancien Régime


•monarchie constitutionnelle  1er République
•Fin de la royauté, de la société d’ordre et fin des privilèges
•Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (égalité des citoyens
devant la loi, libertés fondamentales, souveraineté de la nation apte à
se gouverner au travers de représentants élus …)
Le socialisme prémarxiste
Double caractère du socialisme « pré-marxiste »

• « Un cri de douleur » (Durkheim), un appel à l’esprit de justice


et de fraternité
• Un socialisme « utopique » ou « conceptuel »: au lieu de
chercher les solutions dans l’évolution de la société  société
idéale (en opposition à la triste réalité)

Limite : ce socialisme est étranger au mouvement ouvrier (pas


encore organisé)
• Au XIXème siècle :
• Machinisme se développe en France
• Des contradictions apparaissent :

• Les grands théoriciens politiques et sociaux qui vont s’intéresser à la production,


reconnaissent à l’homme (travailleur) un statut particulier de par sa capacité à produire
des richesses

et

• Dégradation des conditions de vie de la majorité de ces hommes qui créent et produisent
« La misère publique ne cesse de s’accroitre avec la richesse
matérielle […] la classe qui produit tout, est chaque jour plus
prête à être réduite à ne jouir de rien » (1819, Sismondi, t2,
p.309).

• Thèmes : Paupérisme, inégalités


Comment expliquer ces inégalités? (combat idéologique au
XIXème siècle)
L’idéologie socialiste : défendre les intérêts des travailleurs (ceux
qui produisent les richesses)  la juste répartition des fruits du
travail

L’idéologie libérale-conservatrice pour justifier les inégalités


engendrées par le système capitaliste, va accuser les travailleurs
(stigmatisation des ouvriers : dépensant leur argent au cabaret,
paresseux, imprévoyants, et même dangereux)
les inégalités sont moralement justifiées: « le remède à la pauvreté des ouvriers est
dans leur bonne conduite » : éducation morale et religieuse.

et non l’accroissement des salaires (inutile s’il subsiste chez les salariés des « habitudes
de débauche et de désordre ») Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers,
1840.

La moralisation a un effet politique directe : amener l’ouvrier à accepter et à être


content de son propre sort.
Karl Marx
La lutte des classes comme le moteur de l’histoire

• L’histoire comme mouvement perpétuel : la société humaine est un processus permanent


en transformation, une totalité en mouvement

• La lutte des classes est le moteur de l’histoire  mouvement (transformation sociale)

« L’histoire de toute société […] jusqu’à nos jours c’est l’histoire de la


lutte des classes » (Manifeste du Parti Communiste, 1848)
La lutte des classes sociales

• Dans chacun des modes de production [MDP] qui se sont succédés à travers l’histoire deux
classes sont en opposition radicale
La classe qui détient les moyens de production [la classe exploitante]

La classe qui est dépourvue des moyens de production [la classe exploitée]

MDP Antique : citoyens libres ≠ esclaves


MDP Féodal : seigneurs ≠ serfs
MDP Capitaliste : capitalistes [bourgeoisie] ≠ travailleurs [prolétariat]
Le mode de production

• Le MDP comprend deux éléments :


L’état des forces productives : degré de développement technologique, état de la
division du travail…
Un rapport de production spécifique : esclavage, servage, salariat…

 Il y a mouvement de l’histoire lorsque ces deux éléments entrent en opposition.

• L’économie est première :


Le MDP est l’infrastructure de la société, le reste n’en est que la superstructure
Le mode de production
• Passage des serfs du Moyen Age à la bourgeoisie :

« La découverte de l’Amérique, le tour de l’Afrique en mer ont offert à la


bourgeoisie montante un nouveau terrain. Le marché indien et chinois, la
colonisation de l’Amérique, le troc avec les colonies, et en général l’accroissement
des moyens d’échange et des marchandises ont donné au commerce, à la
navigation et à l’industrie une impulsion qu’ils n’avaient jamais connu, et ont ainsi
favorisé dans la société féodale en décomposition l’essor rapide de l’élément
révolutionnaire.
Le mode de production féodal et corporatif de l’industrie ne satisfait désormais
plus l’accroissement des besoins consécutif à l’ouverture de nouveaux marchés. La
manufacture le remplaça. Les maîtres de corporation furent supplantés par la
classe moyenne industrielle; la division du travail en corporations diverses disparut
au profit de la division du travail à l’intérieur de chaque atelier.
Le mode de production
• Passage des serfs du Moyen Age à la bourgeoisie :

Mais les marchés ne cessaient de croître, les besoins de grandir. Bientôt la


manufacture ne suffit plus. C’est alors que la vapeur et le machinisme
révolutionnaire la production industrielle. La manufacture laissa place à la grande
industrie moderne, la classe moyenne industrielle fit place aux millionnaires de
l’industrie, aux chefs d’armées industrielles entières, aux bourgeois modernes.

La grande industrie a crée le marché mondial (…) Le marché mondial a donné au


commerce, à la navigation, aux communications un immense développement.
Celui-ci a réagi à son tour sur l’extension de l’industrie, et à mesure qu’industrie,
commerce, navigation et chemin de fer se développaient, la bourgeoisie
grandissait, multipliait ses capitaux, et repoussait à l’arrière plan les classes héritées
du Moyen Age.
Le mode de production

• Passage des serfs du Moyen Age à la bourgeoisie :

Nous voyons donc que la bourgeoisie moderne est elle-


même le produit d’un long processus de développement,
d’une série de bouleversements dans le mode de
production et les moyens de communication. »

(Manifeste du Parti Communiste, 1848, chapitre 1)


Le mode de production

Dans chaque MDP, une classe sociale domine l’autre dans l’organisation de la production

« A toutes époques les idées de la classe dirigeante sont les


idées dominantes. La classe qui dispose des moyens de la
production matérielle dispose en même temps, de ce fait,
des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en
général elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui
ces moyens font défaut » (L’idéologie allemande)
Marx emprunte beaucoup aux Classiques (Smith et Ricardo en particulier)
Mais il rompt avec leur problématique :
pour eux, il s’agit de comprendre les règles de l’échange et de
l’accumulation qui relèvent d’un ordre naturel
pour Marx, cette approche des phénomènes aveugle à la nature
historique, limite la possibilité d’en comprendre l’origine et la signification ;
elle conduit à n’expliquer que leur articulation quantitative
Marx veut saisir la logique et les conditions d’apparition historique
du capitalisme
donner à la classe exploitée la connaissance qui lui manque des conditions
de son exploitation pour rendre sa lutte efficace.

L’homme n’est pas la marionnette de l’histoire. Si ses comportements sont


contraints par l’environnement social, par les conditions historiques de son
existence, il est acteur
Le mode de production capitaliste

« Travailleurs du monde entier (ou prolétaires de tous les pays) unissez vous ».

• Le principal objet de l’étude de Marx : le capitalisme comme système


historique oppressif.
 Le capitalisme n’est ni la forme définitive de la société, ni la forme naturelle
de l’organisation de la production : le capitalisme est voué à disparaître

 Saisir le caractère historique du capitalisme, sa logique et les conditions


historiques de son apparition est le seul moyen de comprendre l’ exploitation
d’une classe par l’autre.
La marchandise

La marchandise : point de départ du capitalisme. Elle n’est pas une forme naturelle,
mais une forme historique, qu’il faut expliquer.

« La circulation des marchandises est le point de départ du capital » (le chapitre IV, Le
Capital)

Il y a deux types de circulations que pratiquement tout oppose

La circulation simple et la circulation du capital


• La circulation simple • La circulation du capital

M-A-M A-M-A
La circulation de l’argent en tant qu’argent La circulation de l’argent en tant que capital
A sert d’intermédiaire des échanges M sert d’intermédiaire des échanges
A est définitivement dépensé A est simplement avancé
Le but de l’échange : Valeur d’usage Le but de l’échange : Valeur d’échange
• La circulation simple
• La circulation du capital

M-A-M’
A-M-A’
Mouvement d’échange de marchandises de
même valeur mais d’utilités différentes Mouvement qui transforme l’argent en capital
A’ = A+∆A
A : la somme avancée
∆A : l’excédent, la plus-value

Limite : consommation, satisfaction des besoins


Pas de limite : accroissement de quantité sans fin
Le possesseur d’argent devient capitaliste, son but est la plus-value,
le mouvement incessant du gain toujours renouvelé
L’argent en tant qu’argent n’est qu’un
intermédiaire pour l’échange des produits et
disparaît dans le résultat final du mouvement  La valeur semble avoir acquis la propriété occulte d’enfanter de la
A est monnaie valeur, de faire des petits… Elle sort de la circulation, y revient, s’y
maintient et s’y multiplie  A est capital
• La formule générale du capital
A-M-A’
Toute valeur autocroissante constitue du capital ; l’argent ne
devient capital que lorsqu’il enfante de la valeur.

Comment s’opère la transformation de A en A’ ? Ou encore


« La métamorphose de l’homme aux écus en capitaliste »
• La force de travail

Il existe à la disposition de « l’homme aux écus », une marchandise spécifique


dont la spécificité est de créer de la valeur par son usage

 La force de travail ou puissance de travail

FDT : « l’ensemble des facultés physiques et intellectuelles qui existent dans le


corps d’un homme, sa personnalité vivante et qu’il doit mettre en mouvement
pour produire des choses utiles ».
La FDT n’est ni le travail ni le travailleur : c’est la capacité à
travailler, qui, seule peut-être l’objet d’une vente pour le
travailleur et d’un achat pour le capitaliste
Seule la force de travail créée de la valeur de par son usage

La force de travail est une marchandise spécifique

Autres que la FDT VU : Utilité


VE : Prix réel
Marchandises
Force de VU : valeur crée par elle-même
travail (consommation de travail ou quantité de
travail effectif fournie par le travailleur)
VE : salaire (VE des biens de subsistance
nécessaires à l’entretien du travailleur et de
sa famille, à la reproduction à l’identique de
la classe ouvrière)
La FDT renferme du point de vue de sa valeur un élément
moral et historique ;
Ce qui la distingue des autres marchandises : les besoins
naturels changent d’un pays à l’autre, fonction du climat , du
degré de civilisation, du rapport de force. …La limite basse
étant la limite physiologique.
La plus-value
Il existe un lien entre la VU et la VE de la FDT : la plus-value

NB : contrairement aux autres marchandises où il n’y a pas forcément de lien entre ces deux
valeurs.

VU de FDT – VE de FDT = plus-value


i.e
Quantité de travail effectif – quant. de travail nécessaire = quant. de travail extra
i.e.
Valeur créée par la FDT – coût de la FDT = plus-value
i.e.
Travail total – travail payé (salaire) = travail non payé
Une partie du temps de travail n’est pas payée au travailleur : l’exploitation
• La plus-value
Trois façons d’augmenter la plus-value pour le capitaliste :

1. Réaliser une augmentation absolue de la plus-value :


augmentation de la journée de travail (sans hausse des salaires)
Journée de travail

Travail nécessaire Travail extra Hausse de la plus-


value absolue
A B C C’
2. Réaliser une augmentation relative de la plus-value :
diminution de la VE de la FDT (du temps de travail nécessaire à la
reproduction de la FDT), en augmentant la productivité dans la production des
biens de premières nécessité (ou importation de produits moins chers)

Journée de travail

Travail nécessaire Pl relative


A B’ B
3. Plus-value différentielle
• Profiter d'une augmentation de productivité pour produire plus de
marchandises au même prix.
Le capitaliste vend ses marchandises au même prix qu'avant,
empochant une plus-value supplémentaire.
• Ces gains de productivité peuvent être obtenus soit par
la machinisation, soit par une "optimisation" de l'organisation du
travail (taylorisme, division du travail, management...)

• Quand la nouvelle technique se généralise, le temps de travail


socialement nécessaire diminue et l'avantage différentiel est perdu.
La FDT est rémunérée avant que le travail existe, et n’est donc pas
fonction de ce dernier.
Une partie du travail n’est pas rémunéré (ce qui va au-delà de la
reproduction à l’identique de la FDT, cad ce que l’ouvrier a besoin en
termes de biens de subsistance).
 la FDT transmet plus que la valeur pour laquelle est elle payée.
L’exploitation
• L’exploitation n’est pas un vol mais elle est cachée par la liberté et l’égalité qui
régissent les rapports marchands

Le travailleur libre [double liberté] :

Liberté positive [le travailleur est un homme libre, au


sens philosophique et juridique] : il dispose à son gré de sa
propre personne, il est propriétaire de sa FDT. Il faut qu’il y
ait égalité juridique entre le capitaliste et le travailleur.
L’achat et la vente de la FDT doit se faire par contrat
(rencontre sur le marché)
L’exploitation

Liberté négative [le travailleur est libre de tout]


: le travailleur est dépourvu de tous moyens de
production (de valoriser lui-même sa FDT) et des
moyens de subsister seul. La seule marchandise
qu’il possède est sa FDT. Il est donc contraint de
louer sa FDT pour vivre.
L’exploitation

• Le concept de FDT  travail non payé, sur lequel les


capitalistes tirent une plus value : une partie du travail de
l’ouvrier lui est extorquée par le capitaliste via le rapport
salarial [exploitation]
L’exploitation

Remarque :

Les classiques ne distinguaient pas FDT et Travail  pas de surtravail, pas


d’exploitation.
Le rapport salarial donne l’illusion que la totalité du travail est rémunérée.
Cela revient à faire remonter l’origine de la plus value au capital, et
présenter le capitaliste comme le personnage central du système, c’est-à-
dire du processus de production
L’exploitation

L’exploitation est masquée par le rapport salarial

• Dans l’Antiquité : l’esclave sait qu’il est exploité mais croit que
l’intégralité de son travail est non rémunéré.
• Dans le système féodal : le serf sait quand il travaille pour lui
et quand il travaille pour le seigneur.
• Dans le système capitaliste : le travailleur ne sait pas qu’il est
exploité et croit qu’il est rémunéré pour l’ensemble de son
travail.
Fétichisme

Les rapports sociaux sont masqués par les rapports


entre les choses [fétichisme] et tendent à se
déshumaniser : derrière la VE, le rapport des choses
entre elles, il y a des rapports sociaux déterminés des
hommes entre eux [capitalisme]
• Quand on dit qu’une table = deux chaises, il n’y a pas grande difficulté
à imaginer le travail humain derrière les objets. Si l’on dit qu’une table
= 100 euros, c’est déjà moins immédiat
―> l’exploita on du travail devient invisible
L’aliénation

« Nous sommes partis des prémisses de l’économie


politique. Nous avons accepté son langage et ses
lois […] Nous avons montré que l’ouvrier est ravalé au
rang de marchandise, et de la marchandise la plus
misérable, que la misère de l’ouvrier est en raison
inverse de la puissance et de la grandeur de sa
production […] » (Manuscrits de 1844]
L’aliénation

Trois aliénations :

• L’ouvrier est aliéné par rapport au produit de son travail  aliénation de la chose
• L’ouvrier est aliéné par rapport à l’activité de son travail  l’aliénation de soi
• L’ouvrier est aliéné par rapport au genre humain  l’homme est rendu étranger à
l’homme
L’aliénation

Ne se reconnaissant pas dans le monde où il vit, l’homme projette hors de lui un monde
idéal dans lequel il se réalise  « la religion c’est l’opium du peuple »

Plus l'homme met de choses en Dieu, moins il en garde en lui-même.


La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur
C'est un remède qui peut soit atténuer nos souffrances, nous conduire à la guérison.
Mais c’est aussi un poison qui affecte notre capacité de penser et nous endort,

La liberté doit commencer au-delà de la nécessité.

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