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Collection U
Introduction
Les effets de la révolution industrielle britannique sur la production et les niveaux de vie
Les transformations économiques en France au XVIIIe siècle et jusqu’à la fin de la période révolutionnaire
L'impérialisme
Chapitre 8 - La mondialisation
La population mondiale
Keynésianisme et libéralisme
Le système global
Conclusion
Bibliographie
Copyright © Armand Colin, 2010
978-2-200-25844-3
Deuxième édition
Illustration de couverture : Intérieur du port de Marseille, Joseph
Vernet ph © RMN
Maquette de couverture: L'Agence libre
Armand Colin
21, rue du Montparnasse
75006 Paris
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous
procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation
intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées
dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur, est illicite et
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laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du
Code de la propriété intellectuelle
Collection U
Histoire
Du même auteur
- Histoire de la globalisation financière, Armand Colin, 2010 (avec
Cécile Bastidon et Philippe Gilles).
- Introduction à l’économie du développement, Armand Colin,
2008.
- Un monde meilleur ? Pour une nouvelle approche de la
mondialisation, Armand Colin, 2005.
- Histoire des faits économiques, 3 vol., Armand Colin, 2001, 2003,
2004.
- Les NPI et l'industrialisation du tiers-monde, Armand Colin,
1993.
Introduction
Le but de cet ouvrage est de présenter une brève histoire économique
du monde jusqu’à la fin de la première décennie du XXIe siècle et de faire
apparaître les racines anciennes et plus récentes du développement
économique, d’expliquer les causes profondes du phénomène de
l'industrialisation réussie en Europe et dans les autres pays développés et
émergents. Les caractéristiques et les conséquences de la révolution
industrielle sont assez bien connues, mais ses origines restent
controversées. Il s’agit pourtant là du point essentiel, car si on arrive à
démonter la mécanique de la croissance passée dans ses aspects
économiques, mais aussi technologiques, démographiques,
institutionnels, éthiques ou sociologiques, on pourra mieux analyser les
obstacles actuels au développement des pays pauvres. Ainsi l’histoire
aura pleinement rempli son rôle, qui ne se limite pas à la connaissance du
passé, mais qui doit surtout permettre de mieux comprendre les sociétés
contemporaines et par là servir également de guide à l’action.
On commencera par rappeler l’historique de la discipline elle-même,
ce qui permettra de préciser les termes et de situer les différents courants
ou écoles, avant d’évoquer des questions générales de premier intérêt
pour notre matière, celles qui concernent la croissance, la technologie et
l’évolution démographique. On étudiera ensuite les aspects économiques
de l’histoire humaine depuis les économies précapitalistes (Antiquité,
Moyen Âge) et préindustrielles (Renaissance, Temps modernes), en
passant par la révolution industrielle du XVIIIe siècle, jusqu’à la période
d'industrialisation générale à travers le monde aux XIXe, XXe et début du
XXIe siècle.
Chapitre I
L'Histoire
Les historiens de l’Antiquité - Hérodote, Thucydide, Polybe en Grèce,
Tite-Live, Tacite à Rome - se préoccupent assez peu des aspects
économiques de l’histoire, ils s’en tiennent à une histoire souvent
hagiographique sur les mérites de leur patrie respective. Ils ont aussi une
vision cyclique, où les événements reviennent toujours à leur point de
départ, sans direction, sans progrès. Les civilisations naissent,
grandissent et déclinent, pour laisser la place à d’autres qui reprennent le
même processus.
Les auteurs du Moyen Âge souffrent des mêmes lacunes mais
introduisent une conception téléologique de l’histoire, où la notion de
progrès spirituel de l’humanité apparaît. De cette évolution tournée vers
Dieu, selon l’idéal chrétien de l’époque, on passe progressivement à
l’idée de progrès matériel dans les pays européens et du bassin
méditerranéen. L'histoire a un sens, le progrès est possible. En outre
l’étude des aspects économiques et sociaux entre en scène à la fin de
cette période, à travers les écrits du grand historien et philosophe arabe
Ibn Khaldoun qui est véritablement le premier à formuler une
conception théorique et méthodique de l’histoire, notamment dans la
Muqaddima (Introduction à son Histoire des Berbères) : « Mais elle
(l’histoire) traite aussi de ces travaux auxquels les hommes s’adonnent et
des efforts qu’ils font en vue de réaliser des gains et de se procurer un
gagne-pain, et encore des sciences et des métiers ainsi que de tous les
phénomènes qui se manifestent naturellement dans les divers états de la
civilisation ».
Aux Temps modernes, c’est-à-dire entre la Renaissance et la
Révolution, l’histoire se fait plus scientifique avec une volonté de rigueur
accrue (critique des sources, travail d’archives, mise en doute des
témoignages, etc.). Des auteurs comme Dom Mabillon ou Richard
Simon illustrent cette évolution. Voltaire se fait historien et introduit les
préoccupations statistiques (commerce extérieur) et démographiques
(estimation de la population des grandes nations) dans ses travaux.
Enfin, à l’époque contemporaine, l’histoire devient véritablement une
science avec successivement deux grandes écoles : l’école méthodique ou
positiviste au XIXe, et l’école des Annales au XXe siècle. La première
veut une histoire événementielle rigoureuse, scientifique, qui se
caractérise par l’analyse critique des documents du passé et la croyance
qu’on pourra finalement tout connaître de ce qu’il est possible de
connaître (au fur et à mesure de l’exploitation du stock de documents,
archives et témoignages disponibles ou à découvrir). Elle est illustrée par
des auteurs comme Langlois, Seignobos ou Lavisse autour de 1900.
L'histoire méthodique sera contestée à partir des années 1920 par de
jeunes auteurs comme Lucien Febvre et Marc Bloch qui se détournent
des événements, des batailles, des successions de dynasties et de régimes
politiques, pour s’intéresser aux aspects géographiques, économiques et
sociaux, aux modes de vie, à la culture, aux croyances, aux coutumes des
époques passées. L'histoire économique se situe au premier plan de leurs
recherches et elle ne le quittera plus. Après la guerre, l’école des Annales
(d’après la revue du même nom) aura comme chef de file Fernand
Braudel et se transformera peu à peu en Nouvelle histoire ou Histoire
totale cherchant à couvrir tous les aspects de la vie en société. Braudel
apporte la notion de longue durée en histoire, il distingue la durée courte,
événementielle, celle des phénomènes politiques ou militaires; la durée
intermédiaire des activités et des cycles économiques ; et enfin la longue
durée des phénomènes climatiques, géographiques, culturels, une histoire
quasi immobile qui s’étend sur des siècles. Son ouvrage principal
Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle,
constitue toujours une source essentielle pour la compréhension de la
genèse des sociétés modernes. Diverses branches de la recherche
historique caractérisent désormais la discipline: l’histoire sérielle,
l’histoire sociale, la démographie historique, l’histoire des mentalités,
etc., dans cette volonté d’embrasser tous les aspects des sociétés
humaines.
L'Économie
La croissance
La Magna Carta
Les techniques
La population
La population mondiale, de 300 millions en l’an mille, 700 millions en
1700, s’élevait à un milliard au début du XIXe siècle, 2,5 milliards en
1950, dépassait 6 milliards en l’an 2000 et atteindra 7 milliards en 2013.
L'accélération peut être simplement illustrée par le fait qu’entre le
néolithique et le XVIIIe siècle le rythme de croissance a été d’un
doublement tous les mille ans, alors que dans la deuxième moitié du XXe
siècle ce doublement a eu lieu en quarante ans... Les prévisions proches
des démographes sont de 9 milliards en 2050 et la population de la
planète devrait se stabiliser autour de 11 milliards en 2200. Toutes les
régions du monde auront alors achevé leur transition démographique à la
suite de l’Europe aux XIXe et XXe siècles, caractérisée par des naissances
moins nombreuses qui équilibrent à peu près les décès, également moins
nombreux.
La première révolution économique, selon la terminologie de North,
celle du néolithique, permet une expansion inouïe de la population: de 5
millions il y a dix mille ans, à 200 millions au début de l’ère chrétienne.
Trois grands foyers de peuplement dominent: la Chine, l’Inde et le bassin
méditerranéen, qu’on retrouve jusqu’à aujourd’hui. Ils représentent les
trois quarts de l’humanité au Ier siècle, entre 50 et 60 % au Moyen Âge
alors que le foyer méditerranéen inclut maintenant l’Europe occidentale.
Par la suite, avec l’expansion européenne du XVIe siècle et la poussée
démographique de la Chine, ces trois ensembles remontent à 70 % de la
population mondiale vers 1800.
L'explosion de la population dans le tiers-monde, au XXe siècle, fait
retomber cette part à 50 % en 1980. L'Asie passe de 54 % à 59 % de la
population mondiale du début à la fin du siècle, mais l’Europe décline de
23 à 10 %, l’Amérique du Nord se maintient à 5 %, tandis que l’Afrique
monte de 7 à 12 % et l’Amérique latine de 4 à 9 %. En Europe, la France
représente 15 % de la population du continent en 1800 et 7 % en 1950,
tandis que la Russie passe de 19 % à 34 % (mais à nouveau à 20 % en
1992 après l’éclatement de l'URSS.
Une vue à long terme permet de constater qu’au cours de l’histoire les
périodes d’expansion démographique ont également été des périodes de
renouveau. C'est le cas de la Grèce antique jusqu’au Ve siècle, de Rome
jusqu’au IIe siècle de notre ère, des civilisations du Croissant fertile, de
celles de l’Inde et de l’Extrême-Orient, et naturellement de l’Europe à
partir du XIe siècle. Cameron distingue trois courbes logistiques
(croissance rapide, puis décélération et plafonnement) de la population en
Europe après l’an mille:
• XIe au XIIIe siècle : défrichements, croisades et cathédrales, suivis
de la crise du XIVe où la population est réduite d’un tiers ou plus
après la grande peste de 1348;
• XVe et XVIe siècles : explorations, marchés, sciences, suivis par le
recul démographique et les famines du XVIIe ;
• XIXe siècle : industrie, impérialisme, domination mondiale, suivis
de l’effacement relatif du XXe siècle.
Les phases de croissance démographique sont accompagnées d’une
croissance économique, de progrès techniques, d’un essor culturel et
d’une expansion territoriale. Les phases de recul s’expliquent par l’entrée
dans des rendements décroissants, le piège malthusien caractérisé par une
population en hausse qui vient buter sur l’épuisement des ressources,
quand les techniques sont inchangées. C'est seulement depuis la
révolution industrielle et l’explosion du progrès technique que l’humanité
peut éviter ce piège : des procédés de plus en plus efficaces compensent
la limitation des ressources et les rendements décroissants. La révolution
industrielle mérite donc bien son nom car « pour la première fois dans
l’histoire une expansion démographique ne débouche plus sur une crise
majeure suivie d’une longue période de stagnation » (Tilly).
L'idée d’une antinomie entre la croissance démographique et la
croissance économique est relativement récente, elle date des XIXe et
XXe siècles, avec Malthus d’abord, et l’explosion démographique dans le
tiers-monde ensuite qui renouvelle les craintes malthusiennes. Cependant
aujourd’hui plus encore que par le passé, la croissance de la population
peut aller de pair avec une augmentation de la production en moyenne
plus rapide (voir schéma). L'élévation du revenu par tête finit par
provoquer une baisse de la natalité, selon le modèle de la transition
démographique qu’on peut maintenant observer partout (cf. p. 266).
Revenu réel par personne en Angleterre, 1200-2000
Source : Gregory Clark, A Farewell to Alms, Princeton,
2007
Après ce panorama des principaux courants et thèmes de l’histoire
économique, un retour à la chronologie permettra de faire le point sur les
différentes époques à travers les travaux récents, et notamment ceux de la
nouvelle histoire économique. On présentera l’évolution des économies
de l’Occident, du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient avant la
révolution industrielle, en étudiant d’une part l’économie antique et
médiévale, et d’autre part celle des Temps modernes: l’économie
mercantiliste, du XVe siècle jusqu’au début du XVIIIe. Les révolutions
industrielles des XVIIIe-XIXe siècles seront ensuite analysées avec leurs
conséquences planétaires et notamment la mondialisation contemporaine.
1 Titre de son ouvrage de 1973, avec R.T. Thomas, The Rise of the Western World - A New
Economic History, Cambridge University Press.
Chapitre 2
L'économie antique
Les empires
• Phéniciens et Carthaginois
À l’origine de la vocation commerciale et maritime des Phéniciens, il y
a l’Égypte proche qui manque de bois et qui importe depuis la côte
libanaise. Les Phéniciens inventent le commerce maritime et créent au
XIIe siècle avant notre ère la première économie vivant des échanges plus
que de la production. De l’ascension des premières cités phéniciennes
comme Tyr, Sidon, Byblos et Beyrouth, jusqu’à la chute de Carthage au
IIe siècle avant notre ère, leur domination commerciale dure environ un
millénaire. Cette aventure peu commune, possible seulement grâce aux
caractères propres de la mer quasiment fermée qu’ils explorent, ouvre
une voie nouvelle aux activités économiques. Véritables pionniers et
découvreurs, ils inaugurent par exemple la pratique du troc avec des
peuplades inconnues. Les Phéniciens vendent des produits manufacturés
(les étoffes de Sidon ou la fameuse pourpre de Tyr, des produits de luxe
comme les parfums et les bijoux) contre des matières premières diverses.
Ils vont chercher l’étain jusqu’en Cornouailles, le fer, l’argent, le plomb
au sud de l’Espagne, l’or, l’ivoire, les bois précieux en Afrique. Ils jouent
le rôle d’intermédiaires pour tous les échanges du monde antique.
Ce ne sont pas seulement des marins mais aussi des artisans qualifiés,
des ouvriers habiles (métallurgie, orfèvrerie, ébénisterie, verrerie, etc.) et
des agriculteurs qui ont fait de leur pays, la côte de la Syrie et le Liban
actuels, une région richement cultivée avec des travaux d’irrigation et des
plantations étagées en terrasses. Ces productions fournissent un surplus
exportable, base de leur développement extérieur. Ils établissent des
comptoirs commerciaux sur tout le pourtour de la Méditerranée pour
développer leurs échanges et sont ainsi les premiers colonisateurs, bien
avant les Grecs au VIe siècle avant J.-C. et les Portugais aux Temps
modernes. Les droits de propriété et les contrats sont scrupuleusement
respectés par ces marins-commerçants, ancêtres de tous les armateurs et
navigateurs modernes, qui pratiquent une forme de libre entreprise
maritime. Les Phéniciens par leur réseau d’échanges ont forgé l’unité du
monde antique autour de la Méditerranée2. Ils ont aussi répandu l’écriture
alphabétique pour noter leurs transactions et communiquer facilement
des informations.
• La Grèce
De la mer Égée à la grande Grèce
Le miracle de la Grèce qui rayonne au premier millénaire vient de
l’éclatement des îles et du découpage tourmenté des côtes qui créent
autant de ports naturels. Les vents réguliers et le climat ajoutent à la
facilité de la navigation et donc du commerce.
La période homérique, entre -1200 et -800, est celle du « Moyen Âge »
de la Grèce, celle de tous les mythes, chantés par Homère. Mais c’est à
partir du VIIIe siècle qu’un véritable développement économique se
produit, accompagné d’une expansion colonisatrice vers la Méditerranée
occidentale, l’Asie mineure et la mer Noire. La population en excédent
ou fuyant les inégalités et les conflits peuple ces nouveaux
établissements. Le partage inégal des terres est un des facteurs de ces
migrations: selon une grande constante de l’histoire, partir et coloniser
apparaît comme une solution plus facile que redistribuer les propriétés.
Les échanges en sont stimulés, ainsi que la division du travail entre ces
cités nouvelles et anciennes qui forment la grande Grèce. Le monde grec
passe d’une économie terrienne et repliée à l’époque archaïque (VIIIe au
VIe siècle) à une économie commerciale, maritime et monétaire à l’âge
classique (Ve et IVe siècles). Les cités et les îles grecques comme Argos,
Sparte, Athènes, Corinthe, Delphes, Égine, Mégare, Délos, Kos,
Santorin, politiquement autonomes mais culturellement unies,
développent les échanges à partir de leur artisanat et agriculture.
Des facteurs techniques et institutionnels permettent cette expansion:
la création d’une flotte puissante, l’unification des poids et mesures et
surtout l’utilisation de la monnaie sur une grande échelle. Le talent
d’Athènes est divisé en 60 mines, chaque mine en cent drachmes et
chaque drachme (ou statère) en 6 oboles. La drachme d’argent devient la
monnaie internationale de l’époque dans cette partie du monde et
donnera leur nom à nombre de monnaies nationales jusqu’à aujourd’hui,
comme le dirham. On assiste à la naissance d’un véritable commerce
international dont Athènes est le centre, comme Londres le sera au XIXe
siècle et New York aujourd’hui.
On a affaire à une forme de capitalisme où la recherche du profit
motive les acteurs et où le droit de propriété et des contrats est très
évolué : les mines du Laurion sont par exemple organisées sous forme de
société par actions. L'expansion grecque en Méditerranée accroît le
nombre des prisonniers transformés en esclaves. Ceux-ci représentent
ainsi la moitié au Ve et jusqu’aux trois quarts de la population d’Athènes
au IVe siècle. Le poids de l’esclavage dans la société grecque est
considérable par rapport aux précédentes sociétés antiques, à tel point
que les marxistes y voient la naissance d’un nouveau mode de
production. Jusque-là l’esclavage était « accidentel et ancillaire » en
Égypte ou en Perse, il devient avec la Grèce puis Rome « systématique et
productif ». Une masse de producteurs esclaves permet à une élite
d’hommes libres et égaux de se consacrer à la politique et aux arts. Les
cités grecques pratiquent une forme de démocratie directe par le vote des
citoyens (environ 40 000 à Athènes au Ve siècle) sur les grandes
questions et choix importants, ce qui constitue une innovation
considérable dans un monde jusque-là gouverné par des monarques
absolus. Les Grecs ont été les premiers à instaurer la loi du plus grand
nombre dans leurs institutions, c’est-à-dire la première forme de
démocratie.
Cette expérience sombrera dans les guerres entre cités et les conflits
internes du IVe siècle. L'unité politique de la Grèce sera finalement
réalisée par la force en -338 avec la conquête de Philippe de Macédoine.
Une monarchie absolue prend la place de la nébuleuse des villes libres et
une nouvelle période s’ouvre avec les conquêtes en Asie de son fils
Alexandre : les Temps hellénistiques, du IVe au Ier siècle avant J.-C.
Le monde hellénistique
Pendant que la puissance de Rome se construit lentement dans le
Latium, tandis que les anciennes cités grecques comme Athènes, Sparte
ou Corinthe déclinent, le centre de gravité du monde civilisé, et aussi
celui des échanges, se situe dorénavant plutôt à Alexandrie, Antioche,
Rhodes, Séleucie ou Pergame, nouvelles capitales fondées par les Grecs
en Égypte et en Asie. Les royaumes hellénistiques, issus du partage de
l’empire d’Alexandre marquent de culture grecque tout l’Orient jusqu’à
l’Inde pendant près de trois siècles.
Ce vaste monde hellénisé connaît un développement économique
rapide. L'unification culturelle et linguistique, les réformes monétaires
d’Alexandre, la construction de routes et d’infrastructures portuaires, tout
concourt à une expansion des échanges et une croissance économique
basée sur la division du travail. Le troisième siècle avant notre ère voit
l’apogée de cette brillante civilisation. Alexandrie, ville nouvelle et «
moderne », avec deux ports, le premier phare, le premier musée
contenant une immense bibliothèque, de larges avenues et un réseau
d’alimentation et d’évacuation de l’eau, est avec environ 500 000
habitants la plus grande ville du monde et la capitale de cet ensemble
prospère, au carrefour de trois continents.
Les anciennes institutions des pays conquis sont toujours présentes
malgré l’hellénisation de surface. Ainsi le dirigisme millénaire de
l’Égypte continue à caractériser le royaume ptolémaïque, tandis que le
plus grand libéralisme des peuples perses et mésopotamiens se retrouve
chez les Séleucides. Dans l’ensemble cependant, c’est une orientation
plus interventionniste et bureaucratique qui caractérise peu à peu ces
États, entraînant une paralysie progressive aux IIe et Ier siècles ouvrant la
voie à la conquête romaine.
Le Moyen Âge
Le domaine
De l’esclavage au servage
Le retour général à la terre après l’effondrement de l’Empire romain,
puis l’arrêt du commerce au VIIe siècle, entraîne une diminution du
nombre des esclaves. Plus question de les garder dans des fonctions
variées comme précepteurs, domestiques, comptables ou autres, ils
travaillent la terre, condition de la survie. On ne peut plus les vendre ou
alors il faut vendre la terre avec eux. Le lien direct du maître à l’esclave,
le droit personnel et entier de propriété sur une personne, devient un lien
indirect qui passe par la terre. La différence est énorme, car être vendu en
étant déplacé ailleurs n’a rien à voir avec le fait d’être vendu avec la terre
où on vit, car dans ce dernier cas cela veut dire garder son toit, son cadre,
sa famille, son humanité. Le serf jouit d’une indépendance évidente par
rapport aux esclaves, il appartient à une communauté, bénéficie de
l’application des coutumes et droits communs, de la possibilité de
recourir à des pétitions, de faire appel.
Le serf est un paysan, travaillant en famille, logé dans sa maison.
L'esclave peut se trouver aussi bien en ville qu’à la campagne, et dans ce
cas il n’est qu’un travailleur dépourvu de terre, utilisé en équipes et logé
en commun dans des baraques.
Du point de vue politique, les esclaves n’appartiennent qu’à leur
maître, tandis que les serfs dépendent de leur seigneur, mais aussi du
prince, du roi, du suzerain du seigneur. Les maîtres monopolisent ainsi le
pouvoir sur leurs esclaves alors que les serfs ont aussi des obligations
envers l’État, sous forme de taxes et parfois de service armé. Les deux
systèmes sont donc politiquement différents dans le sens où les esclaves
sont hors de portée de l’État, alors que les serfs font partie du système
politique. Les droits des serfs sont beaucoup plus étendus que ceux des
esclaves, d’abord parce que les seigneurs devaient respecter les
coutumes, mais aussi parce que des réglementations ont été
progressivement introduites par le pouvoir central, qui avait aussi autorité
sur les serfs.
Les esclaves sont en général des étrangers, importés, et non indigènes,
d’ethnies ou de races différentes du pays où on les transporte, prisonniers
de guerre ou de rafles, objets d’un échange sur un marché. L'esclavage
est ainsi lié à la traite, au commerce des esclaves, et le taux de mortalité
élevé, la faible natalité, impliquent la nécessité d’un renouvellement
constant par des apports extérieurs. Le recrutement externe est essentiel,
alors qu’il ne l’est pas pour le servage. Les serfs en effet sont nés sur
place et forment des générations successives, ils sont socialement
intégrés et ne sont pas ethniquement ou racialement différents des autres
catégories de la population.
La réciprocité est un aspect de la relation serf/seigneur, aspect
largement absent pour l’esclave. Le seigneur accorde la terre et en
contrepartie le serf la travaille et lui fournit une part de son produit, en
même temps qu’il règle les impôts à l’État. La protection du seigneur est
aussi un élément de la réciprocité, on le voit bien dans le cas des
travailleurs libres qui sont rentrés dans le servage au cours du Moyen
Âge pour en bénéficier.
Les serfs sont moins coûteux à entretenir, puisqu’ils se nourrissent eux-
mêmes, se reproduisent, et requièrent une surveillance limitée. Les
esclaves au contraire doivent être nourris, surveillés, et «
réapprovisionnés » en permanence. Cependant, pour produire vers des
marchés extérieurs, l’esclavage est plus efficace parce que toute la terre
est utilisée à ce but, et que le travail peut être organisé de façon
rationnelle.
Le changement des mentalités explique aussi le recul de l’esclavage.
L'Église affirme la liberté de conscience des esclaves et l’idée que tout
être humain a une âme libre. Elle ne condamne cependant pas la
servitude ici-bas, mais œuvre pour des raisons morales à améliorer cette
condition. Divers conciles interdisent le travail le dimanche, la séparation
des couples mariés, affirment le droit au foyer et à la famille, unifient les
règles du mariage entre hommes libres ou non. L'affranchissement est
conseillé comme une action pieuse.
Ainsi l’esclave devient serf, on passe de la servitude au servage. À une
économie tournée vers la terre, beaucoup moins complexe et diversifiée
que la société antique, correspond une structure sociale également plus
simple, bientôt caractérisée par les trois ordres traditionnels de l’époque
féodale: les paysans, les nobles, le clergé.
L'exemple des pays ibériques est suivi par les autres nations
européennes qui n’acceptent pas le partage du traité de Tordesillas de juin
1494 entre le Portugal et l’Espagne. François Ier lance ainsi Verrazano et
Cartier vers l’Amérique du Nord. Le premier reconnaît la future baie de
New York baptisée Nouvelle Angoulême, et le second remonte le Saint
Laurent jusqu’à Montréal. L'Angleterre d'Elisabeth Ire arme Francis Drake
qui effectue le deuxième tour du monde en 1580 et Walter Raleigh qui
fonde la Virginie en 1584. La Hollande prend pied en Amérique : la
Nouvelle Amsterdam est fondée en 1624 sur le site reconnu par
Verrazano un siècle plus tôt, mais c’est surtout l’Asie qui est visée par les
Hollandais: Cornelis Houtman rapporte une pleine cargaison de poivre et
autres épices d’Insulinde en 1595, Jan Pieterszoon Coen fonde Batavia
(future Djakarta) en 1619 et Abel Janszoon Tasman fait le tour de
l’Australie en 1642, découvre l’île qui porte son nom, ainsi que la
Nouvelle-Zélande nommée en l’honneur d’une des sept Provinces unies.
Enfin Isaac Le Maire et Willem Schouten ouvrent en 1615 une nouvelle
voie vers Java en contournant les premiers le cap qu’ils baptisent du nom
de leur port d’attache aux Pays-Bas (Hoorn). Si l’empire portugais est
menacé par les Bataves, les colonies espagnoles ne sont guère inquiétées
malgré la pression croissante des corsaires et des pirates. L'exploitation
du Mexique (Nouvelle Espagne), de la Colombie (Nouvelle Grenade), du
Pérou, des pays du Rio de la Plata, après les conquêtes de Cortés (1521),
Pizarre (1533) et Mendoza (il fonde Santa Maria del Buen Aire en 1536),
se fait vers l’intérieur des terres et non plus seulement sur les côtes,
comme en Afrique et en Asie.
La découverte des Amériques et l’ouverture d’un commerce direct vers
l’Inde et la Chine entraînent un brassage général des cultures et des
modes de vie qui changera la face du monde. Les échanges de produits
entre les continents bouleversent l’agriculture et l’industrie. En Amérique
les produits inconnus apportés par les Espagnols sont implantés avec un
tel succès qu’on les considère parfois maintenant comme des produits
d’origine locale! En sens inverse les produits américains sont introduits
dans l’ancien monde de l’Europe à l’Orient, de la Méditerranée à
l’Afrique noire. Une espèce de complémentarité globale modifie les
régimes alimentaires et introduit une diversification, un arbitrage
écologique planétaire, qui sera le prélude à une véritable révolution
agricole et démographique dans l’ensemble du monde.
Échanges entre le Vieux et le Nouveau Monde
Le mercantilisme en France
Les savants du XVIIe siècle ont créé la science moderne, fondée sur la
généralisation de la méthode expérimentale et l’application des
mathématiques à l’étude des phénomènes naturels. La grande affaire de
l’opinion est alors l’astronomie. C’est dans ce domaine que l’esprit
scientifique pourra s’appliquer avec les résultats les plus spectaculaires.
La conception générale de l’univers héritée des Anciens bascule et un
nouveau système, celui de Copernic, apparaît. Le géocentrisme du
système de Ptolémée fait place à l’héliocentrisme. On sait déjà que la
terre est ronde, et d’ailleurs Magellan en a donné la preuve
expérimentale, mais on ne réalise pas qu’elle tourne sur elle-même ni
autour du soleil. C’est le Polonais Copernic qui en aura l’intuition dès
1543 et c’est un Italien, Galilée, qui le démontrera dans son Dialogue sur
les deux principaux systèmes du monde en 1632. Le procès de Galilée, sa
rétractation et sa relégation ont lieu en 1633. Finalement Kepler dans son
Astronomia nova établira définitivement en 1669 la nouvelle conception
du monde.
L’Europe du XVIIe voit ainsi triompher l’esprit scientifique. Le règne
de la raison, de la maîtrise de l’homme sur la nature, de la compréhension
des phénomènes les plus mystérieux, remplace l’ère de la magie et des
superstitions, c’est le « désenchantement du monde » dont parle Max
Weber. Descartes établit en 1637 une méthode scientifique qui sera
adoptée par tous les savants. Galilée encore réalise que les principes de la
physique s’appliquent partout, notamment à toutes les machines; il s’agit
d’une révolution qui laisse le champ libre à l’application des sciences aux
problèmes techniques, dans le domaine de la production, car jusque-là on
considérait chaque machine comme unique et elles étaient étudiées
séparément. William Harvey découvre le mécanisme de circulation du
sang dans l’organisme; Blaise Pascal, philosophe, théologien,
mathématicien, fabrique une première machine à calculer et élabore le
calcul des probabilités; Isaac Newton découvre le calcul différentiel et
surtout la théorie de l’attraction universelle, qui permet d’unifier les
principes de la physique terrestre et de la physique céleste jusque-là
séparés; enfin le mathématicien Leibniz est à l’origine des fonctions et du
calcul intégral et infinitésimal.
Si les sciences exactes progressent, les sciences sociales ne sont pas en
reste comme on l’a vu dans le cas du droit et de la politique avec John
Locke. Le libéralisme apparaît aussi en économie dès le XVIIe siècle en
Angleterre et en France avec William Petty et Boisguillebert. Le premier
avec son Essai d’arithmétique politique de 1683 exprime son hostilité à
l’intervention de l’État dans la vie économique et soutient l’idée que des
lois naturelles président à la formation des prix et des salaires avec des
résultats plus favorables. Boisguillebert un peu plus tard dans son
ouvrage sur Le détail de la France (1695) défend les mêmes idées en
faveur de la liberté des prix, de la liberté du commerce et d’un système
de marché. Il décrit aussi le premier l’interdépendance des activités dans
une économie où les variations de prix se propagent d’un secteur à
l’autre, et annonce Keynes en décrivant l’importance de la demande de
consommation. Les faits accompagneront les idées, et la puissance du
marché au siècle qui s’ouvre, celui des Lumières, fera éclore en
Angleterre, le pays qui est déjà passé par une révolution politique au
XVIIe, une révolution agricole suivie d’une révolution industrielle.
1 Le bronze, alliage de cuivre et d’étain, à partir du VIIe millénaire (l’âge du bronze) et plus tard
le fer qui n’apparaîtra qu’au IIe millénaire avant le Christ (l’âge du fer).
2 Du latin Mediterraneus, de medius (milieu) et terra (terre): littéralement « au milieu des terres
», entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe.
3 Le sénat et le peuple de Rome : Senatus PopulusQue Romanus.
4 Rappelons qu’un mot étranger adopté par la langue française doit adopter les règles du pluriel,
ainsi doit-on dire un latifundium, des latifundiums (et non des latifundia), un concerto, des
concertos (et non des concerti), un scénario, des scénarios (et non des scenarii), un média, des
médias (et non un medium, des media), etc.
5 La fin du Moyen Âge peut également être située en 1492, date de l’arrivée de Christophe
Colomb aux Antilles.
6 Les mots esclave, slave en anglais, esclavo en espagnol, escravo en portugais viennent de
l’arabe saqlab désignant les Slaves. Le terme latin pour esclave était servus, à l’origine de
servitude, serf, servile, etc.
7 « Dieu a fait la terre et la mer ; il a réparti la première entre les hommes, mais il a donné la
seconde à tous. On n’a jamais entendu dire que quiconque pouvait être interdit d’y naviguer. Si
vous cherchez à faire cela, vous ôterez le pain de la bouche des gens. » (De la liberté des mers,
1604)
Chapitre 3
Un monde nouveau
Agriculture et développement
L'évolution de la population
Les transports
Les investissements dans les routes et les canaux ont été le fait au
XVIIIe siècle d’initiatives et de capitaux privés. Ils ont abouti à une
baisse générale des délais et des coûts de transport à travers la Grande-
Bretagne permettant la réduction des prix réels de la plupart des
marchandises et donc un surcroît de consommation et d’épargne. Les
deux types de transport ont des fonctions différentes : pour la voie d’eau,
l’élément essentiel est le coût, il s’agit de déplacer des matières
volumineuses comme le charbon ou les grains, et l’acheminement
continu fait que le délai de livraison n’est pas déterminant; au contraire,
pour la route, utilisée davantage par les passagers, le courrier et des biens
de luxe peu encombrants, c’est le temps qui est important, la rapidité du
transport plus que le prix. La force du chemin de fer au XIXe sera de
combiner ces deux aspects, rapidité et coût, le transport de marchandises
de tous types et le transport des personnes.
Au début du XVIIIe siècle l’Angleterre avait pour les transports
intérieurs un retard considérable sur le continent, sans doute à cause de
ses facilités naturelles de navigation maritime et fluviale. Les turnpike
trusts, dont le principe est de faire payer les routes par les usagers,
remédient en gros à la situation: le réseau des routes à péage passe de 3
400 milles en 1750 à 15 000 milles en 1770 et devient de plus en plus
dense à la fin du siècle. Par la suite, des ingénieurs et des pionniers
comme John MacAdam ou Thomas Telford créent des techniques
nouvelles de construction. Des relais d’auberges sont mis en place et les
liaisons se renforcent. Le voyage de Londres à Newcastle prenait six
jours en 1750 mais deux en 1790 ; Manchester est relié à la capitale en 36
heures en 1814 et, à l’aube du chemin de fer, en 1830, ce parcours est
abaissé à 18 heures, soit une moyenne de 15 km/h, la limite supérieure
qu’on peut atteindre sans moyen mécanique.
Les canaux se développent dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et
l’Angleterre dépassera dans ce domaine tous ses voisins. Le pays, sans
grand relief, étroit et insulaire, bien arrosé avec un réseau dense de
rivières, bénéficie d’un avantage naturel pour le transport fluvial et
maritime. Aucune partie des îles britanniques n’est à plus de 100 km de
la mer et aucune à plus de 25 km d’une voie navigable. Le transport du
fer et du charbon a été rendu possible par les canaux et la mer, et sans la
disponibilité de ces minerais, ni la révolution industrielle ni
l’urbanisation rapide n’auraient pu avoir lieu. Les mines autour de
Newcastle, et de l’autre côté celles du Lancashire ou du pays de Galles,
sont à proximité de ports qui peuvent alimenter les grandes villes au
moindre coût. Londres est ainsi approvisionnée par voie d’eau : les grains
viennent de l’intérieur par la Tamise et le charbon par l’estuaire.
Les transports ont permis un meilleur fonctionnement du marché et
son élargissement en faisant circuler les hommes, les biens et
l’information. Ils ont aussi été une source inépuisable d’innovations,
favorisant par là le processus même du développement industriel.
Comme les progrès agricoles, les progrès des communications
constituent une condition nécessaire, mais non suffisante, de la révolution
industrielle. L'exemple de la France qui disposait au XVIIIe siècle du
meilleur réseau routier en Europe et de très nombreuses infrastructures
fluviales et portuaires le montre bien a contrario.
Textiles
Sidérurgie
Explications traditionnelles
Facteurs géographiques
textiles nationaux (laine, lin) dont l’offre est rigide coton importé (offre élastique)
Facteurs institutionnels
La croissance économique
L'agriculture
L'industrie
Le commerce extérieur
Monnaie et finances
Le monde rural
La nuit du 4 août 1789 met fin aux privilèges et donc aux droits
féodaux, puis la Convention rendra en 1793 les paysans propriétaires de
plein droit, conformément à la Déclaration des droits de l’homme de
1789 qui avait affirmé le droit de propriété comme le deuxième droit3
fondamental de la personne, « inviolable et sacré » - même si la
répartition antérieure, héritée d’un système considéré comme inique,
n’est évidemment pas respectée. Cependant, les terres confisquées à
l’Église, aux victimes de la Terreur, aux nobles émigrés, au domaine
royal, constituent les « biens nationaux » et seront en partie revendues
pour faire face aux besoins financiers de l’État. Cela permettra une
redistribution des terres à des agriculteurs aisés, des bourgeois, puis des
paysans moyens, ce qui fait apparaître en France un régime de petite et
moyenne propriété qui persistera jusqu’au milieu du XXe siècle. À la
Restauration, les propriétés nobiliaires ont été divisées par deux par
rapport à 1789 et les terres de l’Église amputées des neuf-dixièmes. On
ne reviendra pas sur cette redistribution, même si la partie non vendue
des biens nationaux sera restituée aux anciens propriétaires.
Cette situation est à la fois un facteur de développement agraire
puisqu’elle rend le paysan responsable, et un obstacle du fait du
morcellement trop poussé des terres. Les surfaces sont réduites et les
ressources insuffisantes pour être exploitées de façon rationnelle et faire
l’objet de mécanisation. La productivité augmentera peu, le monde rural
ne libérera pas assez de main-d’œuvre au XIXe siècle pour faciliter le
développement industriel. De plus, ce morcellement excessif expliquerait
le freinage démographique précoce du pays, car le contrôle des
naissances s’exerce en premier lieu dans les campagnes, afin de ne pas
aggraver un morcellement déjà trop poussé.
L'industrie et le commerce
La dépression de l’après-guerre
Capacité 20 kg 5 à 10 t
Le libre-échange
Malgré les classiques comme Ricardo, pour qui « l’échange lie entre
elles toutes les nations du monde civilisé par les nœuds communs de
l’intérêt, par des relations amicales, et en fait une seule et grande société
», le protectionnisme reste la norme dans les premières décennies du
siècle. Les Corn Laws sont par exemple renforcées en 1815 et les droits
de douane sur les produits manufacturés sont en moyenne supérieurs à 30
%. L'impôt sur le revenu, établi pendant les guerres, a été supprimé en
1816 et les recettes douanières sont donc indispensables à l’État.
La campagne pour le libre-échange et l’abolition des Corn Laws prend
l’aspect d’une croisade menée par les libéraux et les industriels de
Manchester contre le Parlement qui défend les intérêts des propriétaires
terriens et les droits sur le blé. Mais les libéraux convainquent peu à peu
l’opinion publique des bienfaits de l’échange. L'idée se répand que les
niveaux de vie et les emplois industriels dépendent du commerce
international, que le libre-échange conduira à un pouvoir d’achat plus
élevé et à l’accroissement des exportations. Les droits sur le blé
deviennent impopulaires et, en plus des libéraux, les réformateurs et les
mouvements ouvriers y sont opposés. L'élimination des Corn Laws ne
favoriserait pas seulement les industriels, elle permettrait aussi d’abaisser
le coût de la vie pour la masse de la population. Les intérêts des
propriétaires terriens seront finalement sacrifiés à ceux des industriels et
des consommateurs, et les années 1840 voient l’avènement d’un libre-
échange unilatéral. Il s’agit là du résultat logique de l'industrialisation,
qui aboutit au déclin relatif de l’agriculture et des intérêts ruraux dans
l’économie.
En 1842, le ministre Peel réintroduit l’impôt sur le revenu, ce qui
permet d’abaisser les tarifs et particulièrement les droits sur le blé.
L'abrogation des Corn Laws a lieu en 1846, une mesure attendue et
populaire qui renforce le régime, toujours largement dominé par
l’aristocratie. La maladie de la pomme de terre à l’origine de la grande
famine en Irlande (1846-1848) et d’une disette en Écosse facilite le vote
car il faut importer massivement du blé. En 1849, les actes de navigation
sont abolis et en 1854 les navires étrangers sont autorisés à faire du
cabotage sur les côtes britanniques. En 1860, Gladstone et Cobden
parachèvent le démantèlement du protectionnisme en signant un traité de
libre-échange avec la France, le fameux traité Cobden-Chevalier, favorisé
par Napoléon III : les droits sur 400 articles sont supprimés. Dans les
années 1880, ceux qui restent ne représentent plus que 6 % des
importations, contre 35 % en 1841. Ils portent sur des produits tropicaux
et ont donc des raisons fiscales et non de protection. Les recettes
douanières passent de 46 % des recettes publiques en 1840 à 25 % en
1880.
La liberté accrue des échanges permet de réduire les coûts salariaux
pour les firmes, grâce au pain bon marché, et donc d’accroître leurs
profits, les possibilités d’investissement et la croissance. Mais elle
autorise aussi l’entrée de matières premières à bas prix pour l’ensemble
de l’économie et par là la conquête de nouveaux marchés à l’exportation
pour les produits manufacturés britanniques. Ces aspects relèvent des
avantages directs du libre-échange, ceux qui résultent de la spécialisation
internationale accrue (meilleure allocation des ressources selon le
principe des avantages comparatifs), mais il y a aussi des avantages
indirects, tout aussi importants :
• économies d’échelle grâce à l’élargissement du marché;
• baisse des prix, amélioration de la qualité, recherche de
l’innovation, par la concurrence;
• diffusion des techniques et des connaissances entre les nations;
• circulation accrue des capitaux qui suivent les échanges de biens
et services ;
• coopération et interdépendance entre les peuples, gages d’une
paix durable : le commerce ne signifie plus la guerre comme les
mercantilistes en étaient persuadés, mais la paix selon l’idéal
libre-échangiste des manchestériens.
L'évolution de l’économie
Le retard industriel
Tableau 9
. Répartition comparée de la population active en %
Malgré ces difficultés, l’Angleterre garde des points forts. C'est le cas
des chantiers navals qui produisent les trois cinquièmes du tonnage
mondial (même si les techniques utilisées sont moins performantes que
dans les pays neufs), de l’élevage et de l’agriculture, de la mécanique
lourde, du pétrole, du caoutchouc, de l’armement, des industries
agroalimentaires et surtout des activités de service : la traditionnelle
finance et assurance, mais aussi la distribution moderne. Loin d’un
déclin, il s’agirait d’une orientation précoce vers le tertiaire, annonçant
l’évolution de tous les pays industriels (tableau 9).
Le déclin économique anglais n’est donc que relatif. La Grande-
Bretagne est toujours la première puissance commerciale et financière
dans le monde. Son recul résulte surtout de l’extension de
l'industrialisation en Europe continentale tout au long du XIXe siècle, qui
en termes absolus a bénéficié à l’économie et aux niveaux de vie
britanniques, par les effets de commerce et de diffusion des capitaux et
des techniques.
La Belgique
L'Allemagne en formation
L'industrialisation
La modernisation de la France
1870-1885 1,3 %
e
III République
1886-1913 1,8 %
Les États-Unis
Aspects généraux
Industrialisation, croissance
L'ère des titans, des magnats ou tycoons, le « Gilded Age », est celui
des fortunes rapides et des firmes géantes. La Standard Oil de John D.
Rockefeller, fondée en 1870 par la fusion de 40 sociétés pétrolières,
contrôle 90 % de l’industrie à la fin du siècle, à partir d’un secteur très
concurrentiel et anarchique. La rationalisation des activités permet de
réduire le coût du raffinage des deux tiers. La US Steel Corporation,
formée en 1901 par Carnegie et Morgan, est le résultat d’une
concentration horizontale (rachat de firmes concurrentes) et verticale
(contrôle de toute la filière sidérurgique : mines, cokeries, fonderies,
aciéries, navires, chemins de fer), et réalise près des deux tiers de la
production américaine d’acier avec 168 000 employés (plus du double
des effectifs du géant européen Krupp). Andrew Carnegie, né à Dublin,
ouvrier à ses débuts en Amérique, est devenu en quelques décennies,
grâce au procédé Bessemer, l’une des plus grandes fortunes de l’époque.
Il se fait naturellement le chantre du capitalisme : « L'individualisme, la
propriété privée, la loi de l’accumulation des richesses et la loi de la
concurrence sont les résultats les plus élevés de l’expérience humaine, le
terreau où la société a jusqu’à maintenant produit ses meilleurs fruits…».
Mais il redistribue largement sous forme de fondations, bibliothèques,
universités, musées, dons, mécénat, etc., en critiquant ceux qui gardent
leur fortune et en proclamant que « celui qui meurt riche meurt
déshonoré ». De la même façon, Rockefeller crée l’université de
Chicago, le MoMA (Museum of Modern Arts) et la Rockefeller
University, actuellement le plus grand centre de recherche médicale de la
planète. Johns Hopkins, Ezra Cornell, Cornelius Vanderbilt et d’autres
millionnaires de l’époque agiront dans le même sens, laissant leurs noms
à des établissements, notamment des universités, devenus prestigieux
dans le monde entier.
Les grands capitaines d’industrie de cette époque rappellent ceux de la
révolution industrielle anglaise. Mais ce ne sont plus des artisans ou des
inventeurs géniaux, car l’invention est maintenant le fait des spécialistes
et de scientifiques dans leurs laboratoires, ce sont plutôt des hommes
d’affaires, capables de réaliser des alliances, de définir une stratégie
industrielle et commerciale porteuse d’avenir. Harriman et Gould dans
les chemins de fer, Frick dans le charbon, Armour et Swift dans le
conditionnement de la viande, McCormick dans les machines agricoles
sont, comme Pullman, Remington, Rockefeller ou Carnegie, d’origine
modeste, des self-made men. On les appelle ainsi robber barons (barons
pillards) du fait de leurs méthodes expéditives et peu scrupuleuses.
Le Japon
La Russie tsariste
Le cadre institutionnel
L'évolution économique
Le Développement périphérique
L'Amérique latine
L'Empire ottoman
La Turquie
La Turquie est à la traîne de l'Europe depuis le XVIIe siècle. Lorsque le
sultan Selim III (1789-1807) entreprend par exemple de mettre son pays
à l’école de l’Occident, il est assassiné par les janissaires soutenus par les
religieux qui l’accusent de trahir l’Islam. Ses successeurs reprendront les
tanzimat (réformes) : égalité des citoyens devant la loi, école obligatoire,
étude des langues étrangères, costume européen, réforme de l’armée et de
la justice, création d'industries, d'infrastructures, etc. Abdülhamid II
règne en despote à la fin du siècle et gèle les réformes. L'activité
économique est entravée par le refus du progrès technique, la corruption,
le désordre, la taxation abusive, les interdictions multiples et une
administration pléthorique. À la fin du siècle, l’homme malade de
l’Europe, « résolu à prendre du fer comme tonique », entreprend un vaste
programme de construction ferroviaire. La ligne Istanbul-Bagdad voit sa
construction confiée aux Allemands (le Bagdadbahn), tandis qu’un
accord du sultan permet la prospection pétrolière en Mésopotamie. Le
pays s’endette massivement, mais en 1875 il doit renoncer à honorer ses
échéances. Il tombe sous la dépendance de l’Occident à travers une
Commission internationale d’administration de la dette.
Comme la Chine en Asie, la Turquie est peu à peu dépecée par les
grandes puissances des morceaux éloignés de son vaste domaine. La
France envahit l’Algérie en 1830 et la Tunisie en 1881 ; Aden est occupé
par les Anglais en 1839, Chypre en 1878 et l'Égypte en 1882 ; l'Italie
s'installe en Libye en 1911. Les diverses nationalités et religions de
l’empire relèvent la tête les unes après les autres. La Grèce, soutenue par
l’Europe, obtient son indépendance dès 1830, la Serbie également en
1830. En Arabie, les Européens favorisent la formation de micro-États
qui se détachent de l’empire: Bahreïn (1820), Oman (1820), le Koweït
(1899), le Qatar (1916)... La région des Balkans éclate à la fin du siècle
en petites entités indépendantes ou absorbées par l’Autriche et la Russie
(Albanie, Bulgarie, Bosnie, Croatie, Monténégro, Transylvanie,
Moldavie, Valachie, etc.), processus appelé depuis « balkanisation ». Les
Arméniens n’auront pas cette possibilité et les premiers massacres de ces
chrétiens en terre d’Islam datent de 1893 et 1895, prélude aux
événements de 1915-1916.
Un cas particulier est celui de la Palestine où un flux d’immigration de
Juifs venus d’Europe commence dès les années 1880. Il s’agit des débuts
du mouvement sioniste qui œuvre pour le retour du peuple juif à la terre
ancestrale. L'affaire Dreyfus (1894 à 1906) montre la fragilité de
l’intégration des Juifs et les menaces sur leurs droits, même dans un pays
démocratique. Theodor Herzl, le fondateur du mouvement, assiste à la
montée de l’antisémitisme en France lors du procès de Zola (1898),
tandis que la Russie et la Pologne sont en proie à des pogroms. La
population juive en Palestine atteint 85 000 habitants en 1914 (12 % du
total) et s’organise déjà dans les premières fermes communautaires ou
kibboutz.
La Turquie moderne n’apparaîtra qu’après la Première Guerre
mondiale avec l’arrivée de Mustafa Kemal au pouvoir (1923). La Turquie
s’est engagée aux côtés de l’Allemagne et la défaite permet aux alliés
d’envisager la disparition totale de l’Empire ottoman. Kemal Atatürk
sauvera l’essentiel en maintenant la Turquie dans des frontières qui sont
encore les siennes, puis en la réformant profondément (laïcité,
modernisation, instruction obligatoire, industrialisation).
L'Égypte
L'impérialisme
Caractères généraux
Causes
L'avance technique
La pression démographique
L'Afrique et l’Océanie sont peu peuplées, à un stade de développement
moins avancé, et ne peuvent guère offrir de résistance à la poussée de
l’Europe alors en pleine explosion démographique. L'Afrique entière
compterait moins d’une centaine de millions d’habitants à la fin du XIXe
siècle, peut-être de vingt à trente pour toute sa partie occidentale.
Madagascar en a environ deux millions au moment de la conquête, pour
un territoire plus vaste que la France. Dans la zone du Sahel jusqu’à la
Corne de l’Afrique, une région il est vrai aride, le peuplement est très
clairsemé. Le Sénégal ne compte qu’un million d’habitants vers 1900 et
le Soudan tout entier, 3 millions et demi, soit une densité de 2 à 3
habitants au km2. Les faibles ressources, le retard économique et aussi la
saignée de la traite musulmane et atlantique depuis des siècles,
expliquent cette situation. En Orient, le cas particulier du Japon, qui
devient impérialiste à la fin du siècle, illustre bien les causes
démographiques: ses habitants sont à l’étroit sur un archipel montagneux
et cherchent à s’établir en Corée et en Manchourie pour y trouver des
terres et des matières premières.
Le nationalisme
Le partage du monde
Affrontements impérialistes
Formes
Électricité
Industries chimiques
La concentration
Les hommes
Le continent représente un quart de la population mondiale vers 1900
(contre 9 % un siècle après, cf. tableau 15). Mais la population
européenne ou d’origine européenne compte pour environ un tiers des
habitants de la planète du fait des migrations. Le XIXe siècle peut ainsi
être caractérisé par une diaspora planétaire des Européens, « une grande
réinstallation » (Roberts) qui a démarré vers les Amériques au XVIe
siècle, mais qui s’accélère après 1830 dans le monde entier.
À l’origine de ces migrations, on trouve les facteurs bien connus de la
pression démographique, de l’oppression politique et raciale, des
difficultés économiques, de l’écart des salaires avec des pays où la main-
d’œuvre est rare, des progrès des transports et des possibilités de
colonisation de pays à faible densité. Il y a aussi l’idée bien établie de
chances d’une vie nouvelle remplie d’occasions de s’élever et la
croyance en des sociétés plus dynamiques, sans barrières sociales.
Environ 60 millions d’Européens partent outre-mer jusqu’à la Belle
Époque lorsque cet exode culmine (1,4 million de départs chaque année
de 1909 à 1913). Les îles Britanniques fournissent les gros bataillons,
elles représentent plus de 40 % des migrants européens, soit 8,5 millions
de 1880 à 1910. Malgré le départ de 20 millions de personnes cependant,
la population du Royaume-Uni s’élève de 16 à 42 millions entre 1800 et
1900. Les autres grands pays d’émigration sont l’Italie (6 millions),
l’Allemagne (5), la péninsule Ibérique (3,5), la Russie (2), la Pologne,
l’Autriche-Hongrie et les pays scandinaves (1,5). Les gouvernements
européens facilitent les démarches car ceux qui partent sont les plus
pauvres et donc les plus mécontents, leur départ ne peut que réduire les
tensions sociales, soutenir les salaires réels et renforcer la cohésion
nationale.
La France au contraire manque de main-d’œuvre et fait venir des
travailleurs à la fin du siècle : les étrangers constituent près de 10 % de la
population ouvrière. Les immigrants sont italiens, belges, espagnols,
polonais, Juifs d’Europe centrale. Ils suscitent, surtout les Italiens dans le
Midi, la même hostilité et les mêmes réactions que les immigrés
d’Afrique du Nord un siècle après, puis ils s’assimilent progressivement
au début du siècle.
L'Asie est également un grand foyer d’émigration. L'Inde en premier
lieu avec trente millions de départs de travailleurs engagés entre 1846 et
1932, soit plus que les deux premiers pays d’émigration en Europe,
l’Angleterre (18) et l’Italie (10). La diaspora indienne, organisée par les
Britanniques, se retrouve aux Antilles, en Afrique orientale, à
Madagascar, à Maurice, à la Réunion, etc. Elle remédie à la pénurie de
main-d’œuvre causée par l’abolition de la traite au XIXe siècle.
Tableau 15
. Population mondiale en millions et pourcentages
• Caractères
Les mouvements de capitaux atteignent une ampleur sans précédent à
la fin du XIXe siècle. Ils servent à financer des infrastructures à travers le
monde (chemins de fer, ports, télégraphe, tramways, téléphone, eau,
énergie, etc.), mais aussi des activités extractives, des industries de
transformation, des banques, des assurances et des exploitations
agricoles. Les voies ferrées représentent les travaux les plus gigantesques
(tableau 18).
Tableau 18
. Réseau ferroviaire en milliers de km
• Les faits
Un système monétaire international est la combinaison d’un étalon
monétaire et d’un système de change. L'étalon monétaire (l’or, l’argent,
la livre sterling) permet d’évaluer et de convertir les différentes monnaies
nationales et aussi de régler les soldes des balances commerciales. Le
système de change est l’ensemble des mécanismes qui président à la
détermination des taux de change. L'étalon-or de la fin du XIXe siècle est
un SMI basé sur l’or, comme son nom l’indique, et sur la fixité des
changes entre monnaies.
En 1816, la Grande-Bretagne adopte officiellement l’étalon-or et la
monnaie nationale, la livre sterling, qui était définie en argent, se trouve
définie par un poids fixe du métal jaune, la parité or. Le stock d’or détenu
par la Bank of England varie en fonction des mouvements du commerce
extérieur, et la livre est librement convertible à un cours fixe en métal
précieux. Les partisans de la currency school l’emportent sur ceux de la
banking school en 1844, ce qui signifie que l’émission de la monnaie
fiduciaire doit être liée de façon stricte au stock d’or, et non laissée à
l’initiative de la Banque centrale. En France, le second principe, plus
souple, est adopté, il donne à la Banque de France, titulaire du monopole
de l’émission des billets en 1848, la possibilité de faire varier la
circulation monétaire en fonction des besoins de l’économie. La
contrainte plus forte en Grande-Bretagne explique le développement
rapide dans ce pays de la monnaie scripturale. En 1914, les deux tiers des
paiements se font par chèque en Angleterre, contre 45 % en France. La
répartition des formes de monnaies à la fin du XIXe siècle dans le monde
apparaît dans le tableau 19.
Tableau 19
. Formes de monnaies dans le monde
La bourgeoisie
Le peuple
À Paris, tout au long du siècle, les trois quarts des gens vivaient dans
la misère, logeant dans des conditions épouvantables: « un effroyable
entassement populaire dans les quartiers du centre et de l’est…où la
densité et la saleté de l’habitat avaient converti la ville en un amas de
pierrailles sans air et sans lumière » (Bergeron). Londres n’est pas mieux
loti : le quart de la population, plus d’un million des quatre que compte la
ville en 1890, est en dessous du minimum vital. À New York, c’est près
d’un tiers des citadins qui sont sous le seuil de pauvreté en 1889.
Vers 1840, les ouvriers travaillent en moyenne 12 à 14 heures par jour,
et même 15 heures dans les industries textiles, pour des salaires de
subsistance. Dans les activités domestiques, la durée du travail tourne
autour de 16 heures par jour. Elle n’est nulle part limitée, sauf pour les
enfants pour qui les réglementations datent de la première moitié du
siècle. Il est courant d’en voir à partir de l’âge de quatre à cinq ans, ils
composent environ la moitié de la main-d’œuvre de l’industrie textile en
Angleterre, plus de 20 % en Alsace. Dociles, moins payés, plus agiles et
plus aptes à certains travaux que les adultes, ils constituent une force de
travail exploitée sans merci. Levés dès l’aube, se rendant à pied à leur
travail, debout la journée entière, ils sont soumis, comme le dit Villermé,
non plus à un travail mais à une véritable torture.
Les conditions de vie misérables de la classe ouvrière sont bien
connues: le dénuement, la faim, le rachitisme des enfants, l’alcoolisme, la
violence, l’insécurité, l’analphabétisme, la promiscuité, l’alcoolisme, la
prostitution. L'insalubrité des logements dans les ghettos des quartiers
populaires, les eaux souillées, la sous-nutrition, favorisent les maladies
comme le typhus ou le choléra. Le chômage est général dans les pays
européens, un chômage structurel, aggravé dans les périodes de
dépression. Cette armée de réserve du capital n’est naturellement en rien
indemnisée. La notion d’assurance ou d’indemnité de chômage est
longtemps inconcevable. Quand les premières formes d’assurance sociale
apparaissent à la fin du siècle, elles ne concernent que l’accident, la
maladie, l’invalidité, la retraite. La multiplication des petits métiers et
l’abondance de la main-d’œuvre domestique prête à s’embaucher pour un
faible salaire, sont le signe évident de ce sous-emploi massif. Le nombre
des domestiques diminuera au XXe siècle, et cette main-d’œuvre
deviendra de plus en plus chère et inaccessible aux classes moyennes.
Une évolution qui est le signe d’une réduction considérable du taux de
chômage à long terme, du XIXe au XXe, réduction qui accompagne
paradoxalement la mécanisation, grâce à la baisse du temps de travail et à
la croissance économique. On ne dispose pas de chiffres exacts du
chômage au XIXe siècle, car il n’y a pas à cette époque de mesure
officielle des indicateurs économiques, mais il pouvait être, selon les
périodes d’expansion ou de dépression, de l’ordre de 20 à 30 % de la
population active.
Les accidents du travail sont constants: on arrive, pour les seules
victimes dans les mines, au chiffre effrayant de 1400 morts par an dans
les années 1840 en Angleterre. La même succession de désastres se
répète sur le continent: la catastrophe de Courrières fait 1200 morts en
1906. Les accidents industriels sont la routine en l’absence de dispositifs
de protection. Les blessés et handicapés se retrouvent à la rue sans autre
ressource que la mendicité. Engels parle « d’une armée qui revient de
campagne », tant il y a d’estropiés et de mutilés dans les faubourgs de
Manchester. Tous ces accidents n’émeuvent guère la société qui trouve
des médecins pour en minimiser la portée: « Quel tort professionnel peut
faire la perte d’un pied à un ouvrier qui travaille assis ? ». Les maladies
du travail (saturnisme, silicose, scoliose, asthme, tuberculose, troubles de
la vue) sont également la norme.
La répression contre les revendications est féroce. En 1886, à la suite
d’un attentat attribué aux anarchistes lors d’une grande grève à Chicago,
sept leaders anarchistes sont condamnés à la peine capitale et quatre
d’entre eux pendus. En France, la litanie des grands massacres lors des
soulèvements populaires (1834 : 400 morts, 1848 : 5 000 morts, 1871 :
30 000 morts) est accompagnée des multiples répressions locales lors des
grèves et manifestations. Le 1er mai 1891, pendant une grève à
Fourmies, l’armée tire sur les manifestants et fait neuf morts; depuis, la
célébration de cette date dans le monde ouvrier prend en France une
résonance particulière. Mais la répression ne se limite pas à ces
affrontements violents et épisodiques, elle est permanente à l’usine où
règne une discipline de fer, une surveillance constante des ouvriers au
travail, une pluie d’amende ou des renvois aux moindres incartades.
Les schémas de pensée de cette époque prémarxiste sont très différents
d’aujourd’hui : ils tournent surtout sur les oppositions
monarchie/république, tolérance/répression, droits de
l’homme/oppression, et moins sur les rapports de classe, les questions
sociales, le syndicalisme ou le socialisme; il n’y a pas de sentiment de
culpabilité de la part des patrons et des nantis assurés de leur bon droit et
de leur légitimité, et la division de la société entre riches et pauvres
semble un phénomène normal, éternel.
L'essor du socialisme
• Les syndicats
La Grande-Bretagne, premier pays industrialisé, développe avant les
autres des organisations de travailleurs sur la base des métiers. Les
premiers syndicats regroupent des ouvriers qualifiés qui revendiquent des
hausses de salaires par le moyen essentiellement de la négociation. Ils
organisent la formation de leurs membres, assurent une protection contre
les maladies, les accidents, la vieillesse et le chômage. Cette première
vague d’organisation, limitée à l’élite ouvrière, reflue assez vite devant la
fermeté patronale et l’hostilité des lois. Le mouvement ne renaîtra que
lorsque les Trade Unions seront officiellement reconnues en 1871. On
compte environ un million de syndiqués à cette époque en Grande-
Bretagne et un syndicalisme de masse avec des droits bien établis
s’impose à la fin du siècle. Les Unions s’organisent en un organe
fédérateur, le Trade-Union Congress. Le Labour Party est créé en 1893
par les syndicats dans le but de faire progresser au Parlement les
revendications sociales.
En France, les premières formes de syndicats sont les Sociétés de
secours mutuel, dont la fonction est d’aider les membres en cas
d’accident ou de maladie, grâce aux cotisations de l’ensemble. Les
Sociétés de résistance, dans les années 1830, fonctionnent suivant le
même principe et appuient les grèves en versant de l’argent aux ouvriers.
À la fin du siècle, sous l’action de Pelloutier, apparaissent les Bourses du
Travail qui sont des syndicats interprofessionnels voués à la solidarité
ouvrière, aux revendications sociales et à l’enseignement. En 1902, la
Confédération générale du travail devient le principal syndicat national,
elle se caractérise alors par des tendances anarcho-syndicalistes hostiles
aux partis politiques et au jeu parlementaire. Les conflits se multiplient
dans les années 1900 et l’idée s’impose que la grève générale est le
principal instrument de la révolution sociale.
Les syndicats se développent en Allemagne après 1890 à la chute de
Bismarck et la fin de sa politique antisocialiste de 1878. En 1914, le pays
compte 4 millions de syndiqués, le même nombre qu’en Angleterre,
contre un million en France et en Italie.
Internationales
La Ire Association Internationale des Travailleurs, dirigée par Marx,
dure de 1864 à 1876; l’arrivée des anarchistes de Bakounine en 1867
provoque des heurts qui se terminent par leur exclusion en 1872. La
même année, avec la réaction qui suit la Commune, elle est interdite en
France.
La IIe Internationale ou Internationale socialiste, fondée à Paris en
1889, se réunit tous les trois ans en congrès et regroupe les partis
socialistes de l’époque. Elle représente environ 10 millions de syndiqués
à travers l’Europe, mais sera incapable d’arrêter la guerre. Lénine et les
bolcheviks rompront définitivement avec elle en 1914. En 1923,
reconstituée sous le nom d’Internationale ouvrière et socialiste, elle
évolue vers le réformisme après avoir interrompu ses activités entre 1939
et 1951. Le parti socialiste français s’intitule Section française de
l’Internationale socialiste (SFIO) jusqu’au congrès de Tours en 1969.
La IIIe Internationale est le mouvement communiste lancé par Lénine
en 1919, le Komintern, (KOMmounnistitcheski INTERNatsional), une
organisation centralisée de type militaire qui devient un instrument de la
politique soviétique. Elle a été dissoute par Staline en 1943 pour
satisfaire les alliés anglo-saxons dont l'URSS avait besoin pour lutter
contre les Allemands.
La IVe Internationale est l’internationale trotskiste fondée par Trotski
lui-même à Mexico en 1937. ■
Ferdinand Lassalle crée en 1863 le premier parti ouvrier dans le
monde, l’Association des travailleurs allemands, transformé en 1875 au
congrès de Gotha en SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) à
la suite de l’union avec les partisans de Marx menés par W. Liebknecht.
Lassalle a milité sans relâche pour un parti ouvrier puissant qui, grâce au
suffrage universel, pourrait arriver au pouvoir. Le Parti social-démocrate
comptera plus d’un million de membres en 1911 et représentera un tiers
de l’électorat en 1914. En 1877, il a 12 sièges au Reichstag, 35 en 1890
et 110 en 1912, c’est alors le plus grand parti socialiste en Europe et le
premier parti en Allemagne. En France, le Parti socialiste est fondé en
1905. Il compte 76 000 membres en 1914 et représente près d’un million
et demi d’électeurs et 103 députés à l’Assemblée. En Angleterre, le Parti
travailliste passe un accord électoral avec les libéraux et accède au
parlement en force en 1906.
Les progrès sont remarquables partout en Europe, car la classe
ouvrière tend à s’accroître dans la population active, et la prolongation
des tendances laisse croire à une évolution inéluctable vers la majorité
absolue des voix pour les partis socialistes. Le débat entre le marxisme et
le réformisme commence lorsque Bernstein en 1899 annonce ses idées
révisionnistes. Elles seront finalement adoptées par le SPD vers 1910 qui
abandonne les dogmes marxistes. En France le même débat oppose le
marxiste Jules Guesde aux thèses et aux pratiques réformistes
d’Alexandre Millerand et de Jean Jaurès. En Russie, l’interruption des
réformes provoque la montée des mouvements révolutionnaires, les
premières grèves et l’assassinat du tsar en 1881. Lénine et les
majoritaires (bolcheviks) du parti socialiste fondé en 1898 sont opposés à
toute collaboration avec la bourgeoisie et partisans d’une avant-garde de
révolutionnaires professionnels capable de forcer le destin.
La France
L'Allemagne
L'Europe détruite
La croissance
Lénine
Trotski
La NEP (1921-1929)
Staline
L'Allemagne nazie
Le cas de l’Autriche
Bien d’autres pays ont des régimes fascistes dans l’Europe de l’entre-
deux-guerres : la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Grèce,
l’Espagne, le Portugal et l'Autriche sont dans ce cas. L'Autriche actuelle
est née du traité de Versailles. Faire d’un immense empire une petite
nation d’Europe centrale, voilà un des résultats de la Grande Guerre. La
plupart des Autrichiens à l’époque, de la gauche socialiste à la droite
nationaliste, souhaitaient un rattachement à l'Allemagne : les
pangermanistes pour des raisons de puissance, les sociaux-démocrates
parce que la révolution prolétarienne semblait inéluctable chez le grand
voisin du nord, selon les prévisions de Marx et Engels. Aucun compte ne
sera tenu de cette volonté par les alliés, qui déposent ainsi les germes
d’une frustration que les nazis sauront exploiter jusqu’à l’Anschluss du
11 mars 1938 et le référendum du 10 avril où les Autrichiens se
prononcent pour le rattachement à 99,73 %. L'Autriche devient l'Ostmark
(la Marche de l'Est), une province du troisième empire allemand (IIIe
Reich).
Pendant la crise, et la résurgence de l’autoritarisme partout en Europe,
l’Autriche suspend dès 1932 le régime parlementaire, le chancelier
Engelbert Dollfuss fait arrêter les chefs socialistes, et le pays se dirige
vers une forme de fascisme inspirée de l’Italie, « l’austrofascisme ». En
février 1934, le parti socialiste lance une insurrection armée et une grève
générale: l’armée régulière aidée par les milices d’extrême droite
intervient dans une répression qui fera 1500 morts; le leader socialiste,
Koloman Wallisch, est pendu le 19 février. L'Église catholique salue cette
évolution et encourage la naissance d’un « État corporatiste chrétien ».
Les nazis autrichiens ne s’en contenteront pas, ils feront assassiner
Dollfuss en 1934 et son successeur, Hermann Schussnig, ne pourra
empêcher l’annexion par l’Allemagne triomphante. L'épiscopat se ralliera
en souhaitant « plein succès au mouvement national-socialiste » pour «
éloigner le danger du bolchevisme destructeur et athée ». En 1945, bien
que les Autrichiens aient massivement adhéré au régime nazi, ils seront
considérés par les alliés comme les premières victimes d’Hitler et un
consensus s’établira dans le pays pour accepter cette vision arrangeante
des choses, empêchant ainsi un « travail de mémoire » aussi accompli
qu’en Allemagne. En 1955, l’Autriche obtiendra le départ des puissances
occupantes en même temps qu’un statut de neutralité, et sera gouvernée
par les sociaux-démocrates jusqu’en 1983. Entre 1986 et 1992, un ancien
nazi, Kurt Waldheim, secrétaire général de l'ONU (!) de 1971 à 1981,
sera élu contre un socialiste président de la République autrichienne, ce
qui vaudra au pays une réprobation internationale.
Roosevelt
La propagation
Une loi de 1928 avait stabilisé le franc avec une convertibilité en or,
c’est le franc Poincaré, qui sous-évalue la monnaie nationale et permet le
développement des exportations, alors même que la livre est surévaluée
par le rétablissement de la parité d’avant-guerre en 1925. En 1932, la
Banque de France détient plus du quart des réserves officielles d’or du
monde, suite à la réussite de la politique du franc fort. Formé en 1933
après l’échec de la conférence de Londres, le Bloc-or réunit les mêmes
pays que l’Union monétaire latine de la fin du XIXe siècle : France,
Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Italie et Suisse. Il s’agit de maintenir
les parités-or des monnaies concernées, ce qui implique des politiques de
déflation pour éviter que les pays comme la Grande-Bretagne qui ont
dévalué prennent les marchés. Laval mène une politique de déflation
pour maintenir la parité du franc et l’équilibre extérieur (les prix baissent
dans le monde, il faut baisser encore plus les prix et les salaires en France
pour que les exportations restent compétitives). La déflation Laval est
évidemment très impopulaire et facilite l’arrivée de la gauche au pouvoir
en 1936. La fin du Bloc-or sera entérinée par la dévaluation du franc en
septembre 1936. Le Front populaire, les 40 heures et les congés payés
représentent une grande avancée sociale, mais un échec économique et
politique.
La Grande-Bretagne connaît un marasme prolongé dans les années
1920, lié à la surévaluation de la livre, mais se tire mieux d’affaire
pendant les années de crise grâce à la dévaluation de 1931, alors qu’en
France la situation est inverse, croissance et crise plus tardive (1932)
suivie d’une stagnation durable jusqu’à la guerre, malgré la relance et la
dévaluation de 1936. La zone sterling s’étend à l’empire britannique, du
Canada à l’Australie, mais englobe également les pays scandinaves, ceux
du Moyen-Orient liés à la Grande-Bretagne comme l’Égypte, la Perse,
l’Irak, et des pays d’Amérique latine comme l’Argentine.
En Allemagne, Brüning met en place une politique sévère de déflation
pour tenter de retrouver un équilibre extérieur. Les importations sont
limitées par un système de licence et un contrôle des changes. Il s’ensuit
une chute de l’activité (le Revenu national baisse de 40 % entre 1928 et
1932) et une hausse du chômage qui passe de 355 000 personnes pendant
l’été 1928 à 2 millions en 1929, et finalement 6 millions au début de
1933 soit un tiers des salariés. Le succès des nazis aux élections de 1929
inquiète et accélère les sorties de capitaux, qui à leur tour accentuent la
dépression et le chômage dans un cercle vicieux qui renforce toujours
Hitler. Le souvenir de l’inflation de 1923 explique en partie la mise en
place de la politique d’austérité, malgré la crise et la baisse générale des
prix. Mais les autres pays européens, sauf la Grande-Bretagne,
s’engagent également dans des politiques déflationnistes. Ces politiques
répondent à une logique claire: il s’agit de favoriser les exportations et
freiner la consommation et les importations. Mais, pratiquée par tous,
elles ont des effets catastrophiques de contraction générale de l’activité
économique et des échanges.
La Suède met en place son modèle social-démocrate à cette époque.
En 1932, les socialistes alliés au puissant syndicat LO remportent les
élections dans un pays en crise. Le principe du respect total de
l’entreprise privée et de l’économie de marché est contrebalancé par une
politique de redistribution fiscale massive, de services sociaux, une
législation sociale avancée et enfin des procédures souples de
concertation patronat/syndicats. Le modèle suédois est né, basé sur
l’égalité sociale et des services publics gratuits, sur une politique
économique keynésienne de relance par la demande, le déficit budgétaire
et les dépenses publiques. Le capitalisme industriel suédois date de la fin
du siècle précédent, il se développe avec la deuxième révolution
industrielle et des firmes dynamiques comme Volvo, Ericsson, SKF,
Saab, etc. Depuis ses bases nationales, un marché intérieur limité mais
caractérisé par des niveaux de vie élevés, il se lance dans la conquête des
marchés mondiaux. Après la crise de 1930-1933, la croissance reprend
durant la fin des années 1930 et surtout pendant la guerre car le pays
profite de sa neutralité pour vendre des deux côtés, le chômage est
éliminé, les niveaux de vie deviennent les plus élevés du continent, les
poches de misère rurale, à l’origine de la grande émigration d’avant
1914, et l’arriération de campagnes reculées dans un pays vaste et peu
peuplé, tout cela disparaît sous l’effet de l’expansion générale.
Systèmes économiques
L'essor du Japon
L'URSS atteint son apogée au cours des années 1950 et 1960. Le pays
sort vainqueur de la guerre, étend son empire et devient une
superpuissance. Il contrôle l’Europe de l’Est grâce à son armée et à
travers le CAEM (Conseil d’Aide Économique Mutuelle) ou COMECON
créé en 1949. Martin Malia dans La Tragédie soviétique découpe
l’histoire soviétique en périodes de « communisme de guerre » et de «
NEP », qui alternent selon les besoins du moment: renflouer l’économie
ou consolider le pouvoir, d’où les enchaînements suivants :
1 Communisme de guerre (1918-1920)/NEP (1920-1924).
2 Stalinisme (1924-1941)/relâchement de la répression pendant la
guerre (1941-1945).
3 Retour au stalinisme dur (1945-1953)/krouchtchévisme et début
du brejnévisme (1953-1973).
4 Fin de l’ère Brejnev, nouveau durcissement (1973-1982)/période
finale de relâchement (d’Andropov à Gorbatchev, 1982 à 1990).
Le mouvement de balancier, au bout d’un moment, ne suffit plus, car
les nouvelles NEP finissent par ne rien renflouer du tout, tandis que les
nouveaux durcissements sont de plus en plus incapables de renforcer le
pouvoir. Le changement dans la propriété des entreprises ne rendit pas les
travailleurs plus productifs, au contraire ils perdirent leur motivation sur
le long terme. En outre, la planification centralisée montra un faible
dynamisme. Même le plus brillant des bureaucrates n’avait aucune idée
du nouveau produit à fabriquer, ni combien il fallait en produire, ni
comment on pouvait le faire de façon plus efficace. Le marché est le seul
système qu’on ait trouvé jusqu’à présent pour conduire des expériences
arrivant à ces résultats et pour s’adapter aux préférences changeantes du
public. L'économie de commande ne faisait aucune expérience de ce type
et ignorait les préférences de la population. Comme le notait Rueff en
1934 : « Aucun esprit humain ne peut prétendre résoudre le système
d’équations à inconnues innombrables qui traduit les conditions
d’équilibre d’un marché, même si ces conditions étaient connues, ce qui
n’est pas. Or, toute erreur dans l’élaboration du plan crée un déséquilibre,
donc une crise. »
De même, Isaiah Berlin, dans son essai de 1958, « Deux conceptions
de la liberté », distinguait la liberté négative basée sur les choix des
individus, propre aux régimes libéraux, de la liberté positive
caractéristique des régimes socialistes. Cette dernière repose sur l’idée
que les gens doivent être aidés ou forcés à faire ce qui semble bon pour
eux. Le problème est que ceux qui font les choix, même animés des
meilleures intentions, n’ont pas la connaissance nécessaire, et ne peuvent
pas l’avoir même s’ils prétendent la détenir. Le libéralisme au contraire
favorise la liberté individuelle. Il opte en faveur du marché et du
capitalisme, c’est-à-dire un mécanisme d’expérimentation permanente
qui implique les actions et les décisions exprimées par des millions de
gens. Le résultat a plus de chance d’être favorable que celui qui
impliquerait un comité d’économistes, de bureaucrates, de politiciens ou
d’hommes d’affaires mettant au point un grand schéma. Cette option
libérale est plus humble que l’option dirigiste parce qu’elle reconnaît
l’étendue de notre ignorance.
En outre, l'URSS s’est engagée dans la production de masse reposant
sur les industries lourdes, en s’inspirant du modèle fordiste des années
1920, mais un fordisme d’État: « le malheur de l’Union soviétique est
que Lénine et Staline avaient découvert le monde à l’époque de Ford, et
les chefs soviétiques devaient désormais associer la modernité
industrielle à la grande production en série. Leur conviction qu’il fallait
faire toujours plus gros finit par laisser l'URSS encombrée d’une
infrastructure industrielle affreusement concentrée et inefficace: un
fordisme sous stéroïdes, à une époque où le modèle fordiste avait cessé
d’être pertinent » (Fukuyama).
L'idéologie qui a conduit à l’édification de régimes socialistes est celle
de l’égalité. Mais il s’agit de l’égalité dans les résultats, c’est-à-dire
l’égalité des revenus, des richesses et des conditions de vie. Les pays
démocratiques à économie de marché ont plutôt mis en avant, et se sont
fixés comme objectifs, l’égalité devant la loi et l’égalité des chances. La
recherche du premier type d’égalité a des aspects utopiques, elle est
beaucoup plus difficile à atteindre que les deux autres, et surtout elle
implique des coûts considérables en matière économique, morale et
politique. Tout d’abord, elle se traduit en perte de motivation et de goût
pour l’innovation pour la société dans son ensemble, car le fait que
l’enrichissement matériel pour un individu soit limité entraîne une perte
de dynamisme économique. Ensuite, la recherche de l’égalité des revenus
et des fortunes implique un sacrifice en termes de justice, car celle-ci
devra être nécessairement biaisée à l’encontre de ceux qui s’élèvent
matériellement au-dessus du lot (comme l’exemple des koulaks l’a
montré en Russie). Enfin, ce type d’égalité exige un sacrifice important
de la liberté: les libertés individuelles, économiques bien sûr mais aussi
politiques, doivent être sévèrement réduites pour atteindre l’objectif
d’égalité (là aussi le cas soviétique l’illustre parfaitement). La recherche
au contraire de l’égalité des chances et l’égalité devant la justice est
beaucoup moins coûteuse pour la société. Même si elles sont loin d’être
atteintes dans les pays occidentaux – comme le montrent l’inégalité de la
condition féminine, l’inégalité de l’éducation selon l’origine sociale ou
bien l’inégalité devant les peines infligées, notamment la peine de mort
aux États-Unis –, elles ont cependant largement progressé dans ces pays.
Au contraire le rêve socialiste de l’égalité absolue des hommes s’est
éloigné de plus en plus dans les pays de l’Est avec la multiplication des
privilèges et des passe-droits.
L'expérience socialiste dans ces pays se solde par un échec général,
visible dès les années 1970 : la suppression de l’entreprise privée, le plan
centralisé sclérosant, la pauvreté, la grisaille, les pénuries, l’hostilité à la
religion, la tyrannie d’une idéologie, le contrôle totalitaire du parti
unique, les bureaucrates et dirigeants privilégiés, la terreur meurtrière de
la période stalinienne et du Goulag1, la répression tatillonne de la période
brejnévienne, l’étouffement de la liberté de pensée, tout cela déconsidère
définitivement le communisme réel et explique que, malgré toutes les
difficultés actuelles de la transition, l’énorme majorité de la population
des pays de l’Est, enfermée pendant des décennies dans leur prison des
travailleurs, ne souhaite pas revenir en arrière et continue à regarder à
l’ouest. Ce regard les a portés avant tout à demander leur adhésion à
l’Union européenne, et pour certains à entrer dans l'OTAN ce qui aurait
semblé une idée délirante il y a un quart de siècle.
Dans les dernières années du régime, en voulant stimuler une
économie léthargique, les dirigeants soviétiques ont porté atteinte à ses
piliers politiques et idéologiques, mettant finalement à bas tout l’édifice,
y compris l’économie. L'échec des réformes de Gorbatchev (1983-1990)
pour changer le mécanisme des prix, l’organisation de la production
agricole, le secteur militaire, plus les effets déstabilisants des réformes
elles-mêmes, amenèrent l’effondrement. Gorbatchev en outre n’avait pas
d’idée claire de ce qu’il voulait faire, il était impatient des résultats
positifs de ses réformes, et comme ceux-ci n’arrivaient pas, il changeait
de politique en cours de route, compromettant ainsi toute possibilité
d’amélioration. Les réformes accordèrent plus d’autonomie aux
entreprises et plus de pouvoirs politiques aux régions, mais cela aboutit à
des difficultés croissantes et insurmontables de coordination. Le rôle du
Parti notamment était de coordonner les décisions, d’agir constamment
ici et là pour éviter les incohérences, les doubles emplois, les décisions
contradictoires et imposer les décisions du centre. L'autonomie accrue
entraîna un recul de ce rôle, un retrait du PCUS de ses tâches
économiques, un vide institutionnel qui créa le chaos. Les incohérences
se multiplièrent, faute d’un marché global pour réaliser la régulation, et
les réformes se trouvèrent finalement bloquées. Le leader russe avait une
confiance excessive, comme d’ailleurs la plupart des observateurs, dans
la solidité du système soviétique et n’imaginait pas une seconde qu’il
puisse s’écrouler rapidement.
Aspects généraux
La diversité du Sud
L'Afrique
Rwanda
Depuis que Cortés, le jour de Pâques de 1519, débarqua sur les côtes
du Mexique avec 11 navires, 508 hommes et 16 chevaux, jour et année
qui correspondaient exactement au retour prévu du dieu Quetzacoatl par
les Aztèques, l'Amérique latine entre dans l’histoire. En partie grâce à
cette coïncidence, Cortés détruira l’empire de Moctezuma – le plus grand
empire indien d’Amérique du Nord dont la capitale, Mexico-
Tenochtitlán, est déjà la ville la plus peuplée du continent –, prendra une
princesse comme maîtresse, la Malinche, engendrera avec elle le premier
mestizo, enfant de sang indien et européen, symbole de cette nouvelle
Amérique. Carlos Fuentes note que l’apport espagnol charrie avec lui
dans cette fusion, non seulement l’Europe chrétienne mais tout le monde
méditerranéen, grec, romain, arabe et juif. Pour la population indigène,
un curieux retournement religieux se réalise, expliquant peut-être le
succès du christianisme: les anciens dieux exigeaient de lourds sacrifices
humains, le nouveau au contraire se sacrifie pour les hommes (« la figure
du Christ crucifié étonne et subjugue les Indiens: le nouveau Dieu ne
demande pas que nous nous sacrifiions pour lui, c’est lui qui se sacrifie
pour nous »).
Depuis les indépendances dans les années 1820, le sous-continent se
caractérise par l’instabilité politique et les régimes autoritaires. Il
n’évolue vers la démocratie qu’à la fin du XXe siècle, abandonnant ses
dictatures militaires et ses révolutions à répétition pour s’engager
lentement vers des systèmes pluralistes. Les grands pays montrent la
voie, suivie avec difficulté par les autres, aucun n’y échappe sauf Cuba.
Le Mexique est représentatif de cette évolution. Après la révolution de
1910 et les guerres civiles qui suivent (un million de morts dans la
décennie) un parti progressiste, le PRI, met en place le suffrage
populaire, des politiques de santé, d’éducation, une réforme agraire, un
développement national, pour retomber après la Deuxième Guerre
mondiale dans un conservatisme étroit. Les étudiants le secouent en 1968
en manifestant sur la place des Trois cultures à Tlatelolco pour obtenir
plus de démocratie. La répression est terrible, on compte cinq cents
morts, mais trente ans après la démocratie est là, le PRI a perdu son
monopole, les partis d’opposition détiennent la majorité de l’Assemblée
puis la présidence, tandis que les libertés sont respectées.
Pourquoi l’Amérique latine est-elle restée en arrière, notamment par
rapport à l’Amérique anglophone? Pour la plupart des auteurs latino-
américains les causes sont liées à la dépendance dont ils ont été victimes.
Eduardo Galeano dans un best-seller mondial, Les veines ouvertes de
l’Amérique latine, expose une version vulgarisée de cette thèse. Mais
pour les Anglo-Saxons les causes sont essentiellement institutionnelles,
héritées de la bureaucratie sclérosante des puissances ibériques (cf. North
ou Landes). Le simple fait que les explications ne soient pas inversées,
les Latino-Américains expliquant le retard par leurs faiblesses internes, et
les Nord-Américains expliquant leur avance par l’exploitation de
l’Amérique du Sud montre bien l’importance des facteurs subjectifs et
non scientifiques dans ces théories. Les uns tentent de se dédouaner en
accusant le puissant voisin, les autres en rendant la faiblesse
institutionnelle responsable.
Mais l’Amérique latine a énormément progressé au XXe siècle,
rattrapant une partie de son retard. La croissance a été élevée, des
capacités de production considérables ont été créées, des classes
moyennes importantes se sont formées, même si dans l’ensemble les
inégalités, la pauvreté, l’exclusion et la marginalisation restent fortes.
Contrairement à des pays asiatiques comme la Corée du Sud et Taiwan,
le sous-continent n’a pas réussi à conjuguer croissance et équité. L'État a
joué un rôle central dans l'industrialisation, à la manière des latecomers
de la fin du XIXe siècle, notamment à travers la stratégie de substitution
d’importations dans l’après-guerre. Celle-ci a créé des industries
puissantes, elle a apporté des changements institutionnels et sociaux
profonds, mais elle n’a pas réussi à réduire les inégalités, pas plus
d’ailleurs que les politiques économiques libérales qui l’ont suivie.
Au début du XXIe siècle, l’Amérique latine penche vers la gauche,
mais il s’agit d’une gauche divisée en deux courants difficiles à concilier,
une gauche social-démocrate et gestionnaire du capitalisme de marché,
illustrée par Lula au Brésil et Michelle Bachelet au Chili, une gauche
révolutionnaire et populiste, menée par le Vénézuélien Hugo Chávez, qui
fait des émules en Équateur et en Bolivie et veut créer un « Socialisme du
XXIe siècle ». L'alternance constatée au Chili en 2010, avec le retour
d’une droite modérée au pouvoir (Sebastián Piñera), est significative de
l’enracinement des processus démocratiques sur le continent.
L'Asie
La mondialisation
Depuis la révolution industrielle, le monde s’est considérablement
rétréci. Alors que les pères pèlerins, fondateurs des premières colonies
américaines avaient mis 66 jours pour traverser l’Atlantique en 1620,
cette traversée prenait un peu plus d’un mois vers 1830, quinze jours en
1838 lors de la mise en service du Great Western, puis cinq jours avec le
Normandie dans les années 1930 et environ 8 heures actuellement. Face à
cette évolution, la mondialisation apparaît comme un phénomène
inéluctable.
La population mondiale
Parmi tous les êtres humains qui ont jamais vécu, depuis l’origine de
l’homo sapiens, combien sont vivants aujourd'hui ? C'est une question
que les démographes aiment à se poser. La réponse est de l’ordre de 6 à 7
% : sur 80 à 100 milliards de personnes nées dans toute l’histoire de
l’humanité, on en compte actuellement 6 milliards. La proportion est plus
élevée encore si on considère les années vécues sur Terre, car la durée de
vie était évidemment bien plus faible auparavant (20 ans à la période
néolithique, 30 ans au XVIIIe siècle, 65 ans actuellement) : les vivants
d’aujourd’hui représentent un sixième du temps total que les humains ont
collectivement passé sur la Terre.
Tableau 24
. La population mondiale
Le seuil de remplacement des générations correspond à un taux de
fécondité de 2,1 enfants par femme. La moitié des pays du monde étaient
passés en dessous en l’an 2000 et le mouvement continue. L'ensemble
des pays en développement devrait avoir un taux de fécondité moyen
inférieur à ce seuil aux alentours de 2045. L'allongement de la durée de
vie et la baisse générale de la natalité entraîneront une progression
considérable de la part des personnes âgées dans la population mondiale:
les gens de plus de 60 ans passeraient ainsi de 10 % du total à la fin du
XIXe siècle, à environ un tiers à la fin du XXIe. L'Europe voit sa natalité
reculer plus vite: en 1975, la France comptait 1,7 million de jeunes (<
20 ans) de plus qu’en l’an 2000, et en 2025 l’Union européenne comptera
autant d’habitants qu’en 1999, soit 380 millions.
Ce basculement commencera à entraîner vers 2010-2020 deux types de
problèmes: l’augmentation des dépenses médicales et le financement des
retraites. Sur le premier, on peut penser que l’allongement de la durée de
la vie fait que la multiplication des problèmes de santé, propre à la
vieillesse, commence beaucoup plus tard (une personne de 80 ans en
2050 aurait la santé et l’apparence d’une personne de 60 ans
aujourd’hui). Sur le financement des pensions, lorsque la génération
d’après-guerre entrera dans la retraite (les baby-boomers, nés autour de
1950, auront alors entre soixante et soixante-dix ans, une modification du
système des versements deviendra indispensable. Là aussi, l’allongement
de la durée de vie, permettant d’étendre la période de vie active au-delà
de 60 ans, facilitera la résolution du problème.
Du fait du décalage de la transition démographique (voir schéma), la
croissance de la population sera encore beaucoup plus forte dans les pays
du Sud que dans les pays développés, alors qu’il y avait un meilleur
équilibre au XXe siècle. Les inégalités mondiales entre un monde riche de
plus en plus restreint relativement, et un monde pauvre dominant en
nombre, risquent d’apparaître encore plus fortement. Seul un
développement économique plus rapide dans les pays du Sud, comme on
peut d’ailleurs l’observer en Asie et en Amérique latine, peut empêcher
ces déséquilibres mondiaux de s’accentuer.
Représentation stylisée de la transition
démographique Elle commence par la baisse de la
mortalité (grâce à une meilleure alimentation surtout) en
Europe au XVIIIe siècle, mouvement I du graphique. Au
début, la mortalité reste élevée, du
fait de l’inertie des comportements (mouvement II) et donc l’écart entre
natalité et mortalité s’accroît, provoquant la hausse de la population (le
taux de croissance démographique est la différence entre le taux de
natalité et de mortalité). La transition démographique est donc à l’origine
de l’explosion démographique. Puis les comportements changent, les
gens ont moins d’enfants, du fait d’un mode de vie industriel et urbain
complètement différent, et le taux de natalité baisse à son tour
(mouvement III). On retrouve, une fois la transition terminée, un rythme
d’accroissement comparable à celui du départ, mais avec des taux de
natalité et mortalité bien inférieurs. L'Amérique latine, l’Asie et l’Afrique
suivent la même évolution au XXe siècle, avec comme différence que les
progrès alimentaires ne sont pas le facteur principal à l’origine de la
baisse de la mortalité, mais plutôt les progrès médicaux apportés de
l’extérieur. La transition démographique en Europe est endogène, en ce
sens où ce sont les progrès locaux de l’agriculture qui en sont l’origine,
elle est exogène au Sud, pour la raison indiquée.
L'évolution démographique a été essentiellement marquée, dans les
pays développés, après la guerre, par l’introduction et la légalisation de la
contraception scientifique, ainsi que de l’interruption volontaire de
grossesse. En France, celle-ci fait l’objet d’un vote à l’Assemblée
nationale (284 voix contre 189) le 26 novembre 1974, lorsque le ministre
de la Santé de Valéry Giscard d’Estaing, Simone Veil, fait passer le texte
qui changera les comportements et qui met fin à une loi de 1920
réprimant l’avortement. Il y en a environ 300 000 pour 900 000
naissances au début des années 1970.
Le XXe siècle est celui de la lutte des femmes pour l’égalité. Le droit
de vote a été obtenu aux États-Unis en 1919-1920 (Equal suffrage
amendment), en Angleterre en 19281, en France en 1944, au Québec en
1940, et en Suisse seulement en 1971. Le droit à l’éducation a été obtenu
dès les premières décennies du siècle. Le droit au travail a également été
progressivement acquis, même si l’égalité est loin d’être atteinte dans ce
domaine: 60 à 80 % des femmes ont des emplois dans les pays riches,
mais le taux de chômage reste plus faible pour les hommes et les salaires
plus élevés. Les deux guerres mondiales ont fait progresser tous ces
droits. Les innovations en matière de contrôle des naissances ont
également joué leur rôle. L'évolution des mentalités, à la fois
conséquence de ces changements et cause de leur accélération, a joué
aussi un rôle essentiel.
L'urbanisation massive caractérise le XXe siècle. La moitié de la
population mondiale, soit 3 milliards d’habitants, est urbanisée en l’an
2000, contre un tiers en 1960. On en prévoit 5 milliards (sur 8) en 2030.
Le mouvement continue avec 60 millions de nouveaux citadins chaque
année. Il correspond à la poursuite de l’exode rural commencé avec les
enclosures de la fin du Moyen Âge et surtout l'industrialisation du XVIIIe
siècle. Les pays du Sud participent à cette évolution avec une population
urbaine qui est passée de 20 à 40 % du total entre 1960 et 2000 (75 % en
Amérique latine, comme dans les pays développés, 38 % en Asie et en
Afrique). Vingt villes ont plus de dix millions d’habitants dans le monde
en 2003, dont quinze dans les pays en développement, contre seulement
deux en 1960 (New York et Tokyo). En 2015, on comptera 26 villes de
plus de dix millions d’habitants dans le monde, dont 22 dans les pays du
Sud.
Athènes au IVe siècle avant notre ère – à l’époque d’Aristote qui disait
déjà que l’homme était avant tout « un animal urbain » – devait compter
dans les 150 000 habitants avec son hinterland, aujourd’hui les plus
grandes métropoles sont cent fois plus peuplées.
Les épidémies tueuses ont changé de nature au XXe siècle. Les deux
principales sont la grippe espagnole en 1918-1919 qui a provoqué entre
25 et 40 millions de morts dans le monde (plus que la Première Guerre
mondiale) et le SIDA qui depuis 1980 a déjà tué 12 millions de
personnes. À titre de comparaison, la peste avait fait quelque 25 millions
de morts en Europe au XIVe siècle, dans une population beaucoup plus
faible d’environ 75 millions et la variole en Amérique au XVIe, apportée
par les Européens, avait causé peut-être 20 millions de morts parmi les
populations indigènes.
Inégalités
Les inégalités se sont creusées aux États-Unis depuis les années 1980 .
À partir de 1993, elles ont atteint des niveaux jamais vus en un siècle. Le
boom boursier a entraîné un enrichissement des classes moyennes, dont
les revenus ont augmenté en termes réels de 2 % par an dans les années
1990, mais les plus pauvres ont été laissés de côté dans cette évolution.
Un mécanisme de sablier se serait mis en place où la classe moyenne est
aspirée vers le bas, même si une partie d’entre elle réussit à se maintenir
en haut. Aux États-Unis, le revenu moyen d’un chef d’entreprise est
passé de 42 fois le salaire moyen de ses ouvriers en 1980, à 419 fois en
1998, soit un écart multiplié par dix.
La caractéristique de toute révolution industrielle ou technologique,
comme celle de la fin du XXe siècle, est dans un premier temps
d’accroître les inégalités, puisqu’au départ certains réalisent des fortunes
rapides dans les secteurs nouveaux, puis de les résorber massivement
grâce justement aux nouvelles technologies. L'extension de la classe
moyenne dans les pays occidentaux, une réduction des inégalités, est la
conséquence des deux premières révolutions industrielles. Les inégalités
extrêmes et permanentes sont au contraire le propre des pays féodaux et
préindustriels.
« Le monde serait entré, à la fin du XXe siècle, dans une nouvelle
révolution économique, de la même nature et de la même ampleur que
celles qu’il avait connues à la fin du XVIIIe siècle avec la machine à
vapeur et à la fin du XIXe, avec l’électricité. À chaque fois, une nouvelle
technologie à usage général, c’est-à-dire ayant des implications dans tous
les domaines de la vie économique, est venue tout bouleverser. Chacune
de ces révolutions a provoqué naturellement une augmentation brutale de
la production et de la productivité. Mais, dans le même temps, elle a, à
chaque fois, modifié l’ensemble des rapports sociaux. Elle a, en
particulier, d’abord contribué à accroître les inégalités. Dans une seconde
phase, on a toujours pu observer une inversion de ce mouvement, et le
début d’un mouvement de résorption des inégalités. Au début,
l’innovation est réservée à quelques-uns: ceux-ci améliorent leur
situation aux dépens de tous les autres. Les inégalités se creusent. Mais
progressivement, après un processus complexe de diffusion et
d’apprentissage, cette innovation se généralise, les inégalités qu’elle a
créées se réduisent. Simon Kuznets en a fait la démonstration en étudiant
les précédentes révolutions économiques. Aux États-Unis, par exemple,
la part de la richesse détenue par les 10 % les plus riches de la population
serait passée de 50 % en 1770 à 75 % en 1870, avant de retomber à 50 %
en 1970. L'actuel mouvement de fragmentation de la société mondiale ne
serait donc pas inéluctable : il serait la conséquence d’une révolution qui
n’en est qu’à sa première étape. Demain, dans une seconde phase,
lorsque, comme l’électricité, la puce se sera généralisée, les inégalités se
réduiront: les nouvelles technologies seront une opportunité formidable
pour des populations pour l’instant à l’écart du mouvement. » E.
Izraelewicz ■
Keynésianisme et libéralisme
Le néolibéralisme
Dans les années 1940, Friedrich Hayek, dans son ouvrage classique La
route de la servitude, avait prévenu les démocraties capitalistes qu’elles
faisaient fausse route en essayant de contrer le communisme par une plus
grande intervention publique, un État en expansion et une planification,
fut-elle indicative. Il préconisait une Europe fédérale pour remédier à la
bureaucratie étatique envahissante. Les pays anglo-saxons, notamment
les États-Unis, ont davantage évolué vers un welfare capitalism que vers
un wefare state, un capitalisme social plutôt qu’un régime mixte social-
démocrate caractérisé par l’État-providence. Ce welfare capitalism peut
être défini à travers l’élargissement de la relation d’emploi dans
l’entreprise, au-delà de l’échange de travail contre salaire, en incluant de
nombreux avantages au contrat de travail, avantages fournis par la firme:
programmes d’assurance-santé, de retraite, de formation, d’éducation, de
logement, de garde des enfants, de participation au capital et aux
bénéfices, etc. Ce type de capitalisme s’apparente à certaines formes de
paternalisme apparues dès le XIXe siècle en Europe, et il se répand aux
États-Unis à partir de 1900. Le New Deal marquera une évolution inverse
avec l’apparition de l’État-providence, mais le mouvement reprendra en
force dans les années 1950 et 1960 avec le recul des syndicats.
Les fonds de pension de sociétés ont été lancés en 1950 par Charles
Wilson, patron de la General Motors, avec un succès foudroyant: la
même année 8 000 plans de ce type étaient mis en place aux États-Unis.
D’autres pays suivront comme la Grande-Bretagne, la Hollande et le
Japon. Le principe consiste à financer les retraites des employés par des
investissements massifs et diversifiés dans des titres de toute sorte:
actions, bons, obligations, etc. Il s’agissait d’intéresser les travailleurs
aux bénéfices des firmes et à la croissance économique en général, tout
en assurant leur sécurité à long terme. La propriété des entreprises, aux
États-Unis et en Grande-Bretagne est ainsi de plus en plus détenue par les
employés eux-mêmes, à travers les fonds de pension et les compagnies
d’assurance qui les gèrent. Une propriété collective, une sorte de
capitalisme populaire, tendrait ainsi à se mettre en place.
Les conservateurs arrivent au pouvoir en 1979 en Angleterre avec
Margaret Thatcher dont le programme est de démanteler le Welfare State,
pour rendre son dynamisme à l’économie britannique, peu performante
depuis la guerre. La victoire dans la guerre des Malouines en 1982 lui
confère une popularité telle que le programme de libéralisation pourra
être appliqué. Le premier acte sera la restructuration du secteur minier
nationalisé en 1945 et fortement déficitaire. La fermeture de puits
provoque une grève des mineurs qui dure un an et se termine par la
défaite du syndicat. Un programme de privatisation est ensuite lancé
permettant de réduire les impôts et de relancer les activités boursières.
British Aerospace, Cable & Wireless, British Rail, British Telecom,
British Airways, le gaz, le pétrole, les logements publics et des industries
diverses allaient retourner au secteur privé. La période conservatrice
s’étendra jusqu’en 1997 et le retour des travaillistes au pouvoir. Ceux-ci
maintiennent cependant les orientations libérales du pays avec Tony Blair
et le New Labour, puis Gordon Brown en 2007. ■
Après 20 ans de libéralisation, depuis 1980, le crédit et les prix sont
devenus libres, les banques et le secteur productif public ont été
privatisés, les investissements internationaux, les marchés des capitaux et
des changes ne sont plus contrôlés. Les déficits publics ont reculé (avant
2008), même si la part de l’État dans le PIB continue à augmenter (cf.
tableau 25). En 1970, il était en moyenne de 32 % dans les 22 pays de l'
OCDE, alors qu’il a augmenté de 10 points pour ces mêmes pays, et pour
certains dépassé 50 %, à la fin des années 1990. Les dépenses de transfert
(prestations sociales, subventions, RMI, etc.) sont celles qui ont le plus
augmenté: de 10-15 % du PIB dans les pays développés en 1960, elles
s’élèvent à la fin des années 1990 à 25-35 %. L'État-providence a vu son
importance s’accroître dans la période de libéralisation où pourtant
beaucoup craignaient « le démantèlement de la protection sociale ».
Un nouveau retour du balancier en faveur de l’État caractérise les
années 2000 : les risques de la dérégulation financière (crise asiatique de
1997-1998, crise argentine de 2001), les périls de la mondialisation sont
dénoncés de façon croissante (notamment à la conférence de l'OMC à
Seattle en décembre 1999), tandis qu’on accuse la libéralisation d’être à
l’origine de multiples maux, allant des accidents ferroviaires en Grande-
Bretagne à la maladie du bœuf dans ce même pays (encéphalite
spongiforme bovine, ESB ou « vache folle »). Enfin la grande crise de
2007-2008 semble mettre le clou final dans le cercueil de la
libéralisation, avec le retour en force de l'interventionnisme étatique et la
quasi-nationalisation des banques en difficulté.
Tableau 25
. Dépenses publiques en % du PIB
La troisième révolution technologique
La nouvelle économie…
Il est difficile de bien délimiter les activités qui caractérisent les trois
révolutions industrielles et technologiques depuis deux siècles et demi,
des chevauchements sont inévitables. Par exemple le chemin de fer
(1830) et l’acier (1860) sont à cheval entre les deux premières
révolutions; lors de la deuxième révolution industrielle, autour de 1900,
l’électronique apparaît déjà avec Bell ou Marconi; l’après 1945 est
surtout marqué par l’essor des biens de consommation durable
(électroménager, télévision, automobile), mais bien sûr l’espace,
l’informatique et les biotechnologies apparaissent déjà.
Internet
Alors que personne n’en rêvait, que le Minitel n’était même pas né, la
première transmission d’informations entre deux ordinateurs a lieu en
octobre 1969. C'est le début d’Arpanet, embryon de ce qui deviendrait un
réseau mondial en trois décennies. La liaison historique a lieu entre San
Francisco et Los Angeles, de l’université Stanford à l'UCLA à 600 km de
là. Santa Barbara puis l’Utah suivront à la fin 1969, formant un réseau à
quatre pôles et quelques dizaines d’intervenants. En 1972 a lieu la
première démonstration publique avec quarante ordinateurs raccordés à
travers les États-Unis. En 2008, on comptait 1,45 milliard d’internautes
sur la planète, la Chine vient en tête (180 millions), suivie par les États-
Unis (163), 35 millions en France en 2009.
Les noms des inventeurs, s’ils ne nous sont pas encore familiers,
resteront sans doute dans l’histoire, aux côtés des Ampère, Faraday,
Volta, Marconi, Edison, Hertz ou Bell. Il s’agit non pas d’un inventeur
mais d’équipes entières, et il faut citer les noms de Vinton Cerf, Steve
Crocker, Jon Postel, Doug Engelbart, Robert Kahn, Joseph Licklider,
Leonard Kleinrock, Ted Nelson et Tim Berners-Lee. Le financement du
Pentagone, qui voit dans le système un moyen de contrer l’avance russe
en matière spatiale, permettra le développement des recherches.
L'utilisation d’une infrastructure existante, le réseau téléphonique, ouvre
la voie à un développement rapide et peu coûteux. L'absence d’un centre
de décision, l’apparition spontanée et anarchique de nombreux serveurs
et internautes isolés, a contribué au succès phénoménal de ce nouveau
moyen de communication. Pour relier les réseaux informatiques locaux,
il faut créer un système entre les réseaux, ou internetting, origine du mot
internet. L'idée vient ensuite de relier toutes les informations entre elles
par un système d’hypertexte (documents dotés de liens), il permet de
créer un cyberespace ou toile d’araignée à l’échelle mondiale, le world
wide web. On assiste ainsi, enthousiastes pour la plupart, un peu inquiets
pour certains, à l’abolition des distances, c’est-à-dire à « l’implosion du
monde réel » (Alberganti). Au début des années 1980, IBM avait encore
des allures de firme dominante et lorsqu’un petit groupe d’ingénieurs la
quitta avec Bill Gates à leur tête pour fonder Microsoft, ceux-ci étaient
considérés comme des casseurs de monopole. Retournement total en 20
ans, ce sont eux qui sont accusés et font l’objet de procès dans le cadre de
la législation antitrust. Cependant l’immensité, la complexité, la liberté et
l’aspect décentralisé du réseau mondial garantissent qu’il ne pourra être
dominé par une firme. En outre Internet a encore des progrès à réaliser
avant de devenir aussi fiable que les autres moyens de communication de
masse comme le téléphone, la radio ou la télévision. Le web est encore
lié à l’usage de PC, donc aux logiciels Microsoft, et ces machines
peuvent tomber en panne à tout moment; ensuite, l’utilisation du réseau
est elle-même problématique et le temps gaspillé y est énorme; enfin, la
sécurité n’y est pas toujours garantie, notamment en matière de
paiements. Des changements techniques sont donc encore nécessaires
pour en faire un moyen de masse fiable, rapide et facile d’accès. De
nombreuses connexions autres que les PC se développent et se branchent
sur le réseau, comme les téléphones portables, les agendas électroniques,
les imprimantes, les ustensiles domestiques (télévision, réfrigérateur,
automobile), dont la plupart n’auront aucun lien avec la firme Microsoft,
qui perdra nécessairement ainsi une part importante de ce marché. ■
…et l’ancienne
Gestion et concentration
Le mode de gestion des firmes a changé depuis les années 1980, on est
passé du capitalisme managérial, décrit par Galbraith, dans lequel les
dirigeants, la fameuse technostructure, avaient le pouvoir, même sans
posséder l’entreprise, à un capitalisme patrimonial dans lequel les
actionnaires font la loi. Dans le premier, seule la taille, les économies
d’échelle, le chiffre d’affaires ont de l’importance, pour le second, c’est
la rentabilité, les dividendes, c’est donc le retour au profit. La montée des
gros investisseurs collectifs (fonds de pension, fonds communs de
placement) conforte cette évolution, car ils ont les moyens de surveiller
la gestion des firmes. Cette évolution a été accompagnée d’une vague de
concentrations à la fin du XXe siècle.
La première avait eu lieu à partir de 1885, essentiellement aux États-
Unis, elle se termine sur le regroupement qui donne naissance à la
General Motors, en 1914. Les firmes qui en sont issues dominent le
capitalisme mondial jusqu’aux années 1970. Mais la troisième révolution
technologique se caractérise par l’apparition d’une multitude de
nouvelles firmes qui figurent aujourd’hui parmi les premières mondiales
(Microsoft, Google, Cisco, Intel, etc.). La deuxième vague de
concentration commence en 1980, un siècle après la première.
Cependant, ces concentrations masquent le fait que peu d’industries sont
contrôlées par de véritables monopoles et que le contrôle du marché par
un petit nombre de firmes a dans l’ensemble reculé pendant cette phase
de concentration (tableau 26). L'explication de ce paradoxe est simple :
les firmes géantes voient leur taille augmenter, mais les économies
nationales croissent encore plus vite et de nouvelles firmes apparaissent.
En outre l’ouverture des frontières augmente la concurrence
internationale et réduit le contrôle des firmes sur leur marché national.
Contrairement à une idée répandue, il n’y a donc pas de processus
historique de concentration croissante des entreprises. Les fusions des
grandes firmes ne compensent pas l’apport constant des nouveaux
arrivants.
Tableau 26
. Part des marchés mondiaux des cinq plus grandes
firmes par secteur, années 1980-1990
1988 1998
Informatique (matériels) 77 % 59 %
Informatique (logiciels) 83 % 59 %
Aéronautique/espace/défense 55 % 58 %
Automobile 59 % 56 %
Téléphone 64 % 42 %
Pétrole 44 % 42 %
Compagnies aériennes 40 % 38 %
Spectacle 61 % 70 %
Le cas de l’automobile
Le pétrole
La théorie de la rente différentielle élaborée par Ricardo au XIXe siècle
à propos des terres s’adapte parfaitement au marché pétrolier, le marché
de matières premières le plus important au XXe siècle pour des raisons
économiques et stratégiques évidentes. Les coûts d’exploitation diffèrent
d’un champ pétrolier à l’autre: les gisements du Moyen-Orient ou du
Texas, plus faciles à exploiter, présentent des coûts plus faibles que ceux
de la mer du Nord ou de l’Alaska. Le prix du brut doit se fixer de façon à
permettre l’exploitation du gisement le plus coûteux. La demande
mondiale détermine quel est ce gisement, puisque tant qu’elle reste
faible, il suffira d’exploiter les champs pétrolifères les plus faciles
d’accès, mais si elle augmente il faudra mettre en œuvre des gisements
plus difficiles à exploiter. La rente différentielle est la différence, pour
chaque gisement, entre le prix du brut (fixé d’après le coût du gisement le
plus difficile) et son propre coût d’exploitation. Elle sera d’autant plus
élevée que ce dernier est faible. On voit sur le graphique que si le
gisement le plus difficile correspond à un coût de 100 (Alaska) et le
moins coûteux à 10 (Moyen-Orient), la rente sera de 90 dans ce dernier,
et par exemple 85 au Texas, 80 en Libye, etc., et qu’elle sera de 10 en
mer du Nord et nulle pour le gisement le plus coûteux à exploiter, celui
de l’Alaska dans cet exemple imaginaire.
Le système global
L'économie mondialisée
Le GATT et l'OMC