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UNIVERSITE OUAGA II
UNITE DE FORMATION ET DE RECHERCHE
UFR-SEG
(Première Partie)
(Semestre 1 – Licence 1)
Dr Abdoulaye SENGHOR
Enseignant-Chercheur
OBJECTIF GENERAL : Acquérir une culture historique des faits économiques et sociaux de l’économie
pré-industrielle à la société dite industrielle et le développement du capitalisme.
CONTENU DU COURS
Partie 3 : Du rôle et de la place de l’Afrique dans le capitalisme et les luttes des indépendances
RESSOUCES COMPLEMENTAIRES :
1- SOULAMA S. (2007), Initiation à l’Histoire des Faits Economiques et Sociaux, Notes de cours
de 1ère année, UFR-SEG, Université de Ouaga 2, Ouagadougou
2- BLANCHETON Bertrand (2007), Histoire des faits économiques, Maxi Fiches, Dunod, Paris
3- BLANCHETON Bertrand (2008), Histoire de la mondialisation, Le point sur Economie, De
Boeck, Paris
4- GRAZ J-C. (2004), La gouvernance de la mondialisation, La Découverte, Paris
5- SCHWOB C. (2008), Fondements de la pensée économique, Dyna’Sup, Paris
6- CHOUMETTE N. & CHOUMETTE F. (2008), Les politiques économiques, Ellipses, Paris
7- COLLIARD C-A. (1975), Institutions des relations internationales, Dalloz, Paris
8- BALESTE M. (S/dir 1981), Les grandes puissances économiques, Armand Colin, Paris
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INTRODUCTION GENERALE
Trois variables méritent particulièrement d’être examinés pour mieux comprendre les
principaux faits économiques et sociaux majeurs qu’a connus l’évolution de l’humanité :
démographie, économie et progrès scientifiques et culturels.
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1.1.1-Evolution démographique dans le temps
Les facteurs exogènes (sécheresses, guerres, etc.) agissant par l’intermédiaire du facteur
démographique ont une grande importance dans l’explication de l’évolution des sociétés
humaines. On pense ainsi que le néolithique lui-même serait le résultat d’une sécheresse
(donc facteur climatique) qui aurait entraîné un déséquilibre entre hommes et ressources
en exerçant une certaine « pression démographique » et l’insuffisance des ressources qui
en a découlé aurait poussé les hommes à cultiver la terre pour assurer le complément de
ressources nécessaires à leur survie. La composante essentielle de cette évolution est le
passage d’une économie de cueillette, de chasse et de pêche à une économie de la
production, une économie de la domestication des espèces végétales et animales dont les
principales activités productives sont l’agriculture et l’élevage. C’est également le
déséquilibre entre hommes et ressources qui seraient à la base des premiers progrès
techniques décisifs pour l’histoire de l’humanité, d’abord la découverte de l’agriculture et
de l’élevage, puis l’évolution des techniques de production agricole, pastorale, artisanale,
ensuite sur le plan institutionnel, le passage de la propriété collective à la propriété privée,
la division du travail, l’usage de la monnaie, enfin l’apparition d’une possibilité de
surplus alimentaire qui peut être stocké et qui peut donner lieu à un échange qui rend
possible la sédentarisation et un accroissement des densités de population à l’émergence
de l’urbanisation et par là même, aux civilisations. Deux révolutions démographiques sont
retenues en histoire des faits économiques et sociaux : celle faisant suite à la révolution
du néolithique et celle faisant suite à la révolution agricole et industrielle du 18è siècle.
La population mondiale connaît sa première augmentation significative dans l’ère du
néolithique. En effet, sur cette période, entre 8000 avant Jésus-Christ au début de l’ère
chrétienne (vers l’An 100), la population mondiale serait passée de 15 millions à près de
350 millions, soit un taux de croissance de l’ordre de 0,04% l’an. Ce taux peut paraître
faible mais est nettement supérieur (10 fois plus) à celui de l’ère du paléolithique. On note
également que le taux de croissance de la population dans la période post-néolithique
diffère très peu de celui précédant la révolution industrielle. En effet, de l’An 0 à l’An
1750, la population n’a cru qu’au taux de 0,05% à 0,06% par an. La révolution agricole et
industrielle, tout en rendant possible la croissance démographique, en a modifié le régime
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vers la fin du 19è siècle et au début du 20è siècle. En effet, les pays qui ont effectué la
révolution industrielle ont connu le phénomène dit de la « transition démographique »
passant d’un régime dit « ancien régime démographique » vers un régime dit « nouveau
régime démographique ». L’ancien régime démographique est marqué par des taux de
natalité et de mortalité, tous deux très élevés. La démographie ancienne se marque sur le
long terme par un très faible accroissement naturel. Les famines et les épidémies
entrainent des crises démographiques marquées par de graves clochers de surmortalité.
Les années suivant les crises, la reprise des mariages et la hausse de natalité tendent à
compenser les pertes subies. Cette démographie se régule homéostatique (équilibre par les
contraires) : la très forte mortalité est compensée par une forte fécondité. Le nouveau
régime démographique quant à lui se distingue par des taux de natalité et de mortalité,
tous deux faibles. L’ancien mode de régulation démographique s’effondre à partir du 18ème
siècle, d’abord en France dès les années 1720 et en Grande-Bretagne vers 1750. La
transition démographique débute d’abord par une baisse sensible du nombre de décès qui
s’explique par un recul des grandes causes de mortalité qui frappaient au 17ème siècle.
Cette baisse de mortalité ne s’accompagne pas immédiatement d’une baisse de la
fécondité en raison de l’inertie des mentalités. Ce décalage entre la baisse de la mortalité
et celle de la natalité conduit à une hausse spectaculaire du taux d’accroissement naturel,
donc du niveau de sa population. A terme, ce mouvement se généralise à l’ensemble de
l’Europe qui voit sa population tripler en un siècle et demi. Entre le régime d’équilibre
« haut » caractérisant les sociétés traditionnelles et le régime d’équilibre « bas » propre
aux sociétés post révolution industrielle se situe une période de déséquilibre plus ou moins
marquée par une explosion de la croissance de la population appelée transition
démographique. Celle-ci se caractérise par la coexistence d’un taux de natalité élevé et
d’un taux de mortalité faible. On attribue à la révolution agricole un premier mouvement
de baisse de la mortalité dû à l’amélioration du régime alimentaire. Le mouvement de
baisse de la mortalité est renforcé dans un second temps par la diffusion de techniques
médicales et sanitaires.
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1.1.2- Evolution économique dans le temps
Les sociétés préindustrielles ont été caractérisées par une certaine stagnation de la
production à long terme ou par une croissance tellement faible et tellement lente qu’elle
était à peine perceptible comme la croissance observée entre le 12è siècle et le 13è siècle
ou encore celle notée au 16è siècle. Les 14è, 15è et 17è siècles étant considérés comme
des périodes de dépression. Le 18è siècle est dominé par la révolution agricole mais
surtout la révolution industrielle. Le fait nouveau du 19è siècle se situe donc dans la
capacité du système économique à perpétuer, au cours du siècle, principalement en
Angleterre, l’augmentation du produit par tête. En effet, alors qu’on peut estimer que le
niveau de vie du genre humain n’a pas changé de manière significative jusqu’à l’aube de
l’histoire économique contemporaine, le phénomène de la croissance économique, c’est–
à-dire l’augmentation durable et irréversible du produit par tête va entrainer une
augmentation significative des conditions de vie. Le phénomène de la croissance
économique est caractérisé en Grande Bretagne, à la suite de la révolution agricole et de
la révolution industrielle qui interviennent respectivement dans les années 1700 et 1750.
Le taux de croissance annuel moyen du produit par tête a été estimé en Grande Bretagne
à 0,7% entre 1700–1760, à 1% entre 1760–1801 et à 1,9% entre 1801–1831 tandis que
l’espérance de vie à la naissance est passée de 33 ans en 1688 à 40 ans entre 1820-1850
et à 53 ans en 1911. En résumé, on peut conclure que l’analyse de quelques tendances de
long terme indique que les 12è et 13è siècle constituent un temps de prospérité qualifié
de période de « Grand et Beau moyen Age » marqué par des changements au niveau de
l’activité économique même si ceux-ci ne sont pas encore généralisés et leurs effets ont
toujours un caractère plutôt régional. Les 14è et 15è siècles sont en revanche une période
de longue dépression marquée négativement par des famines meurtrières (1315 – 1317) à
la suite des mauvaises récoltes, des épidémies, en particulier la peste noire (1348) qui a
éliminé en deux ans 1/3 de la population européenne, des guerres, notamment la guerre
des cent ans (1339-1453) qui a entraîné des destructions, des pillages et une paralysie
des affaires dans les régions touchées. Le 16è siècle correspond à une nouvelle phase de
croissance qualifiée de « Beau 16è siècle », c’est–à-dire une sorte de « rattrapage »
démographique (augmentation de la demande) qui a engendré une expansion économique
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(augmentation de l’offre). Vient le 17è siècle, une période où l’économie est contrastée et
on assiste à des hésitations de croissance. On observe de nouveau le renversement de
tendance entre la fin du 16è siècle et les années 1610-1615 avec une série d’événements
dramatiques (peste, disette, guerres) de même que le comportement agité de plusieurs
séries de courbes (prix, activités commerciales, etc.), un temps de stagnation des affaires
qui suit une période de grande inflation. Le 17è siècle est qualifié par les historiens de
« noir », de « tragique ».
La société préindustrielle du moyen âge est une société à la base agricole et pastorale avec
une forme première d’industrie rudimentaire dite proto-industrie qui fonctionne
essentiellement avec de l’énergie humaine, animale, éolienne et hydraulique. Cette
société est très sensible aux chocs exogènes (sécheresses, guerres, épidémies, etc.) qui se
traduisent par des crises économiques dites d’ancien régime économique. A partir des
16ème et 17ème siècles notamment apparaissent des facteurs favorables à l’évolution vers
une société industrielle : la renaissance entre les 14ème et 16ème siècles, une sorte de
révolution culturelle, le progrès dans les transports maritimes, l’apparition d’une forme
de capitalisme, de nouvelles formes de monnaie et de financement de l’économie.
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Dans l’hémisphère Nord (Le Boréal) l’année est divisée en 4 saisons : Hiver (du 21 ou 22 décembre au 20
ou 21 mars), Printemps (20 ou 21 mars au 21 ou 22 juin), Eté (21 ou 22 juin au 22 ou 23 septembre) et
Automne (22 ou 23 septembre au 21 ou 22 décembre).
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cultures comme il l’entend. Ce système enferme l’agriculture dans un cercle vicieux. En
raison de l’importance des céréales, la part des finages consacrés au bétail reste exiguë.
En raison également du manque de fumure, la jachère pratiquée un an sur deux, ou un an
sur trois sur les terres de labours est la seule réponse possible à l’épuisement des sols.
Mais ce principe d’assolement conduit malheureusement à stériliser chaque année un tiers
ou la moitié des terres arables et limite de manière drastique la production agricole. Des
innovations ont été pourtant introduites dès la seconde moitié du 16ème siècle notamment
avec l’introduction en France en 1565 du maïs venu du Mexique (diffusé en France par
l’intermédiaire de la péninsule), de la pomme de terre, un substitut du blé (venu du Pérou)
et surtout de la légumineuse, ces plantes qui ont des vertus agronomiques de reconstitution
du sol, produisent de l’azote et enrichissent le sol. Utilisées comme fourrage, elles
permettent d’élever davantage de bétail, augmentant en proportion les qualités de fumures.
1.2.2- Une économie basée sur les activités dites de proto-industrie
L’époque dite préindustrielle connait des formes spécifiques d’industrie, même si les
activités de transformation restent encore minoritaires dans l’économie. L’une des formes
caractéristiques est la proto-industrie, une forme non spécialisée puisque l’activité de la
petite industrie se déroule ici de manière saisonnière en complément aux travaux agricoles
qui constituent l’essentiel de la production du ménage. Le système correspond à la
transformation des matières premières en produits manufacturés dans les lieux dispersés,
à domicile, c'est-à-dire dans les foyers des paysans qui utilisent un outillage rudimentaire.
Les produits de la pro-industrie sont essentiellement la laine et la métallurgie. L’ancienne
industrie est surtout celle de la laine qui garde sa prééminence jusqu’au 18ème siècle. Cette
première activité est essentiellement familiale, décentralisée à l’extrême et conjuguée au
travail de la terre. La deuxième activité de ce type est celle qui concerne les articles en
métal comme les outils, armes, serrures, horloges, pièces des bateaux, charrettes, charrues,
ustensiles ménagers, etc., c’est-à-dire la petite métallurgie. Ce système fonctionne grâce
au marchand-manufacturier qui collecte la production auprès des familles pour la vendre
en ville, paie les producteurs, contrôle la qualité, et fournit les matières premières dont il
est propriétaire. Peu à peu, le fabricant va tomber sous la domination du marchand
capitaliste qui lui fait des avances avec les fonds, les produits bruts et l’outillage, et il va
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devenir un salarié sans cependant être encore soumis à la discipline de l’usine. Les salaires
à la pièce vont baisser au fur et à mesure que la dépendance vis-à-vis du marchand-
manufacturier s’accroit. La transition vers le système de la manufacture s’est faite
lentement et n’a abouti qu’à la fin du 19ème siècle. La logique de la mécanisation qui a
favorisé la concentration de la factory system a fini par s’imposer : l’usine est devenue
commune en Angleterre et ensuite dans les pays du Continent. Le nouveau mode de
production se caractérise par la concentration et le contrôle des travailleurs, une taille et
un volume de production plus importants, la division du travail, la mécanisation, et une
source d’énergie nouvelle, le charbon. Au lieu de payer à la pièce (cas où l’entrepreneur
ne peut contrôler ni le travail ni la qualité des matières premières), l’employeur va payer
à l’heure ou à la journée parce qu’il peut contrôler le temps de travail des salariés. Depuis,
l’unité de production devient la firme seule et elle se différencie de l’unité de
consommation, le foyer, contrairement au système domestique où elles étaient
confondues, ce qui implique un changement radical dans les modes de vie annonçant les
sociétés modernes. On observe assez souvent que les grandes régions européennes qui
s’industrialisent au 19ème siècle connaissent d’abord cette phase proto-industrielle ; ce qui
laisse penser que cette étape puisse préparer à l’industrialisation proprement dite. La
proto-industrie enrichit non seulement le marchand urbain, mais aussi une partie du monde
rural, principalement les plus riches agriculteurs et les propriétaires fonciers.
L’accumulation des capitaux rend alors plus facile le passage à la constitution d’ateliers
et à la mécanisation. Cette forme d’activité est aussi un apprentissage du négoce, et c’est
à cette Ecole que se recrutent les premiers patrons d’industrie. Ces régions présentent,
enfin, l’avantage de fournir sur place une main-d’œuvre qualifiée et d’un coût relativement
faible. Quatre conditions permettre de définir la proto-industrie : une industrie rurale
réalisée dans un cadre domestique, une complémentarité entre les activités industrielles et
les structures agricoles, une relation étroite entre les villes et les campagnes et une
production finale destinée au marché extra régional, voire extra national, contrairement à
l’artisanat traditionnel.
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1.2.3- Une économie basée sur l’énergie humaine ou animale, hydraulique ou éolienne
Les systèmes énergétiques évoluent très peu entre le 11è et le 18è siècles. Dans cet
intervalle, le mouvement reposait essentiellement sur la force musculaire (humaine ou
animale) et sur les énergies éolienne et hydraulique. On peut dire que l’économie pré-
industrielle est celle d’une culture du moulin à vent ou à eau (hydraulique à roue verticale
ou horizontale).Exemple par excellence de proto-industrie, l’activité textile noue des
relations très étroites avec les campagnes. Dès le 16ème siècle, les ateliers ruraux se
chargent des opérations les plus simples, nécessitant le moins de capitaux comme la
filature, ou le tissage du lin ou du chanvre. Cette organisation n’exclut pas l’existence de
grandes unités de production. A partir de la fin du 16ème siècle, des « proto-fabriques »
réunissent dans un même lieu de nombreux ouvriers. Le travail reste manuel mais la
concentration permet déjà la réalisation d’économies d’échelle.
L’économie préindustrielle est une économie relativement fragile dont les tendances de
long terme comme de court terme s’expliquent davantage par des facteurs exogènes. Elle
est également caractérisée par des crises d’ancien régime économique et bornée par
l’absence de véritables marchés.
Dans les sociétés préindustrielles, le rythme de l’évolution économique est dicté par le
déséquilibre hommes-ressources. La récession s’explique par une insuffisance de
ressources, avec une offre inférieure à la demande. Elle se caractérise par des famines
meurtrières faisant suite aux mauvaises récoltes, des épidémies et des guerres. A l’inverse,
la reprise s’explique par un excédent de ressources sur la demande dû à l’effondrement
démographique qui a inversé le rapport terre/travail, la terre devenant relativement
abondante par rapport au travail. Les rémunérations des survivants vont s’élever
(doublement voire triplement) en termes réels du fait de la rareté de la main d’œuvre.
L’augmentation de la production agricole qui s’en suit permet donc une amélioration du
niveau de vie de la population. Cependant, une obscure force de rappel a toutefois
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condamné les phases d’expansion à céder la place à de longues années de dépression. La
tendance haussière des prix à long terme s’explique elle aussi par la plus ou moins grande
disponibilité des métaux précieux alors que les fluctuations du niveau des prix à court
terme s’expliquent par les mauvaises conditions climatiques. Les prix augmentent
sensiblement durant le 16è siècle (de 1475 à 1598), stagnent ou augmentent très
légèrement durant le 17è siècle (entre 1598 et 1690), augmentent de manière encore très
sensible au 18è siècle et dans les deux premières décennies du 19è siècle. Ces fluctuations
de longues durées sont essentiellement dues à des phénomènes monétaires car l’arrivée
des métaux précieux déséquilibre les rapports entre la masse monétaire et la production,
conduisant à des phénomènes inflationnistes. A cela, il faut ajouter la production
domestique européenne d’argent qui a repris au 16è siècle de même que les manipulations
monétaires des princes et l’apparition de la monnaie papier. Le mouvement des prix dans
le court terme dépend également des facteurs exogènes. Les guerres qui ont occupé plus
d’années que la paix (les guerres des religions de 1562-1598, la guerre des trente ans et
ses prolongements de 1635-1659) et les nombreuses guerres de Louis XIV de 1668-1714,
les famines et les épidémies, ont imprimé aux économies préindustrielles leur rythme.
1.3.2- Une économie caractérisée par des crises d’ancien régime
Les crises d’ancien régime économique sont celles qui touchaient les économies
occidentales avant le processus d’industrialisation ou au moment de son émergence. Elles
sont fondamentalement différentes dans leurs causes et dans leurs manifestions. Ce sont
des crises du système capitaliste arrivé à maturité. Ce sont des crises de sous production
ou de surproduction agricole, elles-mêmes dues à des factures exogènes et conduisent
souvent à des famines (sous nutrition) et disettes (malnutrition). Dans le cas d’une crise
de sous production agricole, le point de départ est la baisse de la production agricole
provoquée généralement par de mauvaises conditions climatiques. L’offre de la
production agricole aura tendance à être inférieure à la demande ; s’en suit une hausse des
prix d’autant plus forte que la demande est inélastique et que les quantités offertes sur le
marché sont diminuées de l’autoconsommation. La hausse des prix agricoles se généralise
à tous les produits agricoles, même ceux qui ne sont pas touchés par la mauvaise récolte,
soit par effet de substitution, soit par l’augmentation des coûts de production induits par
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la hausse initiale. La hausse des prix agricoles ne compensant pas la baisse des quantités
vendues, les revenus agricoles diminuent entraînant la réduction des débouchés pour les
produits industriels et artisanaux. Dès lors, l’offre des produits artisanaux et industriels a
tendance à être supérieure à la demande entraînant à son tour un effondrement des prix
artisanaux et industriels. La crise se répand en ville où elle se manifeste sous ses formes
les plus violentes. Les difficultés des industries et des activités artisanales débouchent sur
la hausse du chômage et celle-ci sur la baisse des salaires. Les ouvriers des villes sont
donc confrontés à l’écroulement de leur pouvoir d’achat s’ils ont la chance de conserver
leur emploi ou à la misère la plus absolue s’ils sont au chômage. Cette crise aura
également une conséquence démographique avec un accroissement de la mortalité et à
terme, une diminution de la population.
1.3.3- Une économie bornée par l’absence de véritables marchés
INDUSTRIELLE EN EUROPE
La Renaissance fait référence à une période de l’histoire de l’Europe entre le 14è et le 16è
siècles correspondant à une sorte de révolution culturelle, une période favorable au
renouveau de la littérature, de la peinture, de la science, du commerce et de l’art. Ce fut
aussi un moment où l’Europe a compris que sa culture était une parmi tant d’autres,
coexistant et en interaction avec d’autres cultures, situation favorable à la réceptivité et à
l’assimilation des autres cultures. Grâce à son esprit d’ouverture vers le monde extérieur,
la civilisation européenne était une des plus avancées, sinon la plus avancée sur le plan
scientifique et technique. L’algèbre arabe, l’imprimerie chinoise, la pomme de terre et le
maïs venus d’Amérique, l’intérêt pour les rapports des civilisations antiques et bien
d’autres emprunts fécondés par les recherches originales des européens des 16è et 17è
siècles ont conduit la société européenne du début du 18è siècle à un niveau que n’avaient
probablement pas atteint d’autres civilisations auparavant sans toutefois que l’écart dans
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ce domaine soit important entre l’Europe et l’Asie. L’Europe avait la suprématie
incontestable dans le domaine maritime et militaire ce qui lui a permis d’entreprendre
l’aventure coloniale. La découverte des Amériques et l’ouverture d’un commerce direct
vers l’Inde et la Chine entrainent un brassage général des cultures et des modes de vie qui
changeront la face du monde. Les échanges de produits entre les continents bouleversent
l’agriculture et l’industrie. Trois conditions sont donc réunies pour voir le progrès
technique s’épanouir : un milieu favorable à la science en lieu et place du règne de la
tradition et de la superstition, l’existence des stimulants pour récompenser les inventeurs
ou les innovateurs, une société ouverte et diverse où les opposants potentiels aux
changements ne sont pas en position dominante.
Les progrès des transports maritimes comme le développement des colonies du « Nouveau
Monde » ainsi que des ports et comptoirs de l’Inde et des côtes africaines modifient
profondément les échanges. Au 15è siècle, les économies sont cloisonnées en autant
d’économies-mondes que de zones d’échanges. La Méditerranée est un espace encore
dynamique dominé par les villes marchandes comme Venise et Gènes (Italie). La Mer du
Nord est aussi une aire prospère avec le réseau des villes comme Hanse, Hambourg,
Lübeck et Brême (Allemagne). Sans relation avec l’occident, l’Inde et la Chine constituent
des ensembles économiques cohérents. Du 16è au 18è siècles, le centre de gravité de
l’économie européenne se déplace de la méditerranée vers la façade Atlantique d’abord
Séville (Espagne), puis Anvers (Belgique), Amsterdam (Pays –Bas) et Londres
(Angleterre). Progressivement, le désenclavement économique conduit à la fusion des
anciennes économies-mondes, aboutissant déjà à une « économie mondiale ». La
découverte des Amériques et l’ouverture d’un commerce direct avec l’Inde et la Chine
entrainent un brassage général des cultures et des modes de vie qui changeront la face du
Monde. Les échanges des produits entre les continents bouleversent l’agriculture et
l’industrie. En Amérique, les produits inconnus apportés par les espagnols sont implantés
et en sens inverse, les produits américains sont introduits en Europe, en Asie, en Afrique.
Une espèce de complémentarité globale modifie des régimes alimentaires et introduit une
diversification, un arbitrage écologique planétaire qui sera le prélude à une véritable
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révolution agricole et démographique à l’échelle du monde. C’est dans ce contexte que se
met en place le « commerce triangulaire » Europe-Afrique-Amérique qui donne lieu à des
profits considérables à l’Europe. La fortune des ports de commerce comme Lisbonne
(Portugal), Bordeaux et Nantes (France), Liverpool (Angleterre), Amsterdam (Pays-Bas)
vient en partie de cette « traite des noirs ».
2.2.3-Le mercantilisme comme idéal économique
L’idéal économique dominant de cette époque de transition entre le Moyen Age et l’Ere
industrielle est celui qu’on a qualifié plus tard de mercantilisme. L’école mercantiliste est
caractérisée en histoire de la pensée économique par cette relation de causalité qu’elle
établit entre la puissance de l’Etat et sa richesse accumulée sous forme de métaux précieux
(or et argent). La puissance politique et économique se mesure donc à la détention d’un
stock de métaux précieux plus important que celui des autres Etats. Or et argent sont des
richesses privilégiées du fait de leur caractère intrinsèque (maniabilité, forte valeur par
unité de poids, etc.). L’abondance de l’or et l’argent confère à l’Etat une puissance sur le
plan politique et sur le plan économique car elle stimule le commerce et l’activité
économique. Logiquement, si la puissance politique et le bien-être économique passent
par une grande capacité d’accumulation d’or et d’argent, la problématique de la politique
économique devient celle de la mise en œuvre de mesures visant à accroitre la capacité
d’accumulation des réserves, et à minimiser autant que possible les sorties de devises. La
recherche justement de l’accumulation de ces métaux précieux conduit à l’apparition de
réseaux commerciaux à travers le monde. Le commerce extérieur est apparu précisément
comme un des principaux moyens pour se procurer l’or et l’argent. Dans ces conditions,
les mercantilistes, préconisent une politique active d’exportation, source de devises et
naturellement, une politique restrictive d’importation, source de dépense de devises. En
comparaison avec le commerce intérieur qui ne peut entraîner un accroissement de la
quantité d’or ou d’argent, le commerce extérieur, selon les mercantilistes, aurait la vertu
d’accroître le stock d’or et d’argent si le total des créances sur l’étranger dépasse le total
des dettes, si les exportations sont supérieures aux importations. Ainsi, pour ce courant
de pensée, les exportations ont-elles une importance fondamentale et constituent une
source unilatérale d’enrichissement de l’Etat, puisque, elles seules sont à même d’accroitre
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le stock de richesse. Au contraire, les importations constituent une ponction sur ce stock
et par conséquent doivent être réduites au strict minimum indispensable. A noter que
jusqu’aux débuts de l’Epoque moderne, l’Etat intervient très peu dans l’économie. Au
18ème siècle, il n’y a pas encore de politique industrielle ni de régulation de l’activité
économique, et encore moins, de secteur productif public. La Grande-Bretagne est le seul
cas avec la France, d’industrialisation spontanée sans intervention de l’Etat, ce qui n’est
guère surprenant puisque personne ne savait alors ce qui était l’industrialisation.
L’apparition des doctrines mercantilistes est parallèle avec la naissance des Etats
modernes, sédentarisés, centralisés, qui possèdent pour la première fois des moyens de
règlementation et de contrôle ainsi qu’un système fiscal à mesure de leurs ambitions
(normes de fabrication en Espagne, restrictions quantitatives et droits de douane en
France, industries de substitution aux importions en Hollande, « poor laws » et « corn
laws » en Grande Bretagne). Dans ce contexte, la mise en œuvre des premières politiques
libérales telles la tentative de libéralisation du commerce des grains en France en 1763
connaissent un échec total. De même en 1774, la tentative d’instaurer la libre circulation
des blés à l’intérieur du Royaume uni tout en autorisant l’importation des céréales
étrangères, la libéralisation du commerce intérieur des vins par la suppression des
corporations furent également un échec. Ces tentatives rencontrent une forte opposition
des populations (Guerre des farines de 1775 en France) qui accusent l’Etat de passer « un
pacte de famine » avec des spéculateurs. Le débat sur le commerce libre est relancé au
18ème siècle par les auteurs classiques, plus particulièrement autour de l’abolition des
« poor laws » et des « corn laws » qui ne voit sa concrétisation qu’au début du 19ème siècle.
Partant du fait que les pays du capitalisme commercial et financier des 16è et 17è siècles
tels que la Hollande, l’Italie, l’Espagne et le Portugal n’ont pas été les pionniers de la
révolution industrielle mais plutôt l’Angleterre, la France et l’Allemagne qui n’étaient pas
des puissances commerciales à l’époque, certains auteurs (Paul Bairoch, 1972) en
déduisent que les premiers entrepreneurs tout comme les premiers financements qui ont
été à la base de la révolution industrielle seraient venus du secteur de l’agriculture. Si les
agriculteurs ont été les premiers entrepreneurs de la révolution industrielle, cela s’explique
par la faiblesse de la valeur du capital nécessaire au lancement d’une entreprise d’une
part, et d’autre part par le fait que le capital par tête nécessaire est comparativement plus
faible dans l’industrie que dans l’agriculture à cause du niveau peu avancé des techniques.
Selon les pays et la période, la statistique indique que le rapport capital/travail était de 1 à
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9 mois de salaire moyen masculin dans l’industrie par rapport à l’agriculture pour le
Royaume-Uni vers 1810, 1 à 8 pour la France vers 185, de 1 à 6 pour la Belgique vers
1850, de 1 à 2,5 pour les USA vers 1880, de 1 à 8 pour le japon vers 1905.
INDUSTRIELLE EN ANGLETERRE
L’histoire économique nous montre que dans la quasi-totalité des pays qui ont amorcé leur
démarrage au 18ème siècle et au 19ème siècle, c’est l’accélération des progrès du secteur
agricole qui a précédé celle du secteur industriel. En fait, il n’y aurait pas eu de révolution
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industrielle en Angleterre entre 1750-1760 sans la révolution agricole qui l’a précédée aux
environs de 1700. En France, ces dates se situeraient entre 1750-1760 pour la révolution
agricole et entre 1820-1830 pour la révolution industrielle. En effet, au moment où arrive
la grande industrie, l’agriculture moderne était déjà fondée. La révolution industrielle est
avant tout une révolution agricole qui, dans les sociétés où elle s’est produite a permis et
suscité un développement sans précédent du secteur industriel et minier. Trois variables
pertinentes permettent d’analyser la révolution agricole : le surplus agricole, les
techniques agricoles et les mesures institutionnelles sur la propriété foncière.
La comparaison entre régions différentes dans le temps et dans l’espace montre qu’il y a
absence d’écart significatif entre les divers niveaux de développement économique des
diverses sociétés non primitives comme une constante de l’histoire depuis quelques
millénaires. Puis, tout d’un coup, vers 1700, toute la structure économique anglaise
commença à subir des mutations très rapides. En moins de deux siècles, le niveau de vie
des trouve multiplié par 15, on a assisté à un développement sans précédent des
techniques, l’extension des marchés, la spécialisation du travail, l’urbanisation,
l’apparition des usines, etc. Ce que les historiens ont appelé Révolution industrielle
débutait.
38
3.2.1-Le progrès technique, première caractéristique de la révolution industrielle
Parler de révolution industrielle évoque immédiatement les inventions qui ont permis de
passer du stade artisanal au stade de l’industrie moderne. L’outil manuel a été peu à peu
remplacé par la machine grâce aux perfectionnements technologiques et à l’utilisation de
la vapeur comme source d’énergie. Bien avant le 18è siècle, il y a eu des inventions car le
néolithique et les civilisations antiques ont laissé à la postérité des inventions majeures
parmi lesquelles on peut citer la roue, l’écriture, la monnaie, les outils agricoles, le travail
des métaux, les dispositifs mécaniques, les lois protégeant les propriétés privées, les
contrats, etc. D’après Maurice DOBB, il y a eu 17 inventions majeures au 17è siècle, 43
au 18è siècle et 108 au 19è siècle mais malgré tout, les civilisations antiques ont connu
un déclin à cause de la faible diffusion des inventions et par conséquent, une absence de
croissance économique. Les découvertes en grappes et leur mise en œuvre constituent une
caractéristique distinctive de la révolution industrielle. En effet, pour qu’il y ait révolution,
il faut que les inventions se propagent en créant des effets d’entraînement qui bouleversent
la structure existante et amorcent la croissance économique. Tel fut précisément le cas des
inventions qui ont été réalisées en Angleterre au 18è siècle et qui lui permettront d’amorcer
sa révolution industrielle. Selon Paul Bairoch, la révolution industrielle anglaise, c’est
l’industrie textile + l’industrie de fer + la machine à vapeur tandis que Brasseul estime
que c’est le coton + le fer + le charbon + la vapeur. Les quatre secteurs clé de la révolution
industrielle (coton, fer, charbon et vapeur) exercent des effets d’entraînement les uns sur
les autres. L’impulsion initiale vient du coton car les machines textiles et machines à
vapeur sont construites par les industries mécaniques qui ont besoin elles-mêmes du fer
produit par les fonderies et des forges donnant naissance à des cokes (combustible obtenu
par distillation de la houille et ne contenant qu’une très faible fraction de matière volatile)
qui font fonctionner les machines à vapeur, lesquelles font tourner les métiers textiles, les
pompes des mines de charbon, les soufflets et les marteaux des forges, et même les
machines des industries. Au 19è siècle, la combinaison fer-charbon – vapeur va trouver
sa principale application dans le chemin de fer qui remplace le coton comme industrie
motrice et donnera son second souffle à la révolution industrielle en Angleterre.
39
3.2.2-Les principales inventions qui ont impulsé la révolution industrielle
Les transformations dans l’industrie sont impulsées par le secteur des textiles à partir des
deux moments du processus de production : la filature et le tissage. En effet, les progrès
techniques sont venus de la nécessité de lever les contraintes qui pesaient tantôt sur l’étape
de tissage, tantôt sur l’étape de la filature. C’est dans la filature du coton que les progrès
techniques apparurent car les fileurs arrivaient difficilement à répondre aux besoins des
tisserands et il faillait cinq fileurs pour produire le fil nécessaire au travail du tisserand.
Apparurent donc dans le secteur du textile, certaines inventions importantes. La navette
volante de John KAY en 1733, diffusée dans le tissage du coton vers 1760 et qui a permis
d’améliorer la productivité d’environ 30%. La machine à filer Spinning Jenny mise au
point par HARGREAVES en 1765, adaptée aux petites productions qui permet de
conjuguer le travail manuel et le machinisme. Le machine hydraulique de Richard
ARKWRIGHT de 1767 utilisée dans l’énergie et nécessitant des installations lourdes qui
est destinée aux grosses structures. La mule Jenny de CROMPTON de 1777 qui est une
sorte de croisement des deux précédentes inventions car elle est complète et mécanisée.
La technique de l’impression mécanique des tissus a été mise au point par Alexander
Graham BELL en 1783. Les métiers à tisser mécaniques inventés par CARTWRIGHT en
1785 vont remplacer les navettes volantes de KAY et permettront une nouvelle
progression de la production de tissu. Le secteur de la métallurgie connaît lui aussi des
bouleversements techniques à la même époque comme la substitution du coke au charbon
de bois pour alimenter les hauts fourneaux et produire la fonte. On peut citer en exemple
l’invention du puddlage (procédé que l’on utilisait pour obtenir du fer ou un acier à basse
teneur en carbone par brassage d’une masse de fonte liquide avec une scorie oxydante
dans un four à réverbère, c’est-à-dire un dispositif à réflecteur pour l’éclairage des lieux
publics) par Henry CORT en 1783. La même année, Henry CORT remplace le marteau
hydraulique par le laminoir pour accélérer la fonte du fer. Peter ONIONS, Henry CORT
mais aussi le fabricant de la poterie de fonte Abraham DARBY ont mis au point des
techniques de traitement de sorte qu’entre 1760 et 1788 la production de fonte a doublé et
quadruplé au cours des vingt années suivantes. Le développement de l’industrie du fer
nécessitait la mise à disposition en amont d’une source d’énergie plus productive que le
40
bois dont la raréfaction commence à se faire sentir par la surexploitation des forêts en
Angleterre. Ainsi, la machine à vapeur est apparue comme le deuxième souffle de la
révolution industrielle en Angleterre. Quelques noms circulent parmi les inventeurs dans
ce domaine. La première machine à vapeur fut l’œuvre d’un simple empiriste Thomas
SAVERY en 1698. Le fondeur et forgeron NEWEOMEN en rajouta vers 1710, toujours
en tant que non scientifique. Le dépôt par James WATT en 1769 du brevet d’invention
d’une machine à vapeur avec condenseur séparé marque l’implication des premiers
scientifiques. Le premier ingénieur SEATON et les scientifiques comme WATT et
BOULTON ont mis au point de véritables machines à vapeur qui vont s’imposer jusqu’aux
années 1780. Après l’industrie textile et la métallurgie, le deuxième domaine d’application
de la machine à vapeur est le secteur des transports, notamment ferroviaire et maritime.
Quelques repères chronologiques permettent de mesurer l’importance des faits. Le
premier essai de locomotive à vapeur (20 km/h à vide et 8 km/h avec une charge de 6
tonnes) par l’ingénieur anglais Richard TREVITHICK en 1804. L’expérimentation de la
locomotive à roue dentée qui s’accroche à une crémaillère extérieure à la voie par John
BLENKINSOP pour le transport des matières premières en 1812. L’invention du procédé
macadam (formé de pierres concassées cylindrées et agglomérées avec un agrégat
sableux) pour revêtir les chaussées vers 1820. La création d’une première usine de
locomotives à Newcastle en Angleterre en 1823. La première ligne de chemin de fer qui
relie Stockton à Darlington en Angleterre, créée par Georges STEPHENSON est ouverte
au public en 1825. Le dépôt de brevet par Marc SEGUN suite au perfectionnement des
locomotives de Stephenson en 1828. La même technique a permis à Stephenson et ses fils
de mettre au point une machine à grande vitesse, la Rochet, qui atteint 56 km/h en 1829.
L’invention de l’hélice par Frédéric SAUVAGE en 1832 et appliquée en 1843 pour la
première fois donne un avantage décisif au moteur à vapeur sur la voile dont la part
décline vers la fin du siècle. Les travaux du percement du canal de Suez qui relie Saïd au
Golfe de Suez (162 km de long, 190 m de large et 20 m de profondeur) qui ont débuté en
1859 et le canal a été inauguré le 27 novembre 1869 par l’Impératrice Eugénie.
L’achèvement de la première ligne de chemin de fer qui relie l’Est et l’Ouest des Etats-
Unis en 1869.
41
3.2.3-Les principaux effets de la révolution industrielle en Angleterre
Trois faits marquants ont apparu en Angleterre pendant et après la révolution industrielle.
D’abord, l’émergence du pays en tant que première puissance économique, commerciale
et financière, ensuite le triomphe du courant libre-échangiste et enfin, l’amélioration des
niveaux de vie. Grâce à la révolution industrielle, l’Angleterre est devenue la première
puissance industrielle, maritime et commerciale. La production de fonte atteint 6 millions
de tonnes en 1870, un peu plus de la moitié de la production mondiale. Le pays produit
les ¾ des navires lancés dans le monde dans les années 1880. Le ¼ du commerce mondial
passe par les ports britanniques. La population, quant à elle, est en essor (11 millions en
1811, 17 millions en 1851). Sur le pan industriel, on note 40% des produits manufacturés
au monde sont anglais en 1880. Bien que le protectionnisme était présent en Angleterre
comme partout ailleurs, notamment à travers les multiples lois dont les « corn laws », il
faut relever que la révolution industrielle a fini par connaître la victoire du libéralisme sur
le protectionnisme. La bataille pour le libre-échange et contre le protectionnisme est une
bataille qui oppose les intérêts des industriels des propriétaires terriens. L’analyse réussit
à démontrer que les niveaux de vie et les emplois dépendent largement du commerce
international, que le libre-échange conduit à des salaires réels plus élevés, des créations
d’emplois et l’augmentation des exportations, que le libre-échange profite plus aux
catégories pauvres que le protectionnisme, que les droits à l’importation sur le blé sont
impopulaires car ils constituent une taxe sur la nourriture des pauvres au profit des riches .
Ainsi, le renforcement des libéraux à la Chambre des Représentants en 1832 a favorisé
d’adoption du libre-échange et l’année 1840 sera celle de l’avènement du libre-échange
unilatéral. La révolution industrielle, c’est aussi l’élévation des niveaux de vie en
Angleterre. Le taux de croissance économique du produit total de l’ordre de 0,70% entre
1700-1760, de 0,60% entre 1760-1780, de 1,40% entre 1780-1800 et de 1,90% entre 180-
1831. L’examen de l’évolution des salaires réels dans le temps montre que ceux-ci ont
baissé pendant la révolution industrielle et c’est seulement à partir des années 1840 qu’une
augmentation régulière se manifeste. Les indicateurs sociaux montrent que l’éducation
tend à s’améliorer et que l’analphabétisme recule. La mortalité infantile diminue,
l’espérance de vie à la naissance passe de 35 ans en 1760 à 53 ans en 1911. En conclusion,
42
on peut dire si la révolution agricole a donné l’impulsion à la révolution industrielle, cette
impulsion initiale a débouché sur un processus complexe de développement généralisé et
auto-entretenu. Celui-ci a été rendu possible grâce à une série d’interactions entre les
progrès agricole et industriel, entre ces deux progrès et l’économie, entre le progrès
agricole et divers aspects de la vie sociale. Il s’agit alors d’une étape de développement
où la structure traditionnelle appartient déjà au passé et où l’industrie déjà en place et
largement avancée trouve en elle-même ainsi que dans les techniques qu’elle a créées des
foyers d’impulsion à de nouveaux développements.
3.2.4- Les coûts sociaux de la révolution industrielle
Bien qu'il y ait des traits communs dans l'histoire de l'industrialisation de la France et de
la Grande Bretagne, notamment les transformations dans l'agriculture, les inventions et les
innovations techniques, les secteurs moteurs, le développement des transports, etc., il est
difficile de parler de « révolution industrielle » en France. En effet, l'histoire économique
de la France a été caractérisée par une transformation lente des techniques de production
et des structures que par un « décollage » de la croissance. On peut ainsi distinguer dans
l'histoire économique de la France, de la fin du 18ème siècle au début du 20ème siècle, trois
périodes d'accélération : 1796-1844, 1855-1884 et 1895-1913. A la différence de
l'expérience de l'Angleterre, la démographie a joué un rôle moins déterminant en France.
En effet, comparativement à celles des autres pays d'Europe, la population française a
connu une croissance plus faible entre la fin du 18è et le début du 19è siècles, résultat
d'une baisse du taux de natalité beaucoup plus importante que dans les autres pays
européens tandis que le taux de mortalité a diminué moins vite que dans ces mêmes pays.
La rareté du fer et du charbon et leur prix élevé constitue une autre caractéristique
distinctive de la révolution industrielle en France. Du fait de la rareté des mines de charbon
en France, l'utilisation du charbon de bois comme énergie dans la production de la fonte
va subsister jusque dans les années 1850-1860, plus longtemps qu'en Angleterre et en
51
Belgique. L'insuffisance de l'approvisionnement en charbon (41 millions de tonnes contre
265 millions de tonnes en 1913 en Angleterre) fait que la sidérurgie est handicapée et
l'énergie hydraulique reste dominante dans l'équipement des machines textiles (en 1845,
2/3 des équipements textiles sont actionnés par l'énergie hydraulique contre 1/3 pour la
vapeur).
4.1.1- Le développement de l’agriculture et l’industrialisation de la France
La plupart des auteurs estiment que ce n'est qu'à partir de 1750 que l'agriculture française
va réviser peu à peu des méthodes de travail qui n'avaient pas changé depuis le Moyen
Age. L'influence anglaise se fut sentir et les méthodes déjà utilisées en Grande Bretagne
furent adoptées en France. La jachère est supprimée pour être remplacée par des fourrages
artificiels (21% des terres cultivables sont consacrées à la jachère en 1840 contre 18% en
1852 et 10% en 1880), les céréales occupent plus de la moitié des cultures, des rotations
complexes sont adoptées et le bétail est élevé de manière plus rationnelle (amélioration
des méthodes d'élevage, suppression des droits de vaines pâtures et de parcours), on
augmente la surface cultivée en défrichant et en asséchant les marais. Toutefois, la France
na pas connu, comme l'Angleterre, la « révolution des clôtures » et n'a pas bénéficié d'une
hausse importante de la productivité agricole dès le 18è siècle. La révolution de 1789 a
entraîné le renforcement de la petite propriété de sorte que la grande propriété a coexisté
en France avec la petite : 68% des fermes ont moins de 10 ha en 1852 et 84% en 1908,
conséquence du rejet du projet de la loi du 10 février 1826 relative au droit d'aînesse. Il
faut attendre la seconde moitié du 20è siècle (1960 grâce aux contraintes du marché
commun européen) pour que s'amorce un réel processus de la concentration de la propriété
foncière agricole en France. La prospérité agricole souffrait dès cette époque du
renouvellement favorable au progrès technique et les grands propriétaires n'ont pas
manifesté le même intérêt aux méthodes de production que leurs homologues anglais. Que
le progrès agricole ait été amorcé bien avant le début de l'industrialisation, cela na fait
l'objet d'aucun doute mais l'ampleur de ce progrès n'a pas été aussi importante qu'en
Angleterre. Si l'amorce du progrès technique dans l'agriculture a favorisé le démarrage
industriel, la lenteur de l'évolution ultérieure du secteur agricole et la stagnation
démographique n'ont fait que freiner le développement de l'industrie. Comme pour
l'Angleterre, l'industrie textile et l'industrie du fer ont été les deux premières industries
52
motrices dans le passage d'une économie artisanale à une économie industrielle en France.
Le textile occupe la moitié des effectifs industriels et les industries se spécialisent à
l'exportation dans les produits de haute qualité comme les soieries et diverses cotonnades.
La Normandie et l'Alsace sont deux grandes régions du travail du coton, la laine connaît
une expansion rapide autour de Roubaix où elle est mécanisée et connaît des innovations
dans les années 1830 avec le mélange de fibres de coton et de laine. En ce qui concerne la
sidérurgie, malgré la pauvreté en charbon, la production augmente rapidement pour
répondre aux besoins de l'industrialisation (1 million de tonnes en 1815 contre 5 millions
en 1847). La production de fonte au coke dépasse celle du charbon de bois bien que les
hauts fourneaux au bois représentent encore en nombre la majorité (433 sur un total de
500 en 1837). La production de machines à vapeur entraînée par les débuts du chemin de
fer connaît un boom (600 en 1830 contre 5000 en 1847). Dans le domaine du textile, deux
noms traversent l'histoire industrielle de la France. D'abord John KAY venu de
l'Angleterre, s'installa en 1747 à Paris où il se mit à fabriquer des navettes volantes et en
enseigna l'usage aux tisserands français. Ensuite, le grand manufacturier des années 1740
John HOLKER, un autre anglais venu de Manchester, évadé de la prison de Newgate en
1746 à la suite du soulèvement des catholiques de 1745, contribua au développement de
l'industrie textile en Normandie en fondant à Rouen une fabrique de velours -de coton. On
doit également le développement de la sidérurgie à deux noms. D'abord le jeune ingénieur
français Gabriel JARS, envoyé en 1764 par le gouvernement en Angleterre pour étudier
les méthodes de production du fer et de l'acier, ensuite le technicien anglais William
WILKINSON installé par le gouvernement français pour organiser une fonderie de canons
près de Nantes. Ainsi, les hauts fourneaux de Creusot dont les travaux ont commencé en
1782 sont achevés en 1785 et la première coulée de fonte eu lieu le 11 décembre 1785.
Les nombreux effets d'entraînement qui existent entre ces deux branches industrielles
motrices ont certes permis le démarrage économique de la France, mais c'est surtout le
traité commercial franco-britannique signé le 23 janvier 1860 qui a marqué le coup d'envoi
d'une accélération de la libéralisation des échanges internationaux.
53
4.1.2- La libéralisation des échanges et le développement des transports en France
La stratégie britannique d'un démantèlement unilatérale de toute forme de protection
(abolition des corn laws et autres taxes à partir de 1846) semble se révéler très vite payante.
Au début des années 1850, le développement du commerce extérieur britannique paraît à
l'origine d'une accélération de la croissance. En France, certains entendent imiter cette
stratégie. Dès le début des années 1850, la France met en œuvre une réduction du niveau
moyen de ses droits de douane qui provoque un véritable décollage de l'ouverture
commerciale. Après de longues négociations conduites dans le secret par l'économiste
Richard COBDEN du côté anglais et Michel CHEVALIER du côté français (encouragé et
soutenu par Napoléon III malgré l'opposition de certains nobles et grands propriétaires),
le traité commercial, conclu pour un période de 10 ans, s'accompagne en France d'une
réduction immédiate et très substantielle du taux moyen de prélèvements (11,8% en 1859
contre seulement 5,3% en 1861). Le traité commercial impose, aussi et surtout, la clause
de la nation la plus favorisée aux deux partenaires et ouvre ainsi la voie à un large
abaissement négocié des barrières douanières ailleurs en Europe. La France signe donc
avec la Belgique et la Turquie en 1861, le Zollverein en 1862, l'Italie en 1863, la Suisse
en 1864, la Suède, la Norvège, les Pays-Bas et l'Espagne en 1865. Dans le cas de la France,
la libéralisation des années 1860 provoque incontestablement une accélération de
l’ouverture commerciale même s’il est difficile de séparer l’influence de la baisse des
coûts de transport et celle de la réduction des tarifs. Paul Bairoch (1994) défend la thèse
d’un échec de cette expérience de la libéralisation. Il tente de faire le lien entre
ralentissement de la croissance du produit agricole et du produit intérieur brut à partir du
début des années 1860 et l’assouplissement de la politique commerciale. Il met en avant
la progression des importations de produits manufacturés et de produits agricoles. Dans le
secteur agricole, une concurrence plus vive aurait restreint les débouchés internes pour les
producteurs nationaux et entrainé une baisse relative et absolue des prix agricoles. La
diminution des revenus agricoles (les paysans représentent encore environ la moitié de la
population totale) aurait entrainé un freinage de la demande adressée à l’industrie (textile,
biens de consommation, etc.) et par conséquent de la production industrielle. Loin de
stimuler l’innovation, la compression de la demande l’aurait au contraire freiné si l’on en
juge par le « creux » observable dans l’évolution du nombre de brevets d’invention ainsi
54
que le peu d’évolution de la mécanisation de l’industrie. Selon Jean Charles Asselain
(1994) le traité n’a aucune responsabilité directe dans le recul des positions industrielles
françaises ni à moyen terme (durant la décennie 1860), ni à plus long terme. Ainsi, le solde
commercial déficitaire à partir de 1867 à 1869 et plus encore à partir de 1876 n’a rien
d’anormal pour un pays de vieux capitalisme bénéficiant de revenus extérieurs croissants.
La rupture agricole ne saurait être niée, la progression des importations est réelle entre la
fin des années 1850 et les années 1880 mais comment séparer par exemple l’influence de
la politique commerciale de celle de la réduction importante des coûts de transport
maritime (le coût des frets diminue en moyenne de 2,1% par an entre 1865 et 1885) ?
L’étude des liens entre politique commerciale et croissance économique reste aujourd’hui
encore extrêmement délicate. La politique commerciale est un déterminant parmi d’autres
des échanges internationaux. Les indicateurs de mesure de l’ouverture commerciale
(droits de douanes moyens, recettes tarifaires rapportées aux importations, coefficients
d’ouverture, etc.) sont peu robustes. Les facteurs de la croissance sont eux-mêmes très
nombreux, alors la question serait-elle condamnée à rester ouverte ? A partir du deuxième
quart de XXe siècle, l’intérêt pour les transports grandit, les pouvoirs publics et le monde
financier soutiennent la mise en place de nombreuses infrastructures. A l’amélioration des
traditionnels réseaux fluviaux et routiers, s’ajoute le développement de l’usage de la
vapeur sur terre avec le chemin de fer et en mer. L’expression révolution des transports
désigne ces progrès réalisés au milieu du XIXe siècle en matière de réduction des coûts
de transport grâce à l’extension de l’usage de la vapeur. Ces avancées ouvrent alors la voie
à une intensification des échanges internationaux. L'intérêt pour les transports par voies
d'eau et de terre est apparu très tôt comme en témoignent en France, pour la seule période
moderne : le percement du canal du Midi en 1681, le Rhône et le Rhin sont reliés entre
1822-1834, la Marne et le Rhin entre 1838-1853. La même année, le Canal latéral de la
Garonne dans la Gironde (Bordeaux) est ouvert et, plus tard, le Canal des Houillères est
construit en Lorraine (Metz) entre 1862-1866. Une loi de 1836 prévoit que chaque village
doit être relié par un chemin vicinal à la circulation générale et le réseau des grandes routes
françaises atteint 35 000 km. Entre 1850 -1911, le réseau ferroviaire français passe de
3000 à 44000 km. Le train franchit les Alpes par les tunnels du Montcenis (12,2 km) en
1871, du Saint-Gothard (15 km) en 1882 et du Simplon (19,5 km) en 1905.
55
4.1.3- La remise en cause du libéralisme et le retour du protectionnisme en France
Vers la fin du 19è siècle, on assiste à une remise en cause de la politique d’ouverture
commerciale en France à travers la Loi Méline de 1892. Cette loi votée le 11 janvier 1892
concerne les tarifs douaniers et symbolise la résurgence du protectionnisme en France en
même temps qu’une sorte de conservatisme et de déclin français. La loi Méline établit en
France un double tarif douanier : un tarif général dissuasif et un tarif minimum destiné à
fixer la limite des concessions dans les négociations commerciales internationales. Cette
loi porte le nom de Jules Méline (1838-1925), député des Vosges alors président de la
Commission générale des douanes, ancien ministre de l’Agriculture entre 1883 et 1887.
La loi Méline symbolise le retour du protectionnisme en France en même temps qu’une
sorte de conservatisme et de déclin qui sera caractérisé par un refus de la compétition
internationale ainsi que « le retour à la terre » pour reprendre le titre de l’ouvrage publié
par Méline en 1905. Ces représentations doivent être dissipées en insistant sur le fait que
la loi Méline s’inscrit dans une tendance au durcissement des politiques commerciales
entamées en Europe depuis la fin des années 1870 et surtout que son ampleur est
suffisamment modérée pour préserver une dynamique d’ouverture de l’économie
française. D’autres pays durcissent par la suite leur politique commerciale. En Allemagne,
la coalition « du seigle et de l’acier », c’est-à-dire le rassemblement des intérêts agrariens
et industriels obtient alors du Chancelier Otto Von Bismarck un durcissement de la
politique commerciale pour faire face à une concurrence accrue des pays neufs. Mais en
fait, dès 1877 la Russie, en exigeant le payement en or de ses droits de douanes avait
augmenté de facto son tarif de 32% et la même année, l’Espagne avait déjà mis en place
un système de double tarif. On peut citer d’autres durcissements en Autriche-Hongrie et
en Italie en 1878. En France, le tarif de 1881 provoque déjà une légère hausse du taux
moyen de protection douanière qui passe de 6,5% entre 1878-1880 à 7,1% entre 1882-
1884. La loi Méline de 1892 a pour effet d’élever le taux moyen de protection douanière
de 8,2% sur 1889-91 à 11,4% sur 1893-95. L’ampleur du relèvement reste très limitée
notamment sur le secteur industriel. Si entre 1892 et 1908, 44 lois douanières se succèdent
avant qu’une révision complète ne soit opérée avec le tarif de 1910, le taux moyen de
prélèvements sur les importations non agricoles ne s’établit qu’à 9% au lendemain du tarif
56
de 1910. Ce niveau de protection reste faible au regard de l’histoire de la première moitié
du XIXe siècle et plus encore de celle des années 1930. Le ratio importations de
marchandises sur PIB à prix courants passe de 15,8% entre 1888-91 à 17,2% sur la période
1910-13. La protection sur les produits agricoles est en revanche plus accentuée, le taux
moyen de protection sur les principales importations agricoles passe de 3,3% entre 1881-
84 à 21,3% entre 1893-95. Du coup, les importations de blé qui représentent 19% de la
production sur 1888-92 ne représentent plus que 3% sur 1901-10. Ce renforcement de la
protection de l’agriculture répond à la demande de lobbys tels l’Association de
l’agriculture française fondée une dizaine d’années plus tôt et permet à une 3ème
République vacillante à la fin des années 1880 de s’assurer l’adhésion décisive de la
paysannerie. Pour Paul Bairoch (1994), l’affermissement du protectionnisme à partir de
1892 (en France mais aussi ailleurs en Europe) va de pair avec la fin de la Grande
Dépression. La restauration des revenus agricoles constituerait le canal du retour à une
croissance plus forte. Si la concordance est troublante, le doute persiste, toujours lié à la
complexité des liens entre politique commerciale, échanges internationaux et croissance
économique. Ainsi, convient-il de rappeler que la date de 1892 marque pour beaucoup
d’auteurs, le début d’une « phase A » d’un troisième cycle de Kondratieff fondé sur des
innovations dans les secteurs de la chimie, de l’électricité et de l’automobile.
entre tous les Etats allemands était une condition du démarrage de la croissance
industrielle : la production de diverses industries a été multipliée par 6 en 1850 entre 1834
et 1860, le taux de croissance moyen annuel de la production de biens d'équipement a été
de 6, 3% tandis que le taux de croissance de production de biens de consommation n'a été
que de 2% sur le même période.
Le Zollverein du milieu des années 1830 connaît une véritable anarchie monétaire,
caractérisée par un cloisonnement des systèmes monétaires et une circulation de piège de
toutes sortes dans de nombreux Etats. Cette pluralité monétaire freine les échanges et pose
très tôt la question de l'opportunité d'une intégration monétaire. Une première étape de
l'unification monétaire intervient par le traité de Munich (1837) et la convention monétaire
générale de Dresde (1838). Elle concerna la standardisation des pièces d'argent,
l'unification des normes en matière de contenu en métaux ainsi que l'établissement des
rapports d'échanges simples et constants (parités fixes) entre les monnaies des différents
Etats, en référence au mark d'argent de Cologne. Le processus connaît une nouvelle étape
en 1847 avec l'apparition d'une monnaie commune suite à la création de la Banque centrale
prussienne et l'expansion de la circulation du thaler prussien dans toute la zone. La victoire
militaire des Etats allemands sur la France en septembre 1870 (annexion de l'Alsace-
Lorraine) accélère la dynamique d'intégration. Le 18 janvier 1871 est signé l'acte de
59
fondation de l'Empire allemand. Devenu Chancelier du Reich, Otto Von BISMARCK ne
peut plus envisager d'unification monétaire autre que nationale. L'article 4 de la
Constitution de l'Empire allemand, d'avril 1871, accorde au Reich le privilège de légiférer
en matière monétaire et bancaire. La création du mark-or valant 3 thalers en 1873 est
associée au choix du monométallisme-or par l'Allemagne. La fondation en 1875 de la
Reichsbank dotée d'un monopole d'émission des monnaies d'empire (le Reichsmark sera
l'unité monétaire principale de l'Allemagne de 1924 à 1948 et sera remplacée par le
Deutsche Mark qui restera jusqu'à l’entrée de l'Allemagne dans l'Euro) marque
l'achèvement de l'unification et l'Allemagne s'impose en cette fin du 19è siècle comme
une très grande puissance européenne et mondiale.
4.2.3- De l’industrialisation de l’Empire allemand à sa montée en puissance
Le décalage de l'industrialisation allemande par rapport à l'Angleterre et à la France
explique pourquoi la construction du chemin de fer a pu jouer un rôle moteur dans le
processus d'industrialisation de l'Allemagne. En effet, la demande d'équipement
ferroviaire a entraîné l'expansion de la production du charbon, du fer et de l'acier.
L'industrie allemande s'est orientée dès le départ vers l'industrie lourde. L'Allemagne a été
en tête des pays du continent avec près de 6000 km de voies ferrées en 1850 contre 3000
km en France. Pourtant, ce n'est qu'en 1841 que les premières locomotives furent
construites en Allemagne. Très vite, l'industrie allemande a pu produire des locomotives,
de wagons et des rails, accroître ainsi la production de charbon, de fer et d'acier. La
construction navale s'est développée également de manière importante pendant la période
de décollage entre 1830-1860. La construction des moyens de transport a donc entraîné
l’économie allemande au cours de sa « révolution industrielle ». Venant plus tard
après l’Angleterre et la France, la révolution industrielle en Allemagne a pu bénéficier
des techniques déjà acquis dans les pays voisins. Les initiatives de l’Etat dans le
domaine économique et l’aménagement d’un réseau de voies de communication ont
puissamment aidé l’industrialisation de l’Allemagne et les ressources en charbon et
minerais n’ont pu qu’accélérer le développement d’une économie industrielle qui
allait bientôt dominer le continent européen. L’histoire économique de l’Allemagne
montre que le rôle de l’Etat n’a pas été négligeable dans le processus
d’industrialisation. L’intervention de l’Etat constitue une des originalités principales
60
du développement économique de l’Allemagne à partir de 1871. L’action publique
porte d’abord sur le chemin de fer en aidant son financement et en fixant le tracé
de lignes, puis par la gestion centralisée des lignes et enfin par la maîtrise des
tarifs qui constitue un instrument de politique économique utilisée notamment pour
favoriser l’écoulement des produits agricoles. Par exemple il prend part directement
au démarrage des principales industries en envoyant des missions d’ingénieurs se
former en Angleterre et parfois en créant des entreprises publiques. Plus
caractéristique encore et plus durable, apparaît l’effort de développement systématique
des formations techniques à tous les niveaux, depuis celui des écoles professionnelles
d’industrie jusqu’à celui des grandes écoles et instituts. Enfin, l’intervention de l’Etat
est également très précoce dans le domaine social, avec la création entre 1883 et
1889 d’un système très complet d’assurances sociales obligatoires financées par des
cotisations patronales et ouvrières avec complément versé par l’Etat.
4.3- Maturation de la révolution industrielle anglaise et sa diffusion en Russie
L’émergence économique de la Russie a été et n’a démarré véritablement qu’après la
crise agricole du début des années 1880 et se caractérise par une croissance
industrielle forte entre 1887-1900 suivie d’un ralentissement entre 1900-1917. Les
structures politiques, économiques, sociales et mentales ont offert une grande
résistance au progrès technique mais la Russie, sous l’impulsion de l’Etat, a pu
profiter des connaissances acquises dans les autres pays capitalistes industrialisés.
Déjà en mars 1921 Lénine avait remplacé les réquisitions arbitraires par un impôt en nature
qui devait en principe laisser aux paysans un surplus commercialisable. Mais le niveau
d'imposition était élevé (un peu plus élevé que les réquisitions effectives de 1920-1921)
et le surplus ne pouvait être vendu qu'à un organisme d'État unique, le Centrosoyuz, qui
achetait à bas prix. Les premiers résultats avaient été décevants. Des concessions
beaucoup plus significatives interviennent en octobre 1921 : suppression du monopole de
Centrosoyuz, légalisation du commerce privé, autonomie des coopératives. Le marché des
terres est par la suite rétabli, les paysans sont autorisés à vendre leurs terres ou à les confier
à bail. Les droits de propriété sont reconnus. En 1924 l'emploi de salariés agricoles à temps
plein redevient autorisé. Le commerce de détail connaît une large dénationalisation et
s'effectue de plus en plus dans le cadre des coopératives. Dans l'industrie, les
dénationalisations se limitent aux entreprises de moins de 20 personnes et restituées à leur
propriétaire ou données en bail. Le monopole d'Etat persiste pour le commerce extérieur
64
mais les relations commerciales s'intensifient. L'URSS importe en particulier du charbon
et de locomotives pour desserrer des goulets d'étranglements énergétiques et ferroviaires.
En 1921 le système d'allocation centralisé des moyens de production est dissous, les
entreprises d'État ou les trusts disposent d'une certaine autonomie en matière de choix des
approvisionnements et d'utilisation de la production. À la suite de la constitution de
l'URSS en tant qu'Etat fédéral (1922), une partie des pouvoirs des Vesenkha sur les
industries d'importances régionales ou locales est transférée en 1923 à des organes au
niveau des républiques (Sovnarkhoz). Cela étant, la centralisation reste maximale pour
l'industrie lourde et l'énergie considérée comme stratégiques. Les banques sont rétablies
en 1921-1922 mais restent sous le contrôle de l'État. Des plans sectoriel et prévisionnel
commencent d'être élaborés au sein de cette NEP sous l'égide du Vensenkha. Les
recherches menées à ce moment-là permettent de constituer peu à peu les instruments
techniques de la planification impérative. Le Gosplan (Commission d’Etat pour la
planification) est créé en 1921. La balance de l’économie nationale est établie pour la
première fois sur l'année 1923-1924. Elle préfigure la méthode des balances qui devient
l'instrument de base de la planification à partir du premier plan (confrontation emplois-
ressources pour les produits clefs). En novembre 1921 le rationnement prend fin, on
revient vers une distribution monétaire des salaires et à une répartition des biens de
consommation par le marché ; une certaine différenciation des salariés est censée
améliorer l'effort individuel. La fiscalité est rétablie. Sur ces bases la NEP apparaît comme
la première expérience historique de socialisme de marché. Le développement de
l’industrie se traduit par le doublement du nombre d’ouvriers qui passe de 252 000
en 1830 à 565 000 en 1860. L’essor repose principalement sur une augmentation
de la demande intérieure de biens de consommation, liées à la commercialisation
croissante de produites de l’agriculture et particulièrement à l’expansion des
exportations associées. L’industrie textile emploie en 1860, environ 55% des ouvriers
dont 21% dans l’industrie du coton. Ce secteur adopte rapidement les modes de
production britanniques. Vers 1830, l’industrie des cotonnades importe la plus
grande partie de fil et la Russie ne possède que 100 000 broches. En 1863, leur
nombre est de 1 750 000 et la production intérieure couvre 90% des besoins. Il
s’ensuit un démarrage industriel russe soutenu par : le volume des exportations
65
russes de céréales double entre 1830 et 1840 entrainant une expansion de la demande
intérieure de produits manufacturés ; la faiblesse de la protection tarifaire encourage
le développement de l’industrie légère qui peut bénéficier de produits semi-finis
manufacturés relativement bon marché ; enfin l’expansion industrielle de l’Europe
occidentale, les exportations russes de produits agricoles bénéficient de la demande
mondiale accrue de produits alimentaires et de matières premières. C’est vrai que
les usines mécanisées ont fait leur apparition, que des usine employant une main
d’œuvre salariée sont devenues des éléments significatifs de la structure industrielle
russe, mais comparativement aux autres pays occidentaux, la Russie est encore en
retard et son industrialisation bute sur le servage qui constitue un obstacle majeur
au développement de l’industrie. A partir de 1860, l’industrialisation est impulsée
par le chemin de fer qui pour l’essentiel demeure une industrie privée avec le
soutien de l’Etat. Le réseau passe de 5 000 km en 1867 à 18 000 km en 1871. Plus
de 4/5 du réseau sont construits par initiative privée. Le rôle indirect de l’Etat
russe pendant les années 1860-1880 est bien illustré par la politique tarifaire libérale
appliquée jusque vers 1877. Des tarifs douaniers relativement faibles voire nuls
s’appliquent aux produits primaires (charbon, coton) et aux produits semi-finis
(fonte, acier, rails). D’une manière générale, la faiblesse des tarifs favorise le
développement des industries légères qui peuvent par là même, obtenir les
consommations intermédiaires relativement peu chères. Aussi, l’élément moteur de
la croissance industrielle au moins vers 1880 est à rechercher du côté de l’industrie
textile qui ne parvient pas à entrainer le reste de l’industrie. Un changement
d’orientation de la politique économique dans un sens plus interventionniste, plus
volontaire, plus national et plus industrialisant est nécessaire et est perceptible dès
la fin des années 1870. En 1876, l’Etat fait obligation aux compagnies ferroviaires
d’acheter au moins la moitié de leurs rails à des producteurs locaux et c’est en
1877 que se produit le retournement dans le domaine de la politique douanière.
Cette tendance s’accentue au cours des années 1880 lorsque l’Etat reprend en main
la construction des chemins de fer et même une bonne partie de leur exploitation,
renforce le protectionnisme, effectue une réorientation de l’industrialisation vers
l’industrie lourde. On note en effet que dans l’expérience russe de l’industrialisation,
66
du fait de la faiblesse de l’initiative privée les plus grandes entreprises ont été
fondées par des entrepreneurs et des capitaux étrangers. L’Etat va intervenir pour
se substituer à l’initiative privée insuffisante et défaillante. L’Etat comme
propriétaire, investisseur, directeur, contrôleur a dominé des activités économiques
importantes telles que les chemins de fer, les banques, l’industrie du sucre, du bois
de construction et de la vente de Vodka. Au cours de deux dernières décennies du
19ème siècle, l’industrialisation fera de rapides progrès et la période 1890-1900
ressemble fort à un take off (décollage).
Les premiers pays qui ont suivi l’exemple anglais sont la France, la Belgique, la
Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, l’Espagne, la Russie. Le cas de
l’Amérique du nord peut être analysé comme une transplantation des expériences
européennes. La révolution industrielle aux Etats-Unis présente aussi quelques traits
caractéristiques. Comparativement aux anciens pays d’Europe qui ont connu la
révolution industrielle, les Etats-Unis font office de pays neuf. Le Japon fait donc
exception, à la fin du 19ème siècle, du progrès technique rendant celui-ci non
seulement beaucoup plus inaccessible, plus difficilement transférable (ne serait-ce
que par la complexité plus grande de la technique) mais réduisant aussi les chances
qu’avait un début de développement de susciter automatiquement un mouvement
cumulatif de croissance. La période du démarrage Japonais se place en un moment
charnier dans l’évolution des techniques et surtout des conséquences économiques
de cette évolution des techniques. Le progrès enregistré par la Chine pendant la période
des réformes qui a commencé en 1978 est l’un des plus beaux exemples de réussite
économique de l’après-guerre. La Chine est devenue la septième économie mondiale et le
deuxième pays d’accueil de l’investissement direct étranger. Pendant la deuxième moitié
du XXe siècle, seuls le Japon et la Corée, tous deux pays de l’extrême orient, ont atteint
un niveau comparable de croissance rapide et soutenue.
Durant le XIXe siècle, la montée en puissance des Etats-Unis d’Amérique est foudroyante.
Nation nouvellement indépendante qui abrite 5 millions de pionniers fin XVIIIe siècle, le
pays apparait un siècle plus tard comme la première puissance économique mondiale. Cet
exemple est riche d’enseignements sur les conditions à établir pour enclencher une
dynamique de croissance forte.
69
5.1.1- Les étapes de la constitution du territoire des Etats-Unis
Les Etats-Unis sont très tôt, à partir des années 1820-1830, un important foyer
d’innovations et que dès le deuxième 1/3 du 19è siècle ils deviennent plus
dynamiques que le Royaume-Uni. Dès lors, la domination technologique fonde la
puissance économique américaine. On peut citer quelques repères chronologiques
pour expliquer les performances exceptionnelles de ce pays : la machine à égrener
le coton inventée par Eli WHITNER en 1793, la moissonneuse-batteuse de Marc
CORNICK en 1833 et breveté en 1844, l’alphabet Morse inventée en 1838, le
télégraphe par le même Samuel MORSE en 1844, le procédé de la vulcanisation
71
de Charles GOODYEAR en 1840, la machine à coudre par Elias HOWE en 1846,
l’ascenseur par OTIS en 1854, le phonographe et la lampe à incandescence par
Thomas EDISON en 1878. La révolution industrielle proprement dite, en bénéficiant
des premières techniques anglaises, a démarré dans l’industrie textile, l’industrie de
la chaussure, l’industrie métallique et la construction des bien d’équipement. Au
cours de cette période, l’accroissement de la production est de l’ordre de 77% pour
la cotonnade, 42% pour les lainages, 608% pour la bonneterie, 70% pour les
chaussures, 182% pour le charbon, 54% pour la fonte, 66% pour la production de
machines à vapeur et d’équipement. La construction des réseaux de chemins de
fer, notamment transcontinentaux dont 4 sont achevés entre 1883-1893 joue un rôle
capital dans l’industrialisation du pays en permettant l’exploitation d’un vaste
territoire et en facilitant les flux d’échanges. Le réseau passe de 150 000 km en
1880 à 420 000 km en 1914. Les Etats-Unis privilégient le marché intérieur, la
production en étant les promoteurs d’un système d’organisation scientifique du
travail (taylorisme) et du travail en continu ou travail à la chaîne (fordisme) qui
trouvent leurs premières applications au début du 20è siècle. L’Etat fédéral, les
Etats, les Collectivités et les Villes ont également joué un rôle décisif dans le
lancement de la croissance et de l’industrialisation, en organisant la vente des terres,
en lançant des travaux publics, en subventionnant la création des compagnies de
chemin de fer et en souscrivant massivement à leurs emprunts obligatoires. Sur le
plan financier, les États-Unis apparaissent débiteurs nets de l'Europe (principalement de
la Grande-Bretagne) jusqu'en 1914. Les capitaux étrangers servent notamment à financer
la construction de l'immense réseau de chemins de fer. L'assurance et le financement des
opérations commerciales sont assurés par des compagnies britanniques. La place
financière de New York ne parvient pas à concurrencer celle de Londres. Jusqu'à la
création du système de Réserve fédérale en 1913, le système financier américain reste
fragile, très vulnérable aux crises. Au tournant du XXe siècle, les prémices de la future
domination financière américaine s'annoncent néanmoins. Les investissements extérieurs
américains connaissent une accélération forte à partir des années 1890 à destination
notamment du continent américain et en 1914 les États-Unis apparaissent déjà au
quatrième rang mondial pour les capitaux investis à l'étranger. La trajectoire de l'ouverture
72
commerciale des États-Unis est marquée par un repli sur la période 1830-1913. Le
coefficient exportations de marchandises sur PIB passe de 7,6 % en 1830 à 6,4 % à la
veille de la Première Guerre mondiale. L'ouverture commerciale d'une économie est
structurellement une fonction inverse de sa taille. On peut considérer l'économie
américaine de la première moitié du XIXe siècle comme une « petite économie » assez
ouverte sur l'Europe (elle exporte des produits primaires notamment du coton et importe
des articles manufacturés). Rappelons, en effet, que la population des États-Unis n'est que
d'environ 10 millions d'habitants en 1820. Le déplacement de la frontière vers l'ouest et la
croissance démographique en font une grande économie de près de 100 millions en 1915.
La grande taille du marché intérieur permet progressivement de concilier diversification
des productions et compétitivité ; ce qui évite de recourir à l'échange international. Un
second facteur clef de la trajectoire de l'ouverture réside dans la politique commerciale
active et défensive à l'œuvre en permanence. Les États-Unis ont un niveau de droits de
douanes systématiquement très élevés en termes relatifs. La date de 1816 peut être retenue
comme point de départ d'un activisme tarifaire. En 1820 la protection atteint déjà 35-45%
sur les produits manufacturés. Le pays affirme alors protéger ses industries dans l'enfance
conformément aux recommandations du Rapport sur les manufactures d’Alexander
Hamilton (1791). Malgré le fait que la balance commerciale devienne régulièrement
excédentaire à partir de 1875, cette protection est maintenue en permanence - par-delà des
discontinuités - à un haut niveau. En 1875, point bas du protectionnisme mondial sur le
grand XIXe siècle, le taux moyen de droit de douanes sur les produits manufacturés est
évalué par Paul Bairoch (1997) entre 40 et 50 %, soit de loin le niveau le plus élevé parmi
les pays industrialisés. En 1913, cette protection s'élève encore à 44%, soit près du double
des pays européens les plus protectionnistes.
5.1.4- La montée en puissance des Etats-Unis
L'Angleterre est entrée la première dans la Révolution industrielle et dispose d'une très
large avance dans la première moitié du XIXe siècle. En 1820, son PIB est trois fois
supérieur à celui des États-Unis et son niveau de vie dépasse celui de la France de près de
40 %. Le milieu du XIXe siècle correspond à l'année de la puissance économique
britannique qui apparaît alors comme le véritable centre de gravité des relations
commerciales et financières internationales. Si au cours du dernier tiers du XIXe siècle,
73
les positions commerciales britanniques se détériorent du fait de la concurrence des pays
nouvellement industrialisés, sa domination financière est incontestable jusqu'en 1913. Elle
reste le principal pourvoyeur d'investissement direct à l'étranger. La place financière de
Londres est de loin la première du monde. La livre sterling joue un rôle pivot au sein du
système monétaire international de l'époque (l'étalon-or). Le poids politique de la Grande-
Bretagne se fonde également sur un empire qui regroupe, en 1901 à la mort de la Reine
Victoria, près du quart de la population mondiale (Inde, Australie, Canada...) Cependant,
les performances de croissance du produit global des grandes puissances contemporaines
fait ressortir la fulgurance de la croissance aux Etats-Unis. Le taux de croissance annuel
moyen du PIB y atteint 4,2 % sur la période 1820-1870 et 3,94 % sur la période 1870-
1913. Le rythme de la croissance américaine est deux fois plus élevé que celui du
Royaume-Uni, beaucoup plus élevé aussi sur la période 1870-1913 qu'en Allemagne et au
Japon, pourtant elles aussi, puissances montantes de l’époque. Dans les années 1870, la
production américaine dépasse celle du Royaume-Uni et en 1913 elle lui est 2,5 fois
supérieure. Notons que la production allemande sous l'effet de sa croissance des années
1870-1913 (2,83 % par an) devient supérieure à celle du Royaume-Uni à la veille de la
Première Guerre mondiale. Sur la période 1905-1913, la part des États-Unis dans la
production industrielle des quatre « grands » (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Etats-
Unis) est de 48 %, contre 22 % pour la Grande-Bretagne, 21 % pour l'Allemagne et
seulement 9 % pour la France. Sur la période 1825-1834, la situation était toute différente,
la Grande-Bretagne dominait avec une part de 45 %, la part de la France était de 26 %,
celle de l'Allemagne de 21 % et celles des États-Unis de seulement 8 %. En termes de taux
de croissance du PIB par habitant, les performances américaines restent les meilleures en
termes relatifs même si l'écart avec le Royaume-Uni et les autres pays européens est
beaucoup plus réduit. Cet élément laisse apparaître que la croissance du PIB américain
n'est pas exclusivement fondée sur un accroissement quantitatif du facteur travail. De
telles performances permettent une convergence puis un dépassement du niveau de vie
anglais. Alors qu'en 1820 le PIB par tête américain est inférieur de plus de 35 % au PIB
par tête britannique, en 1913 il atteint 5 301 dollars par habitant aux Etats-Unis contre
4 921 dollars au Royaume-Uni).
74
5.2- Le miracle économique du Japon
Entre 1860-1880, en raison de l’utilisation généralisée de la vapeur, les coûts de transport
deviennent suffisamment faibles pour ne plus constituer eux-mêmes un obstacle à
l’importation des produits manufacturés des pays qui s’industrialisent. A partir de 1890-
1900, la technique a presque totalement perdu de sa simplicité initiale, les liens de
causalité qui la caractérisent s’estompent et une imitation par simple information devient
impossible, du moins difficile. La productivité des industries européennes et américaines
tend également à atteindre des niveaux tellement élevés qu’ils permettent et suscitent des
pressions accrues sur les marchés d’outre-mer aussi bien pour la fourniture des
matières premières que pour l’écoulement de certains excédents de production. Dès
lors, on peut se demander dans quelle mesure la tentative de démarrage économique du
Japon n’aurait pas été un échec si ce pays avait attendu encore deux ou trois décennies
avant de s’engager dans ce processus.
Comme le souligne Gerschenkron dans son ouvrage publié en 1962, « L’Etat japonais
joue un rôle clef dans le processus de rattrapage en mettant en place de nouvelles
institutions et en favorisant le transfert des technologies occidentales ». Il consolide son
système fiscal et accroit constamment ses recettes. L'effort fiscal est d'abord supporté par
les paysans avec la création en 1873 d'un impôt foncier assez élevé (3% de la valeur de la
terre) qui représente alors plus de 90% des revenus gouvernementaux. Les recettes sont
par la suite diversifiées avec le développement d'une taxe sur la consommation et la
création d'un impôt sur le revenu dès 1887 : la part de l'impôt foncier dans les recettes
budgétaires n'est plus que de 35% en 1900. L'Etat joue pleinement son rôle de fournisseur
de bien collectif favorable au développement : réseaux de télégraphe, bureaux de poste,
canaux, routes, aménagements portuaires, chemins de fer, etc. La première ligne de
chemin de fer (Tokyo-Yokohama) est en chantier en 1869, avec l'appui des anglais, et
mise en service dès 1872. Alors qu'auparavant, l'éducation était réservée aux enfants des
samouraïs et des marchands, l'école est ouverte à toutes les catégories sociales sans
76
distinction de sexe. L'école obligatoire est introduite en 1879, passe de trois à quatre ans
de scolarité en 1900, puis à six ans en 1908. Des cours élémentaires et supérieurs sont
institués, des universités sont créées. L'Etat contrôle les programmes avec la volonté
d'intégrer les savoirs occidentaux les plus récents. Par ailleurs, beaucoup de jeunes
japonais sont envoyés aux Etats-Unis et en Allemagne pour observer des institutions et
acquérir de nouveaux savoirs. Un mot d'ordre des nouveaux gouvernants japonais était au
départ « un pays riche, une armée forte ». Un effort colossal est réalisé pour restructurer
et renforcer l'armée : la part des dépenses militaires dans les dépenses publiques atteint
31% en 1900 et 41,9% en l910, elles soutiennent le développement industriel du pays. Le
service militaire est rendu obligatoire. Le nationalisme est exacerbé.
Le Japon axe largement son industrialisation sur le transfert des technologies occidentales,
il importe des biens d'équipement d'abord dans le secteur textile (filature de la soie et du
coton), un peu plus dans l'industrie lourde (aciérie, chantier naval). Pour s'approprier
véritablement les nouvelles techniques de production, le Japon recourt à l'expertise
d'ingénieurs et de techniciens occidentaux : en 1874 le Ministre de l'industrie finance le
séjour de plus de 500 spécialistes étrangers. L'Etat favorise le développement de secteurs
jugés clefs en construisant lui-même des usines pilotes (filatures, entreprises
métallurgiques, ciments produits chimiques) certains de ces entreprises sont privatisées
dans les années 1880 renforçant ainsi des zaibatsu (conglomérats japonais de type familial
fondés sur des réseaux financiers entre une banque et de nombreuses sociétés
commerciales et industrielles) naissants. Ces privatisations permettent l'émergence d'un
grand patronat très lié à l'administration largement dépendant des commandes publiques
et des financements nationaux. Cette modernisation est financée essentiellement par une
épargne interne. Immédiatement après la révolution, le Japon tente d'emprunter des
capitaux à l'étranger mais jugeant les taux trop élevés. Il décide jusqu'en 1898 (date à
laquelle il renverse de nouveau sa politique) de s'interdire l'accès au capital étranger. Les
comportements d'épargne sont valorisés autour de l'ambition nationale de devenir une
grande puissance. Un système financier moderne est mis en place. En 1872, l'ordonnance
sur les banques inspirée du « free banking Act» américain de 1838 autorise les banques
77
agréées à émettre des billets de banque convertibles en or. En 1875, un système d'épargne
postale est mis en place, ces caisses sont autorisées à collecter des dépôts. En 1882, la
banque de Japon est créée (dans un premier temps elle ne bénéficie pas d'un monopole
d'émission). L'Etat encourage l'émergence de banques d'investissement à long terme,
capables de prendre le relais du financement public.
Le système financier chinois a réalisé des progrès considérables ces dernières années. La
bourse s’est étoffée de manière impressionnante depuis sa création au début des années
90, et la capitalisation boursière représentait plus de 50% du PIB en 2001. Au cours des
dix dernières années, on a également assisté à la création de nouvelles banques dans tout
le pays, à l’expansion significative du secteur des assurances, au développement d’un
marché monétaire intérieur et, plus récemment, à l’émergence de possibilités de prêts à la
consommation et au logement. La structure de réglementation et de contrôle financier a
été elle aussi soigneusement réorganisée et rationalisée conformément aux meilleures
pratiques internationales. Malgré ces avancées, le système financier ne parvient toujours
pas à exercer plusieurs de ses fonctions de base au sein de l’économie. Même si l’épargne
semble être raisonnablement bien mobilisée, le crédit n’est pas réparti de manière
efficiente. Les entreprises d’État bénéficient de l’essentiel des fonds alloués par le système
financier formel, tandis que les entreprises privées reçoivent une part bien inférieure à
celle requise par leur importance au sein de l’économie. Des principes non commerciaux,
tels que la nécessité de soutenir les entreprises d’État déficitaires, continuent d’influencer
les décisions de prêt des banques. En raison de ces distorsions, conjuguées à la capacité
restreinte à moduler les taux d’intérêt en fonction du risque, le coût effectif du crédit varie
fortement entre emprunteurs de solvabilité comparable. La diversité des établissements
84
financiers et des capacités est limitée. Le marché interbancaire et les autres mécanismes
disponibles ne permettent qu’un transfert restreint de fonds entre établissements financiers
et entre régions. Les entreprises d’assurance et autres investisseurs institutionnels sont
sous-développés, même par rapport à d’autres économies émergentes comme l’Inde et le
Brésil. Le marché obligataire, y compris celui des emprunts d’État, est peu étendu,
fragmenté et manque de liquidité. Malgré sa forte croissance, le marché boursier est freiné
par les restrictions qui pèsent sur son accès et sur les opérations et qui entravent ses
performances. Les instruments financiers permettant de faire face aux fluctuations de la
liquidité, de gérer les risques et de répondre à d’autres besoins spécifiques sont eux aussi
peu abondants. La discipline extérieure conférée par le système financier constitue
également un grand point faible. Des années de crédit soumis à l’autorisation de l’État,
ainsi que l’insuffisance des dispositions visant à faire respecter les contrats et celle des
régimes de faillite ont abouti à une contre-culture du crédit, dans laquelle les banques
n’étaient guère incitées – et encore moins capables – de se conformer à des règles de prêt
strictes et de faire respecter les contrats de prêt. Les obligations imposées par l’État et
l’absence de rigueur des règles de prêts ont engendré un manque de discipline budgétaire
pour de nombreuses entreprises, en grande partie responsable du surinvestissement auquel
on a assisté en 1992-94 et dont les conséquences (excès et inefficience) se font aujourd’hui
sentir dans l’économie chinoise. Le manque global de discipline a été aggravé du fait que
cette discipline n’est pas uniforme d’une entreprise à l’autre. Résultant en partie du
développement limité des marchés de capitaux, mais aussi de l’intervention de l’État dans
les activités des entreprises, le système financier ne dispose pas des moyens pour aider les
entreprises à se restructurer, redéployer les ressources et permettre les prises de contrôle.
Ces carences du système financier montrent, d’une part, que la Chine reste un pays en
développement et, d’autre part, que l’évolution du système financier est en retard sur celle
de l’économie réelle. Malgré la forte croissance du secteur non étatique, le système
financier reste quasiment intégralement la propriété de l’État.
Les performances de la Chine sont d’autant plus remarquables que les réformes y sont
progressives et que ce pays se développe en dépit du contrôle important, bien que
85
déclinant, exercé par l’État sur le capital des entreprises et de l’intervention des pouvoirs
publics dans l’économie. Plutôt qu’une nouvelle orientation, l’accession de la Chine à
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au début des années 80, constitue une
étape importante sur le chemin de la réforme dans lequel ce pays s’est engagé depuis plus
de trente ans. Depuis le milieu des années 80, la Chine libéralise sa politique relative aux
échanges et aux investissements internationaux. Son économie est aujourd’hui aussi
ouverte que celle de certains membres actuels de l’OMC. Même si la Chine aura beaucoup
à gagner de l’ouverture de ses marchés d’exportation que permettra son adhésion, elle s’est
engagée à libéraliser l’accès à son économie de façon plus poussée et plus large que ce qui
avait été convenu avec les membres précédents de l’OMC. Cette volonté montre que
l’ouverture aux marchés internationaux encourage la discipline de marché, l’accès à la
technologie et d’autres bienfaits qui constituent des objectifs majeurs des réformes
économiques nationales. A cet égard, l’entrée à l’OMC est un aspect complémentaire de
la prochaine phase de réformes en Chine. L’économie chinoise a atteint un stade où
d’importants changements sont nécessaires dans la mise en œuvre des réformes.
L’économie étant de plus en plus exposée aux forces du marché et les différents secteurs
étant de moins en moins capables de se développer de façon autonome, les problèmes
rencontrés sont de plus en plus interdépendants. Certaines composantes, telles que les
marchés du travail en zone rurale, l’industrie, le système financier et le développement
régional, sont désormais autant ou davantage tributaires des évolutions qui se produisent
dans d’autres domaines économiques que des évolutions et des mesures qui les concernent
spécifiquement. Les différences entre les pans de l’économie qui ont bénéficié de
traitements différents s’estompent. Cette interdépendance crée plusieurs « cercles vicieux
» dans lesquels les problèmes de certains segments interagissent en se renforçant
mutuellement pour freiner les avancées du processus de réforme global. Il est
particulièrement difficile de rompre le cercle vicieux responsable des médiocres
performances de nombreuses entreprises chinoises et des problèmes du système bancaire.
Étant donné la situation actuelle de la Chine, les résultats des différentes réformes
dépendent de plus en plus de l’interaction entre les décisions prises par les principaux
acteurs économiques (les pouvoirs publics, les entreprises, les travailleurs et le système
financier) qui agissent sur des marchés dont le fonctionnement dépend de cadres généraux
86
tels que ceux régissant la concurrence, les droits de propriété intellectuelle et le
gouvernement d’entreprise. Plutôt que de mettre l’accent sur des secteurs particuliers, les
réformes doivent désormais se concentrer sur des mesures touchant l’ensemble de
l’économie, afin de promouvoir une allocation plus efficiente des ressources, de renforcer
l’efficacité des marchés.
87
Chapitre 6 : L'HISTOIRE DE LA MONDIALISATION ECONOMIQUE
ET L'ESPRIT DU CAPITALISME
Une histoire de la mondialisation doit faire ressortir les éléments de continuité et de
rupture de notre temps et apporter des éléments de réponse à certaines questions
fondamentales. La mondialisation est-elle un phénomène économique nouveau ? Quelles
sont ses forces motrices? Est-elle un processus irréversible ? Il convient donc de distinguer
trois, voire quatre, périodes dans l’histoire de la mondialisation. La mondialisation n'est
pas un phénomène économique nouveau. Dès l'Antiquité, puis au Moyen âge, les cités
marchandes développent des réseaux d'échanges à longue distance autour de la
Méditerranée, vers l'Océan indien, à travers l'Europe, voire l'Afrique. La découverte de
l'Amérique (1492) et le premier tour du monde (1522) marquent le jalon décisif vers une
économie mondialisée au sens propre du terme. Les flux transatlantiques contribuent alors
directement à la formation des grandes économies nationales européennes, en relations
étroites avec leur empire. Au seuil du 19è siècle, la révolution industrielle conduit à
l'internationalisation des économies nationales, en donnant naissance à une division
mondiale du travail entre pays industrialisés et pays pourvoyeurs de produits bruts. Mais,
à travers le 20è siècle, l'intensification des flux internationaux de toute nature, l'intégration
des processus de production eux-mêmes et l'industrialisation de nouveaux pays de tous les
continents bouleversent la nature du commerce international, remettant en question
l'existence même d'économies nationales. L'internationalisation des échanges fait que le
cadre national n'est plus pertinent pour une régulation macroéconomique et un nouveau
cadre se dessine cherchant à corriger les errements de l'entre-deux guerres et les suites de
la 2ème Guerre mondiale sur le double plan monétaire et commercial.
6.1- La première mondialisation (1850-1914)
La première guerre mondiale marque la rupture d’un processus d’intensification des
échanges internationaux entamé un siècle auparavant, la fin de ce qu’il est convenu
d’appeler la première mondialisation de l’histoire contemporaine. Cet épisode est riche
d’enseignements sur les ressorts et les implications du processus de mondialisation. La
première mondialisation peut donc se résumer en cinq points essentiels : l’expansion des
échanges commerciaux (1), l’intensification de la mobilité internationale des capitaux (2),
l’interdépendance des économies et la transmission internationale des crises (3), la mise
88
en œuvre des politiques d’ouverture (4) et enfin une ouverture économique croissante et
un dynamique d’intégration (5).
6.1.1- L’expansion des échanges commerciaux
Le commerce mondial, après son effondrement pendant les guerres de la Révolution
française et de l'Empire, a connu au XIXe siècle une formidable expansion : son volume
est environ multiplié par 20 entre 1815 et 1913. Cet essor a pour origine directe la
Révolution industrielle, qui confère un quasi-monopole pour les exportations
manufacturières à quelques pays. Une véritable division mondiale du travail s'instaure :
les produits industriels des pays avancés sont échangés contre les denrées alimentaires et
les matières premières des « pays neufs » et des économies coloniales. Ces produits
primaires représentent vers 1913 plus de la moitié de la valeur du commerce mondial.
L'expansion du trafic commercial est soutenue par des innovations et surtout une baisse
de long terme des coûts de transport, qui s'accélère au milieu du XIXe siècle avec la
révolution des transports. Le chemin de fer connaît un développement très rapide : en
Europe la longueur du réseau passe de 175 km en 1830 à 104 900 km en 1870 et 362 700
km en 1913. Le rail unifie le marché national, tout en assurant la desserte des grands ports.
Le coût du transport maritime diminue, quant à lui, régulièrement du fait notamment de
l'émergence de la navigation à vapeur au milieu du XIXe siècle et du percement des
isthmes de Suez (1869) et Panama (1914). Après le dépôt du brevet du télégraphe en 1844
par Samuel Morse, la première ligne télégraphique transmanche est posée dès 1851 et le
premier câble transatlantique en 1865.En 1913, la longueur des réseaux télégraphiques
représente onze fois le tour de la terre, et le téléphone est déjà en plein essor : un pas
décisif vers la transmission instantanée de l’information est franchi, il ouvre notamment
la voie à une intensification de la mobilité des capitaux.
6.1.2- L’intensification de la mobilité internationale des capitaux
En fin de période (1880-1913) les indicateurs de l'intégration financière internationale
convergent pour faire apparaître un très haut degré d'intégration des marchés de capitaux.
Le stock d'investissement direct à l'étranger est élevé, culminant selon Paul Bairoch en
1913 à 20-22 % pour l'Europe occidentale, l'Angleterre « banquier du monde » finance
des projets de développement dans la plupart des zones. Les calculs de Flandreau et
Rivière (1999) montrent qu'à l'époque le lien entre épargne nationale et investissement
89
national est relativement distendu ce qui donne à penser que les investissements nationaux
étaient largement financés par l'épargne étrangère. Enfin, selon Obtsfeld et Taylor (2004)
en valeur absolue les soldes courants des pays les plus avancés sont historiquement élevés
fin XIXe siècle, la forte mobilité des capitaux semblant autorisée un relâchement de la
contrainte de soutenabilité des déficits courants des économies nationales à l'exemple de
l'Argentine dont les soldes représentent en moyenne 18,7% du PIB sur la période 1870-
1889 et encore 6,2% entre 1890 et 1913. Le degré d'intégration financière internationale
atteint avant 1913 ne sera vraisemblablement dépassé qu'au milieu des années 1990.La
finance de l'époque est qualifiée de finance de développement au sens où les mouvements
internationaux de capitaux financent largement des projets d'infrastructures et la mise en
place d'unités de production. Par opposition la finance actuelle est souvent qualifiée de
finance de diversification au sens où la mobilité internationale des capitaux vise à réduire
les risques à travers la diversification des portefeuilles.
6.1.3- L’interdépendance des économies et la transmission internationale des crises
L'internationalisation des crises, depuis les crises anglo-américaines de 1825 et 1836
jusqu'à la crise Baring d'origine argentine en 1890 et la Roosevelt Partie de 1907, est
révélatrice d'une interdépendance croissante entre les économies nationales. Ainsi la crise
de 1857 débute à New York lorsque l'on apprend le détournement par un employé de la
plus grande partie du capital de l’Ohio Life and trust Company of New York. Cette banque
avait emprunté à d'autres banques de la place qui elles-mêmes étaient débitrices en
Angleterre. Par ricochet des banques tombent en faillite à Philadelphie (Etats-Unis),
Liverpool (Angleterre), Glasgow (Ecosse) puis en Scandinavie (Danemark, Norvège,
Suède, Finlande, Irlande) et, de là, à Hambourg (Allemagne). De même les répercussions
mondiales de la guerre civile américaine (1861-1865) témoignent de cette
interdépendance. La hausse soudaine du prix du coton brut affecte aussitôt les industries
textiles européennes, mais elle a aussi pour effet de déclencher un boom cotonnier mondial
: la culture du coton s'étend en Australie (Queensland), en Inde (autour de Bombay, région
de Maharastra) et surtout dans toute la Basse Egypte où la culture du coton occupe environ
40 % de la surface cultivée. L'économie égyptienne connaît quelques années fiévreuses,
avec une flambée des prix, des salaires, de la valeur des terrains, des taux d'intérêt. Mais
les cours du coton chutent dès la fin de la guerre, et la retombée est brutale : panique
90
financière en Australie, hécatombe parmi les banques de Calcutta (Inde) et Bombay
(Inde), tandis que l’Egypte surendettée doit renoncer à la tentative de modernisation
globale dont le boom cotonnier a été le catalyseur. L’épisode a néanmoins des
conséquences irréversibles comme le recul des cultures vivrières en Egypte.
6.1.4- La mise en œuvre des politiques d’ouverture
Les vicissitudes de la politique commerciale ont eu un impact réel mais relativement limité
sur l'ouverture des économies au XIXe siècle. Le choix du libre-échange par l'Angleterre
(démantèlement des corn laws en 1846, suppression des actes de navigations en 1849...),
puis par les principaux pays d'Europe (dans un cadre négocié après la signature du traité
commercial entre l'Angleterre et la France en 1860) accélère l'intensification des échanges.
Mais le processus d'ouverture dans ses diverses dimensions - depuis les achats de matériel
ferroviaire jusqu'au flux des touristes américains - était déjà bien engagé depuis 1850 au
moins. Quant au durcissement du protectionnisme en Allemagne (dès 1879), puis en
France (avec notamment la loi Méline de 1892) et dans la plupart des pays d'Europe sauf
le Royaume-Uni, loin de s'identifier à un effondrement de l'économie internationale
comme plus tard après 1929, il n'exerce qu'un freinage temporaire sur la croissance du
commerce mondial et n'entrave pas la dynamique d'ouverture. Le protectionnisme favorise
en Allemagne, aux États-Unis et au Japon l'émergence d'économies nationales puissantes
et leur industrialisation rapide, qui leur permet de participer largement au nouvel élan des
échanges mondiaux au seuil du XXe siècle. Ces exemples nationaux tendent à prouver la
pertinence d'une stratégie de contrôle de l'ouverture pour des pays initialement en retard
de développement. Les flux migratoires intercontinentaux atteignent un maximum
historique qui ne sera jamais plus retrouvé.
6.1.5- Une ouverture économique croissante et une dynamique d’intégration
À l'époque les mouvements de personnes qui obéissent à des motifs essentiellement
économiques ne font pas l'objet de contrôle. Entre 1860 et 1914 plus de 40 millions
d'Européens émigrent principalement vers les États-Unis ; au cours de certaines décennies
en Irlande (1881-1890) ou en Italie (1901-1910) les taux d'émigration dépassent largement
les 10 %. Les avancées de l'intégration financière internationale influencent les flux réels
: les investissements directs à l'étranger sont par la suite à l'origine de flux de
marchandises. Le coefficient d'ouverture des économies nationales donne une expression
91
synthétique de cette dynamique globale. Pour l'Europe occidentale à prix courants le ratio
passe de 11,2 % en 1860 à 18,3 % en 1913 et à prix constants il fait plus que doubler sur
la même période passant de 6,3% à 13,9%. Il atteint vers 1913 un point culminant qui
n’est dépassé qu’à la fin du XXe siècle (la seconde mondialisation). La réduction des
écarts de prix permet également d’appréhender de manière synthétique la dynamique
d'intégration à l'œuvre à l'époque. Une tendance de fond à la réduction des écarts est
observable : selon O'Rourke et Williamson (1999) les écarts entre les prix des grains en
Angleterre d'un côté et en Suède et au Danemark de l'autre passe de 30-40 % en 1870 à
environ 10 % en 1913, de même en 1870 le blé était vendu 57 % plus cher à Liverpool
qu'à Chicago, en 1913 la différence n'était plus que de 15%. Entre 1873 et 1913 l'écart sur
le prix de la jute entre Londres et Calcutta passe de 35 % à seulement 4 %. Le différentiel
de prix du coton entre Londres et Bombay chute, sur la même période, de 57 % à 20%.
6.2- La Seconde mondialisation (1945-1970)
L’équilibre dynamique du XIXe siècle (formation d’économies nationales dominantes
autocentrées, mais de plus en plus ouvertes) subit une première rupture avec la guerre de
1914 et la mise en place d’économie de circuit totalement contrôlée par des Etats qui
entament une montée en puissance. D’autres ruptures suivront, encore plus marquées : la
crise de 1929, la Seconde Guerre mondiale. D’une mise en perspective historique, ressort
d’emblée l’extrême violence des chocs du XXe siècle.
6.2.1- Le repli des Etats d’entre-deux-guerres
Le protectionnisme radicalement nouveau des années 1930 (contingentements,
contrairement à celui des années 1880, une dislocation de l’économie internationale, une
véritable crise de la mondialisation. La contraction des échanges, presque aussi brutale
pour la France que pour les pays qui ont choisi l’ « autarcie », annule en quelques années
toute la progression du demi-siècle précédent. Les flux migratoires, les flux de capitaux
(émissions internationales ou crédits bancaires) à l’exception partielle des investissements
directs, se sont quasiment taris au cours des années 1930. L’intégration financière
internationale atteint un creux à partir de 1929 et dans le même temps les échanges
commerciaux se restreignent. Ces mouvements simultanés traduisent la multiplication des
obstacles et contrôles. Les politiques de relance cherchent une issue à la dépression dans
le cadre national. Mais leur succès limité, surtout aux Etats-Unis et en France, où les pics
92
d’activité de 1929 ne se sont toujours pas retrouvés en 1938, conduit à faire de la
réouverture sur l’extérieur une priorité pour les gouvernements occidentaux dès la fin de
la Seconde Guerre mondiale.
6.2.2- La réouverture des économies au XXe siècle
La nouvelle expansion du commerce international se singularise, depuis la fin des années
1940, par sa durée et sa régularité. Le rebond de l’immédiat après-guerre est suivi d’une
accélération continue, avec une croissance moyenne du volume des exportations
mondiales de 6,1% par an sur 1953-1958, 7,4% sur 1958-1963, 8,3% sur 1963-1968, 9,2%
sur 1968-1973, presque le double du taux de croissance (pourtant exceptionnel) du PIB
mondial durant les Trente Glorieuses ; et cet écart de 2 à 1, synonyme d’ouverture
croissante, se maintiendra par-delà le ralentissement global des années 1970. La continuité
du processus implique qu’on ne peut assigner sans arbitraire une date précise au début de
la « seconde mondialisation ». Mais il est clair que la reprise du commerce international a
devancé celle des investissements directs (notamment américains) dans les années 1960
et la libération des flux de capitaux au seuil des années 1980 ; l’essor global des échanges
s’accompagne de mutations structurelles. Ce sont d’abord les échanges de produits
manufacturés entre pays avancés (européens notamment) qui forment la composante la
plus dynamique du commerce mondial. Puis la mise en place d’une division internationale
des processus de production, sous l’égide des multinationales, accélère l’érosion des
avantages comparatifs et entraîne, pour nombre de biens industriels, l’inversion des soldes
commerciaux au profit des économies émergentes. Les réseaux des firmes multinationales
transcendent les frontières, échappant aux régulations nationales. Après 1945, une
dynamique de réouverture commerciale des économies capitalistes s'enclenche. Les flux
internationaux de marchandises et de services connaissent une véritable envolée : entre
les années 1950 et le début du XXIe siècle, la valeur du commerce mondial a connu une
croissance deux fois supérieure à celle de la valeur du PIB mondial. Cette nouvelle
expansion du commerce international se singularise par sa durée et sa régularité. La
continuité du processus implique qu'on ne peut assigner sans arbitraire une date précise au
début de la « seconde mondialisation ». Mais il est clair que la reprise du commerce
international a devancé celle des investissements directs dans les années 1960 et la
libération des flux de capitaux au seuil des années 1980 seulement. La dynamique des
93
coefficients d'ouverture permet d'affirmer que la phase actuelle de mondialisation dépasse
en intensité tous les précédents historiques. D'après les calculs de Madison, en 1998 pour
l'Europe occidentale le rapport exportations de marchandises sur PIB atteint à prix
constants 35,6 %. Sous l'impulsion des États-Unis les nouvelles institutions internationales
promeuvent le libre-échange et le multilatéralisme. Sous l'égide du GATT, créé en 1947
huit rounds de négociations internationales permettent le recul des pratiques les plus
nocives (dumping, quotas) et un abaissement très important des droits de douanes : de
l'ordre de 40 %, en moyenne, en 1947, ils se situent à 5 % en 1994. À partir de 1995,
l'OMC prend le relais pour accentuer ce désarmement douanier. Les plans d'ajustement du
FMI imposent, quant à eux, un volet libéralisation des échanges et la multiplication des
accords commerciaux régionaux accélère, de fait, le développement du libre-échange.
L'amélioration des infrastructures de transports concourt aussi à l'intensification des
échanges. Les coûts moyens de transport: représentaient 7,6% de la valeur des
importations mondiales en 1953, contre seulement 3% en 2000. De manière toute aussi
frappante, depuis la fin des années 1940, le coût du transport aérien a baissé de 85%. Cet
essor global des échanges s'accompagne bien entendu de mutations structurelles. Ce sont
d'abord les échanges de produits manufacturés entre pays avancés qui forment la
composante la plus dynamique du commerce mondial. La contribution des services est
restée faible et constante : ceux-ci ne représentent depuis les années 1950 qu'entre 20 et
25% des exportations mondiales. La tertiarisation des économies semble ainsi, par un
simple effet de structure, borner l'ouverture commerciale des économies. Les firmes
multinationales (FMN) sont devenues des acteurs clefs de la mondialisation, le commerce
intra-firmes c'est-à-dire entre filiales d'une même entreprise représente aujourd'hui un tiers
des échanges extérieurs des pays développés. On compte environ 70 000 FMN dans le
monde, qui disposent d'un total d’environ 1.000.000 filiales. Des réseaux transnationaux
se constituent, échappant de plus en plus au contrôle des Etats. La question de l'attractivité
des sites nationaux se pose avec beaucoup plus d'acuité. La mise en place d'une division
internationale des processus de production sous l'égide des FMN illustre la faiblesse des
coûts de transport et accélère l'érosion des avantages comparatifs. Pour de nombreux biens
industriels, elle entraîne l'inversion des soldes commerciaux, au profit des économies
émergentes notamment asiatiques. La réouverture financière des économies est beaucoup
94
plus tardive que leur réouverture commerciale. Au sein du système de changes fixes de
Bretton Woods, les entraves aux mouvements de capitaux sont maintenues. Les autorités
redoutent les effets déstabilisant des mouvements de capitaux et souhaitent pouvoir
combiner stabilité des cours de change et autonomie des politiques monétaires. Le coup
d'envoi de la réouverture financière des économies est donné en 1979 : à la suite du
Sommet des cinq pays les plus industrialisés de Tokyo, la Grande-Bretagne de Margaret
Thatcher lève les contrôles des opérations de change. La vague de libéralisation s'étend
dans les années 1980, parfois sous la pression d'institutions financières internationales
comme le Fonds Monétaire International. Les mouvements de capitaux s'intensifient.
L'évolution du simple montant quotidien des opérations de ces mouvements de capitaux
constituent un facteur d'accélération de la croissance mondiale mais aussi un puissant
facteur d'instabilité. L'intensification de la mondialisation entraîne une réduction des
marges de manœuvre de politique économique pour les États. Au niveau des politiques
structurelles les États doivent rendre attractive leur économie, attirer les capitaux
étrangers, favoriser l'implantation de firmes multinationales. Pour cela il convient parfois
de baisser le coût du facteur travail, de réduire la fiscalité et d'introduire plus de
concurrence et de flexibilité sur les marchés. De ce fait au Nord certains acquis sociaux
peuvent être remis en cause. Au niveau des politiques conjoncturelles l'ouverture
commerciale des économies rend moins efficace la politique budgétaire. Les relances
traditionnelles échouent car elles profitent de plus en plus aux importations qui dans le cas
de la France représentent aujourd'hui plus de 25% du PIB et dans celui de la Belgique
environ 80% du PIB. Les avancées de l'intégration financière ont aussi des conséquences
dans les domaines de la politique monétaire et du change. Si l'on se réfère à la notion de
triangle des incompatibilités. Dès lors que la mobilité des capitaux est extrêmement forte
et s'impose comme une donnée, les autorités ont un choix restreint, soit elles conservent
des marges de manœuvre de politique monétaire et acceptent du subir l'instabilité des
cours de change, soit elles assurent la stabilité du change mais alors elles doivent se priver
de la possibilité d'utiliser le taux d'intérêt pour stabiliser les prix ou soutenir
l'investissement et la consommation.
95
6.3- La troisième mondialisation (depuis 1970)
L’actuelle mondialisation, entamée depuis les années 1970, constitue une caractéristique
saillante du capitalisme. Sur le plan commercial et sur le plan financier elle atteint
aujourd’hui une intensité record. En effet, pour caractériser l'intensification des échanges
entre espaces nationaux et le sentiment que les contraintes spatiales et temporelles se
distendent, de nombreux concepts sont avancés.
6.3.1- Le choix des mots
Certains néologismes ont vu le jour pendant la troisième mondialisation. Le terme «
village global » a été utilisé en 1962 par Marshall Mac Luhan pour décrire l'essor des
médias et leur influence croissante sur la société et s’est depuis chargé d’une cotation plus
large et globale. A l'heure de l'émergence d'internet, Henri Bourguinat proposait en 1998
le terme « cybermonde » pour insister sur le fait que le phénomène concernait une
proportion de plus en plus grande de la population mondiale. Le concept d ' « économie-
monde » de Fernand Braudel (1979) et son disciple américain Immanuel Walterstein a un
contenu plus analytique car constituée d'un espace organisé autour d'un centre, polarisé,
traversé de flux matériels, technologiques et humains, borné et non homogène.
6.3.2- L’importance des mots
Plusieurs termes sont utilisés en analyse économique pour désigner la montée des
interdépendances économiques et l'intensification des échanges : ouverture,
internationalisation, mondialisation, globalisation et intégration. Cependant, les cinq
termes désignent pour l'essentiel un même processus mais peuvent être distingués à la fois
par leur connotation et leur degré d'exigence en termes d'avancement de ce processus.
L'ouverture renvoie seulement à l'idée d'une perméabilité de principe à l'échange avec le
reste du monde et s'oppose ainsi à l'autarcie. Ainsi, peut-on parler à juste titre de
l’ouverture de l’économie japonaise à la suite de la Restauration Meiji (1868). La phrase
du dirigeant chinois Deng Xiaopping en 1982 est éclairante « Pas un seul pays au monde,
quel que soit son système politique, n’a réussi à se moderniser avec une politique de porte
fermée ». L'internationalisation désigne une intensification des relations économiques
avec le Reste du monde mais le cadre national continue de faire son sens et le processus
reste sous contrôle des Etats-Nations. La mondialisation se définit comme un processus
de mise en communication, d'interconnexion de plus en plus poussée des économies
96
nationales mesuré par trois dimensions que sont le commerce, la finance et les
mouvements des populations, le processus échappant au contrôle des Etats-Nations. La
globalisation renvoie au même processus d'intensification des échanges mais se
caractérise en plus par l'activation d'une dynamique d'homogénéisation des modes de vie
à l'échelle globale (notamment les comportements de consommation). La globalisation est
dans certaines régions du monde assimilée à une « américanisation » du monde. La
globalisation désigne aussi l’apparition d’enjeux planétaires en matière d’environnement
par exemple. L'intégration, c'est-à-dire une fusion des parties dans un tout, désigne un
processus avancé de convergence des économies mais aussi une configuration
hypothétique d'achèvement de ce processus. Dans un monde pleinement intégré, la
structure des prix relatifs devrait être la même partout dans le monde ce qui suppose
l’homogénéité des structures.
6.3.3- L’esprit du capitalisme
L’usage du terme capitalisme s’est développé au XIXe siècle sous la plume de socialistes
français (Pierre Proudhon) pour désigner le système économique et social de l’époque, en
termes polémiques. Le capitalisme est d’abord caractérisé par une logique d’accumulation
du capital. Le capital constitue la capacité productive de l’entreprise et la finalité du « jeu »
capitaliste à travers la recherche du profit. C’est un système économique caractérisé aussi
par la propriété privée des moyens de production et la décentralisation des décisions de
ses unités élémentaires. Ces décisions sont juridiquement autonomes et mis en rapport par
des procédures d’échange qui impliquent l’institution de contrats librement consentis. Sur
le marché, les mécanismes de prix régulent la répartition des ressources. Depuis qu’il s’est
constitué, le capitalisme se transforme. Un capitalisme marchand et bancaire s’épanouit
au XVIe siècle et au XVIIe siècle autour du commerce intercontinental. Le capitalisme
industriel émerge au XIXe siècle en Occident avec l’essor des grandes manufactures. Au
XXe siècle, alors qu’il devait affronter la concurrence d’un autre système (le socialisme
des économies de type soviétique), le capitalisme est apparu relativement stable et plus
protecteur vis-à-vis des individus (développement de l’Etat providence). Depuis les
années 1980, un capitalisme actionnarial ou « financier » émerge, plus concurrentiel,
dominé par des réseaux commerciaux et financiers transnationaux mobiles. La
mondialisation est un phénomène pleinement en phase avec la nature du capitalisme. En
97
effet, les deux singularités culturelles du capitalisme que sont le rationalisme et
l'individualisme poussent les acteurs les plus entreprenants, les plus joueurs, les plus
aventureux vers l’ailleurs. Ainsi, l'entrepreneur souhaite pouvoir explorer de nombreux
marchés afin d'allonger les séries produites et d'exploiter des économies d'échelle pensant
ainsi améliorer ses performances. La firme multinationale souhaite pouvoir localiser sa
production là où le compromis coût de production, proximité de la demande et des
approvisionnements et qualité des biens collectifs est le meilleur. L'épargnant souhaite
pouvoir placer ses capitaux dans des contrées lointaines pour y trouver un rendement plus
élevé, sous réserve que le risque ne soit pas trop grand. Enfin, l'humain espère un sort
meilleur à travers l'émigration car il paraît rationnel pour lui de rechercher ailleurs
l'amélioration de sa situation matérielle.
6.3.4- Les obstacles à l’actuelle mondialisation
Deux facteurs freinent le mouvement de la mondialisation et l’esprit du capitalisme qui
est supposé « naturel » : l’un est de nature endogène (les de déplacement), l’autre de nature
exogène (l’intervention des pouvoirs publics). Les coûts de déplacement (dits aussi de
transaction) apparaissent historiquement comme un frein endogène à la mondialisation. Si
pour une marchandise les coûts de transport et d’assurance sont tels qu’à l’arrivée, son
prix de vente double ou triple, il y a peu de chance qu’elle soit en capacité de concurrencer
la marchandise locale, ainsi les échanges internationaux vont être réduits. Si le
déplacement des capitaux est très couteux (frais d’intermédiation, accès à l’information),
les mouvements internationaux vont être réduits. Si pour un individu candidat à
l’émigration le coût de transport représente plusieurs années de revenu, il se trouve de fait
bloqué. En permanence, à travers l’histoire, des innovations sont apparues afin de faire
fondre l’obstacle du déplacement. Les coûts de transport sont aujourd’hui relativement
faibles. L’intervention des pouvoirs publics constitue le second obstacle aux échanges, il
peut être considéré comme exogène. Les politiques commerciales (instauration des droits
des douanes, prohibitions, quotas, …) ont vocation à atténuer les échanges de
marchandises et de services. Les contrôles des mouvements des capitaux (taxes,
réglementations diverses, …) ont pour but de freiner l’intégration financière
internationale. Le contrôle aux frontières pour les personnes encadre les mouvements
migratoires.
98
Chapitre 7 : ROLE ET PLACE DE L’AFRIQUE DANS LA REVOLUTION
INDUSTRIELLE ET LE DEVELOPPEMENT DU CAPITALISME
A l’origine, la traite s’est faite au profit de l’Afrique du Nord mais, la forme la plus
significative, tant par son volume que par ses implications, est celle qui a été menée dans
le cadre du « commerce triangulaire ». A la fin du 17è siècle, il a existé entre la France,
l’Afrique et les Antilles un commerce bien particulier. Les bateaux partaient de quatre
ports français (La Rochelle, Bordeaux, Le Havre et surtout Nantes) vers l’Afrique pour y
99
échanger des produits contre des esclaves qui vont être échangés à leur tour aux Antilles
contre du sucre, de la vanille, du cacao et d’autres produits tropicaux très prisés en Europe.
Les esclaves ainsi échangés travaillaient dans les plantations des plantes tropicales (café,
coton et canne à sucre). Ce commerce était d’abord très fructueux pour les négriers et
ensuite pour les propriétaires des esclaves. Dans le triangle pacifique (Europe – Asie –
Amérique), l’échange porte d’une part sur les produits exotiques en provenance d’orient
et les métaux précieux en provenance d’Amérique d’autre part tandis que dans le triangle
atlantique (Europe – Afrique – Amérique), l’échange porte sur les matières premières et
la force de travail en provenance de l’Afrique d’une part, et sur les métaux précieux en
provenance de l’Amérique d’autre part.
L’énormité des profits réalisés dans les plantations conduit à l’augmentation constante de
la demande d’esclaves noirs : pour le seul 18ème siècle, leur nombre est estimé à près de
6 millions. L’estimation par période indique un flux annuel d’environ 10 000 entre 1625
et 1650, date à partir de laquelle il y a une augmentation rapide avec un flux annuel
d’environ 30 000 par an en 1700 et 60 000 par an en 1800. Il faut attendre les années
1850 pour assister au retournement de tendance d’une part du fait des mouvements
contestataires qui sont développés en Afrique et en Amérique mais aussi du fait de
l’évolution économique qui a rendu moins productif, le recours à l’esclave. Certains
historiens évaluent à quelques 100 000 le nombre des africains emmenés chaque année
vers l’Amérique. Il faut y ajouter les pertes dues au transport (15% environ) et plus encore
celles qui survenaient lors des razzias des négriers. Les historiens hésitent sur le chiffre
global du 16ème au 19ème siècle : certains estiment le flux entre 8 et 10 millions, et d’autres
entre 15 et 20 millions. L’Europe a pu financer sa révolution industrielle grâce en partie
aux bénéfices tirés de ces échanges tandis que l’Afrique et l’Amérique ont été durablement
et profondément orientées dès cette époque vers le rôle de pourvoyeurs de force de travail
et de matières premières. Certains auteurs pensent que c’est le pillage opéré par l’Europe
sur le Tiers-Monde et particulièrement pour l’Afrique qui a mis fin au progrès de
nombreuses civilisations africaines et les a fait basculer dans un processus régressif. Alors
que ce pillage a concerné l’or et l’argent pour ce qui est de l’Amérique, les profits du
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0
commerce avec l’Inde orientale pour les Pays-Bas, les tributs dus par l’Inde à la Grande
Bretagne (thé et opium), l’ouverture de la Chine, c’est le commerce des esclaves et les
productions par les esclaves qui ont affecté l’Afrique le plus qu’aucune région du Tiers-
Monde. En Afrique même, la demande d’esclaves crée de toute pièce, dans une société
idéalement égalitaire, les conditions de la dépendance : il existe, dans la plupart des
sociétés africaines comme dans les sociétés asiatiques, des dépendants, réduits à travailler
au service des autres, pour de multiples raisons. Le fait nouveau réside dans la
« déportation sans retour » au-delà de l’Océan. La demande désorganise les sociétés
africaines, même si certaines trouvent dans cette déportation la solution aux problèmes
que posent les asociaux. La complicité de certains royaumes côtiers facilite, en outre, la
collecte des esclaves. L’évaluation de l’impact de la traite sur l’histoire future de l’Afrique
varie en fonction des approches. Cependant, l’on peut estimer que le trafic a durablement
désorganisé le continent jusque dans les régions les plus centrales, notamment par la peur
qu’il engendrait. De plus, face au trafic négrier, les seuls appuis pour un individu face à
une razzia se trouvaient parmi les membres de sa propre ethnie et l’exaltation des liens
ethniques que connait encore aujourd’hui l’Afrique serait ainsi une conséquence directe
de la traite. Enfin, l’extension de l’emploi des esclaves dans le sud actuel de s Etats-Unis
pour la culture du coton va créer dans ces pays une situation de conflit qui deviendra l’un
des plus grands problèmes sociaux et politiques du monde moderne.
7.1.3-L’économie de traite
7.2.1- En France
Tout d’abord, les philosophes, en particulier Charles Secondât Montesquieu dans son livre
« De l’esclavage des nègres », dénoncent le caractère odieux de la traite des noirs. Leurs
arguments seront repris par Victor Riqueti Mirabeau et Marie Jeanne Antoine Caritat
Condorcet au moment de la révolution française. L’esclavage est donc interdit par une
Convention nationale dans les colonies françaises mais un sénatus-consulte de 1802 pris
par le Roi Bonaparte le rétablit, puis suite à la condamnation de la traite au Congrès de
1815, il ne continuera que vers l’Amérique à grande échelle. En 1820, on dénombre 40.000
Noirs transportés sous pavillon français aux Etats-Unis. L’esclavage ne sera
définitivement aboli en France que le 27 avril 1848 par la proclamation d’un Décret pris
sous l’instigation de Victor SCHOELCHER, député de la Martinique et de la Guadeloupe
député.
10
2
7.2.2- En Angleterre
Condamné par la philosophie et par la politique, l’esclavage ne l’est pas moins par la
science économique, qui lui préfère le travail salarié. Le britannique Adam Smith, Chef
de file de l’Economie politique, déclarait dès le 18è siècle que l’esclavage était à
proscrire : « l’ouvrier libre étant supérieur à l’esclave car la contrainte ne rend l’homme
ni inventif, ni zélé, ni intelligent ». En fait, c’est surtout la révolution industrielle qui, en
permettant d’accroitre la productivité de manière considérable par une mécanisation de
plus en plus importante, a consacré le déclin de l’esclavage en réduisant progressivement
le besoin de la main d’œuvre. C’est aussi pour cette raison que, à la suite des USA, tous
les grands pays aboliront l’esclavage. Les Anglais, en 1833, firent voter une loi qui
transformait les esclaves en apprentis travailleurs et dédommageait les propriétaires.
Aux USA, diverses influences se sont fait sentir en faveur de l’émancipation des esclaves
noirs employés dans les grandes plantations des Etats du sud. En 1852, Harriet Beecher
STOWE soulève l’opinion mondiale en faisant paraître « La case de l’Oncle Tom » qui
donne une description des conditions de vie des esclaves. La polémique à ce sujet prend
rapidement un aspect politique, qui aboutit en 1860 à l’élection d’Abraham LINCOLN
comme Président des USA, anti-esclavagiste convaincu. Les mesures qu’il prend alors
pour émanciper les noirs se heurtent à l’hostilité des 11 Etats du sud et sont le point de
départ d’une guerre civile particulièrement sanglante. Réélu en 1864, il poursuivit son
combat pour l’abolition de l’esclavage contre la farouche opposition des Etats du Sud. En
1865, la victoire des fédéraux du nord, dans la guerre de sécession, marque l’effondrement
des partisans de l’esclavage même si la même année Abraham LINCOLN est assassiné
par un jeune fanatique. Le problème de l’esclavage aux Etats-Unis trouva sa solution lors
de la Guerre de Sécession (1861-1865). Au Brésil, l’abolition de l’esclavage n’intervient
complètement qu’en 1888.
10
3
7.2.4- La Communauté internationale
Rivales et avides dans leur chasse aux territoires, les puissances européennes commencent
à avoir une politique plus humaine en abolissant l’esclavage dans leurs territoires conquis
ou dominés et en réprimant la traite négrière. Déjà, dans le cadre du Congrès de Vienne,
la Déclaration du 8 février 1815 condamnait cet odieux trafic. La répression était organisée
sur mer par divers traités, notamment la Convention de Londres de 1841. L’œuvre est
parachevée par la Conférence anti-esclavagiste de Bruxelles qui réunit en 1889 les
puissances européennes ayant des possessions en Afrique et aboutit à une convention de
1890 qui permet d’atteindre les négriers dans leurs repaires de la mer Rouge et de
Zanzibar. Enfin, les articles 22 et 23 du Pacte de la Société des Nations (SDN) prévoit sa
suppression, laquelle est réaffirmée par l’article 4 de la Déclaration universelle des droits
de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) du 10 décembre 1948, A noter
que le Conseil de sécurité de l’ONU a également condamné le travail forcé qu’il considère
comme une forme clandestine d’asservissement.
D’abord dans le cas de l’Angleterre, Maurice DOBB (1981) a signalé qu’au 17è siècle
déjà, des mesures avaient été prises pour interdire la fabrication des produits manufacturés
dans les colonies parce qu’ils pouvaient concurrencer les exportations des industries
anglaises et pour empêcher l’exportation vers d’autres marchés que ceux de l’Angleterre,
d’un certain nombre de produits des colonies. Dans un Acte de 1699 organisant le
commerce entre la Grande Bretagne et ses colonies, on relève un certain nombre de
mesures visant à détériorer l’avantage comparatif des colonies et à favoriser la Grande
Bretagne (interdiction aux colonies américaines d’exporter de la laine, le sucre et le tabac
des colonies qui sont recensés pour être exportés uniquement sur l’Angleterre ou dans les
autres colonies anglaises, une subvention à l’exportation pour certains produits anglais,
une abrogation des droits à l’importation de certaines matières premières telles les
teintures, le chancre, le bois). Dans le même sens, on peut signaler la stratégie mise en
place par la Grande Bretagne en 1636 et qui visait à décourager au maximum les débuts
d’un commerce de textile dans la zone sous influence anglaise. Ensuite, il en est de même
de l’expérience de division de travail entre le Sénégal et la France autour de l’arachide,
qui montre comment la puissance coloniale s’est longtemps opposée (jusqu’à la 2è WW)
10
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à la trituration industrielle de l’arachide du Sénégal. Cette expérience confirme le refus
d’industrialisation des colonies durant la période du capitalisme concurrentiel, le rôle de
la puissance coloniale qui, dans la lutte entre les capitalistes français de la métropole et
ceux de la colonie, prend fait et cause pour les capitalistes de la métropole. Diverses
mesures de restriction ont été prises dans ce sens : refus d’agrément aux capitalistes pour
la trituration locale, droits de douanes et contingentement lorsque la trituration a
commencé tout de même à se développer dans les années 1930. La Conférence
économique coloniale de Marseille tenue en 1935 durant plusieurs mois n’avait pas autre
objet que de remettre en cause les progrès réalisés dans le domaine de la trituration locale.
Il faut attendre 1945 voire 1955 pour que la trituration locale de l’arachide soit autorisée
au Sénégal. Au total, de 1857 à 1960, on peut distinguer trois phrases dans la division
internationale du travail autour de l’arachide entre la France et le Sénégal : exportation
d’arachide brute du Sénégal vers la France, avec transformation en France (1857-1945),
période de transition avec tendance au développement de la trituration sur place (1945-
1955) et principe de la valorisation de l’arachide sur place acquis mais avec de limites
nouvelles fixées pour cette industrialisation naissante du fait de la dépendance
commerciale, financière et technique (à partir de 1955).
En deux points essentiels : la dimension politique des Etats africains au moment et après
les indépendances, la dimension économique basée sur un développement extraverti et sur
un découplage et enracinement résument les conséquences de la colonisation et du pacte
colonial. Le fait historique majeur de l’évolution économique de l’Afrique tient en ce que
le secteur moderne de l’économie ne s’y est pas constitué à partir d’une transformation
progressive de l’économie locale, mais s’y est implanté à l’initiative de l’étranger, pour
répondre à une demande extérieure. De plus, ce secteur a généralement, au départ, recouru
de façon intensive à des facteurs étrangers de production, principalement des cadres
gestionnaires et des capitaux. Né d’une économie étrangère, le secteur économique
moderne en est le prolongement au-delà des mers, témoin de son dynamisme et trouve sa
cohérence et sa rentabilité à travailler pour elle : c’est donc une enclave d’Europe en terre
africaine. En ce qui concerne le commerce extérieur, le cas du Nigeria est caractéristique ;
10
7
un pays dont les ressources publiques et le commerce extérieur sont pour l’essentiel le
pétrole. Les statistiques officielles indiquent que la production du pétrole intervient pour
1/3 à 1/2 du PIB, dépendant du niveau du prix mondial du baril mais le revenu du pétrole
semble avoir un impact limité sur l’économie non pétrolière, celle qui génère les revenus
pour la majorité des nigérians les plus pauvres. En outre, par l’effet du « mal hollandais »,
les exportations de produits agricoles ont chuté du fait de la surévaluation du Naira.
L’arachide (dans le nord) et l’huile de palme (dans le sud) ne sont plus exportées et la
production du cacao est stagnante. Tandis que certaines zones sont excédentaires, d’autres
sont déficitaires et le système de commercialisation est incapable de transférer les surplus
vers les zones déficitaires. Pourtant, en plus des problèmes d’écoulement, il y en a ceux
de stockage et de transformation pour les productions des zones excédentaires.
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8
Chapitre 8 : CHRONIQUE DES LUTTES POUR LES INDEPENDANCES
EN AFRIQUE
La Belgique considérait le Congo comme une colonie « modèle » et vers le milieu des
années 1950, n’envisageait aucune remise en cause de sa domination, malgré un contexte
socio-économique en pleine mutation. Un plan élaboré en 1955, prévoyant une évolution
vers l’émancipation sur une période de trente ans, parut même à certains d’une incroyable
audace. Pourtant, au même moment les nationalistes congolais commencent à se
radicaliser (création par Patrice Lumumba du Mouvement National Congolais, fin
1958).En janvier 1959, des émeutes urbaines à Léopoldville (actuel Kinshasa), qui
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s’étendent au reste du pays, jettent la Belgique dans un tel désarroi qu’elle promet très
rapidement l’indépendance. Acquise en juin 1960 mais préparée dans la précipitation,
celle–ci se solde par des troubles immédiats dans le pays. Au Kenya, avant même que ne
soient élaborées de claires revendications politiques, naît le mouvement mau-mau, qui
culmine en 1952-1953. Si du point de vue miliaire le mau-mau est un échec,
politiquement, le bilan est plus favorable. Le mouvement mau-mau, par sa détermination
même, a amené la Grande-Bretagne aux premières réformes (prises dès 1954). En même
temps, les plus modérés des colons se faisaient à l’idée d’une participation politique
éventuellement majoritaire des Noirs. Enfin, le mau-mau a pour effet de propulser sur le
devant de la scène politique Jomo Kenyatta, nationaliste de longue date que le pouvoir
soupçonne (à tort) d’être le chef clandestin du mouvement comme Nkrumah en Gold
Coast, Kenyatta devient du fait même de son incarcération un héros national fédérateur.
Libéré en 1961, il est alors le principal interlocuteur des Britanniques, qui reconnaissent
l’autonomie interne du Kenya en 1961. Les élections de 1963 voient la victoire de la
KANU (Kenyan Africain National Union) dirigée par Kenyatta. Celui-ci promet de
garantir le droit de toutes les communautés minoritaires (Européens et Asiatiques,
notamment). Il est promu Premier ministre avant même l’indépendance, obtenue en
décembre 1963. Le cas Kenya, où la négociation succède à un conflit armé, n’est pas sans
rappeler celui de Madagascar (insurrection de 1947, indépendance en 1960) ou celui du
Cameroun français (insurrection en 1955, indépendance en 1960). Dans les colonies de
peuplement, la Grande-Bretagne doit faire face à deux revendications contradictoires.
Celle des Africains qui, après avoir réclamé en vain une juste représentation politique,
exigent l’indépendance et celle des colons, minoritaires, qui exigent le maintien de la
domination blanche. La question politique se complique donc d’une donnée « raciale »
et les Britanniques hésitent à accorder l’indépendance sans avoir de garantie sur l’avenir
et les droits de chaque communauté. La création de la Fédération d’Afrique Centrale,
regroupant les deux Rhodésie et le Nyassaland (1953), répond à ce souci. Dans son
principe, le système politique, avec une assemblée fédérale et trois assemblées
territoriales, est fondé sur « l’association des races » et se veut multiracial. Mais dans les
faits, faute d’une représentation proportionnelle, l’essentiel du pouvoir politique demeure
aux mains des Blancs, qui concentrent également le pouvoir économique. La réponse
11
1
africaine ne se fait pas attendre, et prend une double forme : mouvement insurrectionnels
et bataille menée par différents partis contre la Fédération derrière Kenneth Kaunda
(Rhodésie du Nord) ou Robert Mugabe (Rhodésie du Sud). Contrainte d’admettre l’échec
de cette tentative politique, la Grande-Bretagne dissout la fédération en 1963. La Rhodésie
du Nord (Zambie) accède à l’indépendance un an plus tard et le Nyassaland (Malawi) en
1965. Le cas de la Rhodésie du Sud est plus complexe. Refusant une indépendance
négociée entre Britanniques et Noirs, les colons se groupent derrière leur leader Ian Smith,
qui proclame unilatéralement l’indépendance en 1965 et calque son régime sur celui de
l’Afrique du Sud. Pour les Africains, l’enjeu change : il ne s’agit plus de lutter pour
l’indépendance, mais pour la libération. La lutte est menée par deux organisations
concurrentes, la Zimbabwe Africain Peole’s Union « ZAPU) et la Zimbabwe Africain
National Union (ZANU), qui mènent la guérilla jusqu’au cessez-le feu (janvier 1980) et
voit la victoire de l’aile radicale du mouvement menée par Robert Mugabe (févier 1980).
8.1.3- Les indépendances conquises par la lutte armée
Par ce titre de roman à double sens, l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma exprimait à
la fois l’enthousiasme qui accompagne une aube nouvelle, celle de la souveraineté
politique, et les désillusions qui lui ont rapidement succédé.
Une fois l’indépendance obtenue, la question se pose autour de la forme à donner aux
nouveaux Etats, et notamment du régime et du mode de gouvernement. En fait, les choix
politiques ne sont guère dissociables des options économiques adoptées par les Etats
indépendants. C’est ainsi qu’à une économie capitaliste correspond généralement un
régime de démocratie libérale (Sénégal) – qui n’exclut pas des dérives autoritaires
ultérieures (Côte-d’Ivoire). A l’inverse, certains Etats (Guinée, République populaire du
Bénin) optent pour le modèle soviétique dans toute son orthodoxie (dictature du
prolétariat et économie socialiste). Enfin, un nombre non négligeable de pays tentent un
« socialisme africain », souvent assez éloigné du marxisme-léninisme et variant d’ailleurs
selon les États. Nkrumah, au Ghana essaie de combiner socialisme et unité africaine,
tandis que Nyerere, en Tanzanie, veut appuyer le socialisme sur la solidarité
communautaire, notamment en milieu rural. Au début des indépendances, dans la majorité
des pays le pouvoir était déjà fortement concentré entre les mains d’une classe sociale très
minoritaire : la bourgeoisie intellectuelle, qui tendait à reprendre à son compte les
structures et le fonctionnement de l’Etat colonial. Or, cette tendance à l’accaparement du
pouvoir s’accentue avec le temps, quel que soit par ailleurs le type de régime concerné.
On assiste peu à peu à la mise en place de pouvoirs personnels, accompagnée d’un
véritable culte de la personnalité : on glorifie les « pères fondateurs » ou « pères de la
nation », hérauts (celui qui annonce la venue de quelqu’un ou de quelque chose) et héros
(celui qui se distingue par son courage, sa qualité ou ses exploits exceptionnels) de
l’indépendance (Nkrumah en Gold Coast, Kenyatta au Kenya. Houphouët-Boigny en
11
5
Côte-d’Ivoire, Nyerere en Tanzanie, Senghor au Sénégal). Mais on assiste également à
une confiscation du pouvoir par l’imposition progressive du parti unique, y compris dans
les régimes dits libéraux : en 1983, l’Afrique noire comptait 18 Etats à parti unique qui
mènent en fait dans de nombreux cas à des régimes autoritaires, voire dictatoriaux. Jusqu’à
une période récente, l’Afrique noire se caractérise par une forte instabilité politique : on
relève une bonne douzaine d’assassinats de chef d’Etat ou de Gouvernement et une
soixantaine de coups d’Etat en trente ans. Dans bon nombre de cas, il s’agit de putschs
militaires. Mais si les régimes militaires sont fréquents en Afrique postcoloniale, tous ne
sont pas de même nature. Certains se relèvent plus progressistes que les gouvernements
auxquels ils succèdent (coup d’Etat de Thomas Sankara au Burkina Faso en 1983).
D’autres se veulent provisoires et leurs instigateurs passent en effet la main après
amélioration de la situation du pays (premier coup d’Etat de Rawlings au Ghana en 1979).
Mais dans de nombreux cas, les coups d’Etat mettent à bas des régimes progressistes
(renversement de Milton Obote par Idi Amin Dada en Ouganda en 1971) et se terminent
bien en dictatures. Parmi bien d’autres cas, on peut retenir les dictatures instaurées par
Sékou Touré en Guinée (1958-1984), Idi Amin Dada en Ouganda (1971-1979), ou Jean
Bedel Bokassa en République centrafricaine (1966-1979). Leurs régimes se distinguent,
à des degrés divers, par leur caractère répressif, fondé sur la liquidation (y compris
physique) des opposants et l’usage de la terreur d’Etat. Leur légitimité, plus que douteuse,
prétendait reposer sur une plus grande efficacité que les régimes libéraux, souvent
impuissants à résoudre les crises économiques et politiques. Mais le marasme dans lequel
est plongé l’Ouganda sous Amin Dada, par exemple, montre que l’incurie des systèmes
dictatoriaux n’avait rien à envier aux faiblesses des autres régimes occidentaux à la veille
des années 1960. Se font de nouvelles tendances, souvent rassemblées sous l’expression
de « processus démocratique ». D’une part, après l’effritement du bloc soviétique, les
régimes socialistes de toutes obédiences semblent être sur le déclin. D’autre part, la remise
en cause du pouvoir autoritaire par les sociétés civiles africaines, évidente dès les années
1970 dans certains pays, a connu une nouvelle vigueur. Les revendications politiques,
souvent menées par les jeunes en milieu urbain (nombreuses grèves dans les universités
et les lycées, parfois relayées par des émeutes), portent à la fois sur les fins et sur les
moyens de démocratisation du système (organisation d’élections libres, respect des droits
11
6
de la personne, justice sociale, retour au multipartisme et au gouvernement civil). Au
début des années 1990, dans plusieurs pays, sont réunies des « conférences nationales »
pour étudier les modalités de la marche vers une démocratie libérale (Bénin en 1990 ;
Guinée-Bissau en 1991, Tchad en 1993, etc.). Les revendications portent leurs fruits dans
bien des cas : le multipartisme est obtenu notamment au Mali, au Cameroun, au Bénin,
en Angola, au Tchad, au Togo, en Zambie. Depuis sont organisées des élections (plus ou
moins libre selon les pays). En outre, dépassant le strict cadre des « conférences
nationales » et des changements de constitutions internes, une quarantaine de pays
africains réunis à Dakar (1992) rédigent une déclaration par laquelle ils reconnaissent la
nécessité d’une démocratisation. Mais celle-ci risque d’être un processus long, comme le
prouvent le cas de la Sierra Leone (coup d’Etat militaire en 1997) ou celui du Zaïre
(interdiction des partis en 1997).
Créée en Mai 1963, l’OUA rassemblait 30 Etats (50 en 1991 et 94 aujourd’hui). Elle a
pour siège Addis-Abeba (Ethiopie) et pour buts la promotion de la solidarité et de l’unité
entre Etat africains, la lutte contre toute forme de colonialisme et une politique de non-
alignement. L’euphorie qui accompagne sa création ne cache pas entièrement les
divergences déjà présentes dans le courant panafricain entre partisans de l’unité politique
la plus large et tenants de l’Etat-nation. Ces derniers l’emportent à la Conférence du
Caire (1964) où est affirmé le principe d’intangibilité des frontières coloniales. Enfin,
l’OUA mène des activités culturelles et socio-économiques et a promulgué en 1979 la
Charte africaine des droits de l’homme. Cependant, les mouvements de rapprochement
entre Etats et les essais de fédération se soldent le plus souvent par des échecs (dissolution
de la fédération rassemblant Sénégal et Mali dès 1960), tandis que les conflits entre Etats
voisins soulignent la difficulté à s’entendre sur la question des frontières (guerre entre
Ouganda et Tanzanie en 1971, entre Sénégal et Mauritanie en 1989-1990, entre la Libye
et le Tchad durant trois décennies). Il existe donc dans les Etats africains postcoloniaux
une dynamique contradictoire, à la fois centrifuge et centripète. Cette difficulté, qui n’est
pas propre à l’Afrique, ne serait pas inquiétante si elle ne s’ajoutait pas à de nombreuses
autres. Mais outre que l’Etat ne paraît pas toujours à même de régler les crises
(économiques, sociales, politiques), il en génère lui-même : confiscation du pouvoir,
corruption, népotisme, clientélisme ; inefficacité, criminalité d’Etat. La liste semble si
longue structure mal selon une idée répandue, l’Etat, il faut rappeler que si ces
phénomènes y sont particulièrement répandus, ce l’afro pessimisme, il convient de
comprendre pour quelles raisons l’Etat en Afrique tend aujourd’hui à se distinguer par la
« population du ventre » qui consiste à confondre l’exercice du pouvoir avec la
satisfaction d’un appétit personnel.