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Université d’Etat d’Haïti (UEH)

Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV)

Cours « Systèmes Agraires »

Enseignant : Jean Marie Robert CHERY

8) LES SYSTEMES DE CULTURE SUR ABATTIS-BRULIS

L’écosystème cultivé

Les cultures sur abattis-brulis sont pratiquées dans des milieux boisés.
Elles sont installées sur des terrains préalablement défrichés par
essartage, c’est-à-dire par un abattis suivi d’un brûlis, mais sans
dessouchage. Les parcelles ainsi défrichées ne sont cultivées que durant
une, eux ou trois années, rarement plus, après quoi elles sont
abandonnées à la friche boisée durant une ou plusieurs décennies, avant
d’être de nouveau défrichées et cultivées.

Les systèmes de culture sur abattis-brûlis, que l’on appelle aussi parfois
système agraires forestiers, sont donc des systèmes de culture temporaire
alternant avec une friche boisée de longue durée, pour former une
rotation dont la période varie d’une dizaine à une cinquantaine d’années.

L’origine de ces systèmes remonte à l’époque néolithique. Depuis lors,


ils se sont étendus à la plupart des forêts et des autres milieux boisés
cultivables de la planète, où ils ont perduré des milliers d’années. Dans
chaque région du monde, cette dynamique pionnière s’est accompagnée
d’un fort accroissement démographique et elle s’est poursuivie aussi
longtemps qu’il est resté des terrains boisés accessibles, jamais encore
défrichés.

Mode d’exploitation (Abattis, brûlis et préparation du sol)/Système


d’outillage
Pour installer des cultures dans un milieu boisé tant soit peu dense, il faut
au préalable leur faire une place au sol et au soleil en détruisant tout ou
partie de la végétation spontanée. Pour ce faire, lorsqu’ils sont confrontés
à une forêt primaire puissante, les cultivateurs forestiers munis de haches
et de sabres d’abattis se bornent généralement à pratiquer une éclaircie
partielle : ils ne coupent que les sous-bois et les arbres faciles à abattre.
Dans les milieux boisés moins puissants, le défrichement s’accentue au
point que la quasi-totalité des bois debout peut être abattue, seuls certains
arbres utiles étant conservés.

Après l’abattis, le terrain reste encombré, en surface, de feuillages, de


branchages et de troncs morts, dont il faut se débarrasser avant de
l’ensemencer ou de le planter. Le procédé le plus courant consiste alors à
laisser sécher ce matériel végétal, puis à le brûler juste avant les pluies et
les semis de manière que les cultures bénéficient au mieux des minéraux
nutritifs contenus dans les cendres. Dans certaines sociétés de
cultivateurs faiblement outillés, le brûlis est directement suivi des
opérations de semis ou de plantation, sans préparation du sol particulière.
Les semences, les plants ou les boutures sont alors placés dans de simples
trous, ouverts dans le sol à l’aide d’un bâton fouisseur ou d’une petite
houe. Ces trous sont ensuite comblés et tassés pour faciliter la
germination des graines ou la reprise des plants. Mais le plus souvent le
brûlis est suivi d’un travail du sol destiné à favoriser le développement
des plantes cultivées. Ce travail, exécuté à la houe, consiste à ouvrir, à
remuer et à mélanger le sol sur quelques centimètres de profondeur, afin
de préparer ce que l’on appelle un lit de semence, ou lit de culture. Pour
semer des céréales, le sol ameubli est laissé en place pour former un lit de
semence plat, d’épaisseur uniforme. Mais pour planter des tubercules ou
des boutures, les horizons superficiels du sol sont ensuite rassemblés, soit
en buttes arrondies, soit en billons allongés.

Dans certains systèmes, on ne pratique après défrichement qu’une seule


culture qui doit alors couvrir la plus grande partie des besoins caloriques
de la population. Il s’agit le plus souvent d’une céréale comme le riz, le
mil ou le maïs, d’un tubercule comme l’igname, d’une racine comme le
manioc ou le taro, qui fournissent une alimentation de base, riche en
glucides. Dans d’autres systèmes, cette culture principale est suivie d’une
ou deux cultures secondaires : des légumineuses riches en protéines et en
lipides comme le pois, le haricot, l’arachide ou le soja, ainsi que des
légumes et des condiments divers servant à faire des sauces comme la

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tomate, le gombo, la courge et le piment. La culture principale est alors
installée immédiatement après le défrichement et la préparation du sol, de
manière à bénéficier des meilleures conditions de fertilité. Les cultures
secondaires, moins exigeantes, moins essentielles et moins productives
viennent ensuite et sont fréquemment conduites en association.

Les cultures sur abattis-brûlis n’en restent pas moins, en général, des
cultures temporaires qui ne durent qu’une, deux ou trois années, rarement
davantage.

Après cette courte période de culture, la parcelle est abandonnée à la


friche boisée de longue durée, avant d’être de nouveau défrichée et
remise en culture. Selon les systèmes, la durée de cette friche varie d’une
dizaine à plusieurs dizaines d’années.

Le renouvellement de la fertilité

La première culture pratiquée dans les mois qui suivent un abattis-brûlis


s’enracine dans un sol particulièrement fertile et elle donne une récolte
abondante, exportant par là même une partie des minéraux disponibles.
Par ailleurs, le sol cultivé perd une partie des minéraux par lessivage et
par dénitrification. Ainsi, les apports exceptionnels de minéraux résultant
de l’abattis-brûlis s’épuiser, et les rendements des cultures suivantes
baissent assez vite. Dans les milieux les moins fertiles, on renonce même
à pratiquer une seconde culture, dont le rendement serait trop bas. Dans
les milieux plus fertiles, les cultures peuvent se prolonger plus
longtemps, mais elles sont alors concurrencées par le développement de
la végétation spontanée : les arbres et les arbustes non détruits, ainsi que
les herbes sauvages, envahissantes après une éclaircie, poussent leurs
racines dans le sol cultivé et absorbent une part croissante des minéraux
nutritifs.

Pour réduire cette concurrence, les cultivateurs arrachent les mauvaises


herbes et détruisent leurs racines par des binages à la houe. Ces binages
ameublissent et aèrent les horizons superficiels du sol cultivé, qui
accélère un peu plus le processus de décomposition et de minéralisation
de la matière organique, et contribue encore à enrichir, momentanément
le sol en minéraux.

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La méthode de renouvellement de la fertilité consiste, après avoir
défriché un terrain et après l’avoir cultivé quelque temps, à laisser la
végétation sauvage se reconstituer et restituer les quantités de matières
organiques et minérales suffisantes pour compenser les pertes
occasionnées par sa mise en culture ; après quoi on peut de nouveau
défricher et cultiver ce terrain.

L’élevage

Un milieu forestier dense comme la forêt tropicale humide est peu


hospitalier pour les animaux domestiques. Ce milieu peu pénétrable et
parfois dangereux offre en effet des ressources fourragères limitées aux
herbivores (vaches, moutons, chèvres, ânes et chevaux) et aux autres
animaux (porcs et volailles), de sorte qu’ils sont tributaires des maigres
surplus agricoles et des sous-produits des cultures destinées à
l’alimentation humaine. D’un autre côté, tant que le milieu cultivé
demeure très boisé, les animaux ne peuvent guère rendre des services à
l’agriculture ; les parcelles défrichées, encombrées de souches et de
racines, se prêtent mal à l’utilisation d’instruments de travail tirés par des
animaux ; quant à la reproduction de la fertilité des terres cultivées, elle
n’a pas besoin du concours des animaux puisqu’elle est assurée par la
friche boisée de longue durée.

L’organisation sociale/Mode de tenure foncière

Les villages de cultivateurs forestiers sont composés de familles


apparentées entre elles ou non, constituant autant d’unités de production-
consommation. Chaque famille se voit attribuer chaque année, par
l’instance villageoise compétente (chef de terre, conseil…), des parcelles
boisées cultivables correspondant à ses besoins. Le droit d’usage (privé)
d’une famille sur les parcelles qui lui sont attribuées, droit de défricher,
de cultiver et de récolter les fruits de son travail, s’éteint avec la dernière
récolte et la terre abandonnée à la friche boisée de longue durée retourne
au domaine commun.

Ce droit d’usage temporaire tend à devenir un droit d’usage permanent


lorsque des plantations pérennes (café, cacao, hévéa…) sont mises en
place, ou lorsque, du fait de l’accroissement de la population ou de la

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dégradation d’une partie des terres, la durée de la friche se réduit au point
que l’exploitation d’un terrain par une même famille tend à devenir
continue. Ajoutons que lorsqu’une bonne partie des terres est soumise à
un droit d’usage permanent, et que les friches temporairement cultivables
se font rares, le droit de cultiver chaque parcelle de terrain est de plus en
plus rationné et étroitement dévolu à telle ou telle famille, de sorte que la
cession de ce droit à un tiers se traduit par un manque à gagner qui exige
une compensation, c’est-à-dire en fait le paiement d’une redevance
foncière : un fermage si la cession de ce droit d’usage est temporaire, une
vente si la cession est définitive. En devenant marchandise, cette terre
devient aussi un objet d’appropriation publiquement reconnue.

La déforestation et ses conséquences

L’augmentation de la densité de la population a provoqué l’extension de


la superficie défrichée chaque année, ce qui conduit nécessairement à
abattre des friches de plus en plus jeunes. Pour compenser la baisse de
rendement réel qui en résulte, il faut alors procéder à des défrichements
de plus en plus complets, en coupant les bois jusque-là épargnés, de
manière à étendre la superficie effectivement ensemencée. A partir de ce
moment, la durée de la friche diminue très vite et le déboisement
s’accélère très fortement.

Une fois toutes les réserves vierges investies et la densité de la population


continuant d’augmenter, la fréquence et l’intensité des défrichements se
sont accrues, amorçant ainsi une dynamique de déboisement (ou de
déforestation) des terres cultivées par abattis-brûlis, qui a fini par rendre
impossible la poursuite de ce mode de culture. Ce déboisement s’est
généralement traduit par une dégradation de la fertilité, par le
développement d’une érosion plus ou moins grave selon le biotope, et par
une péjoration du climat pouvant aller jusqu’à la désertification.

Réduction de la fertilité

Le passage de la friche boisée de longue durée à la friche herbeuse de


moyenne ou de courte durée a pour première conséquence la disparition
ou la réduction des cendres obtenues après brûlis, et aussi une réduction

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de la litière et donc de la teneur du sol en humus. Cette réduction entraine
une baisse de la capacité de stockage en eau et en sels minéraux, et une
diminution de la quantité de minéraux provenant de la minéralisation de
l’humus.

Erosion

Dans un milieu déboisé, les eaux de pluie frappent directement le sol sans
que leur chute ait été amortie par la végétation ; de plus, leur écoulement
à la surface du sol rencontre généralement moins d’obstacles. Dans ces
conditions, le ruissellement des eaux augmente et s’accélère, alors que
leur infiltration diminue.

Assèchement du climat

Après déboisement, les réserves d’eau du sol et de la végétation, qui se


reconstituaient à chaque saison des pluies, sont fortement réduites. Elles
s’épuisent donc plus vite et l’évapotranspiration s’arrête plut tôt au début
de la saison sèche ; ainsi, le sol se dessèche et les basses couches de
l’atmosphère ne sont plus humidifiées ni rafraîchies. De ce fait, les
systèmes nuageux qui transitent à cette saison au-dessous de ces régions
ne rencontrent plus le front atmosphérique froid et humide qui,
auparavant, déclenchait quelques pluies tardives. En conséquence, la
pluviométrie baisse et la saison sèche se trouve accentuée et allongée.

La double crise écologique et de subsistance qui en a résulté ne fut


ensuite dépassée que par le développement de nouveaux systèmes
agraires « post forestiers », très différenciés : systèmes hydrauliques des
régions arides, système de savane des régions tropicales, système de
riziculture aquatique des régions de mousson…

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9) Les Systèmes agraires hydrauliques des régions arides

Dans les régions arides, ou aridifiées à la suite de leur propre


déboisement ou du déboisement des régions périphériques, la végétation
se fait rare, le sol dépourvu de matière organique devient squelettique, et
les cultures pluviales deviennent impossibles. Seules restent cultivables
les zones qui bénéficient d’un apport d’eau extérieur. Elles sont
approvisionnées en eau soit par de grands fleuves qui s’alimentent dans
des régions pluvieuses éloignées, soit par des cours d’eau descendant des
montagnes voisines mieux arrosées, soit par des résurgences de nappes
d’eau souterraines alimentées de l’extérieur, soit encore par des nappes
fossiles. La mise en valeur de ces zones n’est pas toujours facile : elle
exige souvent des aménagements hydrauliques préalables, parfois légers,
mais parfois gigantesques. C’est dans ce genre de milieu que, dès la plus
haute antiquité (6ème millénaire avant le présent), des formes nouvelles
d’agriculture non pluviale (cultures de décrue et cultures irriguées),
reposant sur de tels aménagements, ont donné naissance aux premières
grandes civilisations hydro-agricoles de l’histoire.

Cultures de décrue et cultures irriguées

Dans une vallée submergée plusieurs mois par an par une crue massive,
comme la vallée du Nil, le problème essentiel était d’enfermer les eaux
de crue pendant un temps suffisant dans des bassins aménagés à cet effet,
puis d’évacuer ces eaux en temps voulu pour y pratiquer des cultures de
décrue, et enfin de protéger ces cultures contre un éventuel retour de
crue tardif. Les cultures de décrue étaient semées après le retrait de
l’inondation, quand les sols étaient gorgés d’eau et enrichis d’alluvions,
et elles sont récoltées au printemps. Les cultures de céréales (blé, orge,
millet) et de lin, exigeantes en éléments minéraux, alternaient avec des
cultures de légumineuses alimentaires (pois, lentille) ou fourragères,
enrichissantes pour le sol.

Par contre, dans les vallées qui n’étaient pas régulièrement inondées, les
cultures de décrue n’étaient guère possibles ; le problème essentiel était
alors d’utiliser l’eau du fleuve ou celle des nappes pour pratiquer des
cultures irriguées, tout en les protégeant si nécessaire des crues
occasionnelles. Elles sont aussi anciennes que les cultures décrue. Au
temps des premiers villages, des cités-Etats et des premiers pharaons,

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l’arrosage manuel à la cruche de terre cuite ne pouvait guère s’étendre
qu’au voisinage immédiat des points d’eau. A partir du XIV e siècle avant
J.-C toutefois les cultures irriguées ont pu gagner un peu de terrain grâce
à l’adoption du puits à balancier en provenance de Mésopotamie. Mais
ces cultures se sont surtout développées après la conquête grecque (333
avant J.-C), grâce à l’usage de nouvelles machines de puisage et
d’élévation de l’eau beaucoup plus efficaces ; la vis d’Archimède et la
roue à godets qui, dans l’Antiquité, étaient généralement actionnées par
de la main d’œuvre servile. Au moyen âge, à l’époque arabe notamment,
les cultures irriguées purent encore progresser grâce à l’utilisation
croissante de la traction animale, des moulins à vent et des moulins à eau
pour actionner ces machines, les roues à godets en particulier.
A la différence des cultures de décrue, toujours pratiquées en hiver, les
cultures irriguées pouvaient être pratiquées à différentes saisons.
L’aménagement de périmètres irrigables en toutes saisons permettait de
pratiquer des cultures comme la canne à sucre, le coton : deux cultures
tropicales d’exportation, sources de profit, de devises et de matière
première pour l’industrie, qui ont alors inspiré les politiques de
réaménagement de la vallée en vue d’étendre l’irrigation.

Le développement des systèmes de riziculture aquatique

Dans les régions tropicales humides, qui reçoivent plusieurs mètres d’eau
par an, vallées et bas-fonds sont périodiquement submergés par les crues
des rivières, par les eaux de ruissellement ou même directement par les
pluies. C’est dans ce genre de milieu que le riz aquatique, riz qui pousse
en terrain inondé, a commencé d’être cultivé, il y plus de 6.000 ans, dans
plusieurs régions d’Asie des moussons, de l’Inde à la Chine méridionale.
La culture du riz d’origine aziatique (Oryza sativa) s’est ensuite étendue
à l’ensemble des régions tropicales et subtropicales d’Asie, puis aux
régions tempérées chaudes d’Asie, d’Europe et d’Amérique. D’autre part,
il y a 3.500 ans environ, une autre espèce de riz d’origine africaine
(Oryza glaberina) fut domestiquée dans le delta central du Niger. De
nombreuses variétés de cette espèce ont ensuite été cultivées dans les
vallées du Niger, du Sénégal, de la Gambie, de la Casamance et sur la
côte guinéenne
Par ailleurs, une riziculture non aquatique, dite riziculture « en sec »,
s’est également développée dans les régions tropicales suffisamment
arrosées, mais elle n’a guère dépassé le stade de culture sur abattis-brûlis

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et son importance reste secondaire. Le riz aquatique par contre, grâce à la
progression des aménagements hydrauliques, des pratiques culturales et
des variétés, a connu un immense développement qui en a fait, aux côtés
du blé et du maïs, l’une des trois céréales les plus consommées au
monde : le tiers de l’humanité s’en nourrit chaque jour.

Plans d’eau naturels

Dans un premier temps, le riz fut cultivé dans les zones naturellement
submergés plusieurs mois par an. Les riz flottants sont particulièrement
bien adaptés à ces plans d’eau, dont le niveau non contrôlé varie
beaucoup.

Casiers rizicoles

En dehors de ces plans d’eau naturels, l’extension de la riziculture


aquatique est ensuite passée par l’aménagement de plans d’eau artificiels,
grâce à la construction de petits bassins, ou casiers rizicoles, constitués
d’une pièce de terrain relativement plat entourée d’une diguette en terre
de quelques dizaines de centimètres de hauteur. Pour contrôler le niveau
de l’eau dans les casiers, il suffisait d’évacuer l’excès d’eau de casier en
casier, de l’amont vers l’aval, en pratiquant dans les diguettes des brèches
à la hauteur voulue ; éventuellement, l’excès d’eau était repris dans des
canaux collecteurs, qui l’entraînaient vers un exutoire naturel.

Irrigation, extension de la riziculture et multiplication des récoltes

Dans les vallées et les deltas, l’irrigation n’est pas toujours facile car, en
basse saison, les eaux des fleuves et des canaux se trouvent généralement
à un niveau inférieur à celui des casiers. Il faut alors, soit remonter l’eau
grâce à des appareils élévateurs actionnés par l’homme, par des animaux
ou par des moteurs, ce qui est coûteux, soit construire un vaste réseau
d’irrigation partant de très loin en amont, et conduisant l’eau dans les
casiers grâce à des canaux surélevés par rapport à la plaine rizicole, ou
parfois aujourd’hui grâce à des tuyaux sous pression.

Chacune à sa manière, ces étapes de développement de l’irrigation ont


permis d’étendre la riziculture aquatique sur des terrains et sous des
climats plus variés et plus vastes, et elles ont permis de prolonger les
saisons de culture et de multiplier les récoltes.

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Repiquage, traction animale, sélection et multiplication des récoltes

Cependant, bien d’autres progrès ont participé de ce formidable


développement de la riziculture aquatique : le repiquage du riz,
préalablement semée et élevé dans des pépinières de petite dimension, a
raccourci le temps d’occupation de la rizière et facilité l’augmentation du
nombre des récoltes annuelles. L’utilisation de la traction animale puis
motorisée pour labourer, malaxer et aplanir le sol avant le repiquage a
fait, elle aussi, gagner un temps précieux. Enfin, la sélection de variétés
non photopériodiques (c’est-à-dire peu sensibles à la durée relative du
jour et de la nuit, et donc cultivables en toutes saisons et sous des
latitudes variées), et de variétés à cycle végétatif très court, a permis de
réaliser plus de trois cultures de riz par an.

Organisation sociale/Mode de tenure de terres

L’existence de l’Etat pharaonique. Propriétaire éminent de toute la terre


d’Egypte, de l’eau du Nil, de tous les êtres vivants et de tous les biens qui
s’y trouvent, Pharaon est la maître absolu, de droit divin, de tout le pays.
Chef suprême de l’armée et du clergé, disposant en dernier ressort de tout et
de tous, Pharaon gouverne, secondé par un vizir (sorte de premier ministre)
qui s’appuie sur une administration nombreuse, spécialisée et hiérarchisée, et
sur une armée de scribes. Rémunérés en nature à partir du produit de
l’impôt, ou par le produit des terres dont ils reçoivent l’usufruit (la monnaie
n’est pas utilisée dans l’ancienne Egypte), les fonctionnaires et les scribes
sont très enviés du reste de la population.

L’immense de la majorité de la population est composée par les familles


paysannes, groupées en gros villages, peu ou pas différenciés. Chaque
famille dispose d’un misérable logis aux murs de terre crue montés à la
main, d’un petit lopin de terre de bassin. Une partie des terres est réservée au
pharaon et à l’administration, et une autre partie encore est donnée en
usufruit au clergé et à de hauts fonctionnaires. Mais avec le temps, les
fonctions administratives ayant eu tendance à devenir héréditaires, l’usufruit
des terres ainsi concédées s’est transformé en fait sinon en droit, en une sorte
de possession privée transmissible par héritage. Notons également qu’à
partir de la 18ème dynastie les soldats engagés qu’ils fussent égyptiens ou
étrangers, se virent attribuer des lots de terre cultivable auxquels ne

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s’attachait aucune autre redevance que le service militaire. Ces lots étaient
transmissibles à la génération suivante, dès lors que l’un des fils s’engageait
aussi comme soldat. Ainsi se constitua peu à peu une caste guerrière qui
exploitait de manière héréditaire une partie de la terre d’Egypte.

L’élevage

Chaque famille disposait de volailles et, dans le meilleur des cas et de


quelques pièces de bétail (vache, âne, chèvres, brebis)

Mode de renouvellement de la fertilité

Il se fait d’abord par l’apport de limons et des eaux de crue (apportant de


l’azote). On pratiquait des rotations culturales alternant les céréales et les
légumineuses fourragères. La présence des légumineuses dans ces rotations
permettait de lever le principal facteur limitant les rendements des céréales,
qui était le manque d’azote. Les résidus de culture, les pailles de céréales
sont pâturées sur le champ après les récoltes et les déjections animales
étaient alors directement restituées au sol.

Les outils de la haute antique égyptienne

Les familles possédaient un outillage néolithique à peine amélioré :


- les houes
- l’araire (outil scarificateur qui à la différence de la charrue, ne
retourne pas la terre). Jusque vers 4 000 ans avant le présent, il
s’agissait d’un simple outil en bois tiré à la main. Puis les araires
furent attelés à des animaux de trait (bœufs, ânes)
- la faucille (pour la récolte des céréales)
- la fourche (pour séparer le grain de la paille)

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10) Les systèmes agraires à jachère et culture attelée légère

Ces systèmes sont issus des systèmes de cultures temporaires sur abattis-
brulis qui occupaient les milieux boisés de ces régions depuis l’époque
néolithique. Leur développement fut postérieur d’environ 2000 ans à celui
des systèmes hydro-agricoles des régions arides (Mésopotamie, vallées du
Nil et de l’Indus). Dans les régions tempérées chaudes, la prédominance des
systèmes à jachère n’excluait d’ailleurs pas la présence limitée de systèmes
hydro-agricoles.

L’écosystème cultivé
Pratiqués dans des milieux assez arrosés pour permettre la culture pluviale
des céréales, et assez déboisés pour laisser place au développement de
l’élevage pastoral, ces systèmes reposent sur l’association de ces deux
activités. Les cultures de céréales sont concentrées sur les terres labourables
les plus fertiles (l’ager) où elles alternent avec une friche herbeuse, la
jachère, formant ainsi une rotation de courte durée, généralement biennale.
Le bétail quant à lui exploite les pâturages périphériques (le saltus)
relativement étendus et il joue un rôle dans les travaux des champs et dans la
reproduction de la fertilité des terres cultivées ; il fournit l’énergie nécessaire
à la traction de l’araire et au transport sur bât, instruments de travail
caractéristiques de la culture attelée légère ; par ailleurs, pâturant le jour sur
le saltus et parqué la nuit sur les jachères, le bétail assure, par ses déjections,
un certain transfert de fertilité des pâturages vers les terres labourables.

L’adoption d’un nouvel outillage


Si la hache et le feu sont des moyens appropriés pour défricher une forêt ou
une friche boisée, ils sont par contre inopérants pour défricher le tapis
d’herbes spontanées d’une jachère. Il faut pour cela d’autres outils. C’est
ainsi que les agriculteurs de l’Antiquité ont utilisé des outils manuels, la
bêche et la houe, et un outil tiré par des animaux, l’araire. La bêche et la
houe permettent l’une et l’autre de labourer le sol, c’est-à-dire de le
retourner et donc d’enfouir et de détruire dans une large mesure les herbes
folles de la jachère.

Rotations culturales pratiquées


Dans les systèmes à jachère et culture attelée légère, la rotation biennale, qui
est la plus répandue, comporte une seule culture de céréale qui alterne avec
une seule année de jachère herbeuse. Il s’agit généralement d’une culture de

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céréale d’hiver, semée à l’automne et récoltée l’année suivante en été ; elle
occupe le terrain durant neuf mois environ. Cette céréale d’hiver est souvent
du blé sur les bonnes terres, du seigle sur les terres moins fertiles, ou un
mélange des deux. Il peut s’agir aussi d’orge ou d’avoine. Après la moisson,
la jachère s’installe pour une quinzaine de mois, de la fin de l’été jusqu’à
l’automne de l’année suivante.

Un nouveau mode de reproduction de la fertilité


Il est essentiellement réalisé par les troupeaux d’herbivores domestiques,
grâce à une conduite appropriée des cultures, des pâturages et des élevages :
les animaux sont conduits tôt le matin sur le saltus proche du village afin d’y
pâturer tout au long de la journée, puis ils sont ramenés sur les jachères en
soirée afin d’y stationner durant la nuit et d’y déposer leurs déjections. De
cette manière, une partie de la biomasse pâturée sur le saltus rapproché est
recueillie (sous forme de déjections) sur les jachères, alors que les transferts
inverses de biomasse, des jachères vers le saltus, sont assez réduits).

11/ Les systèmes agraires à jachère et culture attelée lourde

Ces systèmes sont issus des systèmes à jachère et culture attelée légère.
Comme ces derniers, ils reposent sur l’association de la céréaliculture
pluviale et de l’élevage : les céréales occupent les terres labourables où elles
alternent avec la jachère pour former une rotation de courte durée, tandis que
le bétail tire sa subsistance des herbages naturels périphériques et joue un
rôle capital dans les travaux des champs et dans le renouvellement de la
fertilité des terres céréalières. Mais la culture attelée lourde se distingue de la
culture attelée légère par l’usage de moyens de transport et de travail du sol
beaucoup plus puissants : les chars à roues (charrette) se substituent au
transport sur bât, et la charrue, contrairement à l’araire qu’elle remplace,
permet de réaliser un véritable labour. Le travail de la charrue a été en outre
complété par le passage d’un nouvel instrument, la herse, qui scarifie,
émotte et amenuise la terre, tout en arrachant les mauvaises herbes
résiduelles lors de son avancement.

Par ailleurs, pour échapper aux difficultés de déplacement quotidien du


bétail durant l’hiver, on a construit, près des lieux d’habitation, des
bâtiments destinés à abriter les animaux (étables, écuries, bergeries) et les

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réserves de foin. Grâce à de telles installations, le bétail peut passer toute la
mauvaise saison en stabulation, ce qui permet de recueillir toutes ses
déjections, de jour comme de nuit. Ces déjections étant humides, et donc
peu maniables, on les mélange `a une litière composée de broussailles, de
feuillées ou de pailles de céréales ; on obtient ainsi une sorte de compost, le
fumier, aisément manipulable à la fourche et transportable. L’usage du
fumier constitue un mode de transfert de fertilité des herbages vers les terres
de culture bien plus efficace que le parcage de nuit. Il présente en outre
l’avantage de pouvoir être conservé et épandu au moment le plus favorable.

Les rapports sociaux ont connu de profondes transformations, variables


d’une région à l’autre. La diffusion de nouveaux matériels agricoles a
d’abord eu un effet direct sur l’organisation et sur les conditions de travail de
la paysannerie. Ainsi les corvées manuelles peu productives ont régressé et,
dans beaucoup de régions de France et de Germanie, elles furent remplacées
par des redevances assez élevées. A l’inverse, les corvées de labourage à la
charrue, de hersage et de charrois ont augmenté pour les laboureurs bien
équipés. Et en cas de besoin, les seigneurs commencèrent d’employer
comme salariés les petits tenanciers sous-équipés.

Causes et conséquences de la révolution agricole 

Du 11ème au 13ème siècle, la révolution agricole s’est traduite à la fois par


l’augmentation e la production qui permit l’essor de la population, et par
l’accroissement de la productivité, qui permit d’améliorer l’alimentation et
de dégager un surplus accru. Ce surplus a conditionné le développement des
activités non agricoles, artisanales, industrielles, commerciales, militaires,
intellectuelles et artistiques, tandis que, en retour, l’industrie et l’artisanat
fournissaient à l’agriculture de nouveaux moyens de production plus
efficaces, et que la demande croissante en produits agricoles provenant de
ces secteurs d’activité stimulait le développement de la production agricole.
Le développement de la culture attelée lourde alla de pair avec la mise en
place d’une nouvelle génération d’artisans. Dans chaque village, il fallait
désormais un charron pour façonner et pour entretenir charrettes, chariots,
charrues, herses et jougs, un forgeron pour fabriquer socs, coutres et autres
outils en fer et pour ferrer les animaux de trait…

Surpeuplement, surexploitation et effondrement du système

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Dès la fin du 12ème siècle, des signes de surpeuplement se manifestent dans
certaines régions d’Europe, puis ces signes s’étendent aux autres régions et
se multiplient durant les dernières décennies du 13ème siècle : des disettes
surviennent, qui se font de plus en plus fréquentes ; le bois lui-même vient à
manquer. Les défrichements sont poussés aussi loin que possible, trop loin
même puisque, à la fin du 13ème siècle, des terres récemment défrichées et
mises en culture doivent être abandonnées, car elles s’avèrent décidemment
trop peu fertiles.

12/ Les systèmes agraires sans jachère des régions tempérées (La
première révolution agricole des temps modernes)

La première révolution agricole a donné naissance aux systèmes dits « sans


jachère », qui sont issus des systèmes à jachère de la période précédente. Par
cette transformation, les jachères qui occupaient encore une très large place
dans les anciennes rotations triennales et biennales, furent remplacés soit par
des prairies artificielles de graminées comme le ray-grass, ou de
légumineuses fourragères comme le trèfle ou le sainfouin, soit par des
plantes sarclées fourragères comme le navet.

Dans les nouvelles rotations, les fourrages alternent presque sans


discontinuer avec les céréales, de sorte que les terres labourables produisent
désormais autant de fourrages que les pâturages et les prés de fauche réunis.
Le développement de ces rotations va donc de pair avec celui des élevages
d’herbivores, qui fournissent alors davantage de produits animaux, de force
de traction et de fumier. Cet accroissement de la fumure animale entraine à
son tour une forte progression de rendements des céréales et elle permet
même d’introduire dans les rotations d’autres cultures exigeantes en fertilité.

Dans son principe, la première révolution agricole des Temps modernes a


précisément consisté à remplacer les jachères par des plantes sarclées,
notamment des légumineuses, et par des prairies artificielles, et à développer
en conséquence l’élevage et la production de fumier. En développant la
culture de plantes entièrement ou partiellement destinés aux animaux, cette
révolution franchit un pas de plus dans le sens d’une intégration toujours
plus étroite de la culture et de l’élevage. Rappelons que les légumineuses
présentent la particularité d’héberger dans les nodosités de leurs racines des
bactéries fixatrices d’azote (les rhizobiums) qui absorbent l’azote de l’air
pour synthétiser des composés azotés dont la plante se nourrit directement.

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13) La deuxième révolution agricole des Temps modernes

En un peu plus de trois siècles, du 16 ème au 19ème siècle, la première


révolution agricole, basée sur le remplacement des jachères par les prairies
artificielles et les plantes sarclées et sur l’accroissement du bétail, a doublé
la productivité agricole dans les pays tempérés et accompagné dans son
essor la première révolution industrielle. Puis à la fin du 19 ème siècle et au
début du 20ème siècle, l’industrie a produit de nouveaux moyens de transport
(chemins de fer, bateaux à moteur) et de nouveaux matériels mécaniques à
traction animale (charrues métalliques, semoirs, faucheuses, moissonneuses)
qui ont conduit l’agriculture de ces pays à la première crise mondiale de
surproduction agricole des années 1890.

La deuxième révolution agricole a prolongé au 20 ème siècle cette première


phase de la mécanisation, mais elle a reposé pour sa part sur le
développement de nouveaux moyens de production agricole issus de la
deuxième révolution industrielle : la motorisation (moteurs à explosion ou
électriques, tracteurs et engins automoteurs de plus en plus puissants) ; la
grande mécanisation (machines de plus en plus complexes et performantes) ;
et la chimisation (engrais minéraux et produits de traitement). Elle a reposé
aussi sur la sélection de variétés de plantes et de races d’animaux
domestiques tout à la fois adaptés à ces nouveaux moyens de production
industriels et capables de les rentabiliser. Parallèlement, la motorisation des
transports par camions, par chemins de fer, par bateaux et par avions a
désenclavé plus complètement les exploitations et les régions agricoles, ce
qui leur a permis de s’approvisionner de plus en plus largement en engrais
d’origine lointaine et aussi d’écouler massivement et très loin leurs propres
produits.

A l’arrivée des tracteurs, les exploitations ont d’abord été libérées de


l’obligation de produire des fourrages pour entretenir du bétail de trait. Par
ailleurs, l’usage des engrais a permis d’augmenter non seulement la
production récoltée mais aussi la production de pailles, de fanes, de racines
et d’autres résidus de cultures. Et à partir d’un certain niveau d’utilisation
des engrais, les sous-produits des cultures sont devenus assez abondants
pour fournir au sol des restitutions organiques permettant de maintenir une
teneur du sol en humus acceptable. Ainsi, les exploitations se sont libérées

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également trouvées libérées de l’obligation de produire du fumier. Enfin,
l’usage des produits de traitement a affranchi les exploitations des anciennes
règles de rotation et d’assolement qu’elles devaient respecter pour éviter le
foisonnement des mauvaises herbes, la pullulation des insectes et la
multiplication des maladies des plantes.

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