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INTRODUCTION

Comment expliquer que la révolution industrielle, qui a débuté en Angleterre à la fin


du 17ème siècle, se soit répandue très rapidement à travers tout le continent européen durant la
seconde moitié du 18ème siècle et à travers le continent nord-américain au cours du 19 ème siècle
sans pour autant embrayer sur le reste du monde non européen, exception faite du Japon. La
réponse à cette question n’est pas facile à donner et les historiens de l’économie sont très
partagés à ce sujet. D’aucuns expliquent le retard industriel des pays du Tiers monde par
l’inaptitude des habitants qui peuplent ces contrées et par les difficultés climatiques qui y
règnent, etc. C’est la thèse de l’école traditionnelle.
Cependant, pour un certain nombre d’économistes, ils sont plus en plus nombreux,
qui partagent ce courant de pensée, le retard industriel des pays en développement ne peut
s’expliquer autrement que par la spatialisation du fait colonial. II trouve son origine dans le
fait colonial subi. Certes, quand bien même la colonisation est antérieure à la révolution
industrielle, il n’en demeure pas moins que la domination coloniale exercée sur les sociétés
traditionnelles d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine par des puissances industrielles
naissantes d’Europe a été, à tous égards, dévastatrice et semble bien être à l’origine de ce que
les économistes du Tiers monde appellent aujourd’hui la périphérie.
 Des divisions de l’histoire économique
Pour bien saisir l’évolution historique, il faut découper l’histoire économique en
périodes. Les historiens de l’économie regroupent les phénomènes économiques en rubriques.
a) La division traditionnelle
D’après les historiens de l’économie, l’antiquité s’arrête à la chute de l’Empire
Romain d’Occident. Tandis que, le temps moderne commence à partir de la découverte de
l’imprimerie (fin du moyen âge). Cette façon d’appréhender l’histoire économique a été
critiquée par SPENGLER et certains autres historiens de l’économie car, affirmaient – ils
d’un point de vue générale que cette division est purement chronologique, elle n’a aucun
rapport social, économique ou même politique, elle ne coïncide pas avec les divisions de
l’histoire économique ; elle est donc à rejeter.
André PIETTRE, économiste et historien français préfère la division traditionnelle
suivante de l’histoire économique :
- Economie subordonnée ou féodal : c’est le moyen âge ;
- Economie indépendante : c’est celle des temps modernes ;
- Economie dirigée : c’est celle de l’époque contemporaine.
b) La division de l’école historique allemande
Cette école préfère une division basée sur les mécanismes propres de l’économie.
Les économistes allemands ont proposé en effet des divisions plus techniques de l’histoire
économique.
A) Pour l’économiste historien HILDEBRAND, certaines sociétés ont connu l’usage de la
monnaie, d’autres non. Il distingua de ce fait 3 phases :
- Economie en nature : dans celle-ci l’agent économique pourvoit à ses besoins par ses
propres moyens, ou bien il échange par le troc ;
- Economie monétaire : ici l’agent économique recourt à l’échange, et le troc a été remplacé
par un mode d’échange plus complexe et plus rationnel grâce à l’utilisation de la
monnaie ;
- Economie de crédit : c’est la phase actuelle où tout est fondé sur l’échange et le recours
constant à la monnaie.
B) Un autre économiste allemand BUCHER a proposé une subdivision qui repose sur
l’extension du marché. Ainsi, nous avons une
1° économie domestique fermée où l’unité est le domaine seigneurial et
cela jusqu’au 11ème siècle.
2° L’économie urbaine où l’unité de production est la boutique de l’artisan et cela jusqu’au
16ème siècle.
3° L’économie nationale où l’unité économique est désormais la nation et cela jusqu’au 17 ème
siècle.
4° L’économie internationale où l’unité économique est désormais
l’ensemble des nations et cela depuis le progrès réalisé dans le transport en particulier, au
début de 19ème siècle.
C) Un autre économiste allemand FREDERIC LIST a proposé une division de l’histoire
économique basée essentiellement sur l’activité dominante. Selon cet économiste du
développement toute société passait par 5 étapes essentielles :
1. La société sauvage : où prédomine la chasse et de la pêche ;
2. La société pastorale : où l’activité dominante est l’élevage ;
3. La société pastorale et agricole : où prédomine à la fois l’agriculture et l’élevage ;
4. La société pastorale, agricole et industrielle : où y a prédominance d’industries ;
5. La société pastorale, agricole, industrielle et commerciale : où il y a présence d’échanges.
c) La division des économistes contemporains
Des économistes comme SOMBART (historien de l’économie) et PERROUX
(théoricien) ont cherché à améliorer les divisions opposées au 19ème siècle.
Les historiens et les économistes contemporains disent que l’économie a été dominée
par 4 systèmes jusqu’à la chute du système socialiste (mur de Berlin) :
1) Le système domanial : où la cellule de production est le domaine du seigneur, c’est le
Seigneur qui distribue les travaux entre ses sujets et répartit autoritairement le fruit de
la production.
2) Le système artisanal : la cellule de production est l’atelier, boutique de l’artisan qui
est à la fois un organisme où l’on produit et où l’on vend. L’initiative revient au patron
qui était à l’époque un maître artisan.
3) Le système capitaliste : ici la cellule de production est l’entreprise privée caractérisée
par une séparation nette des tâches. L’entrepreneur apporte le capital mais ne
contribue pas directement au travail de production ; néanmoins, il organise les
différentes taches de production et vend les objets fabriqués. La répartition se fait sur
base des prix, et la rémunération des ouvriers est fixée sur base des discussions entre
l’entrepreneur et les employés.
4) Le système socialiste planifié : en fonction jusque vers la fin 1989. Ce système qui a
vu le jour en Russie en 1971 a caractérisé l’économie du bloc socialiste. Ici la cellule
de production est l’entreprise publique. Le capital de l’entreprise est fourni par l’Etat
et les agents qui produisent sont tous des fonctionnaires ; la répartition se fait sur
décision autoritaire conformément à un plan préétabli
 Des objectifs du cours

 De l’objectif global
Le cours d’histoire économique destiné aux étudiants de troisième année de graduat
en sciences économiques poursuit un objectif global, celui d’outiller les étudiants avec les
informations sur l’évolution, au fil du temps, de la révolution industrielle dans le monde.
 Des objectifs spécifiques du cours
Spécifiquement, à l’issue de ces enseignements, l’étudiant qui l’aura suivi avec
attention prouvée sera à mesure de :
- Connaitre les différentes phases de la révolution industrielle ainsi que leurs différents faits
marquants ;
- Identifier les activités dans la formation de la science économique ;
- Maitriser les pensées économiques dans leurs idées originelles ;
- Situer les causes du blocage industriel du tiers monde au 19è siècle et
- Renforcer ses connaissances par rapport à l’histoire d’industrialisation du Congo.
Il ne nous appartient pas de retracer ici les péripéties de l’occupation coloniale. On se
bordera dans le cadre de ce cours, à rappeler les faits essentiels dont les conséquences pèsent
toujours sur les structures économiques actuelles des Etats dits en développement ou en retard
de développement.
CHAPITRE I : LA REVOLUTION INDUSTRIELLE

Ce point présente les articulations de l’évolution de l’histoire de la révolution industrielle dans


tous ces contours sémantiques que techniques.

I.1. LES ETAPES DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE

I.1.1. LA PREMIERE REVOLUTION INDUSTRIELLE 1780-1880

On a coutume d’appeler première révolution industrielle, cette phase de l’histoire de


l’humanité, liée au progrès de l’agriculture, à la mise au point de la machine à vapeur (James
WATT en 1782), ainsi qu’à la découverte et à l’utilisation du charbon comme source
d’énergie.
La première révolution industrielle se traduit donc par un ensemble de mutation
techniques et économiques entre 1780 et 1880, elle est l’aboutissement d’un long processus.
Trois conditions ont présidé à son éclosion :
1. D’abord, une évolution des mentalités. L’influence de l’église, en effet, décroît tout au
long du 18ème siècle, au profit de l’esprit scientifique.
2. Ensuite, la production agricole s’améliore : les terres communes des villages sont alors
partagées ; la jachère est alors remplacée par des plantes fourragères.
3. Enfin, une croissance démographique certaine, suite à l’amélioration de l’alimentation qui
a fait reculer la mortalité. La Grande Bretagne réunit ces conditions à la fin du 18 ème siècle.
A partir de 1780, grâce à une foule d’invention qui voit le jour en Angleterre, les
progrès dans l’industrie naissante s’accélèrent ; la mise au point des techniques nouvelles
amplifie les longs progrès observés depuis le début du 18 ème siècle. Le secteur textile est le
premier concerné, particulièrement celui du coton dont la fibre est plus résistante. Ici, la
mécanisation revient à introduire la machine à filer puis à tisser. Ces progrès connaîtront un
grand bond en avant avec l’introduction dès 1785 de l’énergie issue de la vapeur.
La machine à vapeur prend cependant, toute son importance au début du 19 ème siècle.
Adaptable à toutes sortes d’inventions, elle devient le symbole de la révolution industrielle.
Pour construire ces machines, la métallurgie se développe.
Après 1830, la révolution industrielle se diffuse plus largement. Elle permet une
production de masse qui nécessite toujours plus de matières premières et de marchés plus
vastes. Il faut donc assurer des moyens de transport plus rapides et sur une grande échelle.
Dans un premier temps, les routes et les canaux sont améliorés, mais cela ne suffit pas. L’idée
vient alors d’utiliser l’énergie de la machine à vapeur, dans le domaine des transports. En
1814, STEPHENSON met au point la première locomotive qui bénéficie de l’existence des
rails mis au point déjà dans des mines. Après des débuts difficiles, le chemin de fer devient le
mode de transport du début de la révolution industrielle. Son extension entraîne une double
conséquence la création des réseaux bancaires pour drainer les immenses capitaux nécessaires
à la construction de voies ferrées. Le crédit moderne s’organise.
Ce que les historiens ont appelé la première révolution industrielle semble avoir
atteint son apogée vers 1880. En effet, entre 1880 et 1914, le monde entre dans ce que les
historiens appellent la deuxième révolution industrielle.

I.1.2. LA DEUXIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE : 1880-1914

C’est la période au cours de laquelle de nouvelles sources d’énergie et de nouvelles


techniques se mettent en place, entraînant de grandes transformations des structures
économiques, dans l’organisation du travail, bref dans la vie quotidienne. En ce qui concerne
les nouvelles sources d’énergie, jusqu’en 1955, le charbon reste encore la source d’énergie la
plus utilisée. Cependant, dès 1860, on commence à exploiter le pétrole aux USA et en Russie
et son utilisation progressera très rapidement avec le développement de l’automobile et de
l’industrie chimique.
Notons que entre 1871 et 1883 on a enregistré quatre interventions qui sont à
l’origine de l’utilisation de l’électricité. Il s’agit :
1. de la dynamo par le belge GRAMME ;
2. de l’ampoule à filament par l’américain EDISON ;
3. de l’énergie hydraulique basée sur la récupération de la force de l’eau (houille blanche)
par le français BERGES et ;
4. du transport de cette énergie par câble conçu par DEFREZ.
Ces quatre inventions ont bouleversé totalement la vie quotidienne et l’industrie.
Les progrès de l’industrie, en particulier sont figurants. Les nouvelles sources
d’énergie, notamment l’utilisation de l’électricité par électrolyse, autorisèrent entre autres le
développement de l’électrométallurgie qui permet la fabrication en grande quantité et à prix
très réduit d’aciers spéciaux et d’alliages très résistants. L’aluminium obtenu à partir de la
bauxite en est un exemple.
Bref, la deuxième révolution industrielle, avec les nouvelles sources d’énergie a
transformé, en quelques dizaines d’années, la vie quotidienne des habitants de l’Europe et du
nouveau monde.

I.1.3. LATROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE : 1914-1980

C’est celle du nucléaire et de la maîtrise de l’espace, de l’électronique et de


l’informatique, de la chimie et de la biologie, tire son origine de la deuxième guerre mondiale.
En effet, les progrès scientifiques n’ont jamais été aussi rapides que depuis la seconde guerre
mondiale. Ils n’ont été rendus possibles que grâce aux efforts et aux moyens financiers
colossaux mis en œuvre. Et c’est au cours de cette période que se réalise efficacement
l’interaction entre science pure et science appliquée.
L’accélération du progrès technique et de ses applications économiques a eu des
incidences énormes sur notre société en ce sens qu’elle a donné naissance à une civilisation de
masse à l’échelle de la planète, uniformisant modes de pensée et modes de vie.
Depuis le début de la décennie 80, le monde vit la quatrième révolution industrielle,
basée essentiellement sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC).

I.2. DE LA JUSTIFICATION DU TERME REVOLUTION INDUSTRIELLE

On a fort souvent critiqué l’emploi du terme révolution industrielle utilisé pour


désigner ces changements, certes profonds et lourds d’implications, mais somme toute
graduels qui, à partir du 18ème siècle en Angleterre et un peu tard dans d’autres pays
occidentaux, ont progressivement transformé les sociétés traditionnelles à caractère
essentiellement agricole en société où prédomine l’activité industrielle.
En effet, le caractère graduel et lent dans la première phase de ces transformations
s’oppose à la notion de révolution qui, comme le défini le Robert, est un changement brusque,
soudain. Mais, en fait, on peut faire à ce terme une objection plus fondée, car en définitive, la
révolution industrielle est avant tout une révolution agricole qui, dans les sociétés où elle
s’est produite, a permis et suscité un développement sans précédent du secteur industriel et
minier.
Déjà il y a environ 10 mille ans ou bien d’avantage si l’on en croit des récentes
découvertes, la révolution néolithique, c’est-à-dire en schématisant l’abandon d’une économie
basée sur la cueillette, la chasse et la pêche pour une économie basée sur l’agriculture et
l’élevage, avait permis pour la première fois dans l’histoire de l’humanité un surplus durable
de la production alimentaire fournie par personne active et, de ce fait, avait rendu possible une
consommation significative des produits non strictement alimentaires.
En effet, dans la mesure où le développement agricole a entraîné l’élargissement et
l’accélération de l’industrialisation, l’apparition des conséquences suit d’assez près les causes,
et pour autant qu’on soit amené, dans le cas de l’industrialisation, à prendre les dates les plus
reculées afin de les comparer aux dates les plus avancées des progrès agricoles, on risque de
réduire sérieusement l’écart que l’on cherche justement à démontrer.
Ceci dit, il nous faut à présent décrire très brièvement en quoi a consisté la révolution
agricole qui a été, comme nous venons de le voir, le préalable et le facteur déterminant de
l’industrialisation en Europe, après quoi on examinera les multiples mécanismes qui, à partir
de cette impulsion initiale, ont permis et facilité cette révolution industrielle aux si vastes
conséquences.

I.3. LA REVOLUTION AGRICOLE

La révolution agricole qui s’est développée en Angleterre, dans les premières années
du 18ème siècle a été caractérisée essentiellement par l’introduction d’un certain nombre
d’innovations dans les techniques agricoles.

I.3.1. La rotation continue des cultures

Il s’est agi tout d’abord de la suppression progressive de la jachère qui fut remplacée
par un système de rotation continue des cultures. En effet, dans la majeure partie de l’Europe,
l’agriculture était basée sur deux types dominants d’assolement, et cela afin d’éviter un
épuisement des terres, il s’agit de :
- l’assolement biennal : c’est-à-dire une année des cultures suivie d’une année de jachère ;
- l’assolement triennal : c’est-à-dire deux années de cultures suivies d’une année de
jachère.
Cette forme d’exploitation des terres entraînera en quelque sorte et pour la première
fois une réelle intégration de l’agriculture et de l’élevage et conduisit à la disparition
progressive des jachères et par-là aussi à une augmentation de la productivité agricole du
moins de celle des terres d’une façon générale.
Il est intéressant de noter que deux siècles plus tard, l’apparition des machines
agricoles rentables seulement sur de grandes étendues a fait pression en Europe en faveur des
formes plus collectives pour certains travaux (moisson, battage) ou d’installations de
premières transformations (laitières, pressoirs,…) car les exploitations y étaient petites en
comparaison de celles des USA où la plupart des équipements avaient été mis au point.

I.3.2. L’introduction des cultures nouvelles

Il s’agit en second lieu de l’introduction et de l’extension des cultures nouvelles.


Notons d’abords que cet aspect de la révolution agricole résulte en grande partie directement
du point précédent il faut souligner que la rotation continue impliquant l’intégration de
nouvelles cultures dans les cycles.
Parmi les nouvelles plantes alimentaires et celles ayant alors reçu une forte
extension, citons principalement certaines plantes fourragères telles que le trèfle, le sarrasin,
le maïs, la carotte, l’houblons, le colza, etc.

I.3.3. Les progrès dans l’outillage

Il s’agit en troisième lieu, de l’amélioration des outillages traditionnels et de


l’introduction d’outillages nouveaux ; Innovations qui contribuèrent à accroître largement la
productivité de l’agriculture. Il importe de citer d’abord et surtout l ‘amélioration de la
charrue et, dans certaines régions plus arriérés de l’Europe du remplacement de la houe par la
charrue. Sur ce point, les progrès se furent réalisés sur un double front d’ailleurs
complémentaires à savoir : d’une part, l’amélioration de la forme et de la structure de l’outil
et, d’autre part, l’emploi de plus en plus large du fer.
On signalera en outre l’introduction de la faux qui remplacera graduellement le
faucille, celle du semoir qui remplace les démailles à la volée et enfin de la houe tractée.

I.3.4. La sélection des semences des reproducteurs animaux et l’extension de superficies


cultivées
Le progrès résidait en quatrième lieu dans la sélection rigoureuse de semences et de
reproducteurs animaux. Cette période voit en effet le début d’un effort méthodique lent et
patient et qui se poursuit encore aujourd’hui dans la sélection des semences et des
reproducteurs animaux.
D’après les premières phases de la révolution agricole, les progrès ont été surtout
importants pour les reproducteurs animaux, et il en est résulté un accroissement rapide et
considérable du poids des bêtes et du rendement de la production laitière : il faut signaler
enfin l’extension et l’amélioration des terres arables grâce à des techniques nouvelles
d’assèchement des régions marécageuses et du drainage des sols humides.

I.3.5. La traction chevaline

Il s’agit en cinquième lieu, de l’extension de l’usage des chevaux dans les travaux
agricoles. La vitesse de traction du cheval étant en moyenne supérieure d’environ 50 % à celle
du bœuf, l’extension de son usage dans l’agriculture a conduit à accroître dans les proportions
voisines, la productivité d’une forte partie des travaux agricoles. Ainsi alors qu’au 17 ème
siècle, il était possible de labourer environ 0,4 hectare de terre par jour avec le bœuf, avec des
chevaux ce chiffre passe à 0,6 voire 0,8 hectare en incorporant l’amélioration de la charrue
vers la fin du 18ème siècle.
Au milieu du 19ème siècle, avec la traction à vapeur c’est cinq hectares par jour qu’il
sera possible de labourer. Aujourd’hui un bon tractoriste avec un équipement moderne peut
labourer jusqu’à 40 hectares en 12 heures.

I.4. LES CONSEQUENCES DE LA REVOLUTION AGRICOLE

On conçoit aisément qu’une progression très sensible et durable de la productivité du


travail agricole, dans une société où ce travail constitue l’occupation d’environ 80 % de la
population, a dû entraîner des conséquences profondes dans la vie économique et sociale,
conséquences dont nous avons déjà laissé entrevoir certaines modalités, mais que nous allons
maintenant essayer de présenter d’une façon un peu plus systématique. En somme, nous
allons répondre ici aux questions suivantes : quelles ont été les conséquences directes de la
révolution agricole et quelles sont les modalités qui ont permis à cette révolution de
contribuer d’une façon décisive au processus d’industrialisation ?
I.4.1. Révolution agricole et première révolution démographique

Jusqu’ici on peut distinguer trois grandes phases dans l’évolution démographique de


l’humanité :
1. La première concerne la forte progression de la population qui a dû suivre la
révolution néolithique partout où celle-ci s’est produite. Le passage d’une économie
basée sur la cueillette et la chasse à celle axée sur l’agriculture et l’élevage a eu, en
effet, comme conséquence de permettre un peuplement humain beaucoup plus dense.
2. La deuxième s’étend de la révolution néolithique jusqu’au 18 ème siècle. Au cours de
cette période, l’évolution démographique a été caractérisée par les trois constantes
suivantes à savoir :
a. fort taux moyen de natalité et de mortalité ;
b. forte fluctuations de ces taux par suite notamment de guerres, de famines et des
épidémies ;
c. faible taux de progression ou de régression de la population à très long terme
accompagnée de la fluctuation très fortes à court et moyen terme.
3. La troisième phase débute pendant la première moitié du 18 ème siècle. En effet, au
cours de cette période, on assiste dans certains pays d’Europe et notamment en
Angleterre aux premiers signes de cette 3 ème phase démographique, où les taux de
mortalité amorcent en effet un mouvement descendant durable et les fluctuations à
court terme de la population disparaissent, pour laisser la place à une progression
continue de la population.

I.4.2. La révolution agricole et demande industrielle

Une des conséquences importantes des progrès du secteur agricole au cours du 18 ème
siècle a été sans conteste l’accroissement de la demande des biens autres que les produits
alimentaires. En effet, comme l’avait déjà déduit l’économiste allemand Ernest ENGEL, un
des précurseurs de l’économétrie, l’élasticité de la consommation alimentaire par rapport au
revenu est très faible. L’homme travaille pour assurer d’abord ; ses besoins alimentaires,
besoins qui sont vites satisfaits du fait qu’ils se heurtent rapidement à un plafond constitué par
la limite physiologique à savoir la capacité d’absorption de l’estomac. Dès lors que son
revenu vienne à augmenter, alors que ses besoins élémentaires se trouvent satisfaits, son
échelle de valeur se trouvera modifié.
En tenant compte de la structure des sociétés étudiées ici, sociétés dont environ 80 %
de la population active étaient occupés dans l’agriculture, il est aisé de comprendre qu’un
progrès de la productivité agricole, en entraînant un surcroît de ressources, nécessita avoir un
impact considérable sur les autres secteurs de l’économie et en particulier sur l’industrie
textile et l’industrie sidérurgique.

1. L’INDUSTRIE TEXTILE

En Europe, les conditions climatiques assez difficiles confèrent aux vêtements un


rôle très important. Aussi, on ne s’étonne guère de constater que ce fut en tout premier lieu
vers ses produits que se dirigea une fraction importante du revenu supplémentaire tiré de
l’agriculture. Cependant, étant donné que l’offre de textiles traditionnelles basées sur la laine
rencontrait une certaine rigidité due à leur nature propre (il est, en effet, difficile d’augmenter
très rapidement la production de la laine sans un accroissement proportionnel du cheptel), ce
sont les produits textiles à base de coton qui furent fortement stimulés par cette demande le
coton fut importé en Angleterre d’abord sous la forme de tissus et ensuite sous celle de
matière première pouvant être transformée sur place.
Ainsi, en suscitant un accroissement de la demande de biens de consommation et,
notamment des produits textiles, le développement agricole a fourni un stimulant très
important au déclenchement de la révolution industrielle. Mais, pour que ce stimulant ait pu
être fécond, il a fallu qu’au préalable un autre secteur industriel en l’occurrence le secteur de
l’industrie lourde connaisse lui aussi des bouleversements.
En effet, sans la disponibilité de fer à un prix réduit, tous les progrès techniques qui
ont marqué la révolution industrielle se seraient trouvés grandement handicapés et même
auraient été impossibles, car économiquement non rentables. Or, il apparaît que l’agriculture a
aussi joué un rôle primordial dans la naissance de la sidérurgie moderne.

2. L’INDUSTRIE SIDERURGIQUE

Les bouleversements entraînés par la diffusion de la révolution agricole ont suscité


une modification sensible de la demande de fer de ce secteur. En effet, la majeure partie des
innovations par lesquelles se caractérisa cette révolution agricole ; a eu un impact direct sur la
consommation de fer, qu’il s’agisse notamment de la suppression progressive de la jachère ou
de l’amélioration des équipements, de l’introduction d’outillages nouveaux ou encore de
l’extension de l’usage des chevaux et de la pratique de la ferrure.

La suppression de la jachère s’est traduite en pratique par une augmentation très


sensible des travaux agricoles et notamment des labours. Cet accroissement des travaux
agricoles a provoqué une usure plus rapide de l’outillage agricole et en particulier des parties
en fer qui le composaient.
L’amélioration de l’outillage agricole a eu un effet sur la demande de fer car ;
l’essentiel de cette amélioration, a consisté en remplacement progressif du bois par le fer dans
la fabrication des instruments agricoles. Cette substitution a débuté avec les parties des
outillages les plus exposées, soit à l’usure, soit à la rupture, pour s’étendre graduellement à
l’ensemble de l’instrument.
L’extension de l’usage agricole des chevaux et d la pratique de la ferrure a
également eu un impact certain sur la demande de fer en Angleterre. On estime que, pour la
seule période de 1760, la demande globale créée par l’usage systématique de la ferrure a
représenté environ 15 % de la consommation totale de produits sidérurgiques.
Ainsi, grâce à l’effet combiné de ces différents éléments, on a assisté à une très forte
augmentation de la demande de fer émanant de l’agriculture ; et en même temps qu’elle
entraînait l’augmentation de la demande de fer, la révolution agricole fournissait également
aux agriculteurs les moyens économiques nécessaires pour acquérir cette masse
supplémentaire d’équipements grâce aux augmentations de rendements qui étaient la raison
d’être de ces modifications du travail agricole. Et comme le volume relatif de la demande du
fer émanant de l’agriculture était à cette période très élevé (50 % de la demande globale de
fer), on peut dès lors comprendre aisément la pression qu’à pu produire une augmentation
sensible et constante de la demande de ce secteur. Cette demande a fourni en Angleterre un
puissant stimulant aux recherches en vue de supprimer le goulot d’étranglement devant lequel
se trouvait placée la sidérurgie locale, obstacle constitué par le manque de combustibles c’est-
à-dire, le bois. Grâce à la demande accrue en provenance de l’agriculture, l’innovation
technique capitale pour la sidérurgie (à savoir l’utilisation du charbon à la place du bois
comme combustible de base pour les hauts fourneaux), a pu être introduite et se généraliser
très rapidement, ouvrant la voie aux nombreuses inventions techniques qui ont permis la
révolution industrielle.
Néanmoins, dans les premières phases, l’essentiel des capitaux et surtout des entrepreneurs
qui ont conduit aux bouleversements de la révolution industrielle étaient d’origine modeste et
presque toujours agricole. Ainsi, l’agriculture a non seulement libéré les ressources
alimentaires et les ouvriers nécessaires à cette vaste aventure que fut la révolution industrielle,
a non seulement permis de même probablement amené la révolution démographique et
suscitée la naissance des industries textiles et sidérurgiques modernes, mais elle a également
fourni dans les premières phases de l’ère industrielle, une fraction dominante des capitaux et
des entrepreneurs qui ont animé les secteurs moteurs de cette révolution.
CHAPITRE II : ACTIVITES ET FORMATION DE LA SCIENCE
ECONOMIQUE
Ce chapitre souligne les particularités de la pensée économique avant l’émergence d’une «
science » économique. En l’occurrence il s’agira de souligner que si une pensée économique a
incontestablement existé depuis l’Antiquité, cette pensée se caractérise, jusqu’à la constitution
de la science économique classique à la fin du XVIIIe siècle par le fait qu’elle n’est pas
autonome, mais articulée (et inféodée) à d’autres types de savoirs dans le cadre de l’héritage
de l’architectonique aristotélicienne. Il s’agira de repérer schématiquement le processus de
constitution de l’économie politique puis de la science économique comme discipline
autonome, et la constitution finale de l’économie comme « idéologie dominante », au travers
du renversement des liens de subordination entre éthique, politique et économique. Il s’agira
alors de repérer, dater et éclairer les grandes ruptures dans l’histoire de la pensée occidentale
qui ont conduit à cette émergence.

II.1. De la philosophie morale à l’économie politique

Schématiquement, si l’on se limite à l’Occident, on trouve les premières réflexions sur la


richesse dans l’antiquité grecque, en particulier chez Aristote au IVe siècle avant notre ère.
Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, la science économique telle que nous la concevons
aujourd’hui n’existe pourtant pas. Les réflexions économiques sur la valeur, le travail, la
monnaie existent, mais il faut les chercher dans des ouvrages qui ne sont pas d’économie,
mais de philosophie politique, de théologie ou d’administration patrimoniale. Cette première
pensée « économique » n’a pas d’unité théorique, et ce qui la caractérise est son
assujettissement à d’autres savoirs. Il est alors possible de suivre le fil de la pensée
occidentale, en y repérant des aspects de continuité et des ruptures décisives, qui conduiront
finalement, sur la question qui nous occupe, à la constitution de la science économique en
discours autonome.

a) Continuité dans les thèmes

Tout au long de ces longs siècles, la question centrale de la « philosophie politique » demeure
celle de savoir comment constituer un ordre social harmonieux et, en particulier, comment
concilier harmonie sociale et liberté individuelle. C’est la question que se posent les
philosophes grecs après Socrate, c’est celle que reprennent les penseurs de l’Islam, puis de
l’église chrétienne ; c’est la même question que l’on retrouve à l’époque moderne au centre
des préoccupations des juristes (théoriciens du droit naturel, tels Hugues De Groot (Grotius)
ou Pufendorf) et des philosophes politiques (de Machiavel à Hobbes et Rousseau). Enfin,
c’est également celle des économistes, qui vont la décliner d’une manière particulière (en
l’identifiant à la question de la formation des grandeurs économiques, amalgamant société et
économie, plus précisément société et économie marchande) et y répondre de manière
spécifique : pour les premiers « économistes », c’est par le lien économique que se fonde
prioritairement le lien social et, en l’occurrence, ce lien économique ne se fonde correctement
qu’à la condition de laisser les individus poursuivre le plus librement possible leurs intérêts
particuliers.

b) Continuité dans la quête

Malgré les différences de réponses apportées à la question de l’ordre social, une quête
commune structure la pensée occidentale en la matière : c’est la quête de « l’ordre naturel des
sociétés ». Recherchant la meilleure manière d’organiser la vie des hommes en société, le
présupposé méthodologique assez largement partagé par les pensées dominantes qui se
succèdent est que cet ordre social, pour être harmonieux, doit obéir aux règles de la nature
(que celles-ci découlent d’une quelconque volonté divine ou résultent de la nature des «
choses » ou bien encore de la nature humaine). Cet ordre naturel, a priori non transparent, doit
donc être « découvert » et révélé : c’est la tâche que se fixeront successivement les
philosophes antiques, les docteurs scolastiques, les « politistes » et les juristes de la
Renaissance à l’époque classique, les économistes enfin. Cette « foi » en l’existence d’un
ordre naturel des sociétés, valable en tous lieux et en tout temps, relève de la tradition
socratique : c’est en effet Socrate qui le premier, en opposition aux sophistes, revendique le
caractère immuable des principes moraux qui doivent organiser la vie de la cité : l’ordre
politique est donc un ordre naturel en ce qu’il doit répondre à des impératifs moraux
immuables et éternels.

c) Continuité dans l’interrogation conceptuelle


On observe même une forme de continuité dans l’interrogation conceptuelle sur les questions
économiques. Il existe en effet une réflexion économique bien avant l’émergence d’une «
science économique » : le terme « économique » vient de l’élève de Socrate Xénophon, et les
auteurs grecs (Platon, Aristote) déjà s’interrogent sur les mêmes concepts (valeur, monnaie, «
juste prix ») qui interpelleront plus tard les premiers économistes (classiques) et leurs
successeurs. On trouve même chez un auteur comme Aristote, un début de réflexion
conceptuelle sur la valeur (où s’interrogeant sur la valeur d’un bien, il distingue valeur
d’usage et valeur d’échange) et sur la monnaie (dont il repère les fonctions, qu’il tente de
hiérarchiser). Au Moyen Âge, fournit de longs développements pour justifier, en des termes
que ne renieraient pas les économistes contemporains, la propriété privée. De la même
manière, son interrogation sur le « juste prix » le conduit à s’interroger sur les questions de
justice sociale (opposant justice distributive – justice dans la répartition des richesses – et
justice commutative – justice dans l’échange). La différence est que tout au long des siècles
qui précèdent l’émergence d’une « science » économique, la réflexion conceptuelle est menée
par des penseurs qui ne se revendiquent pas économistes, qui à ce titre ne considèrent pas la
question économique comme fondatrice de la question sociale et « jugent » les pratiques et les
catégories économiques « de l’extérieur », à partir d’un langage doctrinal qui procède d’une
autre logique : philosophie morale ou politique, science juridique…

II.2 De la philosophie morale à l’économie politique : deux ruptures essentielles

a) Le « double enchâssement » de l’économique dans l’architectonique


aristotélicienne…
Pendant près de vingt siècles, d’environ 500 av. J.-C. (période socratique) à l’an 1 500 ap.
J.-C. (fin du Moyen Âge et début de l’époque moderne), le débat qui nous occupe est
dominé par la réflexion morale Dès Socrate, on affirme que l’ordre politique (l’ordre des
cités) ne sera assuré que si la Cité est à même d’atteindre et de maintenir un certain
nombre d’exigences morales : courage, tempérance, vérité, justice. Ces principes «
moraux », réputés immuables et éternels, fondent la naturalité de l’ordre politique. Dans
ce cadre, les pratiques économiques sont jugées pernicieuses et délétères pour l’ordre
politique, précisément car elles sont jugées immorales : l’économique est analysé comme
domaine des « passions acquisitives », domaine par excellence d’exercice des égoïsmes
individuels et des comportements amoraux. Au nom de ce « double enchâssement » de
l’économique (l’économique doit se soumettre aux exigences objectives de
l’ordonnancement politique des cités, lequel ne peut être atteint que s’il respecte les
principes moraux naturels), les pratiques économiques sont réputées devoir être limitées et
contingentées :
A l’exemple de Platon qui décrit, dans La République, la Cité « idéale » comme reposant
sur une stricte « division des tâches » qui isolera les citoyens devant la guider de tout
contact avec les pratiques marchandes et monétaires, ou encore qui décrit, dans Les Lois,
les cités « possibles » comme devant reposer sur une stricte interdiction de l’expansion
des richesses (état stationnaire) et un strict souci d’égalité dans sa répartition («
communisme » platonicien) ; c à l’exemple d’Aristote puis de Saint Thomas d’Aquin, qui,
au nom de réflexions philosophiques sur la nature de la monnaie et de principes moraux,
condamnent la pratique du taux de l’intérêt et ce qu’Aristote nomme la « mauvaise
chrématistique », c’est-à-dire l’accumulation de richesses pour elles-mêmes (ne se
donnant pas pour objet la seule obtention de « choses nécessaires à la vie »).
b) Une double rupture pour que l’économique s’émancipe
Cette architecture de la pensée occidentale (domination de la réflexion politique par la
morale et condamnation des pratiques économiques) se retrouve donc au Moyen Âge
après que, via les savants musulmans ( et notamment, cf. fiche 4), les intellectuels de
l’Église aient récupéré l’héritage aristotélicien et tenté de le concilier avec les Écritures et
les écrits patristiques d’une part, le droit romain de l’autre (qui constituent les deux autres
sources d’inspiration de la scolastique, qui atteint son apogée avec Saint Thomas d’Aquin
au XIIIe siècle). Il faudra logiquement, puisque l’économique est alors « doublement
enchâssé » par les exigences politiques et morales, une double rupture pour qu’elle puisse
émerger comme savoir autonome :
- La première rupture conduira à rompre le lien de dépendance entre la réflexion
politique et la philosophie morale. Il en résultera déjà un changement d’attitude
vis-à-vis des pratiques économiques, qui ne seront plus entravées ;
- La seconde sanctionnera l’émergence d’une pensée économique autonome en
rompant le lien de subordination entre économique et politique, plus précisément
en l’inversant : l’ordre naturel des sociétés sera alors réputé être un ordre
économique, celui de l’économie de marché. Le libéralisme économique enfantera
la science économique.

C’est en considération de ce long périple des pensées que nous sommes tentés de chercher
à comprendre en synthèse certaines théories et leurs maîtres mots.
II.3. De la définition de la science économique
L’économie politique est la science qui étudie le comportement de l’homme vivant en société
et guidé par la recherche du maximum d’efficience, dans son activité de production et de
consommation face au problème d’affectation des ressources rares à usages alternatifs entre
des besoins concurrents (E.WAUTHY).
C’est la science qui étudie comment les ressources rares sont affectées pour satisfaire les
besoins des hommes vivant en société. Elle s’intéresse aux opérations essentielles
(production-distribution-consommation des biens) ainsi qu’aux institutions et aux activités
ayant comme objet de faciliter ces échanges.
L’économie politique traite de la richesse des nations ; elle recherche les causes qui font
qu’une nation soit plus riche et plus prospère qu'une autre. Son but ultime est d'enseigner ce
qu'il faut faire pour diminuer autant que possible le nombre des pauvres, et mettre chacun à
même, en règle générale, d'être bien par le fruit de son travail.
Nous n'apprendrons rien en disant que l'économie politique est la science de la richesse, si
nous ne savons ce que la richesse. Sans doute bien des gens s'imaginent qu'il n'y a nulle
difficulté à savoir ce qu'est la richesse ; la vraie difficulté c'est de l'acquérir. Mais en cela, ils
se trompent. Il y a dans notre pays beaucoup de personnes qui se sont enrichies par elles-
mêmes et cependant peu d'entre elles ne serait capable d'expliquer clairement ce mot de
richesse.
L'idée populaire est que la richesse consiste en monnaie, en espèces, et que celles-ci sont
faites d'or et d'argent ; l'homme riche alors serait celui qui possède un coffre-fort, plein de
sacs de billets de banque, de monnaie d'or et d'argent. Mais loin s’en faut de l’être ; les riches,
en général, ont très peu d'argent en leur possession. Au lieu de sacs de monnaie, ils tiennent
un bon compte chez leur banquier. Mais encore une fois, cela ne nous dit pas ce que c'est que
la richesse parce qu'il est difficile d'expliquer en quoi consiste un compte bancaire. Le compte
bancaire s'exprime par quelques chiffres dans les livres du banquier.
Peut-être dirait-t-on que celui-là est riche à l’évidence, qui possède une grande quantité de
terres. Cela dépend entièrement de la situation de ces terres et de leur nature. L'homme qui
posséderait un lopin de terre en Angleterre serait très riche ; il pourrait posséder une égale
étendue de terre à Bokungu sans être remarquablement riche. Les pygmées, qui possèdent le
sol, dans le fin fond de la forêt équatoriale, possèdent un territoire immense, mais ils n'en sont
pas moins plongés dans la pauvreté la plus misérable. Il est donc évident que la terre seule
n'est pas la richesse.
On peut prétendre que pour être une richesse la terre doit être fertile, le sol bon, les rivières et
les lacs abondants en poisson, les forêts remplies de bois d'œuvre. Sous le sol il doit y avoir de
grandes quantités de diamant, de fer, de cuivre, de minerais d'or, …. Si, outre cela, un pays
possède un bon climat, beaucoup de soleil, assez, mais pas trop d'eau, il peut certainement
passer pour un pays riche. Il est vrai que ces choses ont été appelées biens naturels, mais nous
les citons dans le but d'indiquer qu'elles ne sont pas, par elles-mêmes, la richesse.
Les peuples peuvent vivre sur un sol abondant en biens naturels, comme nos parents vivaient
dans les régions qui forment aujourd'hui la RDC- avant l’arrivée des colonisateurs belges, et
être cependant très pauvres, parce qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas travailler pour
transformer les biens naturels en richesse. D'autre part, des peuples, comme les japonais,
vivent sur des terres très pauvres (sans minerais, ni terres fertiles), et deviennent cependant
riches par l’habileté, le savoir, la technologie, la prévoyance, la prévision et la planification.
En somme, la richesse est due plutôt au travail et à l'adresse qu'à un sol fécond ou un climat
clément, mais ces derniers dons sont nécessaires pour qu'un peuple devienne aussi riche que
les habitants de l'Angleterre, de la France, de l’Allemagne, des Etats-Unis ou du Japon.
Le débat de la détention de la richesse a évolué sur une ligne de temps de telle sorte que dans
certaines époques, il était indéniable que posséder une richesse dépendait des valeurs socio-
réligieuses. Ainsi en scrutant le tableau ci-dessous, nous remarquons qu’à l’antiquité et le
moyen-âge(-500 av.J.C jusqu’en 1500 ap.JC), la prédominance de la conception morale et
réligieuse est gouvernée l’économie qui dépendait du pouvoir qui était pontificale. Tandisque
l’époque moderne est surdominée par la conception politique et l’époque contemporaine, le
lien socia est prédominé par la vision économique.
Sur cette même chronique de l’histoire, il est donc clair que l’éminence et la vitesse de
l’évolution de la science économique dépend de la sa place dans l’histoire. Cette histoire se
déploie sur 3 points de vue.
Le premier tient à son origine. Ici, l’histoire de la pensée économique considère le point de
vue de départ d’Adam Smith et sa théorie classique. Le risque serait alors de biaiser la vision
de la discipline par l’acceptation de l’idée que celle-ci serait nécessairement caractérisée par
certains traits constitutifs de la pensée classique, qui pourtant n’existaient pas avant elle et ne
seront pas admis unanimement après, y compris par des auteurs qu’il serait difficile d’exclure
du périmètre de la discipline. Ces traits constitutifs sont :
 la croyance en des lois économiques naturelles, qui s’appliqueraient en tout lieu et en
tout temps, alors que le caractère historiquement déterminé des lois du capitalisme est
au contraire souligné par le marxisme, l’école historique, le keynésianisme ou l’école
institutionnelle;
 la caractérisation de l’ordre économique comme un ordre marchand et la réduction
des relations économiques à un libre-échange généralisé source de la richesse, là où
certains auteurs, de la physiocratie à l’école classique – que pourtant Smith contribue à
fonder – insistent davantage sur la spécificité des relations de production, tandis que
d’autres, des mercantilistes aux keynésiens, confèrent à l’État, même dans une
économie de marché, un rôle essentiel dans la constitution de l’harmonie économique
et sociale ;
 l’affirmation de la neutralité de la monnaie et la description du processus de
formation des grandeurs économiques en termes exclusivement réels, alors que
l’analyse de la monnaie et de son influence et la compréhension des relations
économiques à partir des relations monétaires sont au cœur de théories antérieures
(comme le mercantilisme) ou postérieures (comme celles de Marx ou Keynes).

Le second retrace son aboutissement. l’idée d’un progrès constant des connaissances
(Shumpeter , History of Economic Analysis, 1956). Les théories passées sont alors
étudiées et jugées à l’aune de ce qui constitue la science économique moderne : elles
apparaissent soit comme des avancées, soit comme des reculs sur le chemin qui conduit à
ce que la science économique est aujourd’hui. Évidemment, une telle vision conduit à
faire de l’histoire de la pensée économique une archéologie et, considérant que la théorie
économique moderne est l’état le plus avancé et le plus achevé de la science. L’histoire
de la pensée économique est jugée a priori inutilisable pour comprendre les débats
modernes ; le risque est alors grand de la faire sortir de la discipline : faire de l’histoire de
la pensée économique, ce serait alors davantage faire de l’histoire que faire de l’économie
(au sens de contribuer à l’avancement de la connaissance économique).
Le troisième souligne la question des débats fondamentaux. Une dernière possibilité est de
considérer l’histoire de la pensée économique comme un foyer qui éclaire les débats
contemporains. Ainsi, faire de l’histoire de la pensée économique, ce peut être resituer les
idées économiques, de manière chronologique, dans leur contexte, mais ce peut-être
surtout, au-delà de l’immersion dans le factuel, comprendre la logique du développement
de la discipline, de ses prémisses jusqu’à son état actuel, et souligner la permanence des
débats fondamentaux, repérer les questions non encore résolues, identifier les oppositions
irréductibles qui nourrissent le débat économique. Selon ce dernier point de vue, l’histoire
de la pensée économique fait alors partie intégrante de la théorie, au sens où elle contribue
au progrès de la discipline en lui permettant de prendre conscience de ses limites.

II.4. De l’objet et division de l’Economie Politique


La question même de la définition de l’objet de la science économique, du
questionnement qui l’identifie comme discipline autonome, a reçu, dans l’histoire de la
pensée, des réponses diverses. Identifiée à une science des richesses à la période classique,
elle se définira ensuite comme la science des choix individuels en univers de rareté. Au-delà
de ces définitions particulières, la question commune qui rassemble les économistes est celle
du processus de formation des « grandeurs » économiques. À son tour, cette question renvoie
à l’interrogation fondamentale, et partagée, sur les conséquences sociales de l’individualisme.
Ainsi, la science économique a aussi évolué selon ses objectifs en tant que science sur le
temps.
Elle a en premier lieu abordé l’économie politique comme :
 Science des richesses (période classique)

La période classique couvre le XIXe siècle. Elle commence avec Adam Smith (Recherches
sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776), se poursuit avec notamment David
Ricardo (Des principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817) et s’achève, à la fin du
siècle, avec Karl Marx qui est, d’une certaine manière, le « dernier des classiques ». Les
classiques sont donc des contemporains de la première révolution industrielle, du
développement du capitalisme industriel, puis de ses crises dans la seconde moitié du XIXe
siècle. Leur interrogation principale concerne donc ce qu’on appellerait aujourd’hui le
processus de croissance économique, c’est-à-dire le processus d’accumulation des richesses :
il s’agit de s’interroger sur :
1) les causes de la richesse (ce qui conduit à s’interroger sur le processus de production, le
mécanisme de la division du travail et les mécanismes de l’échange) ;
2) sur sa nature (ce qui conduit à s’interroger sur la nature de la monnaie et les concepts
de valeur et de prix) ;
3) sur sa répartition (détermination des revenus et mécanismes de la redistribution).
En corollaire, ils s’interrogent sur les limites éventuelles que pourrait rencontrer ce processus
d’accumulation des richesses, et ce, notamment à l’occasion de l’analyse des crises et des
cycles.
 La science économique, science des choix en univers de rareté (époque
contemporaine)

À la suite de la révolution « marginaliste », les auteurs néoclassiques (Alfred Marshall,


Principes d’économie politique, 1890) vont mettre l’accent sur l’existence de la rareté. Selon
eux, c’est l’existence des contraintes de rareté qui crée le problème économique, lequel
devient pour l’essentiel un problème de choix.
1) Quoi produire et en quelle quantité (à quelle production affecter les ressources productives
dès lors que celles-ci ne sont pas illimitées) ?
2) Comment le produire ? (Quelle est la combinaison productive la plus efficace, c’est-à-dire
la plus « économe » ?)
3) Pour qui le produire ? (Comment répartir la richesse créée dès lors que celle-ci est rare ?)
 Un objet commun : la formation des grandeurs économiques

Finalement, le questionnement particulier des économistes peut se décliner en deux temps. Il


s’agit de comprendre :
1) Comment les agents économiques (individus, pouvoirs publics, entreprises,
organisations…) effectuent, dans un monde caractérisé par la rareté a priori des ressources
disponibles, leurs choix (de production, de consommation, d’investissement…), puis ;
2) Comment ces choix sont coordonnés de manière à déterminer (bien ou mal) le niveau et
l’allocation (la répartition) des richesses produites. Ce faisant, les économistes choisissent de
s’intéresser en fait au processus de la formation de toutes les grandeurs économiques
(richesse, prix, revenus, valeurs, niveau d’emploi…). Et, les relations économiques sont
identifiées du même coup, parmi l’ensemble des relations sociales, comme celles qui ont la
particularité de donner naissance à des grandeurs mesurables. Cette définition des relations
économiques comme productrices de grandeurs mesurables et l’identification du problème
des économistes comme étant celui de comprendre le processus qui préside à la formation de
ces grandeurs, appelle deux remarques : une remarque méthodologique tout d’abord : dès lors
que la « science économique » va se définir en se donnant comme objet d’étude des
grandeurs, elle va naturellement être portée à recourir au calcul (statistique puis
mathématique) et à la formalisation, et à emprunter aux sciences « exactes », pour son usage
propre, des concepts (tel celui d’équilibre) et des méthodes (tel le calcul infinitésimal). Il en
résultera l’ambition toujours maintenue, quoique mal partagée, d’un rapprochement avec les
sciences « dures ».
 L’histoire de la pensée économique associée à la permanence des questions et
des débats fondamentaux

Une dernière possibilité est de faire de l’histoire de la pensée économique de manière à


éclairer les débats contemporains. Ainsi, faire de l’histoire de la pensée économique, c’est
peut-être resituer les idées économiques, de manière chronologique dans leur contexte, mais
ce peut-être surtout, au-delà de l’immersion dans le factuel, comprendre la logique du
développement de la discipline, de ses prémisses jusqu’à son état actuel, et souligner la
permanence des débats fondamentaux, repérer les questions non encore résolues, identifier les
oppositions irréductibles qui nourrissent le débat économique. Selon ce dernier point de vue,
l’histoire de la pensée économique fait alors partie intégrante de la théorie, au sens où elle
contribue au progrès de la discipline en lui permettant de prendre conscience de ses limites.
Le progrès de cette discipline a, en pratique, entraîné une configuration de la division des
idées sur l’analyse des instruments de la science économique relativement aux comportements
des individus et la compréhension de l’agrégation de l’analyse de la science économique.
En 1936, fut publiée par John Maynard Keynes la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et
de la monnaie, qui constituait à la fois une critique de la théorie de l’équilibre global contenue
dans le marginalisme et une démonstration de l’incapacité de l’économie de marché à assurer
le plein emploi. Cette nouvelle théorie donna naissance à un courant, le keynésianisme, dont
le modèle IS-LM présenté par John Hicks dès 1937 constitua le cadre d’exposition. Après la
redécouverte par Hicks en 1939 de la théorie de Walras, le champ de la science économique
fut divisé en deux : la microéconomie, concernant l’allocation des ressources, les prix relatifs
et la répartition des revenus, fondée sur l’équilibre général walrasien, et la macroéconomie,
concernant l’activité économique d’ensemble, l’emploi et la monnaie, fondée sur l’équilibre
global keynésien. À cette division théorique correspondait une division pratique du travail,
l’économie de marché étant chargée de l’égalisation des offres et des demandes par branches
d’activité et l’État s’occupant de la régulation conjoncturelle du niveau global d’activité. Dans
les années 1950, cette vision de l’économie fut complétée par l’introduction de la dynamique,
qui se fit, du côté de la microéconomie walrasienne, par Kenneth Arrow et Gérard Debreu, et,
du côté de la macroéconomie keynésienne, par Robert Solow.
De cette analyse, nous pouvons définir successivement d’une part, que la
Microéconomie a pour objet l’étude des comportements des agents économiques individuels
(consommateurs ou ménages, producteurs ou entreprises) et de leurs relations sur les
différents marchés où s’échangent les produits et les facteurs de production. La célèbre « loi
de l’offre et de la demande » est un instrument privilégié de ces échanges ou rencontres.
Cette analyse montre comment des échanges libres entre agents économiques rationnels (ou
égoïstes) conduisent à une situation d’équilibre, c’est-à-dire une situation où chacun obtient
exactement ce qu’il veut en fonction de ses calculs rationnels et de l’information qu’il détient.
Et d’autre part, la Macroéconomie est l’étude de l’économie dans son ensemble. Elle s’attache
aux grandeurs globales ou agrégats, telles que le volume total de l’emploi ou du chômage, la
production globale ou le revenu national.
Par ailleurs, elle accorde une attention particulière à ce qu’on appelle la politique économique,
qui est un ensemble de mesures prises par le pouvoir public pour assurer la satisfaction des
besoins des hommes vivant en société, c’est-à-dire atteindre les objectifs partagés par tout le
monde, à savoir : le bien-être collectif (répartition équitable des ressources nationales), la
croissance économique, le plein-emploi des facteurs de production (réduction du chômage) et
la maîtrise de l’inflation. Il y a aussi la monnaie.
Les événements macroéconomiques affectent la vie de tous les citoyens. Comme tous sont
affectés par les conditions économiques, on ne s’étonnera donc pas que les problèmes
macroéconomiques jouent un rôle essentiel dans le débat public.

II.5. De la richesse et les biens naturels

La possession d’une richesse dépend de son acquisition. Une richesse ou un bien économique
tient à sa définition que lorsqu’elle (il) émane d’un processus de la production ou si elle (il)
dépend de la main-d’œuvre qui s’évertue à l’acquisition de ce bien ou de cette richesse.
Agent naturel que représente la terre ne devienne richesse ou bien économique que lorsque la
main-d’œuvre se décide par le travail structuré et méthodique à le(la) posséder.
 Qu'est-ce que la richesse

Stanislas JEVONS, définit la richesse en ces mots : « sous ce terme nous comprenons toutes
les choses et seulement les choses qui sont transmissibles, limitées en quantité, et qui,
directement ou indirectement, produisent du plaisir ou empêchent de la peine ».
Il est nécessaire, avant tout, de saisir exactement la pensée de JEVONS.
Selon lui tout, ce que comprend le mot « richesse » doit avoir trois qualités distinctes et tout
ce qui possède ces trois qualités doit être une part de la richesse. Si ces qualités sont justement
choisies, nous possédons une définition correcte.
Au lieu cependant de la longue phrase « qui directement ou indirectement produisent du
plaisir ou empêchent de la peine », nous pouvons employer le simple mot « utile ». Cela
permet d’établir notre définition tout simplement ainsi : « on appelle richesse ce qui est (i)
transmissible, (ii) en quantité limitée, et (iii) utile.
 La richesse est transmissible

Par transmissible, nous entendons une chose qui peut se passer (du latin trans à travers, mitto,
j'envoie) d'une personne à une autre. Parfois les choses peuvent littéralement se transmettre de
main en main, comme une montre ou un livre ; parfois elles peuvent se transférer par un acte
écrit ou par possession légale, comme dans le cas des terres ou des maisons.
Les services aussi peuvent se transmettre, comme lorsqu'un domestique se loue à un maître.
Un Professeur qui transmet les connaissances à un étudiant. Un musicien, un prédicateur
transmettent également leurs services quand leurs auditeurs ont le bénéfice de les entendre.
Toutefois, il existe beaucoup de choses utiles qui ne peuvent se transmettre d’une personne à
une autre.
Un homme riche peut louer un valet, mais il ne peut acheter la bonne santé de ce valet … De
même aussi, il est en réalité impossible d'acheter ou de vendre l'amour des parents, l'estime
des amis, le bonheur d'une bonne personnalité (conscience). La richesse peut faire bien des
choses, mais elle ne peut assurer ces biens plus précieux que les perles et les émeraudes.
L'économie politique ne prétend pas examiner toutes les causes du bonheur. Ainsi, ces
richesses morales, qui ne peuvent ni s'acheter ni se vendre, ne font pas partie de la richesse
dans le sens que nous allons donner à ce mot. Le pauvre qui possède une bonne conscience,
des amis dévoués, une bonne santé, peut, en réalité, se trouver plus heureux que le riche privé
de ces bénédictions.
La richesse est donc loin d'être la seule chose qui soit bonne, mais néanmoins elle est bonne,
parce qu'elle nous épargne les travaux trop durs et la crainte du besoin. De même, elle nous
met à même d'acquérir les choses agréables et les services qui sont transmissibles (comme les
connaissances, la bonne santé, le confort…).
 La richesse est limitée en quantité

En second lieu, les choses ne peuvent être appelées richesses si elles ne sont limitées en
quantité. Si nous avons un objet autant que nous en désirons, nous n’estimerons aucunement
une nouvelle quantité de cet objet.
Ainsi, l'air qui nous environne n'est pas une richesse dans les circonstances ordinaires, parce
que nous n'avons qu'à ouvrir la bouche pour en absorber autant que nous pouvons en user. Cet
air que nous respirons en ce moment est excessivement utile parce qu'il entretient notre vie.
Mais nous ne payons d'habitude rien pour son emploi, parce qu'il en existe assez pour tout le
monde. Il en est de même de l’eau du fleuve, où la quantité illimitée ne permet à personne de
dépenser pour y avoir accès. Dans un internat cependant, la quantité d'eau devient limitée, et
l’eau qui est là peut alors être considérée comme une partie de la richesse.
D'un autre côté, les diamants, tout en ayant une grande valeur servent à bien peu d'usages : ils
font de splendides joyaux, ils coupent le verre ou percent les roches. Le haut prix (ou la
grande valeur) qu'on y attache provient surtout de leur rareté.
Naturellement, la rareté seule ne crée pas la valeur. Il existe beaucoup de métaux ou de
minéraux rares, dont on n'a jamais possédé que quelques fragments mais leur valeur reste
faible jusqu'au jour où quelque usage spécial se découvre pour eux. C’est le cas du coltan,
avant la découverte de l’utilité dans la fabrication des appareils de communication. L'iridium
se vend à très haut prix, parce qu'il sert à faire les becs des plumes d'or et qu’on ne peut
l'obtenir qu'en petites quantités.
 La richesse est utile

En troisième lieu, nous pouvons facilement discerner que tout ce qui forme une partie de la
richesse doit être utile, ou avoir de l'utilité, c'est-à-dire servir à quelque usage, être agréable ou
désirable d'une façon ou d'une autre.
Jevons dit justement que les choses utiles sont celles qui, directement ou indirectement,
produisent du plaisir ou empêchent de la peine. Un instrument de musique bien travaillé et
bien joué produit du plaisir ; une dose de médicament évite de la peine à celui qui en a besoin.
Mais, il est souvent impossible de décider si une chose nous apporte un supplément de plaisir
ou une diminution de peine. Un dîner nous évite la peine de la faim et nous donne le plaisir de
manger de bonnes choses. Il y a utilité chaque fois que le plaisir est accru ou la peine
diminuée.
En ce qui concerne l'économie politique, la nature du plaisir importe peu.
Nous n'avons pas besoin de préciser si les choses produisent du plaisir directement, comme
les habits que nous portons, ou indirectement, comme les machines employées à fabriquer ces
habits. Les objets sont indirectement utiles, quand, comme dans le cas des outils, des
machines, des matières premières, etc., ils ne servent qu’à fabriquer (ou à obtenir) d’autres
objets (ou biens) qui seront plus tard consommés et utilisés par quelques personnes. La
voiture dans laquelle nous jouissons d'une agréable promenade est directement utile ; le
réchaud qui nous aide à préparer la nourriture l’est indirectement. Mais parfois nous pouvons
à peine faire la distinction.
Dirons-nous que la nourriture introduite dans la bouche est directement utile et que la
fourchette qui l'y porte l'est indirectement !
 Biens et services

Nous savons maintenant exactement ce que c'est que la richesse, mais au lieu d'employer
continuellement ce mot, nous aurons souvent à parler de biens.
Un bien, c'est toute partie de la richesse, toute chose par conséquent à la fois utile,
transmissible, limitée en quantité. La laine, le coton, le fer, le thé, les livres, les souliers, les
pianos, etc., sont des biens en certaines circonstances, mais non en toutes circonstances. La
laine que porte un mouton sauvage perdu dans les montagnes n'est pas un bien, non plus que
le fer dans une mine qu'on ne peut exploiter. Un bien en un mot, est toute chose réellement
utile et désirable et telle qu'on puisse l'acheter ou la vendre.
En règle générale, un bien est matériel. Tout bien non matériel est appelé service. C’est le cas
de connaissances qui constitue une richesse. Les connaissances sont acquises moyennant un
coût (une dépense). Ces connaissances constituent de la richesse pour ceux qui en possèdent
(les professeurs). Ils peuvent vendre une partie de ces connaissances (sous forme de service)
aux étudiants et recevoir de l’argent. Apparemment, ces connaissances ne sont pas visibles
(car immatériels), mais celui qui les a, sait qu’il y a quelque chose en lui.
« Acheter » la bonne santé en consultant un médecin, c’est acheter un service. Si les services
d’un médecin ne parviennent pas à vous rendre la santé, il n’y a pas réduction de la peine.
Une bonne santé retrouvée, grâce au concours d’un médecin, c’est de la richesse. Donc, les
secrets de guérison livrés par un médecin à un patient, c’est un service ou bien non matériel.
Toutefois, tout bien n’intéresse pas l’économiste. Les biens qui intéressent
l’économie sont des biens économiques. Ce sont les activités qui génèrent les biens
économiques qui ont permis dans le temps la formation de l’analyse économique comme
science.

CHAPITRE III : LES PENSEES ECONOMIQUES

Dans ce chapitre préfigure certaines notions sur les Théories et Doctrines


Economiques. Il passe en revue les grandes idées qui ont façonné l’Economie politique
moderne, de l’Antiquité à l’approche néo-keynésienne, en mettant un accent particulier sur les
idées des grands économistes.
III.1. L’Antiquité
Dans l’antiquité, l’Economie était intégrée à la société et à ses institutions qu’on
ne peut la traiter comme une catégorie autonome et l’étudier isolement. On trouve dès
l’origine la primauté des valeurs religieuses ou philosophiques qui empêche une réflexion
autonome sur ce que les Grecs, notamment ARISTOTE, appellent « OIKONOMIA ». «
OIKOS », maison, et « NOMOS », principes, règle ou gestion.
Ainsi, l’Economie s’entend comme la gestion ou l’administration des éléments de production
et de substance restreints au groupe économique que constitue la famille.
Dans son ouvrage sur « La République », Platon parle, en son temps, de l’organisation
économique lorsqu’il démontre comment la division des tâches dans la production des biens
(des richesses) favorise le rendement du travail (la productivité par individu) et, partant,
augmente la richesse.

III.1.1. Xénophon : l’économique comme art de la gestion domestique

C’est à Xénophon (vers 426-354 av. J.-C.), élève de Socrate, que l’on doit donc le
terme « d’économie ». Après avoir servi comme soldat au service de Sparte, Xénophon se
retire pour exploiter un domaine agricole. Au sein d’une œuvre très diverse, quatre ouvrages
sont tirés de ses expériences, dont L’économique et Les revenus. Dans le cadre de ces traités
d’administration patrimoniale, « l’économique », terme dérivé de oikos (la maison) et nomos
(l’administration), se réduit aux règles de bonne gestion domestique. L’interrogation sur ces
questions ne peut donc par définition pas être une interrogation politique sur
l’ordonnancement des cités. Xénophon ne s’intéresse qu’à l’administration des domaines
ruraux, se contentant précisément de mettre en évidence l’importance de l’agriculture dans la
production des richesses. b) Platon : de la cité « réelle » à la Cité « idéale » Les réflexions
économiques de Platon (Aristoclès, dit Platon, 428-348 av. J.-C.) s’écartent de cette vision
étroite et ont une portée plus philosophique.
Il s’agit de s’interroger, comme dans La République, sur l’ordonnancement de ce que pourrait
être une Cité idéale (ordonnée, harmonieuse). Dans l’esprit de Platon, et concernant les
questions économiques, cela passe par un strict contrôle « collectif » des pratiques et des
relations économiques, à tel point que certains ont voulu y voir un plaidoyer en faveur d’une
forme de « communisme ». Ce système s’applique à une communauté de 5 040 citoyens, dans
laquelle les catégories sociales ne sont pas abolies, mais fondées sur la sélection et non sur
l’hérédité. La division du travail entre ces catégories doit être très stricte : au sommet, les «
races » d’or et d’argent fournissent respectivement les gardiens dirigeant la Cité (dont la
principale qualité doit être la sagesse) et les guerriers la défendant (dont la principale qualité
doit être le courage). En contrepartie de ces responsabilités éminentes, gardiens et guerriers
doivent être astreints à un régime d’une extrême rigueur ; tout particulièrement, puisque ces
deux catégories ont la charge d’assurer la sauvegarde des mœurs, et afin que leurs propres
qualités morales ne soient pas mises en danger, elles sont écartées de toute activité
économique. Dans ce système, la famille et la propriété privée, sources de passions
acquisitives, sont abolies. Seuls ceux, artisans et commerçants, qui se situent au bas de la
hiérarchie et doivent assurer le fonctionnement matériel de la Cité, conservent la jouissance
de la propriété privée. Lorsqu’il s’interroge dans Les Lois sur les cités possibles qui seraient à
même de se rapprocher de cet idéal, Platon y confirme que prospérité et richesse ne doivent
pas être une fin en soi et que les seules quêtes de ces cités doivent être la justice et l’harmonie
sociale, fondées sur le respect des vertus morales cardinales (sagesse, courage, justice,
tempérance).

III.1.2 Aristote et la condamnation morale de l’enrichissement

Aristote (384-322 avant notre ère), élève de Platon et fondateur à Athènes du


Lycée, sera considéré au Moyen Âge comme « le » philosophe. Il aborde les questions
économiques principalement dans La politique et dans L’éthique à Nicomaque. Aristote y fait
la distinction entre deux types de richesses, la « véritable richesse » qui concerne « les biens
indispensables à la vie » et la « fausse richesse » qui concerne les biens superflus. L’art de
l’économique, qu’il associe comme Xénophon à l’administration familiale, consiste, pour le
maître, en sa capacité d’acquérir et de se servir de la « véritable » richesse : la finalité de
l’existence n’est pas l’enrichissement, mais « la vie heureuse ». Aristote rejoint ainsi Platon
dans sa condamnation de l’enrichissement. Il oppose la chrématistique (art d’acquérir des
richesses) « naturelle », qui consiste à acquérir des richesses nécessaires à la vie, à la
chrématistique « mercantile », qui consiste à acquérir un bien, non pour la fonction qu’il
remplit, mais pour l’acquisition proprement dite. Cette condamnation trouve son écho dans
une analyse de la monnaie. Aristote est le premier à définir les trois fonctions monétaires :
étalon des valeurs, moyen d’échange et réserve de valeur (instrument d’épargne). De son
point de vue, la monnaie est avant tout un « moyen » d’échange. Puisque telle est sa nature,
faire de la monnaie une finalité de l’activité économique, une richesse en elle-même, est donc
lui faire jouer un rôle contre-nature, et va donc à l’encontre de l’ordre naturel. C’est donc par
perversion que la monnaie est devenue « principe et fin de l’échange commercial ». L’activité
économique est donc condamnée dès lors qu’elle s’écarte de la seule juste satisfaction des
besoins familiaux ; l’enrichissement (monétaire) est banni et la pratique de l’usure (bien
souvent confondue avec celle de l’intérêt) est également condamnée : faire payer un intérêt,
c’est faire du profit avec la monnaie elle-même, c’est encore une fois faire de la monnaie la
finalité et non le moyen de la transaction, alors qu’elle n’a pas été instaurée pour cet usage.
C’est cette vision de l’économique, enchâssée dans une « architectonique » où les principes
d’organisation politique de la cité sont soumis à des considérations éthiques « supérieures » et
où l’économique est borné à la satisfaction des besoins matériels de la « famille », son
expansion étant condamnée au nom de la morale comme mettant en péril « l’ordre naturel »
des sociétés, qui se retrouvera dans toutes les réflexions ultérieures.

III.2. Le moyen-âge (la pensée médiévale)

Dans le monde chrétien du moyen-âge, l’Economie demeure subordonnée à la


morale. La pensée médiévale est dans la continuité de la pensée antique.
L’œuvre de saint Thomas d’AQUIN (1226 – 1276) arrête les principes essentiels : défiance à
l’égard de la richesse matérielle et de l’accumulation de l’argent, condamnation du taux
d’intérêt, recherche du juste prix (celui qui ne le lèse ni l’acheteur, ni le vendeur) et de la
justice dans les échanges.

III.2.1 La scolastique thomiste


La scolastique (philosophie et théologie enseignée au Moyen Âge dans les
Universités où enseignent les docteurs de l’Église) est constituée de deux grands courants
successifs. Le premier courant, dit « réaliste » s’étend du Xe au XIIIe siècle et St Thomas
d’Aquin (1225-1274) en réalise la somme (Somme théologique). Théologien et philosophe
italien, canonisé en 1323, Saint Thomas d’Aquin, reprenant la démarche philosophique des
savants musulmans (Ibn Sina, 980-1037, médecin et philosophe persan, auteur d’un Livre de
la politique inspiré des travaux d’Aristote) et (Ibn Rushd, 1126-1198, philosophe arabe, cadi
de Séville puis de Cordoue), mais dans le cadre de la théologie chrétienne, cherche à concilier
les « vérités » contenues à la fois dans les textes saints (la Bible et les écrits des Pères de
l’église chrétienne), les textes antiques (et spécifiquement ceux d’Aristote) et les textes des
juristes romains.
Il cherche donc, lui aussi, à concilier la foi et la raison. Sur le plan de la réflexion
économique, il reprend l’héritage d’Aristote, en l’accordant avec la morale chrétienne. Ainsi,
la condamnation de l’enrichissement, et par exemple de la pratique du prêt à intérêt, est
reprise au nom des mêmes arguments d’Aristote, mais renforcée de l’apport de la foi (qui
vante la pauvreté et la charité et condamne l’empire du fort, le prêteur, sur le faible,
l’emprunteur) et de celui du droit romain (dans le cadre duquel le prêt de monnaie est analysé
comme un contrat de cession, un mutuum, n’autorisant pas que puisse être exigé, au terme de
la cession, un loyer sur la chose cédée, un intérêt sur les sommes accordées au titre du contrat
de prêt). Il mène aussi des interrogations sur la notion de « juste » prix. Là où Platon insistait
sur la justice distributive (où l’on se soucie de la justice dans la répartition des richesses au
sein du corps social), Aristote sur la justice commutative (la justice étant de s’assurer de la
satisfaction commune des deux seules parties de la transaction), Saint Thomas insiste pour
que le « juste » prix résulte d’une estimation « commune », d’un consensus général, qui ne
saurait résulter de la seule satisfaction des participants à une transaction ponctuelle. Pour
qu’un prix soit juste, il faut s’assurer que la transaction ne lèse personne, à l’échelle
individuelle et collective. Seul un jugement moral, en amont de la transaction proprement
dite, est alors à même de déterminer la justice d’un échange. De la sorte, héritière de la pensée
antique, la pensée occidentale ne s’affranchit pas encore de spéculations morales.

III.2.2 Les premiers éléments de « modernité » : le « nominalisme » d’Oresme et Buridan

En réaction à la pensée thomiste apparut au XIVe siècle un autre courant de la


scolastique, le courant dit « nominaliste ». On y retrouve des considérations sur la monnaie et
la valeur. On trouve en particulier chez (1320-1382, évêque de Lisieux) dans De l’origine,
nature et mutation des monnaies une première réflexion entièrement consacrée à la nature de
la monnaie et du processus de création monétaire. Oresme, comme avant lui Saint Thomas
d’Aquin, réaffirme l’idée que la monnaie est d’abord et avant tout un instrument d’échange
suppléant aux insuffisances du troc. Mais, contre une vision de la monnaie comme chose du
Prince, présente chez les thomistes, Nicolas Oresme soutient que sa valeur a pour origine le
seul consentement des marchands à l’utiliser et qu’en conséquence le Prince, seule source
légitime de création monétaire, doit s’abstenir de la manipuler. En l’espèce, le « politique »
doit donc se soumettre aux exigences de « l’économique » (le bon fonctionnement des
échanges marchands par le maintien et la garantie du poids et de la valeur des monnaies).
Cette réflexion préfigure ce que seront, contre les mercantilistes, les arguments monétaires
des premiers classiques.
Jean Buridan (1300-1358, recteur de l’université de Paris), quant à lui,
approfondit surtout la question de la valeur (Questions sur la Politique d’Aristote ; Questions
sur l’Éthique à Nicomaque d’Aristote). Sa réflexion est notamment connue par la fable de «
l’âne de Buridan » et conduit à émettre l’idée que la valeur des biens puise à deux sources :
leur rareté, mais aussi leur utilité. Cette réflexion, aussi, réapparaîtra, sous une certaine
forme, à l’époque moderne.

III.3. L’économie politique avant Adam SMITH

À la fin du Moyen Âge, les conditions qui prévalaient au cours des siècles passés
sont brutalement modifiées, sur les plans politique (désagrégation de l’ordre féodal et
constitution progressive des États-nations), culturel (Renaissance), théologique (réforme
protestante), technique (l’invention de l’imprimerie favorise la diffusion des idées) et
économique (les grandes découvertes élargissent l’horizon des échanges, l’arrivée des trésors
du Nouveau Monde modifie en profondeur l’équilibre monétaire du passé et le regard porté
sur la richesse, la prospérité des nations et leur origine, les pratiques économiques,
marchandes et financières en particulier). La conjugaison de ces phénomènes est alors propice
au développement d’une réflexion économique nouvelle, sur laquelle ne pèsent plus les
interdits moraux prévalant jusqu’alors et qui porte les marques de la modernité. Cette période
est marquée par la ligne droite allant des pensées de Princes et marchands aux pensées de la
renaissance des nouvelles acceptions de l’économie politique. Elle s’étale sur les XVIe et
XVIIe siècles est une période jonchée et reflétée par des grands bouleversements dans les
domaines politique (effondrement de l’ordre féodal et constitution des États-nations, identifiés
à leur Prince, terme générique qui au XVIe siècle, désigne n’importe quel souverain), culturel
(Renaissance), religieux (Réforme) et économique (révolution monétaire et marchande induite
par les grandes découvertes).
Cette économie politique avant A. Smith renvoie aux apports des Mercantilistes et
des physiocrates, lesquels sont des précurseurs directs des classiques.
Le mercantilisme est une conception de l’Economie qui a couru du XVème siècle
jusqu’au milieu du XVIIIème siècle. Au cours de cette période, la pensée économique
s’émancipe de la préoccupation morale et religieuse. C’est ainsi que la richesse cesse d’être
condamnable et devient indispensable à l’accroissement du pouvoir du souverain :
l’Economie se met désormais au service du prince, le seul véritable sujet économique.
Le courant mercantiliste prend ses origines dans les grandes découvertes (Amérique : avec
Christophe Colomb, 1942 ; Cap de Bonne Espérance : avec Vasco de Gamma, 1498, …),
caractérisées par l’expansion du commerce et de l’activité économique. Les mercantilistes ont
le mérite d’:
 avoir été les premiers à estimer que l’enrichissement est une fin louable et que les
princes doivent trouver à leurs sujets les moyens de s’enrichir ; ce qui accroit la
puissance de l’Etat ou du Prince, grâce au seigneuriage (entendu comme droit du
seigneur)
 avoir soutenu que l’intérêt personnel est un stimulant qui conduit à la prospérité
générale ;
 être métallistes : il n’y a que l’abondance d’argent (richesse) pour un Etat qui
fasse la différence de sa grandeur et de sa puissance.

Ainsi, l’analyse mercantiliste recommande l’extension du marché par des débouchés


extérieurs et, même, par les conquêtes coloniales en vue de l’opulence générale.
Les physiocrates comptent parmi les véritables précurseurs de l’Economie
politique. Ils soutiennent que la terre, qui rapporte une rente, est l’unique source de production
nette, les autres activités (Industrie et Commerce) sont stériles, car elles transforment les biens
sans les multiplier.
L’image la mieux connu des physiocrates est François QUESNAY (1694 – 1774), en tant que
maître des physiocrates. L’essentiel de ses analyses économiques sur la France « Royaume
agricole » est présenté dans son ouvrage « Tableau Economique » [1758, puis 1766]. Dans cet
ouvrage, il soutient que : les dépenses incitent à la production, la production crée des revenus,
et les revenus alimentent les dépenses. L’idée originale est que toute l’activité économique est
entretenue par le mouvement du revenu.
F. QUESNAY est aussi popularisée pour avoir divisé le royaume agricole en trois
classes :
- la classe productive, qui comprend tous ceux qui, en extrayant le revenu du sol, tire de la
terre le revenu brut (ou don gratuit). Ce sont les fermiers. Du revenu brut, l’on déduit la
rémunération de la classe productive et le produit net est remis aux propriétaires.
- la classe des propriétaires fonciers : ce sont des souverains et des possesseurs de terre qui
vivent du produit net perçu (fermage ou rente).
- la classe stérile, celle formée de tous les citoyens occupés à d’autres activités (les services)
et à d’autres travaux que ceux de la terre.
D’après F. QUESNAY les relations existant entre ces trois classes conditionnent
l’existence de la société elle-même (ordre naturel) et sont considérées comme des rapports
économiques, du fait qu’ils consistent soit en achats ou en ventes des marchandises, soit en
paiement de revenu.

III.3.1 la naissance d’une « économie politique »

1°) Levée des interdits moraux et développement d’un capitalisme commercial

L’abandon, par la philosophie morale, de la réflexion politique conduit


logiquement à ce que les interdits moraux qui pesaient sur les pratiques économiques soient
levés. Bien davantage, dans les pays protestants (notamment calvinistes), on encourage la
poursuite d’activités économiques, la réussite dans les « affaires » pouvant être un signe, une
révélation de son élection divine : c’est ce que souligne dans son Éthique protestante et esprit
du capitalisme (1904-1905) et ce que semble confirmer le fait que les puissances catholiques,
encore dominantes aux XVIe (Italie, Espagne, Portugal) et XVIIe siècles (France), vont
progressivement, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles être rattrapées puis dépassées par les
puissances protestantes (Provinces Unies, puis Royaume-Uni). Par ailleurs, la révolution
marchande et monétaire produite en Europe par les grandes découvertes modifie la conception
de la richesse (de sa nature, de plus en plus identifiée à sa forme monétaire ; de ses causes,
identifiées le plus souvent à la capacité de générer des excédents commerciaux ; de ses
bienfaits, désormais loués). Cette nouvelle conception de la richesse est celle portée par une
nouvelle catégorie sociale enrichie par le commerce et la finance, la marchandérie (les
marchands). Soucieux de pouvoir continuer à s’enrichir, ils réclament du Prince (dont le
pouvoir, absolu et inaliénable, s’exerce logiquement sur toutes les pratiques sociales, y
compris économiques) l’octroi de privilèges (qu’ils appellent « libertés économiques » !) et la
mise en place de politiques économiques « interventionnistes », à l’exemple du colbertisme en
France.
2°) Le mercantilisme ou le plaidoyer interventionniste

Le mercantilisme est donc symbolique de la nouvelle attitude vis-à-vis des


pratiques économiques et de leur place dans l’ordre social : l’ordre social est un ordre
politique. Le lien politique est un lien de sujétion absolu des individus à leur Prince. Le Prince
a donc toute autorité pour régner sur la société et réguler à sa guise (dans son intérêt, et donc
dans celui de la Nation, identifiée alors à l’État et au Prince qui la gouverne) les pratiques
sociales. Dans cet objectif, le Prince a intérêt à développer les pratiques économiques, à
encourager et à faciliter l’enrichissement des marchands, et donc de la nation. Remarquons
que la Nation est désormais considérée comme l’unité de référence de l’activité économique
et marchande (c’est nouveau et cela ne sera pas remis en cause jusqu’à nos jours où la
question fait encore débat). Elle est identifiée à son Prince, et plus précisément à l’axe
Prince/marchands. Dans ce cadre, la monnaie joue un rôle symbolique essentiel : elle est une
des manifestations du pouvoir politique du Prince (qui a le privilège « régalien » de battre
monnaie). Elle est, à ce titre, l’expression de la domination du politique sur l’économique ;
elle devient ensuite l’objet de la richesse des marchands. L’économique (identifié au
monétaire) n’est donc pas autonome du politique : il en dépend et accepte de lui être soumis.

III.3.2 Mercantilistes

Les mercantilistes ne sont pas des « penseurs » et ils ne forment pas une école
constituée portant un regard commun sur les réalités économiques. Ce sont bien plutôt des «
hommes de l’art », marchands et financiers le plus souvent, « fonctionnaires » parfois, qui,
dans le cadre de leurs activités, sont aux prises avec les questions économiques, en tirent des
conceptions pratiques dont ils essaient de déduire des convictions plus générales, convictions
qu’ils s’efforcent d’exposer auprès des puissants. Ils plaident le plus souvent, lorsqu’ils sont
marchands ou banquiers, en faveur de ce qu’ils nomment « la liberté économique », c’est-à-
dire en fait l’octroi d’avantages, de monopoles, d’interventions publiques pour développer ou
protéger leur activité. Ces plaidoyers peuvent différer d’un auteur à l’autre, mais un certain
nombre de convictions doctrinales leur sont néanmoins communes.

 La doctrine

a) De la richesse Pour les mercantilistes, la richesse est monétaire :

La plupart des mercantilistes associent la richesse à la possession de métaux précieux comme


l’or ou l’argent. Cette fascination pour le métal s’explique : c au niveau individuel. La plus
grande partie des échanges s’effectuait à l’époque, et depuis longtemps, sous la forme soit
d’échange de troc (dans le cadre de la communauté villageoise), soit au moyen de monnaies «
noires », faites de cuivre ou d’alliage. Les monnaies d’or et d’argent, rares (les mines sont
épuisées en Europe), sont réservées aux transactions de grands prix et transitent dans les
mains des seuls plus fortunés : depuis de longs siècles, la possession et la manipulation d’or et
d’argent sont la manifestation la plus évidente de la richesse ; au niveau social. L’afflux
massif d’or et d’argent ne fait que renforcer cette impression, et ce d’autant que, dans la
première moitié du XVIe siècle, c’est l’Espagne de Charles Quint, celle-là même qui a su
conquérir le Nouveau Monde et en extraire les richesses, qui domine le monde et l’Europe de
sa puissance et de sa magnificence :
Il est clair alors que cette puissance politique tire sa source de la richesse d’or et d’argent
captée par les Espagnols. Les auteurs mercantilistes des XVIe et XVIIe siècles considèrent
donc l’accumulation de richesse monétaire (or et argent monnayés) comme une finalité en
soit, aboutissant au bullionisme (issu du mot anglais bullion qui désigne l’or en barre, ce
terme traduit l’intérêt presque exclusif des mercantilistes pour les métaux précieux) ou au
chryshédonisme (attitude visant à atteindre le bonheur par la possession d’or). Pour un
individu (en fait pour un marchand), comme pour un État, le but doit donc être d’accumuler
les monnaies d’or et d’argent. b) Du commerce
Pour les auteurs mercantilistes, le commerce est source d’enrichissement. Puisque l’idée de
Nation (et de son intérêt opposé à celui des autres nations) apparaît à la même époque, très
rapidement l’idée se fait qu’une voie privilégiée pour enrichir le pays (et ses marchands) et
donc pour renforcer la puissance de son monarque (à l’image de ce que connaît Charles
Quint), est un commerce extérieur florissant. Ainsi, la notion de commerce extérieur est
logiquement associée à celle de Nation (qui délimite une frontière, un intérieur et un
extérieur). La notion de « balance du commerce » apparaît en 1549 sous la plume du grand
financier anglais Thomas Gresham(1519-1579) dans le Bref Examen (finalement publié à titre
posthume en 1581) : pour qu’une nation s‘enrichisse, il faut que sa balance du commerce soit
excédentaire, c’est-à-dire que la valeur (libellée en poids de métaux précieux) de ses
exportations dépasse celle de ses importations. S’impose aussi l’idée que le commerce est un
jeu à somme nulle, où ce que l’un gagne, l’autre le perd.

b) De l’État

L’État doit intervenir dans l’économie : la meilleure manière de garantir un commerce


extérieur excédentaire est que l’État mette en place une politique tarifaire protectionniste ; il
faut favoriser les importations de produits de base et de matières premières et l’exportation de
produits finis et manufacturés (à plus forte « valeur ajoutée » dirions-nous aujourd’hui) et il
faut décourager, voire interdire, les importations des produits finis et manufacturés et les
exportations de produits de base et de matières premières. Plus généralement, on réclame une
intervention systématique de l’État dans tous les domaines de la vie économique visant à
pérenniser, protéger et développer l’activité des marchands : il s’agit pour eux de montrer au
monarque que son intérêt est de favoriser leur enrichissement par l’octroi de privilèges et de
monopoles, car leur enrichissement c’est celui de la Nation qui renforce et garantit la
pérennité de la puissance publique. Le souverain doit donc établir des règlements qui
protègent les métiers nationaux de la concurrence extérieure, dicter des normes de fabrication
très stricte afin d’évincer la concurrence extérieure (protectionnisme de norme) et intérieure
(par l’interdiction de l’innovation, le gel des techniques). Il doit donc aussi adopter une
politique fiscale qui n’écrase pas trop les artisans, les marchands et les financiers au bénéfice
de la noblesse et du clergé. Il doit favoriser le développement des manufactures, notamment
de produits de luxe. Notons que la question de la légitimité de cette intervention ne fait pas
problème : l’activité économique, comme toute pratique sociale, n’existe que par le bon
vouloir du souverain, et parce que le pouvoir de celui-ci a pu constituer, en amont, une société
(le symbole dans le domaine économique étant le privilège régalien de battre monnaie : il n’y
a, pour les mercantilistes, monnaie que comme signe de souveraineté, expression du pouvoir
politique du Prince ; une fois ce symbole établi, il devient la finalité de l’activité économique
qui ne peut donc exister que si le lien monétaire est fondé. Le pouvoir du souverain sur ses
sujets et leurs pratiques sociales, quelles qu’elles soient, étant absolu, il dispose d’un droit
d’ingérence absolu et a priori illimité dans chacune d’entre elles, dont la pratique économique.

III.3.2 Physiocrates
François Quesnay fonde, au milieu du XVIIIe siècle, le premier courant de pensée
organisé en économie politique, visant à influencer le débat public à partir d’une conception
rationnelle de la société. L’influence de cette « école physiocratique » sur l’opinion éclairée
fut important en France dans les années 1760, avant de décliner rapidement. Mais sa
contribution à la formation de la pensée économique fut beaucoup plus durable. Si la
physiocratie fournit en effet une représentation de l’économie marquée par les caractéristiques
de la société française de l’époque, à dominante agricole, elle innove sur de nombreux aspects
théoriques : la représentation de l’économie comme un système structuré à la fois en classes
sociales et en secteurs d’activité ; la distinction entre le capital (les avances) et le surplus (le
produit net) ; la distinction entre travail productif et travail improductif ; la conception de la
circulation de flux de dépenses assurant la reproduction de la société tout entière et dont le
blocage dégénère en crises économiques. Et enfin, l’identification de l’ordre naturel à un
système de lois économiques gouvernant les relations entre les individus, identification qui
conduit à la revendication explicite d’une autonomie et d’une prédominance de la pensée
économique sur le politique. La physiocratie est donc un moment essentiel dans la pensée
économique : précurseur de la pensée classique et libérale, en même temps qu’elle influence
des discours plus hétérodoxes, elle peut être présentée comme une véritable matrice de la
science économique.
Parmi les précurseurs de ce « libéralisme à la française », on peut citer :
Pierre le Pesant, seigneur de Boisguilbert (1646-1714), contemporain de Louis XIV et qui,
s’interrogeant dans Le détail de la France (1695), puis dans Le factum de la France (1705) sur
les causes de ce qui lui semble être un appauvrissement de la France, réclame des mesures de
libéralisation du commerce et de réforme fiscale et condamne la violence faite au peuple et
l’interventionnisme réglementaire de l’État. Il analysera l’ensemble de l’activité économique
sous l’angle de la circulation des richesses dans sa Dissertation de la nature des richesses, de
l’argent et des tributs (1707). Avec lui apparaît pour la première fois l’idée d’un ordre
économique naturel, qui sera développée par la physiocratie et l’école classique.
Richard Cantillon (1680-1734) effectue dans son Essai sur la nature du commerce en général
(1714-1725, publié à titre posthume en 1755) une transition entre mercantilisme et
physiocratie et sera l’un des principaux inspirateurs des physiocrates.
Vincent de Gourmay qui initie François Quesnay à l’économie et est l’auteur de la fameuse
devise « laissez faire, laissez passer ! ».
François Quesnay (1694-1774). Médecin du roi Louis XV et de la marquise de Pompadour, il
est le fondateur du mouvement physiocratique et l’auteur du Tableau économique (1758).
Marx, comme Schumpeter ont pu voir en lui le véritable créateur de l’économie moderne.
Anne Robert Jacques Turgo (1727-1781). Disciple de Quesnay, mais ayant développé une
vision propre, il est celui qui portera un temps les thèses physiocratiques au pouvoir, en
devenant contrôleur général des finances de Louis XVI.
 La doctrine
Elle est, trait pour trait, un véritable anti-mercantilisme :
a) La nature de la richesse

La richesse est réelle : elle est constituée de biens matériels et non pas de monnaies d’or et
d’argent. La monnaie apparaît essentielle à la circulation des richesses (le Tableau
économique est un modèle d’appréhension du circuit des richesses monétaires et réelles, que
Quesnay, chirurgien, assimile à la circulation sanguine dans le corps), mais ne constitue pas
une fin de la circulation.
b) Les causes de la richesse

L’agriculture, seule, est productrice de richesses : les physiocrates, contemporains de la «


révolution agricole » qui précède immédiatement la Révolution industrielle, très attachés en
outre aux propriétaires fonciers et moins à la « bourgeoisie » émergente, considèrent que
seule l’agriculture est à même de fournir un « produit net », c’est-à-dire d’accroître le
montant de richesses par rapport aux richesses « avancées ». Au contraire, l’industrie, les «
arts et manufactures » sont réputés être « stériles », ne faisant que transformer les richesses
(transformer les « valeurs d’usage »), mais ne créant pas de surplus.

c) L’ordre naturel du « tableau économique » Le « Prince » doit se soumettre à la logique


du « tableau économique ».

L’ambition de Quesnay, dans son « tableau », est de décrire la circulation des richesses entre
les différentes classes de la société et donc de révéler « l’ordre économique naturel ». On y a
souvent vu l’origine des comptabilités nationales. C’est davantage un petit modèle
macroéconomique avant l’heure. Le modèle de Quesnay est construit à partir de trois classes
définies par leur rapport au produit net : la classe productive, la classe des propriétaires et la
classe stérile. La richesse, c’est-à-dire le produit net, est donc dégagée par le seul travail
agricole à la condition que les « avances foncières » (investissements) soient réalisées : il faut
donc qu’en amont, la classe des propriétaires et le souverain acceptent de réaliser ces avances
(mise en état des terres, assèchement des marais, construction et entretien des moyens de
communication, achat du matériel et des matières premières…). Le produit net agricole
constituera alors la récompense des « avances foncières » (des investissements) et reviendra
logiquement, sous forme de rente, à ceux qui ont assuré les avances, les propriétaires fonciers
et le souverain. La richesse se diffuse ensuite entre les différentes classes de la société grâce
aux dépenses de chacune d’entre elles. Ce n’est alors qu’à la condition que le circuit de ces
dépenses soit scrupuleusement respecté que les avances foncières peuvent être reconstituées
et le produit agricole à nouveau dégagé à la période suivante. Il faut donc que chacun (et
notamment les classes dominantes, propriétaires fonciers et souverains) respecte ce schéma,
c’est-à-dire se soumette à l’ordre économique ainsi révélé, occupe la place et le rôle qui lui y
sont dévolus. De la même manière, c’est au titre de cet ordonnancement du tableau que les
physiocrates réclament, en aval, une réforme fiscale devant conduire à l’établissement d’un
impôt unique sur la rente foncière : là aussi, cela revient à convaincre l’aristocratie foncière
de se plier à un ordre économique qui lui est réputé supérieur. Bref, le Prince, et les classes
qui fondent son aristocratie doivent, non plus soumettre l’activité économique à leur bon
vouloir, mais se soumettre et accepter un ordre économique qui domine en importance leur
pouvoir politique. Il leur revient, pour le reste, de « laisser faire, laisser passer » (liberté du
commerce du grain notamment).
la naissance d’un paradigme et d’une science
a) L’apparition d’une science économique…

Un grand nombre d’historiens de la pensée voient dans Quesnay et la physiocratie la


première école d’économistes modernes. Quesnay lui-même avait choisi de se qualifier et de
qualifier ses disciples « d’économistes ». Pour la première fois, en effet, un auteur revendique
l’idée que l’harmonie sociale repose, non pas sur un ordre moral (qu’il soit religieux ou pas),
non pas sur un ordre politique (qu’il soit libéral ou absolu), mais sur un ordre économique
qui est considéré comme l’ordre naturel des sociétés. L’étude de l’économie est donc
considérée comme une discipline à part entière, pouvant apporter une réponse à la question
de l’ordre social.
b) Libérale à son origine
Évidemment, cette volonté d’autonomie du discours économique ne peut se faire que
moyennant l’affranchissement d’avec la réflexion politique, ce qui se traduit par la volonté de
renverser le lien d’assujettissement entre le politique et l’économique : le politique ne domine
plus l’économique en importance, c’est l’inverse. En conséquence de quoi, le pouvoir
politique doit non pas s’imposer à l’économique, mais accepter cet ordre économique et s’y
soumettre : il doit donc se désengager de l’économie et se mettre à son service. Le
libéralisme est né et la science économique ne pouvait apparaître comme discours autonome
qu’à cette condition. Ce n’est qu’ultérieurement que des économistes « non libéraux » vont
pouvoir apparaître.
c) La physiocratie pratique et son dépassement

Pourtant, ce n’est généralement pas à la physiocratie que revient l’honneur d’être citée
comme fondatrice de la science économique. À cela, trois raisons principales :
La « physiocratie » pratique, portée par Turgot, va vite être écartée du mouvement de
l’histoire. Turgot est souvent présenté comme le dernier qui aurait pu sauver la monarchie
française. Il souhaitait des réformes en profondeur, mais ses théories sur la liberté
individuelle nécessaire au développement du royaume et au progrès de l’humanité
s’accordaient mal avec le pouvoir absolu hérité de Louis XIV et Louis XV. Aussi son échec,
au tout début du règne de Louis XVI, s’explique par les violentes hostilités auxquelles se sont
heurtées ses réformes. Après lui, le pays sera gouverné au jour le jour. Toujours est-il que la
physiocratie sera « oubliée » même si elle demeurait influente. Sa proximité avec la
monarchie, même s’il la souhaitait davantage « éclairée », l’avait en outre déconsidérée
auprès des révolutionnaires français.
Sur le plan analytique, son insistance sur la productivité exclusive de l’agriculture mettait la
physiocratie en décalage avec son temps, qui connaissait déjà, notamment outre-Manche, les
prémisses de ce qui allait devenir la première révolution industrielle.
Sur le plan conceptuel, le tableau laissait largement ouverte les questions de la valeur, des
revenus, de la détermination économique des classes sociales et de leurs rapports autant de
questions qui seront abordées et résolues par l’école classique anglaise.
Pour toutes ces raisons, ce sont donc les classiques anglais, contemporains de la Révolution
industrielle et ancrés dans la tradition libérale britannique, et tout particulièrement le premier
d’entre eux, Adam Smith, qui seront considérés comme les véritables fondateurs de la
science économique. Inspirée de la physiocratie, la théorie classique s’établira rapidement
comme le paradigme autour duquel se structurera la première période de « science normale
» de l’histoire de la pensée économique.

III.4. Les Classiques

Ce que l’on appelle communément « école classique » a deux grandes œuvres repères : la
Richesse des Nations d’Adam SMITH et les Principes de l’économie politique et de l’Impôt
de David RICARDO.
L’économie, au sens moderne, est l’œuvre des classiques. L’idée centrale des classiques est
que le libre échange améliore la situation des nations : l’individu est plus apte que l’Etat à
créer des richesses et à réaliser le bien-être de tous en recherchant, de façon égoïste, son
propre intérêt.
Bien que l’école classique ne soit jamais définie comme telle, quatre idées fondamentales
caractérisent l’approche des Classiques :
(i) une analyse en termes de classes sociales,
(ii) le capital défini comme une avance monétaire,
(iii) une analyse centrée sur la formation de la valeur et des prix,
(iv) une perspective d’ensemble de l’évolution de l’Economie.
Quatre figures emblématiques se démarquent de l’école classique : A. Smith, T.R. Malthus, D.
Ricardo et J.B. Say.
Selon les auteurs classiques, les éléments à l’origine de la richesse des nations, du progrès
technique et du bien-être sont : le travail, l’accumulation du capital, la division du travail, la
libre concurrence et la liberté des contacts, l’individualisme, les lois du marché et
l’exploitation des avantages absolus du commerce international, les ressources naturelles.
Pour eux, l’Etat doit assurer à tous la liberté d’entreprendre et de contracter pour que
l’économie s’épanouisse. De ce fait, le rôle de l’Etat est d’établir les règles du jeu, d’instaurer
les institutions et de garantir la propriété.

III.4.1. Adam SMITH (5 juin1723 – 17 juillet1790)

Contemporain des physiocrates, A. Smith est considéré comme le père fondateur des Sciences
Economiques. Son ouvrage célèbre « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations » [1776] est considéré comme la bible des classiques.
1°) Du Smith philosophe…
Né à Kirkcaldy (Écosse), Smith obtient à l’âge de vingt-sept ans la chaire de logique à
l’université de Glasgow et plus tard celle de philosophie morale. En 1759, il publie une
Théorie des sentiments moraux, œuvre de philosophie qui le fait connaître en Grande-
Bretagne et au-delà. Dans ce livre, il essaie de comprendre comment l’individu, considéré
comme égoïste, parvient à porter des jugements moraux qui font passer son intérêt personnel
au second plan. Smith affirme que l’individu peut en fait se placer dans la position d’un tiers,
d’un observateur impartial, qui peut donc s’affranchir de son égoïsme et fonder son jugement
sur la sympathie. Au total, l’harmonie sociale n’est pas incompatible avec la liberté
individuelle, chaque individu sachant s’affranchir de son égoïsme : le lien social est fondé sur
les sentiments moraux des individus. Cet ouvrage est remarqué par l’homme politique Charles
Townshend, qui embauche Smith comme tuteur de son beau-fils pour le « Grand Tour » que
celui-ci part effectuer en Europe.

2°) Au Smith économiste


Smith et son élève quittent la Grande-Bretagne pour la France en 1764. Ils restent dix-huit
mois à Toulouse, où Smith entame la rédaction d’un traité d’économie, sujet sur lequel il avait
été amené à dispenser des cours à Glasgow. Après être passé par Genève, où il rencontre
Voltaire, Smith arrive à Paris. C’est là qu’il rencontre l’économiste le plus important de
l’époque, François Quesnay, mais aussi Turgot, Benjamin Franklin, Diderot, d’Alembert,
Condillac et Necker. Quesnay avait fondé une école de pensée économique, la physiocratie
(cf. fiche 8), en rupture avec les idées mercantilistes du temps. Les physiocrates prônent que
l’économie doit être régie par un ordre naturel et qu’il faut donc « laisser faire et laisser passer
». Ils affirment que la richesse ne vient pas des métaux précieux, mais toujours du seul travail
de la terre et que cette richesse extraite des sols circule ensuite parmi différentes classes
stériles (les commerçants, les nobles, les industriels). Adam Smith est intéressé par les idées
libérales des physiocrates, mais ne comprend pas le culte qu’ils vouent à l’agriculture. En
1766, le voyage de Smith et de son protégé s’achève à la mort de ce dernier. Smith rentre à
Londres, puis à Kirkcaldy où il se consacre à son traité d’économie politique. En 1776, Adam
Smith le publie sous le titre Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations,
titre souvent abrégé en Richesse des nations. Appointé comme directeur des douanes en 1778,
Smith meurt à Édimbourg en 1790.

La richesse des nations


Le mérite principal de la Richesse des nations ne vient pas de l’originalité de ses principes
(l’économiste Joseph Schumpeter, dans son Histoire de l’analyse économique, définit Smith
comme un auteur mineur en raison de ce que son œuvre ne comportait que peu d’idées
originales), mais du raisonnement systématique, scientifique, utilisé pour les valider, et de la
clarté avec laquelle ils sont exprimés. En ce sens, l’ouvrage est une synthèse brillante des
sujets les plus importants d’économie politique. Parmi les observateurs antérieurs à Smith qui
l’ont inspiré se trouvent John Locke, Bernard Mandeville, William Petty, Richard Cantillon,
Turgot ainsi que bien sûr François Quesnay et David Hume. La pensée de Smith est inspirée
par plusieurs principes partagés par les Lumières écossaises : l’étude de la nature humaine est
un sujet primordial, indispensable ; la méthode expérimentale de Newton est la plus
appropriée à l’étude de l’homme ; la nature humaine est invariante en tous lieux et en tous
temps. Smith est également convaincu de l’existence d’une progression du développement
humain par des étapes bien définies et on retrouve explicitement cette idée dans le modèle de
développement économique en quatre étapes présenté dans la Richesse des nations. Par
ailleurs, la Richesse des nations ne traite pas seulement d’économie (au sens moderne), mais
aussi de droit, de morale, de psychologie, de politique, d’histoire, ainsi que de l’interaction et
de l’interdépendance entre toutes ces disciplines. L’ouvrage, centré sur la notion d’intérêt
personnel, forme donc un ensemble logique avec la Théorie des sentiments moraux.

a) Problématique et plan d’exposition

La problématique de la Richesse des nations est double : d’une part, expliquer pourquoi une
société mue par l’intérêt personnel peut subsister ; d’autre part, décrire comment le « système
de liberté naturelle » est apparu et comment il fonctionne. À cet effet, Smith utilise
systématiquement des données empiriques (exemples et statistiques) pour valider les principes
qu’il expose et les raisonnements abstraits sont maintenus au strict minimum. Cette méthode
largement « inductive » sera dénoncée par certains de ses successeurs après Ricardo, qui
imposera une méthode scientifique plus déductive et fondée sur le raisonnement logique. La
Richesse des nations est composée de cinq Livres :
 Des causes qui ont perfectionné les facultés productives du travail, et de l’ordre
suivant lequel ses produits se distribuent naturellement dans les différentes classes du
peuple (sur la nature humaine, le travail, et « l’habileté, la dextérité et l’intelligence
qu’on y apporte »).
 De la nature des fonds ou capitaux, de leur accumulation et de leur emploi (description
des marchands et du capital).
 De la marche différente et des progrès de l’opulence chez différentes nations (histoire
du développement économique et politique économique).
 Des systèmes d’économie politique (en particulier, le système du commerce
international).
 Du revenu du souverain ou de la république (revenus, dépenses et objectifs du
gouvernement).

Dans cet ouvrage, A. Smith vante l’économie du marché (ou le capitalisme). Pour
lui, c’est au moyen du « laisser-aller » et du « laisser-faire » que l’on obtient une économie
prospère. Pas d’intervention publique, mais seulement l’égoïsme généralisé. Dans cet
ouvrage, il utilise l’expression « main invisible » comme un processus naturel par lequel la
recherche par chacun de son intérêt personnel concourt à l’intérêt général. « … il y a en
quelque sorte une sorte de main invisible qui fait que chacun obtient exactement ce qu’il veut
en fonction de ses calculs rationnels ». D’où l’intervention de l’Etat dans la sphère
économique n’est pas souhaitable.

b) Marché et division du travail


C’est tout particulièrement dans les Livres I et II que Smith développe sa vision de la richesse
des nations, sur laquelle se fondera l’école classique. Une nation est riche parce que le marché
y est étendu, ce qui encourage la division du travail et par là l’accroissement de la
productivité. Ce rôle du marché dans la création de la richesse globale est le corollaire du rôle
de l’échange dans les relations entre les individus : un homme est riche ou pauvre selon sa
plus ou moins grande capacité à acheter (et ainsi à « commander ») le travail d’autrui. C’est
aussi pourquoi la valeur d’échange d’une marchandise (qui n’a rien à voir avec sa valeur
d’usage, ce que contesteront un siècle plus tard les auteurs marginalistes) est déterminée par la
quantité de « travail commandé », c’est-à-dire la quantité de travail qu’on peut obtenir en
échange. Cette théorie de la valeur sera critiquée par Ricardo, qui substituera au concept de «
travail commandé » celui de « travail incorporé », déplaçant l’attention des conditions de
l’échange vers les conditions de production des marchandises. Ricardo reprendra néanmoins
la vision smithienne de la répartition du revenu national entre les trois classes que sont les
capitalistes, les travailleurs salariés et les propriétaires fonciers, une vision qui se perpétuera
jusqu’à Marx, un siècle plus tard. D’autres aspects de la théorie de Smith, tels que la
conception de la monnaie comme un simple instrument destiné à surmonter les inconvénients
du troc ou le libre-échange généralisé comme condition de la croissance économique,
marqueront durablement la science économique, même après le déclin de l’école classique.
Dans le Livre IV de la Richesse des nations, la thèse de Smith sur le commerce international
reprend une critique du mercantilisme entamée par David Hume en 1752. Hume pensait qu’un
solde excédentaire de la balance commerciale, en suscitant des entrées de métaux précieux qui
accroissaient la quantité de monnaie sur le territoire, provoquait une hausse des prix intérieurs
et donc une baisse de la compétitivité des produits nationaux, éliminant du même coup
l’excédent. Les balances commerciales des différents pays participant à l’échange
international s’ajustaient ainsi naturellement et, contrairement à ce que prétendaient les
mercantilistes, il était vain de rechercher un excédent extérieur permanent. Smith reprend ce
mécanisme liant le niveau général des prix et les flux internationaux de métaux précieux et de
marchandises et il l’étend à une économie dans laquelle la masse monétaire comprend des
billets de banque, en plus des espèces métalliques. Surtout, il complète ce plaidoyer en faveur
du libre-échange par une théorie de la spécialisation internationale fondée sur la notion
d’avantage absolu. Si une première nation est meilleure dans la production d’un premier bien,
tandis qu’une seconde est meilleure dans la production d’un second bien, alors chacune
d’entre elles a intérêt à se spécialiser dans sa production de prédilection et à échanger les
fruits de son travail. Dans le Livre V, enfin, Adam Smith définit les fonctions d’un État en
charge de l’intérêt général (et non de l’intérêt du Prince). Il s’agit d’abord d’assurer les
fonctions dites régaliennes (police, armée, justice). Pour autant, Smith ne refuse pas à l’État
toute intervention économique. Selon Smith, le marché ne peut pas prendre en charge toutes
les activités économiques, car certaines ne sont rentables pour aucune entreprise, et pourtant
elles profitent largement à la société dans son ensemble (les économistes parlent de « biens
publics »). Ces activités doivent alors être prises en charge par l’État. Avocat du libéralisme
économique (au travers de la parabole de la « main invisible »), Adam Smith n’est donc pas
l’apôtre d’un capitalisme totalement dérégulé et bannissant toute forme d’intervention
étatique.
Par ailleurs, A. Smith accorde une importance primordiale à la division du travail pour assurer
cette opulence générale. Pour lui, l’augmentation de la richesse par tête provient de celle du
capital par tête. Il souligne par ailleurs que l’output obtenu sera d’autant plus élevé que la
division de travail sera poussée. Or, l’intensité de la division du travail est déterminée par
l’étendue du marché : une activité peut être d’autant plus divisée qu’elle emploie une quantité
importante de main d’œuvre, et celle-ci est déterminé par le volume de la production. On peut
alors boucler ce schéma par un cercle vertueux de la croissance : la productivité dépend de
l’échelle de l’activité, qui elle-même dépend de la productivité (par le niveau du revenu qui en
est issu).

III.4.2. Thomas Robert MALTHUS

Il est le premier à élaborer une théorie de la croissance de la population qui constitue la pierre
angulaire de toute pensée classique sur l’Economie politique. Le principe de la population de
T.R. Malthus soutient que, en l’absence de toute contrainte, la population tend à croitre selon
une progression géométrique, tandis que les substances (les denrées alimentaires) tendent à
s’accroitre selon une progression arithmétique.
Malthus est aussi l’auteur de la « Théorie de la rente foncière différentielle ». D’après cette
théorie, l’accroissement de la population entraîne l’accroissement de la demande des denrées
alimentaires. Pour répondre à cet accroissement de la demande, il faut mettre en valeur des
terres où les coûts de production deviennent plus élevés (les terres de moins en moins
fertiles). Comme l’ensemble de la production d’un bien donné est vendu sur un marché
unique, les meilleures terres rapportent une rente plus élevée que les mauvaises terres.

III.4.3. David RICARDO

Ricardo est connu au travers des œuvres suivantes : Mise au point de la loi des rendements
décroissants, la théorie des avantages comparatifs, la théorie du travail incorporé. D. Ricardo
a aussi développé la théorie de la rente différentielle de façon plus explicite.
Dans sa théorie de la rente différentielle, D. Ricardo distingue trois facteurs de production : le
travail, le capital et la terre.
• Le travail (L) est rémunéré par le salaire, qui ne peut être inférieur au niveau de subsistance
et qui, lorsqu’il est supérieur, entraîne l’expansion démographique. Celle-ci à son tour détend
la situation sur le marché du travail, ramenant le salaire à son niveau de subsistance.
• La terre est un facteur fixe (non sujet à accumulation), contrairement aux deux autres. Elle
est donc source d’une rente pour ses propriétaires. Plus précisément Ricardo reprend la
théorie de la rente différentielle développée par Malthus : le prix de grains est égal au coût de
production sur les terres « marginales », c'est-à-dire les moins productives. En effet, s’il lui est
supérieur, il est alors rentable de mettre en culture d’autres terres, moins productives encore ;
et s’il lui est inférieur, ces terres sont cultivées à perte et seront promptement abandonnées.
• Le capital est rémunéré par le profit, lequel apparaît comme un revenu résiduel : c’est la part
du revenu national qui n’est pas captée par les travailleurs ni par les propriétaires fonciers. Le
profit constitue le motif de l’accumulation du capital : il doit dépasser un certain niveau
(strictement positif) pour que les capitalistes décident d’investir. L’investissement est donc
fonction de profit.
L’épargne qui finance l’investissement est essentiellement le fait des capitalistes : les
travailleurs (astreints au minimum vital) consomment l’intégralité de leur salaire (assimilé à
un salaire de subsistance) et les propriétaires fonciers (portés sur la consommation de luxe
(correspondant à des activités improductives) consomment tout leur revenu. Seul le profit
accumulé est réinvesti par les capitalistes.
Ainsi, à long terme, l’économie se dirige inéluctablement vers un état stationnaire, car la
décroissance de rendements marginaux dans l’agriculture va hypothéquer la poursuite du
processus de croissance économique.
La dynamique du système peut alors être résumée de la façon suivante : l’accumulation du
capital entraine une augmentation de la demande de main d’œuvre. Transitoirement, les
salaires sont plus élevés, jusqu’à ce que l’ajustement s’opère par la démographie. Une
quantité plus grande de travailleurs induit une demande plus grande de grains, qui justifie la
mise en culture de nouvelles terres, moins productives que les anciennes ; d’où une
augmentation du prix de grains, donc de la rente foncière mais aussi du salaire nominal
correspondant au minimum vital. Salaire et rente s’accroissent alors, au détriment du profit
qui diminue jusqu’à atteindre le niveau auquel cesse l’investissement (niveau de saturation).
L’arrêt de l’accumulation du capital signe celui de la croissance démographique, et donc la
stabilisation du système économique : c’est l’état stationnaire.
Dans sa théorie du travail incorporé, Ricardo soutient que « la valeur d’une marchandise, ou
la quantité de toute autre marchandise contre laquelle elle s’échange, dépend de la quantité
relative de travail nécessaire pour la produire, et non de la rémunération plus ou moins forte
accordée à l’ouvrier ».
Enfin Ricardo, en formulant le principe de spécialisation suivant les coûts de production
relatifs, fut le premier à élaborer une théorie particulière au commerce international : théorie
des avantages comparatifs ou thèse des coûts comparatifs.

III.4.4. JEAN B. SAY


L’originalité de J.B. Say est d’avoir réalisé une certaine synthèse entre les idées de la
Révolution française et le libéralisme économique d’A. Smith (la main invisible). On lui doit
également d’avoir perçu la distinction déterminante entre les agents économiques : les
producteurs et les improductifs.
J.B. Say est surtout connu par son œuvre « loi des débouchés ou loi des marchés. D’après J.B.
Say, « c’est la production qui crée une demande pour les produits » : l’offre crée sa propre
demande.

III.5. Les Néo-classiques

L’approche néo-classique est dominée par l’étrange convergence des recherches de trois
auteurs qui ont développé de nouveaux concepts de base dans l’ignorance les uns des autres :
Carl Menger, Stanley JEVONS et Leon Walras.
L'École néoclassique naît de la « révolution marginaliste » dans les années 1870, en raison de
l’usage intensif qu’elle fait des mathématiques. Leur mérite est la capacité à « mathématiser »
et à « scientifiser » l'économie ainsi qu'à fournir des indications susceptibles de nous éclairer
sur les conduites à suivre. L’économie politique doit sa version mathématique au
marginalisme. Et, c’est ça l’avènement de la Microéconomie, entendue comme l’Economie
politique mathématisée.
Les marginalistes ne raisonnent pas sur des quantités globales, mais sur des unités marginales,
c’est-à-dire additionnelles. L’unité marginale représente donc l’instrument nécessaire pour
transformer l’économie en mathématique appliquée.
Selon les marginalistes, le consommateur ne se demande jamais combien il souhaite posséder
de vêtements, mais il se demande à un moment donné s’il a intérêt à acheter un vêtement
supplémentaire. Le producteur ne se demande jamais combien il doit embaucher en tout de
salariés, mais si à un moment donné il a intérêt à embaucher un salarié supplémentaire.
L’utilisation du calcul à la marge permet le recours à la formalisation mathématique, au calcul
intégral et différentiel. Une fois déterminée une fonction d’utilité, il est possible de dériver
cette fonction pour exprimer l’utilité marginale ; une fois déterminée une fonction de coût, il
est possible de dériver cette fonction pour exprimer le coût marginal. Le raisonnement à la
marge permet de comprendre pourquoi la demande est une fonction décroissante du prix et
l’offre une fonction croissante du prix.
Les marginalistes introduisent des concepts nouveaux (hypothétiques et abstraits) dans
l’analyse économique, notamment le concept « util ou utilon » et le concept « homo-
oeconomicus ». l’utilon est une unité de mesure imaginaire calculant l’utilité cardinale : si
l’utilité de la consommation d’une quantité qa du bien A est de 10 utilons et si celle obtenue
avec qb du bien B est de 5 utilons, cela signifie que l’utilité de qa est deux fois supérieure à
celle de qb.
La théorie néo-classique, selon le principe de l’individualisme méthodologique, considère
l’individu comme fondamentalement égoïste et rationnel, c’est-à-dire un homo-oeconomicus,
un individu qui connaît toutes les possibilités d’emploi de son revenu pour satisfaire ses
besoins et que son objectif est la maximisation de son utilité (ou de sa satisfaction).

III.6. J.M. KEYNES et les Keynésiens

Les keynésiens sont ceux qui font des idées de John Maynard KEYNES la parole d’évangile.
Les idées maîtresses des keynésiens sont contenues dans l’ouvrage de J.M. Keynes [1936]
intitulé « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie ». Cet ouvrage consacre
le début de la macroéconomie moderne et fait de Keynes le prince héritier de l’Economie
politique. L’Economie politique, en tant que Science, doit sa version macroéconomique à
John Maynard KEYNES.
Dans cet ouvrage, Keynes préconise la politique budgétaire (l’interventionnisme) pour
relancer l’économie et, par ricochet, revenir à des taux de chômage acceptable : « l’Etat a la
charge d’une nouvelle fonction, protéger les citoyens contre le chômage, comme il lui
appartient de les défendre contre le vol et la violence ». Keynes considère comme valeurs
ultimes l’altruisme et la justice sociale.
Concrètement, Keynes considère prône la politique de grands travaux financée par une lourde
taxe de l’Etat frappant les transactions afin d’éviter l’épargne stérile. Ainsi, l’Etat doit
intervenir de façon croissante dans l’investissement, car il est moins soucieux du court terme
et peut orienter la décision d’investissement dans un sens stratégique. Ce qui détournerait les
épargnes nationales de leurs investissements, relativement improductifs à l’étranger vers des
entreprises constructives encouragées par l’Etat, dans le pays lui-même, et entrainerait, de ce
fait, un regain de confiance.
En optant pour la politique de grands travaux, Keynes insiste sur les emplois indirects et pas
seulement directs qui peuvent résulter des dépenses concernant les infrastructures (routes,
chemins de fer, ports, ponts, aéroports, centrales électriques et téléphoniques, …). Ces
dépenses sont des incitations à investir et pallient aux éventuels défauts d’incitation.

III.7. Milton FRIEMAN et les monétaristes

A la fin des années 70, l’analyse dominante a été celle d’une nouvelle génération
d’économistes appelés « les monétaristes » avec Friedman M. comme leader intellectuel : on
s’attendait à ce que l’ajustement structurel réalisé à travers une libéralisation des marchés
(consensus de Washington » permette une amélioration de l’offre suffisante pour réduire, en
Europe, le chômage et accroître, aux Etats-Unis, la productivité. Le discours économique
allait dans le sens du « moins d’Etat ».
Les monétaristes sont, dans une certaine mesure, des keynésiens opposés à Keynes. Leur
analyse économique est macroéconomique.
Peu convaincu que les économistes en savaient assez pour stabiliser le produit global, ni
qu’on puisse faire confiance aux hommes politiques pour mener les actions appropriées,
Friedman propose l’utilisation des règles passives consistant à faire progresser la masse
monétaire à un taux constant identique au taux de croissance du PIB réel à long terme : « c’est
le fameux pilotage automatique ».
La vision économique des monétaristes a été acceptée par les spécialistes de la discipline, les
groupes de réflexion, les élites politiques, les intellectuels et, pour finir, les masses médias.
Chez les hommes politiques, elle s’est mise à ressembler à une profession de foi : « je crois au
libéralisme ».
Ainsi, convaincu que l’Etat n’a pas à se mêler des moyens qu’adoptent les citoyens pour
servir leur propre intérêt, la plupart des pays du monde ont mis en place des stratégies
nationales allant dans ce sens. En Angleterre, elle a donné lieu au thatchérisme (vague
massive de privatisation), aux USA, c’est le reaganisme.
Dans les années 80, beaucoup de pays industriels occidentaux se sont engagés dans des
programmes de privatisations inspirés par l’exemple britannique. Poussés entre autres par les
pays donateurs occidentaux et les institutions financières internationales, cet élan de
privatisation ont abouti, dans les PVD, à la mise en place des Programmes d’Ajustement
Structurel, avec le consensus de Washington comme cahier de charge.
En Amérique latine, à la fin des années 1980, le Mexique, le Brésil, le Chili et l’Argentine
avaient tous élus des présidents favorables à des politiques de privatisation énergiques.
Enfin, suite à l’effondrement du bloc socialiste d’Europe de l’Est en 1989 suivi des
privatisations en Hongrie, en Pologne et en Tchécoslovaquie, c’est le tour de la Russie avec la
mise en place de la « perestroïka » au début des années 90.

III.8. La macroéconomie dynamique : L’école de croissance endogène

Fin 1980 et début 1990, les idées de Milton FRIEDMAN ont été remises en cause par la «
théorie de croissance endogène » : le discours libéral s’est pour le moins infléchi. D’une part,
une crise conjoncturelle a sévi en Europe et, avec elle, s’est fait sentir la nécessité d’une
intervention publique (au niveau européen et national). Ainsi la régulation conjoncturelle
traditionnelle (politique budgétaire et monétaire) a été réhabilitée. D’autre part, la faiblesse
criante des infrastructures publiques aux Etats-Unis a montré que les dépenses publiques sont
un facteur d’offre trop négligé.
L’école de croissance endogène présente une explication de la croissance dans les modèles
d’optimisation dynamique. En expliquant la croissance par les comportements
d’accumulation, la théorie de croissance endogène découvre les limites du marché et redonne
à la politique économique un rôle central pour favoriser l’incitation à l’accumulation et pour
pallier aux éventuels défauts d’incitations.
Dans leur formalisation, plusieurs modèles de croissance endogène existent, selon le moteur
de la croissance, selon le facteur accumulable privilégié. Quatre modèles de croissance
endogène sont analysés selon le « capital-moteur » considéré. Il s’agit :
-Le modèle de ROMER (1986) et REBELO (1991) : capital privé, moteur de la croissance
-Le modèle de LUCAS (1988) : capital humain, moteur de croissance
-Le modèle de BARRO (1990) : capital public, moteur de la croissance
-Le modèle de ROMER (1990) : capital technologique, moteur de la croissance.
Ces modèles se fondent sur l’hypothèse que la croissance génère par elle-même le progrès
technique. Ainsi, il n’y a plus de fatalité de rendements décroissants : la croissance engendre
un progrès technique qui permet que les rendements demeurent constants. En générant du
progrès technique, la croissance n’a donc plus de limite et constitue un processus qui s’auto-
entretient.
CHAPITRE IV :
LA SPATIALISATION DU FAIT COLONIAL : CAUSES DU BLOCAGE
INDUSTRIEL DU TIERS MONDE AU 19ème SIECLE

Avant d’aborder l’analyse des étapes de la mise en valeur coloniale des économies
sous-développées, on définira très brièvement le concept de l’« extraversion économique » ?

IV.1. LE CONCEPT DE L’EXTRAVERSION ECONOMIQUE

La réponse à la question de savoir pourquoi une société déterminée ne progresse pas


découle assez naturellement ; de l’analyse qu’on propose de la forme prise par le
développement de cette société, au cours d’une période historique déterminée.
Le processus de développement d’une société se trouve bloqué lorsqu’on observe
l’absence de relation entre le développement de l’agriculture, d’une part et celui de l’industrie,
d’autre part. Il peut alors se produire un développement partiel soit de l’agriculture, soit de
l’industrie, soit des deux, mais il n’y a pas de processus global de développement parce que
ces développements partiels ne sont pas connectés entre eux. Ces blocages de développement
peuvent revêtir de nos jours de formes multiples dont deux principales :
1° la création d’industries qui n’entraîne aucun développement agricole, soit que ce
développement n’interviennent pas, soit qu’il intervienne mais en obéissant à d’autres
impulsions ;
2° la croissance de l’agriculture qui n’entraîne pas la création d’industries pour des raisons
analogues.
Ces blocages sont la conséquence directe de ce que les économistes appellent
l’extraversion.
L’extraversion, écrit YVES BAREL dans son ouvrage « le développement économique de la
Russie Tsariste » est le processus qui lie le dynamisme d’une économie au dynamisme de
l’étranger et qui offre ainsi une possibilité de substitution au système de relations entre
l’agriculture et l’industrie.
L’extraversion est un type de développement fondé sur la division internationale du
travail, laquelle par définition est nécessairement une spécialisation et non une diversification.
L’extraversion remplace un processus de développement global par des processus de
développement partiels. Elle est une stratégie de développement qui procède par addition et
non par multiplication.
Il y a extraversion, ajoute Yves Barel, chaque fois qu’une industrie ou une
agriculture fonde son développement sur l’exportation ou bien sur la substitution
d’importations. L’extraversion ne doit donc pas être réduite à la prédominance du secteur
exportateur sur l’ensemble de la structure économique soumise et façonnée en fonction des
exigences du marché extérieur.
L’élément de blocage du développement introduit par l’extraversion vient de ce
qu’elle n’est pas seulement différente de la politique de mise en relation de l’agriculture et de
l’industrie, mais qu’elle est non contraire. Elle remplace cette liaison, mais par là même, elle
l’interdit.

IV.2. LES ORIGINES DE L’EXTRAVERSION DU TIERS MONDE

La colonisation n’avait pas pour but de promouvoir le développement


socioéconomique du pays qu’elle dominait : elle entendait en exploiter les richesses latentes
pour le compte de la métropole. Elle y consacra de puissants moyens d’intervention en
capitaux, en techniques et en facteurs humains. Mais la colonie n’était pas une terre vide ; elle
possédait son peuplement doté d’un système économique et social lui permettant de survivre
et de perpétuer son existence selon une logique propre. C’était une société traditionnelle.
La colonisation a donc mis en contact deux sociétés relevant de rationalités
différentes à savoir une société de l’ordre et une société du progrès. C’est pourquoi, on a pu
parler d’asymétrie voir de dualisme, leur incompatibilité a engendré des processus
d’antagonisme au cours desquels, l’économie autochtone s’est dégradée au point de ne plus
remplir sa fonction à savoir assurer la subsistance de la société traditionnelle.
En s’installant, en effet, hors de son domaine d’origine dans les colonies, le
capitalisme a pris des caractères spécifiques qui ont constitué l’essence de l’économie
coloniale. En effet, toute la production coloniale était conçue en vue de l’exportation. Les
unités agricoles, les industries d’extraction ou encore de première transformation travaillaient
pour le marché international. Le profit généré, au lieu d’être réinvestit sur place, était transféré
dans la métropole. D’où la difficulté de réaliser le décollage économique de la colonie par
l’accumulation.

Les entreprises agricoles et industrielles constituaient des enclaves géographiques


dans la colonie et des avant-postes de l’économie métropolitaine.
La rémunération de la force de travail s’alignant sur le coût de la subsistance, la main
d’œuvre autochtone recevait les salaires physiologiques d’un faible pouvoir d’achat et donc
incapables de constituer une demande suffisante pour assurer le fonctionnement d’un marché
intérieur. Il n’était d’ailleurs pas dans la nature de l’économie coloniale ; d’investir pour
produire en vue d’un marché intérieur. Elle produisait pour exporter, et exporter au moindre
coût, afin d’accroître le surplus et contribuer à l’enrichissement de la métropole.
L’exécution de grands travaux d’infrastructure ne visait pas le développement de la
colonie en équipant les différentes régions et en les mettant en relation entre elles ; elle
obéissait aux impératifs dictés par la colonisation à savoir ; celui d’assurer les contacts avec la
métropole. De nombreuses infrastructures visant la fourniture de l’énergie financées d’ailleurs
à l’aide des fonds publics ; furent construites mais étaient limitées à produire l’électricité
nécessaire aux pôles miniers ou aux industries agricoles et aux principaux centres
administratifs.
Du reste, le tracé des routes et des voies ferrées fut souvent dicté par ces
considérations. Il est à peine nécessaire de rappeler qu’en ce qui concerne notre pays (la
RDC) par exemple, c’est la mise en valeur des richesses minières du Katanga qui a guidé la
construction des liaisons ferroviaires : Elisabethville-Beira en 1909, Elisabethville-Lobito dès
1931. Elisabethville-Jobourg et Elisabethville-Bukama sur la côte du Lualaba en 1918, dont la
raison d’être fut l’acheminement des travailleurs de Sankuru du Kasaï et du Maniema, vers les
mines, acheminement qui exigeait avant la construction de cette liaison ferroviaire, vingt jours
de marche.
Voilà les raisons essentielles qui expliquent le peu d’effets induits sur l’industrie et
sur l’économie en général de la construction et de l’exploitation des chemins de fer dans les
pays du Tiers-monde. Du reste, les impératifs propres à l’exploitation des territoires coloniaux
ont conduit à donner une configuration géographique spécifique aux réseaux des voies ferrées
du Tiers-monde.
La colonisation ayant revêtu des aspects très différents d’un contient à un autre, il
nous faut dégager pour chaque continent les différentes étapes de son extraversion qui
expliqueraient en grande partie, pourquoi la révolution industrielle n’y a pas trouvé un terrain
favorable à sa diffusion.

IV.2.1. L’ASIE : DU COMMERCE DES EPICES A LA GUERRE D’OPIUMS

PANIKKAR a raison quand il écrit que la date du 27 mai 1498, qui est celle de
l’arrivée de VASCO de GAMA, dans un port du sud-ouest de l’Inde marque le tournant de
l’histoire de l’Asie et de l’Ethiopie. Mais déjà en 1492, la découverte de l’Amérique par
Christophe Colomb ouvrait une ère nouvelle dans l’histoire du Nouveau monde et,
indirectement, en raison de la traite des noirs, de celle de l’Afrique. Bref, la décennie 1490
est, sans contexte, un des plus importants tournants de l’histoire de l’Univers et surtout du
Tiers-Monde. L’histoire des relations économiques entre l’Europe et l’Asie depuis le début du
16ème siècle peut se diviser en deux périodes bien distinctes : La 1ère débute avec l’arrivé de
Vasco de GAMA en Inde et se termine aux environs de 1760.

1°. L’INDE

La domination de l’Asie fut d’abord et surtout la domination de l’Inde par


l’Angleterre. celle-ci eut lieu à la suite d’une expédition punitive des Anglais, après le
massacre de quelques centaines de leurs compatriotes perpétré à Calcutta par un gouverneur
très jeune et emporté du BENGAL. Il s’agit de la fameuse Bataille de Plassey qui en 1757,
permit aux Anglais de jeter les bases de ce qui allait devenir un siècle plus tard l’empire
britannique.
La victoire de Plassey donna aux britanniques le contrôle direct de quelque 2.000
Km2 soit 5/10.000 seulement de la superficie totale de l’Inde de l’époque. Cette domination
directe d’une grande partie de l’Asie, considérée d’abord, non comme un moyen
d’établissement d’un empire mais comme celui de la consolidation d’un monopole
commerciale, inaugure la 2ème période des relations économiques entre ces deux continents.
Certes, dans la mesure ou l’Inde était demeurée une société traditionnelle, les
famines ne peuvent être interprétées comme l’unique conséquence du développement de
l’agriculture non vivrière. Mais les historiens estiment que ; leur fréquence a été plus grande
au 19ème siècle que durant les siècles précédents.

2°. L’INDONESIE

La domination exercée par les Pays-bas sur l’Indonésie fut d’abord limitée à Java où
de nombreuses cultures d’exportation notamment le café, le sucre, les épices etc. furent
organisées ; mais ce n’est que plus tard vers les années 1820 que débuta la véritable
colonisation de ce vaste territoire, colonisation qui se caractérisa essentiellement par la
confiscation des meilleures terres au profit de plantations gouvernementales, sur lesquelles les
paysans autochtones étaient forcés de travailler 200 jours par an. Vers les années 1860, ces
plantations gouvernementales en raison des excès furent transférées au secteur privé
hollandais, c’est là une forme de colonisation qui se retrouvera ailleurs et notamment au
Congo belge.

3°. L’INDOCHINE

La domination française sur l’Indochine a été beaucoup plus tardive SAIGON ne fut
occupé qu’en 1862. Mais là également le colonisateur utilisa le même processus de mise en
valeur basé sur les cultures d’exportation qui prirent une extension considérable en Indonésie
et en Indochine avec leurs séquelles et leurs conséquences économiques nuisibles décrites
déjà dans le cas de l’Inde.

4°. LA CHINE

La Chine, a cherché à réduire au minimum ces contacts avec les Européens, ces
barbares peu civilisés qui avaient si peu à lui offrir. CANTON fut déclaré seul port ouvert aux
commerçants étrangers et ces derniers, pour pouvoir écouler leurs produits, étaient en plus
obligés de passer par l’entremise des marchands chinois qu’avaient le droit de fixer les prix et
les quantités des produits à échanger. De ce fait, le commerce entre la Chine et l’Europe est
resté très limité durant le 18ème siècle et une bonne partie de la 1ère moitié du 19ème siècle. Mais
entre le milieu du 18ème siècle et les années 1830, le rapport des forces entre l’Europe et la
Chine s’était profondément modifié. L’Angleterre avait connu la révolution industrielle qui
lui avait conféré une puissance économique, technique et militaire sans précédent ; alors que
la Chine, qui avait enregistré son heure de gloire depuis le 17 ème siècle, était entrée vers la fin
du 18ème siècle dans un déclin tant politique qu’économique.
La dynastie de MANDCHOUS qui avait donné à la Chine durant deux siècles des
empereurs capables s’essoufflait. La production agricole et industrielle commençait à accuser
de retard par rapport au croît démographique.
C’est le moment choisi par les Anglais pour forcer les Chinois à ouvrir largement
leurs frontières aux produits étrangers. L’occupation proprement dite du territoire chinois a eu
lieu à la suite de ce que les histoires appellent la fameuse guerre de l’opium qui se termina en
1842 à l’avantage de l’Angleterre. Le traité de NANKIN imposé par la puissance victorieuse
aboutit à restreindre très fortement le pouvoir de la Chine tant au point de vue politique
qu'économique.
Les droits de douane furent réduits à 5 % et les autorités autochtones furent
contraintes d’ouvrir largement le pays au commerce avec l’Europe en voie d’industrialisation
rapide. Dès ce moment, les produits européens pouvaient pénétrer en quantité suffisante
(croissante) sur le sol chinois réduisant à néant les chances d’une industrialisation spontanée
de ce vaste pays.

IV.2.2. L’AMERIQUE LATINE : DE L’EXPANSION COMMERCIALE A


L’ENTREPRISE AGRICOLE

Les caractéristiques essentielles de la structure économique des pays latino-


américains trouvent leur origine dans la forme que prit la conquête lispano-portugaise et dans
les institutions que ces colonisateurs implantèrent pour créer les bases économiques capables
de consolider la conquête des terres nouvelles.
L’occupation économique des terres américaines constitue un épisode de l’expansion
commerciale de l’Europe. Le commerce intérieur européen eu l’expansion accélérées à partir
du 11ème siècle et avait atteint un degré de développement élevé vers le 15 ème siècle, quand les
inventions turques commencèrent à créer des difficultés croissantes aux lignes orientales de
ravitaillement en produits de haute qualité et même en produits manufacturés. Lorsque, vers
1492, Christophe Colomb en quête de nouvelles voies d’accès vers l’orient découvrit les îles
Américaines : (Cuba, Sansalvador…). L’Europe était sous l’influence des théories politiques,
économiques et monétaires mercantilistes.
Pour les mercantilistes, la monnaie métallique était la seule richesse suprême dont
pouvait jouir un Etat. La monnaie métallique était une richesse d’usage universel et
inaltérable. La richesse d’un Etat pour ces penseurs se mesurait par la quantité accumulée de
l’or et d’argent ; le stock de métal abondant constituait une garantie en temps de guerre et qui,
plus est une abondante circulation de métal stimulait les échanges commerciaux.
Aussi la découverte de l’Amérique latine, continent riche en métaux précieux
recherchés par les pays européens pour les besoins de leurs échanges commerciaux inaugura
l’ère de conquistadores en quête de fortune et de gloire. Jusqu’en 1570 environ, la
colonisation de ce nouveau monde sera basée essentiellement sur les métaux précieux.
D’abord, il s’est agi de la simple confiscation des richesses accumulées pendant des
siècles par les civilisations précolombiennes. Ces au cours de cette première phase
d’occupation du continent latino-américain que l’on situe la destruction de l’empire des Incas
qui s’étendait en Amérique du sud sur le territoire occupé par l’Equateur, Pérou, Bolivie, le
nord du Chili et de l’Argentine.
Ensuite, il s’est agi de l’exploitation minière proprement dite avec notamment la
mise au point d’un procédé plus économique de séparation du minerai d’argent, procédé qui a
rendu rentable les mines du Mexique.
Les besoins en main d’œuvre pour ces exploitations minières ont été à la base de l’hécatombe
démographique de ce continent.
En effet, il est généralement établi que l’ensemble de la population des régions
occupées par les Portugais et les Espagnoles n’était pas inférieur à 100 millions d’habitants au
moment de la conquête. Les circonstances particulières de ces conquêtes et de l’occupation
des régions les plus peuplées auraient provoqué une véritable régression de la population
latino-américaine… de 100 millions d’habitants en 1.500, la population du contient serait
passée à 10 millions d’habitants vers 1650 ; pour le Mexique central la chute aurait été encore
plus brutale de 25 millions d’habitants vers 1.500 à un million seulement vers 1.605.
Pour comprendre ce phénomène, il faut tenir compte du fait qu’à l’époque de la
conquête de ce continent par les Espagnoles, les populations indigènes étaient concentrées
dans les régions montagneuses, qu’elles avaient des systèmes complexes d’organisation
sociale, que la mise en place d’une économie minière nécessitaient de grands déplacements
des populations allaient désorganiser et désarticuler. Les adultes de sexe masculin étaient
décimés dans les marches épuisantes et les travaux forcés qu’exigeaient d’eux les
colonisateurs.
D’autre part, la nécessité de soutirer des populations qui restaient dans les régions
agricoles des surplus alimentaires ; destinés à nourrir ceux qui travaillaient dans les mines
entraînait de fortes pressions sur les populations paysannes déjà décimées réduisant d’autant
la durée moyenne de l’existence.
Enfin, les ravages des épidémies causées par les contacts établis avec des populations
étrangères porteuses des maladies contagieuses a joué un rôle non moins significatif dans
cette hécatombe démographique. La spécialisation ainsi imposée en Amérique latine fut donc
limitée en premier lieu dans la production et l’exportation des produits miniers. Par la suite,
elle s’est étendue grâce à la différence climatique qui existe entre ces régions et l’Europe à la
culture des produits tropicaux destinés à soutenir l’expansion de l’industrie européenne.
Ce fut d’abord le sucre dont la production prit une extension rapide dans les colonies
portugaises et qui fut à la base du développement au Portugal de l’industrie d’équipement des
moulins à sucre, conférant ainsi à ce pays une relative avance technique dans la production et
le raffinage de ce produit. Certains historiens estiment que l’expansion rapide du marché du
sucre dans la seconde moitié du 16ème siècle fut le facteur fondamental du succès de la
colonisation du Brésil. Ce fut ensuite le coton, le tabac, le riz et surtout le café. Ce dernier
produit prit une importance considérable dans l’économie brésilienne au 19 ème siècle lorsque
survient la hausse des prix causée par la désorganisation du grand producteur qui était au 18 ème
siècle la colonie française d’Haïti.
En pourcentage de la valeur totale des exportations du Brésil ; le café représentait 18
% en 1832 ; en 1852, il totalisait 40 % et au début du 20 ème siècle près de 70 % de la valeur
totale des exportations du brésil, assurant ainsi l’intégration définitive de ce pays dans le
marché mondial. Toute la structure économique du Brésil au 19 ème siècle et jusqu’à la grande
dépression de 1929 fut façonnée en fonction de la demande extérieure de ces produits.
Ainsi, l’Amérique latine riche continent en métaux divers était confiné au rôle de
simple producteur des matières premières minières et agricoles exportées à l’état brut au profit
des métropoles, à qui était réservées les activités industrielles qui leur fournissaient les
moyens d’acquérir à bas prix les produits venant de colonies.
On notera que cette logique du système colonial avait des fondements théoriques soit
disant irréprochables. Les pays d’Amérique latine ayant des avantages comparatifs surtout
dans le domaine de la production de produits agricoles tropicaux, il n’était pas
économiquement rentable d’y favoriser l’industrialisation, laquelle était défavorable aux
propriétaires de plantations en raison notamment de la hausse des salaires, qu’elle n’aurait pas
manqué d’entraîner. Comme on le voit le problème de causes du non transfert de la révolution
industrielle en Amérique latine avant le 20 ème siècle se résout très aisément. Pendant que ces
pays continuaient de se spécialiser dans les productions primaires, la situation économique
des pays européens et singulièrement de l’Angleterre avait déjà été profondément modifiée
par la révolution industrielle.
La mécanisation croissante des processus de fabrication dans l’industrie avait déjà
entraîné des fortes baisses des prix de revient des articles manufacturés donnant ainsi aux
exportateurs européens un avantage considérable. Dès lors, on ne peut s’étonner de constater
que même un siècle après l’accession à l’indépendance de la totalité des pays de l’Amérique
latine le poids de la spécialisation hérités de la période coloniale d’être l’obstacle fondamental
à toute réorientation de ces économies et que la plupart d’entre elles continuent d’être
exportatrices des produits primaires.

IV.2.3. L’AFRIQUE : DE LA TRAITE NEGRIERE A L’INTEGRATION DANS LE


MARCHE MONDIAL

L’Afrique à l’instar de l’Amérique latine et de l’Asie n’a pas échappé à la division


internationale du travail imposée par l’expansion spectaculaire du capitalisme européen
consacré par la conférence de Berlin de 1885 et de Saint Germain en Laye. Dès le début du
18ème siècle, l’Afrique sera progressivement intégrée dans le réseau des échanges
internationaux tissés par l’Europe capitaliste en quête des débouchés et de sources de matières
premières.
Dans une première phase, cette participation a été relativement neutre au point de
vue effet sur son développement économique. L’Afrique faisait alors partie de ce réseau
triangulaire d’échanges qui s’était établi entre les Portugais d’abord, les Hollandais ensuite et
l’Asie. L’Europe n’ayant que peu à offrir en échange des produits de l’Asie, les Portugais
troquaient les cotonnades achetées en Inde contre de l’or et de l’ivoire en provenance de
l’Afrique, produits qui étaient utilisés pour payer les épices et les articles manufacturés de
luxe destinés aux marchés européens.
Dans une deuxième phase, avec la demande de main d’œuvre qui se faisait pressante
dans les pays du Nouveau monde aux climats voisins de ceux de l’Afrique, on commença à
acquérir aussi des esclaves que des tribus plus puissantes pouvaient prélever sur leurs butins
de guerre ou simplement réquisitionner en raison de leur domination sur des tribus plus
faibles.
On estime que l’Afrique a perdu au cours de cette esclavagiste qui n’a pris fin que
vers 1888, à environ trente millions de ses habitants les plus jeunes. Et, c’est vers la fin de
cette période que débute la troisième phase ; qui marque la véritable colonisation économique
de l’Afrique par l’Europe, colonisation entreprise dans le but de fournir des quantités
croissantes de produits tropicaux et d’autres matières premières pour lesquelles la rapide
croissance économique de l’Europe avait élargi considérablement les débouchés.
L’insertion des complexes agricoles, miniers et industriels, géographiquement
concentrés et extravertis, entraîna l’effondrement de quelques sociétés avancées qui s’étaient
maintenues, et le 20ème siècle s’ouvrit sur une Afrique noire pour laquelle les chances d’une
industrialisation spontanée était pratiquement réduite à néant. Comme on le voit la question
posée par le titre de cette 2 ème partie à savoir pourquoi le Tiers-monde n’a-t-il pas imité
l’Europe au 19ème siècle trouve aisément un grand nombre de réponse pleinement
satisfaisantes.

IV.3. LES CONSEQUENCES DE LA DESTRUCTION DES ECONOMIES DU TIERS-


MONDE : LA TRIPLE DEPENDANCE ECONOMIQUE, FINANCIERE ET
TECHNOLOGIQUE

En dépit du fait que la quasi-totalité des pays jadis colonisés sont aujourd’hui
indépendants, l’industrialisation du Tiers-monde reste hypothéquée par les conséquences
désastreuses découlant de la domination coloniale subie. En effet, la plupart des pays du
Tiers-monde restent dépendants des anciennes métropoles sur le triple plan : économique,
financier et technologique.

IV.3.1. LA DEPENDANCE ECONOMIQUE

La dépendance économique apparaît dans la structure des échanges extérieurs. En


effet, du fait de l’étroitesse de leurs marchés intérieurs et de l’absence d’industries d’amont et
d’aval indispensables à la transformation des matières premières locales, conséquences
inéluctables de l’absence d’intégration interne et de l’extraversion des secteurs dynamiques de
ces économies, le Tiers-Monde demeure dépendant du centre industrialisé tant pour ses
débouchés que pour ses approvisionnements ainsi qu’en témoigne le tableau suivant :

Tableau I : Coefficients de dépendance de quelques pays du Tiers-Monde

PAYS X + M/PIB X + M/PIB % des exportations vers un


(en %) (en en %) seul partenaire
BOLIVIE 46 en 1972 33 60 % vers USA
COLOMBIE 30 ‘’ 27 72 % ‘’
CHILI 30 ‘’ 59 42 % ‘’
PEROU 43 ‘’ 13.4 46 % ‘’
ZAMBIE 90 en 1990 47 66 % vers G. Bretagne
RDC 73 % ‘’ 25 53 % vers Benelux
OUGANDA 70 % ‘’ 19 59 % vers G. Bretagne

Notons qu’en ce qui concerne les échanges commerciaux, la dépendance du Tiers-


monde à l’égard du centre industrialisé n’est pas la conséquence du fait que les exportations
des pays sous-développés sont constituées pour l’essentiel des produits de base comme
l’affirmant certains auteurs, mais de ce que ces pays ne sont que des producteurs des produits
de base et non d’autres produits à offrir que ces produits de base, c’est-à-dire que cette
production n’est pas intégrée dans une structure industrielle autocentrée.
Il en résulte que pris globalement, le Tiers-Monde fait l’essentiel de son commerce
avec les pays développés tandis qu’au contraire les économies industrialisées font l’essentiel
de leurs échanges entre elles.

IV.3.2. LA DEPENDANCE FINANCIERE

La dépendance de ces pays à l’égard du centre s’exprime également dans le


financement du développement. En effet, du fait de l’extraversion et de la désarticulation de
leurs économies, la plupart des pays du Tiers-Monde ne disposent pas d’une épargne
suffisante pour soutenir l’effort d’investissement intérieur. L’épargne dans la plupart de ces
pays demeure encore largement tributaire de l’évolution du commerce extérieure, secteur dont
l’instabilité n’est plus à démontrer. De ce fait, les pays du Tiers-monde reste dépendants du
centre industrialisé tant en ce qui concerne la formation de l’épargne intérieure destinée à
nourrir les investissements qu’en ce qui concerne l’épargne extérieure pour couvrir les
importations des biens d’équipement.
Ce 2ème aspect de la dépendance se traduit par l’endettement extérieur croissant des
pays sous-développés tel que l’indique le tableau ci-dessous :

Tableau II. Endettement extérieur de 1980 à 1995

Pays D.E.T en million D.E en % du D.E en % des X des S.D en % des


de $ 1980-1985 PIB 1980-1985 biens et services biens et services
1980-1985 1980-1985
BOLIVIE 2702 – 5266 96.4 – 90.6 258.4 – 410.1 35.0 – 28.9
COLOMBIE 6941 – 20760 20.9 – 28.2 117.1 – 138.7 16.0 – 25.2
CHILI 12081 – 25562 45.0 – 43.3 192.5 – 127.7 43.1 – 25.7
BRESIL 71520-159130 31.2 – 24.0 306.5 – 269.8 63.3 – 37.9
ZAMBIE 3261 – 6853 90.7 – 191.3 200.7 – 528.7 25.3 – 174.4
OUGANDA 689 – 3564 54.6 – 63.7 208.1 – 555.1 17 – 21.3

Or, si les investissements productifs sont financés par le capital étranger, ils doivent
nécessairement conduire tôt ou tard à un reflux grandissant, en sens inverse, des profits liés
aux investissements privés, d’une part, et des versements (amortissements et intérêts) liés à la
dette extérieure, d’autre part, de telle sorte que la croissance se bloque.
En outre, une telle prépondérance de capitaux étrangers dans le financement de
l’économie a pour effet de remettre la responsabilité de l’orientation du développement aux
fournisseurs de fonds (des capitaux).

IV.3.3. LA DEPENDANCE TECHNOLOGIQUE

Enfin, l’extraversion et son corollaire la désarticulation interne entraînent la


dépendance technique. Naturellement cette dépendance revêt différentes formes et se traduit
entre autre par la nécessité dans laquelle se trouve la plupart des pays sous-développés
d’importer les biens d’investissement dont ils ont besoin pour maintenir un taux de croissance
économique élevé mais aussi pour assurer la mutation structurelle de leurs économies.
Cette dépendance aggrave et accentue l’effort étant donné l’instabilité permanente de
la capacité d’importation. Les nations industrialisées d’aujourd’hui ont fait usage au cours de
leur démarrage économique d’une technologie propre interne, en ce sens qu’elle a été conçue
et appliquée par elles-mêmes, compte tenu des exigences et des nécessités de leurs économies
respectives. Ainsi, l’Angleterre a commencé son développement avec une technologie bon
marché qui exigeait des biens d’investissements simples. Par la suite, elle a amélioré cette
technologie parallèlement aux variations dans la combinaison des facteurs de production
disponibles.
Différente est la situation des pays sous-développés d’aujourd’hui, en effet, ceux-ci
doivent recourir à une technologie qui ne leur est pas propre et qui n’est pas adéquate car elle
correspond aux nécessités et aux possibilités des pays qui se trouvent à l’autre extrémité de
l’échelle du développement. La combinaison technologique qui est imposée aux pays sous-
développés étant celle qui épargne le facteur travail, on comprend aisément pourquoi
l’implantation des industries parfois ultramoderne dans ce pays n’entraîne aucun début de
développement endogène et pourquoi le chômage reste un phénomène endémique dans la
plupart de ces pays.

Il y a donc dans ces pays, une transplantation ou une greffe d’une technologie
étrangère dans des structures économiques hétérogènes et désarticulées et qui, dans la plupart
des cas, ne disposent que d’une capacité d’absorption limitée. L’absence d’une technologie
qui soit à la fois moderne et conforme aux disponibilités des facteurs productifs locaux et
l’impossibilité pratique d’une imitation à l’aide des ressources traditionnelles de la
technologie en usage actuellement jointe aux problèmes de formation est un handicap sérieux
pour les économies en retard de développement.
Quand les pays développés d’aujourd’hui en étaient à une étape comparable à celle
que nous connaissons actuellement, et, lorsque par conséquent leur revenu par tête était
relativement modeste, la technologie correspondait à leur situation et exigeait également un
capital par homme c’est à dire par facteur travail relativement peu élevé.
Les améliorations techniques, les innovations apparurent dans la mesure où
l’augmentation de la productivité du revenu et de l’épargne permettait de mettre en
application les nouveaux procèdes technologiques.
Ainsi, la technique a avancé du même pas que les possibilités d’investissement.
Depuis lors, et jusqu’à ce jour, le progrès technologique a été véritablement prodigieux dans
les pays développés où il exige une forte densité de capital par actif. Mais, en même temps
que faisait irruption cette technologie hautement capitalistique, la productivité a augmenté de
sorte que le revenu par habitant est devenu suffisamment élevé, pour permettre une épargne
susceptible de donner naissance aux investissements considérables qu’imposent les recherches
scientifiques, l’adoption de nouveaux procèdes technologiques et de nouvelles méthodes.
Les pays sous-développés aujourd’hui ne disposent pas d’alternative technologique
compatible avec la rareté des capitaux disponibles. La technologie qu’ils sont contraints
d’aborder est une technologie qui correspond aux caractéristiques des pays dominants, en ce
sens que cette technologie repose sur l’abondance du facteur capital, la rareté du facteur
travail et le niveau élevé de salaire. Or, dans la plupart des pays sous-développés c’est plutôt
le phénomène inverse qui prédomine.
L’utilisation d’une technologie importée aggrave donc les vices structurels de ces
économies où la rareté de l’épargne a entre autre pour conséquence un excès de main-d’œuvre
employée à de tâches dont la productivité demeure médiocre. D’autres problèmes beaucoup
plus aigus, en effet, le contrôle du savoir technologique et de l’accès aux sources
d’innovations par les firmes multinationales est devenu de nos jours un moyen de domination
privilégiée des économies sous-développés. Le contrat de licence est une modalité concrète de
cette domination. En vertu d’un tel contrat, une entreprise étrangère multinationale peut
s’introduire sur le marché d’un pays sous développé, sans risque de capitaux et ne se réservant
dans de très nombreux cas, le droit de participer au capital social des sociétés locales, si tel est
son intérêt. Par exemple, les licences peuvent être payées par des actions de l’entreprise
désirant les obtenir et généralement à la suite des tels accords, les multinationales finissent par
absorber les entreprises locales sans apports de capitaux.
De plus, les contrats de licence peuvent comporter de clauses restrictives importantes
comme par exemple l’obligation faite à l’entreprise locale d’acquérir les pièces détachées, les
produits intermédiaires aux sources indiquée par l’entreprise qui octroie la licence, et bien
plus, d’utiliser les équipements déterminés, pour engager un certain nombre de conseillers
techniques, et d’écouler les produits finis à travers les circuits de distribution de l’entreprise
propriétaire de la licence. C’est ce qui entraîne généralement une surfacturation pour les
matières premières et autres produits vendus à l’entreprise utilisatrice de la licence d’une part,
et entrave, d’autre part, la transmission des effets bénéfiques de l’innovation dans l’espace
économique national.
Les répercussions bénéfiques de l’innovation seront ressenties dans l’économie
dominante. Les observations faites ci-dessus si elle s’appliquent d’une façon générale à
l’ensemble des économies du Tiers-monde, touchent cependant de façon singulière
l’économie congolaise (RDC) ; l’économie dont la dépendance quantitative et qualitative en
ce qui concerne le processus de formation interne du capital demeure encore très forte. La
dépendance quantitative des investissements publics et privés dans le cas précis de notre pays,
par rapport au commerce extérieur, se traduit par des pourcentages encore très élevés que
représente la participation des importations dans la formation intérieure brute du capital fixe,
tel que l’indique le tableau III.

Ann I.B totaux en I.B en machines en Biens d’équipements Rapport Rapport


millions millions importés en millions (3)/(1) en (3)/(2) en
de Zaïres (1) de zaïres (2) de Zaïres (3) % %
1968 141.0 103.5 98.5 70.0 95.1
1969 207.0 156.9 150.2 72.3 95.7
1970 279.1 195.7 187.0 67.0 95.5
1971 332.5 227.5 218.8 65.8 96.0
1984 366.6 316.6 301.9 82.3 95.3
1985 499.2 448.2 430.2 86.2 96.0
1986 527.5 478.3 456.0 86.4 96.4
1987 656.7 593.5 579.9 88.3 98.0
1988 590.5 525.2 511.7 87.0 98.0
1989 992.9 930.0 913.4 92.0 98.2

Tableau VIII. Rapport des importations sur la formation brute du capital fixe en RDC
1968-1989
Source : Rapport de la Banque Nationale du Zaïre : 1968, 1978 ; 1990.
Dans les pays plus avancés dans la voie de l’industrialisation comme le Brésil,
l’Argentine,… la part des importations dans la formation intérieure brute de capital fixe
oscille entre 15 et 25 %. En faisant abstraction de la construction et en ne prenant en
considération que les seuls investissements en machines et en équipements destinés à
l’industrie, à l’agriculture et à l’infrastructure, la contribution des importations à la formation
intérieure brute de capital fixe atteint en moyenne 40 % dans le cas du Brésil, de l’argentine et
du Mexique, alors qu’elle s’élève à plus de 95 % dans le cas de la RDC où, la part de
l’industrie locale des biens d’investissements représente moins de 3 %. Ceci montre
clairement qu’en République Démocratique du Congo, l’expansion de la capacité productive
interne est encore en grande partie si pas en totalité assurée par l’importation, et en
conséquence demeure largement conditionnée par la possibilité de pouvoir importer de
l’extérieur les biens d’équipement et de production nécessaires.
Cette forte dépendance de l’extérieur constitue dans l’étape actuelle de
l’industrialisation du Congo, un facteur de vulnérabilité extrême et une source de domination
étant donné par ailleurs, l’instabilité permanente de sa capacité d’importation. Elle limite
considérablement les effets de diffusion que peuvent entraîner la fabrication locale des biens
d’équipement. Cette dépendance technologique des pays sous-développés n’est pas à
confondre avec la dépendance quantitative des pays développés en ce qui concerne les sources
d’approvisionnement, car, ceux-ci ont la capacité d’importation nécessaire pour ne pas subir
les effets de domination, et ils ont du reste, des sources d’approvisionnement en matières
premières très diversifiées.
En guise de conclusion, nous venons d’exposer clairement les raisons pour lesquelles
la révolution industrielle née en Angleterre n’a pas été transmise dans les pays sous-
développés, la déstructuration de ces économies ayant conduit à la triple dépendances ne
pouvait qu’entraîner le blocage.
CHAPITRE V :
HISTORIQUE DU PROCESSUS D’INDUSTRIALISATION AU CONGO

L’historique du processus d’industrialisation du Congo trouve son origine dans


l’histoire de l’économie congolaise c’est-à-dire de la période de la colonisation belge.
En effet, au terme des travaux de la conférence de BERLIN tenue du 15 novembre 1884 au 26
février 1885, donna naissance, le 19juillet 1886 à l’Etat indépendant du Congo (E.I.C). Le
même acte reconnaissait à Léopold II, roi des Belges, les droits souverains sur l’E.I.C.
De la naissance de l’E.I.C en 1908, la politique économique et la mise en œuvre du territoire
passent d’une phase libérale de commerce sur le bassin du Congo (de 1885 à 1891) à une
phase du monopole d’Etat sur le commerce des principaux produits d’exportations (de 1892 à
1908).
La politique économique de Léopold II s’est assise sur une exploitation minière et
une politique agricole sous tendues par une politique de transport conséquente. En vue de
passer à l’exploitation de son territoire, le Roi s’associe avec des groupes financiers belges et
anglais tels que la British South Africa Company, la Société Générale, le Groupe Empain, le
Groupe Cominière, le Groupe Brufina (1).
De cette association Etat-privés, naquirent à partir de 1887, d’abord la première
société congolaise, la Compagnie du CONGO pour le Commerce et l’Industrie (C.C.C.I),
ensuite la Compagne du Chemin de fer du Congo, Matadi-Kinshasa (C.F.C) et enfin les
sociétés à chartes dont le Comité spécial du Katanga, la Compagnie des Chemins de fer du
Congo Supérieur aux Lacs africains (CFL) et le Comité spécial du Kivu (CSKI) (2). Il fut créé
en 1906, à l’instar de sociétés à charte, les plus grandes et prospères sociétés congolaises
telles que l’union Minière du Haut-Katanga (UMHK), la Compagnie du Chemin de fer du Bas
Congo au Katanga (C.B.K).
En 1908, conformément au testament du roi Léopold II par lequel il légua à la
Belgique ses droits souverains sur l’EIC, la Belgique annexa le Congo, lequel continua à
grandir son patrimoine séparé de celui de la métropole. Comme pour consolider l’acquis
économique de l’E.I.C et tirant certainement les leçons de la première guerre mondiale, la
colonisation mena au Congo Belge, entre 1920 et 1940, la première vague d’investissements

1
MUHINDUKA-di-KURUBA, « Aperçu de la politique économique et perspective », in Zaïre-Afrique, n° 276,
juin-juillet, août 1993.
2
BONGO BONGO et KITENGE N’LAYI, « La désindustrialisation de la RDC, facteurs explicatifs et
perspectives de relance, Tome I, Kinshasa, IRES, 2003, p. 22.
industriels orientés vers le marché intérieur ; limitée pour l’essentiel aux seuls biens de
consommation.

Ainsi, dès 1921-1923 le Congo vit s’implanter une cimenterie à Lukala, une savonnerie à
Léopoldville, une brasserie à Léopoldville et une autre à Élisabethville. Des textiles et
manufactures des cigarettes le seront respectivement en 1925 et vers 1928 jusqu’en 1930.
Historiquement, l’industrialisation du Congo s’est réalisée dans des étapes ci-après :

V.1. LA PERIODE COLONIALE : INDUSTRIALISATION DU CONGO

Durant cette période qui va de 1920 à 1960, il y a lieu de distinguer deux secteurs qui
obéissent à des impulsions différentes : une partie de l’industrie congolaise est orientée vers la
demande extérieure, tandis que l’autre répond aux sollicitations de la demande intérieure.
Il convient en outre de subdiviser cette période en deux sous-période marquée chacune par
une vague d’investissements marquée par un fait socio-économique précis.
La première vague trouve son origine dans l’implantation presque simultanée d’entreprises
industrielles, aux environs de 1925 et 1950 ; la seconde commerce en 1958 avec les
prodromes du processus de décolonisation.

V.1.1. LA PREMIERE VAGUE D’INVESTISSEMENTS INDUSTRIELS ORIENTES


VERS LE MARCHE INTERIEUR

« En cette vague, l’industrie a joui, dès sa naissance, d’un marché intérieur en


développement rapide grâce à l’expansion du commerce extérieur. Cette expansion s’explique
par le fait que les conventions internationales qui régissaient le commerce dans le bassin du
Congo Interdisaient au gouvernement de la colonie, l’établissement d’un tarif douanier
préférentiel au profit de la métropole (3) ».

Plusieurs causes interdépendantes contribuent à soutenir cette expansion,


notamment :
1. la période de l’après-guerre suscite dans les pays industrialisés une forte poussée de la
demande des matières premières minérales et végétales dont la colonie belge est un

3
LENGWA KIMA, Les causes du blocage industriel en RDC de 1970 à 1990 et pour une tentative de relance
de la société des brasseries SOBRABAND, mémoire, UNIKIN, 1999-2000.
producteur potentiel ;
2. la guerre, la révolution russe, l’instabilité de la Chine ont détourné les investissements
belges de leurs orientations privilégiées outre-mer, et donné un visage particulièrement
attrayant à la colonie qui apparaît comme un havre de sécurité ;
3. enfin, l’alignement de la monnaie coloniale sur le franc belge après 1919, crée des
conditions particulièrement favorables pour les exportations congolaises vu la
dépréciation continue de la monnaie métropolitaine par rapport à la livre sterling et au
dollar dans lesquels sont exprimés les cours des matières premières vendues sur le marché
mondial (4).
Dans ces conditions, les industriels belges désireux d’exporter au Congo devraient
lutter à armes égales contre la concurrence étrangère, tandis que qu’ils pouvaient espérer
l’appui des pouvoirs publics coloniaux pour protéger leur industrie implantée au Congo.
Les conditions dans lesquelles la Belgique accepta l’héritage colonial de Léopold II ont
influencé le développement économique du Congo dans le même sens que les conventions
internationales.
Par crainte d’entraîner leur pays dans les « aventures africaines » du roi, les parlementaires
belges ont consacré dans la charte coloniale le principe de l’autonomie monétaire et financière
du Congo belge à l’égard de la Belgique.
En vertu de ces dispositions, le Congo devrait assurer seul l’équilibre de sa balance des
paiements et la couverture de son budget. La logique de cette situation devrait très tôt
conduire l’administration coloniale à protéger l’industrie naissante par une politique fiscale et
douanière appropriée.

La structure économique de la Belgique constitue un second facteur d’explication. La


Belgique est essentiellement un pays exportateur des produits sidérurgiques bruts et semi-finis
ainsi que des biens d’équipements.

Ainsi, le développement d’une industrie de biens de consommation au Congo, loin de porter


préjudice à la puissance coloniale, lui aurait de nouveaux débouchés. Dans la mesure où se
développait au Congo une industrie productrice de biens de consommation, la structure
économique de ce pays devenait complémentaire à celle de la Belgique. Pour cette raison, la
Belgique n’aurait pas permis l’implantation au Congo d’une industrie de base concurrente des
producteurs belges.
4
IL LACROIX, op. cit, p. 21.
Quoiqu’il en soit, le Congo produit du ciment dès 1920, du savon 1925, de la bière depuis
1924, et on trouve également dès cette période plusieurs ateliers de fabrication métalliques.
Cette sous-première vague d’investissement fut brisée par la grande crise des années 30.

De 1935 à 1949, par contre, le taux d’accroissement de la production industrielle


s’élève à 14 % l’an : il est soutenu, enfin de période, par « l’effort de guerre » et impose, dès
la fin des hostilités, l’extension des capacités de production, et pendant cette période de
guerre, on a connu une intense activité tant sur le plan de production d’exportation que
requiert l’effort de guerre que sur le plan industriel où l’interruption des approvisionnements
favorise l’apparition d’entreprises locales.

De 1948 à 1952, la création de nouvelles entités consolide la structure de l’industrie


de transformation pour le marché intérieur. Pendant que les colonisateurs dotaient le Congo
d’un réseau industriel, ils mettaient également au point une politique de développement et de
modernisation du secteur agricole dont le volet le plus marquant est la création des instituts de
recherche agronomiques dont l’INEAC pour promouvoir une agriculture scientifique
associant culture et élevage.

Entre 1948 et 1952, l’Europe croit être menacée d’une troisième guerre mondiale, et
l’Afrique paraît un refuge sûr pour les capitaux. Ceux-ci affluent sur le Congo dont on
n’imagine pas encore qu’il puisse être entraîné dans le processus général de décolonisation.

En outre, la guerre de Corée entraîne une vive augmentation de la demande extérieure pour
les produits d’exportation congolaise. L’accroissement consécutif des recettes d’exportation
favorise l’importation des biens d’équipement et stimule la demande intérieure. C’est la
seconde vague d’investissements « Forte des investissements réalisés au sortir de la seconde
guerre mondiale et de ceux réalisés dans le cadre du plan décennal, l’économie congolaise
connaît pratiquement de 1946 à 1957, une période de croissance économique plus nette
encore que celle d’entre deux guerres (5).

5
HUYBRECHTS, cité par MUHINDUKA, In Zaïre-Afrique, aperçu de première économie congolaise à la
veuille de l’indépendance, Bruxelles, avril 1960, pp. 45, 58-60.
Au cours de cette période, l’expansion de l’industrie manufacturière a été commandée par le
développement des autres activités économiques et de la demande de biens de consommation.
Cette expansion a été à ce point rapide qu’elle a en même temps contribué à réduire la
dépendance du Congo à l’égard des marchés extérieurs. Elle a même donné un courant
d’exportation vers les territoires voisins.

V.1.2. LA DEUXIEME VAGUE D’INVESTISSEMENT DANS LA PERIODE


COLONIALE

Cette seconde vague commence en 1958 avec les prodromes du processus de


décolonisation. Elle présente jusque-là un bilan positif. Ainsi donc, pendant plus de 20 années
consécutives, la production industrielle a pu croître au taux annuel de 14 % : ce rythme est un
des plus rapides qui ait été observé sur une aussi longue période.

L’importance de ces productions tient au fait qu’elles permettent de conserver à


l’intérieur du territoire un pouvoir d’achat plus élevé. Elles incorporent de la main-d’œuvre à
un produit destiné à l’exportation en le valorisant ou permettent à une activité locale de
satisfaire des besoins de consommation interne. Elles viennent donc compléter les circuits
économiques et dans la mesure où elles parviennent à le faire, elles stabilisent l’activité
générale du territoire.

Le bilan de l’économie congolaise est très largement positif et présente les caractéristiques ci-
après :

1. le PIB commercialisé respecte le taux d’accroissement exponentiel annuel ;


2. bien que l’industrialisation se soit faite dans le cadre de l’insertion du Congo au grand
capital c’est-à-dire de l’économie périphérique à l’économie du centre, le Congo est, à son
indépendance, « l’un des pays les plus industrialisé d’Afrique ». Avec une éventuelle
industries dont :

- industrie minière ;
- industries alimentaires, textile et connexe, ciment, chimique la plus importante du sud du
Sahara, manufacture, de matériel électrique, chantier de construction navale, etc.
3. l’agriculture est prospère et le système de transport hérité » de la colonisation est unique
en Afrique par son étendue, ses complémentarités bien ajustées, le niveau technique de
l’infrastructure et du matériel, l’ampleur des trafics qu’il assure et la variété des voies
d’accès et d’évacuation.

V.2. APRES L’INDEPENDANCE : C’EST LA DESINDUSTRIALISATION DU CONGO

Il est certes vrai que, à l’indépendance les congolais ont hérité d’un Congo à
économie prospère, bien qu’elle soit extravertie et dépendante : orientation de l’industrie
minière ou primaire, de l’agriculture moderne et du système de transport vers l’extérieur et
l’absence d’une véritable industriel manufacturière secondaire (industrie de biens
d’équipement et d’approvisionnement). Il était impérieux de l’industrie extravertie et
dépendante.

Malheureusement, les années 1960-1963 couvrent une période de crises politiques


violentes, guerres civiles, interventions étrangères, anarchies administratives, gaspillages des
ressources naturelles ce qui a entraîné par ricochet la destruction du système social colonial.
Ainsi, devrait sauvegarder la cohérence entre structure politique et structure économique par
l’appartenance aux mêmes groupes sociaux des hommes qui contrôlaient les moyens de
production et de ceux qui administraient l’appareil étatique. Cependant, l’organisation
administrative s’est effondrée brutalement quelques jours après l’accession du pays à
l’indépendance, à la suite du départ massif des cadres étrangers, provoqués par la mutinerie de
l’armée congolaise.

C’est ainsi, que l’administration publique est confiée entre les mains des nationaux
sans qualification ni expérience. Dans ces conditions, la cohérence du système social est bel et
bien rompue.

On peut noter sur le plan des infrastructures, l’entretien des réseaux routiers, fluvial et
ferroviaire n’était plus assurés ; ce qui entraîna une désarticulation du système des transports.
Celle-ci eut comme conséquence majeure, la disparition de nombreuses petites et moyennes
entreprises, la cessation de quelques-unes des exploitations minières et l’abandon d’un certain
nombre des plantations dans les régions rurales, particulièrement dans la partie nord-est du
pays.
De 1960 à 1964, l’économie congolaise est caractérisée par une forte inflation due à
l’expansion monétaire ; cette expansion est à la fois facteur et frein de l’industrie. Au premier
rang des facteurs d’expansion, il faut évidemment placer l’augmentation de la demande, qui a
élargi rapidement le débouché naturel, le déplacement des flux monétaires vers des catégories
de bénéficiaires qui faisaient peu de place aux produits importés dans leurs habitudes de
consommation. En outre, l’expansion de la production locale des biens de consommation a
provoqué, après quelque temps, l’apparition d’une demande dérivée de biens
d’approvisionnement et d’équipement que l’industrie locale s’efforce de satisfaire.

Les obstacles à l’expansion de l’industrie peuvent être ramenés à quatre points essentiels :

- L’insuffisance relative des allocations de devises pour l’importation des matières et pièces
de rechange ;
- La lenteur et l’irrégularité dans l’octroi des devises soumis à des procédures de contrôle
lourdes et complexes ;
- L’apparition dans certains secteurs de goulots d’étranglement dus au plein emploi des
capacités de production et au manque de devises pour l’importation des biens
d’équipement nouveaux ;
- La faiblesse de la demande en provenance des entreprises privées et publiques qui
compose toujours l’expression de la demande des particuliers.

De 1967 à 1974, le changement du pouvoir politique intervenu le 24 novembre 1965


rendit possible le rétablissement de la sécurité intérieure.

En matière politique, le 24 novembre 1965 rendit possible le rétablissement de la sécurité


intérieure. En matière de politique industrielle, le Congo manifeste apparemment le souci
économique de l’équilibre industriel, au niveau des secteurs par la promotion et l’exploitation
des relations intersectorielles et au niveau géographique, par l’orientation des industries
surtout vers les pôles du pays autres que Lubumbashi et Kinshasa.

Parmi les principales actions posées par l’Etat, l’on peut citer l’exploitation de l’Union
Minière du Haut-Katanga, la réforme monétaire du 24 juin 1967, la promulgation d’un
nouveau code des investissements et les mesures de Zaïrianisation et de radicalisation.
1. La nationalisation du UMHK

En date du 31 décembre 1966, l’UMHK devient la GECOMI qui plus tard deviendra
la GECAMINES. Le 1er janvier 1967, l’Union Minière se vit donc arracher ses avoirs et ses
concessions. Cette première mesure de nationalisation créa, un véritable traumatisme parmi
les entreprises industrielles et commerciales étrangères ce qui occasionna le repli
caractéristique, sur le plan d’investissements, des sociétés et des Holdings belges en RDC.

2. La réforme monétaire du 24 juin 1967

Cette réforme visait le rétablissement de certains équilibres macroéconomiques tels


que la réduction de l’écart entre les taux de change officiel et parallèle, le contrôle de
l’inflation et la restauration de la rentabilité des entreprises d’exploitation.

3. La promulgation d’un nouveau code des investissements

Le nouveau code en remplacement de l’ancien du 30 août 1965, fut qualifié très


libéral, et favorisera les investissements étrangers, à la création d’entreprises nouvelles, à
l’extension ou à la modernisation d’entreprises existantes. Parmi les entreprises agréées on
peut retenir la société textile de Kisangani (SOTEXKI), la cimenterie nationale (CINAT) à
Kimpese, la Goodyear (Kinshasa), le Combinat industriel de Gemena (DOMINGEN) et
DANZER-ZAIRE. Dans le cadre des grands ouvrages, dans le domaine de l’énergie, on peut
citer notamment les barrages hydroélectrique d’Inga I et II et la Ligne haute tension Inga-
Shaba.

Pour les projets administratif et industriel, on trouve les projets tels que le centre de
commerce international au Congo (C.C.I.C), la tour de la voix du peuple, les réseaux
hertziens, l’échangeur de Limete…

« Bien que ces investissements s’avèrent d’une utilité économique incontestable,


néanmoins, l’on doit admettre que, à leur réalisation, ils ont pu être qualifiés de « safaris
technologiques » ou éléphants blancs (6) ».
6
VERHAEGEN B., « Les safaris technologiques du Zaïre 1970-1980 », il politique africaine, 18 juin 1985.
4. Les mesures de zaïrianisation et de radicalisation

La mesure de zaïrianisation en novembre 1973 et celle de la radicalisation en


décembre 1974 touchent plus le secteur agricole, mais aussi les secteurs miniers et
commerciaux. Ces mesures provoquent ; dans les milieux d’affaire, spécialement belges,
portugais, grecs et pakistanais, stupeur, indignation et colère etc.

Les décisions souvent incohérentes, sur le transfert des propriétés, prises dans l’application de
ces mesures provoquèrent par ailleurs des perturbations au niveau de l’ensemble de
l’économie perturbation dont les conséquences seront lourdes pour l’avenir du pays.
CONCLUSION

Ce cours d’histoire économique est un cours qui éclaire la lanterne des étudiants
de troisième graduat en sciences économiques et de gestion sur l’évolution des pensées
économiques selon l’ordre social, l’ordre politique et l’ordre économique dans la ligne de
temps. Il préfigure le cours de première licence des théories et doctrines économiques et
sociales.
Dans son contenu, il a été question, d’une part, de mettre en évidence les
différentes étapes de la formation de la science économique et les idées principales qui ont
prévalues pour la mise au point de cette discipline. Et d’autre part, il a été question de
présenter l’évolution de la révolution industrielle et les causes qui réfrènent cette dernière en
RDC.
La science économique a un soubassement relatif à la question de tous les époques en deux
aspects à savoir :
Primo, quelles sont les causes de richesse d’une nation ?
Deusio, la croissance économique des biens et services peut-elle être durable ? si oui, dans
quelles conditions ?
Ces questions ont trouvé les réponses évolutives selon leur époque et selon chaque courant
des pensées jusqu’à la formation des sciences économiques.
Les classiques et néo-classiques dont les pensées, émanant des physiocrates, sont assises sur
l’égoïsme et le maximum d’efficience des agents économiques affirment que la main
invincible ne peut pas permettre l’intervention de l’Etat dans la création des richesses.
Alors que les Keynésiens et les Néo-keynésiens pensent, en antipode des certaines idées
émises par les classiques, que les richesses sont génèrent par la demande effective de
l’économie globale. Et,pour ce faire, l’Etat doit intervenir pour comme « Etat-providence »
afin d’accroître les richesses pour le bien-être collectif.
BIBLIOGRAPHIE
- Alain Béraud et Gilbert Faccarello (2000), Nouvelle pensée économique, tome II, Ed.
le découverte, ParisXIII.
- BOFOYA KOMBA (2019), Cours d’éléments de microéconomie, inédit, ISPALE.
- BOFOYA KOMBA (2013), Economie politique, Ed. l’harmattan,Paris.

- BONGO BONGO et KITENGE N’LAYI, (2003), « La désindustrialisation de la


RDC, facteurs explicatifs et perspectives de relance, Tome I, Kinshasa, IRES, p. 22.
- Ghislain DELEPLACE et Christophe LAVIALLE (2008), Maxi fiches de l’histoire de
la pensée économique, Ed.Dunod, Paris.

- HUYBRECHTS, cité par MUHINDUKA, « Aperçu de première économie congolaise


à la veuille de l’indépendance », In Zaïre-Afrique, Bruxelles, avril 1960, pp. 45, 58-60.
- Fabrice MAZERELLE (2006), Histoire des faits et idées économiques, Ed.EJA, Paris.

- LENGWA KIMA, Les causes du blocage industriel en RDC de 1970 à 1990 et pour
une tentative de relance de la société des brasseries SOBRABAND, mémoire,
UNIKIN, 1999-2000.
- MOKONDA BONZA, Histoire économique, Unikis-FSEG, Syllabus, G3 Econ, 2012-
2013
- URUBA, « Aperçu de la politique économique et perspective », in Zaïre-Afrique, n°
276, juin-juillet, août 1993.
- Réné SODILLOT (1989), Histoire morale et immorale de la monnaie, Ed. Bordas,
Paris.
- VERHAEGEN B., « Les safaris technologiques du Zaïre 1970-1980 », in politique
africaine, 18 juin 1985.
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 1
a) La division traditionnelle.....................................................................1
b) La division de l’école historique allemande.......................................2
c) La division des économistes contemporains....................................3
CHAPITRE III : LA REVOLUTION INDUSTRIELLE...................................................43
III.1. LES ETAPES DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE......................................43
III.1.1. LA PREMIERE REVOLUTION INDUSTRIELLE 1780-1880...........................43
III.1.2. LA DEUXIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE : 1880-1914........................44
III.1.3. LATROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE : 1914-1980........................45
III.2. DE LA JUSTIFICATION DU TERME REVOLUTION INDUSTRIELLE.............45
III.3. LA REVOLUTION AGRICOLE........................................................................46
III.3.1. La rotation continue des cultures..............................................................46
III.3.2. L’introduction des cultures nouvelles........................................................47
III.3.3. Les progrès dans l’outillage......................................................................47
III.3.4. La sélection des semences des reproducteurs animaux et l’extension de
superficies cultivées................................................................................. 47
III.3.5. La traction chevaline.................................................................................48
III.4. LES CONSEQUENCES DE LA REVOLUTION AGRICOLE..............................48
III.4.1. Révolution agricole et première révolution démographique.....................48
III.4.2. La révolution agricole et demande industrielle.........................................49
1. L’INDUSTRIE TEXTILE................................................................................50
2. L’INDUSTRIE SIDERURGIQUE...................................................................50
CHAPITRE II : ACTIVITES ET FORMATION DE LA SCIENCE ECONOMIQUE
II.1. De la philosophie morale à l’économie politique
II.2 De la philosophie morale à l’économie politique : deux ruptures essentielles
II.3. De la définition de la science économique
II.4. De l’objet et division de l’Economie Politique
II.5. De la richesse et les biens naturels
CHAPITRE III : LES PENSEES ECONOMIQUES
III.1. L’Antiquité
III.1.1. Xénophon : l’économique comme art de la gestion domestique
III.1.2 Aristote et la condamnation morale de l’enrichissement
III.2. Le moyen-âge (la pensée médiévale)
III.2.1 La scolastique thomiste
III.2.2 Les premiers éléments de « modernité » : le « nominalisme » d’Oresme et Buridan
III.3. L’Economie politique avant Adam SMITH
III.3.1 la naissance d’une « économie politique »
III.3.2 Mercantilistes
III.3.3. Physiocrates
III.4. Les Classiques
III.4.1. Adam SMITH (5 juin1723 – 17 juillet1790)
III.4.2. Thomas Robert MALTHUS
III.4.3. David RICARDO
III.4.4. JEAN B. SAY
III.5. Les Néo-classiques
III.6. J.M. KEYNES et les Keynésiens
III.7. Milton FRIEMAN et les monétaristes
III.8. La macroéconomie dynamique : L’école de croissance endogène

CHAPITRE IV : 53
LA SPATIALISATION DU FAIT COLONIAL : CAUSES DU BLOCAGE INDUSTRIEL
DU TIERS MONDE AU 19ÈME SIECLE.............................................53
IV.1. LE CONCEPT DE L’EXTRAVERSION ECONOMIQUE....................................53
IV.2. LES ORIGINES DE L’EXTRAVERSION DU TIERS MONDE...........................54
IV.2.1. L’ASIE : DU COMMERCE DES EPICES A LA GUERRE D’OPIUMS.....56
1°. L’INDE......................................................................................................... 56
2°. L’INDONESIE..............................................................................................56
3°. L’INDOCHINE..............................................................................................57
4°. LA CHINE....................................................................................................57
IV.2.2. L’AMERIQUE LATINE : DE L’EXPANSION COMMERCIALE A
L’ENTREPRISE AGRICOLE....................................................................58
IV.2.3. L’AFRIQUE : DE LA TRAITE NEGRIERE A L’INTEGRATION DANS LE
MARCHE MONDIAL.................................................................................61
IV.3. LES CONSEQUENCES DE LA DESTRUCTION DES ECONOMIES DU TIERS-
MONDE : LA TRIPLE DEPENDANCE ECONOMIQUE, FINANCIERE ET
TECHNOLOGIQUE..........................................................................................62
IV.3.1. LA DEPENDANCE ECONOMIQUE.........................................................62
IV.3.2. LA DEPENDANCE FINANCIERE............................................................63
PAYS........................................................................................................................ 63
IV.3.3. LA DEPENDANCE TECHNOLOGIQUE..................................................64
ANNÉES.................................................................................................................... 67
I.B TOTAUX EN MILLIONS........................................................................................... 67
DE ZAÏRES (1)............................................................................................................67

CHAPITRE V : 69
HISTORIQUE DU PROCESSUS D’INDUSTRIALISATION AU CONGO......................69
V.1. LA PERIODE COLONIALE : INDUSTRIALISATION DU CONGO....................70
V.1.1. LA PREMIERE VAGUE D’INVESTISSEMENTS INDUSTRIELS
ORIENTES VERS LE MARCHE INTERIEUR..........................................70
V.1.2. LA DEUXIEME VAGUE D’INVESTISSEMENT DANS LA PERIODE
COLONIALE.............................................................................................73
V.2. APRES L’INDEPENDANCE : C’EST LA DESINDUSTRIALISATION DU CONGO
........................................................................................................................ 74
1. La nationalisation du UMHK........................................................................75
2. La réforme monétaire du 24 juin 1967..........................................................76
3. La promulgation d’un nouveau code des investissements............................76
4. Les mesures de zaïrianisation et de radicalisation......................................76
TABLE DES MATIERES

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