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Certains groupes peul ont fondé des sociétés très structurées et hiérarchisées comme dans le Fouta
Djalon guinéen, au Macina malien, dans le nord du Nigeria et au Cameroun.
Une simplification extrême permet de distinguer les Peul sahéliens nomades et les Peul soudaniens
vivant en noyaux semi sédentaires ou sédentaires parmi les peuples agriculteurs.
[1] La bibliographie concernant les Peul est considérable mais de valeur très inégale. Pour une bibliographie exhaustive
antérieure à 1976, voir Christiane Seydou, bibliographie du dossier page 19.
La pression démographique fait que les rapports traditionnels entre pasteurs peul et agriculteurs
sont aujourd’hui totalement bouleversés. Leurs couloirs de transhumance peu à peu colonisés par les
agriculteurs, les pasteurs peul sont de plus en plus en butte à l’hostilité des sédentaires qui les
voient comme des complices des jihadistes, d’où des sanglantes représailles contre eux.
Avec 50% de terres cultivées en plus depuis un transhumance transfrontalière, ce qui a encore am-
demi-siècle, les couloirs de transhumance de plifié le sentiment d’injustice ressenti par les Peul.
l’ouest africain sont peu à peu défrichés par les agri-
culteurs, avec pour résultat que les anciennes En plus du Macina malien, l’est du Burkina Faso
conventions de partage des espaces sont devenues est aujourd’hui hors de contrôle et les éleveurs
obsolètes[1]. peul ont investi les anciennes réserves ou zones na-
turelles de conservation. Protégés par les jiha-
Surcharge des pâturages, ébranchage, boisements distes auxquels ils versent un droit, ils se sont
de tamaris (les ethels) transformés en bois de feu donc réapproprié l’espace dans un mouvement de
destiné à alimenter les fours des boulangers afin télescopage entre la vision européenne de protec-
de nourrir une population à la démographie suici- tion écologique de la faune et du milieu, et la per-
daire, abandon des rotations trisannuelles tradition- ception locale de confiscation des espaces
nelles, le tout entraîne un épuisement des sols, traditionnels de parcours…
phénomène qui va aujourd’hui en s’accélérant et
qui pousse les éleveurs à chercher toujours plus Depuis le 11 juin 2020 et l’attaque jihadiste de
loin de quoi nourrir leurs troupeaux. Kafolo qui coûta la vie à 14 soldats ivoiriens, la
frontière entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire
La transhumance devenant de plus en plus diffi- est zone de guerre. Une vingtaine d’assaillants de
cile, les Peul se sentent discriminés ce qui entraîne Kafolo, de complices ou de commanditaires ont
leur frustration. D’autant plus que, tant dans le été arrêtés, or, il s’agit de Peul. L’enquête a montré
nord de la Côte d’Ivoire que du Ghana, du Togo et que les assaillants avaient bénéficié de soutien ou
du Bénin, comme les pasteurs peul viennent de de complicité chez certains membres locaux de
zones largement contrôlées par les jihadistes, la leur ethnie, et cela d’autant plus facilement que les
crainte des autorités est que ces derniers s’in- transhumances se jouent des frontières.
filtrent parmi les transhumants. Pour faire face, en Aujourd’hui, les principales menaces pèsent sur la
2020, les autorités béninoises ont interdit la région de Korhogo.
[1] Dans certaines régions, les éleveurs peul n’avaient souvent plus qu’une seule issue, pénétrer dans les zones protégées et les
réserves naturelles où les gardes les pourchassaient. Or, les jihadistes ont chassé ces derniers et donné aux Peul l’autorisation
d’y faire pâturer leurs troupeaux.
Les Peul vivent sur un espace immense et territorialement morcelé. Ils sont très différents d’une
région à une autre et à l’intérieur des mêmes zones. Tous ne sont pas des jihadistes, même si certains
prêtent une oreille complaisante à ces derniers. D’autres sont eux-mêmes la cible des groupes
terroristes, notamment au Cameroun.
Six grands traits permettent d’identifier les Peul : mois de novembre, les Peul nomades entament leur
transhumance vers le sud, à travers les marais, en
1) La langue direction des pâturages de décrue. Ce mouvement
séculaire, et probablement même millénaire, se fait
Ce qui caractérise d’abord les Peul, c’est la langue. au moyen de règles très codifiées. Ainsi, au Macina,
Ayant pour nom pulaar à l’ouest et fulfuldé ailleurs, l’ordre d’entrée des troupeaux dans les pâturages
elle se rattache au groupe Niger-Congo. répond à de véritables coutumes de préséance
propres aux Peul. Or, ces dernières sont de plus en
2) Le nom plus insupportables aux agriculteurs qui, n’arrivant
plus à faire face à leur suicidaire démographie,
La seconde caractéristique des Peul est leur nom cherchent à s’accaparer les terrains de parcours des
qui les lie par la naissance à quatre groupes. C’est éleveurs. Comme les Tutsi au Rwanda, les Peul
ainsi que tous les Peul portent l’un des quatre doivent donc se battre afin de « sauvegarder les
noms suivants : Dial, Ba, Sidibibé (ou Sô), et biens de la vache contre la rapacité de la houe ».
Sangari (ou Bari). Ces noms ont de multiples va-
riantes régionales. 6) Une société très stratifiée
[1] Kirdi est le nom générique donné aux populations noires islamisées par les Peul au XIXe siècle.
La « longue histoire » permet de comprendre le phénomène peul. Chassés de leur homeland saharien
par les changements climatiques, il y a environ 4000 ans, les ancêtres des Peul ont migré vers l’actuel
Sahel à la recherche de pâturages pour leurs troupeaux. Un mouvement qui s’achève aujourd’hui
sous nos yeux, dans un espace saturé et dans une confrontation régionale entre pasteurs et séden-
taires dont les jihadistes profitent opportunément.
De 5000/4500 av. JC à 2500 av. JC, se produisit un « europoïde ». D’autres représentations de né-
phénomène climatique baptisé Petit Humide (ou groïdes se retrouvent ailleurs au Sahara, mais plus
Humide Néolithique) par les climatologues et les géo- à l’est, notamment au Tibesti et dans l’Ennedi
graphes tropicalistes, et qui donna naissance à la (carte page 9). En règle générale, et en dépit de
grande période pastorale saharienne. Or, il faut nombreuses interférences territoriales, la « fron-
bien voir que cet épisode humide ne fut qu’une tière » entre les peuplements blancs et noirs était à
parenthèse dans un processus d’assèchement conti- l’époque constituée par la zone des 25°-27° paral-
nu qui ne cesse plus jusqu’à nos jours. A cette lèles, sorte de frontière à la fois climatique, écolo-
époque, le Sahara, steppe sub-désertique - et non gique et également « raciale ». Car le « (…)
« verte prairie » comme certains l’écrivent encore Tropique (…) partage en quelque sorte le Sahara
trop souvent-, était parcouru par des groupes d’éle- en deux versants : l’un, où prédominent les Blancs,
veurs « racialement » bien différenciés dont les l’autre, presque entièrement occupé par les
proto-Berbères au nord et les proto-Peul au sud. Noirs. » (Camps 1987 : 50).
L’art rupestre saharien qui est composé de gra- Le front entre ces deux peuples bougea au profit
vures et de peintures, permet de distinguer plu- des proto-Berbères quand, à cette phase humide,
sieurs populations morphotypiquement nettement entre 2500 et 2000-1500 av. J-C, succéda l’Aride post-
identifiables et qui vivaient séparées les unes des néolithique durant lequel se produisit une accéléra-
autres, même quand elles cohabitaient, comme tion de la sécheresse, avec pour conséquence le dé-
dans les régions du Tassili et de l’Acacus. part de la plupart des groupes humains. Dans la
Durant la Période pastorale qui est datée entre partie méridionale du Sahara, les hommes
4500/1000 av. JC, les gravures et surtout les pein- semblent commencer à se replier vers le fleuve
tures permettent ainsi d’identifier deux grands Niger à partir de 2000 av. J-C (Le Quellec,
groupes de population (Muzzolini, 1983, 1986 ; 1998 : 189).
Iliffe, 1997 : 28) :
Les proto-Berbères pénétrèrent alors dans le
- Un groupe leucoderme proto-Berbère occupant Sahara central, notamment au Tassili qui, jusque-
tout le Sahara septentrional (Muzzolini, 1983 et là, était peuplé par les probables ancêtres des Peul.
Smith, 1992a). Plus tard, vers 1500-800 av. J-C, au moment de la
période dite des Equidiens dont le style artistique
- Un groupe mélanoderme non négroïde, proto- est le Caballin, le Sahara était totalement peuplé
Peul établi au sud du premier groupe. Un seul par des Berbères dont l’influence se faisait sentir
groupe négroïde est attesté dans le Sahara central, jusque dans le Sahel comme la toponymie l’at-
exactement dans le Tassili, en pleine zone des teste[1]. Les peintures du Sahara central et
[1] Ainsi le nom de Tombouctou est-il berbère puisque Tin signifie lieu et Tim puits tandis que Bouktou était une reine touareg
qui installait là son campement durant une partie de l’année. Tombouctou signifie donc lieu ou puits de Bouktou. Quand au
nom du fleuve Sénégal, il vient soit de Zénaga pluriel de Z’nagui qui signifie agriculteur en berbère ou bien de Zénata ou
Senhadja qui est l’un des principaux groupes berbères.
Le Macina, partie centrale du pays fut, des décen- autorités locales. Le FLM[1] dénonce ainsi les fa-
nies durant, à la fois négligé par l’Etat malien et milles maraboutiques peul qui combattent le fon-
pillé par ses « corps habillés » (policiers, gen- damentalisme, les familles pastorales héritières de
darmes et douaniers) et ses fonctionnaires. Dans Cheku Ahmadu, le fondateur de la Dîna[2]. Au
les années 2011-2013, la guerre du nord Mali a mois de mai 2015, la destruction des mausolées
permis à ses habitants, notamment peul, de chas- d’Hamdalahi, dont celui de Cheku Ahmadu s’ins-
ser ces prédateurs. De retour dans les fourgons de crit dans ce contexte. Le paradoxe ou la contradic-
l’armée française, les soldats maliens qui accu- tion étant que le FLM se réclame en même temps
saient les Peul d’avoir soutenu les rebelles et les de cette même Dina.
jihadistes nordistes, se sont vengés, pratiquant des En réalité, nous sommes d’abord face à une ré-
exécutions sommaires, violant les femmes, volant volte des « petits » peul qui veulent l’abolition des
le bétail et rackettant les populations. Aujourd’hui droits fonciers traditionnels. Nous sommes en pré-
cantonnées dans quelques postes dont elles ne sence d’une forme de jacquerie religieuse, d’un
sortent guère, les forces armées locales ont aban- conflit entre Peul transhumants et Peul sédentari-
donné la région. sés, les premiers contestant les droits fonciers des
seconds. A cela, s’ajoute la question globale de la
La violence est désormais partout dans le Macina. rivalité des agriculteurs et des pasteurs. Ces mul-
Les multiples conflits qui ensanglantent la région tiples conflits constituent un terreau favorable aux
sont à base foncière et les jihadistes offrent leur jihadistes.
alliance aux Peul afin de les protéger, notamment
durant les transhumances. Désemparé, l’Etat malien a, dans un premier
temps, tente de sous-traiter la question peul du
Le recrutement de certains Peul par les jihadistes Macina à d’autres Peul, à l’image de ce qu’il avait
est favorisé par le problème social qui se pose au fait avec le colonel Ag Gamou et ses touareg
Macina où les individus marginalisés voient dans Imhad contre le MNLA. C’est ainsi qu’en 2016, fut
l’islam jihadiste la revanche contre les aristocraties créé le MDP (Mouvement pour la défense de la pa-
locales. La démarche est identique à celle des Peul trie) par Hama Founa Diallo, un mouvement armé
des XVIIIe et XIXe siècles qui trouvèrent dans peul que Bamako a tenté, sans grand succès, d’uti-
l’islam le levier leur permettant de renverser les liser contre le FLM.
[1] Fondé au mois de janvier 2015 par Hamadou Kouffa, le FLM (Front de libération du Macina) est également connu sous le
nom de Katiba Macina.
[2] Il s’agit de l’empire peul du Macina fondé par Cheku Ahmadu en 1818 et qui fut conquis par El-Hadj Omar en 1868.
Dans la partie malienne de la région dite des Comme si les assaillants qui se revendiquent de
« Trois frontières » (Mali, Niger et Burkina Faso), l’EIGS (Etat islamique dans le grand Sahara), et qui
et plus particulièrement dans la zone de Menaka- sont en très grande majorité des Peul, avaient déci-
Andéramboukan-Ansongo, ainsi que dans le sud dé de pousser ces mêmes sédentaires à fuir la ré-
du Niger, dans la région de Tongo Tongo, nous as- gion. Le but des assaillants semble être de tenter,
sistons depuis deux ans à une succession de mas- par une authentique épuration ethnique, d’inver-
sacres souvent commis d’une manière horrible, et ser, ou du moins de limiter le rapport ethno-
d’attentats contre les populations civiles. Ces actes
politique qui leur est localement très défavorable,
de cruauté n’épargnent ni les femmes, ni les en- et cela, afin de constituer un « territoire peul ». Un
fants. peu comme l’avait fait le FPR dans la partie nord
Certains observateurs considèrent qu’il s’agit là dedu Rwanda en 1992 et 1993 quand il poussa des
l’introduction au Mali de la méthode pratiquée par millions de Hutu à fuir la partie nord du Rwanda
Boko Haram au Nigeria. Cette analyse n’est pas rece-dans laquelle il avait constitué sa base opération-
vable car nous sommes au contraire en présence nelle.
d’un plan très clair d’épuration ethnique. L’objectif de cette campagne d’épuration ethnique
serait donc de donner naissance à un territoire
Si nous étudions de près ces attaques menées peul qui n’existe actuellement nulle part. A la dif-
contre des civils, nous constatons que les victimes férence des Touareg qui disposent d’une terre an-
appartiennent toujours à des ethnies sédentaires. cestral et qui leur est reconnue, les Peul sont
disséminés parmi les autres
populations.
L’émergence politique des Peul s’est faite lentement. Depuis des siècles, ces pasteurs dont les an-
cêtres avaient vécu dans le Sahara suivaient le recul des pâturages provoqué par la sécheresse. Leur
lent mouvement de repli vers le sud les conduisit d’abord au Tekrour et au Fouta Toro, sur les deux
rives du Sénégal, puis au Macina (Mali) et au Fouta Djalon (Guinée). De là, poussant leur bétail
devant eux, ils essaimèrent dans tout l’ouest sahélien, en direction de l’est, leurs éléments les plus
avancés atteignant l’actuelle Centrafrique.
Durant cette première phase, à chaque étape de Comme nous le verrons page 15, le Sahel connut
leur progression, les Peul devaient se faire accep- trois jihad Peul. Celui d’Ousmane (Othman) dan
ter par les sédentaires auxquels ils commençaient Fodio se fit en pays Haoussa en 1804, celui de
par se soumettre. Puis, peu à peu, certains Seku Ahmadou au Macina en 1818, et celui d’El-
groupes, s’imposèrent à ceux qui les avaient Hadj Omar en pays bambara à partir de 1852. De
accueillis, et ils fondèrent alors des Etats. ces jihad, naquirent trois grands califats : celui de
En Guinée, le phénomène est bien connu. C’est ain- Sokoto dans le nord du Nigeria, celui
si qu’au XVIe siècle, des Peul venus du Fouta Toro d’Hamdallahi au Macina et enfin le califat d’el-
commencèrent à s’installer dans le massif du Fouta Hadj Omar.
Djalon, une région de pâturages propice à leur éco-
nomie pastorale. Puis, peu à peu, les indigènes,
Baga, Kissi, Landouma, Limba ou encore Temné « (…) Les Peul, arrivés par petits paquets et pro-
furent balayés ou soumis. gressivement, dans un pays nouveau, se font
d’abord tolérer dans la brousse loin des cultures.
Avant le XVIIIe siècle, les Peul dépendaient des agri- Après des siècles souvent, bien installés, possé-
culteurs animistes dont ils n’étaient que des hôtes to- dant tous les détours des intrigues locales, liés
lérés. Soulevés contre eux au nom de l’islam, ils par mariage aux notables du pays, on les voit
détruisirent leurs royaumes dont ils devinrent les sous un prétexte souvent religieux, s’agglutiner
nouveaux maîtres. Tel fut le cas avec les royaumes instantanément en un parti guerrier, détruire la
bambara de l’actuel Mali. L’islam fut donc pour cer- dynastie nationale, et s’imposer en maîtres à ces
tains Peul, à la fois instrument religieux et politique. paysans qui les ont si longtemps méprisés et
rabroués.
Dans la région péri-tchadique, et notamment en Ainsi naissent des états peuls, petits ou grands :
pays haoussa, les traditions mentionnent l’arrivée Fouta-Djalon, Macina, Dori, Torodi, etc… En
des premiers groupes de Peul à partir du XVe 1804, dans le Gobir, état haoussa situé entre
siècle. Le pays haoussa fut d’ailleurs, semble-t-il Sokoto et Maradi, Ousmane dan Fodio entama
un centre secondaire d’expansion puisque, se dé- une guerre religieuse contre le roi du pays. Après
tachant des groupes qui s’y étaient installés, des fa- quatre ans de lutte, aidé par l’afflux de tous ses
milles ou des clans partirent ensuite pour congénères, il l’emporta et fonda sur les ruines
l’Adamaoua dans le nord du Cameroun actuel, du Gobir l’empire théocratique peul de Sokoto.
cependant que d’autres se mettaient en marche Les circonstances étaient favorables, les Peuls
vers le Moyen-Chari où leurs descendants for- étant déjà très nombreux et bien organisés dans
mèrent le royaume du Baguirmi. tous les pays haoussa, et la révolte gagna les
royaumes voisins qui passèrent vite aux mains
A la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié des assaillants (…) Olivier de Sardan (1982)
du XIXe, le paysage politique de l’ouest africain sa- (Urvoy, 1949 : 96).
hélien fut donc largement remodelé par des éle-
veurs Peul (ou Fulbe) islamisés qui constituèrent La prédation-colonisation des Peul se confondit
de vastes Etats à la suite d’importants avec l’islamisation, paravent d’un projet politique
mouvements inspirés ou justifiés par le jihad. qui était la constitution de sultanats théocratiques.
Les actuels évènements qui, dans le Mali central et dans le nord du Burkina Faso, opposent Peul,
Dogon et Bambara ne sont pas une nouveauté. Ils résultent en effet d’évènements datant de la fin du
XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, quand le paysage politique de l’ouest africain
sahélien fut remodelé en profondeur par des éleveurs Peul qui constituèrent des califats (carte page
14).
Tout commença chez les Peul du Fouta-Toro et du fut également profitable car il réussit à attirer à lui
Fouta-Djalon durant la seconde moitié du XVIIIe une partie des Peul qui nomadisaient alors à
siècle. Puis, au début du XIXe siècle, le mouvement l’ouest du monde haoussa et qui lui fournirent
s’étendit à l’ensemble du Sahel et aux Peul vivant l’appui de leur cavalerie. Ce sont eux qui le procla-
dans le royaume haoussa de Sokoto. mèrent Emir al-Mouminin (guide des croyants), ce
Les premiers Peul islamisés furent ceux du Toro, qui lui permit d’appeler au jihad et de rassembler
dans le nord de l’actuel Sénégal. Leur migration une armée avec laquelle il envahit le pays haoussa.
dans le massif montagneux du Fouta Djalon se fit Ayant conquis les villes de Zaria et de Kano, il fut
aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est de là qu’ils lan- bientôt le maître d’un vaste territoire dont il fit
cèrent le premier jihad conduits par Ibrahim l’Empire de Sokoto, du nom de la capitale qu’il
Sambego Sori et Karamoho Alfa Ba. En 1763 une fonda en 1809. En 1815 il transmit le titre de sultan
coalition des Dialonké et des Malinké les repoussa. de Sokoto à son fils Mohamed Bello.
Un retournement de situation se produisit vers
1770 avec la victoire des Peul conduits par Ibrahim
Sambego Sori qui prit le titre d’Almamy en 1776. Seku Ahmadou
En dehors de celui du Fouta Djalon, il y eut trois Au début du XIXe siècle, les Peul vivant dans les
grands jihad peul. Le premier, celui d’Ousmane royaumes bambara du Kaarta et de Ségou, se sou-
(Othman) dan Fodio qui débuta en 1804 concerna levèrent contre leurs maîtres animistes. Le mouve-
le pays Haoussa. L’actuel Mali fut touché par ceux ment fut lancé par Seku Ahmadou. Né vers 1773,
de Seku Ahmadou au Macina en 1818 et d’El-Hadj il se rendit à Sokoto auprès d’Ousmane dan Fodio,
Omar à partir de 1852. le conquérant peul des principautés haoussa, qui
lui conféra le titre de Cheik, d’où son nom de Seku
Ousmane dan Fodio (Cheikou) Ahmadou. Fort de cette reconnaissance,
il revint vers l’ouest et entreprit de combattre le
C’est dans l’actuel Nigeria que se produisit le pre- Kaarta et le Macina alliés au royaume bambara de
mier jihad, sous la conduite d’Ousmane Dan Fodio Ségou. Le Macina fut battu à la bataille de
(1754-1817). Ce Peul Fulani (synonyme : Fula ou Noukouma au mois de mars 1818.
Fulbé) né dans l’Etat haoussa du Gobir fut porté Poursuivant ses campagnes, en 1819, Seku
par l’idée de construire dans l’Ouest africain une so- Ahmadou s’empara de Djenné et il se donna une
ciété régie selon les préceptes de l’islam tel qu’il capitale, Hamdallahi (louange à Dieu), ville qu’il
lui avait été enseigné au sein de la confrérie fonda en 1820. Dans les années suivantes, il élargit
Qadiriya. ses conquêtes, y englobant Tombouctou ; vers le
Ses débuts furent difficiles car, en 1802, Yunfa, le sud, il les étendit jusqu’à la confluence du Sourou
roi haoussa de Gobir qui avait pourtant suivi ses en- et de la Volta Noire. L’empire peul qu’il constitua
seignements, décida de le chasser et peut-être prit le nom de Macina, sa principale province.
même de le faire assassiner. À l’image du prophète Après sa mort survenue en 1844, Tombouctou se libéra
Mohammed, Ousmane dan Fodio connut alors sa et son fils Ahmadou Seku (1845-1853) lui succéda. Il com-
propre fuite au désert, son Hidjira (Egire). Elle lui battit les Bambara du Saro, région comprise entre Ségou
[1] Déformation du nom de Tekrour. La société toucouleur est composée de douze castes dont une est supérieure, celle des
Toorobbê ou Torodbe.
Nous avons vu dans le numéro du mois d’août pour l’usage de la terre, la région du Middle Belt
2021 de l’Afrique Réelle que les réalités géogra- étant à la fois agricole et pastorale et constituant
phiques, anthropologiques, ethniques, historiques en quelque sorte une frontière géographique entre
et religieuses font de cette région du Middle-Belt un nord sahélien et les savanes arbustives du sud.
une zone hautement crisogène.
Elle constitue en effet une ligne de faille religieuse Depuis 2010, l’Etat du Plateau où est situé le
entre un islam septentrional en pleine expansion et saillant de Jos, et qui est dirigé par des chrétiens,
des christianismes sur la défensive. Nous sommes est devenu une véritable ligne de front ethno-reli-
en présence de la réactivation du front historique gieuse entre Peul Fulani musulmans et Berom
entre sultanats nordistes esclavagistes et popula- chrétiens[1]. La région qui, à la fin du XVIIIe siècle,
tions sédentaires qui, à l’époque précoloniale, subis- résista à la poussée du royaume musulman de
saient leurs raids et qui voient dans les actuelles Sokoto est aujourd’hui le point de repli de milliers
migrations des Peul-Fulani un retour aux temps de chrétiens victimes d’exactions dans le nord.
anciens.
Comme partout ailleurs au Sahel, nous assistons Les attaques systématiques et les enlèvements,
donc à la reprise d’un mouvement historique blo- sont destinés à chasser les ethnies indigènes afin
qué par la colonisation. Il faut en effet bien avoir à d’occuper leurs terres. Selon Paul Robinson direc-
l’esprit qu’à la fin du XIXe siècle, en passe d’être teur de « Release International », les auteurs de ces
subjugués par le puissant califat de Sokoto, les enlèvements et de ces attaques sont des « bergers
Birom et les peuples qui leur sont apparentés peuls » et non des membres de Boko Haram ou de
n’échappèrent alors à la conquête et à l’islamisa- l’ISWAP (Etat islamique Province d’Afrique de
tion que grâce à l’arrivée des Britanniques. l’Ouest) dont les zones d’action sont situées beau-
coup plus au nord. En attaquant les sédentaires
L’actuelle confrontation se produit dans un chrétiens dans région du Middle-Belt, les Peul
contexte de surpopulation qui étouffe le pays et n’ont en effet pas le même objectif que les groupes
qui, au nord, amplifie la péjoration climatique. Car terroristes islamistes, même si, en, réalité, ils leur
nous sommes également en présence d’un conflit préparent le terrain.
[1] Face aux Peul, se dressent les ethnies indigènes. Dans l’Etat du Plateau, ce sont les Berom et les Tarok, dans l’Etat
d’Adamawa, ce sont les Bachama et les Yandang, dans celui de Benue, les Tiv, les Idoma et les Igede. Dans l’Etat de Nasarawa
les Eggon sont ceux qui résistent et dans celui de Taraba, ce sont les Jukun.
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