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Colloque International « Las sociedades fronteirizas del Mediterráneo al Atlántico (ss.

XVI – XVII) »
Madrid : Casa de Vélazquez, 18-20 septembre 2006
FRAMESPA, UMR 5136, Université de Toulouse II,
CHEC, Université de Clermont-Ferrand II
Red Columnaria, Universidad de Murcia
Universidad de Valencia
Casa de Velázquez

L’usage rituel de la Jurema chez les Indigènes du Brésil


colonial et les dynamiques des frontières territoriales du
Nord-Est aux XVII e et XVIIIe siècles
Guilherme Medeiros
Enseignant-chercheur de l’Université Fédérale de la Vallée du São Francisco (Brésil)
Doctorant à l’Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand II (France)
Chercheur au Centre d’Histoire « Espaces et Cultures »

Supported by the Programme Alβan


The European Union Programme of High Level Scholarships for Latin America
[Scholarship n° E04D046747BR]
[Septembre 2006]
L’usage rituel de la Jurema chez les Indigènes du Brésil colonial et les
dynamiques des frontières territoriales du Nord-Est au XVIIIe siècle
Guilherme Medeiros

Ce travail représente une première systématisation des informations recueillies depuis


un an dans des archives brésiliennes, françaises, portugaises et espagnoles, en vue de
l’élaboration de la thèse de doctorat portant sur la thématique des relations inter-ethniques
dans les aldeias (villages missionnaires)1, au Nord-Est du Brésil pendant les XVIIe et XVIIIe
siècles.
La préoccupation initiale a été d’identifier, à partir de la documentation coloniale, des
éléments qui puissent permettre de visualiser des espaces de résistances non-armées au sein de
la société coloniale de l’Amérique Portugaise, tels que la stabilité de traits culturels susceptibles
d’être identifiés comme appartenant aux peuples indigènes, soit dans le cadre du contact avec
des Blancs européens, soit avec des Noirs africains
Il en est ainsi de l’usage rituel de la Jurema, une forme de culte lié à l’usage d’espèces
botaniques (parmi lesquelles l’espèce Mimosa tenuiflora, d’abord appelée Mimosa hostilis Benth.)
pour la préparation d’un breuvage sacré propre à amener l’homme à la perception d’autres
niveaux d’existence avec lesquels communiquer (le “monde des Encantados”, le “monde des
ancêtres”, le “monde des esprits”) et qui a joué le rôle d’élément de liaison et de cohésion du
groupe en général ou du groupe ethnique en particulier, durant les périodes de luttes et de
guerres, depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours.
L’information la plus ancienne que nous ayons actuellement où il est nommément fait
mention de la Jurema, est un document rédigé à Recife en 1739 à l’occasion d’une réunion du
Conseil des Missions (Junta das Missões) du Pernambuco. La principale préoccupation des
représentants de l’Eglise et de l’État, présents à la séance, a été de rechercher les moyens les plus
efficaces de réprimer et d’extirper cette pratique courante à l’intérieur des aldeamentos (villages
missionnaires) de la Paraíba, et considérée par ceux-ci comme « diabolique » et « destructrice »
des « véritables principes » énoncés par le Catholicisme.
L’existence de cette information, que nous considérons à présent comme l’inscription
documentaire la plus ancienne sur l’utilisation de la Jurema parmi les groupes indigènes du
Nord-Est du Brésil, permet de soulever plusieurs questions relatives à ses origines ethniques et
spatiales. Tout d’abord, nous envisageons la possibilité d’une transposition géographique d’une
caractéristique culturelle résultant du déplacement des populations indigènes de l’intérieur
semi-aride vers les zones littorales, par suite de l’expansion coloniale en direction du sertão.
Suite à la transposition géographique, nous observons que ce type de pratique rituelle semble
tirer ses origines d’époques bien antérieures à l’arrivée des colonisateurs européens, ce qui


Supported by the Programme Alβan, the European Union Programme of High Level Scholarships for Latin
America, Scholarship n° E04D046747BR.
1
Aldeia (n. f.) : mot de la langue portugaise qui signifie « village ». Au Brésil cette expression a acquis
progressivement le sens de « village indigène », pour désigner à la fois les établissements originels des différents
peuples Amérindiens et les établissements des « villages missionnaires » créés par les Jésuites depuis le XVIe siècle.
Nous utilisons ici les expressions aldeia et aldeamento sans les traduire, pour désigner les villages missionnaires, en
nous inspirant de l’œuvre de Charlotte de Castelnau-L’Estoile.

2
indique que l’on pourrait s’interroger sur la raison de son apparition dans la documentation
coloniale seulement au XVIIIe siècle.
Pour tenter de répondre à ces interrogations, il faudra nécessairement s’aventurer sur les
chemins tortueux des relations inter-ethniques qui se sont nouées durant les premiers siècles de
l’Amérique Portugaise. Nous nous efforcerons, dans la suite de notre travail, d’aboutir à la
compréhension de quelques contextes qui puissent avoir permis de briser le silence sur son
utilisation dans la documentation coloniale, au sujet de son usage dans cette région et à ce
moment-là.

Frontières géographiques et culturelles durant la période coloniale

Les relations inter-ethniques dans le contexte colonial, entre les peuples indigènes et les
autres groupes cités antérieurement, ont été marquées par des dynamiques qui ont connu des
variations assez considérables selon un éventail qui va de l’alliance et de la collaboration à la
confrontation et à l’extermination. Entre ces deux extrêmes, des recherches plus récentes
commencent à révéler quelques exemples de survivance, de négociation et de réélaboration de
traits culturels des peuples indigènes, comme nous le verrons par la suite.
En ce qui concerne les relations avec les conquérants européens, les alliances établies
depuis les premiers temps – ainsi que les conflits armés – ont été présentés selon une
dichotomie qui a traversé toute l’histoire des contacts euro-indigènes. Profitant des inimitiés et
des guerres entre groupes indigènes rivaux, déjà patentes avant leur arrivée, les colonisateurs
européens les ont utilisées en leur faveur, en s’alliant à l’une des parties en conflit au côté de
laquelle ils combattaient les autres groupes indigènes. C’était non seulement l’occasion
d’étendre les frontières coloniales – en s’appropriant les terres fertiles et les cours d’eau - mais
aussi celle de capturer, parmi les groupes vaincus, une main-d’oeuvre et de la réduire à
l’esclavage.
Dans ce contexte, on ne peut ignorer l’impact considérable causé par le facteur
bactériologique, qui, à partir du transport dans le Nouveau Monde dont ils étaient absents2 de
bactéries et de virus présents dans le Vieux Monde, a été responsable des diminutions
consécutives observées dans la population indigène, même dans les groupes qui se trouvaient
dans la situation d’alliés.
Le long de tout le continent américain, et pas seulement au Brésil, on trouve des
exemples de groupes indigènes qui se sont alliés aux envahisseurs, d’autres qui ont résisté et
combattu les colonisateurs et d’autres encore qui se sont enfuis très loin des fronts de la
colonisation. Ces derniers étaient très souvent les survivants de combats et qui refusaient de se
soumettre, comme l’affirme Marcus Carvalho:

Ceux qui, par choix ou faute d’alternative, ne se sont pas enfuis au loin, ont dû
adopter de nouvelles stratégies de survie. Le résultat est que plusieurs groupes
indigènes, à l’origine indépendants, voire même ennemis, ont fini par s’unir.
Soit ils agissaient ainsi, soit ils disparaissaient. (...) Il y eut, néanmoins, une
coupure profonde avec le passé. Les anciens occupants du territoire conquis
dûrent reconstruire leurs identités, bouleversées par le nouvel ordre/nouveau
désordre3.

2
CARVALHO, Marcus, “Elos Partidos, Elos Tecidos” in ANDRADE, Manuel Correia de (org.), O Mundo que o
português criou, Recife: Massangana/Fundação Joaquim Nabuco, 1998.
3
Idem, ibidem.

3
En ce qui concerne les relations inter-ethniques entre les peuples indigènes et les
peuples africains dans l’Amérique Portugaise, on trouve des dynamiques variables d’une région
à l’autre comme aussi dans le temps. Ainsi, même s’ils ont été déportés d’Afrique au Brésil dans
la condition d’opprimés, comme des marchandises alimentant un mode de production basé
sur la main-d’oeuvre esclave – transplantés sur un nouveau continent, où ils étaient des
étrangers exilés – les Noirs africains ont fréquemment cherché à retrouver leur liberté dans les
vastes étendues intérieures du pays, loin du travail harassant des champs de canne et de la
démonstration de pouvoir imposée par le fouet des contremaîtres. Sur ce territoire de fuite ils
furent nécessairement mis en présence des natifs de ces contrées.
Cependant, qu’ils aient été Indigènes ou Africains ayant représenté l’élément opprimé
dans le processus de colonisation, on trouve au cours des siècles des exemples de collaboration
aussi bien que de conflits entre les deux groupes.
Comme le dit Marcus Carvalho, la documentation coloniale laisse transparaître que le
sort des Indiens comme celui des Africains était intrinsèquement confondu depuis le
commencement, à tel point que les Indigènes ont commencé à être désignés dans la
documentation coloniale par l’expression “Nègres de la terre”, ce qui dénotait l’équivalence de la
condition d’esclaves de chacun des groupes à l’intérieur de l’ordre colonial.
Le symbole le plus important de la résistance africaine dans les Amériques a été, sans
aucun doute, les kilombos4, espaces complexes de re-création sociale, où cohabitaient des
individus provenant d’ethnies différentes. Le kilombo le plus connu au Brésil, localisé dans la
Serra da Barriga5, dans la capitainerie du Pernambuco, occupait un territoire immense et avait
comme capitale Palmares. Le Kilombo dos Palmares couvre une durée de presque un siècle,
jusqu’à sa destruction à la fin du XVIIe siècle, lors des incursions des troupes du pauliste
Domingos Jorge Velho, combattant la résistance acharnée de sa population sous le
commandement du chef Zumbi dos Palmares.
Il est important de souligner que Domingos Jorge Velho avait été appelé dans le Nord-
Est pour faire la guerre aux Indiens tapuias, habitants des “sertões”* semi-arides, qui s’étaient
soulevés contre les colonisateurs portugais après l’expulsion des Hollandais en 1654. La révolte
des Indiens du “sertão” est connue dans la documentation coloniale luso-brésilienne sous la
dénomination de “Guerre des Barbares” (étudiée par Maria Idalina da Cruz Pires6 et Pedro
Puntoni7), l’un des chapitres les plus sanglants de l’histoire des relations entre colonisateurs et
peuples indigènes au Brésil. Cette guerre s’est perpétuée durant toute la seconde moitié du
XVIIe siècle et plusieurs décennies du XVIIIe siècle.
Ces deux épisodes sont des exemples de périodes de conflits, ayant comme toile de fond
les dynamiques de la colonisation où les lois étaient dictées sous la férule de l’oppresseur. Ainsi,
des troupes composées de Noirs, les terços de Henriques, ont participé à des campagnes contre les
tapuias; on trouve, d’un autre côté, la participation de troupes d’Indiens provenant des villages
missionnaires, au service de la Couronne, dans les combats contre le Kilombo dos Palmares.
On peut également discerner un autre signe de la rupture profonde avec le passé pré-
colombien, en ce qui concerne l’univers des peuples indigènes, comme nous l’avons mentionné
ci-dessus, à travers l’identification, dans les sources documentaires luso-brésiliennes, de

4
Lieux où les esclaves africains se réunissaient lorsqu’ils échappaient au joug du colonisateur.
5
Localisée dans l’actuel État d’Alagoas. Le Kilombo dos Palmares, qui s’étendait sur une région beaucoup plus
vaste que cette montagne fut localisé entre les actuels États d’Alagoas et du Pernambuco.
6
PIRES, Maria Idalina da Cruz, “Guerra dos Bárbaros”: resistência indígena e conflitos no Nordeste colonial,
Recife: Fundarpe, 1990.
7
PUNTONI, Pedro, A Guerra dos Bárbaros: povos indígenas e a colonização do sertão do Nordeste do Brasil,
1650-1720, São Paulo: Hucitec; Editora da Universidade de São Paulo, 2002 (Estudos Históricos: 44).

4
l’expression “mocambos dos índios” utilisée pour désigner des groupes indigènes asservis qui, dans
leur fuite et en se regroupant au coeur de la forêt, en venaient à défier l’ordre établi par les
maîtres de la colonie. Cet aspect a été particulièrement étudié par Marcus Carvalho qui nous
apprend que dans la terminologie de l’époque l’expression “mocambo” était synonyme de
“kilombo”, soulignant que même s’il paraissait étrange de parler d’un kilombo qui ne soit pas de
Noirs, les termes employés dans ces documents ne sauraient être plus exacts pour une raison
très simple:

Dans les établissements agricoles et dans les villages il y avait des esclaves indigènes de
diverses origines, qui se considéraient entre eux aussi différents que n’importe quelles
personnes d’ethnies différentes de nos jours. Lorsqu’ils s’enfuyaient et se réunissaient
dans la brousse, ils étaient dans l’impossibilité de recréer une culture unique puisqu’ils
étaient d’origines différentes. À la rigueur, cependant, ils construisaient une nouvelle
société comme le faisaient les Noirs d’origines diverses lorsqu’ils formaient un kilombo.
Mocambos de índios, donc, est un terme assez précis pour rendre compte de cette
situation de reconstitution de racines, de liens entre personnes exploitées,
d’instruments de résistance culturelle et militaire8.

Ces caractéristiques étant mentionnées, elles traceront les perspectives que nous nous
efforcerons d’approfondir : la recherche des espaces de résistance, les permanences et les
créations de nouvelles racines, de nouvelles dynamiques socioculturelles à partir du contact
entre des peuples différents; et cela en prenant l’usage de la Jurema comme objet d’analyse
représentatif de la permanence emblématique de l’ancestralité, dans les processus/espaces
d’interaction par lesquels sont passés les peuples indigènes du Nord-Est au cours des cinq
derniers siècles.
Le thème nous permet de développer les aspects cités, puisque cet usage rituel complexe,
provenant des contextes indigènes les plus profonds, a également inscrit sa marque dans les
contextes métis. D’après Labate et Goulart: “selon quelques analystes, à partir de la
colonisation, avec l’appropriation chrétienne des traditions païennes, se seraient développés de
supposés contextes mixtes – plus ou moins ‘ethniques’, cependant toujours ‘syncrétiques’ – de
consommation des plantes traditionnelles indigènes qui contrariaient chroniqueurs et
missionnaires”9. Il en est ainsi du syncrétisme de l’usage indigène de la Jurema avec la magie
païenne et avec le Catholicisme venu d’Europe, dans le contexte du Catimbó (comme l’attestent
Roger Bastide10 et Câmara Cascudo11), comme de la constatation de la présence de ce breuvage
sacré des indigènes dans les cultes afro-brésiliens (Umbanda e Candomblé)12, ce qu’attestent
également Roberto Motta13 et Clélia Moreira Pinto14.

8
CARVALHO, Marcus, op. cit.
9
LABATE, Beatriz Caiuby, GOULART, Sandra Lucia (orgs.), “Introdução”, O uso ritual das plantas de poder, São
Paulo: Mercado de Letras, 2005.
10
BASTIDE, Roger, « Catimbó » in PRANDI, Reginaldo (org.), Encantaria Brasileira : livro dos mestres, caboclos e
encantados, Rio de Janeiro : Pallas, 2000.
11
CASCUDO, Luiz da Câmara, Meleagro : pesquisa de Catimbó e notas da magia branca no Brasil, Rio de
Janeiro : Agir, 1978.
12
CAPONE, Stefania, La quête de l’Afrique dans le Candomblé : pouvoir et tradition au Brésil, Paris : Karthala,
1999.
13
MOTTA, Roberto, Jurema, (Antologia Pernambucana do Folclore), Recife: Massangana/Fundação Joaquim
Nabuco, 1988.
14
PINTO, Clélia Moreira, Saravá Jurema Sagrada : as várias faces de um culto mediúnico, [dissertação de
mestrado, Antropologia], Recife : Universidade Federal de Pernambuco, 1995.

5
L’information sur l’usage rituelle de la Jurema parmi les indigènes du Brésil colonial

L’approche historique du rituel complexe de la Jurema passe directement par un


nouveau point de vue, une nouvelle approche de la documentation coloniale luso-brésilienne.
Même si les références à son usage proprement dit sont rares, les sources coloniales peuvent
fournir différents indices de permanences culturelles, marques de résistances qui rendent
possible la contextualisation du potentiel de survivance de plusieurs éléments culturels
ethniques. La vie dans la Colonie fut dotée de dynamiques variées selon l’espace et le temps15.
Le territoire, de dimensions continentales, a subi la domination de plusieurs métropoles
coloniales au long des siècles, à l’exemple même du Nord-Est dans sa partie orientale où les
conquérants portugais, français, espagnols et hollandais se sont affrontés et succédés. Le choc et
la succession de ces pouvoirs coloniaux ont généré, sur plusieurs périodes, de vrais vides de
pouvoir et, dans certains cas, l’administration des territoires et des personnes a varié en
fonction de la métropole qui était aux commandes.
La contextualisation des dynamiques frontalières entre les espaces connus et leurs
populations ( déjà “colonisées”), et les espaces et populations encore inconnus ou peu connus,
nous place face à quelques barrières historiographiques difficiles à franchir.
L’une de ces barrières est représentée, dans les sources coloniales, par les références
écrites qui concernent les populations indigènes. Si les récits de voyage et les chroniques de
fonctionnaires royaux et de missionnaires représentent un riche répertoire de la vie et des
coutumes des peuples Tupi de la côte brésilienne, il n’en est pas de même pour ce qui concerne
les peuples du “sertão”.
Cependant, les difficultés à obtenir des informations plus précises sur ces peuples
n’empêchent pas de chercher des itinéraires moins évidents pour tenter de retrouver les traces
possibles du cheminement de la Jurema. Si d’un côté, les dialogues entre l’Anthropologie et
l’Histoire ont permis des avancées dans la mise en oeuvre de nouvelles approches, nous devons
ajouter à cet effort interdisciplinaire les contributions de l’Archéologie susceptibles d’ouvrir à
cette discussion de nouveaux horizons aussi bien chronologiques qu’ interprétatifs.
De cette manière, en reculant encore plus dans le temps, on peut profiter des
informations apportées par l’archéologie à propos des ensembles d’inscriptions graphiques pré-
historiques surtout ceux qui se trouvent dans la zone semi-aride brésilienne. Ceci ne constitue
pas une association facile ni non plus conclusive, cependant il est difficile de rejeter les indices
qu’il y ait eu probablement dans cette région une antiquité pré-historique de la relation entre
les populations originaires et l’élément végétal, dans un sens ritualiste ou religieux.
Dans ce sens, l’élément le plus concret qui peut fonctionner comme anneau de liaison
entre l’usage rituel de la Jurema dans la période coloniale et le passé pré-historique de la région,
sont ce qu’on appelle les “scènes de l’arbre”. Ces scènes sont classées comme appartenant à une
tradition de peinture rupestre – la Tradition Nordeste, qui a été pratiquée de 12 000 à 6 000 ans
avant nos jours, comme l’affirment Niède Guidon16, Anne-Marie Pessis17 et Gabriela Martin18.
Si les peintures rupestres ne permettent pas d’identifier les espèces botaniques
représentées dans les différentes “scènes de l’arbre” – où apparaissent des groupes humains
disposés autour d’un arbre, les bras lévés, comme dans une attitude de vénération, ou dans

15
CARVALHO, Marcus, Liberdade: rotinas e rupturas do escravismo no Recife, 1822-1850, Recife: Ed.
Universitária da UFPE, 2001.
16
GUIDON, Niède, Peintures préhistoriques du Brésil, Paris: ERC, 1991.
17
PESSIS, Anne-Marie, Imagens da Pré-História, Images de la Préhistoie, Images from the Pre-history, Parque
Nacional Serra da Capivara, FUMDHAM / PETROBRAS, 2003.
18
MARTIN, Gabriela, Pré-História do Nordeste do Brasil, 4ª. Ed., Recife: Ed. Universitária da UFPE, 2005.

6
d’autres cas où apparaissent des couples d’humains soutenant au centre une branche ou un
rameau de quelque végétal, ou encore dans d’autres scènes où apparaissent des individus tenant
un rameau de végétal dans une main - les gestes, les mouvements et les attitudes représentées
fournissent des indices de ce que les populations présentes dans cette région durant la
préhistoire possédaient des connaissances et se livraient à des pratiques incluant l’utilisation
d’espèces végétales.
Ces “scènes” ont été représentées sur les parois rocheuses des abris où l’on trouve
également des scènes de chasse, des scènes de guerre, des scènes de sexe et d’autres graphismes
encore, qui montrent quelquefois des animaux, des êtres humains ou des formes géométriques.
Le relief donné aux scènes contenant des éléments végétaux est révélateur de l’importance de
cette relation pour ces populations, puisqu’elles ont été placées à côté des scènes de chasse, de
guerre et de sexe, c’est-à-dire au niveau même des activités essentielles pour la survie de ces
sociétés.
Il est possible de poursuivre un dialogue avec d’autres sciences, de façon un peu plus
transversale, comme c’est le cas en Ethnobiologie, à travers l’Ethnobotanique et
l’Ethnopharmacologie, ou même la psychologie et les sciences médicales, en ce qui concerne les
études de substances psychoactives. C’est ainsi que l’ethnobotaniste Richard Evans Schultes
souligne que

There is ample material proof that narcotics and other psychoactive plants, such as
hallucinogens, were employed in many cultures in both hemispheres thousands of
years ago. The material proof exists in some archaeological specimens of the plants in
contexts indicating magico-religious use and in art forms such as paintings, rock
carvings, golden amulets, ceramic artifacts, stone figurines, and monuments”19.

Cependant, le fait de ne pas pouvoir associer spécifiquement la Jurema aux peintures


rupestres, ne diminue pas son importance pour la contextualisation de son usage rituel par les
populations indigènes, puisque le complexe mythico-religieux de la botanique sacrée de ces
peuples est, encore aujourd’hui, assez vaste.
On trouve plusieurs espèces botaniques possédant le status de “plantes sacrées”, pas
seulement parmi les peuplades indigènes actuelles de la zone semi-aride brésilienne, mais aussi
parmi les paysans métis – les caboclos - qui habitent cette même région. Par exemple, parmi
quelques-unes de ces peuplades indigènes, la cérémonie la plus importante de leur calendrier
religieux, pendant laquelle l’usage de la potion de Jurema joue un rôle fondamental, est appelée
Ouricuri, nom qui désigne un arbre, un palmier (Syagrus coronata) typique de la zone semi-aride,
considéré comme sacré et qui fournit une fibre végétale dont on fabrique les vêtements rituels
ainsi que d’autres ustensiles.
Un autre exemple est celui de l’Umbu (Spondias tuberosa, Arruda), qui joue également un
rôle important dans le cycle des cérémonies de ces peuplades indigènes, comme pour les
Pankararu, où le commencement de la récolte de l’Umbu marque le début du calendrier
religieux annuel. On peut encore citer le Juazeiro (Ziziphus joazeiro, Mart.) et la Imburana
(Commiphora leptophloeos, Mart.), comme espèces botaniques importantes répertoriées dans
l’univers mythico-religieux de ces populations.

19
SCHULTES, Richard Evans, Antiquity of the use of New World Hallucinogens, Integration, vol. 5, pp. 9-18,
1995.

7
Donc, de la même manière que les espèces botaniques populairement connues comme
Jurema (dans la plupart des cas de la famille Leguminosae, sous-famille Mimosoideae)20, ces espèces
que nous avons citées antérieurement sont originaires de la zone semi-aride brésilienne, comme
l’affirment Laure Emperaire21 et Gerda Nickel Maia22. En outre, les “scènes de l’arbre” de la
Tradition Nordeste de la peinture rupestre ont lieu seulement dans la zone semi-aride, soit dans
le sud-est de l’État du Piauí, dans la région du Parc National Serra da Capivara, soit dans le
sertão du Seridó, englobant un espace qui s’étend sur les États de la Paraíba et du Rio Grande
do Norte, ou encore à Xingó, État de Sergipe; dans la Chapada Diamantina, État de Bahia et à
Buíque, État du Pernambuco.
En ce qui concerne la période coloniale, la description de l’usage rituel de la Jurema
figurant dans la documentation de 1739 et 1741, semble indiquer des éléments très proches des
pratiques chamaniques par d’autres peuples indigènes de l’Amérique, avec l’utilisation
d’espèces botaniques également mentionnées depuis la période coloniale jusqu’à nos jours. On
peut citer, parmi d’autres, l’usage rituel de la boisson sacrée appelée Ayahuasca, Yajé ou Caapi –
une association de liane Mariri (Banisteriopsis caapi) et de la feuille de Chacruna (Psychotria
viridis) – ainsi que l’usage du Paricá ou Tabac-à-Priser-des-Indiens (Maquira sclerophylla), tous les
deux dans la forêt amazonienne; l’usage du cactus Peyote (Lophophora williamsii), par les
peuplades indigènes du nord du Mexique et du Sud-ouest des États-Unis et aussi l’usage de
champignons psychoactifs (Amanita muscaria Pers.) par les peuplades indigènes du Mexique, de
l’Amérique Centrale et des Andes avec encore l’usage du cactus San Pedro (Trichocereus
pachanoi), également par les peuplades indigènes des Andes.
Si, d’une part, l’on peut démontrer la forte présence de la Jurema de nos jours parmi les
populations mentionnées, assumant un caractère polysémique dans la mesure où ce terme
désigne à partir d’espèces botaniques, à la fois des divinités indigènes, un breuvage sacré et des
entités spirituelles amerindio-afro-brésiliennes23, par ailleurs, la compréhension du contexte
historique dans lequel fut divulguée cette nouvelle au XVIIIe siècle est révélateur des
dynamiques qui affectaient les frontières géographiques et culturelles de l’Amérique Portugaise.
Outre le procès-verbal de la réunion du Conseil des Missions du Pernambuco, cité
antérieurement, on trouve deux lettres du Gouverneur du Pernambuco adressées au roi et
datées de 1741, qui citent nommément l’usage de la Jurema. Durant la seconde moitié du
siècle, après la mise en place du Directoire des Indiens, en 1757, par le Marquis de Pombal, on
va également trouver une adaptation de cet instrument juridique – initialement destinée à l’État
du Grã-Pará et Maranhão24 – réalisée par le Gouverneur du Pernambuco pour être appliquée à
sa juridiction. Dans les directives du Marquis de Pombal concernant la mise en place du
Directoire, se trouvait celle d’adapter ses articles à chacune des régions de la Colonie, dans la
mesure où les administrateurs le jugeraient pertinent. Dans le cas du Pernambuco, le

20
CAMARGO, Maria Thereza Lemos de Arruda, “Jurema (Mimosa hostilis Benth.) e sua relação com os transes nos
Sistemas de Crenças Afro-Brasileiras”, in MOTA, C. N. da, ALBUQUERQUE, U. P. de, As muitas faces da Jurema: de
espécie botânica à divindade afro-indígena, Recife: Bagaço, 2002.
21
EMPERAIRE, Laure, La Caatinga du sud-est du Piauí, Brésil, étude ethnobotanique, (Mission franco-brésilienne
au Piauí), Mémoire n° 21, Paris : Editions Recherche sur les civilisations, 1983.
22
MAIA, Gerda Nickel, Caatinga: árvores e arbustos e suas utilidades, São Paulo: Leitura & Arte, 2004.
23
MOTA, Clarice Novaes da, “Jurema e identidades: um ensaio sobre a diáspora de uma planta”, pp. 219-239, in
LABATE, Beatriz Caiuby, GOULART, Sandra Lucia (orgs.), O Uso Ritual das Plantas de Poder, Campinas, SP:
Mercado de Letras, 2005.
24
Au XVIIIe siècle l’Amérique Portugaise a été divisée en deux Etats : l’État du Brésil, comprenant toutes les
capitaineries délimitées depuis le XVIe siècle, en incluant les régions de l’ouest de Rio de Janeiro, São Paulo, Minas
Gerais et les frontières avec l’Amérique espagnole (territoires d’abord localisés au-delà du méridien de Tordesillas) ;
et l’État de Grão-Pará et Maranhão, comprenant toute la région nord, c’est à dire l’Amazonie portugaise.

8
Gouverneur consacre une clause spécifique à l’interdiction de l’usage de la Jurema par les
indigènes ou qui que ce soit, ce qui est probablement le reflet des discussions qui avaient eu
lieu au sein du Conseil des Missions depuis le début du siècle, quand elle a été mentionnée
dans le document de 1739. Le fait d’inscrire cette clause contre l’usage de la Jurema est
révélatrice, par ailleurs, de sa forte présence dans cette région.
C’est ainsi que, au cours d’une réunion réalisée à Recife le 16 septembre 1739 –
convoquée par Henrique Luis Pereira Freire de Andrada, gouverneur de la Capitainerie de
Pernambuco et capitaineries annexes – le Conseil des Missions de Pernambuco avait comme
principale préoccupation que “l’on recherchât les moyens précis afin de remédier aux errements qui se
sont introduits parmi les indiens, comme ceux de consommer certaines boissons qu’ils nomment Jurema, par
l’effet desquelles ils sont trompés et victimes d’hallucinations”25.
De cette manière, se trouvait consignée la nouvelle la plus ancienne dont on a
connaissance jusqu’à maintenant, de l’usage rituel de cette boisson emblématique qui a
conservé – au long des siècles et jusqu’à nos jours – une place de choix dans les systèmes de
croyances aussi bien parmi les populations indigènes que les populations métisses dont est
composé le peuple brésilien.
Il est important de souligner, dès lors quelques considérations au sujet des origines
ethniques de l’usage de la Jurema. Si, d’un côté, l’expression “Jurema” est dérivée du tupi “Yú-r-
ema”, qui signifie espinheiro suculento (plante épineuse ou sorte d’aubépine)26, d’un autre côté,
cet usage ne semble pas avoir son origine chez les peuples de langue Tupi, mais, au contraire,
chez les peuples du tronc linguistique Macro-Jê, incluant les Kariri, qui ont été historiquement
appelés “tapuias”, comme s’accordent à l’affirmer Lima, Grünewald et Reesik.
Plus récemment, Gonçalves Lima nous fournit les noms utilisés pour la désignation du
breuvage sacré préparé à partir de la Jurema, parmi quelques peuplades indigènes de la zone
semi-aride : Ajucá (Pankararu), Cotcha-lhá (Fulni-ô) et Veuêka (Xukuru)27.
Il faut bien observer, d’un point de vue méthodologique, que dès le début du XVIIIe
siècle, lorsque cette pratique est révélée au Monde Occidental, cela se fait à travers une expression
en langue Tupi, ce qui démontre l’importance et la dimension qu’eut dans toute l’Amérique
Portugaise, l’usage du “tupi ancien”, qui fut également appelé “langue générale” ou “nheengatu”,
comme nous le verrons plus avant.
Les premiers contacts entre les populations aborigènes et les fronts de la colonisation
européenne s’établirent dans la région Nord-Est du Brésil, dès les débuts du XVIe siècle. Ils ont
très vite déstructuré les différents types d’organisation sociale, politique, économique et
cosmologique de ces populations d’origine. Le fait d’avoir été une des régions où
l’établissement des contacts s’est réalisé le plus tôt, avec la fixation des colons européens et
l’expansion des frontières coloniales, à travers l’implantation de structures urbaines et tous les
éléments qui s’y associent (factoreries, forteresses, villages, moulins à sucre, fermes, missions),
ainsi que par l’adoption de modèles d’activité économique représentés autant par la
monoculture de la canne à sucre que par l’élevage extensif, à partir des foyers les plus expressifs
de l’occupation coloniale – les capitaineries du Pernambuco et de Bahia28 – a provoqué de nos

25
AHU, ACL, CU-015, Cx. 56, D. 4884, 16/09/1739.
26
Selon R. Braga, cité dans ALBUQUERQUE, U. P. de, “A Jurema nas práticas dos descendentes culturais do
Africano no Brasil”, in MOTA, C. N. da, ALBUQUERQUE, U. P. de, op. cit., p. 183.
27
LIMA, Osvaldo Gonçalves de, Observações sobre o “Vinho da Jurema” utilizado pelos índios Pancarú de
Tacaratú (Pernambuco), Separata dos Arquivos do IPA, vol. 4, Recife: Imprensa Oficial, 1946, p. 52 e 53.
28
MEDEIROS, Guilherme, “Les Portugais face aux Français dans la conquête des capitaineries de Pernambuco et d’Itamaracá
au XVIe siècle”, pp. 59-88, in NEIVA, Saulo (org.), La France et le Monde Luso-Brésilien : échanges et
représentations (XVIe-XVIIIe siècles), Clermont-Ferrand: Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005.

9
jours une augmentation du degré de difficulté de l’approche historique des us et coutumes de
ces populations29, puisqu’elles ont été, dans certains cas, exterminées, et dans d’autres
désagrégées et diluées au sein de la population coloniale, avant même qu’on ait eu le temps de
reconnaître leurs caractéristiques sociales et politiques, leurs rituels, leurs langues, en un mot,
leur culture.
Plus récemment, vers la fin du XXe siècle quelques spécialistes des populations indigènes
du Nord-Est, comme Maria Sylvia Porto Alegre, João Pacheco de Oliveira, José Maurício
Andion Arruti, Rodrigo de Azeredo Grünewald, Clarice Novaes da Mota et Edwin Reesink,
pour n’en citer que quelques-uns, s’emploient à élaborer une vision différenciée de cette
prétendue “disparition” des peuples indigènes du Nord-Est, et la mise en oeuvre de cette
relecture est marquée par des rapprochements et des dialogues de plus en plus fréquents et
féconds entre l’Anthropologie et l’ Histoire.
En même temps que ces dialogues interdisciplinaires se développaient en milieu
académique, pendant les décennies quatre-vingt, quatre-vingt dix, des mouvements
d’inspiration nouvelle commençaient à apparaître parmi les populations rurales du Nord-Est,
sous la forme d’une mobilisation de groupes de plus en plus nombreux pour une auto-
affirmation en tant que “peuples indigènes” de reliquats de ces populations, qui se sont mises à
la lutte et à la revendication pour leur droit à être reconnues comme tels par L’État brésilien.
Ainsi, au contraire de l’affirmation catégorique d’un processus historique de “disparition”, on a
assisté dans les dernières années du XXe siècle à un accroissement des populations indigènes au
Nord-Est. Ces mouvements sont aussi bien à l’origine de polémiques que de révisions des
concepts conduisant à l’élaboration de nouveaux paradigmes, susceptibles de faire la lumière
sur ces réalités nouvelles et de les faire entendre.
C’est ainsi que sont progressivement apparus plusieurs termes nouveaux pour désigner
ces populations: on parle de peuples ressurgis, renés, rémanents, résistants. Leur principal caractère
nettement identifié a été celui de populations jusqu’alors considérées comme communautés
rurales composées de citoyens du commun visiblement métis – les soit disant caboclos30 – qui, à
partir d’un moment déterminé, ont commencé à affirmer leur condition indigène.
En ce qui concerne leur auto-identification, ces groupes se sont quelquefois appropriés
des ethnonymes déjà historiquement répertoriés mais qui avaient été considérés comme éteints
; d’autres groupes ont endossé des ethnonymes non historiquement répertoriés. Il arrive que les
uns comme les autres manifestent la conscience d’être le fruit de la jonction de groupes
ethniques variés, réalisée durant la période coloniale, à l’occasion des activités missionnaires.
Parmi les différents ethnonymes, on peut citer: Pankararu, Pankararé, Xukuru, Truká,
Kambiwá, Tuxá, Xocó, Pipipã, Tumbalalá, Tremembé, Okren, Kariri-Xukuru, Kariri-Xocó, Kiriri. On
peut encore ajouter à cette liste: Fulni-ô, Kapinawá, Atikum, Pataxó Hã-Hã-Hãe et Potiguara. Ces
populations sont principalement distribuées dans les États ci-après: Pernambuco, Bahia, Ceará,
Paraíba, Alagoas et Sergipe. La majorité est localisée dans la région semi-aride et plusieurs se
trouvent sur les marges du fleuve São Francisco, au niveau de son cours moyen et sub-moyen.
Parmi les anneaux culturels qui unifient ces populations, on trouve l’expression rituelle
du Toré31 et la Jurema y joue un rôle central comme élément rituel, mythologique et
cosmologique. Ces deux éléments sont présents dans les univers culturels de tous ces peuples,

29
OLIVEIRA, João Pacheco de, “Uma etnologia dos ‘índios misturados’? situação colonial, territorialização e fluxos culturais”,
MANA, 4(1): 47-77, 1998.
30
Caboclo signifie “métis de Blanc et d’Indien; homme du sertão; paysan” (BUENO, Silveira, Dicionário da Língua
Portuguesa, São Paulo: FTD, 2000).
31
Toré : (n. m.) mot probablement d’origine Tupi qui désigne une sorte de rituel comprenant des danses et des
chants et qui est célébré en diverses occasions. Rituel dansé et chanté caractéristique des Amérindiens du Nord-Est.

10
bien que chacun d’eux présente des variations qui leur sont propres et qui fonctionnent comme
marqueurs de frontières, de différenciation entre un groupe spécifique et les autres.
Ces caractéristiques sont actuellement en cours d’étude et les publications scientifiques
deviennent de plus en plus nombreuses concernant ces peuplades principalement parce que
plusieurs recherches académiques sont en train de sortir des murs de l’Université et de gagner le
marché éditorial. Ces importants travaux anthropologiques quoiqu’ils analysent le présent et le
mouvement d’auto-affirmation (ou ethnogenèse, selon certains chercheurs), avancent peu dans
l’étude historique de ces populations. Quelques auteurs se sont attelés avec davantage
d’insistance aux questions historiques, comme Edwin Reesink32 et Rodrigo de Azeredo
Grünewald, dans un ouvrage récemment publié sous le titre “Sujeitos da Jurema e o resgate da
‘ciência do índio’”33 (Sujets de la Jurema et la rançon de la ‘science de l’indien’). Ce dernier
auteur est sur le point d’achever un ouvrage important – réunissant les travaux de plusieurs
chercheurs – qui aborde le Toré des peuples indigènes du Nord-Est comme pilier de la
construction de leurs univers mythiques et religieux34.
À côté des études sur la Jurema dans le contexte actuel proprement indigène, on trouve
également d’importants travaux anthropologiques qui abordent son usage généralement
syncrétisé avec les cultes afro-brésiliens au sein des populations urbaines. C’est le cas de
l’ouvrage de Roberto Motta, intitulé “La Jurema de Recife: religion indo-afro-brésilienne en contexte
urbain”35. D’autres auteurs se joignent à lui qui abordent cet univers syncrétique de la Jurema
comme Roger Bastide36, Maria do Carmo Brandão et Ricardo Rios37, René Vandezande, Clélia
Moreira Pinto et Ulisses Paulino de Albuquerque38.

Les frontières coloniales et les peuples autochtones du Nord-Est aux XVIe et XVIIe siècles

Toujours au XVIe siècle les colonisateurs européens ont commencé à prendre


connaissance de la grande socio-diversité que l’on trouvait de l’autre côté des “murailles du
sertão”, selon une expression de l’époque citée par Pedro Puntoni39. La dichotomie inculquée
par les missionnaires jésuites, de ce que les peuples autochtones du Brésil seraient divisés en
deux grandes matrices culturelles, d’un côté ceux qui parlaient des langues Tupi et Guarani –
très proches l’une de l’autre et présentes sur presque tout le littoral brésilien – et de l’autre,
ceux qui parlaient d’autres langues, arbitrairement englobés dans une même catégorie, que les
locuteurs natifs des langues Tupi eux-mêmes dénommaient Tapuias. Cette dénomination a été
assumée par les colonisateurs et c’est ainsi qu’on la trouve à profusion dans la documentation
coloniale luso-brésilienne.

32
REESINK, Edwin, “Raízes Históricas: a Jurema, Enteógeno e Ritual na história dos povos indígenas do Nordeste”, p. 61-96,
in MOTA, Clarice Novaes da, ALBUQUERQUE, Ulisses Paulino de (org.), As muitas faces da Jurema: de espécie
botânica a divindade afro-indígena, Recife: Bagaço, 2002.
33
In LABATE, Beatriz Caiuby, GOULART, Sandra Lucia (orgs), O Uso Ritual das Plantas de Poder, São Paulo:
FAPESP/Mercado de Letras, 2005.
34
GRÜNEWALD, Rodrigo de Azeredo (org.), Toré: Regime Encantado do índio do Nordeste, Recife: Massangana,
2005.
35
In LABATE, B. C., GOULART, S. L., op. cit.
36
BASTIDE, Roger, “Catimbó”, in PRANDI, Reginaldo, Encantaria Brasileira: o livro dos mestres, caboclos e
encantados, Rio de Janeiro: Pallas, 2001.
37
BRANDÃO, Maria do Carmo, RIOS, Ricardo, “O Catimbó-Jurema do Recife”, in PRANDI, Reginaldo, op. cit.
38
ALBUQUERQUE, Ulisses Paulino de, MOTA, Clarice Novaes da (orgs.), As muitas faces da Jurema: de espécie
botânica a divindade afro-indígena, Recife: Bagaço, 2002.
39
PUNTONI, Pedro, op. cit.

11
Le grand mouvement critique actuel de cette classification – et déjà effectif tout au long
de la seconde moitié du XXe siècle – se réfère à la généralisation, sous la dénomination tapuia,
de familles linguistiques et d’ethnies différentes. Si, d’un côté, la désignation Tupi renvoie à des
définitions ethniques, linguistiques et culturelles, d’un autre côté la désignation tapuia ne
renvoie à aucune catégorie classificatoire, mais seulement a un différence établie par les peuples
de langue Tupi par rapport à leurs voisins et ennemis. L’expression tapuia est un mot d’origine
Tupi qui signifie « barbare », « esclave », ou plus génériquement « peuples de langue
embrouillée ».
Actuellement, l’idée la plus courante sur la classification générale des peuples indigènes
brésiliens inclut la majeure partie des peuples historiquement répertoriés comme “tapuias”
rattachés au tronc linguistique Macro-Jê, avec plusieurs groupes de langues classifiées comme
langues isolées, c’est-à-dire, sans lien avec aucun tronc ou famille connus de nos jours.
Le contact des colonisateurs européens avec les populations autochtones localisées sur le
littoral brésilien, ou plus spécifiquement sur le littoral du Nord-Est oriental (au nord de
l’estuaire du São Francisco jusqu’au cap Saint Roque), qui comprenait alors les capitaineries de
Pernambuco, Itamaracá et Rio Grande, a été assez différencié, bien qu’il se soit agi de peuples
tous de langue Tupi. Dans cette portion du littoral brésilien étaient localisées trois grandes
nations indigènes du tronc Tupi: Caeté, Tabajara et Potiguara.
La distribution spatiale de ces peuples a été répertoriée de la façon suivante par
plusieurs chroniqueurs coloniaux:

• Les Caeté – localisés depuis l’estuaire du São Francisco jusqu’à la ville de Olinda, siège
administratif de la capitainerie du Pernambuco;

• Les Tabajara – localisés aux abords de la ville d’Olinda et s’étendant un peu plus vers le
Nord;

• Les Potiguara – localisés depuis les abords de la ville d’Olinda jusque vers le Nord ; ils
dominaient pratiquement tout le littoral jusqu’à la capitainerie du Ceará. Ils furent les
grands rivaux des Tabajara, avec lesquels ils étaient fréquemment en guerre.

Les Tabajara furent les grands alliés des colonisateurs portugais depuis le début de
l’occupation du territoire de la Capitainerie du Pernambuco. Comme ils étaient les ennemis
historiques des Potiguara, ces derniers furent constamment combattus par les Portugais, y
compris à cause des étroites relations qu’ils ont maintenues pendant presque tout le XVIe siècle
avec les navigateurs, pirates et commerçants français, qui fréquentaient surtout l’estuaire du
fleuve Paraíba et le littoral du Rio Grande40, pour le commerce du bois-brésil (caesalpinia
echinata).
La seconde moitié du XVIe siècle a été marquée par l’occupation plus intense de la
frontière nord de la Capitainerie du Pernambuco, où les colons portugais avançaient avec
l’extension de leurs champs de canne – qui prenaient la place de la couverture végétale
originelle de la Forêt Atlantique – en partant des importants noyaux urbains d’Igarassu et
Goiana, les agglomérations les plus importantes de la capitainerie après Olinda.
Puisque le littoral et la zone de la Forêt Atlantique d’Itamaracá était un territoire des
Potiguara et comme il n’y avait pas d’action colonisatrice effective de la part de son donataire

40
MEDEIROS, Guilherme, op. cit.

12
ou de ses administrateurs41, dans la mesure où la frontière nord du Pernambuco était de plus en
plus occupée par les engenhos (moulins) plusieurs conflits ont été mentionnés entre les colons et
les Potiguara qui ont, à plusieurs reprises, attaqué et détruit les plantations dont ils ont tué les
colons.
Ainsi, plusieurs expéditions ont été envoyées par les donataires du Pernambuco, au
nord de la Capitainerie, pour combattre les Potiguara, mais sans compter sur l’appui d’une
présence plus concrète du système colonial au-delà de sa frontière nord. Ainsi s’engagea un
processus d’intervention de plus en plus accentué, de la part des forces coloniales sises à
Pernambuco à seule fin de combattre les Potiguara et leurs alliés français sur le territoire
d’Itamaracá. La dernière campagne fut engagée dans la décennie 1580, déjà à l’époque de
l’Union Ibérique (1580-1640) lorsque le Portugal, ayant perdu son autonomie face à l’Espagne,
formait avec ce pays un seul et même empire sous la couronne de Philippe II.
En 1585, avec la conquête portugaise de l’estuaire du fleuve Paraíba face aux Potiguara
et à leurs alliés français, où a été fondée l’agglomération de Filipéia de Nossa Senhora das Neves
(actuelle ville de João Pessoa), la portion nord de la baie de Pitimbu est détachée de la
Capitainerie d’Itamaracá et obtient le statut de capitainerie royale, au contraire de celles de
Pernambuco et Itamaracá qui étaient des capitaineries particulières. C’est alors qu’était créée la
capitainerie Royale de la Paraíba, un point de départ pour l’occupation coloniale du cours du
fleuve Paraíba et de tout le littoral depuis l’île d’Itamaracá jusqu’à la Baie de la Traição42, qui
devenait de la sorte sa frontière nord avec la Capitainerie du Rio Grande, autre capitainerie
particulière, donnée à l’origine à João de Barros.
En conséquence de cet important effort qui culmine avec la création de la nouvelle
capitainerie en 1585, plusieurs groupes Potiguara sont réduits à l’esclavage pour le travail dans
les champs de canne à sucre ou regroupés en aldeias par les missionnaires dans les zones de la
Mata Atlântica d’Itamaracá et de la Paraíba, ce qui diminue considérablement les fréquentes
frictions qui les opposaient aux colons portugais sur la frontière nord du Pernambuco.
Cependant, les groupes Potiguara qui demeuraient de l’autre côté de cette frontière coloniale
ont continué à commercer avec les navigateurs et les corsaires français, plus au nord.
Dans la partie sud de la Capitainerie de Pernambuco, les Caeté faisaient grand
commerce du bois-brésil (caesalpina echinata) avec les navigateurs français et ils ont participé à
un épisode qui attira l’attention des colonisateurs, servant de prétexte à la déflagration d’un
violent conflit armé. Après l’installation de l’Évêché de Bahia, en 155143, le premier évêque
Pero Fernandes Sardinha est arrivé à Salvador le 22 juin 1552. Après plusieurs démêlés avec le
Gouverneur-général Duarte da Costa, il retournait à Lisbonne pour exposer au roi les motifs de
son mécontentement lorsque le navire Nossa Senhora da Ajuda, sur lequel il s’était embarqué,
fit naufrage le 15 juin 155644 dans l’estuaire du fleuve Mucuripe, territoire des Caeté (sur le
littoral sud de l’actuel État d’Alagoas). Comme il était d’usage chez les peuples Tupi, qui
pratiquaient l’anthropophagie rituelle, les survivants de l’équipage naufragé, parmi lesquels se
trouvait l’évêque, furent d’abord emprisonnés avant d’être rituellement dévorés.

41
ANDRADE, Manuel Correia de, Itamaracá uma capitania frustrada, Recife: FIDEM – Centro de Estudos de
História e Cultura Municipal - CEHM, (Coleção Tempo Municipal, 20), 1999.
42
Idem, ibidem.
43
Créé par le pape Jules III par la bulle Super specula militantis Ecclesiae, du 25 fevrier 1551.
44
PITTA, Sebastião da Rocha, História da América Portuguesa [1ère. ed. 1730], São Paulo: W. M. Jackson, 1964,
p. 116.

13
La conséquence la plus connue de cet épisode a été la déflagration d’une guerre juste45, de
la part du donataire de la capitainerie de Pernambuco, qui a combattu ce peuple de 1560 à
1565. Cette lutte a été considérée par les colonisateurs comme une “guerre d’extermination”,
sur le modèle d’une croisade contre les infidèles, si indissociable depuis des siècles de l’inclination
ibérique naturelle, et qui représentait en outre l’option la plus facile dans ce contexte
eurocentrique. La guerre fut très cruelle : les Caeté sont même arrivés jusqu’aux portes de la
ville d’Olinda. Cependant, grâce aux renforts envoyés par le Gouvernement-général installé
dans la Capitainerie de Bahia, les Caeté ont été vaincus en 1565 et considérés depuis lors
comme “éteints”.
Gabriel Soares de Sousa lorsqu’il écrivit son Traité descriptif du Brésil en 1587 se réfère à
cet épisode de la guerre contre les Caeté et en vient à citer quelques peuples non-Tupi, comme
les Aimoré, qui habitaient alors le littoral de la capitainerie d’Ilhéus, affirmant que « ces Aimoré
descendent d’autres gentils qu’ils appellent Tapuias »46.
Comme nous avons pu le constater, le chapitre des relations entre colonisateurs et
peuples indigènes fixés sur le littoral du Nord-Est a été caractérisé par des conflits armés, la
soumission aux aldeias missionnaires ou directement par la mise en l’esclavage dans les
plantations de canne. Les peuples Tupi du littoral ont été combattus, exterminés et à d’autres
occasions accueillis comme alliés, mais le bilan de ces relations à la fin du XVIe siècle fait état de
l’acquisition de nombreux guerriers indigènes, enfermés dans les aldeamentos missionnaires,
prêts à combattre au côté des Portugais contre de possibles envahisseurs européens ou contre
des peuples indigènes insoumis47.
Le travail des missionnaires, surtout des Jésuites, dans la construction d’un modèle de
catéchèse appropriée aux Indiens parlant des langues du tronc Tupi, a été à l’origine de l’Art de
la grammaire de la langue la plus utilisée sur la côte du Brésil, ouvrage écrit en 1555 par le père
jésuite José de Anchieta, bien que sa publication n’ait seulement été effective en 1595. La
grammaire de la langue fut un guide linguistique précieux pour les missionnaires chargés de
l’administration des missions religieuses parmi les indigènes. Cette œuvre fut une compilation
du vocabulaire et des formes de plusieurs dialectes et langues du tronc Tupi, donnant naissance
à une nouvelle langue, appelée “langue générale” ou “nheengatu”, employée dans la catéchèse
mais pas seulement. Elle fut largement utilisée, comme véritable langue franche, aussi bien dans
les relations commerciales avec les indigènes que comme langue mère de plusieurs générations
de métis, ou non, nés dans la Colonie. Son usage fut interdit vers le milieu du XVIIIe siècle par
le Marquis de Pombal, alors premier-ministre portugais, qui a imposé l’usage de la langue
portugaise dans toutes les possessions du royaume. Jusqu’à cette époque, l’Amérique Portugaise
était de fait un territoire multilingue.
Au début du XVIIe siècle les peuples Tupi du littoral du Nord-Est oriental étaient déjà
catéchisés et absorbés par le système colonial, c’est-à-dire qu’ils occupaient déjà une place dans
le schéma administratif et de production, même s’ils ont continué à reconstruire leurs identités,

45
La “guerre juste” fut une institution juridique portugaise qui autorisait la guerre contre les peuples qui
n’acceptaient pas de se convertir au christianisme ni de se soumettre à la Couronne. Cette modalité juridique fut
largement utilisée durant toute la période coloniale brésilienne, au détriment de la législation générale qui
interdisait la mise en esclavage et l’oppression des indigènes, et qui existait depuis le XVIe siècle. Elle a fonctionné
dans la pratique comme une “brèche” légale qui a permis au colonisateur de donner libre cours à ses ambitions de
conquête de terres et d’esclaves.
46
SOUSA, Gabriel Soares de, Tratado Descritivo do Brasil em 1587, Recife: Fundação Joaquim Nabuco/Editora
Massangana, 2000, LII (Descobrimentos, 13), p. 41.
47
WILLEKE, Venâncio, “A praxe missionária adotada pelos franciscanos no Brasil – 1585-1619”, in Revista do IAHGP,
vol. XLVI (1961), Recife: Instituto Arqueológico, Histórico e Geográfico Pernambucano, 1967.

14
à pratiquer leurs rituels et leurs coutumes à l’intérieur des missions. Nous ne pouvons pas être
d’accord sur points de vue ethnocentriques qui prédominent dans les milieux académiques et
officiels tout au long des siècles passés et selon lesquels ils auraient simplement “disparu”. Il
nous faut transformer notre manière de voir afin de découvrir les stratégies adoptées,
l’engagement actif dans cette relation entre dominant et dominé. Nous ne pouvons plus
concevoir que ces peuples soient restés passifs, qu’ils n’aient pas réagi de diverses manières à la
domination et à l’oppression. Ce que nous prétendons mettre en relief, c’est la constatation,
par le biais de la documentation coloniale, que plusieurs parmi les peuples indigènes brésiliens
– sinon tous – ne se sont pas laissés simplement modeler par les appareils de l’État et de
l’Église. Ces processus ont été plus complexes, avec absorption par ces populations de ce qui les
intéressait et adaptation à leur manière aux nouvelles interférences. Il est bien évident que cette
relation n’a pas été équilibrée mais on se rend compte que le plateau de la balance a
quelquefois penché en leur faveur.
Les peuples indigènes ont souffert de profondes transformations durant cette période
mais ils firent également leurs choix, à plusieurs reprises, comme sujets actifs dans cette
relation. La résistance silencieuse par les modes de la permanence de caractéristiques
culturelles, par exemple, a représenté une attitude habile et active face au processus de
colonisation, et des attitudes comme celle-ci ont marqué de façon indélébile la formation de la
population brésilienne48.
D’autre part, durant cette même période du début du XVIIe siècle, les groupes qui
habitaient au-delà des “murailles du sertão” n’avaient pas encore de place dans le schéma
colonial. Le XVIIe siècle sera justement la période d’inclusion des tapuias dans le nouvel ordre
établi de l’Amérique Portugaise, à travers des contacts de plus en plus intenses entre les
colonisateurs et ces populations autochtones.
Comme nous l’avons mentionné antérieurement, au XVIe siècle les Portugais avaient
déjà recueilli des informations sur les peuples de l’intérieur du continent.
À la fin du XVIe siècle, les incursions des Portugais en direction du sertão sont devenues
de plus en plus fréquentes, surtout à cause de l’élevage extensif du bétail qui exigeait des espaces
plus vastes, ce qui devenait rare dans la zone de Mata Atlântica de plus en plus envahie par les
champs de canne. La recherche de ces vastes espaces dans le sertão par les éleveurs de bétail a
été, du point de vue de la colonisation, la solution le plus efficace pour le développement d’un
nouveau mode de production sans nuire ni même entraver l’industrie du sucre, déjà établie, sur
l’espace exigu de la frange de la mata. Par ailleurs, ces espaces intérieurs n’étaient pas vides, mais
habités par des peuplades nombreuses et variées de langues et de cultures différentes.
Un des principaux noms associés à cette nouvelle activité a été celui de Garcia d’Avila,
chef de la famille propriétaire de la Casa da Torre, qui a construit un véritable empire à partir
de l’élevage de bétail, exploitant d’énormes étendues de terres, sans nullement tenir compte des
frontières des capitaineries, depuis les abords de Salvador de Bahia jusqu’au coeur des
capitaineries du Pernambuco et du Piauí, y compris en franchissant des barrières naturelles
comme le cours du fleuve São Francisco. Les travailleurs et les esclaves de la Casa da Torre ont
peut-être été parmi les premiers à connaître les réalités de la vie dans le sertão et à nouer des
contacts directs avec les peuples de cette région.
Cependant, on peut affirmer que c’est seulement après l’invasion du Nord-Est du Brésil
par les Hollandais, en 1630, que les relations avec les peuples du sertão sont devenues plus

48
PIRES, Maria Idalina da Cruz, Resitência indígena nos sertões nordestinos no pós-conquista territorial:
legislação, conflito e negociação na vilas pombalinas, 1757-1823, [tese de doutorado], Recife : Programa de Pós-
Graduação em História da Universidade Federal de Pernambuco, 2004.

15
systématiques. La Compagnie Privilégiée des Indes Occidentales, une société commerciale
anonyme fondée par les États Généraux des Provinces-Unies, en 1602, en contrepartie d’un
financement a reçu le monopole du commerce avec les Amériques et la côte occidentale de
l’Afrique. La Compagnie a également obtenu le droit de coloniser ces territoires et d’y installer
des forces militaires. Elle a participé aussi au pillage de territoires coloniaux portugais et
espagnols dans le monde entier.
En 1624 la Compagnie entreprend la première tentative de conquête du Brésil avec
l’invasion de Salvador, alors siège administratif de la Colonie, mais cette tentative fut de courte
durée car les Portugais ont récupéré leur capitale en 1625. Cinq ans plus tard, l’incursion sera
dirigée sur Olinda vaincue par l’armée hollandaise et l’occupation va s’étendre sur vingt-quatre
ans pendant lesquels les Hollandais élargissent leurs conquêtes à tout le Nord-Est, au nord du
fleuve São Francisco.
Puisqu’ils trouvent devant eux les Tupi déjà catéchisés par les missionnaires catholiques
et dont la majeure partie ont participé à la guerre au côté des Portugais, les Hollandais
commencent à établir des contacts avec les tapuias comme stratégie de cooptation de nouveaux
alliés parmi ces peuples qui se trouvaient encore hors de la sphère de la domination portugaise.
Les Hollandais changent le système de l’administration des Indiens par rapport à celui
que pratiquaient les Portugais. Les anciens villages encore existants, probablement avec moins
d’habitants, surtout avec moins d’hommes en armes, ont continué à être d’importants points
d’appui, fournissant la main-d’oeuvre aux villes et agglomérations les plus proches. Comme
pratiquants du protestantisme calviniste, les Hollandais ont basé leurs activités de catéchèse et
d’instruction des Indiens sur la religion réformée.
En ce qui concerne le gouvernement des Indiens, le changement de ligne directrice par
rapport à celle des Portugais a permis la réalisation d’une assemblée qui a marqué
l’historiographie luso-brésilienne par le caractère inédit et même pionnier de l’initiative. Elle a
marqué la différence d’attitude de chacune des métropoles coloniales. En 1645 a été réalisée
dans l’Aldeia Tapessirica, au Pernambuco, une assemblée qui a réuni les représentants de toutes
les aldeias du Brésil hollandais. Il importe d’observer que ces représentants étaient dans leur
grande majorité, indigènes ou descendants d’indigènes, comme l’attestent les noms des
signataires du procès-verbal de cette réunion, traduit du hollandais par Pedro Souto Maior et
publié dans la Revue de l’Institut Archéologique, Historique et Géographique Pernamboucan.
Cette assemblée, convoquée par le gouvernement hollandais sis à Recife, a discuté des
nouveaux paramètres d’organisation pour le gouvernement des Indiens. Les représentants des
aldeias présents à cette occasion ont revendiqué l’implantation, dans les aldeias missionnaires,
du même système administratif que dans n’importe quelle ville coloniale, c’est-à-dire,
l’implantation de conseils municipaux. En d’autres termes, les Indiens ont revendiqué à cette
occasion la gestion de leur propre territoire, au niveau des aldeias, avec le même statut que les
habitants européens de la Colonie, évidemment au sein d’un ordre supérieur sous le
gouvernement des Blancs.
À leur façon, les Hollandais sont entrés en contact et ont négocié avec les chefs des
peuples du sertão (dans la documentation coloniale, ces chefs sont fréquemment désignés
comme principaux et parfois comme rois49), comme les cas des Tarairiu, Jandui et Kariri, parmi
d’autres groupes tapuias. Quelquefois ces peuples ont accepté d’être catéchisés dans une aldeia
missionnaire (d’orientation calviniste, quand il s’agissait des hollandais) et en même temps on
trouve des exemples de groupes qui se sont ralliés et qui ont continué à vivre comme avant.

49
PUNTONI, Pedro, op. cit., p. 158-159.

16
Le fait d’être alliés des Hollandais pendant la période d’occupation du Nord-Est (1630-
1654), a eu comme conséquence, après l’expulsion de ces derniers, l’aggravation des relations
devenues très difficiles avec les Portugais, toujours basées sur la méfiance et le soupçon. Cet
ensemble de motifs a été l’occasion de la déflagration de la “Guerre des Barbares”, mentionnée
antérieurement. Comme nous l’avons dit, ce fut un des chapitres les plus sanglants de l’histoire
des relations entre Européens et Indigènes dans l’Amérique Portugaise. En moins d’un siècle,
plusieurs ethnies ont disparu sans laisser la moindre trace de leur existence, tandis que plusieurs
individus survivants des massacres ont été réduits à l’esclavage et envoyés dans les plantations de
canna à sucre.
Malgré le grand nombre d’ethnies qui ont disparu en peu de temps, on doit prendre en
considération l’importance numérique des individus regroupés par les Portugais dans les aldeias
et réduits en esclavage au cours de ce processus. En d’autres termes, nous voulons attirer
l’attention sur le grand nombre d’individus qui ont survécu à la guerre, malgré les conditions
peu favorables, l’oppression, face à la destruction de leur univers culturel antérieur. Cependant,
c’est à partir de cette survivance que s’est ouvert un nouvel horizon de possibilités d’échanges,
de re-significations, de reconstructions.
C’est à ce moment – et ceci constitue une hypothèse que nous nous efforçons de
confirmer – qu’il pourrait y avoir eu la transmigration de l’usage rituel de la Jurema des sertões
semi-arides vers les environs du littoral et les régions circumvoisines de la Mata Atlântica.
Nous appuyons cette hypothèse sur des évidences qui commencent à se faire jour à
travers la documentation du début du XVIIIe siècle, comme la lettre envoyée le 6 juin 1705 au
Gouverneur du Pernambuco par la reine. Elle y traite d’une dénonciation selon laquelle il y
avait parmi les Indiens des aldeias de la Paraíba « deux rites qui semblaient devoir être évités »,
ajoutant « que cette forme de cérémonie, les Tapuias des missions la pratiquaient également » 50.
La description de ces rites ne fait aucune référence à l’usage de la Jurema mais le dénonciateur
lui-même signale la ressemblance de ces pratiques avec les coutumes des tapuias des missions.
On se trouve là face à l’univers des échanges (transferts de coutumes) et des re-significations.
On trouve une autre référence avec une description identique, dans un arrêt du Conseil des
Missions de Pernambuco, rendu le 8 juillet 1713, notifiant « que l’on veille expressément à ce
que les Tapuias ne suivent pas certains de leurs rites parce qu’ils s’en souviennent mieux que de
leur baptême [chrétien] ». Lorsque fut communiquée la décision royale ordonnant que lesdits
rites fussent réprimés – rappelant qu’il s’agissait d’Indiens des missions, donc sous la tutelle de
la Couronne – le plus surprenant est de lire que « lorsque l’ordre de Sa Majesté fut transmis,
lesdits prélats ont tous répondu que l’exécution de l’arrêt susdit était d’une application
difficile »51.
C’est à la suite de cela que l’on va trouver les informations sur l’usage de la Jurema en
1739 et 1741, également au sein des villages missionnaires de la Paraíba, car c’est au XVIIIe
siècle que vont être peu à peu révélés les us et coutumes de ces peuples, jusqu’alors inconnus
des colonisateurs.
Voici donc les villages missionnaires eux-mêmes, devenus espaces de résistance à travers
des échanges et re-élaborations d’identités, des caractères et des systèmes culturels de valeurs:
une frontière inter-ethnique qui a quelquefois marqué les limites entre les espaces
géographiques, mentaux ou culturels inconnus et connus et qui a également fonctionné,
comme on l’a vu, comme territoire de communication entre des univers culturels et religieux

50
Ordens Régias 1701 - 1706 [OR – 06, Fl. 98]
51
Códices de Coimbra, Faculdade Acre, Lote 07 – Fls. 11, 12, 13.

17
totalement différents. Ce sont des pages de l’histoire qui demandent encore à être écrites, et
même dans certains cas réécrites.

18
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L’auteur:

Guilherme Medeiros est brésilien. Licencié en Histoire par l’Université Fédérale du Pernambuco – UFPE (1998);
maîtrise en Histoire de la Culture soutenue en 2001 dans la même université. Il a travaillé au Laboratoire
d’Archéologie de l’UFPE durant quatre ans (1994-1998) et il y a effectué des recherches sur les pipes de kaolin et sur
les ports durant la période coloniale brésilienne. Il a été coordinateur d’une recherche dans le secteur du
patrimoine culturel immatériel à l’Institut de Planification et d’Appui au Développement Technologique et
Scientifique (2002-2004). Depuis 2004, il est enseignant-chercheur à l’Université Fédérale du Vale do São
Francisco – UNIVASF, pour le cours d’Archéologie et de Préservation Patrimoniale, dont il est également
coordinateur. Il est actuellement doctorant en Histoire et Archéologie à l’Université Blaise Pascal – Clermont-
Ferrand II (France) où il effectue une recherche sur les relations inter-ethniques dans les villages missionnaires de
l’Amérique Portugaise, attaché au Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » de la dite université.

E-mail :
guilherme.medeiros@univasf.edu.br
medeiros118@yahoo.fr

Adresse postale:
UNIVASF – Museu do Homem Americano
São Raimundo Nonato, Piauí, Brésil
CEP. 64770-000

Tel./Fax. :
+55 (89) 3582-2120

Resumo : O uso ritual da Jurema, uma bebida sagrada feita a partir de plantas do mesmo nome (sobretudo Mimosa
tenuiflora, anteriormente chamada Mimosa hostilis Benth.) pelos povos autóctones do Brasil, aparece pela primeira vez
em um documento escrito no Recife, Pernambuco, datado de 1739, que trata do seu uso pelos indígenas das
missões da Paraíba. Sua aparição nas fontes coloniais luso-brasileiras do século XVIII pode indicar novas dinâmicas
socioculturais nas fronteiras colonial do Nordeste. O uso dessa bebida sagrada parece ter suas origens bem
anteriores à chega dos colonizadores, talvez de muitos séculos, assim como podemos destacar sua permanência nos
dias atuais, seja entre os indígenas do Nordeste, como elemento central de suas crenças e cosmogonias, seja entre as
populações rurais e urbanas em contextos religiosos que sincretizam cristianismo e cultos afro-brasileiros.
Procuraremos, aqui, abordar o papel desempenhado pelos aldeamentos missionários na América Portuguesa, como
instituições de fronteira, às vezes como marcos entre espaços conhecidos e desconhecidos dos colonizadores e como
elemento de definição dos territórios das coroas portuguesa e espanhola, mas sobretudo como espaços, elas mesmas,
de comunicação e de trocas entre universos culturais e religiosos completamente diferentes.
Palavras-chave: Jurema – Indígenas do Brasil – História Indígena – Missões no Brasil Colônia – Planta de Poder –
Enteógeno (entheogen)

Résumé : L’usage rituel de la Jurema, en tant que boisson sacrée faite à partir des plantes du même nom (surtout
Mimosa tenuiflora, autrement appelée Mimosa hostilis Benth.) par les peuples autochtones du Brésil, est apparu pour
la première fois dans un document rédigé à Recife, Pernambuco, et daté de 1739, qui traite de son usage par les

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Amérindiens des missions de Paraíba. Son apparition dans les sources coloniales luso-brésiliennes du XVIIIe siècle
peut indiquer de nouvelles dynamiques socioculturelles sur la frontière coloniale du Nordeste. L’usage de cette
boisson sacrée semble avoir des origines bien antérieures à l’arrivée des colonisateurs, peut-être de plusieurs siècles,
et l’on peut aussi signaler sa permanence de nos jours, soit chez les Indigènes du Nordeste, au cœur de leurs
croyances et de leur cosmologie, soit dans les populations rurales et urbaines dans le cadre d’usages religieux qui
mêlent christianisme et cultes afro-brésiliens. On cherchera ici à dégager le rôle joué par les missions catholiques
dans l’Amérique Portugaise coloniale comme institutions de frontière, à la fois comme bornes entre les espaces
connus et inconnus des colonisateurs et comme élément de définition des territoires des couronnes espagnole et
portugaise, mais surtout comme espaces, elles mêmes, de communication et d’échange entre des univers culturels et
religieux totalement différents.
Mots clés : Jurema – Amérindiens du Brésil – Histoire Indigène – Missions au Brésil colonial – Plante Pouvoir –
Enthéogène (entheogen)

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