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LA MAISON ET LE VILLAGE

DANS

QUELQUES TRIBUS DE L'ANTI-ATLAS

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'HABITATION


CHEZ LES BERBÈRES SÉDENTAIRES DU GROUPE CHLEUH
ANDRÉ ADAM

LA MAISON ETLE VILLAGE


DANS

QUELQUES TRIBUS
DE L'A NT I -AT LAS

COLLECTION HESPÉRIS
INSTITUT DES HAUTES-ÉTUDES MAROCAINES

N° XIII 1951
LAROSE, ÉDITEUR, RUE VICTOR-COUSIN, PARIS VE
IN TR0 DUCTI ON

Les tribus dont nous allons étudier les modes d'habitation (maison
et village) sont des tribus de Berbères sédentaires, qui appartiennent
au groupe linguistique de la taselhït. Elles relèvent administrativement
de l'Annexe des Affaires Indigènes de Tafraout (1) (Cercle de Tiznit).
Le territoire qu'elles occupent est situé dans la partie occidentale de
l'Anti-Atlas, à quatre vingt dix kilomètres environ à l'E.-N.E. de Tiznit,
dans une région montagneuse au relief tourmenté, séparée de l'Azaghar de
Tiznit par le massif du Kerdous, et que dominent deux des plus hauts
sommets de l'Anti-Atlas, l'Adrar Lkest et l'Adrar Mqorn, qui culminent
l'un et l'autre à plus de 2.300 mètres.
Ce sont :
—les Ammeln, groupement de taqbïlt-s auquel on accorde parfois le
nom de confédération, bien que son unité géographique et ethnique incon-
testable n'ait jamais été doublée, au moins dans un passé récent, d'unité
politique. Les Ammeln habitent la vallée de l'assif Ammeln, oued inter-
mittent tributaire de l'oued Massat, qui suit au sud le pied de la muraille
semi-circulaire de l'Adrar Lkest. Ils se répartissent en huit fractions ou
taqbïli-s, d'inégale importance, qui sont, en descendant la vallée, de l'est
à l'ouest : Aït Oussim, Afella Wassif, Ida ou Milk, Aït Smayoun, Agouns
(1) Les noms propres, géographiques et ethniques, sont transcrits ici seion l'orthographe administra-
tive habituelle. Nous n'userons de la transcription phonétique que pour ceux qui ne figurent pas sur les
cartes et documents officiels.
Wassif, Tahala qui comporte un mellah de quelques feux, enfin, occupant
la cuvette située au centre de ce demi-cercle, les Aït Tefraout. Le Lkest
sépare les Ammeln, des deux grandes tribus installées sur son versant
nord, les Aït Souab et les Ida ou Gnidif ;
— les Ighchen, taqbïlt homogène, unie dès avant la pacification sous
le commandement d'un amghar et dont le territoire montagneux s'allonge
du nord au sud, entre les Ida ou Semlal et les Amanouz, au sud des Aït
Tehala ;
— les Aït Tesserirt, installés sur un plateau dont le rebord nord, sur-
plombé par l'Adrar Mqorn, domine de façon assez abrupte la cuvette de
Tafraout ; l'unité de leur habitat et son isolement relatif leur ont assuré
de tout temps une certaine unité ethnique et politique ;
— les Igounan habitent les vallées encaissées, de caractère présaharien,
qui descendent du rebord sud du plateau de Tasserirt et dont la réunion
forme le haut assif Tamanart. Ils sont divisés en quatre fractions : Anzern,
Ida ou Yzid, Aït Yssi et Aït Mansour, dont l'histoire politique, très agitée,
est dominée par la présence de la zaouia Naciriya de Timguilcht. Les
ambitions temporelles du marabout de Timguilcht se sont heurtées de
tout temps à l'opposition farouche d'une partie des Igounan ; d'où des
luttes incessantes, jusqu'entre villages d'une même fraction, qui n'ont
pris fin qu'avec la pacification et ont laissé des ruines encore visibles
sur le terrain.
Ces sédentaires sont tous agriculteurs. L'élevage est fort peu déve-
loppé, sauf sur le plateau de Tasserirt où l'altitude maintient, jusqu'au
cœur de l'été, de quoi nourrir des troupeaux de moutons. En Ammeln,
quelques vaches minuscules, nourries à l'étable, pour lesquelles les femmes
vont arracher des herbes aux flancs de la montagne, et qu'on voit, à
l'automne, tirer dans les champs l'antique araire ; quelques moutons, et
surtout des chèvres, friandes de noix d'argan, et qui garnissent d'étranges
groupes noirs les branches tordues des arganiers.
Peu ou pas de blé, sauf dans les terres irriguées, dont la superficie est
très réduite. En terrain «bour », il n'y a que l'orge pour venir dans cette
terre ingrate, brûlée par le soleil, où la roche affleure à chaque instant,
et que la charrue primitive ne peut qu'égratigner. Comme dans l'Anti-
Atlas tout entier, la rareté et surtout l'irrégularité des pluies rendent la
récolte aléatoire. Les années sèches, la terre ne restitue même pas la se-
mence ; la récolte n'est vraiment satisfaisante qu'une année sur cinq
environ. On peut dire que, bon an mal an, ces tribus doivent importer
en moyenne le tiers de leur nourriture.
Comment se procurent-elles les ressources d'appoint nécessaires à
ces achats ? Jadis, à la morte saison, nombre de paysans exploitaient des
filons de cuivre qu'on trouve disséminés un peu partout dans le pays et
dont aucun d'ailleurs n'est assez important pour intéresser l'industrie
moderne. Ontrouve encore ça et là, surtout chez les Amanouz, des galeries
•de mine abandonnées. Onse contentait d'extraire le minerai et de l'envoyer
à fondre à Taroudant ou chez les Inda ou Zal.
Aujourd'hui, ces tribus, comme la plupart des tribus de l'Anti-Atlas,
pratiquent l'émigration temporaire : les hommes vont gagner par leur
travail, dans le Maroc prospère (ce qu'on appelle là-bas «le Gharb ») ce que
la terre de leur patriè leur refuse. Le plus souvent, les Chleuhs louent
leurs bras. On en trouve dans les mines des diverses régions du Maroc,
dans les usines de Casablanca, jusqu'en France et même en Belgique. Les
Ammeln, les Igounan et les Aït Tesserirt, eux, se livrent au commerce pour
lequel ils ont des dons remarquables. Epiciers pour la plupart, ou mar-
chands de tabac, on les retrouve dans toutes les villes de la côte, à Maza-
gan, Casablanca, Rabat, Salé et Tanger, dans les médinas comme dans les
quartiers européens. Associés entre proches parents, rarement avec des
étrangers, ils laissent leur famille au pays (c'est la femme qui cultive
la terre) et gèrent la boutique à tour de rôle.
Avant la guerre, cette alternance jouait sur des périodes assez longues :
un an, dix-huit mois, deux ans. C'est que le voyage était long et coûteux,
les gains modestes. Le «Soussi », comme on l'appelle dans les villes, tra-
vaillait avec acharnement, se nourrissait de peu et se privait de tout
superflu pour envoyer chez lui de maigres subsides. Aujourd'hui, beaucoup
sont riches, quelques-uns très riches (à Casablanca la suprématie écono-
mique des Fassis risque d'être un jour menacée par cette montée des
Chleuhs). L'humble échoppe à participation familiale a fait place à de
véritables petits «trusts »qui groupent un nombre variable de boutiques
tenues par des gérants. L'argent afflue dans ces tribus dont les souks,
même au cours de la terrible année 1945, n'ont jamais manqué de grain.
Les allées et venues entre le «Gharb »et le pays natal se font plus fré-
quentes. Quelques-uns ont leur voiture et viennent chez eux passer les
fêtes. Pour les autres, trois cars hebdomadaires relient Tafraout à Casa-
blanca, un autre Timguilcht à Marrakech. De nombreux camions assurent
le ravitaillement de l'annexe, depuis Agadir et même Casablanca. La
plupart des commerçants laissent encore leur famille au pays. Quelques-
uns cependant, qui ont loué ou acheté un logement près de leur boutique,
emmènent femme et enfants à la ville, au moins pendant une partie de
l'année. Il y en a même qui ont épousé des citadines et qui ne reviennent
en tribu que pour s'occuper des biens qu'ils y conservent. Enfin, je n'évo-
querai que pour mémoire ceux qui, installés à Courbevoie ou à Genne-
villiers, ont épousé des Françaises...
Ce n'est pas le lieu d'exposer en détail cette curieuse économie à deux
branches, dont l'une, la complémentaire,, s'est développée au point de
devenir la principab ; elle mériterait une étude.à elle seule. Mais les géné-
ralités qui précèdent étaient, croyons-nous, nécessaires pour montrer
l'intérêt privilégié que présente l'étude de l'habitation dans ce secteur
lointain du monde berbère. L'Anti-Atlas occidental, pacifié seulement en
1934, a, dans l'ensemble, fort peu évolué depuis cette date et l'on y peut
observer, presque intacts, des modes de vie millénaires. Il n'en est pas de
même chez les tribus de commerçants, depuis longtemps en contact avec
la civilisation urbaine (1). Si la tradition y maintient des positions encore
nombreuses et puissantes, l'évolution y est plus sensible qu'ailleurs et
elle tend à se précipiter depuis la fin de la guerre. Cette particularité se
remarque dans l'habitation. Du sens que prend l'évolution dans cette
zone avancée, peut-être n'est-il pas interdit d'inférer celui qu'elle prendra,
avec un processus plus lent, dans le reste de l'Anti-Atlas.
Nous, étudierons successivement la maison, le mobilier et le village
traditionnels, pour terminer par un aperçu de l'évolution récente dans ces
trois domaines.
I. — LA MAISON
Qu'on n'espère pas trouver ici l'équivalent de ces grandes architectures
berbères qu'a décrites M. Henri Terrasse (2). Leur existence est liée à
(1) Le mouvement d'émigration est antérieur non seulement à la pacification (on sait qu'une part de
l'argent gagné dans les villes grâce à la paix Makhzen servait à acheter des armes pour la dissidence), mais
encore à l'établissement du Protectorat. Il a commencé à peu près avec le siècle.
(2) Henri TERRASSE,Kasbas berbères de l'Atlas et des oasis. Les grandes architectures du Sud Marocain,
Paris, 1938. 1. - .... 1
certaines conditions politiques et sociales qui, nous aurons l'occasion d'y
revenir plus loin, ne se rencontrent pas dans l'Anti-Atlas. De plus, Am-
- meln et Igounan semblent moins doués pour l'art que pour le commerce.
L'indéniable beauté de certains villages est due au paysage et à la lumière
plus qu'au génie des maîtres-maçons. Mais, du point de vue de l'ethno-
graphe et du sociologue, qui est le nôtre ici, l'habitation la plus défavo-
risée sous le rapport de l'esthétique n'offre pas moins d'intérêt que les
chefs-d'œuvre de l'architecture.
Notons d'abord que les tribus qui nous occupent ignorent complètement
l'usage de la tente et même de la nouala. Le fait vaut qu'on le souligne
car il n'est pas si fréquent qu'on pourrait le croire dans l'ensemble du
Maroc. M. Emile Laoust a relevé dans l'habitation des transhumants du
Maroc central (1) les traces évidentes d'un nomadisme pourtant oublié.
Dans les plaines atlantiques elles-mêmes, où la culture règne aujourd'hui,
la t e n t e e t la n o u a l a d e m e u r e n t le t y p e d ' a b r i le plus r é p a n d u (2). Les
B e r b è r e s de l ' A n t i - A t l a s , eux, ne c o n n a i s s e n t q u e l ' h a b i t a t i o n c o n s t r u i t e
en d u r . A g r i c u l t e u r s e t n o n p a s t e u r s , l e u r s é d e n t a r i s a t i o n r e m o n t e sans
d o u t e à u n e é p o q u e a n t é r i e u r e a u x sources h i s t o r i q u e s d o n t n o u s disposons.
L a m a i s o n ne p o r t e p a s d ' a u t r e n o m q u e tigemmi (3). Les m o t s igerm,
tigremt et taddart qui, dans le Maroc central (4), désignent respectivement
le village fortifié ou qsar, la maison fortifiée et le gourbi du pauvre, sont
connus ici mais inusités, à l'exception de laddart qui désigne bien un logis,
mais celui des abeilles, le rucher.
M. Laoust a noté, dans la région de Demnat, le terme ibergemmi qui se
d i t d ' u n e g r a n d e m a i s o n (5). Les A m m e l n l ' i g n o r e n t m a i s e m p l o i e n t liber-
gemmit, f o r m e f é m i n i n e et d i m i n u t i v e d u p r é c é d e n t , a v e c u n sens i r o n i q u e
et m é p r i s a n t , a n a l o g u e à celui de « b i c o q u e » d a n s le f r a n ç a i s familier.

(1) E. LAOUST, L'Habitation chez les transhumants du Maroc central, Coll. « Ilespéris », n° VI, Paris,
1935.
(2) Si l'on rapproche ce fait des mouvements de populations ou tout au moins des poussées ethniques
qui se faisaient encore sentir au début du siècle dans le Moyen-Atlas, ne sera-t-on pas tenté de considérer
le Maroc non comme un pays d'agriculteurs (de «paysans »au sens strict du terme) mais comme un pays
de pasteurs, que l'installation des cadres rigides d'un Etat moderne a saisi, pour ainsi dire, en pleine mou-
vance et à un stade de sédentarisation relativement peu avancé ? Je ne peux ici que poser la question.
(3) Le&.,motsberbères sont transcrits selon la méthode recommandée par l'Institut des Hautes Etudes
Marocaines. Ne prétendant pas faire œuvre de dialectologue, j'ai voulu cette transcription aussi simple
que possible et laissé de côté les.particularités phonétiques, qui varient souvent d'une taqbilt à l'autre.
Je tiens à remercier ici M. A. Roux, directeur d'études de berbère à l'Institut des Hautes Etudes
Marocaines, qui a bien voulu revoir ma transcription.
(4) Cf. E. LAOUST, op. laud.
(5) E. LAOUST, Mots et choses berbères, Paris, 1920 (p. 1).
L'usage d'un terme unique correspond d'ailleurs à l'uniformité des
maisons : toutes se ressemblent et la différence n'est pas grande entre la
maison du riche et la maison du pauvre. C'est que naguère les fortunes,
fondées sur la terre, n'offraient que des écarts, minimes. Et surtout la
taqbllt était restée une petite république jalousement égalitaire : à la
différence du Grand Atlas, l'Anti-Atlas occidental n'a pas vu naître le
pouvoir personnel ni s'élever ces imgaren dont la puissance s'est affirmée
par la construction de maisons-forteresses (l).
On peut classer l'habitation selon les trois modes de construction pra-
tiqués dans le pays : pierre sèche, pierre et mortier, pisé. Leur emploi
obéit à une répartition géographique assez nette : pierre sèche en Ighchen
et Tasserirt, mortier en Ammeln, pisé chez les Igounan. Il n'en faut pas
chercher la raison dans la présence ou l'absence de matériaux : la pierre
de construction abonde chez les Igounan. La pierre sèche semble répondre,
d'une part aux nécessités d'un climat froid et rude : plateau de Tasserirt,
partie sud des Ighchen, et d'autre part, aux exigences modestes d'une
population pauvre et peu évoluée : les Ighchen du Sud fournissent très
peu à l'émigration, à la, différence de ceux du Nord, qui, comme leurs
voisins Aït Tehala, s'adonnent au commerce et usent de mortier dans
leurs constructions ; quant aux Aït Tesserirt, s'ils n'ont guère de villages
aujourd'hui qui ne comptent une proportion appréciable de commerçants,
le fait est récent, car ils s'y sont mis après les Ammeln et à leur imitation.
La logique voudrait que nous commencions par l'architecture de pierre
sèche qui paraît la plus primitive et la plus probablement autochtone. Il
nous a semblé préférable d'étudier en premier lieu la maison en pierre et
mortier, dont le plan plus simple et, pour ainsi dire, plus classique nous
permettra d'exposer plus aisément, sans redites inutiles, les éléments
communs aux trois catégories.
La pierre et le mortier règnent de façon à peu près exclusive en Ammeln.
On rencontre bien, de ci de là, des murettes en pierre sèche pour délimiter
un champ ou enclore un verger. L'usage du pisé commence à s'introduire
également pour les constructions légères : murs de clôture élevés, pièce
supplémentaire ajoutée sur une terrasse, etc., parce que le procédé est
plus rapide et moins onéreux que la pierre. Mais les ouvriers du pays
(1) Cf. Robert MONTAGNE, Les Berbères et le Makhxen dans le Sud du Maroc, Paris, 1930 (livre III).
ne le connaissent pas et l'on fait venir pour ces travaux des maçons des
Issafen.
La pierre (azru) abonde dans la vallée de l'assif Ammeln où les vil-
lages sont presque tous étagés sur les premières pentes du Lkest. La frac-
tion des Aït Tefraout, elle, trouve à pied d'œuvre un matériau de choix :
d'énormes roches de granit aux formes arrondies, dont l'entassement
chaotique donne au site une sauvage grandeur. Il suffit au maçon d'entamer
le roc à coups de pic à proximité de l'endroit où il va construire. Il n'est
pas rare, dans certains villages comme Tazekka, Adaye, Imi-Ane, perchés
sur ces amoncellements pittoresques, de voir un pan de rocher à peu près
vertical servir de mur à l'un des côtés d'une maison.
Le mortier (tallagt) est fait d'un mélange de terre grise (akiil) et de
gravier. Le mélange de terre et de chaux (Ijïr) connu sous le nom de
Ibegli et dont l'usage commence à se répandre dans le pays n'était pas
employé autrefois en raison du prix élevé de la chaux qu'il faut faire
venir d'Agadir Izri, petite fraction des Aït 'Abdallah ou Sa'ïd enclavée
dans la tribu des Aït Herbil, à soixante kilomètres au sud.
Le mur (agriib), une fois terminé, est revêtu d'un enduit (tabellutt) de
couleur ocre obtenu en délayant dans l'eau un mélange de terre grise
(akiil) et de terre rouge (tazwagl).
Les maisons avaient autrefois, beaucoup ont encore cette teinte uni-
forme. Aujourd'hui, les gens aisés, particulièrement chez les Aït Tefraout,
aiment à la rehausser de bandes blanches, à la chaux, qui soulignent les
traits principaux de l'architecture : rebord inférieur de la terrasse, angle
vertical des murs, encadrement des ouvertures, créneaux des tours le
cas échéant, et même les gouttières. Il fut un temps où le bandeau hori-
zontal était lui-même orné de motifs géométriques simples (souvent une
rangée de losanges) peints en rouge. Ces dessins nommés tahwllalt, plur.
iihwllalin, étaient obtenus avec une pierre rouge (asgû) (1) réduite en
poudre et délayée dans l'eau. La mode en a passé ; on n'en trouve plus
que des traces à demi effacées sur quelques vieux murs.
Il est rare que la maison se présente seule et nue. Elle est presque tou-
jours entourée ou flanquée d'un enclos (agelluy), qui tantôt s'étend aux
proportions d'un jardin, tantôt se réduit à n'être qu'une sorte de vestibule
(1) Sorte de minerai de fer très siliceux, provenant de la décomposition des dolérites.
à ciel ouvert. Cet espace, clos jadis d'épines de jujubier sauvage (azeggwar),
l'est presque toujours à présent par un mur, quelquefois en pierre, de
plus en plus souvent en pisé.
Dans cet enclos, grand ou petit, on trouvait presque toujours., autrefois,
un tas de fumier. On le relègue à présent dans les jardins ou les vergers.
Près de la porte, un four à pain (tajernut) en terre, de forme hémisphé-
rique ; quelquefois aussi une sorte de mortier (asgerd, asugwerd) fait de
quelques pierres dressées en cercle et dans lequel on gâche la chaux pour la
réfection périodique des enduits extérieurs.
Regardons la maison du dehors, avant d'y pénétrer.
Sa hauteur est variable : un étage (tisekki) au moins, souvent deux,
rarement trois. La maison sans étage est rare, nous verrons pourquoi
tout à l'heure. Les murs, surtout si l'édifice est haut, sont légèrement
inclinés.
Le plan de la maison, quand il n'a pas été altéré par des agrandissements
ou des constructions rapportées, a, en général, la forme d'un carré. Dans
certains villages des Aït Tefraout, comme Tazekka et Imi-Ane, on trouve
quelques pans de mur arrondis. Le fait est rare dans l'architecture berbère.
Les deux villages que je viens de citer sont juchés sur des amoncellements
de rochers, et je crois qu'il faut attribuer cette particularité dans la cons-
truction à la difficulté de respecter un plan géométrique sur un sol inégal,
où les surfaces planes sont exiguës. Il arrive même, comme je l'ai dit,
qu'un bloc de granit serve de mur et sa forme arrondie a pu donner à
l'architecte l'idée de terminer avec le mur construit la courbe amorcée
par la nature.
Les ouvertures sont rares, leurs dimensions réduites. Ce n'étaient autre-
fois que des meurtrières (esskel, pl. esskul), effectivement destinées à
la défense du logis, et qu'on se gardait bien d'entourer, comme aujourd'hui,
d'une bande blanche à la chaux, de peur de fournir au tireur adverse un
but trop nettement circonscrit. Cesont à présent de toutes petites fenêtres
(tarrihtt, pl. tarribin), closes par un contrevent en bois (taggurt), ce qui,
en hiver, condamne les habitants à l'obscurité ou au froid.
L'un des côtés de la maison est en général rayé dans le sens vertical
par une longue traînée blanche : c'est la gouttière (lmizab) passée à la
chaux, qui sert à l'évacuation des eaux de pluie recueillies sur la terrasse,
ainsi que des eaux usées.
PI. 1

FIG. 1. —Type de maison dans un village de Tafraout, perchée sur des


amoncellements de blocs de granit. Tour surmontée de créneaux décoratifs.
Bandeaux à la chaux Petites fenêtres cernées de chaux. (Cliché de l'auteur )
ACHEVÉ D'IMPRIMER
LE 31 MARS 1952 !

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