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Journal de la Société des

Africanistes

Notes sur les noms et les lignages chez les Ṣabẹ́ (République du
Dahomey)
Montserrat Palau-Marti

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Palau-Marti Montserrat. Notes sur les noms et les lignages chez les Ṣabẹ́ (République du Dahomey). In: Journal de la Société
des Africanistes, 1968, tome 38, fascicule 1. pp. 59-88;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1968.1430

https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1968_num_38_1_1430

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NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES
CHEZ LES SABE1

(République du Dahomey)

PAR
MONTSERRAT PALAU-MARTI

L'ancien pays sabé correspond à peu près à l'actuelle sous-préfecture de Savé, dans le
département du centre de la République du Dahomey. Savé, la capitale traditionnelle,
et chef-lieu de la sous-préfecture, compte 8 ooo habitants, environ ; elle se trouve à 265 km
de la côte, sur la route qui va de Cotonou à Niamey (en passant par Bohicon, Dassa-Zoumé,
Savé, Tchaourou, Parakou, etc.). La ligne de chemin de fer Cotonou-Parakou passe
également à Savé.
La sous-préfecture de Savé compte 36 000 habitants environ, d'après les derniers
recensements ; la capitale, qui groupe presque 8 000 personnes, est l'agglomération la plus
importante. Viennent ensuite les villages de Kilibo et de Kabwa, avec 2 500 et 1 650 habitants,
respectivement 2.
Dans la région sabç, se trouvent des villages non sab£, peuplés de Mahi, Fon et Asanti.
Dans un recensement de l'année 1952, on dénombre, sur un total de 25 000 habitants pour
l'ensemble de la sous-préfecture (qu'on appelait subdivision, à l'époque), 7 000 Mahi et

1. Notation phonétique :
Les termes sabé et yoruba ont été transcrits suivant les règles habituelles (cf. le Dictionnaire yoruba ď Abraham)
que nous résumons brièvement à la suite :
Chaque lettre représente, d'une minière générale, un son lequel correspond, à peu près, au son français indiqué par
la même lettre ; il y a lieu de préciser toutefois la valeur d'un certain nombre de lettres (par rapport à la graphie
française, bien entendu) ;
m = ou
j = dj
p = kp
un point placé au-dessous de e ou 0 (e, 0) signifie qu'il s'agit de voyelles ouvertes {le e est, soit fermé soit ouvert, mais
jamais muet)
y =z % mouillé
w — semi-voyelle (comme dans ouate).
s = tch
les nasales m, n impliquent une plus ou moins grande nasalisation de la voyelle qui les précède.
Dans la mesure du possible, les tons (hauteur musicale) ont été notés, suivant les normes du yoruba standard ; ainsi,
l'accent aigu correspond à un ton haut, l'accent grave à un ton bas, le ton moyen étant indiqué par l'absence d'accent
(il n'y avait pas lieu d'indiquer les tons modulés, dans un travail non linguistique).
2. La Direction du Service de la Statistique du Dahomey nous a aimablement communiqué les chiffres les plus
récents ; nous tenons à lui exprimer nos remerciements.
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382 Fon (dans le canton de Wesé, à l'ouest) et 764 Asanti (dans le canton de Kilibo, au
nord) ; 16 536 personnes sont inscrites comme Nago г et Ifé. P. Mercier, dans son texte
introductif à la « Carte ethno-démographique », signalait, à la même époque, un total de
15 000 Sabç proprement dits, dans la sous-préfecture (outre les éléments mahi, fon, asanti
— dits Gbas£n — ainsi que quelques Peul).
La population sab£ proprement dite peut être évaluée à 28 000 âmes, actuellement,
compte non tenu des groupes manigri et mokolé qui, cependant, leur restent très proches.
Il semble que les chiffres de population soient aujourd'hui très faibles, par rapport à
d'autres époques. L'administrateur P. Marty, qui nous a laissé quelques brèves notes sur
les Sab£, vers 1924, écrivait : « Quant à Savé, d'après les chroniqueurs dahoméens, elle
fut surtout un centre commercial. Située à un nœud de routes important, elle est comparée
par eux au ficus « dont l'ombre se développe immense, et est favorable au repos des
caravaniers, mais aussi dont les branches sont très cassantes et résistent mal aux tourmentes ».
Et de fait, le royaume de Savé grandit outre mesure. Son territoire resserré entre l'Ocpara
et rOuémé n'empiéta jamais sur les pays bariba. Il comprit pourtant des centres extra-
ordinairement peuplés, tels que Savé avec 80 000 habitants ; Kémé [Kémon], 40 000
habitants ; Kokoro, Toui, Tchaourou et Ouécé [Wesé], 20 000 chacun.
« Personne n'a gardé le souvenir d'expéditions guerrières entreprises par les gens de Savé.
Ce royaume se développa dans la paix à une époque où les peuplades voisines étaient sans
puissance ; mais quand celles-ci furent devenues assez fortes, il eut à supporter leurs
attaques. Alors le « ficus immense se vit arracher les branches ».
« Ce furent d'abord les Peul d'Ilorin qui le ravagèrent ; puis vinrent des guerriers des
environs d'Ibadan, conduits par un nommé Kounoumi 2 ; en une seule fois, ils emmenèrent
en captivité 40 000 habitants de Savé même ; dans d'autres expéditions, ils détruisirent
presque complètement Kaboy [Kabwa], Kémo [Kémon], Kokoro, Toui et Tchaourou.
« Désormais les rois de Savé furent sans forces. Aussi, n'essayèrent-ils plus de résister aux
invasions. Quand les Egba d'Abéokuta parurent à leur tour devant Savé, ils trouvèrent la
ville déserte ; ses habitants s'étaient réfugiés sur le dôme de granit, proche d'Inatchabé
[ïna Sabç] ; ils y restèrent trois ans.
« Malgré toutes ces guerres malheureuses, le royaume de Savé avait pu conserver son
indépendance ; il la perdit en une seule expédition, entreprise contre lui par Glé-Glé
[Glèlè, 1856-1889], roi d'Abomey» (p. 143-144).
Dans cette longue liste noire que dresse l'administrateur Marty, ne sont pas encore
citées les luttes qui opposèrent quelquefois les Sab£ aux Bariba, ni la première que le
Danhomé 8 mena contre le royaume sabç", du temps du roi Gézo, père et prédécesseur de
Glèlè. Gézo, qui occupa le trône d'Abomey de 1818 à 1856, détruisit « cent quarante-trois
villages de la région de Chabè », d'après le Père Mouléro, natif de la région (p. 67) ; les pertes
en vies humaines — morts et captifs — ne sont pas dénombrées *. Quant aux Peul, contrai-

1. On ne connaît pas l'origine exacte du terme Nago ; dans tous les cas, les Fon appellent ainsi les yorubaphones
du Dahomey en général (les Sabé parlent une variété de yoruba), en réservant le terme Yoruba pour les gens de
la même ethnie qui habitent la Nigeria ; l'administration française suivait le même usage.
2. Kurunmi, d'après la forme adoptée par le Pasteur Johnson (cf. Histoire des Yoruba).
3. J'écris Danhomé pour désigner l'ancien royaume des Fôn qui avait Abomey pour capitale ; on rencontre cette
leçon, non dépourvue de fondement linguistique, dans divers écrits. Je réserve ainsi la forme Dahomey pour évoquer
l'actuelle République de ce nom, qui, outre le Danhomé, comprend les pays sabé, kétu, bariba, etc.
4. La capture d'esclaves fut sans doute le principal mobile des très nombreuses campagnes entreprises par le
Danhomé, au cours des xviii8 et xixe siècles, notamment après l'occupation des régions d'Allada et Wydah (1724-
28), ce qui permit aux FÔn d'établir un contact direct avec les trafiquants européens qui fréquentaient la côte. Si,
de la sorte, un nombre respectable d'hommes et de femmes furent emmenés dans les Amériques, d'autres étaient
conservés par le roi du Danhomé, pour le travail servile dans ses plantations, ou pour être « envoyés » servir ses
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 6l
rement à ce qui est dit dans le texte cité, il ne semble pas qu'ils aient jamais attaqué le
territoire des Sabç, bien que les guerriers des deux ethnies durent s'affronter à la célèbre
bataille d'Ilorin, en 1830. Les Peul qui s'étaient taillé un bel empire et avaient déjà mordu
dans les possessions d'Oyo (Ilorin, entre autres) se montraient toujours aussi dangereux.
L'Alafin (roi) d'Oyo fit appel à ses alliés ; le roi des Bariba de Nikki vola à son secours et
des éléments sab£ purent se joindre à l'expédition. L'avance peul ne fut pas enrayée pour
autant, et les rois d'Oyo et de Nikki perdirent la vie à Ilorin.
La série de désastres qui en moins d'un siècle secoua le pays sab£ aurait pu effacer cette
population de l'histoire, pour toujours. Mais, en dépit de tout, les Sabç purent se ressaisir
et se réorganiser. Lorsque les Français arrivèrent, en 1894, la royauté avait été, depuis
longtemps, restaurée ; elle a pu survivre, à travers les vicissitudes, à la période
d'administration européenne avec une interruption de quelques années, cependant. L'avant-dernier
Kabiyesi (roi) mort récemment a un successeur en la personne de Woru Kola Wolé, de la
famille Ifáa1.

Éléments d'histoire.
Les Sabç se situent sur une bande de quelques 200 km de longueur, entre les 8e et 9e
parallèles nord, sur la partie est du moyen Dahomey. Quelques village sabç1 se trouvent sur la
rive gauche de l'Okpara, et, par conséquent, en territoire de la Nigeria, puisque, durant
une partie de son cours, la rivière Okpara constitue la frontière entre le Dahomey et l'État
voisin.
Avec les Idaisa 2 et les Kétu, les Sabç représentent les groupes yorubaphones les plus
importants du Dahomey. Au sud-est des Sab£ se trouvent les Kétu, séparés par des zones
pratiquement inhabitées. Au sud-ouest, les Sabç limitent avec les Idaisa dont la capitale
Dassa Zoumé se trouve à une cinquantaine de kilomètres de Savé. Les petits groupes ife et
bantç restent plus à l'ouest, et les Manigri vivent au nord des Bante. Au nord, les Sabç
se trouvent en contact avec les Bariba 3 qui sont relativement nombreux à Tchaourou,
village considéré sabç, cependant. Les Sabç, bien que parlant une langue différente, gardent
des attaches étroites avec les Bariba et se considèrent de même lointaine origine.
Le groupe mokolé, cité plus haut, compte 5 000 personnes, environ ; il occupe une petite
région au N-E de Nikki, en plein pays bariba ; très marqués par les influences environnantes,
les Mokolé semblent bien constituer un petit groupe sab£ isolé ; il serait intéressant de
pouvoir mener une enquête approfondie auprès de ce petit groupe, ce qui pourrait
contribuer à clarifier l'histoire des lignages sab£, et du royaume, en général. J. Lombard suppose
que les Mokolé sont installés dans leur territoire actuel depeuis le xve siècle, au moins.
Pour ce qui a trait au pays sabç propre, il paraît improbable de démêler quelque élément
historique valable remontant aussi loin dans le passé. La période tragiquement
mouvementée qui correspond au xixe siècle peut expliquer, pour beaucoup, l'oubli des traditions

ancêtres au cours des grandes cérémoiůes"(co«íi<»tčs) ; certains pouvaient rester, d'une façon ou d'une autre, dans la
maison royale ou près des grands dignitaires, et les femmes jeunes étaient prises comme concubines, voire épouses ;
ainsi, le prince Gusili, fils du roi Glèlè était né d'une mère sabé ; capturée au cours d'une guerre vers 1830,
lorsqu'elle était encore enfant, elle avait été donnée au vidaho (dauphin, prince héritier), le futur Glèlè ; sous le règne
de Gbéhanzin — un autre fils de Glèlè — Gusili occupa des fonctions très importantes à la cour d'Abomey.
1. Woru Kola Wolé, âgé d'une soixantaine d'années, au plus, est décédé, cet article étant déjà rédigé.
2. Cette population a été aussi désignée Dasa, Dassa, etc. La forme Idaisa est plus en accord avec l'appellation
que se donnent les propres intéressés.
3. Bariba est la forme couramment employée dans la littérature ethnologique, dérivée du nom Berba que les
Yoruba et de même les Sabé — appliquent à la population qui elle-même s'appelle Batonu (Batomba, au singulier).
OCEAN ATLANTIQUE

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anciennes, avec les destructions et les ravages matériels, les pertes en vies humaines, les
flux et les reflux des survivants fuyant leurs villages menacés ou détruits. Les traditions
qui restent sont confuses et éparses ; on doit renoncer à tout espoir de reconstitution
historique pour les temps antérieurs à Baba Gidai, l'ancêtre de la dynastie royale actuelle
(et la récente publication du Père Mouléro ne peut que confirmer ce point de vue).
Les traditions d'Oyo, de Kétu et du Danhomé 1 contiennent de vagues références à
Sabç. Il apparaît que le royaume sabç serait de fondation plus ancienne que celui des Fon
du Danhomé dont le premier roi — Dakodonu — aurait été intronisé vers 1625. Par Oyo,
nous savons que le pays sab£ était bien connu du temps du 15e Alafin — Obalukon — ;
malheureusement, les dates de ce règne ne peuvent pas être précisées, bien qu'il reste établi
que Oluweu occupe la 36e place dans la liste des Alafin et que sa mort se situe en 1830
à Ilorin 2.
Baba Gidài est l'ancêtre des rois actuels de Sab£ et le père d'Ola Obç, le premier roi
effectif de cette dynastie. Ola Moné s et Olá Akíkcnjú 4, tous les deux nés de Olá Obç,
occupèrent, successivement, le trône de Savé par la suite. Depuis Baba Gidài jusqu'à la
date, la dynastie au pouvoir compte une dizaine de noms ; ces rois appartiennent aux deux
lignées fondées par Olá Akíkcnjú et Ola Moné, qui, selon la coutume établie, sont les seules
à pouvoir donner un roi au pays ; en fait, cette coutume paraît légaliser un abus de
pouvoir, à l'encontre des anciens Amusu, et qui remonterait déjà à l'époque ďOlá Obç" (il
semble que les Amusú auraient dû occuper le trône après ce roi, selon l'entente
intervenue avec Baba Gidài, le pouvoir devant passer, alternativement, de l'un à l'autre des
deux èyilê en cause).
Pour les temps les plus anciens dont on puisse glaner quelque souvenir encore chez les
Sabç", on arrive, tout au plus, à établir une liste de noms (de rois ?), sans que le moindre
rappel d'une quelconque geste vienne donner quelque consistance et réalité à ces vagues
personnages.
Passant ainsi, probablement, sur deux dynasties, nous en arrivons à Baba Gidài dont
le fils Olá Obç devait fonder le royauté actuelle. Baba Gidài représente une vague de
conquérants venus du Boko (Borgou) à travers le pays bariba. On peut déceler des
éléments de peuplement plus anciens, correspondant à une migration egba (région d'Abéo-
kuta) ; selon un mythe, à une époque très ancienne, ces gens étaient installés sur Iná Sabç
et s'enfuirent chez les Idaisa à l'arrivée de Baba Gidài (Iná Sabç" , litt. « la mère de Sabç »,
est l'un des quatre sommets principaux de la petite chaîne granitique au pied de laquelle
se trouve la ville de Savé). Les histoires particulières des lignages sabé, font état, par
ailleurs, d'origines très diverses : Popo, Fon, Kétu, Ibadan, Oyo, Bariba, Peul, Soudan.
En provenance du Boko, les gens de Baba Gidài durent séjourner un certain temps en
pays bariba, avant d'aller plus au sud. En cours de route, quelques éléments essaimèrent ;
nous trouvons aujourd'hui leurs descendants installés à Parakou, et, principalement, à
Tchaourou. N'importe comment, la conquête et l'installation en pays sabé durent se faire
1. Il serait intéressant, à cet égard, de pouvoir procéder à une enquête auprès des différents groupes ethniques
du moyen Dahomey, en particulier.
2. Je donne la liste des rois d'Oyo et les numéros d'ordre correspondants dans « Le Roi-Dieu », p. 27 ; p. 159 ss,
j'envisage la possibilité de raccourcir cette liste, pour les règnes les plus anciens.
3. Од a écrit très souvent Ola Moni (au lieu de Moné). Confusion de voyelles qui date de l'époque
d'administration européenne, et qui se perpétue. Les informateurs relèvent l'erreur en expliquant que « ce sont les Européens
qui disent Moni », et que c'est faux.
4. Les premiers rois de cette dynastie portaient le titre de ola ; celui de oba devait être adopté plus tard. En ce
qui concerne le 2e roi de la liste, on dit habituellement Akikenju, sans faire précéder son nom par le titre.
On doit encore noter le terme Kdbîyèsl, pour roi ; il s'agit, en fait, d'un vocatif dont le sens est « je m'incline »,
ou « je salue » ; Kâbiyèsi, ô ! est la formule de salutation qu'on adresse normalement au roi.
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progressivement et par étapes, ce que mettent en évidence les généalogies des actuels chefs
de village, qui, tous, font remonter leur ascendance jusqu'à Baba Gidài, ou à son aîné Olata
(dit aussi Alata). En effet, nous constatons que les lignées aînées dominent au nord, tandis
que les cadets poursuivent la route menant la conquête plus au sud. Le chef Olata conquit
Kilibo et y resta définitivement installé ; Baba Gidài, un frère cadet d'Olata, qui faisait
de fréquentes incursions jusqu'à la région de Kabwa, finit par s'assurer la domination
politique de la région, non sans avoir dû, toutefois, composer avec les anciens maîtres des
lieux. C'est ensuite Olá Ob£, un fils de Baba Gidài, qui sera le fondateur de l'actuelle
dynastie royale : il sera couronné roi et sa résidence sera le palais royal, à Savé (nous employons
ce nom qui est tout à fait conventionnel, cependant adopté dans les documents officiels ;
le nom traditionnel est tout à fait vivant, les gens l'emploient couramment).
Olá Ob£ est honoré comme le premier roi ; il est, plus exactement, le premier roi de la
famille régnante ; en fait, le royaume lui a préexisté, bien qu'il soit, jusqu'à présent,
impossible de donner une date, même approximative, de sa fondation. Du temps de Baba Gidài,
une crise politique grave dut se produire dans le gouvernement du royaume Sab£, puisque
les notables du pays allèrent trouver Baba Gidài pour lui offrir le trône ; cependant, le
chef de Kabwa, qui devait être célèbre et estimé pour qu'un tel honneur lui fût proposé,
ne voulut pas accepter, car il se sentait trop vieux et fatigué ; mais, il désigna l'un de ses
fils nommé Yai ; on accepta la contre-proposition du seigneur de Kabwa et son fils fut
intronisé avec le nom d'Ola Ob£.
Sollicité donc au trône par certains, le jeune roi ne rallia pas pour autant les suffrages
de tous, et son règne n'alla pas sans trouble. C'est alors que de nombreux réfugiés
politiques durent quitter le pays, se dirigeant vers les zones boisées du nord-ouest (région
de Bassila et jusque vers l'actuel Togo). Les fugitifs fondèrent des villages dans leurs zones
de refuge, où leurs descendants se trouvent encore aujourd'hui ; ils forment le groupe dit
manigri, qui compte 4 000 personnes, environ.

Le lignage et ses traits distinctifs.


La société sab£ est organisée en lignages patrilinéaires et patrilocaux appelés èyilé, terme
dont le correspondant yoruba est Milé 1 ; ce mot comporte les idées de base ou racine (Mi)
et de maison (ilé).
Les membres d'un même èyilé constituent le groupe des ото ilé, expression que nous
pouvons traduire par « enfants (ou fils) de la maison », et, entendue au singulier,
l'expression désigne alors l'une de ces personnes en particulier. En d'autres temps, les ото ilé
avaient leur commune résidence dans Y ilé alàkaba, construction composée d'un certain
nombre de bâtiments disposés autour d'une grande cour intérieure, rectangulaire ou carrée.
Là, vivait le chef de famille avec ses épouses, ses enfants célibataires ou mariés, ses petits-
enfants ; pouvaient encore s'y trouver ses frères cadets, bien entendu, avec leurs familles
respectives. Les filles mariées, en règle générale, après la naissance d'un ou deux enfants,
quittaient la résidence paternelle pour s'installer auprès de leur époux, habitant souvent
un autre village.
La grande famille est aujourd'hui dispersée dans l'espace, les grandes résidences, pour
des raisons d'ordre économique et autres, deviennent rares. Nonobstant, Yèyilé représente
toujours une réalité sociologique et religieuse, et l'un des pivots de la société sab£.
I. Les noms vernaculaires qui apparaîtront dans le présent travail sont donnés, en général, sous leur forme
sabé ; mais lorsque le précision semblera nécessaire, la forme yoruba sera aussi bien indiquée (notée d'après
Abraham).
Planche V.

i. Les enfants de Sabé se familiarisent vite avec l'étranger qui 2. Voici 5íon et sa jeune sœur Bpnf .
vient s'installer au village.

3. La mère met toutes les chances de son côté pour que son petit 4. La rivière Okpara, près de Jabata, au début de la saison des
àkibû ne «reparte pas»; la ceinture qui maintient le bébé le pluies,
protège par ailleurs, « magiquement », grâce aux cauris.

5. Le village de Kabwa a été construit au pied d'un dôme grani- 6. L'entrée de Vàkàbâ du balè de Kabwa qui représente la
tique ; photographie prise d'en haut de la colline. branche aînée de la lignée de Baba Gidai.
Plajíche VI.

i. Agáni Olú ОЛ et Safa Daudu Ifara (photo prise en 1957 ; les 2. Vente d'huile au marché.
deux personnages sont décédés depuis).

3. Sur le chemin de Jabata, on trouve des rochers qui présentent 4. En saison sèche, dans les villages, les femmes viennent piler
de nombreux trous en surface ; en saison des pluies, ils forment sur les rochers en utilisant les trous en guise de mortier,
autant de petites mares.

5. Un homme dansant pour son ôxà. 6. Jakumo, la panthère, est le premier interdit alimentaire des
lignages princiers (sculpture en bois polychrome).
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 65
Les traits distinctifs de Yèyilé sont les suivants :
— ascendance commune reportée au fondateur du lignage,
— culte des ancêtres (Egún),
— divinité protectrice particulière (osa, yor. : orisa),
— salutations spéciales (eéki, yor. : ortkï),
— histoire du lignage (Uèn, yor. : lion),
— interdits (èwo),
— noms personnels,
— nom spécial pour désigner Yèyilé (dans certains cas seulement).
En effet, ce dernier caractère très souvent fait défaut. A propos de la famille de l'actuel
roi de Sab£ (voir p. 66 et 80), nous citons Yèyilé Ifàà; ailleurs (p. 80), il est question des
Ôtàrà ; mais, ce genre de dénominations est plutôt l'exception. Nous avons constaté que
P. Lloyd fait la même remarque à propos des lignages de Shaki, et, surtout, d'Iwo ; en outre,
cet auteur indique que, à Shaki, chaque lignage possède une divinité particulière, alors
qu'il en est autrement à Iwo, où « the worship of the major Yoruba deities was common »
(cf. l'article de 1955, p. 242) l. A Sab£, quelques grands cultes yoruba ont été introduits,
et des lignages se réclament de ces divinités « majeures », selon l'expression de Lloyd, mais
les cultes de la région sont, sans doute, plus nombreux ; et, dans tous les cas, il se produit
une sorte de syncrétisme, en ce sens que les uns et les autres peuvent assurer la protection
du lignage.
A l'origine de Yèyilé se place un ancêtre masculin ; on a cependant quelques exemples
où le fondateur est une femme. Mais, il est important de noter que, dans tous les cas, la
filiation, à partir du fondateur, est comptée en ligne masculine, que celui-ci ait été un
homme ou bien une femme. Quant il s'agit d'un ancêtre féminin, à l'exception près de Y eéki,
tous les traits distinctifs de Yèyilé — avec les incidences légales et religieuses que cela
comporte — pourront être transmis à la descendance ; pour ce qui est du nom, il semble que
la règle de transmission par la ligne des mâles ne puisse pas souffrir d'exception ; ainsi,
lorsqu'on trouve un ancêtre femme à l'origine du lignage, on constate que c'est Y eéki du
fils de la fondatrice 2 qui se perpétue dans la descendance, et, plus précisément, Y eéki du
géniteur de ce fils, qui est l'époux de l'aïeule, somme toute un étranger, que le lignage
adopte en quelque sorte. On peut donner ici l'exemple des Senga Ото olé (Senga, nom de
Yèyilé, ото olé, phrase initiale de Y eéki de cet èyilé). Dans Y Uèn de ce lignage, il est question
d'un temps où la guerre faisait rage, avec des conséquences si désastreuses que tous les
hommes de la famille — prisonniers ou morts — avaient disparu, de sorte qu'une femme
était restée responsable de la divinité protectrice du lignage qu'elle représentait. Un
étranger vint épouser cette femme et s'installa au village de celle-ci, en l'occurrence, Kabwa. La
continuité du lignage fut ainsi, par la suite, assurée, de même que le culte de Nyçbç, la
divinité protectrice, par ailleurs, un des cultes les plus importants de Kabwa. Les enfants
nés de cette union et leurs descendants portent Y eéki ото olé qui était celui de l'homme
étranger 8.
Il est toujours agréable, pour un homme, d'avoir des enfants mâles; ainsi, son nom
se conservera après sa mort en se perpétuant dans la famille ; un culte lui sera rendu et

1. Les grands orisa yoruba étaient adorés d'une façon très générale.
2. Ce qui n'exclut pas la possibilité d'y ajouter quelque phrase ayant trait à cette femme.
3. Actuellement, l'osa Nyé,bé est servi par un prêtre ото olu ; à sa mort, un prêtre de Yèiylé devra lui succéder.
En effet les deux èyilé cités assurent, par alternance, le culte de cette divinité, car les ото olu sont les vrais
continuateurs (en ligne masculine) de Yèyilé Senga qui put, par la suite, se reconstituer par le retour de quelques
survivants dans leur village d'origine.
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son nom ne sera pas oublié dans la masse anonyme des ancêtres ; l'honneur sera d'autant
plus grand pour un fondateur d'èyilé.
On appelle Egûn les ancêtres du lignage. D'un certain point de vue, et suivant le niveau
auquel on considère Yèyilê, les ancêtres peuvent se trouver inclus dans le groupe des
ото île, en tant que descendants du fondateur. D'un point de vue plus absolu, on peut
opposer les Egun aux vivants, les ото île actuels qui, hic et nunc, assurent les cérémonies
nécessaires aux ancêtres du lignage, qui ne sont plus de ce monde. Des funérailles sont
normalement célébrées pour tous les adultes du lignage (celles des enfants sont toujours
très simples et élémentaires) ; pour les vieillards de l'un ou l'autre sexe, les funérailles
peuvent être fastueuses, très dispendieuses pour la famille, mais lui rapportant aussi, par
là, beaucoup d'honneur et de crédit. Ceci nonobstant, les morts du lignage se confondent
peu à peu dans la masse anonyme des Egi'in ; seuls restent dans les mémoires les grands
noms et, notamment, la série des chefs de lignage qui se sont succédé à la tête de la famille,
et dont les noms sont cités individuellement lors des cérémonies importantes en l'honneur
des ancêtres.
"L'èyilé se trouve toujours sous la protection d'un osa particulier dont il est le «
propriétaire » ; les membres du lignage constituent le groupe des ото osa, « les fils du dieu » en
question. Il est important de faire remarquer ici que les expressions ото île et ото osa
peuvent être considérées, à bien des égards, comme équivalentes ; de même, les aya ilé
qui sont les femmes mariées dans Yèyilê (celles qui ont épousé des hommes du lignage, les
brus), sont, de façon correspondante, dans un certain contexte, appelées aya osa (aya se
traduit par épouse).
"L'eékî 1 peut se définir comme une phrase, ou une suite de phrases constituant la devise
distinctive de Yèyîlé. h'eéki est, en fait, une suite d'expressions plus ou moins stéréotypées,
le plus souvent très difficiles à comprendre, que les propres intéressés récitent très vite et
ne peuvent pas toujours expliquer, h'eékï peut être défini comme la devise de la famille,
il en est également la salutation qui lui appartient en propre. Un étranger — au cas où
il le connaît — hésite toujours à communiquer la devise d'un lignage ; la récitation de
ces phrases stéréotypées ne doit être faite qu'à bon escient et en observant les règles
d'usage (ainsi, par exemple, l'initiative de la salutation revient toujours au partenaire le
plus âgé, c'est le père qui la dit à son fils, et non le contraire).
Les lignages disposent de noms personnels particuliers pour leurs membres ; il y a des
séries de noms masculins et des séries de noms féminins qu'on donne aux enfants, suivant
l'ordre des naissances.
h'ïtèn est aussi bien l'histoire que le mythe, cette distinction de termes étant peu
conforme à la pensée sabç a : que le récit qu'on nous présente paraisse plus ou moins
vraisemblable, cela importe peu, dans tous les cas on dira que c'est un itèn ; le critère est celui
de la véracité des faits rapportés, considérés comme ayant eu réellement lieu, et non tenus
pour un produit de l'imagination. L'itèn peut être donné sous une forme indépendante et
se présenter comme un récit plus ou moins long ; dans beaucoup de cas il est inclu dans
Yeêki dont les phrases en sont un rappel ou un résumé succinct.
Les èico sont les interdits ; chaque lignage a les siens propres, qui ne sont pas exclusifs

1. Le terme ee'ki devrait être défini d'une façon plus large que celle que nous lui donnons ici. Les osa ont des eéki,
et il en existe aussi bien pour toute sorte d'êtres ou de choses, animaux, plantes, etc.
2. Itèn est un terme pratiquement intraduisible ; de notre point de vue, nous dirions qu'il a un sens très large
et très vague à la fois, puiqu'on peut aussi bien lui faire correspondre mythe, légende, histoire, etc. En fait, il n'y a
pas une solution de continuité nettement perceptible entre histoire et mythe, en Afrique (Cf. Palau Marti : Le Roi-
Dieu...).
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 67
pour autant ; ils sont au nombre de trois ou quatre en moyenne (bien que le nombre soit
très variable et tout à fait arbitraire) ; ces interdits sont, le plus souvent, d'ordre alimentaire.

Étude du lignage et de ses fonctions.


Les èyilê sont des groupements de parenté, patrilinéaiies et patrilocaux, de type seg-
men taire. En effet, un lignage peut se diviser en lignées ; toutefois, cette distinction que
nous établissons ainsi dans la terminologie n'a pas son correspondant dans la langue des
Sab£ qui emploiera le même terme èyilê, dans l'un ou l'autre cas ; et il est un fait que les
traits distinctifs que nous avons attribué à Y èyilê sont les mêmes à l'un ou à l'autre niveau.
Ainsi, si nous considérons les descendants du roi Olá Ob£, nous observerons que tous
possèdent en commun Yeêkl « Ото Atauwa », et qu'ils constituent, nonobstant, plusieurs
èyilê à part. En se séparant du lignage, la lignée en conserve des éléments caractéristiques,
mais elle en acquiert aussi d'autres qui lui sont particuliers. La segmentation implique
une séparation au point de vue du culte des Egiln.
Les èyilê sont de taille très différente, quant au nombre de personnes impliquées. On
peut envisager l'extension de ce groupe de parenté sur le plan vertical, d'une part, sur le
plan horizontal, d'autre part ; l'extension sur le plan horizontal étant, logiquement, un
corollaire de l'étendue envisagée sur le plan vertical ; plus l'ancêtre fondateur se situe loin
dans le temps, plus il y a de chances de voir se développer un arbre généalogique large,
avec beaucoup de branches se prolongeant et se multipliant à travers les générations.
Les systèmes de parenté peuvent être qualifiés de « larges » ou « étroits », en considérant
les possibilité qu'ils offrent de se développer, respectivement, sur les plans horizontal ou
vertical 1 ; ainsi, par exemple, le système de parenté de l'Europe moderne — aussi bien
qu'ailleurs, U. S. A., etc.) — est du type « étroit » : c'est un système unilinéaire, basé sur
la descendance en ligne paternelle, de telle sorte que la parenté, sur le plan vertical, se
limite aux collatéraux proches (si les cousins au premier degré sont bien considérés de la
famille, les parents plus éloignés tombent dans une vague catégorie de cousinage, « cousins
de Bretagne »). Au contraire, les lignages sont des systèmes de parenté du type «large » :
ici, la parenté ne souffre aucune limitation, sur le plan vertical, le critère admis pour
reconnaître les parents étant celui d'une commune ascendance, qu'on doit pouvoir faire
remonter jusqu'à l'ancêtre considéré comme fondateur du lignage ; cette règle n'est pas toujours
applicable, en pratique.
Nous plaçant maintenant à un autre point de vue, nous dirons que Yèyilé sabé, peut
être défini comme un groupement de parenté de type segmentaire (le lignage peut se
fractionner, des lignées peuvent essaimer ; les expressions de « maximal lineage » et « minimal
lineage » correspondent alors aux termes de lignage et lignée, respectivement.
Il est certain qu'on ne peut pas relever de réelles différences entre Yèyilé considéré dans
son étendue majeure et l'un de ses segments ; nous avons déjà vu que les Sab£ ne font
pas la distinction, sur le plan verbal ou autrement. Toutefois, d'autres populations de
l'ensemble yoruba emploient des termes différents, que nous pouvons rappeler ici.
Les Oyo, par exemple, emploient les termes ïdilê et origun (ou гgun) qui correspondent,
l'un au lignage, l'autre à la lignée qui en dérive ; de façon comparable, on note ïdilê et ïdî,
chez les Ekiti, et on a encore le terme ébi, employé concurremment avec les deux autres.
A propos des Egba, un auteur du pays écrit : « A family is termed еЫ or idile. The word

1. Type de classement proposé par Radcliffe-Brown dans son « Introduction » à l'ouvrage African systems of
kinship, p. 23.
68 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
e Ы means « one born with ». This includes one's nearest relatives on both the paternal
and the maternal side. Idile includes all ascendants and descendants in a wider sense than
ebi : a clan x. » Ainsi, d'après l'auteur cité, le terme ebi viendrait se confondre, jusqu'à
un certain point, avec ce qu'il appelle idilé ou « clan » — bien que ce dernier soit, en fin
de compte, plus étendu. Nous reprendrons le terme — et la notion — à'ebi, à propos des
Sabç", qui se rapproche beaucoup de l'idée que s'en font les Egba, pour autant que Ajisafe
nous permette d'en juger 2.
L'expression ото ilé (voir plus haut) recouvre tous les membres de Yèyilé, de l'ancêtre
fondateur jusqu'au tout petit dernier-né ; en ce sens, le groupe de parenté inclut, au même
titre, des morts et des vivants 8 ; mais, nous situant ainsi à un autre niveau, nous dirons
que les ото ilé représentent une unité fonctionnelle plus restreinte ou groupe de parenté
actuel (vivants), le « lineage group » des théoriciens anglo-saxons ; cette unité restreinte
apparaît très clairement, par exemple, au moment des cérémonies en l'honneur des ancêtres,
appelées a m bo Egún. On peut, en fin de compte, considérer Yèyilé comme un cadre
fonctionnel, dynamique ; on pourrait peut-être parler d'une structure, les dimensions et les
limites restant des caractéristiques secondaires.
Les itèn peuvent donner les motifs ou les raisons de la fondation du lignage ; mais,
même s'il n'est pas toujours clairement avoué, le mobile en est souvent la rivalité ou
l'ambition d'un cadet qui n'aurait aucune chance de devenir chef.
La fondation d'une lignée indépendante ne signifie pas, à tous égards, une séparation
complète avec le lignage d'origine ; en tout premier lieu, l'obligation d'exogamie persiste,
et cela pendant des générations ; nous en verrons les conditions précises plus loin. Ainsi,
si nous reprenons l'exemple des descendants d'Ola Obç déjà cités, nous trouvons que tous
les groupes de descendance se classent, soit en Ifaá, soit en Akikçnju ; précisons que Olá
Obç eut deux fils qui lui succédèrent, l'un après l'autre, sur le trône, Ola Moné et Ola
Akikçnju ; ces deux fils du premier roi de Savé se placent à l'origine des èyîlé qu'on appelle,
respectivement, Ifaá * et Akikçnju.
Ifaá et Akikçnju sont appelés indistinctement Otola ; le sens de ce terme n'est pas très
clair, les explications obtenues restent peu satisfaisantes ; pour certains, il aurait un sens
général qui correspondrait — d'après leur propre traduction — au mot français prince ;
on peut encore ajouter que les Amusu sont, éventuellement, dits également Otola (ce qui
confirmerait la version « prince », puisque les Amusu sont une famille royale, déchue, il
est vrai). Personnellement, nous emploierons le terme Otola dans son sens le plus strict,
le réservant au seuls descendants ďOlá Obc" , Ifaá et Akikçnju, qui sont les familles royales
effectives et actuelles qui, par alternance, sont habilitées à donner un roi à Sabç" 5.
Selon le niveau de générations auquel on se placerait, on pourrait parler de Yèyilé Otola,
ou bien des èyilé Ifaá et Akikçnju ; nous situant à un niveau inférieur (plus proche dans
le temps), nous aurions encore les Ото Ajoloké, les Ото Aguloyé, etc.

1. Une famille est appelée ebi ou idile. Le terme ebi signifie « né avec ». Cette expression inclut les plus
proches parents, aussi bien du côté paternel que du côté maternel. Uidile inclut tous les ascendants et
descendants dans un sens plus large que ebi : un clan.
2. Ajisafe, A. K. : Laws and customs of the Yoruba. London, Lagos ; 1924, p. 1.
3. La communauté familiale est très fortement ressentie, morts et vivants restant très proches les uns des autres ;
ceux-ci font constamment des sacrifices importants à ceux-là, dans l'attente — et la certitude — de leur
protection. Cette promixité n'est sans doute pas sans rapport avec la pratique de garder les morts près de soi en les
enterrant à l'intérieur même des habitations ; cette coutume, qui s'applique surtout aux personnes âgées de l'un
■ou l'autre sexe, est aussi vivace dans les petits villages qu'à Savé même, et cela en dépit de l'interdiction théorique
administrative et de l'existence de plusieurs cimetières publics (catholique, protestant, musulman, administratif).
4. Les Sabé prononcent habituellement Ifaá ; le Père Mouléro note Ifara, que l'on entend aussi quelquefois.
5. Tous les èyiléqax ne mangent pas la panthère, ni un certain rat de brousse appelé angô seraient Otola.
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 69
Uèyilé est placé sous la direction et la responsabilité des anciens de la famille qu'on
appelle àgbàldgbà, avec, à la tête, le bdlé (terme qu'on peut traduire par « chef de la
maison) 1 » ; le bdlé prend toujours ses décisions en accord avec le conseil des anciens où se
trouve aussi une vieille femme qu'on appelle ind (litt. : mère). Le titre de bdlé correspond
de droit au plus âgé des àgbdldgbà ; la succession s'exerce ainsi, normalement, d'aîné à
cadet, et le titre ne devrait passer à la génération des fils que lorsque celle des pères serait
éteinte 2. Lorsqu'une lignée vient à se détacher du lignage, l'homme qui s'en institue chef
rompt, à son profit, avec le principe théorique.
Les bases, et les fonctions, de Yèyilé sont de plusieurs ordres : familial, religieux,
économique, politique ; mais, à tout cela, s'oppose la concurrence d'influences et de modes
nouvelles qui viennent saper l'ancien édifice. On ne saurait parler de réelle vie politique durant
la période d'administration européenne ; depuis, les élites dirigeantes s'appuient sur d'autres
base. L'ancienne économie à base familiale disparaît avec le départ des jeunes à la recherche
d'un travail rémunéré et indépendant. Ainsi, le chef de famille peut compter de moins
en moins sur ses ото île pour l'exploitation des terres, et les autres travaux. Malgré tout,
le sentiment d'appartenance à une famille résiste, à bien des égards, aux innovations, et
peut, entre autres, se présenter sous forme de parasitisme ; ainsi, le « petit frère » qui n'a
plus de travail en ville, ou qui, pour toute autre raison, reste sans emploi, use largement
de l'obligation d'hospitalité qui incombe à son aîné pour rester de longs mois chez lui, ne
faisant à peu près rien, car les jeunes générations qui ont un peu fréquenté l'école
manifestent une répugnance fâcheuse pour les travaux des champs 3.

La règle d'exogamie.
Tout individu est normalement intégré dans Yèyilé de son père ; mais, cette
reconnaissance formelle n'exclut pas pour autant les liens avec Yèyilé de la mère, qui ont, toutefois,
moins de poids sur le plan social, sauf en ce qui concerne le choix du partenaire sexuel.
On peut donc dire, par là, que le système de parenté sabç est bilatéral (plus haut, nous
l'avions simplement qualifié de patrilinéaire et patrilocal), puisque, en théorie du moins,
la règle d'exogamie joue de la même façon en ligne paternelle qu'en ligne maternelle (nous
reviendrons sur ce point).
L'étymologie du mot ebi est intéressante : avec un préfixe, nous y trouvons le terme Ы ;
ce verbe est associé à l'idée de naissance, de donner la vie, et on peut le traduire par mettre
au monde et naître.
Les ebi sont donc les personnes qui, par la naissance, sont associées à Ego, ce sont les
gens de même sang ; le terme ebi désigne alors l'ensemble des membres des èyilé du père

1. Bâléest distinct de bdlè (terme qui s'applique au chef de village). Le chef de lignage est également appelé bâlê
dans tout le domaine yoruba en général, mais on trouve également agbâ île et mogaji ; nous ne connaissons pas la
localisation exacte de ces deux derniers termes, qu'indiquent Ojo et Ward Price, respectivement. Cf. Ojo C. J. A.,
Yoruba culture, London, 1966, p. 278 ; H. L. Ward Price, Land tenure in the Yoruba provinces, Lagos, 1939.
Mogaji est un mot hausa ; on le trouve aussi chez les Çabé, mais avec le sens de chef politique.
2. C'est le type classique de succession « au niveau des frères », chez les Yoruba en général. Il est également
attesté dans la royauté, oil l'on peut alors y distinguer plusieurs modalités (Cf. Palau-Martt, M., Le Roi-Dieu,
p. 207 ss).
3. Tout le monde sait que le « parasitisme familial » joue aussi bien en sens inverse et qu'il constitue souvent une
plaie pour les « évolués » qui ont réussi à se faire une situation tant soit peu brillante, ou qui ont uu emploi. La
famille hésite rarement à s'adresser à ce parent heureux pour lui demander toute sorte de cadeaux et de services.
Tel maître d'école que nous avions connu à K. avait de réelles difficultés pour subvenir aux frais qu'il avait à
supporter, avec son épouse, elle aussi institutrice ; le couple avait trois enfants mais devait, en réalité, assurer aussi,
l'éducation et la subsitance d'une autre demi-douzaine d'enfants que la parenté lui avait « confiés ».
70 SOCIETE DES AFRICANISTES
et de la mère, ou, dans un sens plus particulier, l'un quelconque d'entre eux. Toutefois,
pour ce qui a trait aux Sab£, le terme étudié paraît s'employer dans un sens plus restreint,
plus spécifique, pour désigner uniquement les membres de Yèyilé de la mère — dans leur
ensemble, ou bien un seul d'entre eux. Nous trouverions, alors, dans une
opposition-complémentarité, le groupe homologue des ото ilê que l'on désigne plus volontiers du terme à'èyttê,
d'une façon exclusive et particulière, et par rapport à Ego.
Il est évident que, dans la mesure où on a affaire à des lignages importants dont le passé
et les généalogies sont bien connus, l'obligation d'exogamie est plus largement et mieux
respectée que dans le cas de groupes familiaux petits, très dispersés et ayant perdu tout
contact avec leur lieu d'origine, sinon le souvenir. En théorie, ne doivent pas se marier
deux personnes dont l'ascendance — par le père ou par la mère — remonterait jusqu'à un
ancêtre commun ; il est bon de se rappeler ici que l'ascendance est toujours comptée dans
la ligne des mâles, ce qui revient à dire que l'interdit d'exogamie concerne aussi bien Yèyilé
du père d'Ego que celui de sa mère.
Je n'ai pas pu obtenir une formalisation nette des règles d'exogamie auprès des
informateurs de Sab£, bien qu'ils insistent beaucoup sur la nécessité de bien connaître les liens
de parenté avant de contracter mariage ; on doit faire appel aux vieux pour faire remonter
aussi loin que possible les généalogies, pour s'assurer que les deux personnes qui veulent
se marier n'ont pas un aïeul ou aïeule communs. On peut dire que le registre civil est
dans la mémoire des généalogistes.
La première condition pour que deux jeunes gens puissent se marier est, évidemment,
l'appartenance à des èyilé différents ; cette condition est très facilement verifiable car il
suffit de connaître leurs eékï et leurs èwo (qui seront différents). Mais ceci n'est pas tout,
et il faut s'assurer que les deux personnes à marier ne sont pas parentes du côté de la mère,
ou par l'intermédiaire d'une aïeule plus ou moins reculée ; les Sabç expliquent que le mariage
est impossible si un lien quelconque de parenté, aussi loin puisse-t-il remonter dans le passé,
est présent dans la mémoire des généalogistes. Faute d'avoir pu obtenir de règles plus
théoriques, exposons un ou deux exemples qui concernent des personnes encore vivantes.

Les mariages successifs de Dado.

R et D voulaient se marier ; les deux jeunes gens, bien que n'étant pas de même èyilé,
se trouvaient avoir deux frères parmi leurs arrière-grands-parents. L'opposition des familles
était très forte, mais aussi décidée était la volonté des jeunes ; le père du garçon, à la fin,
donna son consentement, et fit ainsi fléchir Sàfàa Daudu, le père de la fille, qui se montrait,
d'abord, irréductible. Le mariage put avoir lieu.
Mais l'union de R et D ne devait pas être éternelle, les anciens amoureux divorcèrent
au bout de quelques années *. Et nous avons, pour D, un autre mariage en vue : elle choisit,
cette fois-ci, un homme appelé E qui se trouvait aussi être, de loin, son parent ; cette union
doit encore susciter de fortes oppositions de la part des deux familles ; il semble que Sàfàa
Daudu donna son consentement un peu plus facilement que lors du premier mariage de
sa fille.
Nous donnons une généalogie succincte des protagonistes de ces mariages. Nous
pouvons aussi ajouter que Dado, la femme en question, était catholique, de même que Raphaël,

i. J'ignore les raisons de ce divorce. En tout cas, il ne représente rien d'exceptionnel, on dirait plutôt qu'il est
dans la règle, étant donné la très grande instabilité des unions, qu'on peut observer chez les Sabé.
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABE Jl
son premier époux ; l'autre partenaire, Elegbç, le deuxième mari de Dado, était
protestant.
Quant au vieux Sàfàa Daudu, mort en 1965, un notable Ifaá et fidèle gardien des vieilles
traditions, il avait toujours conservé quelque regret de ces unions de sa fille, qu'il ne
pouvait pas s'empêcher de considérer comme entachées d'irrégularité ; et il disait, non sans
quelque amertume, qu'une telle chose n'aurait pas été possible en d'autres époques ; mais
que maintenant les Européens étaient là et que bien des choses avaient changé depuis ;
toutefois, et, sur ce point, le vieux insistait, Dado et Elegbç n'auraient jamais pu se marier
si Somi avait encore vécu, « car Somi avait connu Oba Oteuwa » de son vivant, et c'est
de ce dernier que dérivait le lien de parenté entre les deux aspirants au mariage. Résumons
dans un schéma les généalogies de ces personnages :
Adimí Odón

Oba Otéuvva Keuw


1 ' . '
Aké l Okuta
1 l 1
Sàfàa Daudu Somi Gbolùgbç
Sabi —Raphaël
I
-ElegK«

II faudra retenir, pour les Sabç, le principe de la descendance bilatérale, qui est associé
pour le moins, aux possibilités d'union sexuelle ; l'interdit exogamique, en théorie, joue
de façon identique à l'égard des membres des èyilé les deux grands-pères d'Ego (ascendance
paternelle et ascendance maternelle).
En définitive, en matière d'exogamie, les Sabç se montrent aussi exigeants que les autres
groupe yoruba étudiés par d'autres auteurs ; l'observation que fait Schwab (qui a travaillé
principalement à Oshogbo), dans son article de 1955, conviendrait parfaitement aux Sabç,
citons Schwab : « Irrespective of the incidence or intensity of other rights and duties within
a clan, marriage is prohibited so long as any genealogical relationship is acknowledged »
(p. 369) 2. Cette règle théorique limiterait considérablement le nombre de partenaires sexuels
possibles, si elle allait de pair avec une grande connaissance des généalogies ; mais ce n'est
pas le cas : certains idilé 3 peuvent faire remonter leurs généalogies jusqu'à neuf
générations, alors que dans d'autres on ne va pas au-delà de trois, et, en règle générale, le nombre
de générations retenu se situe entre cinq et sept.
Lloyd, qui a étudié les Oyo, exprimait en 1955 la règle d'exogamie en des termes très
formels : « The lineage is an exogamous unit ; a man may not marry into the lineages of
his sixteen great-great-parents, but maternal links are rarely traced back beyond four
generations » (p. 240) 4. Et, dans son article de 1966, le même auteur précise encore : « Mar-

1. Nous ignorons le nom de cette femme. Dans la généalogie, les noms de femmes ont été écrits en italique.
2. Indépendamment de l'incidence ou de l'intensité des autres droits et obligations à l'intérieur du clan, le
mariage est interdit aussi loin (dans les générations) qu'une relation généalogique est connue (ou : peut être
établie).
3. Ce terme désigne le lignage patrilinéaire et patrilocal à Oshogbo.
4. Le lignage est une unité exogame ; un homme ne doit se marier dans les lignages de ses seize arrière grands-
parents, mais les liens maternels sont rarement retracés au-delà de quatre générations.
72 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
riage with close kin is everywhere prohibited though the rules of exogamy are expressed
differently in the northern and southern areas. In the former a man may not marry into
the agnatic descent groups of any of his four grandparents. In the latter a young man may
not marry a woman with whom he has a common ancestor with-in five or six generations » г
(p. 488).
Chez les Sabç, enfin, outre le cas de parenté normalement reconnue, la prohibition de
mariage s'applique aux enfants à'imolè (frères par le « pacte du sang »), ainsi qu'aux
personnes ayant subi ensemble l'initiation à un osa.
En principe, rien ne s'oppose au mariage avec un étranger (ou étrangère) ; seul le Kabiyesi,
pour des raisons qui semblent oubliées, ne devait pas épouser une femme gbasen, alors
qu'il pouvait en prendre de toute autre origine, et bien entendu, dans le pays.

Terminologie et appellations de parenté.


Le système de parenté sab£ peut être appelé classificatoire, et cela à double titre : on
observe, d'abord, une distinction par générations, une autre distinction se fait ensuite à
l'intérieur de la même génération, entre aînés et cadets, par rapport à Ego ; d'autre part,
les termes père, mère, enfant, sont largement employés dans un sens classificatoire.
La terminologie de parenté comporte les termes suivants :
baba père
ind (iyd) mère
ото fils/fille (enfant)
ègbçn frère aîné /sœur aînée
àbuô frère cadet/sœur cadette
lâkû {nid) (adjectif qui signifie grand et qui entre dans la composition des termes
dérivés pour dire grands-parents ; ainsi, on a) :
babanldkú grand-père (paternel et maternel)
Inálákú grand-mère (paternelle et maternelle)
On peut aussi former d'autres termes dérivés pour désigner les grands-parents, plus
déterminants :
baba baba mi le père de mon père
baba ind mi le père de ma mère
ind baba mi la mère de mon père
ind ind mi la mère de ma mère
Pour la génération 2 on dispose uniquement d'un terme dérivé :
сто ото mi fils /fille de mon fils /ma fille (donc, petit-fils /petite-fille).
Pour les relations d'alliance on dit :
oko époux
aya (iyàwo) épouse
1. Le mariage avec un proche parent est partout interdit, bien que les règles d'exogamie s'expriment
différemment dans les régions du Nord et du Sud. Dans le Nord, un homme ne doit prendre épouse dans aucun groupe
de descendance agnatique de ses quatre arrière grands-parents. Dans le Sud, un jeune homme ne doit pas épouser
une femme s'il a un ancêtre commun avec elle jusqu'à la cinquième ou la sixième génération.
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 73
oogún (orogún) coépouse
ànen [ànori) allié (le terme s'applique aux ото île du conjoint, mais non au conjoint
lui-même)
Les termes correspondant à frère/sœur, fils/fille ont une valeur neutre ; si l'on désire
préciser le sexe de l'individu, on peut les faire suivre des mots qui signifient homme et
femme : çkbyin (okùnrin) et oblyn (obïnrin), respectivement.
Nous avons ainsi trouvé cinq termes de base dans la terminologie de parenté ; ils
recouvrent les relations élémentaires de la famille nucléaire, et restent limités aux
générations -f 1, o, — 1 1 ; ce sont les termes qui signifient père, mère ; aîné, cadet ; enfant (fils).
Toutes les autres relations de parenté se trouvent exprimées par des dérivés. D'autre part,
on s'aperçoit que, pour l'ensemble, les termes de parenté relèvent, tantôt d'un système
classificatoire, tantôt d'un système descriptif. Enfin, les termes de parenté sont très
fréquemment employés comme termes d'adresse. Examinons maintenant les relations de
parenté aux niveaux de générations, et nous plaçant, toujours, du point de vue d'Ego :

Ego désigne | Ego appelle


,

+ 1. génération des parents : i


baba mi 2 ^ le père ► baba
ind mi la mère ind
baba aya mi le père de l'épouse baba
ind aya mi la mère de l'épouse ind
ègbçrn baba mi le frère aîné /la sœur aînée du père babajïnd
àbûb baba mi le frère cadet, la sœur cadette du père baba /ind
ègbçn ind mi le frère aîné/la sœur aînée de la mère babajlnd
àbûb ind mi le frère cadet /la sœur cadette de la mère baba jiná

On peut noter ici l'apparition du terme anti pour désigner une sœur de père ou de mère ;
le terme a été emprunté directement à l'anglais (aunt) à travers la Nigeria, et l'emploi
paraît en être le même que dans la langue originale 8.

+ 2. génération des grands-parents :


babanldku, ou baba baba mi le grand-père paternel baba
inálákú, ou ind baba mi la grand-mère paternelle ind
babanldku, ou baba ind mi le grand-père maternel baba
indldkû, ou ind ind mi la grand-mère maternelle ind

1. Nous indiquons les générations, ou niveaux de générations, selon le mode habituel, ainsi :
+ 2, génération des grands-parents
+ 1, génération des parents
o, génération d'Ego
— 1, génération des enfants (fils)
— 2, génération des petits-enfants (petits-fils).
2. mi est un possessif qui peut signifier, suivant les cas, mon, ma, mes (masc. ou fém.).
3. D'autres populations yorubaphones du Dahomey semblent avoir adopté le terme en lui donnant un sens
plus restreint : j'ai entendu des Nago de Porto-Novo réserver le terme anti pour les sœurs de la mère, alors que les
sœurs du père sunt désignées du terme tasi ; ce dernier mot est fongbé et s'applique, précisément, aux tantes
paternelles. A Porto-Novo, on m'a encore indiqué titià pour tante, aux sens restreint et classificatoire à la fois.
Société des Africanistes. 6
74 SOCIETE DES AFRICANISTES
-f- 3- génération des arrière-grands-parents, et au-delà :
(on peut les désigner comme les grands-parents, ou l'on peut construire des
déterminatifs plus précis, à l'aide des termes déjà décrits ; par exemple : baba
baba baba baba mi, etc.) ïnâ

D'une façon générale (sens classificatoire), tous les ото ilé adultes âgés, du côté du père
aussi bien que du côté de la mère, peuvent être appelés baba ou ïnâ, et ces dénominations
s'étendent encore, d'une façon plus générale, à toute personne dont la différence d'âge
correspond, à peu près, à la valeur d'une génération.

o. génération d'Ego :
egbç'n mi le frère amé baba
ègbç'n mi la sœur aînée ïnâ
àbûo le frère cadet (par son nom
àbûo la sœur cadette (par son nom
— 1. génération des enfants :
ото mi son fils /sa fille ото (ou par son nom)
— 2. génération des petits-enfants :
ото ото mi son petit-fils /sa petite-fille ото (ou par son nom)

La terminologie de parenté, limitée à la base à cinq termes, suppose, du point de vue


du langage du moins, une réduction de tous les parents à l'intérieur de trois catégories :
— classe des pères et des mères (générations +) ;
— classe des frères et des sœurs (génération o) ;
— classe des enfants (générations —).
Au niveau des générations -f-, la classe comprend des pères et des mères (système
classificatoire étendu à partir des individus Père, Mère). Par leurs caractéristiques sociales
(appartenance clanique, ou lignage) et biologique (sexe), Père et Mère représentent des
éléments distincts et les termes de la génération + 1 précisent toujours le sexe. Au niveau 0,
dans la classe des frères et sœurs, cette caractéristique n'est pas à retenir ; ici, nous voyons
s'opérer un clivage à l'intérieur de la génération, entre aînés et cadets, la scission pouvant
se rapprocher plus ou moins de l'une ou de l'autre extrémité de la série, suivant l'Ego
considéré. Aussi, dans une série de frères et sœurs donnée, la distribution de l'ensemble
sera différente pour chacun d'eux.
Au niveau des générations — 1, l'ensemble des individus forment une collection d'omo
(enfants), sans que l'accent soit mis ni sur le sexe, ni sur l'âge relatif des individus. C'est
plus secondairement qu'on pourra préciser le sexe en ajoutant le mot qui signifie homme
(ou femme) ; mais, en aucun cas, on aura recours aux termes ègbçn et àbûo.
Au niveau des générations +, la distinction entre aînés et cadets peut se faire, mais
on ne peut l'exprimer autrement que par référence à une personne de la même génération
que l'individu considéré ; ainsi, Ego pourra parler du frère aîné /cadet de sa mère, par
exemple, en disant : ègbon/àbûo ind mi.
Enfin, on peut résumer tout cet ensemble de remarques en un tableau dans lequel Ego
se trouvera placé à l'intersection de deux vecteurs dont le sens indiquera la hiérarchie
d'âge (en allant des grands vers les petits) :
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 75

niveau Père Mère

niveau о aînés Ego cadets

niveau enfants
I

l'intérieur
masculin
les
correspondent
l'un
enEnvisageant
Ego
Toute
mêmes.
considérant
à l'égard
estla; de
toujours
dans
Pour
àterminologie
lade
sonmaintenant
la
le
propre
lal'autre,
mari,
cas
suite
femme
situé
d'un
génération
vis-à-vis
de
des
dans
lales
mariée,
parenté
Ego
terminologie
générations
relations
unféminin,
des
contexte
Aînés
nous
que
personnes
d'alliance,
verrons
>suivante
nous
termes
Père
Ego
hiérarchique
/Mère
avons
>qu'elle
denous
deCadets.
:Vèyttê
référence
>envisagée
dirons
Ego
peut
déterminé
de >ceque
employer
Enfants,
etdernier.
jusqu'ici
mari
termes
paretles
l'âge
soit
femme
d'adresse
suppose
termes
en
relatif
emploient
restant
qui
un
restent
; soit,
Egoà

le mari
{ ï
désigne l'épouse appelle l'épouse
1
aya mi aya
ind (plus le nom ind (plus le nom
de l'un des de l'un des
enfants qu'elle lui enfants qu'elle lui
a donnés) a donnés)
l'épouse -
désigne le mari appelle le mari
I ï
oko mi Baba (plus le nom de l'un
des enfants qu'elle a eus
avec lui)
Baba (plus le nom de l'un Baba
des enfants qu'elle a eus Olûwa mi (ce qui veut dire
avec lui) mon seigneur ; olûwa se dit
pour les dieux)

Un mari polygame appliquera ces termes à n'importe laquelle de ses épouses ; mais,
pendant longtemps, la toute jeune femme et dernière venue à la maison aura uniquement droit
à son nom personnel, soit de la part du mari, soit de la part des autres femmes de son mari.
La première épouse a droit à une appellation plus honorifique, Inà, sans plus (sans doute,
sous-entendu, inà ilé, mère de la maison).
76 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Le terme de référence pour les coépouses est oogún ; lorsqu'elles ont mis des enfants
au monde, elles s'appellent, entre elles, mère d'un tel (inà...).
Nous avons signalé que, dans le cas d'un Ego féminin marié, on trouve la même
terminologie de parenté, envers les parents du mari, que pour son époux. Une généralisation
de même ordre nous est déjà apparue aux niveaux +, pour un Ego masculin, ce dernier
appelant babajind les géniteurs de l'épouse, et, au-dessus, pareillement. Une femme mariée
désignera les parents du mari, aux niveaux + et o, par les mêmes termes que celui-ci ;
évidemment, elle pourra toujours préciser davantage (disant, par exemple, ègbdn/àbud oko
mi : aîné/cadet de mon mari) ; elle utilise, dans beaucoup de cas, l'expression baba oko,
pour désigner tout aîné mâle du lignage de l'époux.
Pour s'adresser aux membres du lignage de son mari, une femme dira :
+ i. au père, à la mère babajïnd
o. aux frères et aux sœurs aîné(e)s baba\\nâ
aux frères et sœurs cadet (te) s (leur nom personnel)
— i. aux enfants nés des autres épouses) ото (ou leur nom personnel)
(à l'égard de ses propres enfants, la femme emploie la même terminologie, et, lorsqu'elle
dit ото elle peut y ajouter le possessif mi).
Pour la relation d'alliance, nous avons signalé le terme ànçn ; précisons qu'il est
réciproque, la femme l'applique aux beaux-frères et belles-sœurs de son mari, et l'homme
l'appliquera aux beaux-frères et belles-sœurs de son épouse ; on dira ото ащп pour se
référer aux enfants des alliés. A l'occasion d'un enterrement, les ащп ont l'obligation
d'accomplir des tâches matérielles et serviles chez les ото lié en deuil, alors que ces
derniers sont les maîtres de céans et des cérémonies. Dans un tel contexte, les membres des
deux familles en cause se trouvent dans la situation respective de gonesi x, avec des droits
et des devoirs précis, les uns à l'égard des autres.
La condition à.' ото lié et d'ànçn n'est pas déterminée une fois pour toutes, et, selon les
circonstances, les positions respectives — et les rôles qui s'ensuivent — se trouveront
modifiés.
D'après Schwab, à Oshogbo, le terme ànçn (forme yor. d'ànçn), s'applique, non
seulement aux beaux-frères et belles-sœurs, mais encore aux alliés de ceux-ci. Une telle
extension du terme nous semble exclue à Sab£. Par contre, on nous a ici affirmé que le terme
ащп — qui est relatif — pouvait désigner tous et n'importe quel membre de Yèytté de
l'épouse/époux ; s'il en est ainsi, on peut constater que les anen d'Ego, à la génération
— i, seront les ebi de ses fils.

Noms personnels. Les devises.


On observe une grande variété de noms pour les personnes, chez les Sab£. On peut faire
une première distinction entre ekç et eéki. De ces deux catégories, nous dirons que la
première correspond à des appellations qu'on donne de façon obligatoire, elles sont
prédéterminées par des circonstances diverses, par exemple, l'appartenance clanique, l'ordre ou
rang de naissance, la condition de jumeaux, de « revenant », particularités relatives à
l'accouchement, etc. Dans la catégorie eêki se placent les appellations dont le choix est
libre, il dépend, tout au plus, de la fantaisie du donneur du nom.
i. Ce terme est d'origine bariba ; nous ignorons s'il a un correspondant yoruba, alors que nous pouvons indiquer
le mot bariba qui est goneki. Il représente, en gros, ce qu'on appelle la « parenté à plaisanteries ».
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ JJ
Cette distinction entre ekç et eêki porte essentiellement sur l'intention, et non sur la
forme du nom ; celui-ci peut être composé de façon comparable, dans les deux cas.
Il faut établir encore une autre catégorie de noms avec des termes de parenté et des
titres de fonction employés comme appellations personnelles.

a. ekç :
i. Un certain nombre d'èyilé disposent de noms qui leur sont exclusifs ; il en existe des
séries masculines et d'autres féminines ; deux enfants nés du même père ne peuvent pas
porter le même nom. Dans Yèyilé ото Biau, de Jabata, on nomme, les garçons (Д) et les
filles (0), de la façon suivante :
A О
Awé Olàjo
Ier né(e) d'une épouse Sàmon Ogedú
Edíbí
2e né(e)
... d., une épouse
, j( Ajàmosi
. x Somoní

3e né(e) d'une épouse — Egbeá

Les enfants suivants portent les noms qui sont généraux (voir infra, n° 2)
Pour les ото Ajólóke, les noms sont les suivants :
д 0
Adimí Yebá
Yabi
Ier né(e) d'une épouse Sàfàa
Áfudá
Yái

Pour les enfants suivants, même remarque que ci-dessus. On doit encore signaler le nom
Daudu, pour les fils aînés des ото Ajólóke — et des Otola, en général — qu'on compare
au nom Woru (cf. n° 2), mais il faut bien noter qu'un homme ne peut avoir qu'un seul
Daudu, alors que chaque épouse peut lui donner un Woru ; Daudu ne se donne pas seul
mais en complément à l'un des noms indiqués pour les aînés (ainsi, Sàfàa Daudu, etc.).
A titre comparatif, nous pouvons ajouter ici l'observation d'un auteur d'après qui le nom
« Dawodu » correspondrait à l'aîné de toute épouse de noble ; l'auteur en question, qui
n'avait pas enquêté en pays sab£, ne précise pas l'origine exacte de son information 2.
2. Noms selon l'ordre de naissance, pour les enfants d'une même femme.
Il existe deux séries de noms, parallèles, l'une féminine et l'autre masculine, qui
correspondent automatiquement aux fils et filles d'une mère ; il s'ensuit qu'un homme peut
avoir autant de garçons et de filles portant les noms de ces séries que d'épouses. Ces noms
1. Ce nom ne serait plus en usage, d'après les informations recueillies sur place.
2. Je cite : « The eldest son by any wife, sometimes called « Dawodu », and sometimes « Akobi » (first born), is
entitled to the largest shares... » (H. L. Ward Price, Land tenure in the Yoruba provinces. Lagos, 1939, p. 16).
Daudu n'est autre que le nom chrétien David, par l'intermédiaire de l'arabe : Daoûd, Daouda (cf. Leriche, A.,
Anthroponymie toucouleur. Bull. IFAN, 17, B, 1956, p. 176-178). Rappelons, entre autres, un roi de la dynastie
islamisée du Songhay, l'Askia Daoud qui régna en 1549-82.
78 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
sont d'un usage tout à fait général. Les èyilê qui disposent de noms spéciaux (voir ci-dessus,
n° 1) peuvent combiner ces noms aux leurs, nous verrons des exemples par la suite. Ces
noms généraux sont :
Д О
Ier enfant Wôru Ňón
2e — Sàbi Bone
3e — Biàu Sàku
4e — Boni Ôjô
5e — Dimdn Bèîu

Ces noms sont toujours donnés dans l'ordre indiqué ; au cas où une femme aurait un 6e,
7e, 8e, etc. enfant, on recommencerait la série en ajoutant aux noms l'adjectif ordinal kéjï
(deuxième) ; alors, le sixième garçon serait Wôru kéjï, la sixième fille Non kéjï, et ainsi de
suite. Tous ces noms sont en usage chez les Bariba qui les emploient de la même façon.
Ce sont ces noms qu'on entend constamment chez les Sab£ et il est évident que les
entêtes de liste sont les plus fréquents (puisque dès qu'une femme a un fils ou une fille, on
le nommera Woru ou Non). De plus, avec l'institution du registre d'état civil, les noms
de Worú, Sàbi et Biàu se présentent parmi les nouveaux « noms de famille » les plus
courants г. Pour bien comprendre comment les noms jusqu'ici décrits — en 1 et en 2 — peuvent
se combiner, établissons la généalogie succincte de Yai Ola Ob£ et de son frère aîné Biàu
Olodumar£, personnages qui sont déjà apparus au cours du présent article :

о = Baba Gidài = o Jimi


I Г I I

Wôru
(morts jeunes)
Sàbi Biàu Olodumarç
famille I des balè de Kabwa Yai Olá
famille
| royale
ОЬ£ de §abç

Biàu est le nom qui indique le 2e rang de naissance, d'après la mère ; Yai est par contre,
un nom de premier-né, mais, d'après le père (Biàu et Yai étaient nés de mères différentes).
3. Les jumeaux sont appelés ibêjï, ce qui pourrait se traduire par « naissance double »
(M : naître et mettre au monde, méji : deux et double). Ils sont un peu comme des dieux,
ils reçoivent un culte, on leur prépare des repas spéciaux, on ne doit pas les frapper, etc.
Lorsqu'une femme a des jumeaux pour la première fois on les appellera Ta£wo et Kçyndé,
dans l'ordre respectif d'arrivée au monde. Voici l'explication de ces noms : t$ ayé wô = va
goûter
k' èyin ledémonde
= viens,
(sous-entendu,
suis derrièrepour
(moi,savoir
sous-entendu
s'il est bon,
2. L'explication
s'il vaut la peine
complète
de venir
de ces
à lanoms
vie),
est, par ailleurs, très intéressante : Kçyndé, le deuxième né des jumeaux, est considéré

1. Les eéki des èyilé qui démontrent la réelle appartenance familiale, n'apparaissent, en aucun cas, dans les
documents officiels. Voici, par exemple, une liste de noms d'élèves de l'École régionale de Savé : Nicolas Chabi, Modeste
Gbagidi, Pascal Dimon, Samuel Biau, François Chabi, Laurent Afuda, Emmanuel Aiyedege, Moïse Daourou, Pierre
Woru, Joab Balogoun, Laurent Chedé, Job Awo, Félicienne Elegba, Raymond Tossou, Honoré Odoubourou, Chabi
Marou. Nous avons ici plusieurs Chabi, qu'on a fait correspondre tantôt au prénom, tantôt au nom, dans l'usage
français. Nicolas Chabi et François Chabi ne sont nullement parents, le premier est fils de Nicolas Chabi et de Ketura
Chabi, l'autre est né de Chabi et de Onlaiyé.
2. Abraham note : Taiwo <- Tayé èbôet dérivé de tô-ayé-wà = tasted the world, et Kéèhindé (sans donner
d'explication pour ce dernier nom.
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 79
comme l'aîné x ; c'est donc l'aîné qui peut commander, et qui commande au plus jeune,
et lui dit d'aller se renseigner, pour savoir s'il vaut la peine de venir à ayé ; l'autre part
donc en éclaireur, puis, il dira à son aîné : « viens, suis-moi » {ayé se traduit par terre, monde,
vie, etc.; c'est notre existence par opposition à celle de brun, le ciel).
Les noms de jumeaux que nous venons d'expliquer s'appliquent aux premiers-nés d'une
femme, quel que soit leur sexe. Si la même femme vient à accoucher de jumeaux à
nouveau, on les appelle Edpn 2 et Aken. Et, si la même femme mettait encore d'autres jumeaux
au monde, les noms, pour cette troisième série seraient différents pour les garçons et pour
les filles, on appellerait encore Edon et Akçn, les garçons, s'il s'agissait de filles les
appellations seraient Owoy et Ebo.
Notons encore des noms spécifiquement sab£, pour des jumelles : îna Sab£ et Seneiyn ;
leur usage en semble restreint à l'ancien èyilê des ото ako onjebú.
L'enfant né unique après des jumeaux, participe encore de la nature de ses frères aînés ;
on l'appelle Idow et il mange à part, avec eux. Alábaje est l'enfant né unique après Idow ;
on lui donne ce nom, qui signifie « compagnon de table », parce que lui aussi mange avec
les jumeaux.
4. A bíkú est un mot qui signifie, litt. « né pour mourir ». On applique cette désignation
à des enfants dont on pense, à priori, que la vie doit être courte ; dans la crainte de leur
mort précoce, on prend toute sorte de précautions pour l'éviter. On dit d'un bébé qu'il est
un abíkú lorsqu'il est né d'une femme qui a perdu un ou plusieurs enfants en bas âge. Le
fils mort est censé s'être réincarné dans le ventre de sa mère, pour mourir peu de temps
après sa nouvelle naissance. Quelque faute aurait été commise par les parents, et la mère
en particulier, qu'on peut essayer de réparer par des sacrifices et offrandes adéquats. De
toutes façons, le petit abíkú a la vie constamment menacée ; les Sab£ n'expliquent pas très
bien la nature de ce danger, si ce n'est en disant que « les autres abíkú sont toujours autour
de l'enfant et l'appellent ». Aussi, faut-il trouver des moyens pour détourner l'attention
de la société des àbikù et les maintenir à distance : on met une petite chaîne autour des
reins du bébé pour « l'attacher » ; on lui fait porter des amulettes et on lui donne des remèdes
pour le fortifier ; on lui met des sonnailles aux poignets et aux chevilles pour que les abíkú
qui le guettent soient effrayés par le bruit ; enfin, on joue de ruse envers ces petits esprits
en donnant des noms trompeurs à l'enfant.
Un abíkú portera, en général, un nom dépréciatif, tel que : excrément (tmí), (morceau
de calebasse brisée) ; ànkaa (ordure) : kudi ; en effet, qui voudrait une chose aussi peu
intéressante qu'une ordure ou un déchet de calebasse ? la petite fille portant de tels noms
a bien des chances de ne pas être enlevée par les esprits abíkú ; et il en est de même pour
le petit garçon à qui on dira (gros rocher, montagne) : okuta, un objet si lourd..., ou une
chose aussi méprisable qu'un (chien) : ajâ 3. On peut encore faire appel à la bonne volonté
de l'enfant en lui disant (tiens-toi auprès de moi, assis) : gbamijoko (ne t'en va pas, petit) :
malomo, ou en l'avertissant de l'inutiUté de son geste, s'il voulait partir (la terre est
fermée le tombeau est comblé) : ilèii.

1. Bien que considérés comme égaux, les jumeaux sont par ailleurs différenciés sur le plan légal, l'un étant l'aîné
et l'autre le cadet. Le critère pour décider de leur âge respectif est basé sur l'ordre des naissances ; chez les Yoruba,
en Catalogne, dans le Languedoc (avant l'implantation du code Napoléon), le dernier venu au monde est considéré
comme l'aîné des jumeaux ; dans la France du nord, l'Allemagne, les pays d'Islam, au contraire, on le considère
comme le cadet. Nous serions heureux de compléter notre documentation à ce sujet, et nous remercions d'avance
tous ceux qui voudront bien nous apporter quelque information.
2. C'est le nom d'un singe qu'on associe aux jumeaux.
3. Autrement, appeler quelqu'un ото aji (fils de chien) serait une grossière insulte.
SO SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
5. Les Sab£ pensent qu'un nouveau-né peut être un vieux de la famille qui revient parmi
les siens ; dans ce cas-là, l'enfant portera un nom indiquant sa condition : on l'appellera
Babatundé (le père est revenu) ou îyasidé (la mère est revenue), suivant qu'il s'agit d'un
garçon ou d'une fille ; en effet, l'ancêtre est censé se réincarner dans une personne de même
sexe г.
6. On donne des noms spéciaux aux enfants dont l'accouchement offre quelque
particularité : on appellera îgè un garçon ou une fille qui se sera présenté par le siège, et Àjàyi
le bébé qui naît la face tournée vers le sol.
Un peu en marge de ces observations et classements, qui relèvent de l'ordre de
l'obstétrique, on peut faire d'autres remarques sur la personne d'un nouveau-né ; on peut y voir
certains signes, marques, etc., particuliers ; ce sont des cas qu'on classe tout de même un
peu en dehors de l'ordinaire, en admettant que de tels signes sont la manifestation d'une
divinité.
Ainsi, lorsqu'un bébé vient au monde avec le cordon ombilical enroulé autour du cou
on admet que Néné Opoyn l'a fait naître ; on l'appellera alors Sala (garçon ou fille), et, le
temps venu, on le consacrera à la divinité qui l'a fait naître.
Il y a des enfants qui naissent sous le signe de Iya Mo qui est une divinité ophidienne ;
on s'en aperçoit très facilement, car, semble-t-il, le serpent en passant autour du cou du
bébé pendant la grossesse y aurait laissé les traces de son passage. Ces enfants, garçons
ou filles, seront appelés Iya.
Les enfants que fait naître Néné Ogboya se reconnaissent à la croix qu'on voit dessinée
sur leur poitrine au moment de la naissance.
Le dieu de la foudre et de l'éclair, Sango, est lui aussi responsable de la naissance de
certains enfants ; on dit que ces enfants sortent du ventre de leur mère portant un osé,
la double hache rituelle du dieu, qu'ils tiennent sous le bras.
7. Enfants nés par la volonté d'une divinité. Dans le paragraphe antérieur nous avons
vu des cas qui pourraient trouver aussi place ici, avec les noms qu'on donne aux personnes
qui ont été prédestinées pour le service d'une divinité.
L'intervention de la divinité peut être, par ailleurs, sollicitée ; par exemple, si une femme
n'a pas d'enfants, elle pourra voir le bàbalawo (devin) pour connaître la cause de sa
stérilité ; en général, le sacrifice à une divinité sera prescrit ; si la femme enfante, par la suite,
on tiendra pour certaine l'intervention de la divinité et on donnera au nouveau-né un nom
rappelant ces circonstances. Ainsi, pour remercier l'osa Ôgun, on peut donner, entre autres
les noms ôgunladé et ôgunley. On peut inclure dans ce paragraphe les noms d'initiation,
la personne devant abandonner son ancien nom lorsqu'elle est consacrée olósa ; le nom
qu'elle portait avant l'initiation ne devra plus jamais lui être adressé, et il ne devrait
même être prononcé en aucune circonstance (il n'est pas toujours possible de vaincre la
résistance des informateurs lorsqu'on se propose de connaître les noms d'avant
l'initiation).
8. Noms divers en remplacement des noms personnels, les titres de fonction servent à
désigner ceux qui les portent (leur emploi devient obligatoire dans le cas du roi, de ses
ministres, et de la plupart des prêtres ainsi que pour le chef de village) 2 :

1. On trouve aussi des personnes qui portent le nom d'un mort de la famille, de même sexe ou non ; dans ce cas,
le transfert de la personnalité a lieu sur une jeune personne de la même famille, et elle portera, désormais, le même
nom que le disparu.
2. Ces fonctions sont à vie, et elles comportent un rituel initiatique.
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 8l
EST DÉSIGNÉ EST SALUÉ

1
i
Kabyiesi, ou Oba le roi Kábyíesí
(par leurs nom et titre de fonction, par les ministres du roi agdni
exemple) : agdni Olú ôsi
agdni Oduwa, agay Olú Odó les prêtres agáni, et
(le titre de fonction suivi du nom de la agay x
divinité servie)
gbosç (litt. : « porteur d'osç ») le prêtre de Sango baba
awo Sàbi, par exemple (on dit œwo et les babalawo (prêtres d'Ifa) baba
on peut ajouter un nom personnel,
comme dans l'exemple donné).
baie le chef de village baba

Les gens de métier peuvent être interpellés anayn (musicien), agbedé (forgeron), c'est
courant mais non obligatoire.
Rappelons, pour mémoire, l'usage très généralisé des termes babajïnd, tant au vocatif
que comme déterminatifs (accompagnés alors du nom de la personne). On peut entendre
aussi des adultes — camarades, amis — s'adresser le terme ото pour s'interpeller.
Les eékï sont des noms qui ne présentent pas le même caractère obligatoire que les ekç ;
ils ont un caractère qualificatif et constituent toujours une appellation, une devise ; on
peut les opposer aux ekç en disant que ces derniers ont un caractère déterminant, qu'ils
classent les individus dans les séries qui leur correspondent.
U eékï peut s'adresser à une personne, à un animal, à une plante, etc. ; il en existe pour
les groupes de gens de métier, pour le roi, pour les dieux, pour les eyilé ; on peut, d'ailleurs,
en créer à tout propos, il en existe, par exemple, un pour les Européens qui sont « les gens
qui portent des chaussures et qui voyagent avec des cantines » (malles métalliques).
Les eékï individuels sont des noms brefs (en réalité, ils représentent des phrases très
abrégées et condensées) ; leur contenu est une sorte de vœu qu'on adresse à la personne a.
Un de nos amis sabç le définit ainsi, dans une lettre : « Uorikï — ou eékï — est un prénom
que tout Sab£ et Yoruba porte sans tenir compte de l'appartenance « clanique ». C'est un
« petit nom » affectueux. C'est par l'orikï qu'on salue le matin ou à chaque occasion de
salutations. Un homme qui aime sa femme l'appellera presque toujours par son orikï. C'est
plus intime. Il en existe de masculins comme Alàbi, Ísólá, Alaó, Ayíndé, etc. et de
féminins comme Ajokç, Àlàké, Àbèwdn, etc. 3. »
Les eékï qui ne sont pas employés comme noms personnels sont plus longs, ils peuvent
même ressembler à des litanies, pour emprunter le mot par lequel les désigne Camille Agbo
(écrivant en français).
Nous avons déjà vu que tout eyilé possède son eékï qui comporte un rappel plus ou moins
complet, plus ou moins imagé, de l'histoire de la famille en cause. Voyons maintenant
un exemple concret, celui de V eyilé ото ajólóke que nous avons déjà évoqué plusieurs fois
au cours de cet article.

1. Suivant les divinités, c'est l'un ou l'autre titre qui convient.


2. Dans le dictionnaire d'Abraham nous relevons la définition suivante : « oriki : an attributive name expressing
what the child is or what it is hoped that it will become. In a male, the oriki connotes somsthing heroic, while in
a female, it connotes praise or endearment. »
3. Nous remercions M. Y. O. auteur de cette lettre, pour la collaboration qu'il a bien voulu nous apporter.
82 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Les Ото Ajólóke.

Les ото ajólóke, qu'on appelle également les ото Sepo, sont un èyilê Ifàà ; il s'agit donc,
d'Otola dont l'ascendance remonte à Ç)la Moné. L'ancêtre particulier des ото ajólóke est
Yai Sepo qui s'installa à Kilibo et prit le titre de bále ; depuis, cette dignité est restée
héréditaire dans ïèyilé.
Comme tous les Otola, les ото ajólóke sont en position de gonesi avec les ôtàrà.
U osa protecteur des ото ajólóke est Akédi, protection qui s'étend, d'ailleurs, sur tous
les Ifàà.
Au même titre que tous les Otola, les ото ajólóke ne doivent pas manger jakumo ni angó,
deux animaux qu'on associe au roi ; précisons qu'il s'agit de la panthère, pour le premier,
et que l'autre est un gros rat de brousse qui présente quelque analogie avec jakumo, par
son pelage à bandes jaunes et brunes.
Les noms particuliers pour les enfants des ото ajólóke sont : Afùda, Yai, Adímí, Yabí,
Sàfàa, pour les fils aînés ; les filles aînées portent le nom de Yebá, et, pour distinguer, s'il
y a lieu, les aînées de plusieurs coépouses, on dira Yebá Ajibola, Yebá Iléluy, etc.
Voici Yeékl de Yèytté, tel qu'il nous a été dit :

A. — Ото ajó lóke Ы asá


Enfant (ou : fils) danseur (en) haut comme faucon
Fils de celui qui danse dans le ciel comme le faucon
B. — ото ajó lóke Ы eworo
Enfant danseur haut comme le lapin
Fils de celui qui danse [et saute] léger comme un lapin
С — ото gbongbo gidi-gidi
enfant racine tenace
Fils de celui qui est entêté avec la ténacité de la racine
D. — gbongbo H n ta làrï okutá
racine qui pousse entre pierre (s)
La racine qui réussit à se frayer un passage au milieu des pierres
E. — anke ko m'(o)mi agbàd yó
grenouille pas eau torrent rassasier
La grenouille ne peut pas se rassasier avec l'eau d'un torrent
F. — ото anlé won l'Onri
enfant il chasser eux (de) l'Onri
Fils de celui qui les a chassés de l'Onri
G. — Ото gbé'(e)ja lé'wô ojo
enfant prendre poisson dans la main peureux
Fils de celui qui arrache le poisson des main du peureux (lâche)
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 83
H. — Lïpo-lipô ko mo efi omi àpqlo sda
Têtard ne peut pas adapter eaux trous des rochers lui-même
Le têtard n'arrive pas à s'adapter à l'eau des trous des rochers
I. — Eni 0 ri igbó kindí
Celui il voit forêt touffue
Que celui qui voit une forêt touffue
J. — ko то gbàni agbe Iôwq
pas prendre gourde dans les mains
(ne s'empresse pas d'aller chercher une gourde)
n'aille pas chercher une gourde
K. — torí igbó gbobo ki ni omi
car forêt (s) toute (s) pas avoir eau
car toutes les forêts n'ont pas d'eau
L. — ото a ji orp Ы
enfant il se réveille comme bananier
Fils de celui qui se réveille [beau et frais] comme le bananier
M. — ото ije pè k'ayo Akêdi
enfant mangeur appeler fêter Akédi
Fils de celui qui mange (et appelle les autres auprès de lui) pour fêter Akédi
N. — A /' ojé bo olosà lowo
ils mettre plomb adorer initié poignet (ou main)
Ils ont mis le bracelet de plomb au bras de l'initié par adorer (le dieu)
O. — Oku baba в eni U 0 bo
Bonjour père de celui qui adore
Salut, père de celui qui adore
P. — okè s'idi laku, o se eyn sonso
montagne est base grande, elle est tête sommet
La montagne a une large base, elle est petite au sommet
Q. — Ото г s(e)'epo оц (i)' gó (o)'iynbó
enfant du fabricant huile de palme bouteille ami(e) Européen
Fils du fabricant d'huile de palme de la bouteille amie de l'Européen
R. — E wo bd n se ото Ewa
vous voir rejoindre faire fils Ewa
Venez et regardez ce que fait le fils d'Ewa
S. — k(i)' e wo bd n se loni.
vous voir rejoindre faire aujourd'hui.
Venez donc regarder ce qu'il fait aujourd'hui.
84 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Les phrases des eékï, même lorsqu'elles sont apparemment compréhensibles, restent
toujours assez hermétiques, pour ce qui est de leur réelle signification, à moins d'être expliquées
par ceux qui en connaissent le sens. Pour Veéki que nous venons de citer, les informateurs
ont ajouté ces commentaires :
A. — Le fondateur de Yèytlé, Yai Sepo, fut surnommé par ses contemporains ajoloke,
le danseur d'en haut, ou celui qui danse en haut ; on se référait ainsi à la grande habileté
à se servir de gdgalô (échasses de bambou) ; dressé sur ses échasses, l'ancêtre dansait et
faisait toute sorte d'acrobaties.
B. — II ne tombait jamais et était souple et léger comme un lapin, lorsqu'il était sur
les gàgalô г.
C. — Yái Sepo est appelé gidi-gidi (tenace, entêté, persévérant), car il devait atteindre
toujours le but qu'il s'était proposé, quelles que fussent les difficultés rencontrées en cours
de route ; et on le compare à la racine.
D. — La racine qui dans un terrain ingrat réussit à se frayer un passage entre les pierres
et la rocaille 2 jusqu'à atteindre son but en pénétrant dans la terre nourricière.
E. —■ Yai Ajôlôkè était ambitieux et habile ; il sut si bien manœuvrer que, malgré
l'opposition de ses adversaires, il fut nommé ijoyè (titre honorifique qui s'applique aux chefs
et aux grands). Les adversaires furent très vexés, mais ne firent rien contre l'ambitieux
Yai et surent se garder à distance ; ils furent prudents comme la grenouille qui ne va pas
dans l'eau abondante du torrent car sa joie serait précaire, le torrent sèche vite 3 (agbàd,
yor. agbàrd n'est pas obligatoirement un torrent, mais, dans tous les cas, le terme indique
un cours d'eau non permanent et qui se forme en saison de pluies).
F. G. H. — Ces trois phrases font allusion au droit de pêche dans un marigot de Jabata.
La rivière Okpara, qui passe à quelques centaines de mètres du petit village de Jabata,
forme plusieurs marigots, en saison de pluies ; ces marigots portent des noms particuliers —
Asuku, Awoni, Onri, etc. — et le droit de pêche en appartient à des èyilé déterminés ; ainsi,
les ото ajôlôkè possèdent l'Onri, mais il n'en fut pas toujours ainsi, car ce marigot avait
appartenu aux ото Bidu et le poisson de l'Onri revenait alors au prêtre de l'osa Oduwa
(les ото Biau sont les ото osa Oduwa). Woru Ajôlôkè 4 s'appropria l'Onri où les ото Biau
avaient l'habitude de prendre le poisson avec les mains, lorsque le marigot commençait à
s'assécher 6 ; les gens qui avaient été ainsi dépossédés montrèrent très peu de courage et
ne surent pas se défendre contre les abus de Woru Ajôlôkè, qui furent reconnus comme un
quasi-droit, par la suite.
G. — On peut considérer dans cette phrase le jeu de mots et d'images que représente
la mise en opposition des ото Bídu preneurs de poisson avec (dans) les mains et de l'effronté
Yai leur arrachant leur bien, littéralement, d'entre les mains.
1. Le jeu des échasses est totalement tombé en désuétude depuis longtemps; seuls les vieux se souviennent
de l'avoir eux-mêmes pratiqué, ou vu faire par d'autres.
2. èkutd signifie aussi bien caillou que rocher, le sens en est pierre, quelle que soit sa taille ; c'est donc l'idée de
dureté qui est retenue.
3. On pourrait peut-être envisager un autre commentaire pour cette phrase, en la rapprochant de H : il serait
tentant de mettre en parallèle les images grenouille /torrent et têtard/trous des rochers remplis d'eau, qui toutes
les deux signifieraient l'opposition entre Yai Ajôlôkè et les autres. Yai Ajôlôkè serait comme l'eau qui disparaît et
ne laissant pas de possibilités (d'opposition ou quoi que ce soit) aux autres ; grenouilles et têtard seraient les autres,
les uns étant de taille à affronter Yai (les grenouilles), les autres ridiculement petits (les têtards) et manquant
de tout courage (grenouilles = les autres ijoyè, têtards = les ото Biau).
4. Woru Ajôlôkè ou Yái Ajôlôkè peuvent se dire indistinctement, puisque un Yái est toujours un Woru (bien
que la réciproque ne soit pas vraie).
5. La « petite histoire » rejoint ici la « grande histoire » : en effet, les ото Bidu sont considérés par tous comme les
plus anciens habitants de Jabata et maîtres du pays ; les ото Ajôlôkè sont de la famille de Baba Gidái qui
représente une vague de migration récente, venue en plan de conquête.
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 85
H. — Le têtard ne saurait pas s'installer à demeure dans les trous des rochers, puisque
l'eau de ces trous finit par s'évaporer x. De même, l'installation des ото Biau sur l'Onri
ne pouvait pas être définitive.
I. J. K. — Une fois, pendant la saison sèche, Yai Ajoldkè était allé à la chasse avec ses
camarades ; en pareille époque, l'eau est rare. Les chasseurs arrivèrent près d'une grande
forêt, très épaisse ; ils imaginaient que dans une forêt si touffue il devait bien y avoir de
l'eau, et un homme partit avec une gourde pour en chercher ; cependant, û n'y avait pas
du tout d'eau dans la forêt et le chasseur revint la gourde vide. En attendant, Yái Ajólóke,
qui connaissait très bien le terrain, avait conduit les autres chasseurs dans un endroit sans
arbres où se trouvait, cependant, un point d'eau. Une fois encore, Yái se montrait plus
habile que les autres et mettait ses rivaux dans une position ridicule.
L. — Yái Ajoldkè se réveillait chaque matin riche comme le bananier (pro = richesses,
biens de toutes sortes). Yái est comparé, dans cette phrase, à un bananier toujours frais,
poussant au bord de l'eau ; l'humidité est, pour le végétal, le meilleur des biens, notre
arbre est comblé de richesses. La vue d'un bananier, avec ses feuilles qui sont comme de
larges franges souples découpées, veloutées et d'un vert éclatant, se balançant au moindre
souffle d'air, procure toujours une sensation plaisante de fraîcheur et de repos.
Yái, riche et comblé comme le bananier, se réveille tous les matins beau et frais comme
le bananier.
M. — Une fête religieuse s'accompagne toujours de consommation alimentaire ; le
sacrifiant doit offrir les prémices de boisson et victuailles à la puissance à laquelle il s'adresse,
après quoi il régalera tous les assistants ; plus les viandes et la bière de maïs seront
abondants, plus sa bonne renommée en sera accrue. Un riche, un puissant, ne doit pas manquer
l'occasion de faire parler de lui et de ses largesses, lorsqu'il organise des réunions de ce genre.
Ainsi, quand Yai Ajolokè voulait célébrer un sacrifice pour le dieu protecteur de son èyilé,
Akédi, il avait toujours un grand nombre d'invités qu'il régalait copieusement.
N, O. — Olósa peut se traduire par initié, c'est toute personne, homme ou femme, vouée
désormais à une divinité qui vient habiter son corps au moment de ladite crise de
possession. Un certain nombre de divinités ont, comme symbole, le métal blanc et leurs olósa
portent des bracelets en argent avec un alliage plus ou moins fort de plomb. A beaucoup
d'égards, il y a identification entre l'initié et son dieu ; de sorte que celui qui oserait enlever
le bracelet du bras d'un olósa commettrait une faute aussi grave que s'il s'agissait de l'osa
lui-même, ce serait là un sacrilège impensable.
Yái Ajolokè, installé désormais comme balè, défie ses rivaux ; mais sa force et son
pouvoir sont grands, et plus personne n'oserait entreprendre une action contre lui, pas plus
que s'en prendre à un dieu.
P. — Et Yái Ajolokè, non seulement content de sa victoire, ne cesse pas de se vanter
de sa force, de son pouvoir, désormais aussi bien assis qu'une montagne ; la montagne,
avec sa grande base, ne peut pas basculer.
Q. — Ici on remémore la mère de Yái Ajolokè qui fabriquait de l'huile de palme. Quand
il était enfant, notre héros aidait parfois sa mère dans son travail et il était amené à
plonger ses mains dans cette huile rouge, et les gens qui le rencontraient ensuite lui disaient
toujours de faire attention à ne pas les salir avec ses mains pleines de graisse.
Le deuxième membre de cette phrase, où il est question de « la bouteille amie de
l'Européen » n'est pas comprise de tous les informateurs ; dans tous les cas, elle représente, très

1. Ce sont les petits trous des rochers qui se remplissent d'eau lorsqu'il pleut, pour s'assécher ensuite, peu à peu,
à la fin de la saison des pluies.
86 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
évidemment, un anachronisme : bien que nous soyons dans l'impossibilité de dire avec
certitude en quelle année vivait Ewa Sepo, il semble clair que pour les hommes de sa
génération les bouteilles apportées par les Européens n'étaient pas un article connu en pays sabç ;
actuellement, les marchandes d'huile de palme x disposent toutes, plus ou moins, de
récipients européens — bouteilles et bidons récupérés — qu'elles utilisent concurrement avec
les calebasses et les gourdes d'origine locale.
R, S. — Yái Ajólóke, lorsque sa mère mourut, célébra pour elle des funérailles
somptueuses, fit des dépenses incalculables, et, à la fin de la fête, il distribuait les cauris à pleines
mains 2 à ses invités ; voyant cela, un alàworô (chanteur, griot) en admiration disait, en
chantant, les phrases de la fin de l'eékl (d'ailleurs, on les dit, aujourd'hui, aussi en
chantant).
GÉNÉALOGIE DE b' ACTUEL ROI DES САВЕ OBA YÁI KOLA WOLÉ AdÉGEY OlÚ 3 :
Baba Gidai
Biáu Olodumarç 3 Yai Olá Ob£
i I
Olá Akíkenjú Olá Moné
I
Adimí Odón = Ewa Sepo 4
I
Yái Sepo
I
Worú Ajolóke
I
Adimí Olepe
I
Ogún Akenbí
I
Le Kábíyesí actuel

La famille de l'actuel roi des Sabé Oba Yái Kola Wolé Adéguey Olú 3 :
Ôgun Akènbi (eut, de la même femme) :
1 I 1 I 1
Worú- Yái Yebá Bone Sàbi Saků
nombre d'enfants
vivants
ire épouse lui a donné i fils i
2e — — 7 enfants 5
3e — — 6 — 3
4e 5 — — 11 — 11
1. On vend également de l'huile d'arachide, sur les marchés, mais cette huile n'est pas de fabrication locale.
2. Le chef de la famille qui célèbre les funérailles doit donner une petite somme d'argent à chacun de ses invités
pour les remercier de leur présence ; c'est l'acte qui marque la fin des cérémonies.
3. Bláu Olodumaré était l'aîné de Yai Qlá Obé ; il demeura à Kabwa, succédant à son père Baba Gidai dans
la chefferie que celui-ci avait créée (ou conquise). Le frère cadet inaugura une nouvelle dynastie royale à Savé.
4. Ce nom a été écrit en italique pour indiquer qu'il s'agit d'une femme (tous les autres noms cités dans ce tableau
correspondent à des personnages masculins).
5. La 4e épouse appartient à Yèyilé Seneiyn ; parmi les enfants qu'elle a eus, il y a deux séries de deux jumeaux,
un garçon et une fille à chaque fois ; ils s'appellent, les premiers, Kéyndé et Taéwo, Edon et Aken la série suivante ;
NOTES SUR LES NOMS ET LES LIGNAGES CHEZ LES SABÉ 87

* **

Les éléments historiques connus du pays sab£ se rapportent aux rois actuels
(descendants de Baba Gidai), sur ceux qui les précédèrent, nous possédons peu de
témoignages.
Le vieux royaume sab£, situé entre les organisations politiques que développèrent les
Fon, au sud, les Bariba au nord, a dû jouer un rôle protecteur, en raison de sa situation ;
en effet, le moyen Dahomey, en grande partie, est comme une sorte de no man's land où
groupes et groupuscules de toute origine sont allés chercher refuge. A l'ombre du royaume
sab£, des Ashanti (Gbas£n), des Fon, des Mahi, ont pu se regrouper et vivre.
L'autre grande unité politique importante du moyen Dahomey est représentée par les
Idaisa ; ici, les influences fon sont sensibles, alors que les Sabé, restent surtout tournés vers
le nord (Bariba). Les relations politiques, et autres, qui ont pu exister entre Sabç et Idaisa
devraient pouvoir être précisées.
Kétu, le 3e royaume yoruba du Dahomey, qui peut s'enorgueillir d'une très vieille
dynastie, davantage tourné vers l'est, maintenait cependant de bonnes relations avec
Sabç.
En regard de l'histoire des Fon et des Bariba, relativement connue, il serait intéressant
de pouvoir retrouver des éléments sur les époques anciennes vécues par les Sabç afin de
combler les lacunes de l'histoire de l'ensemble du moyen Dahomey.
L'organisation lignagère et le système de parenté des Sabé, sont les mêmes que chez les
Yoruba, malgré des différences dans la terminologie.
On notera, sur le plan de l'exogamie, l'équivalence des familles paternelle et maternelle.
Le lignage du père classe l'enfant dans une lignée de mâles, et donne nom et personnalité
sociale à l'individu ; cependant, la règle d'exogamie implique un classement semblable de
la personne dans la lignée de la mère, et plus précisément, dans la lignée de mâles du père
de la mère. On doit donc parler de double ascendance, sans qu'il puisse, en aucun cas,
être question de parenté en ligne féminine, à proprement parler.
Par les appellations, l'individu se trouve situé dans une série de réseaux d'appartenances.
Il aura droit à la devise (eéki) du lignage paternel et il recevra un nom du type ekç, par
relation à son père. Mais, d'autre part, l'enfant sera immédiatement et automatiquement
situé et désigné comme l'un des enfants de sa mère ; il sera Woru, Sabi, Biau, etc.,
recevant un de ces noms qui indiquent le rang de naissance de tout garçon et de toute fille.
De la sorte, les enfants sont considérés comme un groupe de frères et sœurs utérins, sans
aucune référence au père. Ce mode de désignation des personnes n'est pas yoruba et les
Sab£ semblent l'avoir emprunté à leurs voisins Bariba où les séries sont aussi de cinq
noms *.
Les devises des lignages représentent un matériel peu exploité, peut-être parce que la
collecte en est longue et le décryptage toujours difficile. Mais, si l'on parvient à vaincre

je dois préciser ici que je cite — suivant mes informateurs — les noms des cadets en premier lieu, qui se trouvent
être du sexe masculin).
1. Les noms sont les mêmes, avec quelques différences dans la forme, par rapport à Sabé. Cependant, dans le
travail manuscrit de l'administrateur Feuille sur Djougou, on peut lire ces séries de noms donnés par les Bariba,
et on en trouve sept pour les garçons, sept pour pour les filles (incluant ceux que nous connaissons déjà). Le nombre
sept semble à retenir, pour une recherche sur l'origine de ces noms, dans cette région.
On a signalé, dans d'autres populations africaines, des noms indiquant l'ordre des naissances. Les Toucouleur et
Peul disposent de doubles séries de cinq noms (pour les garçons et pour les filles) (H. Gaden, Du nom chez les Tou-
couleurs et Peuls islamisés du Fouta sénégalais. Revue d'etnographie et de sociologie, 3. Paris, 1912).
88 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
tous ces obstacles, ces phrases obscures que sont les eékï des èyilé peuvent devenir une
source d'information appréciable, et qui peut se placer au-delà du cadre strict du lignage
qui en est détenteur.
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IMPRIMERIE PROŤAT FRÈRES, MAÇON № 7549


AVRIL 1969 DÉPÔT LÉGAL : 2e TRIMESTRE 1969

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