Vous êtes sur la page 1sur 28

/p.

813/

Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip

par Abdou Bouri Ba

Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin

Publié dans le Bulletin de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire


Tome 38, Série B, n° 4, octobre 1976, p. 813-860
Nous remercions l'Institut Fondamental d'Afrique Noire - Cheikh Anta Diop,
qui nous a autorisé à faire figurer ce document sur le site internet
du Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
http://tekrur-ucad.refer.sn.

Avant-propos

La chronique du Saloum et du Rip de M. Abdou Bouri Ba a été recueillie en mars 1974, alors que
l’auteur était chef d’arrondissement à Toubakouta 1. Deux entretiens enregistrés au magnétophone ont
fourni la substance du texte ici présenté. Par ailleurs A. B. Ba a rédigé à notre intention un ensemble
de notes, consignées dans deux cahiers, dont les données sont souvent originales par rapport à celles
de l’enregistrement. Les divers renseignements ont été regroupés en deux chapitres : le premier est
consacré à l’organisation socio-politique, aux provinces anciennes et aux familles ; le second donne un
récit des évènements qui ont eu lieu au Saloum, sous le règne des différents Buur Saloum (rois du
Saloum), mais propose également certaines précisions sur le Rip, en particulier sur l’histoire de ce
pays à partir du XIXe siècle.
Abdou Bouri Ba est petit-fils de Mamour Ndari qui était le frère de Maba Diakhou Ba, et fils
d’Insa Ba. Il est connu comme un des plus remarquables historiens traditionnels du Saloum et du Rip.
Au cours de toute sa carrière administrative, qui l’amena à servir dans plusieurs régions du Saloum, il
a manifesté son grand intérêt pour toutes les questions historiques et a su rassembler une vaste
documentation sur ce pays et sur son pays d’origine, le Rip. C’est lui qui a mis à jour, au cours de ses
recherches dans les villages, la liste chronologique des Buur Saloum qui fait désormais autorité et dont
la valeur a été confirmée par les recoupements /p. 814/ avec les sources écrites 2 . D’autre part, l’Essai
historique sur le Rip publié par Ousmane Tamsir Ba 3 a été établi, comme le souligne l’auteur,
uniquement à partir des renseignements fournis par son cousin Abdou Bouri Ba qui peut être
considéré comme le meilleur connaisseur de l’histoire récente du Rip et de sa famille.
Le document d’A. B. Ba ici présenté est la première synthèse des renseignements de la tradition
orale sur le Saloum. Il s’avère très riche par ses précisions, presque toujours recoupées au cours de nos
propres enquêtes, sur les provinces, les familles, les rois et le rôle de l’Islam dans le pays. Malgré un

1 La chronique a été recueillie dans le cadre d’un programme de recherches sociologiques et socio-historiques,
qui sont menées en collaboration par V. Martin, CNRS, et C. Becker, CNRS.
2 J. Boulègue, « Contribution à la chronologie du royaume du Saloum », Bull. IFAN, t. XXVI, B, 3-4, 1965,
p. 657-662.
3 Bull. IFAN, t. XIX, B, 3-4, 1957, p. 564-591.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 2

certain déséquilibre entre les données, parfois minces, concernant les règnes antérieurs à 1800, et
celles qui ont trait aux rois et aux chefs du XIXe siècle, la chronique représente un témoignage
important qui démontre l’intérêt majeur des traditions orales pour la reconstitution du passé. Elle
ouvre la voie à des discussions ultérieures et doit encourager tous les historiens “traditionnels” à
éclaircir les points qui demeurent encore obscurs.
Nous avons voulu conserver au texte d’A. B. Ba son caractère intégral et n’y ajouter aucune
remarque de caractère critique pour les cas, rares, où nos propres informations (traditions ou sources
écrites) ne concordent pas avec celles de la chronique. L’article qui fera bientôt suite à cet essai très
riche proposera, pour le Saloum, un ensemble de données supplémentaires qui proviennent surtout des
sources orales, mais aussi des documents écrits. Elle pourra contribuer, avec la présente chronique, à
une meilleure connaissance de l’histoire du Saloum, des mutations sociales, politiques et religieuses
qui se sont déroulées dans ce pays, et du rôle de la dynastie gelwar à laquelle le Saloum doit
l’organisation de ses communautés humaines.

C. Becker et V. Martin

*****
Essai sur l’histoire du Saloum et du Badibou

Le Saloum tire son nom traditionnel, Mbey, du nom de la princesse gelwar Kino Mbey qui vint du
pays de Gabou avec son frère Maysa Wali et sa sœur Koularo Meo. Avant l’arrivée des Gelwar,
/p. 815/ il semble que le pays du Saloum ne portait pas encore de nom et n’était guère peuplé. La
population se composait de quelques groupes sereer et de colonie socé (manding) installées près de la
Gambie et dans le Niombato.
Provenant du Fouta, les Sereer ont d’abord habité les environs de Djilor où ils étaient au bord de
l’eau et pratiquaient la pêche. Plus tard des migrants sereer sont arrivés aux alentours de Kaolack, et
dans le Laghem dont les plus vieux villages sont ceux de Mboudaye et de Djikhar.
Cependant les Socé ont été les premiers occupants de la région. Leurs principaux vestiges sont des
puits anciens : il est possible de voir ces restes à Ngoungoul, où le puits socé a été recreusé en 1858, à
Oulanga Ndama et près de Nioro. D’autre part, certaines appellations toponymiques rappellent que les
Socé ont précédé les Wolof et même les Sereer dans le Saloum. Enfin, la tradition avance que Kuyon
Keita, puis Saloum Souaré ont été les représentants de l’ancien roi du Mali, au temps de Sunjata. Ils
constituaient alors l’autorité locale, mais ne commandaient effectivement que les troupes qui les
accompagnaient. Kuyon Keita habitait l’île qui se trouve en face de Kahone et qui porte encore son
nom. Saloum Souaré a occupé l’actuel emplacement de Kahone. On ne peut plus retrouver désormais
les traces de leurs habitations.
Le Saloum n’était pas très peuplé à cette époque et les villages étaient éloignés les uns des autres.
La plus grande partie de la population était concentrée au bord des rivières, surtout près de Djilor et
dans le Niombato, pour s’approvisionner en poisson et en eau. Comme l’eau est assez profonde dans
de nombreuses régions du Saloum, ces premiers occupants de la région ont préféré s’installer à côté
des cours d’eau.
Après les Socé et les Sereer, des groupes toucouleur sont arrivés du Fouta. Ainsi les compagnons
d’Elibana, originaires du Dimar et du Toro, sont venus créer de multiples agglomérations connues
sous le nom de Diama-Diama. La migration dirigée par Elibana a été numériquement importante ; elle
résulte de la défaite infligée par le conquérant Koli Tengela au père d’Elibana. En effet, le fondateur
de la dynastie dénianké et envahisseur du Fouta, Koli, tua Elibana au cours de sa conquête. Son fils
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 3

Ali Elibana, que les traditions du Saloum appellent couramment Elibana, fut obligé d’émigrer, et vint
avec tous ses fidèles au Saloum pour y retrouver un royaume. Elibana commanda aux Sereer et tenta
de les islamiser, mais en vain. Cependant il fut plutôt un chef de famille islamisateur qu’un véritable
roi. À sa mort, consécutive à une /p. 816/ opération magique, les compagnons d’Elibana ont été
inquiétés par les guerriers de Mbégan Ndour qui fut le premier roi de la dynastie gelwar. Certains
d’entre eux émigrèrent au sud de la Gambie, où ils fondèrent le pays toucouleur du Kabada.

I.— L’organisation socio-politique


Au cours du règne de la dynastie gelwar, la société du Saloum se divisait en trois catégories
majeures :
1.— l’aristocratie formée par les Gelwar, les doomi-buur (fils de roi), les saltigi et les borom
ndombo-tank ;
2.— le groupe des hommes libres ;
3.— les groupes de ñyeñyo.
La première classe se compose, par ordre d’importance :
— des Gelwar qui représentent la dynastie royale et dont la qualité est transmise par la lignée
maternelle. L’homme gelwar ne peut pas produire un Gelwar, mais la femme gelwar confère à toute
sa postérité le titre de Gelwar, même si elle se marie à un captif. En effet, la mère efface toutes les
bassesses. Cependant de telles mésalliances étaient assez rares, car le mari d’une princesse gelwar
était en général choisi : le père et la mère n’avaient pas le droit d’offrir la main de leur fille sans l’avis
du farba et du jaaraaf.
— des borom ndombo-tank qui avaient à leur tête le grand jaaraaf ; ce dernier était la plus forte
personnalité du royaume et le représentant du peuple. Le grand jaaraaf était nommé par le roi du
Saloum en cas de décès du titulaire de ce poste : mais lors de la vacance du trône, c’est le grand
jaaraaf qui présidait l’assemblée élective chargée de désigner le nouveau Buur Saloum, et qui
disposait d’une voix prépondérante dans le conseil. Il pouvait provoquer la chute ou l’abdication du
roi, en fournissant les preuves contre le souverain. Le roi nouvellement élu ne pouvait pas révoquer le
grand jaaraaf. Les grands jaaraaf étaient choisis dans les familles paternelles Sarr et Niang.
— des doomi-buur qui ne pouvaient être que chefs de province. Ils étaient des descendants du roi
ou ses cousins, issus du mariage d’un homme gelwar et d’une femme libre.
La seconde classe comprend tous les hommes libres qui forment la majorité de la population. Ce
sont les personnes libres, qui n’ont jamais été esclaves, et qui appartiennent aux ethnies sereer, wolof
ou toucouleur.
/p. 817/ La troisième classe englobe à la fois les divers groupes de captifs, les griots et les artisans tels
les forgerons, les cordonniers, les tisserands et les laobé (travail du bois).

Les dignitaires

Le Buur Saloum est évidemment le premier personnage du pays. Alors qu’au Sine le roi était
considéré comme un Dieu et un chef absolu, gardien des mânes des ancêtres, au Saloum, le roi avait
moins de pouvoir. Il n’avait pas le droit de vie et de mort sur les personnes. Pour condamner
quelqu’un à mort, il fallait le consentement du jaaraaf ; ainsi Fakha a été obligé d’abdiquer parce qu’il
avait tué son cousin Makumba. Le Buur Saloum Guédal a obtenu cette autorisation du jaaraaf dans
une situation exceptionnelle dite de “kasanga”, qu’on peut appeler “état d’exception” ; en effet il était
en guerre contre le Rip et il avait obtenu la permission de résoudre seul les cas urgents, mais c’était là
une entorse à la règle traditionnelle du Saloum.
La présence du Buur Saloum était parfois indispensable à certaines cérémonies religieuses.
Cependant les principaux “fétiches” avaient une famille particulière, dans Kahone, qui était chargée de
perpétuer les cultes ; ils n’appartenaient donc pas au Gelwar, à l’exception d’un seul qui se trouve
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 4

entre Kahone et le Saloum : il s’agit d’une place où seuls les Gelwar se réunissaient pour se concerter,
pour prier et pour prédire l’avenir.
Quant le roi mourait, tous les princes candidats se réunissaient à Kahone. L’élection était dirigée
par le grand jaaraaf dont la voix était prépondérante dans l’assemblée. C’est lui qui consultait le chef
des armées, les principaux notables, et les Gelwar eux-mêmes. Ayant pris sa décision, le jaaraaf
indiquait à chaque prince le village où il devait aller passer la nuit : celui qu’il envoyait à Badakhoune
était le candidat heureux qui devait revenir le lendemain à Kahone pour y être sacré roi du Saloum. Le
cérémonial du sacre prévoyait que le nouveau roi soit placé sur un monticule de sable, où on lui
présentait toutes les productions agricoles qu’on souhaitait avoir en abondance sous son règne. On
posait sur sa tête une oreille d’éléphant qui appartient à la dynastie gelwar du Djonik et le roi conserve
cette coiffure pendant plusieurs heures alors que les tambours royaux, les fameux dioung-dioung
résonnent. Tous les chefs de provinces étaient soit révoqués, soit confirmés, soit nommés, sauf le
jaaraaf qui ne peut pas être renvoyé sauf en cas de trahison notoire. En effet, le roi n’a aucun pouvoir
sur le /p. 818/ jaaraaf installé. Cependant, en cas de décès de celui-ci, le roi a la voix prépondérante
pour nommer son remplaçant. À l’avènement du roi, la présentation des cadeaux en signe d’allégeance
avait un caractère privé et non officiel.
Parmi les princesses, la première place revenait à la lyngèr qui était souvent la mère du roi, ou sa
tante, sa sœur ou même son épouse si celle-ci est gelwar. Pour le choix de la lyngèr, toute liberté était
laissée au Buur, car celle-ci était sa confidente. Elle détenait les richesses de la dynastie ; c’est
pourquoi il était impossible de nommer une femme en qui on ne pouvait pas avoir entière confiance.
Le plus souvent la mère du roi était choisie ou, à défaut, la sœur. La lyngèr détenait tous les esclaves
de la lignée. Ainsi elle commandait tous les villages où ceux-ci étaient répartis : 20 aux alentours de
Kahone, pour le clan Kéwé Bigué, 30 pour le clan Khorédia Bigué et autant pour les Kéwé Bigué dans
le Laghem. C’est la lingère qui gérait le produit des récoltes de ces captifs qui donnaient une bonne
partie de leurs productions à leur maître.
La première épouse du roi, nommé Awo, avait quelques villages sous son autorité, qui travaillaient
pour elle et où elle percevait les amendes infligées, en particulier dans les pays de Nguer et de Thikat.
Le Farba était le chef des armées choisi le plus souvent parmi les dyami-Kahone, c’est-à-dire les
plus anciens habitants de Kahone, non pas captifs de condition, mais considérés comme “captifs” du
génie protecteur de ce village. Les familles qui ont le plus souvent accédé à ce poste sont les Sarr, les
Dieng et les Niang. Ces dyami-Kahone ne doivent pas être confondus avec les dyami-Gelwar (captifs
des Gelwar), véritables esclaves, qui proviennent des guerres et constituent le butin des vainqueurs.
Outre le grand farba, il y avait des petits farba dans l’entourage des chefs de provinces qui
organisaient de petites cours dans leur domaine.
Le jaaraaf Buntiker n’existait pas au Saloum. Ses fonctions étaient assumées par un personnage
nommé Beukenèk qui était un homme de condition libre réputé honnête. Il était chargé des affaires
intérieures et de la trésorerie.
Dans l’entourage immédiat du roi, il y avait un chef appelé Bamban qui commandait le village de
Nguèr et dont la famille était Badiane. Il jouait un rôle très important et avait un droit d’intervention
auprès du Buur.
Il y avait également le Bissik qui peut être considéré comme le chef des espions et l’homme
chargé de la diplomatie. Il était choisi parmi les Naari-Kajor (Maures du Kayor), venus dans le
Saloum /p. 819/ comme marchands de chevaux et retenus comme conseillers par les rois. Parmi les
gens libres, eux seuls possédaient certaines prérogatives en présence du roi ; ils avaient en particulier
le droit de danser à l’occasion des cérémonies devant le Buur.
Les Bissèt sont des sortes de bouffons qui sont chargés d’égayer le roi. L’origine de cette famille
proviendrait d’un homme qui aurait eu un fils de sa propre fille. Lorsque naquit l’enfant, celui-ci
l’aurait pris entre ses bras et se serait écrié “bi set”, c’est-à-dire “celui-ci est un petit-fils”. Il faut
considérer les bissèt comme des gens sans vergogne qui n’éprouvaient pas de honte à baisser le
pantalon devant le roi. Quand ils se dénudaient ainsi devant la maison d’un particulier, on prétendait
que la concession devait disparaître. À leur mort, ils étaient enterrés à la frontière du pays.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 5

Les familles et les provinces du Saloum

Le Ndoukoumane. C’est la plus glorieuse des provinces du pays. Elle a été créée par Mbégan
Ndour, quelques jours après son avènement. Le premier Beuleup (titre de son chef) est Wali Mbéru
Mbaké Ndao, originaire du Dyolof où sa famille possédait déjà le titre de Beuleup. Il fut le premier
membre de la famille Ndao qui aida Mbégan, comme soldat et capitaine, à pacifier surtout le Djonik.
En récompense de ses services, le Buur Saloum créa pour lui la principauté du Ndoukoumane où ses
descendants ont régné sans interruption. Ayant émigré d’abord vers le Boundou, Wali Mbéru ne put
parvenir à s’emparer du Dyolof pour y faire reconnaître ses droits, et se réfugia ainsi auprès du
conquérant Mbégan qu’il soutint de ses propres troupes. La principale famille qui accompagna Wali
Mbéru fut celle des Vilane qui était déjà islamisée à son installation dans le Saloum. De nombreuses
autres familles, provenant du Dyolof, se sont alors implantées, en particulier dans le Ndoukoumane.

Le Koular. Selon la tradition, les Gelwar proviennent du Gabou et sont les descendants d’Amina
Coulibaly, la sœur de Sunjata, qui aurait passé elle-même dans le Niani. Maysa Wali Dione vit un jour
en songe un grand empire du côté de l’occident, qui appartiendrait à sa postérité. Il émigra donc vers
ce pays, accompagné de ses sœurs Koularo Méo, Sino Méo et Kino Mbey qui s’installèrent d’abord
aux environs de Koular où se trouvaient déjà des Sereer. Koularo Méo choisit de rester à Koular
même, village aujourd’hui disparu qui était situé près du rivage vers la route de Baria, alors que les
Sereer se trouvaient entre les villages actuels de Koular et /p. 820/ Ndiayecounda, à une place où l’on
rencontre encore de grands baobabs. Il y eut là des alliances entre les Manding et les Sereer. Maysa
Wali partit à Soukouta (vers Toubacouta) à un emplacement qui est jusqu’à présent interdit aux
autorités administratives. Puis il se dirigea vers Pètj (Djonik) où se déroulèrent de nombreux
événements. Maysa Wali continua avec une partie du groupe son chemin jusqu’à Mbissel où il est
devenu le premier roi gelwar du Sine. Avant son arrivée, ce pays était commandé par les laman ; il
parvint à réaliser l’unité autour de son commandement et établit sa capitale à Mbissel, où il serait
enterré.
Koularo Méo resta avec ses captifs et une troupe assez nombreuse. En souvenir de l’antériorité de
ce village où transitèrent tous les Gelwar, les rois du Saloum laissèrent à ses chefs tous les villages des
alentours, en particulier Koutango, Baria, Ngoungoul et Koular même, qui constituaient une
principauté assez importante.

Le Djonik ou Djilor. C’est une province antérieure à l’évènement de Mbégan Ndour, d’abord
occupée par les Sereer, ensuite conquise par les Gelwar, avant d’être soumise par Mbégan. La
princesse gelwar Sira Badiar a érigé le pays en royaume indépendant dont elle a été la première reine ;
elle serait une nièce de Maysa Waly Dione. Bien que Mbégan ait pacifié le Djonik et l’ait rattaché au
Saloum, cette principauté n’a été définitivement intégrée que sous le règne de Latmingué Diélène.
Pendant toute la durée de la dynastie, le Djonik, dont la capitale était Djilor, a joué un rôle important.
Tout comme le Ngaye, elle a compté de nombreux héritiers présomptifs qui ont régné sur le Saloum
par la suite. Ses chefs étaient appelés Buumy-Djilor.

Le Ngaye-Signy. Le Signy est la région frontière entre le Saloum et le Dyolof, dont la capitale était
le village de Ngaye. C’était la plus grande des principautés du pays où commandait en général
l’héritier présomptif du royaume, appelé Ba-Ngaye (Buur Ngaye). De nombreux souverains y ont
préparé leur avènement au pouvoir. C’était une région très riche en bétail, car beaucoup de Peul y
résidaient avec le Ba-Ngaye, sa famille et sa suite. Les villages autour de Mboss en dépendaient.

Le Pakala et Wanar. Le Pakala est une principauté où commandait la famille des Cissé, islamisée
bien avant son arrivée au Saloum. Le premier membre de cette famille serait Biran Fari Diarméo, qui
serait venu au Saloum, il y a environ 400 années après avoir blessé Koli Tenguéla au cours d’un
combat au Dyolof. Installé d’abord à Navel, tout près de Birkelane, /p. 821/ pendant deux ans, il partit
fonder le village de Wanar à partir duquel se sont constituées les trois branches de la famille : les
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 6

Cissé Diarméo, qui sont les authentiques descendants de Biran Fari, les Cissé Keur Samba Yasin et les
Cissé Sonkoron. Les Cissé ont créé une multitude de villages dans le Kaymor, le Mandakh, le Wak-
Ngouna et le Djonik, mais leur principale implantation se trouve dans le Pakala, où ils se seraient
installés sous le roi Sengane Kéwé. Ce dernier aurait créé la principauté en faveur d’un marabout très
compétent qui avait prié pour lui, appelé Madi Bakar. On le craignait beaucoup et les Wolof, après
l’avoir éprouvé en vain, lui ont donné le surnom de pakh (bout de bois, souche) contre lequel le pied
vient buter et qui entraîne la chute de celui qui le heurte. C’est là l’origine du nom de Pakala, province
dont le chef portait le titre de Sériñ (chef musulman) et appartenait toujours à la famille Cissé. À
Wanar commandait également un Sériñ dont l’influence était moins étendue.

Le Kayemor. Comme le Pakala, le Kaymor est une province très ancienne, fondée par un prince,
ancien Buurba-Dyolof, qui avait été contraint à abdiquer et était venu se réfugier au Saloum. Ce roi
déchu s’appelait Biram Diémé Elèr Ndiaye. Ce serait le Buur Walbuumy Diélèn qui l’aurait installé à
Kaymor où il épousa une femme de Djiguimar, du nom de Loum, dont il eut Mbagne Fabor. C’est en
faveur de ce dernier que la principauté a été créée ; celui-ci en fut le premier Buumy et représente
l’ancêtre de la lignée Keur Mbagne Fabor qui a fourni un bon nombre de rois au Saloum.

Le Mandakh. Cette province est commandée également par la famille Ndiaye représentée par une
branche qui serait plus ancienne que celle du Kaymor. Le plus illustre des Buumy Mandakh est
Makodou, lequel a donné son nom à cette lignée des Ndiaye (Keur Makodou). De nombreux chefs du
Mandakh ont étés élus rois du Saloum par la suite : Makodou, Biram Diémé Koumba, Waldodio,
Sengane Kéwé, Sengane Déguène, Ndéné Barou. Les Ndiaye qui ont régné sur le Sine sont tous issus
de Keur Makodou, du Mandakh. Seul Salmon Faye a eu pour mère une gelwar dont le père, Socé
Bigué Ndiaye, était un Buur Saloum originaire de Kaymor.

Le Diokoul. C’était une principauté très ancienne qui pouvait être commandée par un prince de
n’importe quelle famille paternelle. Cependant, la plupart des Buur Diokoul se nommaient Mbodj.

Le Gandiaye. Comme dans le Diokoul, les Mbodj ont souvent été nommés Buur Gandiaye et
occupaient plusieurs villages dans /p. 822/ cette province, qu’ils soient nobles ou non. La famille
Mbodj du Diokoul et du Gandiaye est originaire du Walo. Au temps du Brak Kantiak, un prince très
vif et très beau vint s’installer au Saloum et se maria avec une femme gelwar, Diogop Bigué Souka.
Le premier Buur Saloum du nom de Mbodj, Mbagne Diogop, est son fils. Ce prince s’est installé au
village de Ndya sous le règne de Biram Khourédia Tièk, ou de Ndéné Ndiaye Bigué.

Le Log. C’est la région la plus anciennement peuplée par les Sereer qui l’occupèrent avant même
le pays de Djilor, lorsqu’ils arrivèrent du Fouta. L’origine du nom de cette province est obscure. Les
Sereer qui l’ont toujours habitée étaient directement commandés par le Buur Djonik qui plaçait un
représentant à Mbassis (farba Mbassis).

Le Gandoun ou Ndoun. Cette province comprend tous les villages des îles du Saloum, à
l’exception de Betenti, Bossinkang, Djinak et Diatako qui étaient rattachés au royaume du Niomi. Elle
est habitée par les Niominka pêcheurs qui reconnaissaient l’autorité du Buur Saloum. En 1867, les
Français envoyèrent, en guise de représailles, un aviso appelé le Crocodile contre ces villages. Les
habitants émigrèrent alors en grande partie sur la terre ferme où ils fondèrent les villages de
Toubacouta, Dassilamé, Sourou et Bani. Missira avait été créé avant l’action du Crocodile par un
personnage pieux, Fodé Senghor, dont le tombeau se trouve dans la mosquée de ce village.

Le Diafé-Diafé, rattaché au Djonik, était donc administré par le Buur Djilor, qui y nommait un
représentant. Sous le règne de Balé, un habitant de Diafé-Diafé, du nom de Sarr, alla se plaindre au
roi, disant que le pays vivait en anarchie et que le roi du Djonik ne pouvait pas le contrôler. Il en fut
nommé le chef par le Buur Saloum. La province ne comportait que les villages de Diafé-Diafé,
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 7

Diongone et Lérane Coli ; Mbouloum n’était pas encore fondé. Lérane Coli avait un statut particulier
dans le royaume du Saloum. En effet, quand l’auteur d’un meurtre parvenait à s’y réfugier, personne
ne pouvait le poursuivre, ni le punir. Le meurtrier devait y attendre que l’herbe ait poussé sur la tombe
de sa victime, c’est-à-dire qu’un hivernage soit achevé, et retrouvait ensuite son entière liberté.
Comme Lérane était un village infesté de moustiques durant la saison de pluies, il arrivait souvent que
l’auteur du crime mourait lors de son séjour. Sinon, après avoir enduré cette punition, il retrouvait sa
liberté. Les Gelwar n’étaient pas autorisés à entrer dans ce village et ne mangeaient aucune nourriture
qui provenait de cette localité.

/p. 823/ Le Laghem. C’est une province qui a été effectivement créée sous le roi Guédal à la fin du
XIXe siècle. Cependant auparavant, le nom de Laghem existait et il y avait un bon nombre de villages,
essentiellement peuplés par les Sereer qui occupaient cette région ; ceux-ci dépendaient directement
du Buur Saloum. Guédal, qui était l’unique représentant du clan gelwar Kodou Bigué et le fils de Saer
Mati Wak Ndiouga, se rapprocha du clan gelwar Kéwé Bigué pour reconquérir les pays ôtés au
Saloum par les Toucouleur du Rip : il créa ainsi le Laghem qu’il offrit à Sémou Djimit, le chef de ce
clan.
Autrefois les principaux villages sereer étaient Mboudaye, Sélik, Tiariak, Tandabar, Thiofior et
Ndofane. Quand les Buur Saloum étaient nommés, ils choisissaient souvent des jaaraaf et des farba
originaires de ces localités, pour venir résider à Kahone ou pour commander sur place. Les Peul
étaient commandés par des chefs appelés dialigué, et les Sereer par des farba dont le principal résidait
à Tiariak.

Le Paffa-Tag-Warnéo. Ce pays, comportant les deux importants villages de Paffa et de Tag,


n’était pas véritablement une unité administrative au cours de l’histoire du Saloum. Il s’agissait de
villes où les récoltes étaient abondantes et le commerce prospère. Alors que le premier était resté
attaché à la religion du terroir, le second était musulman depuis sa création. Beaucoup d’événements
se sont produits à partir du Tag Warnéo. Abdoul Qadyr, le premier Almamy du Fouta Toro y serait né.
De même, la fameuse rencontre entre Albouri et Guédal y aurait eu lieu.

Les pays autour de Kahone. Comme on l’a noté, beaucoup de villages peuplés par les captifs de la
couronne existaient aux environs immédiats de la capitale, Kahone, mais aussi vers le nord, près de
l’actuel Guinguinéo, et à l’est vers Birkelane. Ces localités relevaient donc directement du Buur
Saloum. Signalons l’ancien village de Ganièk, qui serait la résidence des chefs sereer, avant la prise du
pouvoir par les Gelwar. Une petite principauté y a été créée sous le Buur Saloum Balé, pour satisfaire
un prétendant malheureux au poste de Beuleup qui s’appelait Samba Bissin Diara Ndao ; elle
englobait un bon nombre de villages environnants par la suite.

Les villages autonomes directement rattachés au Buur Saloum. Certains villages dépendaient
directement du roi du Saloum, sans faire partie des provinces, tels que Ndioté, commandé par les
Bummy Dioté de la famille Ndiaye, Bofi, également dirigé par un Buumy du nom de Ndiaye,
Ndioudiène, dont le Buumy était de /p. 824/ la famille Dieng, Koutia, résidence d’un petit Beuleup du
nom de Ndao, et surtout Katiawane dont le Buumy commandait également plusieurs villages
environnants. Le Katiawane est de création récente : il aurait été érigé en principauté en faveur d’un
Buumy Bofi dépossédé, appelé Sengane Ndew Ndour. Il y avait également un chef autonome à Katiot,
le Buur Katiot (famille Loum), et à Katakiel, le Buur Katakiel, dont l’autorité restait limitée à leur
village et à leur famille. À Ndémène enfin résidait un Sériñ appartenant à la famille Dème, d’origine
toucouleur.

Les Peul. Il y a eu plusieurs vagues de Peul qui sont venus s’installer au Saloum. Les Habobé
seraient les plus anciens, mais les Dialalo, qui se trouvent en Gambie surtout, revendiquent une
implantation aussi ancienne. Ces derniers, conduits par leur chef nommé Mbou, seraient parvenus
dans le Rip, puis dans le Saloum, en même que Katim Diouma Liba (cf. ci-dessous). Il existe
également un petit groupe d’Ourourbé au nord du Saloum.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 8

Les Toucouleur. Comme on l’a noté, l’arrivée de Toucouleur est antérieure à la prise du pouvoir
par Mbégan Ndour, et leur principales installations se trouvent à Diama (Rip) et à Hodar (Saloum).
Cependant un second groupe toucouleur s’est installé dans le Rip vers la fin du XVIIIe siècle, à la suite
de la défaite de l’Almamy Abdoul Qadyr à la bataille de Bounkoye où celui-ci fut vaincu par Damel
Amari Ngoné Ndéla. Honteux de rentrer dans leurs pays, ils préférèrent se retirer dans le Rip pour y
fonder les villages de Dabali, K. Djiby, Vélingara, K. Modou Néné, K. Amar Seydou et Wak Ngouna,
ainsi que Kabakoto qui dépendait d’abord du Kaymor, mais obtint d’être rattaché directement au roi
du Saloum.

La famille Touré. Elle serait anciennement parvenue dans le Saloum, sous le règne du deuxième
roi gelwar, Guiranokhap. Le chef de la famille était alors un personnage illustre appelé Katim Diouma
Liba. Le Buur Saloum l’installa à Maka dont il fut le fondateur. À cette époque, le geste de nommer ce
village du nom musulman de Maka, dans une région païenne, fut considéré comme une provocation
par les tyédo. Ceux-ci dévastèrent les champs et provoquèrent ainsi une bagarre au cours de laquelle le
farba de Kahone, Amadi Gnik, fut tué par Katim Diouma Liba. Guiranokhap obligea Katim à quitter
le village en laissant toute la récolte. Il marcha jusqu’à être fatigué ; arrivé à un certain endroit, il
s’arrêta en disant “Passita”, ce qui veut dire en socé “je m’arrête là”, “je suis fatigué”. Le village de
Passy Nguélakh fut ainsi fondé, sous la dépendance du Buur Rip. C’est en souvenir de cette /p. 825/
fondation que tous les villages créés par les Touré portent le nom de Passy.

La famille Dramé. Originaires du Dyolof, les Dramé sont arrivés au Saloum au temps du Buur
Maléotane. Ils ont créé alors leurs villages-mères qui sont Barkédji et Baytit, dans le pays
traditionnellement appelé Gnilin. Comme les Cissé et les Touré, ils étaient islamisés avant leur venue
au Saloum.

Les Fall. Le premier prince de cette famille qui soit venu au Saloum fut Biraima Fatma Tyoub. Il
avait été obligé de s’exiler après avoir été chassé du Kayor par son oncle, Damel Amari Ngoné Ndéla.
Au Saloum, il épousa une nièce du roi, appelée Kodou Koumba Yandé Barou. De ce mariage sont nés
beaucoup d’enfants, dont Makodou, qui devint lui-même Damel et donna naissance à deux Gelwar
futurs rois du Saloum, Samba Laobé Lassouk et Fakha Fall. Cependant il est probable que d’autres
nobles de la famille Fall sont venus au Saloum bien auparavant : on retrouve en effet dans la liste des
souverains un Buur nommé Ama Fall Kodou Bigué, dont la mère, donnée en mariage au petit-fils de
Damel Massamba Tako, serait allée au Kayor. Après la naissance d’Ama Fall, le mariage fut rompu et
la mère emmena l’enfant au Saloum où il possédait plus de chances d’accéder au trône. Il y fut donc
élevé et devint roi du Saloum. Certaines traditions affirment qu’il serait devenu Damel après la
“guerre des marabouts”, au Kayor, où on l’appelle Makhourédia Diodio Diouf.

Les familles et les provinces du Rip

Le Rip a été d’abord connu sous le nom de Badibou. Cette première appellation aurait été donnée
en souvenir du patriarche qui avait découvert le pays. En effet, l’ancêtre de la famille Loum, appelé
Kandi, a donné au pays le nom de son fils Badibou Koli. Les Loum étaient des Manding à leur arrivée.
Ce pays est également désigné comme le Rip ; ce sont les Wolof qui ont utilisé ce mot pour qualifier
l’état marécageux du sol au cours de l’hivernage.
Le Badibou est un royaume fondé autrefois par Adiouma Sarr, ancien serviteur de la famille Loum
qui provenait du Manding et se composait de quatre frères : Balangar, Djiguimar, Sangaba et Kandi.
Adiouma se révolta contre ses maîtres et les battit au village aujourd’hui disparu de Ngoyane (près de
Médina Sabakh). Il fonda la dynastie du Badibou et fonda les capitales de Jumansar et Yindia. À sa
mort, il n’avait pas de fils, mais plusieurs filles. /p. 826/ Ses gendres lui ont succédé, donnant
naissance aux dynasties, qui, depuis lors, commandaient à tour de rôle le pays : les Marone, les
Dramé, les Diadama, les Mambouré et les Diba. Les princes du Badibou se sont mariés au Saloum et
au Sine. Ainsi le Buur Sine Silmang Marone était natif de la famille royale de Yindia.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 9

La famille Ndiaye serait la plus ancienne au Badibou. En effet, un nommé Babakar Ndiaye,
originaire du Dyolof, se serait installé au village de Boumbouni où se trouve son tombeau qui est
l’objet d’un pèlerinage annuel et solennel. Il aurait fait amener du sable des lieux saints de l’Islam
pour le répandre à l’endroit où se trouvait la mosquée de son village. Les descendants de Babakar
Ndiaye ont toujours été des cultivateurs et des marabouts ; ils n’ont jamais cherché à concourir pour la
royauté, contrairement aux descendants de Biram Diémé Elèr Ndiaye qui vinrent au Saloum après lui.
Quelque temps après la mort de Babakar, la famille Loum parvint au Badibou. Les quatre frères
précités créèrent chacun un village qui porte le prénom du fondateur : Balangar, Djiguimar, Sangap et
Kandi. Ils furent supplantés par Wali Manga Diba qui était un aventurier doté de pouvoirs magiques. Il
fonda le village de Farafeni et mourut en Casamance ; il est à l’origine de la dynastie Diba. Selon
certaines traditions, il aurait été voir Babakar Ndiaye avant sa mort ; celui-ci lui aurait donné un
terrain pour créer son village tout près du faro (terrain inondable avec rizières), d’où le nom de
Farafénié qui signifie faro-fénié, “roi, propriétaire” du faro. On dit également assez souvent que Wali
Manga a été assassiné par Adiouma Sarr, après qu’il lui eût livré le secret de son pouvoir magique
alors qu’il était ivre.
Il faut préciser que le Badibou a toujours été un pays indépendant du Saloum. À certains
moments, il fut même une monarchie plus puissante que celle du Saloum. À deux reprises, les rois du
Saloum ont été battus par ceux du Rip. Ainsi Sandéné Kodou Fall Ndao a été défait à Diawara par
Mbagne Diébel Samba Diamé, et Balé à Kandi, par le roi Madiouf Diabou et Diéréba Marone. Le
Badibou n’a jamais été une province du Saloum, mais a toujours été un royaume florissant et voisin du
Saloum, jusqu’en 1861.
Le Rip ou Badibou était divisé en six provinces : le Sabakh, le Sandial, le Rip, le Joka, le Paos et
le Badibou. Cette dernière province comprenait les résidences des rois appartenant aux différentes
familles royales. Ainsi les 54 Mansa Badibou habitaient à Yindia quand ils étaient Marone (8), à
Iliassa pour les Diamé (9), Koubandar pour les Diadiou-Mambouré (4), Jumansar-Alkalikunda /p. 827/
pour les Diadama (18) et Diakhadiar pour les Diba, puis Marone (15).
Le Paos a toujours été une province commandée par les Sereer, dont les descendants se trouvent
toujours aux environs de Nioro du Rip.
Le Sabakh et le Sandial étaient commandés par deux familles Kamara distinctes. Le chef du
Sabakh résidait à Koumbidia et celui du Sandial à Kataba (en Gambie).
Le Joka était une principauté commandée par la famille Mané dont la capitale se trouvait à Mémé
(Gambie).
Le Rip constituait un pays essentiellement occupé par diverses familles wolof, dont la plupart
proviennent du Dyolof et sont d’origine manding (Cissé, Dramé).
Outre ces provinces, il y avait dans le Badibou un certain nombre de villages autonomes, dont les
principaux étaient Diabakunda, commandé par la famille Ndiaye, et Salikénié, localité très islamisée
dirigée par un Almamy.

Provinces frontalières du Saloum


Le Niom. Dépendante du royaume manding du Niomi, cette province ne faisait pas partie du
Saloum. La limite entre le Saloum et le Niomi se situe à un grand arbre (taba) au village de Keur
Sambel. La partie du Niomi qui se trouve actuellement au Sénégal s’appelait Niombato, c’est-à-dire
Haut-Niomi, alors que la partie gambienne est dite Niombata, ou Bas-Niomi.
Le Koungeul. C’était une principauté indépendante, mais qui était de temps en temps annexée soit
au Saloum, soit au Niani. Néanmoins on peut la considérer comme un royaume autonome, commandé
par la dynastie Kamara apparentée à celle du Niani qui était également de famille Kamara.
Les limites du Saloum correspondaient, dit-on, à l’aire où l’on rencontre l’arbuste bankanassé
(Icacina senegalensis A. Jussieu). Cette plante n’existe que dans le Saloum. Partout où il se trouve, on
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 10

peut considérer l’endroit ou la localité comme appartenant au Saloum. C’est pourquoi la frontière avec
les royaumes voisins du Dyolof et du Sine n’a jamais été contestée, sauf peut-être dans le Badibou.
Il est improbable que le roi du Dyolof ait commandé tout le Sénégal et qu’il ait dominé ainsi le
Saloum. À un moment donné, les griots ont chanté la grandeur du Buurba en lui disant qu’il était roi
du Fouta à la Casamance. Il est sûr que les neveux des /p. 828/ Buurba, Walboumy et Latmingué
Diélèn, originaires de la dynastie Ndiaye du Dyolof, ont commandé le Saloum. C’est pourquoi les
griots ont chanté que les Ndiaye étaient à la fois Buurba Dyolof et Buur Saloum. Mais il ne s’agissait
pas là d’un empire véritable et il n’y avait alors que des petits royaumes. En tout cas, de Mbégan
Ndour à Fodé Diouf, il n’y a eu aucun rapport de vassalité entre le Dyolof et le Saloum et aucun tribut
n’a jamais été payé aux souverains du Dyolof.

II.— Histoire des rois du Saloum


La dynastie gelwar du Saloum compte 49 souverains, dont voici la liste avec la durée des divers
règnes 4 :
Durée du règne Début du règne
1. Mbégan Ndour 20 ans 1493
2. Guiranokhap Ndong 7 — 1513
3. Latmingué Diélèn Ndiaye 23 — 1520
4. Samba Lambour Ndiaye 4 — 1543
5. Séni Ndiémé Diélèn Ndiaye 3 — 1547
6. Lathilor Badiane 9 — 1550
7. Walboumy Diélèn Ndiaye 8 — 1559
8. Maléotane Diouf 45 — 1567
9. Sambaré Diop 2 — 1612
10. Biram Ndiémé Koumba Ndiaye 23 — 1614
11. Ndéné Ndiaye Marone Ndao 2 — 1637
12. Mbagne Diémel Ndiaye 6 — 1639
13. Waldiodio Ndiaye 9 — 1645
14. Amakodou Ndiaye 35 — 1654
15. Amafal Fall 6 mois 1689
16. Amadiouf Diouf 6 ans 1690
17. Sengane Kéwé Ndiaye 30 — 1696
18. Lathilor Ndong 4 — 1726
19. Amasiga Seck Ndiaye 2 — 1730
20. Biram Khourédia Tièk Ndao 2 — 1732
21. Ndéné Ndiaye Bigué Ndao 19 — 1734
22. Mbagne Diop 7 — 1753
23. Mbagne Diogop Ndiaye Mbodj 7 — 1760
24. Sandéné Kodou Bigué Ndao 2 — 1767
25. Sengane Diogop Mbodj 7 — 1769
26. Ndéné Diogop Mbodj 2 — 1776
27. Sengane Dégèn Ndiaye 6 mois, 10 jours 1778
/p. 829/
28.Sandéné Kodou Fall Ndao 9 ans 1778
29. Biram Ndiémé Niakhana Ndiaye 16 — 1787
30. Makoumba Diogop Mbodj 7 — 1803
31. Ndéné Niakhana Ndiaye 7 — 1810

4 Cette liste, citée par F. Brigaud (Histoire traditionnelle du Sénégal, Études sénégalaises, n° 9, St-Louis,
CRDS, 1962, p. 161-162), a été fournie à Fodé Diouf par A. B. Ba. La liste a été découverte par ce dernier dans
une vieille famille musulmane du Rip, à Keur Sountou. On précise ici, plus que dans le texte de F. Brigaud, les
patronymes des rois du Saloum.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 11

32. Biram Khourédia Mbodj Ndiaye 6 ans 1817


33. Ndéné Mbarou Ndiaye 1 mois 1823
34. Balé Ndoungou Khourédia Ndao 28 ans 1823
35. Bala Adama Ndiaye 3 — 1851
36. Socé Bigué Ndiaye 16 jours 1854
37. Koumba Ndama Mbodj 4 ans 1855
38. Samba Laobé Fall 5 — 1859
39. Fakha Fall 7 — 1864
40. Niawout Mbodj 5 — 1871
41. Sadiouka Mbodj 3 — 1876
42. Guédal Mbodj 17 — 1879
43. Sémou Djimit Diouf 3 — 1896
44. Ndiémé Ndiénoum Ndao 3 — 1899
45. Ndéné Diogop Diouf 1 — 1902
46. Sémou Ngouye Diouf 10 — 1903
47. Gori Tioro Diouf 6 — 1913
48. Mahawa Tioro Diouf 16 — 1919
49. Fodé Ngouye Diouf 34 — 1935-1969

1.— Mbégan Ndour


Mbégan est le premier personnage digne d’être considéré comme roi du Saloum, car ses
devanciers — Kuyon Keita, Ali Elibana Sall, Diatara Tambedou — ne furent que des chefs de troupe
cherchant vainement à asseoir leur autorité sur le vaste pays dépeuplé qu’était alors le Mbey. Il était le
neveu utérin de Buur Sine Maysa Wali Dione, ou, selon certains griots, le petit-fils d’une sœur de
Maysa. La future mère de Mbégan, étant jeune fille, souffrait d’une plaie à la jambe. Son oncle Maysa
l’envoya auprès du guérisseur célèbre Marga Tiatj, qui habitait au village de Mboudaye et commandait
un remarquable groupe de chasseurs. La princesse se rétablit de sa plaie, mais emporta de son séjour
une grossesse que lui donna le Sereer Marga Tiatj Ndour. Touché dans son orgueil princier, le Buur
Sine invita sa nièce à imputer sa grossesse à un noble de haut rang mais la princesse fidèle à son amant
dont elle redoutait la vengeance repoussa l’idée absurde du monarque.
Quand Mbégan naquit et que Marga Tiatj fut informé de l’événement, il se rendit à Mbissel, avec
une nombreuse suite, conduisant des troupeaux de bœufs, de moutons et de chèvres, amenant des
calebasses pleines de couscous. À leur approche, le Buur Sine donna l’ordre de n’héberger les
étrangers que le lendemain, lorsque /p. 830/ la pluie qui menaçait de tomber aurait mouillé leur
couscous et leurs habits. Mais Marga Tiatj ayant tracé un cercle autour de sa troupe, aucune goutte ne
toucha ses compagnons. Surpris par ce miracle, le roi déclara : « la condition de Marga Tiatj est certes
modeste, mais son savoir l’ennoblit. Il est donc digne d’être l’époux de ma nièce ». Après sa
naissance, Mbégan fut élevé à la cour de son oncle. Devenu grand, il visita tous les pays voisins, en
particulier le Baol.
À Kahone régnait alors un chef toucouleur musulman, Ali Elibana Sall, originaire de Guédé. Sous
le commandement de celui-ci s’est constituée la communauté des dyami-Kahone. À l’heure de la
prière, Ali Elibana demandait aux Sereer de venir adorer le Dieu unique, mais ceux-ci lui répondaient :
« Laisse-nous adorer notre arbre idole “Kahone” dont nous sommes les serviteurs (dyami) ». Voilà
l’origine des dyami-Kahone qui ne sont jamais captifs, mais les plus vieux habitants de la cité.
Venant du village de son père, Mboudaye, Mbégan demanda à Ali Elibana l’autorisation de
s’installer à Tiofak. Ce village tire son nom d’un mot wolof qui signifie “rester dans la crainte”
(tyoforlu), « rester dans une position d’attente ». Il reste près de cette localité un buisson appelé
khambwé-Mbégan, où ce dernier se baignait avec ses safara et ses galadj (amulettes) et conservait ses
gris-gris. Un jour, Mbégan fit part à sa sœur de ses angoisses de ne pouvoir conquérir la couronne au
détriment d’Ali Elibana qui s’était entouré d’une troupe aguerrie et convaincue. Sa sœur lui suggéra le
stratagème suivant : Mbégan devait se transformer en serpent et se cacher dans la babouche du chef
toucouleur pendant qu’il priait dans la mosquée ; à la sortie d’Ali Elibana, Mbégan allait mordre celui-
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 12

ci au pied et sa sœur, alors changée en chatte, viendrait attraper le “serpent” pour disparaître avec lui.
Le plan réussit pleinement, mais avant de mourir le dernier roi de Mbey déclara que Mbégan était la
seule cause de sa mort et annonça que la famille directe de celui-ci ne régnerait plus jamais sur le
Saloum. En effet, aucun roi de la famille Ndour n’est monté sur le trône après la mort de Mbégan.
Après avoir réussi à s’emparer du pouvoir par ruse, mais sans employer les armes, Mbégan eut à
combattre Diatara Tambedou, un chef musulman d’origine sarakolé. Selon certaines sources, il
n’aurait pas été reconnu de suite Buur Saloum. Diatara aurait remplacé Ali Elibana pendant quelques
jours, mais aurait été tué par les Sereer, partisans de Mbégan, tout près du village de Ngathie où se
trouve son tombeau appelé “khatoub Diatara”. Cette tombe /p. 831/ était l’objet d’un pèlerinage
annuel au temps du fétichisme, à l’approche de l’hivernage.
Mbégan donna à son pays le nom de Saloum en souvenir d’un marabout musulman manding qui
portait ce nom. Celui-ci, appelé Saloum Souaré, était le conseiller de Mbégan. Il avait donné à celui-ci
un safara en lui conseillant d’arroser avec de l’eau mélangée à ce produit les points où il voulait que
soient fixées les frontières de son royaume. La prédiction du marabout s’étant réalisée après que
Mbégan eut accompli ce qui lui était recommandé, le pays reçut son nom définitif en souvenir du
bienfait de Saloum Souaré. Saloum Souaré était très instruit et très compétent : il parlait la langue
socé. Sa descendance s’est éteinte au Saloum.
Peu après son accession au trône, Mbégan annexa le royaume de Djilor créé par la princesse
gelwar Sira Badiar, en faisant la guerre à ses parents sereer habitant la région. Il rencontra peu de
résistance, car les Sereer n’étaient guère organisés. Il eut pour auxiliaires des troupes venues du
Dyolof sous la conduite de Wali Mbéru Mbaké Ndao qui reçut en récompense de ses services la
principauté du Ndoukoumane.
Mbégan est cité dans les listes des Buur Sine. Les précisions manquent quant à son règne sur ce
pays, mais il est probable qu’il y a effectivement commandé pendant une certaine période, malgré son
origine badolo de par son père Marga Tiatj.

L’histoire ne nous apprend pas les circonstances exactes de la mort de Mbégan. Bien que cela soit
hypothétique, on prétend parfois que Mbégan serait mort au Baol. Son tempérament aventurier l’aurait
conduit dans ce pays et amené jusqu’à Ngaye Mekhé dont il serait le fondateur. Ne parlant pas la
langue wolof, il aurait déclaré en sereer « Ngari médkhéy », c’est-à-dire « venez, me voici », d’où ce
village tire son nom.
La durée du règne de Mbégan sur le Saloum a été de 20 ans. Autrefois le jaaraaf et les farba
étaient en quelque sorte les officiers d’état civil. Ils enregistraient minutieusement les dates de
naissance des Gelwar pour justifier les droits d’aînesse. Tout était soigneusement transcrit en arabe,
sous la diligence des jaaraaf. À chaque Tamkharit (fête musulmane annuelle), le jaaraaf ajoutait dans
une malle un bâtonnet pour marquer la durée d’un règne, ou l’âge des divers prétendants. C’est ainsi
qu’on peut avancer des dates précises pour chaque souverain du Saloum.
/p. 832/
2.— Guiranohkap Ndong
Il fut un prince obscur et médiocre, au sujet duquel on connaît peu de chose. Cependant il serait
réputé pour avoir mené une vie de débauche.
Sous son règne, il installa à Maka Kahone le fameux marabout socé Katim Diouma Liba Touré,
fondateur de cette famille paternelle au Saloum. Soutenu par les Toucouleur, anciens compagnons
d’Ali Elibana, Katim se révolta contre le roi en tuant au cours d’une rixe son farba Amadi Ndièkh. Le
Buur Saloum écrasa les opposants à Diamakolong. Katim et ses partisans furent chassés et partirent
créer le village de Passy Nguélakh dans le Rip.

3.— Latmingué Diélèn Ndiaye


Fils du Buurba-Dyolof Diélèn oum Nioul, Latmingué est le fondateur du village qui porte son
nom. En effet, Mbégan avait fait marier sa nièce au Buurba pour consolider son pouvoir. De ce
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 13

mariage sont nés les rois Latmingué et Walboumy. Son règne fut paisible et l’élevage prospéra.
Kahone était la capitale, mais ce roi résidait le plus souvent à Latmingué qu’il avait fondé lui-même.
Sa mère était Mingué Ndour, la nièce de Mbégan et la petite-fille de Marga Tiatj. Sous son règne il y
eut une guerre avec le Djilor qui restait peu docile et fut soumis.

5.— Séni Ndiémé Diélèn Ndiaye


Selon certaines traditions, il serait le frère de Latmingué. Il eut à soutenir une guerre contre le
Sine, ainsi que le soulignent les chants de griots qui disent « Séni Ndiémé s’est distingué à Ndiop »
dans le Sine. Il est probable qu’il n’était que le neveu de Latmingué.

6.— Lathilor Badiane


La famille Badiane ne compte qu’un seul roi. Elle est originaire de Nguer et fournissait un
dignitaire du Saloum appelé Barban. Les ancêtres étaient des Sereer venus du Baol, peu après le règne
de Mbégan, qui restaient très liés à ce pays où ils ont souvent occupé le poste de jaaraaf.

/p. 833/

7.— Walboumy Diélèn Ndiaye


Frère de Latmingué, Walboumy eut un règne difficile, marqué par de nombreux conflits. Ce fut un
des seuls rois qui eut à soutenir beaucoup d’oppositions jusqu’au renforcement des musulmans dans le
Saloum.

8.— Maléotane Diouf


Il est originaire du Sine et fut un grand organisateur. Il encouragea l’agriculture et l’élevage et son
pays fut prospère sous son règne. C’est lui qui créa la principauté de Ndémène qu’il confia au
marabout Birane Dème, venu du Fouta. Le chef du petit pays de Ndémène, comprenant quelques
villages, portait le titre d’Alwaly-Ndémène. Maléotane installa également Birane Fari Diarméo Cissé
au village de Wanar où se trouve la première implantation de la famille dans le Saloum.

9.— Sambaré Diop


La famille de ce roi a son origine dans le Guet, au Kayor. Sambaré le petit-fils de Kouli Kodou qui
est né dans ce pays. Sous son règne beaucoup d’émigrés seraient parvenus dans le Saloum, en
particulier la famille Dramé.

10.— Biram Ndiémé Koumba Ndiaye


Il fut Ba-Ngaye avant d’être élu Buur Saloum. Il eut à combattre pour arriver à prendre possession
du trône, car plusieurs opposants s’étaient manifestés contre sa personne.

11.— Ndéné Ndiaye Marone Ndao


Premier roi de la famille Ndao, il fut Beuleup avant d’accéder au trône. Avant d’être roi, il fut un
glorieux soldat dont le nom est encore cité par les griots sous l’appellation de Simbèn Diodio. Il eut un
règne troublé par plusieurs guerres à l’intérieur du royaume.

12.— Mbagne Diémel Ndiaye


Fut Buumy Kaymor avant d’être nommé Buur Saloum.
/p. 834/
13.— Waldiodio Ndiaye
Natif du Mandakh dont il fut le chef avant son élection à la tête du Saloum.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 14

14.— Amakodou Ndiaye


Également né à Mandakh, Amakodou est le roi qui a régné le plus longtemps sur le Saloum. Son
père s’appelait Birima et sa mère Kodou Bigué. Il se convertit à l’Islam, probablement sous l’influence
de la famille Dramé qui fournissait traditionnellement les marabouts des Guelwar. Cependant, même à
cette époque, les Dramé n’eurent pas de résidence à proximité de Kahone ; seuls les Sakho, autre
famille musulmane liée aux Dramé, possédaient une implantation aux environs de Latmingué, au
village aujourd’hui disparu de Sakhor. Tous les Ndiaye de Mandakh descendent de ce roi qui eut pour
fils Birahima. Ce dernier épousa la princesse Bigué Souka dont il eut trois filles : Kéwé Bigué, Kodou
Bigué et Khorédia Bigué. Avec elles la dynastie gelwar commence à se diviser en trois clans qui
portent le nom de ces princesses. L’ordre de succession qui avait été respecté auparavant ne le sera
plus à la suite des rivalités entre ces branches qui s’exacerbèrent au XIXe siècle, à partir du règne de
Balé Ndao.

15.— Amafal Fall


Frère du roi précédent par sa mère gelwar, Amafal est originaire du Kayor où son père détenait le
poste important de Diambor. Sa mère fut donnée en mariage à ce prince du Kayor, mais revint au
Saloum après la naissance d’Amafal. Son règne au Saloum fut court, car il était de la famille Fall
insuffisamment implantée dans le pays. En effet, on a toujours préféré un prince originaire du Saloum
par le côté paternel et maternel. C’est pourquoi il fut obligé d’abdiquer après quelques mois de règne
et s’est retiré à l’intérieur du pays.

16.— Amadiouf Diouf


Le père de ce roi est du Sine où il appartenait au clan Bouré Gnilane de la famille Diouf. Sa mère
était une gelwar de la branche de Bigué Souka.
/p. 835/
17.— Sengane Kéwé Ndiaye
Originaire du Mandakh.

19.— Amasiga Seck Ndiaye


Sous son règne eut lieu une révolte de la province du Pakala. Amasiga fut d’abord battu par Seriñ
Pakala Nama Ngada Koumba Ndong Cissé qui avait une mère tyédo (non musulmane). Soutenu par
ses parents tyédo, celui-ci remporta une première victoire, mais ne parvint pas à évincer Amasiga du
pouvoir. Le roi finit par se venger en tuant son vassal rebelle.

20.— Biram Khouredia Tièk Ndao


Ayant été d’abord Beuleup, il fut un roi très autoritaire lorsqu’il fut placé à la tête du Saloum. Il
eut une guerre très meurtrière contre son cousin qui était alors Beuleup, à la suite d’un incident. En
effet Biram s’empara un jour, de force, de la monture appartenant à son cousin. Des envoyés du
Beuleup étaient venus vendre des chevaux chez le Buur Saloum. Celui-ci choisit le plus beau d’entre
eux et chargea les émissaires d’annoncer à son cousin qu’il s’était approprié le cheval comme sa part
et qu’il considérait cela comme le tribut annuel dû par son vassal. Le Beuleup estima qu’il s’agissait
d’un abus d’autorité et d’une véritable confiscation, et non d’un moyen légal pour récupérer un tribut ;
il exigea la restitution immédiate de son cheval. La guerre qui s’ensuivit fut meurtrière : le Buur
Saloum fut refoulé à la première rencontre (bataille d’Alingane), mais arriva à se ressaisir ensuite à la
bataille de Ngagne-Kafrine où le Beuleup fut tué avec ses dix enfants. Peu de Ndao du Ndoukoumane
échappèrent à la mort dans ce combat.

21.— Ndéné Ndiaye Bigué Ndao


Originaire de Mandakh.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 15

23.— Mbagne Diop Ndiaye Mbodj


Il fut le premier membre de la famille Mbodj, jadis émigrée au Saloum, à monter sur le trône dans
ce pays. Excellent cavalier, il administra sagement ses États. Cependant il y eut sous son règne un
événement notable entre le Saloum et le Kayor : l’exil /p. 836/ de Birima Fatma Tioub Fall, chassé du
Kayor par son oncle Amari Ngoné Ndéla Koumba, qui vint se réfugier au Saloum. Il y épousa la
princesse Kodou Koumba, mère de Makodou Koumba Fall, futur Damel, et fut grand-père de Samba
Laobé et Fakha Fall, futurs rois du Saloum.

25.— Sengane Diogop Mbodj


Il était le neveu de Mbagne Diogop et le frère de Ndéné Diogop et de Makoumba Diogop, qui
furent ses successeurs.

28.— Sandéné Kodou Koumba Fall Ndao


Il fut un roi remarquable. Il envahit le Rip commandé par Mbagne Diémèl Samba, à la suite d’une
grande famine qui sévissait dans le Saloum. Sa campagne rapporta à son royaume beaucoup de mil et
de riz qui servit au ravitaillement de la population. Cependant il fut battu par le chef du Rip à Diawara.
Son adversaire avait bénéficié de l’appui des Anglais qui ne pardonnaient pas à Sandéné une piraterie
dont ses soldats étaient responsables et surtout son traité avec la France. En effet Sandéné avait signé
un traité de commerce avec Repentigny et avait cédé à la France l’île de Kuyon qui se trouve en face
de Kahone. Fils d’une gelwar dont le père était du Kayor, Kodou Koumba Fall, il fut un roi puissant et
bon, à l’instar de tous les souverains de sa famille, les Ndao.

29.— Biram Ndiémé Niakhana Ndiaye


Fut Buumy Kaymor avant de devenir roi du Saloum.

30.— Makoumba Diogop Mbodj


Makoumba a fait une guerre contre le roi du Sine qui l’aurait battu à Ouyal Sandé (sud-est du
Sine). Les historiens cherchent souvent à récuser cette défaite du Saloum, bien qu’elle soit retenue par
le chant des griots.

31 — Ndéné Niakhana Ndiaye. 32.— Biram Khourédia Mbodj Ndiaye.


Originaires du Kaymor. Biram fut Buur Djilor avant d’être Buur Saloum.
/p. 837/
33.— Ndéné Mbarou Ndiaye
Son règne fut de très courte durée — à peine un mois —, car le jeune Beuleup Balé Ndao, soutenu
par les serviteurs de la couronne, le contraignit à une abdication forcée. Sous son bref règne ont
commencé les hostilités entre les trois clans gelwar du Saloum qui se succédaient normalement. En
effet, Ndéné Barou monta sur le trône alors que Ndiaye Marone Niata, du clan Kéwé Bigué, devait
accéder à la royauté. Ndéné Barou évinça son rival qui fut tué bien plus tard par Koumba Ndama, à
Tandabar. Aussitôt couronné, Ndéné détrôna la plupart des chefs de province et soutint qu’il fallait
absolument appartenir à la famille Ndiaye pour détenir ces charges. Il provoqua ainsi la révolte des
chefs de province qui aident tous le jeune Beuleup Balé dont la famille avait toujours commandé le
Ndoukoumane. Alors que les opposants avaient déjà regroupé leurs troupes à Séniambar, le jaaraaf
força le roi à abdiquer avant qu’il n’y ait effusion de sang. Ndéné se réfugia dans le Sine, car sa mère
était la fille du Buur Sine Boukar Tjilas.

34.— Balé Khourédia Ndoungou Ndao


Il fut désigné pour remplacer Ndéné Barou, alors qu’il n’avait que 18 ans. Membre de la branche
Kodou Bigué, il ouvrit les hostilités contre les clans Kéwé Bigué et Khourédia Bigué, qui avaient
concentré leurs forces à Selik, non loin de la capitale. Le prétexte invoqué était le refus des princes
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 16

Ndiak Khourédia, Médoune Khourédia, Madiouf Kéwé et Sémou Kéwé Ndao qui ne vinrent pas lui
rendre les honneurs dus aux nouveaux rois. Il détruisit les troupes des princes et tua Médoune ; les
autres rebelles se réfugièrent dans le Rip, sous la protection du roi de ce pays, Buur Madiouf Diabou
Nding.
Plus tard, son cousin, beau-frère et vassal, le Buumy Kaymor Kouli Nabo Ndiaye se révolta contre
lui. En effet il avait donné sa sœur en mariage à Kouli Nabo ; celle-ci, nommé Yaka Ndao, mit au
monde un garçon. L’enfant mourut à l’âge de 5 ans et la princesse exigea qu’un des esclaves de son
mari fût enterré avec lui. Kouli Nabo repoussa vigoureusement la proposition de sa femme et alla
jusqu’à lui demander de mourir et d’être enseveli avec leur fils, pour lui épargner la solitude du
tombeau. Les hommes de l’entourage du Buumy rirent aux éclats de cette /p. 838/ proposition. La
femme se sentant insultée et diminuée dans sa qualité de princesse, décida alors de quitter le domicile
conjugal. Mais avant son départ, Kouli Nabo confisqua la bijouterie, les esclaves et tous les biens qu’il
lui avait donnés. Le Buumy était en ce moment de connivence avec les princes gelwar du clan Kéwé
Bigué qui se trouvaient non loin de là, à Kandi, sous la protection du roi du Rip Madiouf Diabou
Marone ; depuis la défaite de Selik, Kouli Nabo ne cherchait qu’un prétexte pour provoquer une
guerre entre le Saloum et le Rip. Balé envoya dire à Buumy que sa femme avait tort, mais que la
coutume prévoyait que le mari vienne voir son beau-père et qu’il se réconcilie avec son épouse, en
famille. Kouli Nabo refusa de se présenter à la cour et fut destitué de son commandement à Kaymor.
Balé marcha contre lui à la tête d’une forte armée, mais trouva le village de Kaymor abandonné, car
les habitants étaient tous partis se réfugier à Kandi. Il envoya une lettre au Buur Rip en lui demandant
de refouler de suite les exilés, car ceux-ci, installés sous sa protection près de la frontière, se
permettaient de faire des razzias dans le territoire du Saloum où régnait ainsi l’insécurité. Il exigea par
la même occasion que lui fût restituée la dot de sa sœur dont Kouli Nabo s’était emparé illicitement.
En cas de refus, il attaquerait le Rip dès le lendemain, et promettait déjà la couronne de ce pays à un
prince nommé Manka Dado Sourwa. Le roi du Rip, Madiouf Diabou, fit savoir à Balé qu’en tant que
prince régnant, il ne pouvait pas refuser l’hospitalité à un malheureux prince forcé à s’expatrier à
cause de la tyrannie de son roi. Il les conserverait auprès de lui aussi longtemps qu’ils le désireraient.
Et si Manka Dado pensait pouvoir compter sur la promesse du roi du Saloum pour devenir Buur Rip, il
se trompait lourdement, parce que Balé serait battu comme le fut son oncle Sandéné à Diawara, par le
chef du Rip Mbagne Diébèl Samba Diamé.
Les hostilités furent alors ouvertes entre les deux rois. L’armée de Balé se dirigea vers Kandi où
Madiouf l’attendait dans une véritable place forte, avec ses troupes commandées par Yta Massaw et
Ndiombo Ndiambou. Pour le Saloum, Bala Adama, le Ba-Ngaye et héritier présomptif, commandait
l’infanterie ; à trois reprises, il tenta de forcer les murs de la citadelle, mais fut repoussé à chaque fois
par les Manding qui utilisaient par ailleurs un poison violent. En effet, ils empoisonnèrent les eaux que
devaient boire les chevaux et ces derniers tombèrent comme ivres après avoir bu. Après un combat
singulier entre Ndiombo Ndiambou, pour le Rip, et Khoul Khayane Awa Ndao pour le Saloum, qui
s’achève par la /p. 839/ mort des deux hommes, la troisième attaque du tata se solde par un échec et de
lourdes pertes parmi les assaillants. Bala Adama proposa à Balé de suspendre momentanément le
combat, car Kandi restait une place imprenable, et de porter la guerre à l’intérieur du Rip en dévastant
le pays et en attaquant les familles de Jumansar et de Kalikunda. On provoquerait ainsi une sortie des
défenseurs de Kandi et il serait possible de livrer une bataille en rase campagne où s’affirmerait la
supériorité des troupes du Saloum. Balé, croyant que cette proposition manifestait la mauvaise volonté
de son héritier présomptif, lui retira le commandement de l’armée pour l’assurer lui-même. Il dirigea
en personne l’attaque massive du tata mais fut atteint à l’œil par une balle et tomba à terre. Un traître
cria tout haut que le Buur Saloum venait de mourir, ou du moins était mortellement blessé. L’armée se
désorganisa et fut obligée de se retirer. Balé fut sauvé par Latgrang Koumba Saté, de Mandakh, et put
rejoindre le Saloum où il se brouilla avec Bala Adama à qui fut reprochée son attitude et qui fut jugé
comme le principal responsable de la défaite de Kandi. Le Saloum perdit beaucoup d’hommes à la
bataille de Kandi que l’on considère, avec celle de Gouye Diouli, comme le plus grand désastre
militaire du pays.
Balé régna 29 ans et non 28 comme le soulignent certaines sources. Avant d’être nommé roi du
Saloum, il avait commandé le Ndoukoumane pendant 5 ans.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 17

35.— Bala Adama Ndiaye


Après la défaite de Kandi, Bala se retira dans le village de Mbos Bala qu’il créa et où il résida
jusqu’à son élection à la tête du Saloum, à la mort de Balé. Sous son règne, on ne note pas d’actes
éclatants, mais le pays connut une certaine prospérité, car le roi s’intéressait à l’agriculture et à
l’élevage.

36.— Socé Bigué Ndiaye


Originaire de Kaymor où il fut Buumy avant de devenir Buur Saloum, il ne garda le pouvoir que
pendant 16 jours (ou 7 mois), selon d’autres sources). Alors qu’il était Buumy et héritier présomptif, il
avait, pour marquer son mépris à l’égard des musulmans, invité à un banquet six notables islamisés du
Kaymor. Après leur avoir servi de la viande interdite, il leur fit boire du vin rouge bien sucré en
affirmant que c’était du miel. Il les envoya se promener /p. 840/ en plein soleil, ce qui provoqua
l’enivrement rapide des marabouts. L’un d’entre eux, le Sériñ Ngayène Biran Mat, jura que Socé ne
monterait jamais sur le trône tant convoité, mais lui laissa la vie sauve uniquement à cause de l’amitié
qu’il portait à sa mère. Inquiet, Socé Bigué sollicita le secours du chef de village de Keur Malé, le
marabout Malé Diara Cissé qui jura que le contraire se produirait et qu’il serait bien élu roi, avant un
an. Socé Bigué remit à Malé 8 esclaves que celui-ci exigeait en paiement de ses services. Neuf mois
après le trône devint vacant à la mort de Bala Adama ; Socé Bigué est appelé au pouvoir pour lui
succéder, mais à peine arrivé à Kahone il devint fou et la mort s’ensuivit après 16 jours. Comme il n’a
même pas été sacré roi, ni intronisé, il n’a régné que quelques jours au maximum. Il n’a même pas de
bak (chant-devise) et les griots disent qu’ils ne savent pas si Socé Bigué est Buur ou Buumy.

37.— Koumba Ndama Mbodj


C’est sous son règne que la protestation des musulmans est née. En effet, dès le lendemain de son
intronisation, il dirigea avec action de représailles contre le chef de village de Nandigui, un grand
maître d’école alors très vénéré par la communauté musulmane. Koumba Ndama s’arrêta à Nandigui
au retour d’un voyage. Sans autorisation, il se coucha sur le lit du chef de village qui était absent.
Quand celui-ci revint, il entra dans une forte colère et dit qu’un tyédo ne devait pas dormir sur son lit
et chassa Koumba Ndama qui fut élu roi du Saloum la semaine suivante, après cet incident. Son
premier geste comme Buur Saloum fut de châtier Nandigui : il cerna le village qui fut incendié, dont la
population fut capturée et le chef de village tué. Une partie des prisonniers fut passée par les armes, le
reste étant livré aux vendeurs de chevaux et d’esclaves. À ce moment, un autre maître d’école, le jeune
Maba Diakhou Ba, ouvrit une quête de solidarité parmi les musulmans pour racheter les captifs et
récolta ainsi des chevaux, des ânes, des pagnes et de l’argent à cet effet. Alors le roi, regrettant son
geste, libéra les prisonniers sans contrepartie et rendit à Maba toutes les richesses qui lui
appartenaient. Cependant, cet acte barbare avait indigné toute la communauté musulmane du Saloum
et du Rip, qui était alors enthousiasmée par les récits des victoires que remportait l’Islam au Soudan,
avec El Hadj Omar Tall.
Koumba Ndama demanda la cessation des hostilités entre les clans gelwar. Alors que les princes
des clans Kéwé Bigué et /p. 841/ Khourédia Bigué étaient toujours réfugiés dans le Rip, un prince non
gelwar, du clan de Kéwé Bigué, Goriké Ndiaye annonça qu’aucun des 30 Gelwar appartenant à ces
clans ne parviendrait à régner, mais que Dieu l’avait prévu que tous seraient évincés au profit de son
fils et de son neveu, Ndéné Diogop, qui était le fils de son frère. Sa déclaration provoqua des
protestations et une bagarre, mais il répliqua qu’il n’était pas gelwar lui-même et n’était aucunement
prétendant, que le Buur Saloum leur livrerait la guerre s’ils persistaient dans leur désunion et qu’ils
seraient probablement vaincus au cours d’une nouvelle attaque. Les Gelwar émigrés parvinrent
finalement à grouper leurs forces et envahirent le Saloum pour s’emparer du pouvoir. Koumba Ndama
les affronta victorieusement à Tandabar où furent tués le chef des Gelwar exilés, Ndiaye Marone Nata,
père de l’ancien Buur Djilor, Dièn Koumba Ndiaye, et son cousin Goriké Ndiaye. Les deux clans
durent repartir en exil pour ne revenir que plus tard sous le règne de Sémou Djimit.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 18

38.— Samba Laobé Fall


Il fut un des plus grands rois du Saloum, malgré un règne assez bref. Fils de Damel Makodou et de
la reine Latsouka Sira Diogop, Samba Laobé monta sur le trône à une époque particulièrement
difficile, alors qu’il était très jeune. À la mort de Koumba Ndama, le Saloum envoya une délégation
chez le Tèeñ du Baol, Makodou qui était le doyen des Gelwar du clan Kodou Bigué, pour le pressentir
comme Buur Saloum. Celui-ci répondit qu’il était déjà Tèeñ, installé par les soins de son fils Biraima
Ngoné, alors Damel. Il ne pouvait donc pas abandonner le trône du Baol pour venir commander au
Saloum ; c’était pourquoi il conseille à l’ambassade de porter le choix sur son frère Sambou. Ce
dernier fut appelé, mais répondit qu’il préférait être le dernier archer dans le Baol ou au Kayor plutôt
que d’être le premier dans le Saloum. La délégation reçut en fin de compte l’assentiment de Samba
Laobé qui fut donc intronisé.
À son avènement, la situation était difficile : d’une part, le clan Kéwé Bigué émigré dans le Rip
sous le commandement de Koumba Dianké Bountoung était décidé à reprendre le pouvoir ; d’autre
part, la collectivité musulmane prenait pleinement conscience de sa personnalité et de sa force et
préparait dans la clandestinité la guerre sainte.
Samba Laobé commença ainsi son règne par une campagne /p. 842/ contre les émigrés : Ngara
Bountoung fut tué à Baty, Karfa à Padaf, et Latfa Guilé à Mandéra. Après ces victoires, il eut à résister
à son propre père, Makodou Koumba, chassé de ses États par les Français après sa défaite à Ndiati, qui
exigeait la couronne du Saloum en s’appuyant sur son droit d’aînesse et en arguant qu’il n’avait pas
refusé jadis la couronne que parce qu’il était déjà Tèeñ.. Makodou vint dans le Saloum et s’arrêta à
Diokhoul. Samba Laobé lui envoya une délégation dirigée par la reine Latsouka et le prince Fakha,
son frère, pour apporter de la nourriture et toute sorte de présents. Mais Makodou fit demander à son
fils de lui céder immédiatement le trône car il était bien le doyen des Gelwar et son père. Samba
Laobé ne refusa pas d’abord, mais le Jaaraaf, chef de l’exécutif, déclara que s’il continuait à soutenir
la candidature de son père, non seulement celui-ci ne régnerait point, mais lui-même risquerait d’être
contraint à l’exil. En effet, son père avait livré la guerre aux Français qui l’avaient battu et le
poursuivraient au Saloum au cas où il y prendrait le pouvoir. Makodou apporterait ainsi au pays une
guerre que personne ne souhaitait. Samba Laobé proposa alors à son père une large hospitalité et un
libre dialogue avec le conseil de la couronne, ce qui, à la longue, pourrait jouer en sa faveur. Mais le
vieux Makodou, bousculé par son frère Sambou, repoussa la proposition et se rendit à Kafrine auprès
du Beuleup Fari Mafoun. Sans attendre la fin des discussions, Samba Laobé prononça la destitution du
Beuleup, qui était de la branche Sandéné Ndao, et son remplacement par Tagou Diodio, de la branche
Diagone Ndao. À partir de là, la puissante famille Ndao se divisa en deux camps antagonistes. Le
combat entre Samba Laobé et Makodou se déroula à Gouye Diouli en 1861 : Makodou y fut vaincu et
laissa sur le champ de bataille son frère Sambou, les princes Siré Biram Ndao Dakhar, Bakar Bigué
Ndiémé, Demba Lalo Takou et des centaines de soldats.
En 1862, après la bataille de Gouye Diouli, se levèrent trois prêcheurs de guerre sainte qui
devancèrent Maba : Sambou Oumané Touré de Sabakh, Mandiaye Khourédia de Koutango près de
Saboya, et Cheikhou Diop, toucouleur originaire de Ballo (Gambie). Les trois chefs formèrent une
coalition et, après avoir vaincu le Fara Sabakh et le Fara Sandial, au Rip, ils attaquent la province du
Kaymor dont le Buumy était alors Goumbom Awa Gnilan Ndiaye, cousin, beau-frère et vassal de
Samba Laobé. Malgré une vaillante résistance qui dura quatre jours, le Buumy fut battu par les
coalisés, à Kaymor même. Il se rendit auprès du Buur Saloum pour protester contre son refus de le
secourir. Le roi lui /p. 843/ déclara qu’on ne devait avoir besoin de son aide pour vaincre un simple
talibé et que lui-même, à la tête de ses troupes, il irait écraser les musulmans. Effectivement, le
lendemain, Samba Laobé vint à Ndémène et tua près de ce village Sambou Oumané et Mandiaye
Khourédia ; seul Cheikhou Diop parvint à s’échapper. Ce dernier ne réapparaîtra sur la scène politique
que timidement et toujours contre Maba, son rival plus heureux.
Mais la guerre contre les musulmans ne venait que de commencer, car Maba venait de s’emparer
du pouvoir au Rip en supprimant l’héritier présomptif Madiakhèr, puis le roi de ce pays, Diéréba
Marone. Il s’empressa de voler au secours de ses coreligionnaires du Saloum, tout en devançant
Samba Laobé qui menaçait d’envahir le Rip. Maba bénéficia de l’appui des Gelwar, émigrés au Rip
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 19

depuis le roi Balé Ndao, qui venaient de subir la défaite devant Samba Laobé, et qui s’étaient
renforcés de tous les mécontents du Saloum. Ainsi les clans Kéwé Bigué et Khourédia Bigué firent
leur soumission à Maba pour combattre l’ennemi commun, Samba Laobé et le clan Kodou Bigué,
détenteur du pouvoir. Maba envahit le Saloum et construisit trois redoutes à Thikat. Sous-estimant la
valeur combative des ndongo (musulmans) qui n’avaient guère exercé le métier militaire, Samba
Laobé se contenta d’envoyer une faible troupe, composée des guerriers de Kahone et des environs
immédiats ; lui-même montait le soir du combat son célèbre étalon, qu’il avait enlevé à son père à la
bataille de Gouye Diouli, nommé Diakarlo. Comme les guerres précédentes avaient entamé son
arsenal et qu’il était accompagné par peu de soldats, Samba Laobé allait au-devant d’une défaite à
Thikat, où il fut battu. Au passage de Kaolack-Ndiob, son cheval Diakarlo s’embourba ; le roi jura
qu’il ne ferait pas un pas de plus sans cet étalon qu’il avait pris à son père. L’ennemi, exploitant son
succès inespéré, mitraillait la masse humaine préoccupée à tirer le cheval de la boue. Samba Laobé fut
poursuivi jusqu’à Kahone qui fut incendié. Après cet échec, il se rendit auprès du Buur Sine, Koumba
Ndofèn Famak, pour lui demander un emprunt d’armes et de munitions afin de combattre Maba. Mais
le roi du Sine exigea de lui, à titre de caution, la monture Diakarlo, ce qui revenait à ridiculiser le
demandeur. Une brouille en résulta, à la suite de laquelle Samba Laobé quitta le Sine pour aller se
réfugier dans le fort français de Kaolack, commandé par le sergent Burg. Il y fut attaqué par Maba qui
fut repoussé par les Français avec beaucoup de pertes. Samba Laobé devait mourir le jour même de cet
assaut, des suites d’une blessure reçue la veille dans /p. 844/ Kahone, ou, selon d’autres sources, de
violents maux de ventre. Makadou, le père de Samba Laobé, qui avait participé à l’attaque de Kaolack
aux côtés de Maba, se retira à l’est du Saloum où il mourut peu après.

39.— Fakha Bouya Fall


À la mort de Samba Laobé, son frère Fakha lui succéda et fut placé sur un trône chancelant. Il ne
pouvait rien faire contre Maba dont le prestige était croissant. En effet celui-ci avait pris le titre
d’Almamy et annexa toutes les provinces orientales et septentrionales : le Ndémène, le Laghem, le
Kaymor, le Pakala, le Mandakh, le Djonik, et le Diafé-Diafé. Le Gouverneur du Saloum avait rompu
ses relations avec le Saloum et traita même avec Maba qui fut reconnu par traité comme Almamy du
Saloum et du Rip. Le Saloum, excédé de ne pas le voir prendre une décision pour ramener les
provinces enlevées ou perdues, n’avait plus confiance en lui. On saisit donc un prétexte — l’assassinat
perpétré par le roi sur la personne de son cousin Makoumba Kombarou qui l’avait offensé —, pour le
déposséder du trône. Fakha répondit en allant immédiatement faire sa soumission à Mamour Ndari.
Comme soldat, il combattit par la suite, sous le règne de ce dernier, contre le Djilor. Il mourut au cours
d’un naufrage à Sangomar.

L’Almamy Maba Diakhou Ba

Nous renvoyons ici à l’Essai historique sur le Rip (Bull. IFAN, t. XIX, B, 3-4, 1957, p. 570-585)
pour connaître la brève et glorieuse carrière de Maba. Rappelons seulement les principales étapes de la
vie de ce grand chef musulman en apportant quelques précisions à cette publication antérieure.
Fils aîné de Ndiogou Ba, Maba est né dans Rip vers 1810, dans une famille toucouleur descendant
des souverains dényanké du Fouta. Il fit ses études coraniques au Kayor, à Mbayène (Mbakol), puis au
Dyolof, dans le pays de sa mère, où il fonda une école et épousa Maty Ndiaye, la nièce du Buurba.
Invité à rejoindre le Rip, il accepta finalement et y fut bien accueilli par le roi qui le nomma Qadi, ce
que Maba refusa pour se consacrer entièrement à l’enseignement. Il se lia à toutes les familles
musulmanes du Rip, mais aussi du Saloum. En 1846, il eut une entrevue avec El Hadj Omar Tall, au
village de Kabakoto. L’illustre Omar lui ordonna de prêcher la guerre sainte dans le pays et le nomma
/p. 845/ comme son représentant pour la Sénégambie. C’est pourquoi l’objectif essentiel de Maba sera
toujours d’islamiser les populations en renversant les souverains païens. Contrairement à Omar qui
convertissait et repartait plus loin, Maba deviendra lui-même le chef absolu du Rip et des provinces du
Saloum. Il commença d’abord à préparer la guerre à partir de son village de Keur Maba dont il fit une
citadelle. Le premier acte de la guerre sainte fut l’assassinat de l’héritier du Rip, Madiakhèr, qui avait
provoqué Maba et fut tué par une petite troupe à Passy Khour alors qu’il dormait dans ce village. La
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 20

même année, en 1861, le roi du Rip, Diéréba Marone, fut éliminé lui-même par Malik Adam, un
disciple de Maba, après plusieurs combats entre les troupes du Rip et celle de Maba : Mandor, Day,
Yindia, Jumansar, Jumansar Koto et Keur Diata. Maba établit alors des tata à Keur Maba, Diakhadiar
et Paos-Dimar qui fut rebaptisé Nioro en souvenir de Nioro du Sahel conquis par El Hadj Omar. Il se
fit proclamer Almamy du Rip et abolit les dynasties anciennes de ce pays.
En 1865, Maba décida enfin l’attaque du Saloum après l’échec de la coalition musulmane de
Sambou Oumané Touré, Mandiaye Khourédia et Cheikhou Diop. Comme on l’a noté, Il livra un
premier combat à Thikat, puis brûla les villages de Maka, Daga Mignane et la capitale de Kahone ; il
fut victorieux au marigot de Ndiob, avant d’attaquer Kaolack où Samba Laobé s’était réfugié.
Sous le règne de Fakha Fall, Maba attaqua ou annexa successivement les différentes principautés
du Saloum dont il a été question plus haut, ainsi que le Ndoukoumane qui fut amputé en partie.
Cependant, le trône du Saloum sera toujours défendu par le groupe tyédo. Après la campagne contre le
Diafé-Diafé (combat de Ndiob) et contre le Djilor (batailles de Djilor et de Mbam), Maba eut à
combattre les princes manding du Rip, alliés au Wouli et au Kiang, qui cherchaient à reprendre le
pouvoir. Assiégeant la forteresse de Tounkou, Maba fut blessé, mais ses troupes remportèrent une
écrasante victoire. La bataille de Kwinella fut encore favorable à Maba, mais à Koubandar les
musulmans essuyèrent la défaite devant une citadelle réputée imprenable. Peu après cet échec, le
prince manding Sadio Yira fut décapité par les musulmans à Berending et Maba fut définitivement
maître du Rip.
À la fin de 1865, Maba accueille auprès de lui Lat Dior Diop et son neveu Albouri qui vinrent se
mettre à son service. Les troupes musulmanes, renforcées par ces alliés de marque, tendirent un piège
aux Français à Paté-Badiane où se déroula un dur combat causant de fortes pertes aux Français ; Pinet-
Laprade fut blessé à l’épaule.
/p. 846/ À l’instigation de Lat Dior, Maba décida une campagne contre le Dyolof, le Kayor et le Baol,
pour y installer des chefs musulmans et pour remettre Lat Dior sur son trône. Après avoir livré
plusieurs batailles (Tiourangène, Gati Rat et Mbayène), les alliés se retirèrent à cause du complot que
tramait Tamsir Matar Kala au Rip même où il cherchait à faire intervenir les Français.
En 1866, Maba accepta de combattre contre le Sine sur la proposition de Lat Dior qui voulait
venger l’affront que lui avait fait Koumba Ndofèn lors de sa retraite après la défaite de Loro. Une
première attaque eut lieu cette année-là à Keur Ngor, un quartier du village de Marout ; Lat Dior arriva
jusqu’à Diakhao, mais abandonna sur l’injonction de Maba et revint au Rip. La seconde campagne
contre le Sine, en juillet 1867, devait être fatale à Maba qui fut tué à la bataille de Somb-Tioutioune,
au marigot de Fandane, alors que Lat Dior et Albouri avaient conseillé à l’Almamy d’abandonner une
lutte inégale et s’étaient retirés avant le désastre. Quelques mois avant son dernier combat, Maba avait
attaqué près de Tiofak la troupe du capitaine Le Creurer qui perdit de nombreux hommes et trouva la
mort dans l’engagement.
L’attitude de Lat Dior à Somb a souvent été mal comprise. On ne saurait affirmer que Lat Dior a
trahi son Seriñ sur le champ de bataille ; personnellement il voulait mourir en héros à côté de Maba,
mais les dyami Geej (captifs de la famille maternelle de Lat Dior) se sont emparés de sa personne et
l’ont obligé à se retirer par la force, car ils voulaient préserver leur chef. Lat Dior retourna à Nioro et
non dans le Kayor comme le soulignent à tort ses détracteurs. En effet, trois mois après Somb, Lat
Dior commanda les armées de Mamour Ndari à Ndiao Bambali, au cours d’un combat contre Mam
Samba, le chef de la province du Pakala qui était entré en rébellion contre le successeur de Maba.
La trahison de Matar Kala au cours de la campagne de Maba au Dyolof fut un événement
malheureux. Au village de Dramé Ndimb, Tamsir Matar Kala Dramé, marabout très important et
intelligent, avait implanté une véritable université musulmane où s’étaient installés de nombreux gens
de lettres. Il fut longtemps un sourd opposant de Maba. Quand ce dernier partit au Dyolof et chercha à
nouer des relations avec l’émir des Trarza, Abdoul Boubakar, pour contrecarrer la pénétration
française, Matar Kala tenta de faire venir le Gouverneur au Rip, en l’absence de Maba, en lui envoyant
une lettre à cet effet. Bien que le Gouverneur ne fût pas en mesure d’intervenir alors au Rip, il adressa
un ultimatum à Maba, lui enjoignant de quitter le Djolof, de cesser toute /p. 847/ menace contre le
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 21

Walo et le Toro, et de rentrer immédiatement dans son pays. En cas de refus, le Gouverneur enverrait
dans le Rip des troupes qui, avec l’aide de Matar Kala, l’empêcheraient de reprendre sa place. Maba
demanda alors aux familles du Dyolof qui l’avaient suivi dans sa lutte contre le Buurba de rentrer avec
lui au Rip. Ces immigrants se sont installés dans les actuels arrondissements de Wak Ngouna et
Paoskoto et sont appelés Signy-Signy. Au retour de Maba, un grand tribunal fut réuni pour juger
Matar Kala accusé de collaboration avec l’ennemi. Celui-ci condamna le coupable à mort, mais un
groupe de marabouts intervint auprès de Maba pour épargner sa vie. Matar Kala se retira, mais fut
assassiné en 1875 par ordre de Mamour Ndari.
Pour accomplir la guerre sainte, conformément aux ordres qu’il reçut d’El Hadj Omar, Maba
parvint à organiser ses talibés en véritable armée. Les armes pour les guerriers furent surtout achetées
en Gambie. Le principal responsable des achats de matériel militaire fut le frère de Maba, Mamour
Ndari qui était en bonnes relations avec les Anglais qui lui fournissaient armes et munitions. Une autre
source d’approvisionnement était un chef musulman de Missira, Fodé Senghor, qui envoyait les
pêcheurs de son village aux comptoirs anglais et français pour y acheter des armes. Malgré certaines
oppositions musulmanes à Maba, celui-ci fut le chef incontesté de la résistance aux Français et de la
lutte contre les princes païens du Rip et du Saloum. Ses successeurs ne parviendront pas à conserver
cette unité et se livreront des guerres fratricides.

40.— Niawout Mbodj


Fils aîné de la célèbre princesse Koumba Daga Sira Diogop, il était le cousin de ses deux
prédécesseurs. Il monta sur le trône alors qu’il était très maladif et ne put faire mieux que Fakha. Il fut
néanmoins un homme énergique et eut à lutter contre le clan Kéwé Bigué qui n’avait pas désarmé. Il
fit tout, en vain, pour ramener le calme dans le Saloum. Il tenta même l’invasion du Rip, mais ne
parvint pas à ses fins.

41.— Sadiouka Mbodj


Le successeur de Niawout fut son frère cadet Sadiouka qui commanda une grande partie de
l’armée du Sine lors de la bataille de Somb. Les gens du Sine ne veulent pas admettre la part
prépondérante que Sadiouka a prise dans la défaite de Maba. En effet, /p. 848/ Koumba Ndofèn s’était
retiré au début de l’action à Diakhao et avait laissé le commandement des troupes à Sadiouka, qui
contint admirablement l’offensive musulmane, et prépara la victoire finale. Sadiouka avait quitté le
Saloum lorsque Samba Laobé mourut en laissant le trône à Fakha. Il prépara son accession au pouvoir
dans le Sine et c’est lui qui fit pression sur le jaaraaf pour forcer Fakha à l’abdication. Il arriva au
pouvoir à la mort de son frère aîné, dans les meilleures conditions pour ramener à son pays les
provinces perdues sous ses prédécesseurs. Il prit le tata de Maka, envahit le Rip et attaqua la place
forte de Thikat, tenue par une garnison relevant de Mamour Ndari. La riposte ne se fit pas attendre et
ce dernier, à la tête d’une forte armée, le battit à Thikat même.
Les forces musulmanes victorieuses envahissent à nouveau le Saloum et ravagent le pays ; elles
entrent à Thiofak où se trouvait la résidence de la reine mère, Koumba Daga. Celle-ci fut tuée par un
griot au service de Mamour Ndari, Mama Gaolo Niang ; la petite-fille du roi, Diouka Seydi Ndao, fut
emmenée comme otage et deviendra l’épouse de Saer Maty, le fils de Maba.
Sadiouka soutint au Sine la candidature du prince Sémou Mak et l’aida pour assassiner à Khodjil
le roi Salmon Faye. Il mourut sans pouvoir reprendre ses provinces, victime de l’alcool et du chagrin
que lui causa la mort de sa mère Koumba Daga Ndao.
C’est à cause de Diouka Seydi que le Rip a pris feu, car l’otage fut d’abord promise à Birane
Cissé, chef de la province du Kaymor, qui s’était distingué dans de nombreux combats livrés par les
troupes du Rip. Mais l’armée refusa, en prétextant que la princesse n’appartenait pas à l’Almamy
Mamour Ndari, mais à l’armée. Diouka ne devait pas être donnée à un simple chef de province, car
elle appartenait au clan gelwar Kodou Bigué. Dès lors Birane Cissé rallia à lui tous ses partisans et
chercha à s’imposer comme Almamy. Mamour Ndari donna raison à l’armée et accéda à sa proposition
de donner Diouka en mariage à Saer Maty, fils de Maba et héritier présomptif. La dissidence de Birane
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 22

Cissé entraîna de longues et dures guerres qui ne prirent fin qu’en 1887, après la campagne française
de Coronnat dans le Rip.

42.— Guédal Mbodj


Troisième fils de Koumba Daga à monter sur le trône du Saloum, il fut un homme très intelligent.
Comme ses prédécesseurs, il était né au village de Diokoul dont son père fut le Buur ; sa mère, /p. 849/
gelwar de Kahone, fut d’abord mariée au roi Balé, puis au chef de Diokoul dont elle eut trois fils qui
devinrent souverains. Son vrai nom était Sassy Koumba Daga. Il arriva au pouvoir à l’âge de 16 ans et
se rendit compte que le désaccord entre les branches de la famille gelwar était la cause principale des
malheurs du Saloum. Il prêcha donc la réconciliation entre les clans et obtint l’unité. La maison au
pouvoir, celle de Kodou Bigué, ne comptait plus après Guédal qu’un tout jeune enfant, exclu de la
succession en raison de la position de sa famille paternelle, qui n’était autre que Wak Diouka Ba, le
fils de Saer Maty. Sémou Djimit, chef de la maison Kéwé Bigué, fut reconnu Buumy et installé à
Ndya, puis à Diagnel à son retour d’exil.
Guédal fut encadré par des hommes de valeur, tels le Jaaraaf Alsane Ngoné, le Farba Nguène
Diène Sarr et le rusé Sambodj Sira Aicha qui sera plus tard Buur Djilor.
Guédal noua des relations avec les Français qui n’interviendront guère au Saloum et au Rip à cette
époque, car ils étaient occupés par la pénétration au Soudan et par la conquête du Kayor. Comme son
frère, il réclama par la force des armes les provinces appartenant autrefois au Saloum et annexées par
le Rip. Il eut donc à faire la guerre contre Mamour Ndari et Saer Maty. En 1884, il ouvrit les hostilités
contre Mamour Ndari qu’il rencontra à Sibassor : la bataille fut sanglante et l’Almamy devait y perdre
son fils bien-aimé Aliou Bobo, abattu dans un duel contre Ndéné et Mahé Sira Ndimb. La deuxième
rencontre se produisit à Hodar.
En 1885, Birane Cissé se brouilla avec son Almamy, Saer Maty, entra en dissension avec celui-ci
et assassina son cousin Ali Khodia, chef de la province de Ndémène. Guédal obtint l’alliance de
Birane Cissé et envahit le Rip ; il battit Saer Maty à Prokhane, enleva d’assaut les citadelles de Keur
Mamadou Néné et de Ndiayène où il fit périr Ibra Anta Saly, frère de Saer Maty, et Amadou Diagne,
le cousin de celui-ci. Alors Guédal décida de s’arrêter, car Saer Maty l’attendait avec le gros de son
armée dans la vallée très peuplée de la Gambie. Birane Cissé qui, selon le pacte, ne devait bénéficier
que du territoire et non du butin, décida de poursuivre le combat. Les alliés se brouillèrent et se
séparèrent, en prenant la direction de leur capitale. Saer Maty se mit à la poursuite de Buur Saloum
qu’il battit à la mémorable bataille de Louba Rédou, et auquel il reprit le butin.
La même année 1885, aidé par le Bourba-Dyolof Albouri, son neveu, Saer Maty remporta une
nouvelle victoire sur Guédal à la bataille de Naoudourou, où il avait rejeté dans les eaux une grande
/p. 850/ partie de l’armée du Saloum. En 1886, évitant toute rencontre en dehors de la capitale du
Saloum, Saer Maty parvint à incendier Kahone. Désespéré de ne pouvoir récupérer le territoire du
Saloum par les armes, le Buur Saloum demanda l’intervention française. Une colonne commandée par
le capitaine Coronnat et le capitaine Villiers battit Saer Maty à Goumbof et à Bantanding. D’abord
réfugié à Bathurst, Saer Maty se réfugia ensuite au sud de la Gambie, à Bakau où il mourra le 23
décembre 1899.
Après la défaite de Saer Maty, Mamour Ndari fut contraint de céder au Buur Saloum tous les
territoires annexés depuis 1862. Guédal signa alors le traité de protectorat avec la France, qui sera
ratifié en 1891 par Sadi Carnot ; le Saloum est divisé en cantons qui correspondent souvent aux
anciennes principautés. Sous Guédal est organisé le premier recensement de la population : chaque
chef de famille apportait à la commission autant de grains de baobab qu’il y avait de personnes dans sa
maison. Les opérations sont connues sous le nom de “poram guifma”.
Sous le règne de Guédal eut lieu un événement terrible ; une épidémie ravagea tout le cheptel du
Saloum et se trouve connue sous le nom de ndété nagy. L’année suivante, en 1894, il y eut une grande
éclipse du soleil qui est restée inoubliable.
Guédal mourut en 1895, à Korki qui était un village des captifs du clan Kodou Bigué. Il avait
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 23

embrassé l’Islam quatre ans avant sa mort et demanda que ses restes soient enterrés en un lieu connu
de tous, et que sa tombe ne soit pas cachée comme on le faisait jadis pour les Gelwar. C’est pourquoi
sa sépulture est connue et se trouve près de Birkelane, au village de Korki Dala. Lorsque Guédal se
convertit, il obligea son entourage à suivre son exemple.

Mamour Ndari et Saer Maty

Plusieurs événements concernant Mamour Ndari et Saer Maty, respectivement frère et fils de
Maba, ont été rappelés ci-dessus ou se trouvent évoqués dans l’Essai historique sur le Rip. Il est
nécessaire d’ajouter certaines précisions au sujet de la succession de Maba.
Une semaine après la mort glorieuse de Maba, tombé devant l’ennemi les armes à la main,
l’assemblée de jambuur dirigée par Goumbo Guèye de Sandial se réunit à Keur Abdou Bouri, non loin
de Kandi, lieu du sacre des anciens rois du Rip, pour procéder à la nomination de son successeur. Le
choix de Mamour Ndari fut facilité par la mort à Somb de son frère Ousmane et par la /p. 851/
disparition temporaire d’Abdou, autre frère qui devait réapparaître par la suite. Après les 20 coups du
tabala, Goumbo Gueye déclara :
« Une semaine avant d’aller mourir, Maba a tenu une réunion avec les plus représentatifs parmi
nous, ici présents, à Daga Albouri, pour déposer entre nos mains son testament qui se résume en trois
points : 1) la poursuite de la guerre sainte et l’acceptation sans conditions de tous les sacrifices que
cela comporte ; 2) le soutien vigoureux à son frère Mamour Ndari, son collaborateur dans l’action
clandestine comme durant la guerre ouverte, qui de surcroît est un homme cultivé ; 3) la remise de son
fils Saer, âgé de 12 ans seulement, entre nos mains ; celui-ci nous est confié afin que nous veillions à
sa formation intellectuelle, morale et religieuse ”»
Mais le savant Matar Kala Dramé objecta qu’à son avis, la procédure adoptée était dictatoriale, et
non conforme à la charya (tradition musulmane). À la mort du prophète, son successeur ne fut pas
immédiatement son cousin et gendre Ali, mais bien Abu Bakr. De même, au Fouta, l’Almamy est
désigné par le conseil des notables et cette charge n’y est nullement héréditaire.
Gumbo Guèye répondit que les deux exemples n’étaient pas probants. En effet, si Ali n’a pas été
aussitôt khalif, c’est parce que Abu Bakr, dirigeant la prière du vivant du Prophète, a été considéré
comme pressenti. Par ailleurs, le système électif du Fouta n’était pas viable pour un pays en état de
guerre, car le pouvoir de l’Almamy serait considérablement affaibli. Goumbo Guèye s’éleva
énergiquement contre le geste de Matar Kala qui n’avait d’autre but que de semer la discorde dans le
peuple. Comme le Rip n’avait pas oublié sa tentative de trahison en 1865 et sa condamnation par le
tribunal, Matar Kala fut écarté et Mamour Ndari monta sur le trône à l’âge de 44 ans.
Dès l’accession de Mamour Ndari, le Sériñ Pakala, Mamour Samba Ndiobaye Cissé, fit savoir
que sa province autrefois tributaire du Saloum n’avait pas été conquise par Maba, mais emportée par
le courant prestigieux de l’Islam prôné par Maba, et qu’il entendait désormais prendre son
indépendance vis-à-vis du nouvel Almamy. Il commença par des manifestations tapageuses. Un jour, à
la tête de sa troupe, il campa à Keur Abdou Bouri où il organisa des réjouissances populaires. Mamour
Ndari voulut intervenir, mais Lat Dior déclara que l’occasion était puérile, et qu’il valait mieux
attendre le moment favorable pour l’anéantir totalement. Le prétexte fut rapidement donné par le Sériñ
Pakala qui commença à bâtir un tata à Ndiao Bambali. L’Almamy exigea /p. 852/ l’abandon immédiat
de cette construction ainsi que des provocations incessantes, sans quoi il se verrait obligé d’user de sa
force et de ses troupes dix fois supérieures à celles de Mamour Samba, ce qui ne serait pas à l’honneur
de l’Islam et dont ce dernier serait seul responsable devant Dieu et l’histoire. Mamour Samba refusa
d’obéir à cet ultimatum ; l’armée du Rip, encadrée par Lat Dior, Birane Cissé, Ali Khodia et Amat
Basin, attaqua Ndiao Bambali et le tata dont les murs atteignaient à peine la taille d’un homme.
Comme les habitants du Pakala étaient en majorité contre la position de leur chef, le combat fut
inégal ; Mamour Samba, escorté par sa garde, put s’échapper et se réfugia à Panthiang. Le combat
cessa aussitôt et le prince Mandiok Cissé fut proclamé Sériñ Pakala, fonction qu’il conserva jusqu’en
1911, date à laquelle la France lui octroya une pension qu’il ne toucha jamais.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 24

La campagne contre le Saloum et son roi Sadiouka, mentionnée plus haut, fut rude. Sans
déclaration de guerre, Sadiouka avait envahi le Rip et pris la citadelle de Thikat qui était commandée
pour l’Almamy par Samba Laobé Ndiaye. Le tabala rassembla à Nioro toute l’armée du Rip. Le
commandement de la cavalerie, divisée en deux groupes, fut confié à Lahine Maram Niang et à Birane
Cissé ; l’infanterie fut dirigée par Omar Sène et Kouly Adam Bigué. La bataille fut décisive, car le
Buur Saloum avait exigé l’évacuation des sangé (fortifications) pour lutter en rase campagne. La
cavalerie du Sine, venant au secours de Sadiouka, fut interceptée et démembrée par Lahine Maram à
Daga Miniane. Birane Cissé affronta la cavalerie du Saloum qu’il obligea à se replier au tata de Maka
Kahone. Le combat en rase campagne fut difficile et se solda par de nombreuses victimes des deux
côtés. Au cours d’un duel, les frères Kouly Adam (musulmans) et Mbagne Diogop (tyédo) se tuèrent.
Gravement blessé, le roi du Saloum fut transporté à Ndiayène Bagana ; l’annonce de sa mort, alors
qu’il était seulement blessé, désorganisa la résistance du Saloum. C’est alors que l’aventurier Mama
Gaolo partit à Thiofak où il tua de sa propre main la reine Koumba Daga et fit prisonnières de
nombreuses princesses qui furent amenées à Nioro. Kodou Diop Ndiaye devint épouse de Mamour
Ndari ; elle était la petite-fille du roi Biram Ndiémé Niakhana. Sira Mbodj, fille du roi Koumba
Ndama, devint la femme d’Ali Khodia ; Sira Mbodj, la tante de la précédente, fut donnée à Lahine
Maram. La princesse Diouka Seydi, encore trop jeune, demeura dans le tata de Nioro auprès de
Mamour Ndari qui veilla à son éducation coranique. Par la suite, son mariage avec Saer Maty
provoqua des dissension à l’intérieur du Rip.
/p. 853/ Après la victoire de Thikat, le règne de Mamour fut paisible et prospère ; les écoles coraniques
se multiplièrent dans le pays. Néanmoins un incident se déroula en 1875 : l’assassinat de Matar Kala
qui n’avait toujours pas accepté son éviction au profit de Mamour Ndari. Matar qui cherchait à
renverser la famille Ba avait fortifié son village de Dramé Ndimb et s’approvisionnait en armes et
munitions. Un jour, les gardiens de la frontière interceptèrent une pirogue chargée d’armes. Les
occupants de l’embarcation prirent la fuite, mais l’un d’entre eux fut reconnu comme habitant de
Dramé Ndimb. Une convocation fut adressée à Matar Kala par Mamour Ndari, mais resta sans suite.
Une petite cavalerie, commandée par Mama Gaolo Niang, se rendit à Dramé Ndimb. Au cours des
discussions, Pithiel Diawando, un soldat de Mama Gaolo, tira sur Matar Kala qui mourut aussitôt. Le
village fut fouillé, sans aucune résistance de la part des habitants. L’opinion publique fut émue de ce
meurtre, mais le peuple ne bougea pas ; cependant certains mécontents commencèrent dès lors à se
grouper autour de Birane Cissé.
À partir de 1881, la dissidence de Birane Cissé et l’ascension de Saer Maty marquèrent l’histoire
du Rip. Après de brillantes études coraniques à Toune-Mandakh, Prokhane et Nioro, auprès
d’éminents professeurs à la solde de Mamour Ndari, Saer Maty entra alors dans la vie politique. Il fut
installé par son oncle à Keur Maba, après que celui-ci lui eût donné comme épouse la princesse
Koumba Nor Ndao. L’Almamy installa solennellement Saer Maty à la tête de la province du Walo-Rip
et le déclara héritier présomptif, en tenant compte des recommandations de Maba, mais aussi du degré
d’instruction du fils de Maba qui savait enseigner tout le programme arabe. Il demanda aux divers
chefs de province d’apporter leur soutien à Saer Maty et de consolider son autorité. Saer Maty
répondit à son oncle en le remerciant et en rappelant aux divers chefs de provinces qu’ils n’étaient que
les représentants de l’Almamy et non pas des princes commandant légitimement leurs principautés par
droit de naissance. Birane Cissé félicita le fils de Maba en assurant celui-ci de son respect et de sa
collaboration sincère.
Peu de temps après l’intronisation de Saer Maty, Mamour Ndari eut à affronter les troupes de
Guédal Mbodj à Hodar et à Nguer ; à Sibassor, Aliou Bobo, le fils de l’Almamy, mourut au cours d’un
duel qui est resté célèbre et qui l’opposa à deux adversaires : Mahé Sira Ndimb et Ndéné Ndétou qui
avaient été jadis Buumy Katiawane.
/p. 854/ Lorsqu’on lui eût refusé la main de Diouka Seydi, Birane Cissé manifesta son
mécontentement en répudiant de suite Amina Ba, la fille de Mamour Ndari, et en refusant de verser le
butin recueilli au cours d’une récente expédition. Malgré une tentative de conciliation de Goumbo
Guèye, Birane Cissé choisit l’opposition directe ; Mamour Ndari voulait éviter cela, car il connaissait
la valeur de Birane et préférait la diplomatie aux solutions militaires. Mais le conflit désormais
inévitable éclata. Revenant de Diabakunda, où ils étaient partis à l’occasion des funérailles de Diayété
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 25

Diang, deux neveux de Mamour Ndari, Diao et Lahine, surprirent les partisans de Birane en train de
construire des sangé. Saer Maty vint immédiatement assiéger l’endroit, à Keur Samba ; au cours de la
bataille, Diao et Lahine furent tués alors que Birane perdait son frère aîné Aly Mbasse. Saer Maty
brûla alors Keur Samba et Diabakunda. Birane Cissé répondit en attaquant Abdou Ba, le frère de
Mamour qui avait été mutilé à Somb ; malgré la surprise, son grand âge et ses infirmités, Abdou fit
des prodiges avant de tomber mortellement blessé à Padaf. Ses restes furent transportés à Keur Demba
Niane où ils furent inhumés ; sa femme Sira préféra mourir en se brûlant vive plutôt que de devenir
captive de Birane.
Birane attaqua alors Keur Demba Niane occupé par l’Almamy avec 30 soldats seulement. Saer
Maty, qui assiégeait alors Tyali Baro, un frère de Birane, à Youna, dégarnit ses troupes à cet endroit
pour se porter au secours de son oncle. Birane fut contraint au recul. Une troupe fraîche, commandée
par Sédibo Vilane, fit perdre à Birane ses meilleurs soldats à Keur Mbaké ; Birane fut obligé de subir
un siège de trois mois au village de Ndimb Birane. Lat Dior revint à ce moment au Rip et chercha à
réconcilier la grande famille de son ami Maba. Sa médiation réussit à obtenir une trêve qui devait
s’avérer fragile. En effet, Birane repartit en campagne peu de temps après l’accord, et s’acharna contre
la province du Pakala où il incendia plusieurs villages, dont Djimbala et Gengé. Saer Maty répliqua en
faisant mourir Sakoumba et Diarga Khodia, deux frères de Birane, pour venger ses partisans. C’est
alors que Birane, persuadé que ses ressources ne lui permettraient pas de continuer seul la lutte, s’allia
avec le Buur Saloum Guédal Mbodj. À la tête d’une forte armée, les alliés envahirent le Rip. À
Prokhane, Saer Maty eut à subir un siège qui ne dura que quelques heures ; enhardi par le son des
dioung-dioung (tam-tam royaux du Saloum), il se fraya lui-même un chemin à travers la muraille
humaine, à la tête de ses troupes. Cependant la /p. 855/ coalition parvint à s’emparer peu après de la
citadelle de Keur Mamadou Néné où commandait Nala Doukouré. À Ndiayène, Ibra Anta Sali, fils de
Maba, fut pris et mis à mort avec son cousin Amadou Diagne. Saer Maty se replia vers la Gambie.
Birane exigea la poursuite, mais Guédal, comprenant la stratégie de l’ennemi, décida de rentrer au
Saloum. Déçu, car le roi du Saloum lui avait promis la pacification totale du Rip, Birane se brouilla
avec son allié. Avec un butin en hommes et en bétail, Guédal se dirigeait vers son pays, mais Saer
Maty le rejoignit à Louba Rédou où eut lieu un combat gigantesque : le Beuleup Diawagne Khourédia
y trouva la mort. Saer Maty parvint à récupérer, grâce à sa victoire, la quasi-totalité du butin.
Saer Kany, chef de province du Sabakh, jeta alors son dévolu sur le Sandial jadis conquis par son
père Sambou Oumané. Il s’allia à Molo Egué, le roi du Fouladou. Ils incendièrent Ngueyène, une des
résidences de Goumbo Guèye qui, malade, s’était retiré dans son tata de Koumbidia. La bataille
autour du tata fut meurtrière : les Peul désorganisés perdirent pied. Malgré le mal de Guinée dont
souffrait le héros de Passy Khour, Keur Ngor, Somb et Paoskoto, Goumbo Guèye, celui-ci monta sur
son cheval Mbengé. À ceux qui lui conseillaient de garder le lit, il répondit que sa présence à la tête
des troupes jetterait l’épouvante dans le cœur de ses ennemis qui ont appris à se battre à l’ombre de
ses bras. Effectivement il fit pencher la victoire de son côté, mais au cours de la poursuite, Ndari Kany
le toucha d’une balle qui le tua presque aussitôt. Cette mort fut tenue cachée pour empêcher l’ennemi
d’exploiter sa victoire.
Le dernier épisode des rivalités au Rip fut le conflit ouvert entre Mamour Ndari et Saer Maty qui,
bénéficiant des faiblesses de son oncle, agissait pour son propre compte et se considérait comme le
véritable chef du Rip. Après l’assassinat d’Ali Khodia, Saer Maty avait déjà mené la campagne contre
Guédal et Birane Cissé de son propre chef plutôt pour son intérêt que pour celui de son oncle
l’Almamy. Il attaqua Nioro même dont la défense fut assurée par Mamour Ndari et parvint à ramener
comme otage Yasin Koura, la veuve de son père qui était devenue l’épouse de son oncle. La guerre
fratricide se poursuivit jusqu’en avril 1887, quand Saer Maty entra en campagne contre le Saloum,
incendiant Kahone et inquiétant les commerçants français de Kaolack. La colonne Coronnat mit fin à
l’activité de Saer Maty qui dut se réfugier en Gambie, à Bathurst d’abord, puis au sud de la Gambie où
il mourut deux jours avant que Birane Cissé ne meure en exil au Kayor, où /p. 856/ les Français
l’avaient placé sous la surveillance de Demba War Sall.
Après la défaite de Saer Maty, les Français s’installent à Nioro et imposent par traité le protectorat
au Rip. Mamour restera le chef de ce pays jusqu’à sa mort en 1889.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 26

43.— Sémou Djimit Diouf


Chef de l’ancien clan Kéwé Bigué qui était émigré dans le Rip depuis Balé Ndao, Sémou Djimit
monta sur le trône alors qu’il était déjà musulman : il s’était converti alors qu’il était auprès de Maba,
mais apostasia dès qu’il vint au pouvoir. Il avait servi Mamour Ndari quand il était au Rip. Or son
frère y fut assassiné par Saer Maty en 1884 ; c’est pourquoi il accepta immédiatement la proposition
du Buur Saloum Guédal qui lui proposa de revenir au Saloum et l’installa à Diagnel. Lors de l’attaque
de Kahone par Saer Maty, il obligea ce dernier à évacuer la capitale prise depuis le matin. Pendant
qu’il était encore au service de Mamour il avait démontré sa valeur militaire au cours des batailles de
Thikat et d’Alkalikunda.
Sémou fut un prince turbulent ; supportant mal l’autorité française, il refusait de verser la totalité
de l’impôt et se réservait la moitié des sommes versées. Il révoqua le chef de canton de Djilor, Ardo
Dégèn, fils du roi Koumba Ndama, qui avait été responsable des malheurs de sa famille à Tandabar où
son père Gori avait trouvé la mort. Comme la France ne voulait pas intervenir à ce moment, on
supporta Sémou Djimit et on institua à cause de lui la prime allouée aux chefs de canton et la remise
accordée aux chefs sur l’impôt perçu.
Signalons que le Saloum eut l’idée saugrenue de soutenir, à la mort de Guédal, la candidature
d’une femme, la princesse Bambi Seydi. Mais Sémou Djimit, soutenu par le Gouverneur français, fut
imposé comme roi du Saloum. Il mourut en 1898.

44.— Ndiémé Ndiénoum Ndao


Gelwar du clan Khorédia Bigué, Ndiémé faisait également partie des émigrés du Rip. Il s’était
cultivé en science coranique dans ce pays et resta un véritable musulman à son retour au Saloum. Il
détestait le comportement des tyédo qui avaient apostasié depuis la mort de Guédal.
Sous son règne, en 1901, un marabout peul nommé Ndiouma /p. 857/ Ndiati se déclara Mahdi et
ouvrit les hostilités contre l’administration française en coupant les lignes télégraphiques et en
saccageant le poste de Malem Hodar. Le commandant de cercle français demanda alors à Ndiémé
Ndiénoum de marcher contre le chef peul qui résidait au village de Kelel Moufel, à 4 km à l’est de
Birkelane. Converti à l’Islam depuis longtemps, le roi refusa de lever des troupes car il ne voulait pas
combattre des musulmans comme lui pour satisfaire un gouvernement étranger et catholique. De ce
fait, il fut relevé de ses fonctions par les Français et remplacé par Ndéné Diogop. Il mourut à Mboss.

45.— Ndéné Diogop ou Ndéné Walboumy Diouf


Gelwar du clan Kéwé Bigué, il fut très brave avant son accession au pouvoir, mais il n’avait
jamais vécu au Saloum et résidait dans le Rip où il avait trouvé asile. Quand il arriva au pouvoir, le
pays était entièrement conquis par les Français qui l’avaient réorganisé ; ainsi, malgré son
intronisation régulière comme Buur Saloum, il fut uniquement chef du canton de Kahone et cessa
d’avoir le droit de contrôle sur les autres chefs de canton. Son autorité fut donc considérablement
réduite par l’administration française. Il fut le père de Fodé et l’oncle de Mahawa et Gori Diouf qui
furent tous chefs de canton.

46.— Sémou Ngouye Diouf


Un autre prince du clan Kéwé Bigué fut ensuite imposé au Saloum par le commandant Brocard,
alors qu’il y avait de nombreux prétendants. À peine âgé de 18 ans, mais parlant parfaitement le
Français, il fut nommé chef de canton de Kahone. Lors de la déclaration de la guerre 1914-18, il
donna l’exemple en s’engageant lui-même dans l’armée. Il devait mourir au front aux Dardanelles. Il
ne laissa qu’un fils, Wali Diouf, qui fut chef de canton de Gossas.

47.— Gori Diouf


48.— Mahawa Diouf
Ce furent les deux seuls chefs qui n’appartenaient pas à la famille maternelle des Gelwar ; en
effet, ils étaient Dionaye, de par leur mère.
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 27

/p. 858/ Gori fut d’abord chargé de l’intérim du chef de canton Sémou Diouf, alors mobilisé. Il fut
définitivement nommé en 1916 et mourut sans enfant.
Mahawa fut, comme Gori, chef de canton de Kahone, conseiller colonial et chevalier de la Légion
d’honneur. Il fut le père de Gori Diouf, ex-chef d’arrondissement.

49.— Fodé Ngouye Diouf


Il fut le dernier Gelwar à porter valablement le titre de Buur Saloum, car il était de la lignée par
son père et sa mère qui étaient tous deux Gelwar. Membre du clan Kéwé Bigué, il était le fils du roi
Ndéné Diogop et de la reine Ngouye Ndour. Du côté paternel, il était de Diagnel où il est né ; par sa
mère il est originaire de Selik qui est le village des descendants mâles du fondateur de la dynastie,
Mbégan Ndour.
Ancien combattant de la guerre 14-18, officier de la Légion d’honneur, commandeur de l’Ordre
national, il a été successivement chef de canton de Kolobane, du Laghem, du Ndoukoumane, chargé
des cantons du Pakala et du Mandakh, et enfin chef de province de Kahone. Il fut conseiller coutumier
du Sénégal indépendant.
Sa mort presque simultanée avec celle de Mahécor Diouf, le dernier Buur Sine, clôture le règne de
la grande et noble dynastie des Gelwar.

*****
Abdou Bouri Ba, Essai sur l’histoire du Saloum et du Rip. Avant-propos par Charles Becker et Victor Martin 28

Annexe sur l’Islam au Saloum et au Rip

Comme on a eu l’occasion de le souligner dans la chronique même, l’implantation de l’Islam fut


très ancienne dans le Saloum. Elle a été antérieure à la prise du pouvoir par les dynasties gelwar et
manding, et s’est consolidée fortement sous le règne de celles-ci.
Il y avait dans le Saloum des écoles coraniques très nombreuses et les récitateurs publics du Coran
étaient extrêmement répandus. Les grands centres d’étude étaient à Taïba et à Nandigui, mais surtout à
Bamba Modou, au Mandakh, où le père de Amadou Bamba fit ses études. Le Dara de Kouloumbodou
dans le Sabakh était également très réputé ; son maître le plus renommé fut Lahine Kandira Matar. Il y
eut aussi le fameux Dara de Dramé Ndimb où le professeur le plus connu a été Matar Kala Dramé.
/p. 859/ Cinq grandes familles religieuses ont joué un rôle majeur dans l’islamisation des pays du
Saloum et du Rip : elles avaient chacune une université :
1.— les Dramé, dont il a été question plus haut, qui enseignaient à Barkédji et à Baytit, et qui
s’installèrent ensuite à Dramé Ndimb ;
2.— les Cissé, qui avaient leurs principaux centres à Wanar et à Keur Bamba Yasin. Les plus célèbres
maîtres furent Samba Yasin Bouri et Amdala Bouri ;
3.— les Touré, qui établirent leurs grandes écoles à Kataba et à Passy-Rip ;
4.— les Sakho qui résidaient à Ngayène ;
5.— les Gaye qui ont accueilli les Sakho à Ngayène et y firent un grand centre musulman. Ils ont
fourni beaucoup de taleb, c’est-à-dire des lettrés.
Ces cinq familles ont répandu l’enseignement islamique dans tout le pays et sont installées
bien avant l’arrivée de la famille Ba, d’origine toucouleur, qui joua par la suite un rôle majeur dans la
diffusion de l’Islam.
Les élèves des écoles du Saloum allaient souvent parfaire leurs connaissances dans le Kayor, et
surtout à Longor dans le Mbakol. Comme beaucoup d’autres lettrés, Maba était parti à Longor avant
de venir fonder son école dans le Rip. La grande université de Pire a été moins fréquentée par les
musulmans du Rip et du Saloum : elle recevait surtout des étudiants du Fouta et du Kayor.
Il n’y a pas très longtemps que le Saloum a commencé à étudier vraiment l’arabe. En effet, on
enseignait autrefois le seul Coran. C’est le célèbre Qadi Madiakhaté Kala qui a fait la propagande pour
la connaissance de l’arabe dans le Saloum. Un jour, un célèbre marabout du Saloum arriva dans son
village et dirigea la prière du midi et du crépuscule en priant à voix basse. Personne n’osa lui dire qu’il
enfreignait la coutume. Le soir, Madiakhaté réunit tout le monde et déclara qu’au Saloum, il constatait
une mauvaise chose ; on y apprenait et on y récitait le Coran par cœur, sans connaître toute sa
tradition, ce qui était, selon lui, un malheur. En effet, disait-il, celui qui récite le Coran sans savoir
l’arabe et sans pouvoir le traduire, c’est un aveugle qui marche à tâtons. Il conseilla donc vivement
aux gens du Saloum d’apprendre un peu de Coran, mais beaucoup de tradition du Coran, ce qui est
plus important. À partir de cette époque, l’arabe sera vraiment étudié au Saloum. Cela continuera
jusqu’en 1862, lorsque Maba ouvrit une école arabe dirigée par Mamour Ndari qui avait appris cette
/p. 860/ langue et la tradition chez les Ida Wali en Mauritanie et à Saint-Louis. Mamour Ndari fut le
seul à enseigner dès cette époque l’arabe de façon poussée. Depuis lors l’enseignement arabe a fait
beaucoup de progrès dans le pays et a touché une grande partie des populations du Saloum et du Rip.

*****

Vous aimerez peut-être aussi