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0. Introduction générale
Le raisonnement désigne à la fois une activité de l’’esprit et le produit de cette activité. La première
fait l’objet des études psychologiques, physiologique, sociales et culturelles car elle étudie l’activité
mentale de celui qui raisonne. Ces études pourront révéler les intentions, les mobiles de celui qui a
élaboré le raisonnement, les influences qu’il a subies et qui permettent de situer le phénomène dans son
contexte. Par contre, comme produit de cette activité de l’esprit, le raisonnement peut être étudié
indépendamment des conditions de son élaboration. Ce qui intéresse ici c’est la manière dont le
raisonnement a été formulé, au statut des prémisses et de la conclusion, à la validité du lien qui unit les
prémisses à la conclusion, à la structure du raisonnement, à sa conformité à certaines règles : cet examen
relève d’une discipline, la logique, qu’Aristote à analyser dans son Organon, distinguant les
raisonnements analytique des raisonnements dialectiques1.
Comme on peut le constater, la validité de l’inférence ne dépend pas de la matière sur laquelle on
raisonne. C’est seulement la forme du raisonnement qui garantit sa validité. La logique qui étudie les
inférences valides grâce à leur seule forme, est appelée logique formelle. C’est celle qui va nous
intéresser dans la première partie de ce cours.
Par contre, les raisonnements dialectiques, examinées par Aristote dans les Topiques, la Rhétorique
et les Réfutations sophistiques, sont relatifs aux délibérations et aux controverses. Ils concernent, en fait,
les moyens de persuader et de convaincre, au moyen de discours, de critiquer les thèses de l’adversaire,
de défendre et de justifier les siennes propres, à l’aide d’arguments plus ou moins forts2. Ce type de
raisonnement nous intéresse au plus haut point, comme juriste. Un des syllogismes dialectiques exploité
par Aristote est l’enthymème3. L’usage d’un discours argumentatif ou persuasif est de mener à une
décision. Ce qui fera l’objet de notre deuxième partie.
Ainsi, ce cours est donc divisé en deux parties : la première partie porte sur la logique formelle. La
deuxième partie est consacrée à l’argumentation.
1 « Les raisonnements analytiques sont ceux qui, partant de prémisses nécessaires, ou du moins indiscutablement vraies,
aboutissent, grâce à des inférences valides, à des conclusions également nécessaires ou vraies. Ils transfèrent la nécessité ou la
vérité des prémisses à la conclusion. Le type de raisonnement analytique était, pour Aristote, le syllogisme, dont le schéma
classique est : « si tous les B sont C et si tous les A sont B, tous les A sont C ». Ce raisonnement est valide quels que soient les
termes que l’on mette à la place des lettres A, B et C » (Ch. Perelman, Logique juridique. Nouvelle rhétorique. Paris, Dalloz,
1979, p. 1).
2 Ch. Perelman, Logique juridique. Nouvelle rhétorique. Paris, Dalloz, 1979, p. 2.
3 Dans l’enthymème, on n’énonce pas toutes les prémisses – on sous-entend celles qui sont connues ou acceptées par l’auditoire
ou l’interlocuteur – et celles sur lesquelles on se fonde ne seraient que vraisemblables ou plausibles : la structure du
raisonnement dialectique serait, pour le reste, celle du syllogisme » (Ib., p.2).
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 4
INTRODUCTION
La logique est l’étude des règles du discours argumentatif, des jugements et des raisonnements afin
d’en déterminer la validité. En d’autres termes, la logique est l’étude du raisonnement et des liens de
cohérence dans le discours. C’est en fait l’étude de la cohérence et de la validité des raisonnements. Et
puisqu’elle examine surtout les formes du raisonnement, elle est dite « formelle ». En ce sens, elle
étudie la forme du raisonnement et non son contenu. Elle examine donc les raisonnements valides,
indépendamment de la véracité de leur contenu.
Pa conséquent, il faut distinguer la vérité d’un énoncé de la validité des liens logiques. La vérité est la
propriété d’un énoncé d’être conforme à la réalité. Par contre, la validité est la propriété d’un
raisonnement d’être cohérent, en respectant la forme et la structure des liens logiques. Dans ce chapitre,
nous allons examiner quelques notions relatives à la logique formelle : le concept et le terme ; le
jugement et la proposition ; le raisonnement.et les lois logiques ; les inférences immédiates et les
syllogismes.
Un ensemble de notions qui aident à bien distinguer la validité ou non de ce que l’on dit;
Un ensemble de règles pratiques qui conduisent à des conclusions valables dans les
raisonnements.
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L’objet tel qu’il existe en dehors de moi, même si je n’en suis pas explicitement conscient. Il
servira de « suppôt » à ma pensée. C’est ce à quoi se réfère la pensée6.
La conception : l’acte de penser l’objet. Exemple : le poulet, la chikwangue.
L’expression qui formule, concrètement ou en moi-même, la conception de l’objet. Ex. quand
je dis « poulet ». C’est ce que je formule de la chose ; mais je puis formuler l’expression soit en
moi-même, soit dans une langue.
En outre, tous les concepts subsument les objets concrets, abstraits ou fictifs, imaginaires sous leurs
traits caractéristiques, abstraction faite de leurs propriétés particulières. Le concept résulte ainsi de
l’interprétation du réel. Et en tant qu’interprétation issue du réel concret, abstrait, fictif ou imaginaire,
le concept se caractérise par l’abstraction, l’universalité et l’univocité.
Le concept est abstrait par le fait que les objets représentés par un concept les sont sans tenir compte de
leurs qualités (propriétés) individuelles (particulières). Il ne dit pas tout de l’objet, il dit toute la chose,
mais sous un certain aspect.
Son abstraction fait qu’il est universel. Son universalité fait qu’il puisse s’appliquer à une série illimitée
d’objets. Il peut ainsi s’appliquer à tous les objets qui présentent un aspect commun. Le concept est enfin
univoque, du fait de son abstraction et de son universalité. En d’autres termes, le concept signifie
identiquement tous les objets subsumés par lui.
4 Le concept « livre », par exemple, représente un objet concret, qui est l’ensemble de différentes sortes de livres en volume
divers, distincts les uns les autres, mais ayant en commun un substrat commun. Par contre, le concept « ensemble » est abstrait,
il représente un objet abstrait, comme ensembles vides, ensemble singleton, ensemble des pairs. Il représente des objets non
perceptibles que sont les nombres.
5 Toutefois, comme le note Mutombo, il y a lieu de distinguer, en logique, le terme singulier du terme général. La différence
entre le terme général et le terme singulier réside dans le rôle contrastant les caractérisant par leurs positions respectives dans
une phrase. Le terme singulier est celui qui occupe la position du sujet et le terme général est celui qui occupe la position du
prédicat. Exemple. Dans la phrase « le ciel est bleu », le terme singulier est « ciel » et le terme général, c’est « bleu ».
6 Voici quelques suppôts : l’odeur, la haine, la pensée, l’église, trois ou quatre, etc. Le suppôt n’est pas toujours une chose
concrète ; il peut être un objet fictif, imaginé, abstrait. Mais ce à quoi se réfère ma pensée est toujours une réalité « jetée devant
moi » et qui est en même temps placée au-dessous (càd suppôt) de ma pensée.
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Relation entre compréhension et extension : Plus la compréhension d’un concept est grande, plus son
extension est petite. Plus la compréhension d’un concept est petite, plus son extension est grande. On
dit alors que la compréhension d’un concept est en relation inverse de son extension.
L’expression verbale ou linguistique d’un concept est le terme ou le mot. Le terme ou le mot est la
désignation individuelle d’un objet. Il peut être « chacun des éléments simples entre lesquels on établit
une relation constitutive d’une phrase. Il peut être constitué par un mot ou un groupe de mots servant à
désigner un individu et de le distinguer des êtres de la même espèce »7. A ce titre, il est synonyme du
nom, d’expression, de nom propre, de désignation, d’appellation, de substantif, de signifiant. On a ainsi
une triade qui comprend le concept (signifié), le terme (signifiant) et l’objet (référant ou chose) ; le terme
renvoie à l’objet par le biais du concept. En d’autres termes, le référent n’est tel qu’en tant qu’il est
renvoyé par le signifié, i.e. il n’y a pas de lien direct entre le terme et l’objet8. D’où le triangle sémiotique
suivant :
Signifié
(= concept)
Signifiant Référent
(= terme) (= objet, chose)
Relation d’identité : deux concepts sont identiques s’ils ont exactement la même extension. O
dit alors qu’ils s’englobent mutuellement. Exemple : le concept de contenant est identique au
concept de récipient.
Relation d’inclusion : Un concept est inclus dans un autre lorsqu’il fait partie de son extension.
Exemple ; le concept de courage est inclus dans celui de vertu.
Relation d’exclusion : Il y a exclusion lorsque l’extension d’un concept est complètement
distincte d’un autre concept.
Relation d’intersection : Il y a intersection lorsqu’une partie de l’extension d’un concept est
également dans l’extension d’un autre concept.
En dehors de ces relations, il faudra aussi tenir compte de certaines relations explicites entre les concepts,
on parle aussi de compatibilité et d’incompatibilité.
> La compatibilité de deux concepts est la caractéristique des concepts de pouvoir être applicables à la
fois à un même objet. Exemple : d’un même homme, on peut dire qu’il est grand, intelligent, Africain,
sans se contredire.
> L’incompatibilité est la caractéristique qui fait que deux concepts s’opposent ou s’excluent d’une
manière ou d’une autre. Signalons trois cas d’incompatibilité qui peuvent se manifester :
7 M.-P. MUTOMBO MATSUMAKIA, Eléments de logique classique. Avec exercices et questionnaire d’examen. Louvain-
La-Neuve, Académia, 2003, p. 14.
8 Id., p. 15.
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* La contradiction : c’est l’opposition, soit entre deux termes, soit entre deux propositions dont
l’une nie ce que l’autre affirme. Deux termes sont contradictoires si l’un est la négation de
l’autre.
* La contrariété : deux termes sont contraires s’ils ne peuvent pas être ensemble vrais comme
prédicat d’un même sujet dans une proposition. Mais ils peuvent être faux ensemble.
La définition essentielle est constituée de genre ( qui est une relation d’inclusion avec le concept à
définir) et la différence spécifique (constituée par des relations d’exclusion avec le concept à définir).
Le genre est l’ensemble immédiatement plus général que le concept à définir. Il englobe la classe
d’objets désignés par le concept et d’autres objets avec lesquels le concept partage certaines
caractéristiques.
Exemple : le vin est une boisson fermentée (genre) obtenue à partir de raisins (différence
spécifique).
La différence spécifique. Elle distingue les objets désignés par le concept des autres objets
englobés par le genre.
Exemple : L’être humain est un animal (genre) rationnel (différence spécifique).
Ainsi, en reliant les concepts les uns aux autres, on formule un jugement. Le jugement est l’acte mental
par lequel un rapport est affirmé ou nié entre deux ou plusieurs concepts. Il s’agit là de la phrase
déclarative. Elle correspond au nom d’une valeur de vérité. Elle est donc vraie ou fausse. Le jugement
est mental, mais il est susceptible d’être exprimé. Son expression verbale ou linguistique ou écrite est
donc la proposition.
Les termes du jugement présentent une explication d’un jugement exercé, en acte. Le jugement en acte
ou exercé est le jugement pour autant qu’il est « pensé » par l’intelligence, tandis que le jugement
explicite est l’expression (en termes) de ce même jugement (cf. la proposition). Il peut y avoir une
contradiction entre le jugement explicite et le jugement en tant qu’exercé.
Le sujet est ce qui, dans le jugement, se trouve à la place de la réalité dont on parle. Le prédicat est ce
qui, dans le jugement, exprime le contenu de la pensée, l’attribut qu’on veut appliquer au sujet. Le lien
ou la copule relie le sujet au prédicat. Il précise dans quelle mesure le prédicat dit quelque chose de vrai
ou de faux du sujet.
Exemple : Tous les êtres humains (sujet) sont (copule) égaux à la naissance (prédicat)
En résumé :
Quantité : selon la quantité, une proposition peut être universelle, particulière, singulière.
- Universelle : quand le sujet est considéré dans la totalité de son extension.
N.B. : * Le prédicat d’une proposition négative est toujours pris selon toute son extension. Le prédicat
d’une proposition négative est donc universel
Exemple : Aucun homme n’est un ange ». C’est dire que tout ce qui est ange est exclu de l’homme. On
peut représenter cela dans un diagramme :
Ange Homme
Ange
Le prédicat de l’affirmative est, par contre, particulier. Car, dans sa forme, il n’est pas pris
selon toute son extension. Exemple : « Tout congolais est Africain ». Dans cette proposition, le
sujet « tout congolais » n’occupe qu’une partie des « Africains ». On a le diagramme ci-après :
Africains
Congolais
Par ailleurs, la relation entre les concepts peut s’analyser comme une opération d’inclusion, d’exclusion
ou d’intersection, qu’on peut d’ailleurs représenter dans un diagramme de vienne.
M H H I (Exercice)
H
Affirmatif Négatif
Universel A E
Particulier I O
Carré logique
Le carré logique est un schéma visuel qui présente sous la forme d’un carré les quatre types principaux
de relations entre les propositions.
Contraire E
A
Contradictoire
Subalterne Subalterne
Contradictoire
I Subcontraire
O
Ainsi, je connais que « Tous les juges sont des avocats », je puis conclure :
Si I = F, alors E et O = V Si O = F, alors A et I = V
A=F E=F
Explicitation :
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Parmi les inférences immédiates, on peut distinguer les oppositions logiques (contradiction, contrariété,
sous-contrariété et subalternation) et les conversions.
Les oppositions logiques règlent le passage de la vérité ou de la fausseté d’une prémisse à la vérité ou à
la fausseté de sa conclusion par la transformation soit de la qualité, soit de la quantité, soit des deux à
la fois. Ainsi, soit la proposition A : Tout S est P :
Deux propositions contraires (A et E) ne peuvent pas être simultanément vraies, mais elles
peuvent être simultanément fausses. De la vérité de l’une, on conclut à la fausseté de l’autre.
Mais de la fausseté de l’une, on ne peut rien conclure.
Exemple : S’il est vrai que tout S est P
Alors de il est faux qu’aucun S n’est P
Mais S’il est faux que tout S est P
Alors, il est vrai ou faux qu’aucun S n’est P.
Deux propositions sous-contraires (I et O) ne peuvent pas être fausses ensemble, mais elles
peuvent être simultanément vraies. De la fausseté de l’une on doit conclure à la vérité de l’autre.
Mais de la vérité de l’une, on ne peut pas conclure à la fausseté de l’autre.
Exemple : S’il est faux que quelque S est P ( I )
Alors il est vrai que quelque S n’est pas P ( O )
Deux propositions contradictoires ( A et O, E et I) : elles ne peuvent être simultanément vraies,
ni simultanément fausses. De la vérité ou de la fausseté de l’une, on conclut à la vérité ou à la
fausseté de l’autre.
2.4. L’obversion
L’obversion est une opération de l’esprit qui modifie la qualité de la proposition (l’affirmative en
négative et inversement, tout en prenant pour prédicat le concept contradictoire du concept primitif.
Exemple : « Tous les Kongo sont des Africains » devient par obversion « Aucun Kongo n’est non-
africain ».
Comme on peut le remarquer, la proposition déduite garde la même valeur que la proposition initiale.
Ainsi, - L’énoncé converti doit garder la même signification que l’énoncé du départ ;
- Les termes de l’énoncé converti gardent les mêmes quantités (universel ou particulier)
et les mêmes qualités (affirmatif ou négatif) que les termes de l’énoncé du départ.
La grande loi de la conversion est que la proposition déduite ne peut rien affirmer de plus que la
proposition primitive et donc aucun terme ne peut recevoir une extension plus grande que celle qu’il
avait dans (ou les) prémisse(s).
Ainsi, A se convertit par accident en I, le prédicat d’une affirmative est particulier et en devenant
prédicat de la proposition déduite, car le prédicat d’une proposition affirmative est particulier.
E et I se convertissent simplement : Car dans la proposition E le sujet et le prédicat sont universels et
peuvent donc devenir prédicat et sujet d’une autre proposition universelle tandis qu’en I le sujet et le
prédicat sont particuliers dans les deux propositions :
Exemple : Aucun voleur n’est saint (E)
Donc aucun saint n’est voleur (E)
Quelques éléphants sont lourds (I)
Donc quelques êtres lourds sont des éléphants (I)
Le cas de O ne donne rien par conversion, à moins de passer par contraposition ; car le sujet de la
proposition initiale est particulier et ne peut donc pas devenir le prédicat d’une négative car celui-ci est
toujours universel.
Exemple : Quelques hommes ne sont pas avocats (O) (Il n’y a pas de conclusion par conversion).
La contraposition : C’est la forme la plus compliquée de la conversion, mais qui permet d’intégrer la
proposition en O. C’est une déduction qui remplace le sujet et le prédicat par leurs contradictoires
respectifs. Et qui opère ensuite une conversion simple. Comment procéder exactement ? Il y a ici trois
opérations :
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Une obversion : Exemple : « Tous les Kongo sont des Africains » devient par obversion
« Aucun Kongo n’est non-africain ».
Ensuite, on applique une conversion simple : « Aucun non africain n’est non-Kongo »
Enfin, une nouvelle obversion sur cette proposition qui devient alors : « Tout non-africain
est non-kongo »
N.B. : La contraposition n’est possible et légitime que dans les propositions en A et en O.
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Chap.3. LE RAISONNEMENT
Le raisonnement est une opération mentale par laquelle, à partir de jugements donnés (appelés
antécédents ou prémisses), on obtient un jugement nouveau (le conséquent ou la conclusion). Le rapport
entre l’antécédent et le conséquent est la conséquence. Ce rapport est exprimé par la particule « si-
alors ».
L’antécédent : c’est la proposition ou les propositions (la majeure et la mineur) qui sont admises
comme point de départ du raisonnement.
Le conséquent : la proposition qui résulte des antécédents ; ou encore : la proposition qui,
résultant des antécédents, est admise comme point d’arrivée du raisonnement.
La conséquence : le rapport entre l’antécédent et le conséquent, souvent exprimé par la particule
« si – alors » en vertu duquel l’antécédent entraine le conséquent.
Pour une bonne conséquence : L’inférence de l’antécédent au conséquent peut se faire selon la forme
ou selon la matière. Selon la forme, la conséquence est bonne si elle suit l’ordre et les lois logiques de
la bonne conséquence, même si le contenu ou la matière du raisonnement ne s’y prête pas.
Un raisonnement est une suite de jugements qui s’enchaînent pour mener à une conclusion. C’est donc
un agencement ou un enchaînement de propositions tel que la dernière appelée conclusion découle
nécessairement de la première ou des prémisses appelées prémisses. Le raisonnement comprend ainsi
deux parties : la (les) prémisse(s). Et en tant que suite de propositions, le raisonnement n’est ni vrai, ni
faux. Il est soit valide ou non valide. Nous pouvons retenir ici trois types de raisonnement : par
déduction, par induction et par analogie.
Conclusion générale
Raisonnement par induction : Il consiste à tirer de plusieurs jugements particuliers ayant des
caractéristiques communes une règle générale s’appliquant à l’ensemble des jugements du
même type. La conclusion est dite probable.
Raisonnement par analogie : Type de raisonnement basé sur la ressemblance établie entre des
choses ou des personnes dans le but de tirer une conclusion. L’analogie implique un rapport de
ressemblance entre plusieurs réalité (A est à B ce que C est à D).
Exemple : Tous les hommes sont mortels On a : Gt = mortel et Mt = Tous les hommes
Socrate est un homme Pt = Socrate
Donc Socrate est mortel.
En bref, la majeure et la mineure sont les prémisses ou les antécédents. Le moyen terme
n’apparaît pas dans la conclusion parce qu’il ne sert que d’intermédiaire dans les prémisses
pour passer à la conclusion.
La place du sujet et du prédicat peut changer dans une proposition. C’est dire que le sujet et le prédicat
de la conclusion ne jouent pas le même rôle, de sujet et de prédicat, respectivement dans la mineure et
dans la majeure. Ils peuvent changer de place et construire ainsi des syllogismes avec des figures
différentes.
La figure du syllogisme est donc la disposition des termes selon leur rôle de sujet et de prédicat. Nous
en retenons quatre.
Mt Gt Gt Mt Mt Gt Gt Mt
Pt Mt Pt Mt Mt Pt Mt Pt
Pt Gt Pt Gt Pt Gt Pt Gt
Pour retenir facilement ces figure, retenez les mots suivants indiquant la fonction du moyen terme dans
la majeure et dans la mineure : - su – pré , pré – pré, su - su, pré - su10
Comme nous le savons, une proposition générale peut être affirmative ou négative, universelle ou
particulière, c’est-à-dire A, E, I, O. Les combinaisons des A, E, I et O dans les prémisses et la conclusion
aboutissent à des différents modes de présenter les figures. Les prémisses d’un syllogisme catégorique
proviennent donc des deux propositions du type A, E, I ou O. Il existe en fait, indépendamment des
figures, 16 possibilités de couplage des prémisses.
A E I O
A AA AE AI AO
E EA EE EI EO
I IA IE II IO
O OA OE OI OO
Deuxième figure : La majeure doit être universelle et une des prémisses, négative
Ma : Aucun homme n’est immortel =E Gt - Mt
Mi : Or les anges sont immortels =A Pt - M = 2è figure
Pour l’application de ces règles, il existe deux lois générales : la première a trait à la compréhension et
la seconde à l’extension.
La première loi (la compréhension) : toute pensée cohérente doit obéir au principe de contradiction :
« Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas au même sujet, en même temps
et sous le même le rapport ». Positivement, ce principe peut s’expliciter ou s’énoncer de deux manières :
Deux choses identiques à une même troisième sont identiques entre elles.( A=B=C donc A=C)
Deux choses dont une est identique à une troisième, tandis que l’autre ne l’est pas, ne sont pas
non plus identiques entre elles : elles diffèrent l’une de l’autre. (A=B≠C, donc A≠C)
La deuxième loi (l’extension) : « Toute pensée cohérente doit se soumettre aux principes d’inclusion et
d’exclusion. De de principe on a :
Tout ce qui est affirmé universellement d’un sujet est nécessairement affirmé de tout ce qui est
contenu sous ce sujet.
Tout ce qui est nié universellement d’un sujet est aussi nié de tout ce qui est contenu sous ce
sujet.
Règle 1. Le syllogisme doit avoir trois termes (et non quatre ou plus) qui gardent un sens univoque.
Règle 3. Aucun terme ne doit avoir plus d’extension dans la conclusion que dans les prémisses.
Ce syllogisme est incorrect. Car ovipare (MT) a une extension plus grande dans la conclusion.
Ce syllogisme est incorrect du fait que le moyen terme (produits vénéneux) est particulier dans
les deux prémisses.
3.3.2.7. Le sophisme
Quad on n’observe pas les règles, on tombe souvent dans des sophismes. On a un raisonnement qui
donne l’impression d’être vrai ou correct, alors que c’est faux. Prenons deux exemples :
Ces deux syllogismes semblent être en ordre, et pourtant ils sont faux. Le prédicat de la majeure est pris
particulièrement, parce que la majeure est affirmative. Or dans la conclusion, le même prédicat a une
valeur universelle (le prédicat d’une proposition négative est universel).
Dans ce syllogisme, la conclusion semble vraie, et pourtant c’est un sophisme. Il pêche contre la règle
4 : le moyen terme (congolais) est pris deux fois de manière particulière ( car les deux prémisses sont
affirmatives).
3.3.3.1. Le polysyllogisme
Le polysyllogisme est un syllogisme composé de plusieurs syllogismes, de sorte que la conclusion de
chaque syllogisme intermédiaire sert de prémisse pour le syllogisme suivant. On aura le schéma ci-
après : A et B C, et C et D E, E et F G.
11 Nous nous référons au livre du Père Edouard Dirven, Introductions aux logiques. Kimwenza, éd. Loyola, 1990, p. 53-56.
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3.3.3.2. Le sorite
Le sorite est un polysyllogisme caractérisé par l’accumulation de prémisses dans lesquelles le prédicat
de la première devient le sujet de la suivante et ainsi de suite jusqu’à la conclusion. Celle-ci reprend le
sujet initial pour l’unir au prédicat final.
3.3.3.3. L’enthymème
L’enthymème est la manière ordinaire dont les hommes expriment leurs raisonnements. Ils sous-tendent
et laissent souvent tomber une proposition du syllogisme.
3.3.3.4. L’épichérème
L’épichérème est un syllogisme donc chacune des prémisses est accompagnée d’une justification
Le raisonnement par l'absurde est une forme de raisonnement logique qui consiste soit à démontrer
la vérité d'une proposition en prouvant l'absurdité de la proposition complémentaire (ou « contraire »),
soit à montrer la fausseté d'une proposition en déduisant logiquement d'elle des conséquences absurdes,
inacceptables.
Toutes ces règles logiques nous permettent de mener des raisonnements corrects, valides. Cela exige
une attention soutenue pour éviter le glissement de certaines erreurs.
- Les abus des « apriori ». C’est le fait d’admettre (a priori) comme vérité ce qui devrait être
prouvé a postériori (pétition de principe).
Exemple : Le soleil n’a pas de tâche, car (a priori) les astres sont faits d’un feu
incorruptible.
- Les abus de l’autorité : un recours inapproprié à l’autorité pour appuyer des faits qui relève
d’une autre nature, d’un autre domaine.
Exemple : Les fantômes existent sûrement car mon père m’a raconté que, deux fois de suite,
il en a vu. D’ailleurs d’autres personnes ont raconté cela aussi. Donc …..
- La fausse observation des faits : l’exemple du soleil qui tournerait (bougerait) autour de la
terre est frappant à cet effet.
- Les vices de logique : (dans la bonne conséquence). On a soit, le paralogisme si l’on
commet ce vice sans l’intention de tromper. Mais si on le fait avec l’intention de tromper,
on les nomme « sophismes ». Parmi ces vices, on a par exemple:
* Les pétitions de principes : quand on donne comme preuve ce qui devrait être prouvé.
Exemple : « Pourquoi l’opium fait-il dormir ? » Parce qu’il a une vertu dormitive.
Le but poursuivi en étudiant la logique formelle est de nous initier à un raisonnement cohérent et valide,
à être cohérent dans notre façon de réfléchir. Un juriste devrait les maîtriser afin d’être capable de plaider
avec éloquence et d’éviter des contradictions dans sa plaidoirie. Il nous reste à appliquer cette logique
dans les raisonnements des juristes. La deuxième partie de ce cours est donc consacrée à l’argumentation
judiciaire.
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Introduction
L’argumentation, de façon générale, est le médium dans lequel se déploient toutes les matières. Elle
n’est pas tant une discipline, qu’une pratique omniprésente dans le monde universitaire et, bien entendu,
dans la vie en général. Autrement dit, l’argumentation est modus operandi, un savoir-faire transversal.
Bien que l’argumentation soit une pratique, la dimension théorique n’en est pas moins utile pour
améliorer ses compétences, surtout si celles-ci sont juridiques.
Quel est, en fait, le but de l’argumentation ? L’argumentation poursuit un objectif plus tangible, comme
de susciter un comportement, une réaction, de conduire son auditoire à poser une action d’un genre ou
d’un autre. Son but est double. Il réside entièrement dans l’assentiment (conviction ou persuasion) et
dans la réalisation d’une action. En effet, tout se passe comme si l’argumentation visait ces deux buts
(conviction et action) mais d’une manière modulée selon les cas. Par exemple, quel intérêt y aurait-il à
convaincre quelqu’un de l’opportunité de baisser le son d’une radio au milieu de la nuit, si la personne
ne baisse pas le son ? Le but de l’argumentation est ici d’atteindre un objectif concret, et, à titre
subsidiaire, de convaincre l’interlocuteur des bonnes raisons qui sont les nôtres. Dans d’autres cas, c’est
l’inverse qui se produit : le but sera de convaincre, d’emporter l’assentiment, et, éventuellement,
d’obtenir le résultat escompté. Par exemple, si j’explique à quelqu’un que le sport est bon pour la santé
(comme chacun s’en doute) : le but ici est de convaincre profondément la personne que le sport est bon,
et je n’aurai que très imparfaitement accompli ma tâche d’éducateur si la personne pratique du sport
sans être convaincu par mon propos.
Bref, le but de l’argumentation est donc à la fois de convaincre du bien-fondé et, le cas échéant, de
provoquer tel ou tel type d’action. Il serait dès lors obtus de réduire l’argumentation à une stratégie
visant à convaincre sans susciter d’action ou à agir sans être convaincu ; il s’agit plutôt de réformer la
pensée de son interlocuteur pour modifier son comportement, selon des modalités déterminées par le
type de relation qu’on entretient avec lui (court terme ou long terme).
Pour Michel Meyer, l’argumentation est la négociation des différences (distance) entre les individus sur
une question donnée. Cette définition contient, en résumé, ce que nous venons d’exposer.
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Cette définition fait ressortir certaines caractéristiques de l’argumentation judiciaire : elle est une
démarche discursive14, le fait d’une personne ; elle s’adresse à un auditoire pour chercher à le persuader ;
les conclusions avancées par l’avocat devant un tribunal sont toujours controversables, en ce sens que
cette argumentation est énoncée dans un cadre qui en prévoit, institutionnellement, l’immédiate
contradiction par une argumentation adverse. Le débat, devant le tribunal, est souvent exclusif de toute
notion d’évidence. C’est dire que les avocats ne peuvent pas être constamment cartésiens et leurs
argumentations ne peuvent souvent se mouvoir ou s’appuyer que sur du vraisemblable.
En d’autres termes, le procès est la négation de la notion de l’évidence, puisque, par définition,
l’évidence s’impose à tous. Dans un procès, même de bonne foi, les deux thèses présentées par chacun
des avocats n’ont point de caractère d’évidence cartésienne propre à assurer la conviction universelle ;
et le juge choisira celle d’entre elles qui lui paraît la plus vraisemblable, c’est-à-dire la plus conforme à
l’idée qu’il se fait du dossier, des éléments de fait, et de la règle de droit qu’il convient de lui appliquer.
Par conséquent, dès qu’un jugement est rendu, l’affaire a trouvé sa « vérité judiciaire », et l’on peut dire
que la vérité d’une cause n’apparaît qu’avec le jugement définitif. Cette vérité judiciaire se fonde sur les
rapports que peuvent entretenir objectivement la décision et les éléments du dossier, mais aussi dans
l’acceptation par les parties du rôle et de la sagesse de l’institution qui la rend. La vérité judiciaire est
finalement la condition et la conséquence du jugement rendu.
Il est conseillé de prendre comme point de départ de l’argumentation judiciaire15, l’objectif que poursuit
le client, lequel peut avoir un ou plusieurs objectifs. Et en cas de pluralité d’objectifs, qui peuvent être
équivalents ou hiérarchisés, on peut amener le client à subsidiariser l’un de ces buts. Il y a là pour
l’avocat un travail sérieux et délicat à faire.
Invention et disposition : Il s’agit, en premier lieu, de trouver quoi dire, de concevoir son sujet,
d’inventorier les matériaux qu’il doit comporter, de trouver les arguments et les preuves destinés à
fonder la thèse à défende. C’est le moment de l’invention qui consiste à découvrir quelque chose à partir
des données préexistantes du dossier, extraire des arguments du dossier. La rhétorique, à ce niveau, a
13 François MARTINEAU, Petit traité de l’argumentation judiciaire. Paris, Dalloz, 2008. Ce chapitre se réfère essentiellement
à cet ouvrage. Pour ne pas l’alourdir, nous avons simplifié les citations.
14 L’argumentation se sert, comme véhicule principal, du langage écrit ou parlé. Le langage y est donc à la fois matière et
instrument. Il faut donc maîtriser la langue de sa communication ou de son expression. Car bien argumenter nécessite de bien
parler.
15 Le but de toute argumentation étant de persuader son auditoire de la thèse qu’on présente à son assentiment, cette thèse,
une importance capitale. L’invention est, en fait, cette partie de la rhétorique qui donne une méthode
d’investigation du dossier, propre à en faire surgir des arguments, et ce grâce aux outils que la rhétorique
met à notre disposition. En d’autres termes, si toute argumentation se construit à partir des données
propres de l’affaire, cette construction peut s’élaborer à partir des moyens conceptuels et de la méthode
que la rhétorique classique enseigne. Pour cela, l’utilisation d’une telle discipline n’éloigne pas l’avocat
de la vérité du dossier, mais lui permet d’en construire les éléments constitutifs.
En effet, travailler un dossier, ce n’est pas seulement en analyser les données documentaires, mais c’est
aussi tenter de lui faire dire quelque chose, le torturer, le retourner, le retourner dans tous les sens, les
soumettre à la question.
Après ce travail d’invention, vient la disposition. Il s’agit de disposer dans un ordre judicieusement
choisi, les matériaux du discours, ordre qui est lui-même argumentatif et qui facilite la persuasion.
Elocution, Mémoire et Action : après avoir trouvé les arguments et les avoir disposés, vient la partie
la plus délicate : l’élocution. Quintilien déclarait : « Que de savoir inventer les choses et les disposer,
c’est le fait de tout homme sensé ; mais que de savoir les exprimer c’est le propre de l’orateur »16.
Par l’élocution, l’avocat devrait apprendre à considérer les mots pris isolément ou joints ensemble. Ces
mots doivent être clairs, élégants et appropriés à ce que l’avocat veut exprimer, corrects, bien placés,
riches de sens. C’est pourquoi leur choix, le recours aux figures de pensée et de style approprié, facilitent
la persuasion.
En outre, comme il doit parler devant son auditoire, l’avocat doit se souvenir de la plaidoirie qu’il a
préparée, de ses divisions, de ses parties et de ses transitions. C’est pourquoi il lui est recommandé
d’exercer sa mémoire.
La dernière partie de l’enseignement de la rhétorique concerne alors l’action, l’étude des gestes et de la
diction ; comment dire le discours argumentatif, le prononcer, prévoir le débit de ses paroles, comment
souligner les passages importants de son discours par des gestes ou par des silences, par des variations
du ton de sa voix. Et, surtout, comment se comporter afin d’être en cohérence avec la thèse développée.
On comprend ainsi qu’après le langage de l’esprit, l’avocat devra aussi se préoccuper de « l’éloquence
du corps ».
Le travail d’analyse, de façon générale, consiste à décomposer le tout en ses éléments ou, plus
simplement, à la réduction du complexe au simple. En matière judiciaire, tous les éléments du dossier
doivent être examinés avec soin, à la fois dans leur essence et dans leur manifestation, dans leurs
caractéristiques qui permettent de comprendre et dans leurs détails qui permettent de les décrire. Il s’agit,
en fait, de délier, de séparer, de mettre en place les différents éléments de fait qui s’enchevêtrent dans la
réalité hétérogène d’une situation litigieuse.
Après le travail d’analyse, vient la synthèse. Cette synthèse argumentative consiste à formuler, à, partir
des éléments de toute nature distingués dans l’analyse, une argumentation qui soit en mesure d’assurer
la persuasion de l’auditoire du bien-fondé de la thèse qu’on défend. Lors de cette synthèse, l’avocat
réalise la fusion des éléments de fait qu’il a mis en lumière lors de son analyse, les normes juridiques
16 QUINTILIEN, Institutions oratoires, VIII, 1. Œuvres complètes de Quintilien. Paris, Firmin Didot, 1875.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 29
qui sont susceptibles de s’y appliquer, et utilise les valeurs explicites ou implicites qu’il a cru déceler
dans le dossier.
En conclusion, la synthèse est la construction d’un système argumentatif qui n’est pas autre chose que
la disposition, par l’avocat, et dans l’intérêt de son client, des différentes parties ou éléments d’un
dossier, dans un ordre où ils se soutiennent tous mutuellement et où les derniers s’expliquent par les
premiers.
Dans son approche juridique, argument et moyen ont à recevoir des contenus précis, au-delà de leur
compréhension lexicale. Le moyen est défini comme un argument mettant en relation une norme
juridique, un corpus de faits pertinents, et qui sera synthétisé dans le dispositif des écritures de la partie,
et ce dans les formes requises par le code de procédure (civile) et la jurisprudence des Cours. Le terme
moyen comporte, en fait, l’allégation d’un fait ou d’un acte dont la matérialité et la signification seraient
établies par les éléments de preuve appropriés et selon les règles juridiques applicables au litige. Le
moyen justifiant réponse par les juridictions de fond pouvait être défini par une énonciation par une
partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte, d’où, par un raisonnement juridique, elle prétendrait dire le
bien-fondé d’une demande ou d’une défense.
Il faut noter qu’une argumentation juridique peut être composée de plusieurs moyens, eux-mêmes
constitués de plusieurs arguments. Il découle de cela que :
- L’argument est constitué par l’énonciation d’un fait mais qui ne serait suivi d’aucune déduction
juridique propre à fonder une demande en justice et / ou qui n’aurait pas été reprise dans le
dispositif des conclusions d’une partie.
- Le moyen est un argument contenant énonciation d’un fait assorti de sa preuve, et suivi d’une
déduction juridique propre à fonder une demande en justice, ledit moyen devant avoir été repris
dans le dispositif de la demande de justice.
Ainsi, l’utilisation de terme « moyen » signifie que ce qui ne peut venir au soutien d’une demande sont
des développements sur le droit et le fait et leur synthèse dans le cadre de l’opération de qualification.
17La tradition processuelle française préfère, en matière civile, la notion de moyen à celui d’argument. Il s’agirait en fait des
moyens de défense. Le langage commun donne les deux expressions synonymes, en leur conférant presque le même sens. Ce
qui est discutable, si l’on considère ne fût-ce que l’étymologie.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 30
En d’autres termes, une demande ne peut être soutenue que par des moyens, et leurs preuves, droit, faits
et ce sous contrôle de la Cour. C’est là un idéal rationalisant vers lequel il faut tendre.
Arguments de droit. L’argument sera dit de droit lorsqu’il porte sur une norme juridique ou sur l’un
quelconque de ses éléments constitutifs. Du point de vue argumentatif, chaque norme peut s’analyser en
concepts, c’est-à-dire en instruments par lesquels le droit a prise sur la réalité et qui renvoient à autant
de grandes catégories juridiques connues ; ou en procédés techniques, c’est-à-dire les conditions de mise
en œuvre de la norme juridique elle-même ; ou enfin en mécanismes et modalités de réalisation des
opérations juridiques prévues par la norme elle-même. Ainsi, l’argumentation portera sur l’un ou l’autre
de ces aspects de la norme.
Prenons l’exemple du concept contrat. L’argumentation peut porter sur les conditions de sa validité, ou
bien sur les mécanismes opérationnels qui se rattachent au concept, à savoir la rétroactivité, le droit de
la preuve, la responsabilité, la représentation et les conditions d’ouverture de l’action en justice.
On peut aussi mettre en rapport l’argument de droit et le moyen de droit. Le moyen de droit n’est défini
que par rapport aux pouvoirs du juge. Dans le cadre de ces pouvoirs, le juge se voit reconnu la possibilité
de relever d’office les moyens de droit. Ce moyen de droit est celui qui concerne la qualification ou la
requalification des actes et faits litigieux par la règle de droit applicable.
Par ailleurs, la qualité d’une argumentation judiciaire repose en premier chef sur la faculté qu’aura
l’avocat de repérer et de formuler correctement la norme juridique susceptible de donner aux faits dont
il est saisi une qualification qui puisse rendre compte de l’objectif assigné par son client. C’est ainsi
que le premier réflexe de l’avocat sera de se souvenir de ce qu’il est convenu d’appeler les sources
du droit19, lesquelles constitueront autant de lieux où il ira chercher ses arguments, c’est-à-dire
les éléments d’une qualification juridique. Chacune des sources du droit peut donner lieu à un
argument dont la force persuasive diffère.
Arguments de fait. Un fait est tout ce qui est, tout ce qui arrive en tant qu’on le tient pour une donnée
réelle de l’expérience sur laquelle la pensée peut faire fond.
En matière judiciaire, les faits d’un litige sont constitués à la fois par les événements qui affectent
directement ou indirectement les parties, et les circonstances matérielles particulières qui donnent
lieu à l’énoncé de leurs prétentions contradictoires. Ces faits peuvent être considérés du point de vue
de leur cause, du point de vue de leur manifestation ou du point de vue de leurs conséquences. En droit,
un fait est dit pertinent ou concluant ou encore relevant lorsqu’il est de nature à justifier la prétention du
demandeur20.
Cicéron recommande de considérer pour chacun des faits évoqués, faits pertinents ou faits accessoires,
à la fois leur existence et leur non-existence, les preuves, leurs circonstances, leurs causes et leurs
conséquences. C’est ce qu’il appelle les modalités accessoires de leur exécution, à savoir :
Seulement, un fait doit être interprété. La description d’un fait peut servir de matière à l’argumentation.
Mais, le plus souvent, cette description ne prend son sens argumentatif que si elle s’accompagne d’une
interprétation. Cette interprétation tient compte des valeurs que la société tient à promouvoir ou à
préserver.
Argument des valeurs. Bien que le sens exact du mot valeur soit difficile à préciser du fait qu’il renvoie
souvent à un concept mobile et qui fait le passage du désiré au désirable, mais il faut reconnaître qu’il
existe des arguments qui mettent en œuvre la notion de « préférable » Ces arguments sont ceux qui
trouvent matière dans la considération des valeurs et de leur hiérarchie. Pour Louis Lavelle21, le mot
valeur s’applique partout où nous avons affaire à une rupture de l’indifférence ou de l’égalité entre les
choses, partout où l’une d’elle est jugée supérieure et mérite de lui être préférée. Ce sont aussi des
qualités axiologiques attribuées ou reconnues à des objets des faits ou des notions. C’est pourquoi, un
dossier judiciaire, quel qu’il soit, dans la mesure où il résulte de l’activité des hommes, met en œuvre
une série des valeurs. Il est ainsi recommandé à l’avocat de rechercher à repérer les valeurs qui sont à
l’œuvre, tant dans le discours de son client que dans la situation litigieuse qui lui est présentée. Cela lui
permettra de découvrir l’idéologie qui est derrière une affirmation qui se pare de l’objectivité.
En faisant référence à telle ou telle valeur, on peut établir des degrés au sein même de la réalité qu’on a
à décrire, on peut en hiérarchiser les aspects et mêler à la description du donné des jugements de valeur.
Donc les valeurs peuvent être hiérarchisées et jouer ainsi un rôle dans l’argumentation judiciaire22. Elles
sont des repères généralement admis, soit dans une société, soit par des groupes particuliers, soit par
l’auditoire devant lequel l’avocat va s’exprimer.
négatives, qui expriment l’approbation ou la désapprobation, la louange et le blâme. Ils n’ont pour finalité le vrai, mais le bien.
C’est en cela qu’ils sont l’expression de ce qu’il est convenu d’appeler la raison pratique par opposition à la raison spéculative »,
p. 65.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 32
Parmi les valeurs, on distingue traditionnellement : les valeurs éthiques23, les valeurs esthétiques24, les
valeurs religieuses 25 . Ces valeurs jouent un rôle important dans une argumentation. En effet, en
construisant une argumentation, le rôle de l’avocat est de se servir de toutes les valeurs qui peuvent
renforcer l’exposition de sa thèse, et concourir à la persuasion de son auditoire.
Argument d’émotion. On appelle arguments d’émotion, celui qui vise à provoquer chez l’auditoire un
mouvement psychologique qui facilitera son adhésion à la thèse défendue par l’avocat et qui pourra, le
cas échéant, dans son esprit, provoquer un changement au terme duquel il la jugera autrement qu’il ne
l’aurait jugée d’abord. Ces arguments ont à la fois une fonction de mobilisation et de détermination des
choix décisionnels. Mais pour être efficace, l’émotion de l’orateur doit être crédible et cohérente avec
son discours.
- Faire surgir chez le juge une image ou une idée. L’argument a alors une fonction représentative ;
- Etre la source du dynamisme qui porte toute faculté vers son objet de connaissance.
- Stimuler la volonté intellectuelle de l’auditoire, en rendant plus vives la mémoire, l’imagination
et la raison elle-même ;
- Orienter, vivifier les pensées de l’auditoire.
En tout état de cause, l’influence de l’argument de l’émotion peut être décisive dans le choix que fera le
juge, qui donnera son assentiment ou non à une proposition qui ne lui était pas apparue évidente au
départ. Toutefois, il faut avoir le sens de la mesure dans l’usage de l’argument d’émotion. Il ne doit pas
être développé trop longtemps et l’argumentation générale de l’avocat ne doit pas se réduire à l’énoncé
de tels arguments. A l’inverse, on conseille à l’avocat de ne pas trop vite interrompre l’énoncé d’un
argument d’émotion. C’est à lui de sentir qu’à partir du moment où il a porté l’émotion au plus haut
degré, tout l’effet qui en a été obtenu ne peut plus que s’affaiblir.
23 Les valeurs éthiques expriment une hiérarchie qu’elles tendent à faire respecter en cherchant à se transformer en normes (p.
65). Elles font le plus souvent références aux vertus décrites par les grands systèmes de morale, telles que fidélité, loyauté,
solidarité, honneur, justice, véracité, liberté, égalité, amour de la patrie ou de l’humanité, etc.
24 Elles échappent à toute interprétation éthique. Leur caractère esthétique, subjectif, empêche qu’on les impose à autrui.
25 Elles échappent au domaine de la norme pour entrer dans celui de la foi.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 33
La relation argumentative désigne le rapport formulé entre deux ou plusieurs concepts, ou données
empiriques, ou notions quelconques ou valeurs, ou normes. Une telle relation peut être de nature quasi-
logique, ou une relation d’identité, de contradiction ou d’incompatibilité, de transitivité ou d’inclusion.
2.1. Le Jugement.
Le jugement est une assertion argumentative. Il est le fait de relier les concepts les uns les autres.
Formellement, il est définit comme le fait de donner son approbation ou désapprobation à une vérité.
C’est l’acte par lequel j’affirme la convenance ou la disconvenance du prédicat au sujet ; ou encore
l’acte de l’intelligence qui compose ou divise en affirmant ou en niant. Il se compose d’un sujet, d’un
verbe (être) ou copule et d’un attribut ou d’un prédicat.
En matière judiciaire, le jugement est la décision rendue par un juge en même temps que son action de
juger. Il s’exprime dans une proposition, une assertion ou une énonciation.
Quelle est l’utilité de ces distinctions en matière judiciaire ? C’est surtout dans le contrôle qu’une
cour de cassation fait, par exemple, des motifs retenus par une cour d’appel dans sa décision. Ainsi, si
l’on considère un jugement selon sa modalité, on peut indiquer :
- Le motif dubitatif : celui dont la copule, i.e. le rapport entre les deux termes de l’assertion, ne
serait pas le verbe « être », mais plutôt le verbe « paraître », ou « sembler », ou encore « laisser
à penser ».
- Le motif hypothétique : quand la copule de l’assertion n’est pas catégorique, mais simplement
hypothétique. Il est révélé par l’emploi des formules « il est vraisemblable », « il existe une
possibilité », « il n’est pas exclu ».
En fait, la Cour de cassation, par exemple, ne tolère pas qu’une Cour d’appel motive ses décisions sur
des constatations imprécises ou incertaines.
cassation. Le principe est que « la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs » ; les
motifs contradictoires se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun d’eux ne pouvant être
retenu comme fondement de la décision.
e. Incompatibilité : Il s’agit d’une relation caractérisant deux assertions qui ne peuvent coexister
dans le même système, sans ipso facto se nier logiquement. On se trouve devant une
incompatibilité « quand une règle affirmée, une thèse soutenue, une attitude adoptée, entraînent,
sans qu’on le veuille, un conflit dans un cas donné, soit avec une thèse ou une règle affirmée
préalablement, soit avec une thèse généralement admise et à laquelle, comme tout membre du
groupe, on est censé adhérer »26. Toutefois, un argument d’incompatibilité peut être utilisé au
début d’un procès à l’appui d’une démarche en récusation ou d’un argument d’incompétence.
f. Argument de tiers exclu. En vertu de ce principe, de deux propositions contradictoires, dont
l’une est vraie et l’autre fausse, il ne peut y avoir de tierce solution.
A cet effet, il existe, pour Perelman, deux façons de structurer le réel : soit par liaison de succession,
soit par liaison de coexistence. Les liaisons de succession se basent sur la mise en relation de
phénomènes de même niveau. Par contre les liaisons de coexistence prennent appui sur des réalités de
niveau inégal, dont l’une est présentée comme l’expression et la manifestation de l’autre, tel le rapport
entre une personne et ses actions, ses jugements ou ses œuvres »28.
Argument tiré d’une liaison de succession. Il repose sur l’affirmation, généralement constatée, d’un lien
causal entre plusieurs phénomènes.
Prenons un exemple. « Il n’y a pas de fumée sans feu ». Cette affirmation repose sur la constatation
constante, et quasiment universelle, du lien causal entre le feu et la fumée.
Comme on peut le constater, l’analyse de ce type de liaison de succession, met en exergue la notion de
cause, essentielle en matière judiciaire en ce qu’elle permet ultérieurement de déterminer, par
application de la norme juridique, les diverses responsabilités engagées et les demandes qui pourraient
en découler. Rappelons qu’une cause est ce sui produit un certain effet. C’est aussi la somme complète
de toutes les conditions positives et négatives prises ensemble, la totalité des circonstances de toute
espèce, telle que, si elles se produisent, la conséquence suit invariablement.
On peut aussi constater des liaisons de succession entre un phénomène et ses conséquences. Tels les
arguments pragmatiques qui permettent d’apprécier un fait par ses conséquences. De ce cet argument
pragmatique, il est possible de rattacher l’argument de dépassement qui consiste à tirer comme
conséquence d’un fait la nécessité d’aller plus loin, de poursuivre l’œuvre commencée.
Argument tiré d’une liaison de coexistence. Les arguments empiriques peuvent aussi être fondés sur
l’existence d’un lien entre plusieurs réalités de nature différente, dont l’une est présentée comme
L’argument a personam est celui qui repose sur le lien habituellement constaté entre l’idée que l’on se
fait d’une personne, de son origine familiale, de son caractère, de sa formation, de sa morale
professionnelle et des actes qu’on lui attribue. Par contre, l’argument d’autorité établit une relation entre
la validité d’une thèse et la personnalité de son auteur, la réputation dont il est précédé, le prestige dont
il est entouré. La matière judiciaire fournit de nombreux exemples de ce recours à l’argument d’autorité,
tant les autorités auxquelles on peut faire appel sont nombreuses.
Le traité de l’argumentation de Perelman nous fournit une mine enrichissante de nombreux arguments
quasi-logiques, des arguments fondés sur la structure du réel et des arguments qui fondent cette structure.
Nous nous limitons à ce niveau en encourageant les étudiants à les approfondir. Nous abordons
maintenant le problème du réductionnisme et du bidimensionnalisme qui donne à la logique et à
l’argumentation juridique une orientation nouvelle.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 37
L’argumentation est régie par deux paramètres : l’orientation et la force. Un argument est orienté
vers une thèse ou contre elle. En outre, un argument est co-orienté ou anti-orienté par rapport à un autre.
La force d’un argument est le poids qu’on lui donne : le poids peut être plus fort ou plus faible. Il y a
donc quatre types d’arguments, introduits par quatre types de marqueurs de l’argumentation. Il est inutile
de préciser que cette quadripartition ne préjuge pas du caractère perméable ou non des quatre catégories.
Les marqueurs anti-orientés introduisent un argument opposé à la thèse ou à l’argument adjacent. Cet
argument est présenté soit comme plus fort, soit comme plus faible. Un argument opposé plus fort est
un obstacle insurmontable, alors qu’un argument opposé plus faible est un obstacle surmontable.
Prenons un exemple. Il y a deux manières d’introduire un obstacle : par sauf si et par même si.
L’obstacle est, dans les deux énoncés, la pluie. Ce qui les distingue est le poids accordé à l’intempérie
: le premier énoncé présente la pluie comme une circonstance annulant le rendez-vous, alors que le
second énoncé la présente comme une circonstance, certes défavorable, mais pas au point d’annuler le
rendez-vous.
Il est un point sur lequel il vaut mieux quelque peu insister : le caractère dialectique, interactif, des
marqueurs de l’argumentation. On peut se poser la question de l’effet produit sur l’énoncé par les
marqueurs. Sauf si introduit, on l’a vu, un argument, une objection rédhibitoire : une objection présentée
comme plus forte que ce qui précède, à savoir, la demande de rendez-vous. Or, en quoi cette demande
a-t-elle été affectée par la clause en sauf si ? Est-elle affaiblie, renforcée ou laissée en l’état ? Afin de
répondre à cette question, il suffit d’imaginer le dialogue où les différents arguments sont articulés par
des personnes différentes :
• Rendez-vous demain.
• Sauf s’il pleut.
La réponse suggère une objection qui, si elle s’avérait, annulerait la requête. Ce risque, s’il se réalise,
est donc plus fort et annulerait le cas échéant la requête. Autrement dit, la réponse en sauf si affaiblit la
demande de rendez-vous. On peut déduire que le marqueur argumentatif a un double effet argumentatif
: il donne un poids prépondérant à l’argument introduit d’une part, et d’autre part il affaiblit la demande
de rendez-vous. Qu’en est-il de même si ? Pour le savoir, lisons l’échange suivant :
• Rendez-vous demain.
• Même s’il pleut.
Cette fois, loin d’affaiblir la requête, l’argument opposé introduit par même si semble renforcer la thèse
: même si tu peux penser à des objections contre ma thèse, sache que ces objections ne font pas le poids,
qu’elles sont faibles et qu’elles ne mettent pas à mal ma requête.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 38
• Il dit non avec la tête mais il dit oui avec le cœur (Prévert)
• Tous les genres sont bons sauf le genre ennuyeux (Voltaire)
Les marqueurs co-orientés introduisent un argument dirigé vers la même conclusion. Comme dans le
cas des marqueurs anti-orientés, il existe des marqueurs co-orientés plus faibles et plus forts.
Les marqueurs co-orientés plus forts introduisent un argument plus fort. Notons qu’il s’agit d’un
argument qui est plus fort, c’est-à-dire situé plus loin du point de vue de l’échelle argumentative sur
laquelle apparaissent les arguments en question. Le caractère plus fort ou moins fort dépend de la
scalarité attribuée, notamment par le lexique, à ces arguments. Voire est le marqueur par excellence
introduisant un argument co-orienté plus fort. On dit d’ailleurs : généreux, voire prodigue ; courageux,
voire téméraire ; riche, voire richissime ; méchant, voire cruel.
• Il est responsable, voire coupable.
• Cette demande est infondée, voire irrecevable.
• Je serais prêt à t’aider durant trois heures, ou au moins durant deux heures.
• Tu devrais rester au lit quelques jours ; d’ailleurs c’est ce que le docteur a dit.
Dans ce dernier exemple, on peut relever le rôle que joue l’avis du docteur : uniquement secondaire et
subsidiaire. Tu devrais rester au lit, je peux te l’assurer, et au besoin, mon expertise pourrait être quelque
peu renforcée par celle du médecin.
Il est important de bien comprendre combien les marqueurs co-orientés plus forts sont utilisés d’une
manière inverse des marqueurs co-orientés plus faibles. Voici des énoncés où seuls changent la direction
vers laquelle on se déplace sur l’échelle argumentative :
• Il est responsable, voire coupable → Il est coupable, ou du moins responsable.
• Il est courageux, voire téméraire → Il est téméraire, en tout cas courageux.
• Il doit être très malade, voire mort → Il doit être mort, ou du moins très malade.
Afin de prendre toute la mesure de la constellation d’arguments regroupés sous le terme « argument
d’autorité », Oswald Ducrot a écrit un article où il explique que l’argument d’autorité est susceptible de
deux interprétations, que les philosophes des Lumières ont parfois, dans leur charge contre la pensée
scolastique, omis de distinguer.
L’argument d’autorité déraisonnable – du moins ressenti comme tel dans certains cas – appuie
entièrement sa thèse sur une autorité. Sans cette autorité, cette thèse « tomberait », serait fausse ; la
vérité ou la viabilité de la thèse est toute suspendue à l’autorité. Autrement dit, l’argument d’autorité
déraisonnable suppose une vision magique où la parole seule rendrait vrai un fait. S’il est possible de
créer par la parole des faits institutionnels (mariage, décision judiciaire), il est plus compliqué de créer
un objet empirique par le seul verbe. Ce pouvoir est d’habitude refusé aux simples mortels, du moins
depuis le fameux désenchantement du monde : depuis que la place du divin a été réduite, avec la
Modernité, la dimension magique du verbe créateur a également cédé le pas au rôle descriptif du
langage. Cette forme d’argument d’autorité est donc massivement condamnée. Toutefois, il est
intéressant de se demander qui, au juste, utilise ce genre d’argument. Il apparaît en effet qu’il s’agit
d’une reconstruction d’un type d’argument qui, précisément, n’est pas celui de la scolastique, laquelle
reconnaît l’existence de nombres d’arguments, et parmi ceux-ci, d’une multitude d’arguments
d’autorités : bibliques (souvent contradictoires), patristiques, philosophiques, étymologiques. Il s’en faut
de beaucoup que les scolastiques coïncident avec la caricature que le récit des Lumières en a fait.
L’argument d’autorité déraisonnable faisait entièrement dépendre la vérité d’une thèse, de l’autorité
invoquée. L’argument d’autorité raisonnable, quant à lui, présente l’autorité en question comme étayant,
renforçant la thèse. L’autorité n’est plus présentée ici comme l’unique raison d’accepter une thèse, mais
comme appui : l’argument d’autorité raisonnable est présenté comme raison à titre subsidiaire. Ces
arguments seront dès lors introduits par des marqueurs de l’argumentation co-orientés plus faibles,
comme du moins ou d’ailleurs.
Exemples :
• Il avait l’air un peu malade ; d’ailleurs, il a dit être grippé.
• La crise est à son apogée ; les chiffres ne disent d’ailleurs pas autre chose.
• Il prétend que le texte saint de sa religion est immuable ; en tout cas, il faut avouer que ce texte est
très ancien.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 41
Le procès de la scolastique est un douloureux plaidoyer contre une période – le Moyen Âge – contre
laquelle, en bloc, s’élèvent les Lumières, souhaitant privilégier l’observation des faits, au détriment des
autorités. Les Lumières ont-elles effectivement substitué l’observation aux autorités ? On peut en douter.
Quant à la date de naissance de la scolastique, elle pourrait être attribuée à de nombreux écrits. Optons
pour le Prologue qu’Abélard a rédigé pour préfacer le Sic et non, collection d’autorités reconnues et
contradictoires sur 158 questions de théologie29. Quel est le but d’Abélard, lorsqu’il met en évidence
d’une manière aussi flagrante que les autorités reconnues par l’Église s’opposent systématiquement ?
Est-ce afin de mettre à mal le prestige de l’Église ? Cela concorde avec les auteurs voyant dans Abélard
un chantre de la libre-pensée. Certes, on ne peut nier que cette mise au jour de tant de contradictions
manifestes bouscule le lecteur. Il reste que l’apport d’Abélard était sans doute non pas de nier la
cohérence du discours théologique, mais de fourbir les armes de la dialectique, afin d’arbitrer les débats
théologiques – le terme armes est à propos si on se souvient qu’Abélard dit avoir abandonné les armes
de la noblesse pour celles de la dialectique.
L’argument a pari présente un cas comme suffisamment similaire pour recevoir le traitement prévu par
la catégorie. Par exemple, s’il est interdit de diffuser une vidéo sans autorisation des auteurs, il est, a
pari – c’est-à-dire tout aussi – interdit de diffuser un dvd sans autorisation des auteurs. Le dvd est
comparable, mutatis mutandis, à la vidéo. Certes, le support n’est pas le même ; toutefois, ce point est
présenté comme mineur et non pertinent eu égard à la portée de la loi.
• Les enfants mâles ont le droit d’hériter ; on peut considérer qu’il en va de même des filles.
• Il est interdit de passer ce test avec un stylo : ni, dans ce cas, avec un bic ou un crayon.
L’argument a contrario introduit un cas d’espèce qui ne tombe pas sous une catégorie ou une
description.
• Cet ascenseur est interdit aux enfants de moins de 14 ans. A contrario, il est autorisé aux enfants de
16 ans.
Richard Tremblay insiste sur le fait que le raisonnement a contrario est suspect et conduit volontiers,
si l’on n’y prend garde, à des conclusions erronées, qui choquent l’entendement. D’après cet auteur, si
l’argument a contrario conduit à des conclusions souvent absurdes, c’est en vertu du positivisme et de
la doctrine du sens clair. Si le sens est clair et doit être considéré comme tel et si la loi ne précise pas
explicitement tous les cas d’espèces, on est en effet tenté de procéder a contrario.
Afin de bien saisir la nature de l’argument a contrario, il s’agira de ralentir le rythme et de porter nos
regards sur les différentes réalités que recouvre l’expression « argument a contrario ». Il existe deux
types d’a contrario, selon qu’il permet ou non une inférence. Un raisonnement est un argument a
contrario inférentiel dès lors qu’il permet de déduire une nouvelle information. Par exemple, si l’on dit
que les chiens sont interdits dans un ascenseur, on peut a contrario en déduire que les humains y sont
autorisés. Nous ignorions la loi quant à l’entrée des humains, mais puisque nous apprenons que les
chiens sont interdits, on en retire une nouvelle information : les humains sont autorisés. L’argument a
29Cette présentation ne se prononce pas sur la question de savoir si, historiquement, cet ouvrage a été connu, diffusé, au point
d’avoir influencé effectivement les auteurs scolastiques
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 42
contrario non-inférentiel, quant à lui, affirme certes que l’objet ne relève pas de la catégorie en question,
mais ne procède pas à la déduction d’une nouvelle information. Dans notre exemple, un raisonnement
a contrario non-inférentiel se limiterait à affirmer que la loi interdisant l’entrée des chiens ne se
prononce pas sur l’entrée des humains.
• Il faut être majeur pour voter, or tel n’est pas son cas : il ne peut donc voter.
• S’il était allé à l’hôtel, il n’aurait pas rencontré Mélusine.
• Je prendrais un thé s’ils avaient de la menthe fraîche, mais ils n’en ont pas.
• Bien sûr si l'on ne se fonde que sur ce qui saute aux yeux,
Le vent semble une brute raffolant de nuire à tout le monde
Mais une attention profonde prouve que c'est chez les fâcheux
Qu'il préfère choisir les victimes de ces petits jeux ! (Georges Brassens)
Manifestement, le raisonnement a contrario tant décrié par Tremblay est le raisonnement a contrario
inférentiel uniquement, et pour cause, puisqu’il semble pouvoir déduire un nombre indéfini
d’interdictions de tout ce qui n’est pas explicitement permis et un nombre indéfini d’autorisations de
tout ce qui n’est pas explicitement interdit. Le raisonnement a contrario non-inférentiel, plus prudent,
n’emporte pas les mêmes conséquences nuisibles.
4.2.3. A fortiori
L’argument a fortiori est le plus souvent présenté comme une analogie renforcée. Il s’agirait d’un
argument a pari, s’imposant avec plus de force. En effet le terme même a fortiori indique sa force plus
grande.
On le voit, l’argument a fortiori procède à une comparaison : entre soulever 50 et 30 kilos ; entre deux
températures ; entre le prix d’un vélo et d’une voiture ; entre la fatigue et la maladie, entre deux façons
de s’habiller, entre la tentative d’assassinat et l’assassinat. En ce sens, il est exact que l’argument a
fortiori est une forme de comparaison, d’argument par analogie, renforcé. Cependant, une telle
présentation – quoique plutôt intuitive – ne permet pas de prendre toute la mesure de la spécificité de
cet argument. En effet, alors que toute comparaison est essentiellement défaisable, l’argument a fortiori
se présente comme indéfaisable. La comparaison, l’analogie, soulignent toujours certains points, mais
non pas tous. Autrement dit, on peut toujours refuser une comparaison – quel que soit son but – en
attirant l’attention sur les différences, plutôt que sur les points communs. Une comparaison n’étant
jamais totale, on invoquera volontiers les points sur lesquels la comparaison ne tient pas. Le proverbe
comparaison n’est pas raison vise aussi à montrer les limites d’une analogie. Il sera expliqué plus bas
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 43
comment l’on peut, tant bien que mal, se prémunir contre ces objections portant sur les différences : par
exemple grâce à la clause de prudence mutatis mutandis.
L’argument a fortiori, quant à lui, tâche de ne pas laisser la porte ouverte à la réfutation. Alors que la
comparaison comporte toujours ouvertement une part d’arbitraire ou à tout le moins de choix,
l’argument a fortiori est présenté comme s’imposant à l’auditoire. Afin de saisir ce point, il nous faut
entrer dans la technique de cet argument.
L’argument a fortiori, si on prend la peine de l’expliciter, procède en trois étapes. Dans la première
étape, un consensus est atteint ou du moins est présenté comme atteint. Une seconde étape avance un
cas encore plus probant que le cas qui faisait consensus dans la première étape. La troisième étape invite
à adopter la même attitude envers le second cas qu’envers le premier, alors que l’on pourrait exiger
davantage. Toute la force de l’argument a fortiori provient du fait que l’on se présente comme
demandant moins que ce que l’on aurait légitimement pu exiger.
Tu peux soulever 50 kilos ; 30 kilos sont plus faciles à Tu peux soulever 30 kilos au
soulever que 50 kilos ; moins aussi facilement que 50
kilos
Je ne supporte pas la Moins 20°C, c’est plus froid Je supporte au moins aussi
température à 0°C ; que 0°C ; difficilement moins 20°C que
0°C.
Il n’a pas les moyens de Une voiture coûte plus cher Pour lui, acheter une voiture est
s’acheter un vélo ; qu’un vélo ; au moins aussi difficile
qu’acheter un vélo.
Il est trop fatigué pour sortir ; Il est plus difficile de sortir si Il est au moins aussi difficile de
l’on est fatigué et malade, que sortir s’il est fatigué et malade
seulement fatigué ; que seulement fatigué.
Il est interdit d’entrer dans Ne pas porter une chemise est Il est au moins aussi interdit
ce restaurant sans cravate ; encore moins formel que de ne d’entrer dans ce restaurant si
pas porter de cravate ; l’on ne porte pas même de
chemise.
Une tentative d’assassinat Un assassinat est un crime plus L’assassin doit recevoir une
étant punie par la loi ; grave qu’une tentative peine au moins aussi grande que
d’assassinat ; celui qui a seulement commis
une tentative d’assassinat.
On le voit, l’argument a fortiori comporte des comparaisons d’un type particulier : il ne s’agit pas
simplement de relever les points communs entre deux situations, mais de les opposer au niveau de leur
force, gravité, importance. Tout argument a fortiori présuppose en effet une échelle argumentative, le
long de laquelle sont placés les concepts comparés. Autrement dit, la comparaison est toujours, dans un
argument a fortiori, orientée : en faveur d’un des points comparés. Le cas le plus fort présuppose toujours
le cas le plus faible : la force de soulever 50 kilos présuppose la force de soulever 30 kilos ; la somme
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 44
pour acheter une voiture inclut, donc présuppose, la somme pour acheter un vélo ; le port de la cravate
présuppose celui de la chemise. Réduire l’argument a fortiori à un type de comparaison, fût-elle
renforcée, empêche de voir la particularité de l’argument a fortiori. Et ce, d’autant plus que la conclusion
n’est pas modifiée.
La conclusion d’un argument a fortiori n’est pas modifiée par rapport à la conclusion à laquelle
conduisait le premier cas qui faisait consensus. En effet, l’argument a fortiori se distingue entièrement
d’un argument de proportionnalité : non seulement il s’en distingue, mais cette distinction est inhérente
à tout argument a fortiori. En effet, tout argument de proportionnalité, qui exigerait une conclusion
proportionnelle redeviendrait à son tour défaisable. Ce principe, qui consiste à ne pas exiger plus dans
la conclusion que dans le premier cas est appelé dayo (« cela suffit ») dans la littérature talmudique. On
ne peut ainsi déduire une peine plus grande que l’acte interdit, sous le prétexte que, en l’occurrence, le
délit est plus méchant encore.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 45
Invoquer un précédent signifie se référer à une situation que l’on présente comme justifiant les situations
ultérieures qui lui seraient semblables. Une situation crée un précédent si elle donne lieu à une
justification de la reproduire. Ainsi, il peut être opportun ou non de permettre à une situation de se
reproduire indéfiniment.
L’argument du précédent insiste sur les conséquences possibles ou réelles d’une situation.
• Je ne vais pas partir dans ce pays, pour m’ennuyer une nouvelle fois.
• Tu ne peux pas arriver en retard, sinon les collègues pourraient en faire autant.
L’argument des conséquences est bien entendu lié à l’argument du précédent, lequel insiste toutefois
davantage sur la régularité des événements et sur le long terme. Un argument par les conséquences met
en lumière, non pas la qualité bonne ou mauvaise d’un projet, mais souligne le type de conséquences
qu’entraînerait sa réalisation.
L’argument par l’absurde n’est autre qu’un type d’argument par les conséquences.
Les conséquences qui sont tirées d’une thèse sont non pas physiques ou contingentes, mais purement
logiques. À vrai dire, l’argument par l’absurde est un argument d’un poids très grand, d’ailleurs tout à
fait reconnu par les mathématiques. Il consiste à déduire la fausseté d’une thèse, de la fausseté d’une
conséquence.
• S’il a plu, la route est mouillée ; or, la route n’est pas mouillée, donc il n’a pas plu.
L’argument par l’absurde est donc une application du principe d’inférence modus tollens.
La clause mutatis mutandis est énoncée lors de comparaisons soulignant la similitude entre deux choses.
Il s’agit donc de préciser que la comparaison porte sur un ou plusieurs points, mais non sur tous. Elle
anticipe donc les objections qui relèveraient des autres paramètres que ceux qui sont visés par la
comparaison. D’une manière générale, la clause mutatis mutandis est présumée. C’est donc une
précaution oratoire qui témoigne d’une grande prudence à l’égard des réserves qui pourraient être
émises, à tort ou à raison, à propos d’une identification ressentie comme hâtive ou maladroite.
La clause ceteris paribus ou toutes choses égales par ailleurs est sans doute utilisée le plus souvent dans
les disciplines recourant à la statistique. Cette fois, il n’est plus question d’une comparaison procédant
par identification, comme dans le cas de mutatis mutandis, mais d’une opposition, d’une différence.
Cette opposition porte sur un et un seul paramètre, puisqu’il n’est pas raisonnable de comparer en même
temps plusieurs paramètres. La clause toutes choses égales par ailleurs indique donc que la comparaison
ne sélectionne que le paramètre en question et neutralise, pour ainsi dire, les autres paramètres. Comme
dans le cas de mutatis mutandis, il s’agit d’une clause de prudence qui écarte à l’avance des objections
présentées du coup comme non pertinentes.
• Les enfants apprennent plus facilement les langues étrangères, ceteris paribus.
• Ceteris paribus, les ours sont plus lourds que les chiens.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 47
La présomption est un procédé central dans toute argumentation dans la mesure où il permet de gérer
l’incertitude et de prendre position face à une question. La présomption est une affirmation, d’origine
légale ou non, que le magistrat tient pour vraie jusqu’à preuve du contraire ou même dans certains
cas nonobstant la preuve du contraire. En outre, la présomption renverse la charge de la preuve et
dispense de preuve celui à qui elle profite.
Le réductionnisme topique – qui voit dans tout raisonnement une argumentation défaisable – ne conçoit
de présomption que défaisable. Il définit dès lors la présomption comme une affirmation, d’origine
légale ou non, que le magistrat tient pour vraie jusqu’à preuve du contraire. L’utilisation du marqueur
jusqu’à est symptomatique d’une philosophie n’envisageant que des objections rédhibitoires. Or le rôle
d’une théorie de l’argumentation est de rendre compte des différentes formes d’arguments. Il existe des
objections plus fortes, introduites par sauf ou jusqu’à et des objections moins fortes, introduites par
malgré ou nonobstant.
Il s’agit ici de porter un nouveau regard sur la notion de présomption telle qu’on l’utilise en droit30. On
vise, négativement, à critiquer le réductionnisme topique selon lequel tout argument est réfutable,
défaisable ; positivement, à démontrer que la présomption se comprend mieux grâce à une théorie
bidimensionnelle de l’argumentation prenant en compte, non pas un, mais deux types d’objections : plus
faible et plus forte.
L’approche privilégiée ici sera philosophique et linguistique, la présomption se trouvant au carrefour de
ces deux disciplines sœurs. Le domaine du droit recevra, comme il se doit, une attention particulière. Le
choix de ce sujet – la présomption et le droit – s’est imposé en vertu de l’intérêt qu’il suscite auprès du
théoricien du droit, et surtout au regard de ce qui a été dit et de ce qui reste à établir sur le concept de
présomption. Il va de soi que notre propos espère uniquement tracer les grandes lignes de ce procédé, et
nullement proposer au lecteur une enquête historique ou exhaustive.
Le domaine général où la présomption joue un rôle est la théorie de la justification, qui s’intègre à la
théorie de l’argumentation. Une théorie quelque peu générale de l’argumentation ne peut faire
l’économie d’un fait fondamental : on argumente quand cela est possible et nécessaire, c’est-à-dire dans
l’incertitude. La présomption représente ainsi l’un des différents procédés permettant de gérer cette
incertitude et, partant, de répondre au défi sceptique. Il ne s’agit pas tant, par l’argumentation en
général ou par la présomption en particulier, de lever entièrement l’incertitude, mais de prendre position
sur une question irrésolue, le cas échéant de poser un acte, afin de gérer d’une manière décente notre
rapport au monde. Quels sont en fait les critères définitoires d’une présomption ?
30Ce chapitre reprend un article à paraître sous le titre : Présomption et théorie bidimensionnelle de l’argumentation
31Outre ces paramètres, Delphine Costa analyse avec finesse le rôle de l’apparence dans la compréhension et le fonctionnement
des présomptions. Elle jette une nouvelle lumière sur les liens entre fiction et présomption (Costa 2009), recourant également
au dictionnaire de Lalande (1926), mais pour définir la fiction. Il sera question, infra, de la définition que Lalande donne de la
présomption.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 48
auteurs suivants, comme Nicholas Rescher, Godden et Walton et Wróblewski32. Cette idée que les
présomptions sont toujours défaisables peut se rattacher au réductionnisme topique, théorie d’après
laquelle les arguments, quels qu’ils soient, sont toujours défaisables : il n’existe pas, pour un
réductionniste topique, d’argument contraignant. Le présent article a pour but d’invalider le
réductionnisme topique. Contrairement à ce que prétend ce dernier, il existe – la pratique juridique en
témoigne – des présomptions irréfragables, que l’on ne peut donc pas renverser. Rappelons cette
discussion :
Vanwelkenhuyzen remarquait qu’il « n’existe pas de définition de la présomption dans un texte de droit
public » et que les juristes, « même publicistes sont fortement influencés par la définition du Code civil
» : « Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un
fait inconnu ». (Code civil art. 1349)
« Le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l’étendre au-delà
des limites dans lesquelles il a été contracté ». (Code civil belge art. 2015)
Cette opposition ponctuelle entre présumé et exprès nous indique que la présomption peut avoir partie
liée avec l’implicite : elle est l’une des manières de coder l’implicite, de lui donner une fonction visant
à éliminer l’incertitude.
Force est de constater que la définition du Code civil présente plusieurs imperfections : elle ne semble
ni entièrement claire, ni parfaitement viable du point de vue théorique.
En outre, elle ne mentionne pas le caractère renversable ou non du procédé. Enfin, elle présuppose
connues ou aisément compréhensibles des notions aussi floues que « fait connu » et « fait inconnu » :
s’agit-il de faits particuliers ou généraux ? De faits construits, sociaux ou « bruts » ? Ces faits sont-ils
connus ou inconnus du magistrat, du législateur, du justiciable, de l’expert, de l’homme raisonnable ?
Cette définition soulève manifestement plus de difficultés, qu’elle n’en résout.
32Kauffeld est plus prudent. Certes il ne s’occupe que des présomptions que l’on peut renverser, mais il reconnaît que les
présomptions ne sont pas nécessairement renversables. Il ajoute que ce trait pose des problèmes à la théorie de Whately
(Kauffeld 2003 : 134).
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 49
iuris Tatum (présomptions légales) est la présomption réfragable, c’est-à-dire qui admet la preuve du
contraire ; enfin, la praesumptiones iuris et de iure est la présomption irréfragable, qui n’admet pas la
preuve du contraire.
Cette tripartition semble déséquilibrée. En effet, alors que les présomptions légales sont subdivisées
entre réfragable et irréfragables, les présomptions de l’homme ne le sont pas. Tout se passe comme si
les présomptions que la loi prévoit étaient assorties de deux types de clauses (recevabilité ou
irrecevabilité de la preuve du contraire), alors que les présomptions abandonnées aux lumières et à la
prudence du magistrat rendraient toujours recevable la preuve du contraire. Un traitement plus équilibré
serait souhaitable, qui rende compte de la totalité des types de présomptions 33 . Tel est l’objet du
paragraphe suivant.
Toute présomption est défaisable ou indéfaisable34. Cette opposition repose sur l’idée qu’il existe deux
grands types d’arguments, selon que l’on puisse les renverser ou non.
Quelques remarques sont nécessaires sur le caractère relatif de l’indéfaisabilité.
Premièrement, il faut garder à l’esprit que nous parlons d’arguments et non pas de thèses. Il n’est pas
affirmé ici qu’il y a des thèses indéfaisables (ce qui mériterait justification), mais que les arguments qui
les soutiennent sont défaisables ou indéfaisables.
Deuxièmement, il va de soi que tout argument peut être renversé, si l’on y met le prix ; il s’agit d’une
idée régulatrice. En ce qui concerne les principes logiques, il est très coûteux de les mettre à mal. Ainsi
tout argument dit indéfaisable ne l’est que relativement.
Troisièmement, le caractère défaisable d’un argument est question de présentation. Les arguments ne
sont pas défaisables ou indéfaisables en soi, mais toujours présentés comme défaisables ou indéfaisables.
Ainsi, il n’est pas impossible de présenter comme indéfaisables des arguments auxquelles peu de
personnes seraient prêtes à souscrire par ailleurs. Inversement, il est loisible, quoique maladroit,
d’appuyer par une argumentation défaisable une thèse admise par tout le monde.
En conclusion, il n’existe non pas deux ou trois, mais quatre types de présomptions. Ces quatre
types de présomptions sont justiciables d’une définition unique, qui ne refoule pas illégitimement
certains types, sous le prétexte qu’il serait plus commode de procéder de la sorte. Certes, cette
quadripartition suppose que les présomptions non prévues par la loi sont également de deux sortes :
défaisable et indéfaisable. On imagine sans doute difficilement à quoi ressemblerait une présomption
humaine indéfaisable. Pourtant, la présomption de non ubiquité des individus est une présomption non
prévue par la loi et qui supporterait cependant difficilement la preuve du contraire. Ceci pose un
problème sérieux : le terme « présomption », en français comme en anglais, semble indiquer, de par sa
signification, que ce qui est présumé n’est pas certain et peut s’avérer faux, ce qui rend contradictoire
l’idée d’une présomption indéfaisable. À cette objection, on peut répondre qu’il ne s’agit pas ici
d’étudier la grammaire du verbe « présumer », mais d’élaborer une typologie des présomptions,
indépendamment de l’usage ordinaire. D’ailleurs, cette objection devrait également porter sur les
présomptions légales irréfragables, objection à laquelle il a été fait un sort supra.
33 Il va de soi que notre objectif n’est pas de réformer le droit positif, même si nous l’exploitons, mais d’éveiller l’attention du
lecteur sur l’opportunité d’une réflexion sur l’argumentation bidimensionnelle au sein de la théorie du droit et de la théorie de
l’argumentation.
34 Cette opposition ne préjuge pas du caractère continu ou non de la distinction entre présomptions défaisables et indéfaisables.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 50
Cet énoncé présente deux arguments opposés, anti-orientés : le côté agréable et le prix élevé. Un
argument (le côté agréable) est positif eu égard au choix de cet hôtel ; l’autre (le prix élevé) est négatif.
C’est ici que le second paramètre, la force des arguments, entre en ligne de compte. En effet, il est assez
aisé de saisir que notre énoncé se présente comme orienté négativement relativement à cet hôtel.
L’élément qui nous permet de l’affirmer n’est pas l’orientation, puisque des arguments opposés, pro et
contra, sont avancés, mais le poids donné à chaque argument. « Mais » introduit en effet un argument
plus fort, qui pèse davantage dans la balance, si l’on nous passe cette expression. Il est facile d’imaginer
un avis strictement inverse qui, lui, souscrirait au choix de cet hôtel :
Cette fois-ci, l’argument anti-orienté plus fort n’est plus le prix exorbitant, mais la qualité de l’hôtel.
Il ne faudrait pas en déduire trop vite que l’argument énoncé en dernier lieu est toujours plus fort. Ainsi,
il existe des marqueurs argumentatifs introduisant un argument anti-orienté plus faible, comme « même
si », « malgré », « nonobstant », « quoique », pour n’en citer que quelques-uns.
Ici encore, l’énoncé donne plus de poids au prix élevé, et ce, malgré le changement dans la place des
arguments. On le comprend, le marqueur argumentatif véhicule une orientation et une force irréductible
à la place de l’argument dans l’énoncé. On peut généraliser en disant que le marqueur « quoique »
introduit toujours un argument anti-orienté plus faible.
Après avoir passé en revue les deux types de marqueurs anti-orientés (plus fort et plus faible), il nous
reste à présenter brièvement les deux types de marqueurs co-orientés. « D’ailleurs » est un marqueur co-
orienté plus faible. Il introduit un argument co-orienté à l’argument précédent et le présente comme plus
faible. En d’autres termes, « d’ailleurs » permet d’introduire un argument à titre subsidiaire.
Par exemple :
Cet énoncé pourrait très bien être produit par quelqu’un ayant pour mission de choisir un hôtel sur des
bases objectives, chiffrables. Le fait qu’il émette son avis ne porte pas préjudice à son jugement, dans
la mesure où son avis personnel constitue uniquement un ajout à l’argument du prix. On devine, à lire
l’énoncé suivant, que son locuteur se soucie moins de paraître objectif :
Pour ce qui est des arguments co-orientés plus forts, enfin, le terme « voire » est un bon exemple. En
effet, « voire » intervient entre un premier argument et un nouvel argument de la même orientation et
plus fort. Par exemple :
Pour que l’énoncé soit considéré comme normal, il faut que « exorbitant » soit plus fort que « cher », ce
qui est le cas. On accepterait difficilement un énoncé où « cher » est présenté comme plus fort :
Les marqueurs de l’argumentation sont donc de quatre types. La présomption est surtout régie par des
marqueurs anti-orientés, tantôt plus forts, tantôt plus faibles :
• MARQUEURS ANTI-ORIENTÉS PLUS FORT : sauf, jusque, à moins que, sauf si, mais.
• MARQUEURS ANTI-ORIENTÉS PLUS FAIBLES : nonobstant, malgré, même si, quoique.
Voici donc un tableau qui récapitule les quatre types d’arguments. Dans chaque case, figure au moins
un marqueur argumentatif paradigmatique introduisant tel ou tel type d’argument.
Marqueurs argumentatifs
Cette théorie bidimensionnelle de l’argumentation nous permet de proposer un traitement plus complet
que par le passé des différents types de présomptions, sans exclure les présomptions irréfragables de la
catégorie de présomption authentique, comme l’ont fait beaucoup d’auteurs.
Jusqu’à présent, nul traitement cohérent des quatre types de présomptions n’a été proposé. Plusieurs
approches ont été avancées, qui individuellement sont partielles et qui, prises collectivement, recouvrent
virtuellement tous les types de présomptions.
La raison pour laquelle Rescher rejette la possibilité d’une présomption irréfragable ; celle qui n’est pas
susceptible d’être renversée par la preuve du contraire. En effet, la présomption est souvent définie
comme « Ce qui est supposé vrai jusqu'à preuve du contraire » (Littré). Or, il semble que le rejet de la
présomption irréfragable n’est pas nécessaire et qu’il est préférable de ne pas nier la pratique juridique
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 52
Dans la théorie bidimensionnelle de l’argumentation, il est question de quatre types d’arguments régis
par deux paramètres : l’orientation et la force. Quels sont les rapports entre une présomption en général
et la preuve du contraire ? Il apparaît très clairement que la preuve du contraire constitue un argument
anti-orienté. En effet, la preuve du contraire – quelle que soit sa force – est une tentative de défaire
une présomption, de la renverser. Rescher l’avait bien compris, puisqu’il concevait la définition de la
présomption comme un fait tenu pour vrai jusqu’à preuve du contraire. En revanche, nous nous séparons
de l’analyse de Rescher dès lors qu’entre en ligne de compte la force de l’argument opposé à la
présomption. La définition de Rescher comporte le marqueur sauf, qui, nous l’avons vu, introduit un
argument anti-orienté plus fort. Autrement dit, ce marqueur introduit une preuve qui renverse la
présomption. Or, il existe deux types de marqueurs anti-orientés, d’après la théorie bidimensionnelle de
l’argument : anti-orienté plus fort et anti-orienté plus faible35. Il suffit donc, pour expliquer les différents
types de présomptions (défaisables ou indéfaisables), de garder à l’esprit les deux manières de gérer
l’objection : en la qualifiant de recevable ou d’irrecevable.
Il nous revient, après avoir détecté les imperfections des définitions précédentes, de reposer la question
de l’homogénéité de tous les types de présomption, auquel cas une définition globale et précise est
envisageable. La plupart des auteurs, nous l’avons vu, rejettent la présomption irréfragable hors du
champ de la présomption. Dans le but de promouvoir une théorie du droit qui soit audible des juristes et
des non juristes, il vaut mieux ne pas rejeter l’hypothèse d’une multiplicité de présomptions toutes
dignes de ce terme. La solution de facilité, qui consisterait à trancher le nœud gordien en ne gardant que
les présomptions défaisables, conduit à approfondir l’incompréhension des juristes et des non juristes
sur cette question. Il nous apparaît dès lors justifié de tenter une définition homogène de tous les types
connus de présomptions.
Une définition en bonne et due forme comporte, d’après le modèle aristotélicien, le genre prochain et la
différence spécifique, autrement dit la catégorie directement supérieure et la caractéristique essentielle
qui distingue l’espèce des autres espèces du même genre.
Le fait que la présomption puisse être renversée n’est, nous l’avons vu, nullement vrai de toutes les
présomptions. En revanche, on pourrait être tenté d’apporter la preuve du contraire. Ainsi, même dans
le cadre d’une présomption irréfragable, on peut imaginer une preuve du contraire. Par exemple, à la
présomption irréfragable que les pigeons sont considérés comme des biens immeubles, on souhaiterait
résister, en invoquant notre connaissance intuitive des pigeons ou encore celle, spécialisée, d’un expert
en ornithologie. Cela est possible. Le problème n’est pas que l’on ne peut pas imaginer la preuve du
contraire, ni que cette preuve n’existerait pas, mais que le caractère irréfragable de la présomption rend
irrecevable la preuve du contraire. Ce qui distingue dès lors la présomption réfragable et la présomption
irréfragable, c’est donc le traitement qui est réservé à la preuve du contraire. Ces deux types de
présomptions sont assorties d’instructions différentes. Le juge est visé par l’instruction de ne pas
admettre la preuve du contraire des présomptions irréfragables, alors qu’une instruction inverse
concerne la présomption réfragable. Ainsi, une définition de la présomption pourrait être celle d’André
Lalande (1926), qui définit la présomption dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie
de la manière suivante :
Action de tenir une affirmation pour vraie jusqu’à preuve du contraire ou même dans certains
cas nonobstant la preuve du contraire […].
35Il n’est pas tenu compte ici des distinctions grammaticales : certains marqueurs introduisent un groupe nominale (sauf,
jusque, nonobstant, malgré), alors que d’autres introduisent une proposition (à moins que, sauf si, même si, bien que).
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 53
Cette définition rend compte des présomptions défaisables et des présomptions indéfaisables. Comment
s’y prend-elle ? elle utilise deux marqueurs jusqu’à et nonobstant. Or, la théorie bidimensionnelle de
l’argumentation prévoit que les objections sont de deux types : plus fortes ou plus faibles. Les objections
plus fortes sont introduites par un marqueur du type jusqu’à et les objections plus faibles le sont par un
marqueur du type nonobstant. Autrement dit, Lalande, en 1926, n’est pas dupe de la vue de l’esprit
d’après laquelle toute objection est en soi rédhibitoire. Il sollicite non pas uniquement jusqu’à, mais
également nonobstant, lequel introduit un argument anti-orienté plus faible. Il permet ainsi au juriste de
voir son usage du terme présomption non démenti, mais au contraire éclairé et justifié par la théorie de
l’argumentation. Lalande, ce faisant, prend le contre-pied du Code civil : alors que celui-ci mentionnait
l’opposition entre l’origine légale ou humaine de la présomption sans se prononcer sur le caractère
défaisable ou indéfaisable, Lalande ne dit mot de la source de la présomption, mais précise que le
renversement est tantôt possible (jusqu’à preuve du contraire), tantôt impossible (nonobstant preuve du
contraire). Qu’il nous soit autorisé de modifier légèrement la définition de Lalande, afin d’y introduire
l’opposition entre présomption légale et présomption humaine :
Affirmation, d’origine légale ou non, que le magistrat tient pour vraie jusqu’à preuve du contraire
ou même dans certains cas nonobstant la preuve du contraire.
L’accent a été mis dans ces pages sur l’opportunité de proposer au lecteur une position qui soit à la fois
critique et discriminante au sein de la notion de présomption, et à la fois englobante, de manière à rendre
compte de tous les types de présomptions et à expliquer un fait relativement peu étudié, celui de
l’apparente hétérogénéité des présomptions. Notre but aura été d’insister sur le caractère apparent de
cette hétérogénéité et, positivement, de suggérer, pour la présomption, une définition claire et
opératoire, qui permettent au juriste d’y reconnaître ses petits.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 54
Raisonner dans la sphère du doit, c’est apprendre à agencer ses idées. Cela commence par le fait que
l’on s’habitue à aborder tout sujet selon les étapes suivantes :
1- Cerner le sujet
Il s’agit :
* de définir le sujet ou le mot-clé du sujet,
* de se demander la ou les question(s) qu’il suscite en nous,
* de rechercher des éléments de réponse.
3- Donner la réponse
La réponse à donner commence par une présomption de la définition (comment nous comprenons le
sujet) du sujet ou de son ou ses mots-clés ;
Ensuite, on s’interroge relativement au sujet : ces questions permettront de regrouper par affinité les
éléments de réponse pour être plus cohérent dans nos propos ;
Enfin, la réponse est argumentée en fonction des questions que le juriste s’est posé après la définition
et peut, éventuellement, se terminer par l’avis de celui-ci.
Il faut préciser aussi qu’à un moment donné, le raisonnement peut commencer par une ou plusieurs
questions. Et ensuite, au lieu de répondre directement aux questions, on procède à la définition du sujet
et enfin, on revient sur nos pas pour répondre aux questions préalablement posées.
En somme, le préalable du raisonnement juridique est la démarche utilisée pour s’exprimer sur une
question de droit posée. Cependant, lorsqu’il s’agit de participer à un débat contradictoire, on a, en plus
de ce préalable, recours à des techniques de discussions.
Le raisonnement confronte une situation de faits et des règles de droit en vue de dégager une solution
juridique adéquate. Pour y parvenir, le juriste doit rechercher comment passer d’une situation de
faits déterminés ' la règle de droit’ à des situations de faits qui lui sont soumises. Ce qui implique un
va et viens continuel entre le droit et les faits.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 55
Le raisonnement juridique est un raisonnement qui utilise des définitions, des concepts, des catégories
juridiques. C’est à ces éléments que le juge va appliquer des moyens rationnels : la déduction /
l'induction pour confronter les faits à la règle de droit. Classiquement, le raisonnement juridique est
présenté comme la mise en œuvre d'un syllogisme judiciaire : le majeur est représenté par la règle de
droit. La mineure est représentée par les faits qui seront exprimés juridiquement. La conclusion traduit
l'application de la majeure et de la mineure. En d’autres termes, Le “syllogisme judiciaire” est
l’opération intellectuelle qui permet d’appliquer la solution générale prévue par une règle de droit à une
situation de fait qui en remplit les conditions.
Exemple :
MAJEURE : Monsieur x a blessé madame y : C’est l’énoncé de la règle de droit
MINEURE : blessure dans le code... : C’est l’application de la règle de droit au fait, subsomption
CONCLUSION : Il doit réparer à madame y : C’est le dispositif du jugement.
Le syllogisme judiciaire est toujours de type conditionnel, logique déductive. Il peut arriver parfois
qu’un seul syllogisme ne puisse pas suffire pour résoudre un problème juridique (cas complexe). On
parle alors des syllogismes successifs (plusieurs questions juridiques). Car, en logique pure, le
syllogisme est logiquement contraignant, car il n’est pas contestable.
Le syllogisme juridique est ainsi est un procédé qui cherche à répondre à la question « qui veut quoi, de
qui, sur quelle base ? »
A y voir de plus près, on a l’impression que cette démarche syllogistique est trop simple. Et pourtant la
qualification des faits est une entreprise ardue qui exige du juge la mise en œuvre des techniques
d’interprétation.
Méthode Sociologique : C’est une méthode de la libre recherche scientifique; elle préconise la libre
recherche de l’interprète, lequel peut aller au-delà des textes, étant donné que la loi ne prévoit pas tout.
En effet, si la loi est insuffisante le juriste doit rechercher la solution la plus appropriée. Dans l’usage
des techniques d’interprétation, le juge, en allant parfois au-delà du texte, peut faire appel à l’histoire,
prendre en considération l’état des mœurs, etc.
Toutefois, actuellement, la méthode conseillée est la conciliation les deux. Car, l’interprète doit trouver
une solution qui réponde aux besoins sociaux, aux idées de son temps. Le juge ne pouvant se substituer
au législateur doit par contre s’appuyer sur la loi ; toute décision doit être motivée en droit c’est-à-dire
invoquer des textes ou des principes issus des textes.
D’où l’expression : « Au-delà du code mais par le code »
Dans cette entreprise, les interprètes utilisent des arguments ou raisonnements. Ce sont des techniques
de discussion. Ces techniques sont des tournures utilisées pour mieux se faire comprendre et aussi pour
se rendre plus convaincant. Ces techniques ou arguments sont :
L’Argument par analogie, l’argument à pari : Cet argument consiste à appliquer à une situation non
régit par un texte les dispositions étiqueté à une situation analogue.
En d’autres termes, l’argument par analogie ou argument a simili consiste à appliquer la conséquence
de la règle en cas de réalisation d’une autre condition similaire à celle énoncée par la règle. C’est dire
que, quand le législateur n’a pas prévu de règle, de norme, pour un cas précis, on recherche la règle
existant pour un cas semblable, analogue.
« Si B, alors A/ Or C est similaire à B/ Donc C entraîne A »
N.B : Cet argument n’est pas conseillé en droit pénal, car il y a un principe d’interprétation strict des
textes.
L’Argument « a contrario », mène à considérer que lorsque le législateur étiquetait une règle
particulière à un cas déterminé, cette règle ne s’appliquerait pas au cas non prévus ; car, « On ne peut
déroger par convention, par exemple, particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonne
mœurs ». Autrement dit, un argument a contrario consiste à tirer de la non-réalisation de la condition, la
conclusion que la conséquence ne se réalise pas non plus. Logiquement contraignant (logique
déductive) : Pour arriver à la conséquence juridique contraire de la règle examinée, il faut nier une
condition nécessaire à la réalisation de cette conséquence juridique.
« Si B, alors A/ Or C n’est pas B/ Donc C n’entraîne pas A »
Cela signifie que si une règle est subordonnée à une condition, l’absence de cette condition fait qu’elle
ne s’applique pas. On recherche, en fait, la solution contraire pour les cas non visé par un texte
Par exemple, si une personne a plus de 20 ans elle est majeure. Blaise n’a pas plus de 20 ans, Donc
Blaise n’est pas majeur!
N.B. : Le raisonnement a contrario peut induire en erreur s’il y a d’autres règles de droit qui prévoient
la même conséquence juridique (d’autres solutions). C’est pourquoi, cet argument a contrario doit être
manié avec prudence car la logique juridique n’est pas la logique formelle.
Par exemple : l’enfant simplement conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.
Cette règle s’applique à une femme en état de grossesse. L’argument de contradiction consiste à
appliquer cette règle à deux femmes dont l’une est enceinte et l’autre ne l’est pas ou ne les plus.
b. Adage d’interprétation
Les auteurs depuis l’ancien droit ont pris l’habitude d’exprimer certaines règles d’interprétations en
forme de maximes. Ces maximes permettent de choisir entre plusieurs interprétations possibles d’une
même règle. Ainsi :
* Les exceptions doivent être interprétées restrictivement
* Les lois générales ne dérogent pas aux lois spéciales
* Les dispositions spéciales dérogent aux lois générales
* Il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas
L’interprète peut utiliser d’autres éléments de technique juridique, comme la fiction qui consiste à
supposer un fait ou une situation différente pour en déduire des conséquences juridiques : "Nul n'est
censé ignorer la loi".
Nous comprenons que la qualification d’un fait est un enjeu central dans l’application du syllogisme
judiciaire.
Chaque événement de la vie sociale a vocation à être saisi par le droit. L’exercice de qualification
juridique consiste à découvrir la règle générale qui s’applique au cas particulier pour lequel on cherche
une solution juridique. Qualifier, c’est traduire en termes juridiques une situation sociale régie par le
droit, afin de déterminer la règle applicable et d’en tirer les conséquences
.
La qualification juridique s’applique ainsi à la résolution d’un cas pratique ou à l’analyse d’une décision
de justice. Mais comment y procède-t-on ?
La démarche de la qualification juridique est celle du syllogisme, c’est –à-dire un raisonnement par
lequel deux propositions sont mises en rapport pour déduire une conclusion. Le syllogisme en droit ou
syllogisme judiciaire se décompose de la manière suivante : la majeure est une règle juridique; la
mineure est la constatation des faits et leur qualification ; c’est dire que les faits entrent dans une
catégorie juridique en constituant un cas particulier; enfin, la conclusion (la décision) est l’application
du régime juridique (la règle de droit) au cas particulier en la déduisant logiquement des deux
propositions précédentes
.
Il est donc question de rapprocher des faits juridiquement qualifiés des règles de droit applicables par
un jeu de logique. Ce raisonnement apparaît nettement dans la rédaction des arrêts de la Cour de
cassation, sous la forme suivante : visa ou règle de droit, faits juridiquement qualifiés, régime juridique.
Pour bien se préparer à cet exercice, il faut, lors de l’apprentissage d’une règle de droit, s’entraîner à
délimiter les cas d’application de cette règle et à éliminer les situations dans lesquelles la règle ne
s’applique pas ; apprendre à transformer des situations du langage courant en langage juridique ; dans
un arrêt, s’entraîner à analyser les arguments des parties : ce que revendiquent les parties pour que la
règle de droit leur soit appliquée.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 58
Il existe deux types de cas pratiques : celui dans lequel est posée une série de questions, et celui qui se
termine par une formule du type « Qu’en pensez-vous ? ». Dans ce dernier cas, la méthodologie à
appliquer est la suivante :
1. lire l’énoncé ;
2. exposer les faits ;
3. identifier le problème à analyser ;
4. qualifier juridiquement le problème ;
5. présenter les règles de droit permettant d’apporter une réponse au problème posé ;
6. appliquer ces règles aux faits de l’espèce ;
7. exprimer la prise de position finale.
Exemple 1
Une célèbre actrice passe ses vacances sur un yacht privé. Depuis un hélicoptère, des photographes
prennent des photos de la star dénudée bronzant sur le yacht. Ces clichés sont publiés dans la presse à
scandale. L’actrice vous demande conseil. Elle estime avoir subi un préjudice.
Ainsi, le point de départ de l’argumentation sera, pour l’avocat, de déterminer, avec son client, le ou les
objectifs que ce dernier peut exprimer. Ce qui implique, pour l’avocat, un travail de vérification, tant de
la recevabilité de l’objectif, que de l’opportunité de sa mise en œuvre judiciaire. Si rien ne s’oppose à
priori à la saisine des tribunaux, l’avocat procédera à l’analyse du dossier qui lui est remis. C’est alors
qu’il procédera enfin à la construction, à partir de l’analyse minutieuse des pièces du dossier, de son
argumentation judiciaire. Cette phase comprend deux temps :
Vérification des faits qui lui sont soumis dans le dossier, en sélectionnant une norme juridique
adéquate susceptible de rendre compte de ou des objectifs du client.
Prendre en considération son auditoire, sa nature, ses caractéristiques, les valeurs qui sont les
siennes. Ce qui permettre d’ajouter à l’énoncé de son argumentation juridique des arguments de
contexte, de valeur, d’émotion ou de comportement capables d’accompagner ou de favoriser la
prise en compte de son argumentation juridique.
De ce qui précède, nous pouvons résumer les phases de l’argumentation judiciaire en trois points :
- Définition de l’objectif
- Analyse de tous les éléments du dossier
- Synthèse argumentative qui implique qualification, interprétation et prise en compte de
l’auditoire.
L’objectif est ici compris comme l’expression concrète d’un résultat à obtenir par l’avocat contre la
partie avec laquelle son client est en litige. La détermination de cet objectif36 conditionne la construction
de l’argumentation judiciaire.
A cet effet, il convient de distinguer l’objectif et la motivation qui poussent la partie à agir. La motivation
qui est le soubassement psychologique déterminant les ressources intimes de la partie, se situe en amant
de l’objectif. Elle se confond le plus souvent avec l’intérêt de remplir l’objectif37. Il faut donc réfléchir
sur les motivations profondes d’une partie, de se pénétrer du contexte psychologique, voire
psychanalytique d’un litige.
Comme on peut le constater, la détermination de l’objectif est importante. Une partie peut avoir un ou
plusieurs objectifs. Dans le cas d’une pluralité d’objectifs, il faudra voir s’ils sont équivalents ou on peut
les hiérarchiser. Il s’agit, en fait, de définir l’objectif principal et les objectifs secondaires ou
subsidiaires.
Cerner l’objectif principal : Il s’agit de l’objectif dont la réalisation prive les autres.
36A côté de ou des objectifs principaux, on peut avoir des objectifs secondaires ou subsidiaires.
37Il convient de relever que la motivation de la partie peut être complexe. Ainsi, le souci de s’enrichir ou de ne pas s’appauvrir,
de faire respecter tel ou tel de ses droits, peut en cacher d’autres : la haine de son adversaire, le souci de lui nuire, de se venger
d’une injure passée, etc.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 60
Déterminer les objectifs secondaires : Il existe des situations où la partie, indépendamment de son
objectif principal, peut avoir d’autres buts à atteindre, objectifs dont la réalisation, bien que tout aussi
nécessaire, est cependant moins prioritaire que l’objectif principal. Ce sont des objectifs secondaires,
supplémentaires ou subsidiaires38 (ou objectif de repli).
Ainsi, par exemple, si propriétaire d’un appartement est confronté à la carence de paiement des loyers
par son locataire, l’objectif principal peut être d’obtenir le départ de celui-ci, tandis que l’objectif
supplémentaire pourra être d’obtenir, en outre, le paiement, par ce locataire, des loyers non versés.
La partie doit donc fixer la hiérarchie existant entre l’objectif principal et les objectifs secondaires ou
supplémentaires.
Analyse des prétentions du client : Cette analyse consiste à faire en sorte que la partie formule,
distinctement, et en des termes qui ne sont pas nécessairement juridique, le ou les objectifs qu’il assigne
à la procédure judiciaire. L’avocat procédera alors à un examen rapide de la recevabilité des objectifs,
ainsi qu’à l’opportunité de leur mise en œuvre judiciaire. En outre, cette phase débouchera sur le
repérage des obstacles évidents qui condamneraient a priori toute demande judiciaire du client. En
d’autres termes, l’avocat devra se demander s’il existe une cause manifeste d’irrecevabilité.
Intérêt à agir : Comme on le dit, l’intérêt est la mesure de l’action. C’est dire que la saisine de la justice
ne peut être envisagée par une partie que si celle-ci prouve l’intérêt qu’elle a à agir. En ce sens, l’objectif
énoncé par la partie doit correspondre aux critères jurisprudentiels qui définissent la notion d’intérêt.
Pour ce faire, l’avocat doit vérifier que l’objectif à mettre en œuvre correspond à un intérêt positif et
concret pour son client ; et cet intérêt doit être juridique et légitime39.
Qualité à agir : A ce niveau, l’avocat vérifiera la qualité à agir de son client. Car, pour qu’une action
soit recevable, il faut que la partie qui allègue ait la qualité pour agir, c’est-à-dire qu’elle puisse justifier
d’un intérêt personnel et direct.
Envisager la prescription de l’action : L’avocat doit être à mesure d’indiquer à son client que l’action
envisageable pour mettre en œuvre judiciairement sont objectif se heurterait à une prescription prévue
le Code. A cet effet, tout avocat sérieux ne peut faire l’économie d’une connaissance parfaite des règles
de prescription, et surtout des prescriptions spécifiques prévues par les textes, ainsi que des causes qui
en interrompent le cours.
38 Les objectifs subsidiaires sont ceux dont la réalisation doit être poursuivie lorsque se manifesterait clairement, au cours du
procès, l’impossibilité d’atteindre l’objectif principal, ou les objectifs supplémentaires.
39 Juridique dans la mesure où il doit recouvrir un rapport de droit existant entre les parties en litiges ; légitime, en ce sens que
l’action envisagée par la partie ne doit pas trouver son fondement dans une situation illicite ou immorale.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 61
de son client. Pour obtenir gain de cause, c’est-à-dire pour satisfaire le but qu’il s’est fixé, le client
dispose parfois de plusieurs modes d’action40.
A propos de cette opportunité de l’action, il est aussi question d’examiner, d’évaluer au préalable son
coût et ses conséquences financières ; mais aussi la capacité de rétorsion de la partie adverse.
Confirmation écrite de l’objectif retenu : Malgré le rapport de confiance qui doit exister entre l’avocat
et son client, le premier sera bien avisé de se faire confirmer par le deuxième l’objectif finalement retenu,
et son contexte. Cette confirmation dont trace écrite restera dans le dossier de l’avocat, permet à ce
dernier d’inscrire son travail d’argumentation dans le temps et en toute sérénité.
L’analyse du dossier consiste, in stricto sensu, à délier, à séparer, à mettre en lumière les différents
éléments de faits qui s’enchevêtrent dans la réalité hétérogène d’une situation litigieuse. Cette analyse
est à la fois mise en ordre et compréhension des pièces du dossier. Elle débouche, au regard de l’objectif
fixé à l’avocat, sur la formulation de l’état de la question et du ou des points à faire juger par le tribunal.
A cet effet, l’avocat va se faire remettre par son client l’ensemble des pièces constituant ce qu’il convient
d’appeler le dossier de la situation litigieuse. Ce dossier comprend : lettres échangées, avant-contrats,
contrats, témoignages, constatations ou expertises, photos, notices techniques, documentations, etc.
C’est alors que commence, pour l’avocat, le vrai travail d’analyse du cas qui lui est soumis, une analyse
méticuleuse de toutes ces pièces, sur base de laquelle il devra formuler et fonder son argumentation.
La négligence de cette phase préparatoire, due parfois à la rapidité dans le traitement du dossier, est
souvent cause de l’échec de la procédure. Pour ne pas tomber dans ces travers, l’avocat doit manifester
certaines qualités intellectuelles telles que le doute systématique, l’humilité intellectuelle et l’esprit de
méthode. Voyons cela de près.
40Un mode d’action se définit comme une séquence d’actes de toute nature, combinant attitudes et moyens employés dans le
temps et dans l’espace, et qui concourent tous à la réalisation de l’objectif. On a, par exemple, de mode d’action financier,
mode d’action médiatique, mise en œuvre d’appuis et de relations (pour modifier éventuellement le rapport de force), (p. 141).
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 62
Par conséquent, un bon avocat doit savoir qu’au début de l’analyse de son dossier, il y aura donc lieu
d’appliquer à la totalité des éléments qui le composent, une sorte de doute méthodique. Il s’agit de
questionner tous les éléments du dossier pour ne pas prendre pour vrai ce qui est faux. Les preuves
doivent être solides et difficilement attaquables.
L’avocat doit donc se livrer à une lecture impartiale des pièces du dossier ; c’est-à-dire faire un effort
de compréhension des thèses ou des documents divers, en leur apportant, autant que faire se peut, le
même crédit. Il doit ainsi tenir à la neutralité, et éviter de faire entrer dans l’inventaire intellectuel à
venir des pièces du dossier un quelconque présupposé interprétatif.
L’esprit de méthode qui résulte de l’analyse même, entendue comme opération intellectuelle qui
décompose un tout en ses éléments. Il permettra de ne rien oublier de ce qui compose les éléments
constitutifs d’un litige. Il faut savoir décomposer la réalité d’un litige en chacun de ses éléments, en
essayant de déceler les rapports de chacun des éléments entre eux.
On comprend ainsi que l’analyse est un moment important, essentiel de la prise de possession véritable
du dossier par l’avocat. Cette prise de possession est double :
L’avocat doit, en premier lieu, faire l’inventaire matériel des pièces du dossier ; vérifier si les pièces
remises par le client correspondent bien à l’énumération qui avait été faite, soit dans un bordereau de
transmission, soit dans une lettre d’envoi. S’il manque, par exemple, une pièce alors qu’elle a été
annoncée comme transmise, une réaction immédiate de l’avocat permettra de corriger les effets de ce
qui peut être, chez le client, ou sa secrétaire, une erreur d’inattention ou de classement involontaire.
Savoir séparer les pièces originales des documents photocopies. Cela permettre de constater qu’elles ne
sont pas affectées d’un quelconque manque : signature illisible, en-tête coupé, la date d’envoi, etc.
En deuxième lieu, vient la mise en ordre chronologique des pièces du dossier. A ce niveau, l’avocat doit
se faire l’historien du litige qui lui est soumis et son premier regard sera chronologique. Car, tout
contentieux s’inscrit dans la durée ; il a ses causes, ses manifestations et ses effets. C’est pourquoi
l’avocat doit reclasser l’ensemble des pièces en fonction de leurs dates, de manière à faciliter la
compréhension. Cela permet de vérifier si le dossier est complet.
- De quoi s’agit-il ?
- De qui parle-t-on ?
- Comment se sont passées les choses ?
- Pourquoi ?
- Quelles en sont les conséquences ?
- Comment les parties formulent-elles leur différend ?
Après cet examen, l’avocat procédera au repérage du champ juridique du litige, c’est-à-dire la matière
du droit qui le sous-tend ; est-on dans une affaire civile, pénale, commerciale, etc. La détermination de
ce champ juridique renvoie aux concepts qui s’y rattachent et qui serviront à l’avocat dans son analyse
factuelle des pièces qu’il a à étudier. En plus, le champ juridique déterminera le système de preuve qui
s’appliquera au litige et que l’avocat aura ultérieurement à mettre en œuvre : nature des preuves à
fournir, conditions d’admissibilité dans le débat judiciaire. Bref, il s’agit, à ce niveau, de délimiter le
cadre juridique général dans lequel se situe, à première vue, le contentieux dont le client entend saisir
l’avocat.
Enfin, interviendra l’étude des éléments dits de pré-contentieux et par lesquels se manifestent les
désaccords des parties en cause41. L’analyse de ces documents permettra de déterminer, non seulement
le ou les points de désaccords entre les parties, mais aussi de mettre en lumière la formulation de ce
désaccord par les parties elles-mêmes et de repérer les arguments qui viennent au soutien des différentes
thèses exposées.
41Il s’agit de l’analyse des éléments tels que lettres de réserves, lettres de mise en cause ou de mise en demeure, par lesquelles
un cocontractant reproche à l’autre d’avoir méconnu ses obligations ; lettres d’avertissement ou lettres de licenciement en
matière prud’homale, etc.
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 64
L’effort de repérage et de compréhension amènera l’avocat à se livrer à une analyse plus poussée des
documents et des pièces qui lui sont soumis. C’est en fait une analyse qu’on peut qualifier de lexicale et
de logique.
La structure logique
Les modalités42
Leur éventuelle validité
Pour cela, il faudra déterminer les pièces qui sont pertinentes, plus importantes, celles qui viennent en
soutien d’une qualification juridique. La détermination des sens des mots permettra ou servira à la
qualification juridique des faits. A quels résultats aboutit ce travail d’analyse ?
de rendre compte de la totalité des éléments du litige qui lui est soumis43 ;
de connaître l’état de la question. L’usage de la rhétorique est primordial pour résorber la
contestation. Trois questions à se poser : question conjecturale44, question légale et question
judiciaire.
de déterminer des points à faire juger par le tribunal. Les points à juger étant par définition, les
points de contestation, c’est-à-dire les points sur lesquels les allégations des parties sont
strictement en contradiction.
C’est vers ces points à juger qu’il convient à l’avocat de diriger l’ensemble de l’argumentation à bâtir.
La synthèse argumentative consiste à reformuler, à partir des éléments de toute nature distingués dans
l’analyse, une argumentation qui soit en mesure s’assurer la persuasion de l’auditoire du bien-fondé de
la thèse à défendre. Cette synthèse comporte deux phases :
42 L’assertion peut s’énoncer sous le mode, par exemple, de probabilité (ex. il est possible que..), de nécessité ( ex. il est
nécessaire que … ; il est obligatoire que…) , etc.
43 Il sera difficile pour l’avocat de convaincre un magistrat du bien-fondé d’une position technique s’il ne sait pas s’exprimer
En cherchant à appliquer aux données factuelles d’un litige une norme juridique, cela en fonction de
l’objectif qui lui a été désigné par son client, l’avocat procédera nécessairement à la qualification.
Moment important. Mais lorsque l’avocat éclaire une norme juridique soit par une autre norme juridique,
soit par la référence à une valeur, à des considérations sociologiques ou historiques, il se livre à
l’interprétation.
Ces deux opérations se font dans le cadre d’un régime juridique particulier. Seulement, il faut retenir
que la qualification est en quelque sorte une espèce particulière d’interprétation, et que le juge est libre
d’interpréter la qualification qui lui est soumise et de se dégager de l’interprétation apparemment
contraignante que font les parties d’une disposition contractuelle.
Toutefois, la construction de cette argumentation juridique ne suffit pas. Ainsi, à partir du moment où
le magistrat a une faculté d’interprétation, tant de la norme juridique que des faits allégués et de leurs
preuves, l’avocat, pour construire son argumentation, devra tenir compte de la psychologie du juge, de
sa formation intellectuelle, des valeurs auxquelles il adhère, de la conception qu’il se fait de sa mission,
de la justice et de l’équité. Bref, il doit prendre en compte son auditoire.
Cette prise en considération de l’auditoire intervient, dans la démarche de l’avocat, après la conception
purement juridique, soit pour l’enrichir ou la renforcer, soit pour déterminer une série d’arguments de
nature différente qui contribueront à renforcer l’effet persuasif du discours argumentatif.
Il s’agit en fait de déterminer dans quelle catégorie légale rentre le fait ou l’acte dont l’existence a été
constatée, et par la suite, à apprécier quelle règle juridique lui est applicable45. Cette qualification ne se
45 Il convient de faire remarquer ici qu’il y a une différence entre la qualification du droit et la doctrine. La qualification du
droit consiste à rechercher à quelle catégorie dans la hiérarchie des normes juridiques appartient le concept de droit retenu pour
l’opération de qualification. Pour la doctrine, par exemple, on va dire que tel fait constitutif d’un vol constitue une opération
de qualification des faits. Déterminer ensuite si les faits de vol constituent un crime ou un délit serait un problème de
Logique adaptée au droit – Julien Mumpwena | 66
fait donc pas au hasard. Il y des phases à observer. En d’autres termes, quand il s’agit d’établir le plan
de son argumentation, l’avocat se doit de qualifier le corpus de faits dont il est saisi avec une norme
juridique adéquate. Cette opération de qualification peut être décomposée en quatre phases.
Intuition de la norme juridique à appliquer aux faits : Lors de l’analyse du dossier, l’avocat aura
mis en lumière les faits opérants, c’est-à-dire les faits qui, dès l’abord, donnent, sans qu’il soit
besoin de beaucoup réfléchir, une idée de qualification. A ce niveau, l’expérience joue pour
beaucoup dans la construction de l’argumentation.
Explication de cette norme juridique pouvant être appliquée au litige : Dès que l’avocat a eu
l’intuition d’une norme applicable au litige, il devra s’interroger sur les éléments constitutifs de
cette norme. Il convient de faire remarquer que tout concept de droit se définit par des éléments
qui le constituent, mais surtout par des relations que lesdits éléments sont censés entretenir les
uns avec les autres. Ces éléments constitutifs de la norme sont souvent donnés par la loi ou le
décret. Ainsi, l’explication de la norme retenue par l’avocat débouche sur la compréhension des
conditions de sa mise en œuvre ainsi que de ses effets juridiques. Après avoir explicité
l’ensemble des éléments constitutifs de la norme juridique dont il a l’intuition, par hypothèse,
qu’elle peut être retenue, l’avocat peut passer à l’opération stricto sensu de qualification.
Qualification stricto sensu : Par cette opération de qualification, la règle de droit va s’incarner
dans un corpus de faits. La norme sert ici à la fois de grille organisatrice, de guide général dans
le raisonnement de qualification, mais aussi de structure finale. C’est à l’intérieur de ce cadre
que l’avocat procédera par tâtonnement intellectuel entre la norme juridique et les faits. A ce
niveau, l’opération de qualification consistera à faire coïncider la partie descriptive de la norme
juridique retenue avec les circonstances de faits du litige, tels que mis en lumière lors de
l’analyse ; cela dans l’intérêt de la thèse à défendre.
Validation de l’hypothèse de qualification, notamment au regard de l’existence des preuves
contenues dans le dossier ou à venir. L’hypothèse, comme on le sait, est une explication
provisoire dont le but est de faire comprendre les faits, mais qui échappe encore à la preuve de
ces faits. Cette hypothèse doit donc être confirmée par les faits, et donc validée par l’avocat.
Cette validation de l’hypothèse se fait à deux niveaux :
- Valider l’existence, la compréhension et l’applicabilité de la norme de droit retenue aux
faits de l’espèce. D’où une grande souplesse dans la constitution documentaire de la norme
juridique. Pour ce faire, l’avocat doit réunir pour le juge les textes lui-même, lois, décrets
ou règlements qui définissent la norme retenue mais aussi tous les textes légaux et
règlementaires qui en prévoient qui en prévoient les conditions d’exercice et les
conséquences juridiques. L’objectif ici étant de faciliter l’examen que fera le juge de la thèse
juridique qui lui est proposée. Il est aussi demandé à l’avocat de justifier l’applicabilité de
la norme qu’il propose au juge d’en faire aux faits de l’espèce. A ce niveau, le recours à la
jurisprudence est nécessaire, c’est-à-dire de montrer que telle norme juridique a déjà été
appliquée à d’autres circonstances d’espèce analogues.
- Rapporter la preuve de l’existence, de la portée et de la signification des faits allégués. Il
s’agit ici de la vérification de l’existence de la preuve des faits allégués. La recherche de la
preuve des faits allégués dans le raisonnement juridique, c’est-à-dire lors de l’opération de
qualification, influe essentiellement sur la décision du juge. Le magistrat ne peut pas ne pas
en tenir compte des preuves proposées par les parties. Car, sitôt constatées l’existence et la
portée de la preuve qui lui est soumise, le juge doit nécessairement en tirer les conséquences
qualification de droit. Cette seconde étape intervient lorsqu’il s’agit de déduire de la qualification des faits qui a été retenue ses
conséquences légales exactes » (p. 164).
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Toutes ces démarchent ont pour but de permettre à l’avocat de rechercher la preuve des faits et de
l’interprétation qu’il en donne. Il ne cherchera à prouver que les faits qui peuvent venir au soutien d’une
qualification juridique et qui lui sont donc donnés par la norme juridique qu’il aura retenue. Il aura aussi
à prouver les faits, objet de contestation. Il devra, en outre, se rappeler les conditions d’admissibilité des
preuves dans le débat judiciaire. D’où l’importance de l’interprétation en droit et en argumentation
judiciaire.
- soit aucune norme juridique ne semble pouvoir s’appliquer à une situation de fait qui serait
nouvelle ;
- soit parce que le texte lui-même de la norme juridique susceptible de s’appliquer est obscur,
peu clair ;
- soit parce que l’avocat se trouve devant des définitions ou des énoncés contradictoires d’une
même norme ;
- soit, enfin, parce que le débat porte sur un fait qui n’est pas susceptible d’être prouvé par
des moyens probatoires qui les rendent certain.
Face à ces difficultés, l’avocat doit se livrer à un travail d’interprétation. Au sens large, l’interprétation
désigne l’opération intellectuelle par laquelle une signification est attribuée à une chose, en même temps
que la proposition qui résulte de cette opération. Elle désigne aussi l’acte d’interpréter et son résultat.
Qu’à cela ne tienne, de façon générale, l’interprétation permet à l’avocat de faire apparaître une
signification possible d’un énoncé, signification qu’il proposera au magistrat et qui devra présenter les
caractères de justesse et de validité qui pourront entraîner la persuasion de ce dernier.
Selon la doctrine traditionnelle, l’interprétation n’est envisageable que quand la norme était peu claire,
absente, imprécise ou composée de deux ou plusieurs normes apparemment antinomiques. La clarté de
la norme suppose :
- que la norme n’est susceptible que d’un seul sens ; elle s’apprécie au regard de la volonté
du législateur ou de l’autorité qui l’a édictée.
- L’absence d’opposition avec une ou plusieurs autres dispositions de la même norme.
46L’explication implique une ambition d’objectivité, alors que l’interprétation évoquerait sinon l’arbitraire de l’analyste, du
moins l’interférence de sa subjectivité. L’interprétation ne pourrait contenir toute la vérité de l’objet dont elle parle, mais
seulement une parcelle (cf. p.,177)..
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Ainsi, l’interprétation avait pour but la seule découverte de l’intention du législateur, ce qui présupposait
que le sens du texte reposait dans celui-ci, que chaque texte possédait un seul et unique sens que pouvant
être découvert par des méthodes de raisonnements classiques.
Le sens moderne donne à l’interprétation un sens plus large. Outre la recherche de ma signification de
tel énoncé législatif règlementaire ou jurisprudentiel, le praticien se voit obligé de donner du sens et un
contenu aux énoncés normatifs lorsque ceux-ci renvoient à des concepts juridiques indéterminés, des
standards au contenu élastique ou lorsqu’il se trouve renvoyé à une pluralité de classifications ou de
qualifications juridiques possibles.
En effet, le législateur, ne pouvant tout prévoir, se bornait à laisser au juge le soin d’adapter à chaque
cas particulier dont il était saisi les notions à contenu variable et auxquelles la définition de la norme
renvoyait. Par son travail d’interprétation, le praticien cherchera à vérifier si l’on peut faire surgir, moins
la norme juridique que du texte qu’il énonce, un sens qui soit cohérent avec l’objectif qu’il cherche à
atteindre, les faits dont il est saisi et les preuves dont il dispose. Ainsi, l’interprétation est effectuée à
l’occasion de toute application de la norme à un cas particulier, et pas seulement pour les cas précités47.
Seulement, l’interprétation a des limites. Ces limites sont méthodologiques, légales et morales.
A la fin de son travail de qualification et d’interprétation, l’avocat aura déterminé un schéma général de
qualification juridique des faits dont il est saisi, et ce de manière à rendre compte de l’objectif fixé par
son client. Il aura aussi conçu les arguments dont il devra se servir pour établir de la façon la plus
rigoureuse possible, chacun des éléments constitutifs de la norme retenue, leur adéquation avec tel ou
tel fait du dossier ; il aura aussi vérifier l’existence et l’admissibilité des preuves avancées au soutien
de chacun de ses arguments. L’analyse de la recevabilité permettra la détermination du fondement de la
47 Cf., p. 180-181 : A propos de l’interprétation de la lettre du texte, de l’interprétation extensive, interprétation stricte.
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C’est pourquoi, « si d’aventure, l’avocat n’arrive pas à la fin de cette première phase à articuler une
argumentation qui puisse transcrire, en termes juridiques, l’objectif poursuivi, s’il manque un des
éléments quelconque qui assure la validité probatoire de son argumentation, si les preuves rendues
nécessaires par la sélection de la norme juridique susceptible de s’appliquer aux faits de l’espèce
faisaient défaut, si enfin tout effort d’interprétation des variables du raisonnement judiciaire, norme
juridique ou élément de fait s’avérait vain, alors l’avocat, de bonne foi, se devrait d’abandonner la
poursuite de l’objectif tel que formulé comme hypothèse de départ » (p. 188). C’est pourquoi, toute
argumentation, pour être d’une validité qui puisse entraîner la persuasion de l’auditoire, doit obéir à ce
principe de non-contradiction avec l’un des éléments non contestables du dossier.
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CONCLUSION
La logique et l’argumentation doivent être éclairées par deux paramètres : la force et l’orientation.
Jusqu’aux travaux de l’argumentation dans la langue (notamment Anscombre et Ducrot), la notion
d’orientation était mal connue ; la force des arguments a trop souvent pour sa part fait l’objet d’une
analyse soit strictement formelle, soit strictement intuitive. Il est temps d’introduire en théorie de
l’argumentation des outils à la fois aptes à décrire le langage naturel et rigoureux.
Il a été montré ici que les théories de l’argumentation sont de deux genres principaux : le réductionnisme
logique qui exige de tout argument une validité formelle et exclut tout type d’argument ne se soumettant
pas à cette contrainte ; le réductionnisme topique, ne voyant, à l’inverse, aucun argument l’emporter sur
les autres. Grâce à la théorie de l’argumentation dans la langue et aux échelles argumentatives, il a été
suggéré ici d’analyser l’argument a fortiori à nouveaux frais. Cet argument jouit d’un statut particulier
dans le Talmud et sa spécificité réside dans le fait qu’il joue sur le concept de présupposition. Une claire
compréhension du fonctionnement de cet argument conduit à une remise en question des théories
traditionnelles qui en faisaient un argument parmi d’autres, rangé habituellement auprès des arguments
a contrario et a pari. En fait, la force de l’argument a fortiori – force reposant sur la notion de
présupposition – rend caduques le réductionnisme logique (qui semblait limiter les arguments valides à
la logique) et le réductionnisme topique (qui ne reconnaissait à aucun argument une force supérieure).
L’argument a fortiori est à la fois orienté et contraignant.
Ainsi, pour renforcer une thèse, on peut l’adosser à des procédés contraignants, comme la définition, la
présomption (indéfaisable), la comparaison assortie de clauses de prudence (mutatis mutandis et ceteris
paribus), des marqueurs de l’argumentation. Pour affaiblir une thèse, outre les marqueurs, on peut
montrer qu’elle est nécessaire sans être suffisante, que la définition avancée est bancale, que la
comparaison ne tient pas, que la présomption est défaisable.
En conclusion, l’argumentation est une question de présentation. Les arguments n’ont pas une force en
eux-mêmes, mais sont présentés comme forts ou faibles. Chacun est responsable de la manière dont il
agence ses arguments. Ceci ne doit cependant plus nous contraindre à souscrire au réductionnisme
topique : la force de tous les arguments est une question de présentation et ils ne se valent pourtant pas
tous.
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GLOSSAIRE
Analogie : au sens strict, une analogie est une égalité de rapports. Mathématiquement l’analogie peut
être illustrée par l’égalité suivante : un est à deux ce que trois est à six. Hors des mathématiques, le
raisonnement par analogie est souvent sollicité pour comparer des situations et en déduire une
conséquence. L’analogie est un procédé omniprésent dans l’argumentation : dans le discours
théologique, le droit, la politique ou encore la science.
Argumentation : que l’argumentation caractérise uniquement une partie du langage est une vision qui
fait peu de cas des marques omniprésentes de l’argumentation dans la langue. L’argumentation peut être
définie comme l’ensemble des dispositifs transmettant une instruction au sujet de la force et de
l’orientation des actes de langage et, partant, des conclusions qu’ils invitent à tirer. Il peut être question,
au sens large, d’une argumentation visuelle. On ne peut cependant parler, dans ce cas, de marqueurs
bidimensionnels, mais de signes plus ou moins articulés.
Argument a fortiori : cet argument, comme son nom l’indique, est plus fort que les autres. Rangé et
présenté souvent au côté des arguments a pari et a contrario, il convient de saisir que l’argument a
fortiori est un argument de second degré : à partir de tout argument, on peut élaborer un argument a
fortiori. Cela se passe en trois temps : premièrement, un fait est établi (une autorité, un fait brut, une
considération, un précédent) ; ensuite, on montre que la situation présente mériterait un traitement plus
fort (marqueur co-orienté plus fort) ; enfin, il est annoncé que l’on se contente du traitement précédent
(marqueur co-orienté plus faible). Le Talmud a reconnu le statut particulier de cet argument, qui pouvait
être utilisé seul, indépendamment de la tradition, signe de sa force plus grande. L’argument a fortiori
manifeste une tension, car il se présente comme pouvant exiger plus que ce qu’il demande, à l’inverse
de l’argument de proportionnalité qui attribue à chacun son dû. Ce principe, selon lequel on ne peut
ajouter au cas précédent, s’appelle dayo « cela suffit ». Ajoutons que l’on ne peut punir ou apprendre
une nouvelle loi à l’aide d’un argument a fortiori, comme cela est expliqué, notamment, dans le traité
Makkot.
Argument a pari : cet argument présente le cas de figure comme tombant dans la catégorie abordée. Il
peut être traduit par de la même manière, de même. Il sollicite donc aussi l’argument du précédent.
L’argument a pari peut introduire une analogie.
Argument a contrario : l’argument a contrario est souvent mal vu, du moins en théorie du droit, car il
est susceptible de mener à des conclusions qui heurtent l’intuition. Il convient de distinguer deux types
d’arguments a contrario : inférentiel et non-inférentiel. L’argument a contrario inférentiel permet de
conclure qu’une catégorie ne s’appliquant pas à un objet, il faut lui prédiquer la catégorie opposée. Si
un étudiant n’est pas présent, c’est qu’il est absent. En revanche, l’argument a contrario non-inférentiel
ne permet d’inférer aucune conclusion. Si un citoyen donné n’est pas inscrit en faculté de droit, on ne
peut pas en déduire qu’il soit inscrit ailleurs. On ne peut rien tirer d’autre, si ce n’est qu’il ne tombe pas
dans la catégorie des étudiants en droit. L’argument a contrario inférentiel est régi par une négation
forte, c’est-à-dire descriptive, alors que l’argument a contrario non-inférentiel est régi par une négation
faible, c’est-à-dire métalinguistique.
Argument d’autorité : l’argument invoquant, à l’appui d’une thèse, une autorité, une source qui « fait
autorité ». Décrié par les Lumières du 17ème siècle, l’argument d’autorité a mauvaise presse. Thomas
d’Aquin distingue l’argument d’autorité en philosophie, piètre argument s’il en est, et l’argument
d’autorité en théologie, qui est le plus puissant. On peut distinguer deux formes d’arguments d’autorité
: soit la source autorisée est présentée comme raison principale et suffisante pour admettre la thèse ; soit
elle est présentée comme raison subsidiaire. Dans ce dernier cas, l’argument d’autorité est tout à fait
raisonnable et sera introduit par des marqueurs comme d’ailleurs ou du moins.
Définition : une définition est un genre littéraire de forme courte résumant les traits essentiels de l’objet
défini. Indéfaisable chez Aristote, la définition va progressivement perdre ses oripeaux, notamment les
traits suivants : nécessaire et suffisante, logique, indéfaisable, éternelle, littérale, non-circulaire.
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L’augustinisme du 17ème siècle a conduit Descartes, Spinoza et Pascal, à affirmer que certaines idées
n’étaient pas définissables et que ce serait une erreur de vouloir les définir. Au vingtième siècle, cette
position s’est radicalisée : ce ne sont plus quelques idées, mais la plupart, sinon toutes, qui furent
frappées d’indéfinissabilité. Beaucoup d’auteurs ont voulu substituer à la définition en termes de
conditions nécessaires et suffisantes, les notions, plus souple – et pour cause – de ressemblance de
famille et de traits prototypiques.
Échelle argumentative : structure régissant les langues naturelles et selon laquelle les concepts sont
orientés et échelonnés. Les marqueurs de l’argumentation jouent sur l’échelle argumentative : du moins
et au moins indique que l’argument introduit est sur la même échelle mais moins loin ; voire indique
que l’argument introduit est sur la même échelle mais plus loin. De même, l’argument a contrario
inférentiel renverse l’échelle, alors que l’argument a contrario non-inférentiel stipule seulement que cet
échelon n’est pas idoine.
Effet utile : principe d’interprétation qui, en particulier dans la sphère juridique, consiste à assigner une
pertinence à toutes les parties du discours. Le législateur n’est pas perçu comme négligeant. L’effet utile
est donc une exploitation particulière du principe de pertinence. L’herméneutique biblique fait
abondamment usage du principe de l’effet utile, en particulier dans la littérature talmudique, où non
seulement chaque verset biblique, mais chaque mot et même chaque lettre fait l’objet d’une justification
juridique ou homilétique.
Étymologie : il est fréquent d’en appeler à l’étymologie pour défendre une position sur une question
donnée. Il s’agit là d’une technique très utile et efficace pour rendre à un terme l’épaisseur de ses
multiples significations. Cela dit, il ne faut pas confondre – erreur courante – signification et étymologie.
Il s’en faut d’ailleurs de beaucoup que l’étymologie coïncide avec la définition.
Ironie : l’ironie ne constitue pas un argument en tant que tel, mais est un procédé auquel on recourt pour
suggérer que l’on pense l’inverse de ce que l’on dit. Il faut que l’intention soit un minimum décelable,
sinon on passe pour affirmant l’inverse de ce que l’on souhaitait dire.
Lieux, loci, topoï : les lieux sont les sièges des arguments, les ressources auxquelles puiser toute raison
pour soutenir une thèse. Le réductionnisme topique ne reconnaît l’existence que des arguments topiques,
et donc défaisables. Pourtant, l’argument a fortiori est à la fois topique, au sens de sous-tendu par une
échelle argumentative, et indéfaisable.
Littéral (sens) : le sens littéral passe pour premier, bien souvent, par rapport à la métaphore ; il serait
en effet le sens évident, obvie, sur lequel tout le monde s’entend. Sans nier l’existence d’un sens littéral,
existence sur laquelle Umberto Eco insiste, on peut émettre quelques réserves : le sens littéral n’est pas
unique, mais multiple. Déjà les commentateurs de la Bible distinguant les quatre niveaux
d’interprétation, ont remarqué le grand nombre d’interprétations littérales. Plus récemment, John Searle
a montré que l’on pouvait, pour tout énoncé, donner un nombre indéfini d’interprétations littérales.
Enfin, il faut toujours se rappeler que le sens littéral ne doit pas être assimilé au sens étymologique.
plus faible. Relevons le double effet de tout marqueur : il affecte le contexte selon l’effet inverse de
l’argument qu’il introduit.
Métaphore : la métaphore est un des procédés les plus courants. Il s’agit d’une comparaison sans
marqueur de comparaison. Alors que Richard est comme un lion est une comparaison, Richard est un
lion est une métaphore. Longtemps, la métaphore a été décrite comme un écart par rapport au sens
littéral. Cela dit, le sens littéral a subi les affres de la critique : Rousseau, puis Nietzsche, ont expliqué
combien le sens littéral n’est autre chose qu’une métaphore usée. En tout état de cause, on peut distinguer
plusieurs types de métaphores : métaphore vive, métaphore figée et métaphore structurante. La
métaphore vive est inédite et perçue en effet comme un écart. Plus elle devient « habituelle », plus elle
devient lexicalisée : une catachrèse. Ces métaphores figées passent plutôt inaperçues : on ourdit plus
souvent un complot que les fils en tissant qui, littéralement, sont les seules choses que l’on peut ourdir.
Il est toutefois toujours possible de réactiver le sens littéral d’une métaphore figée. La métaphore
structurante passe, comme la métaphore figée, inaperçue. Mais en outre, la métaphore structurante
conditionne jusqu’à la possibilité de parler de l’objet décrit métaphoriquement. LA DISCUSSION,
C’EST LA GUERRE : on défend une position, attaque un argument, bâtit une argumentation. Ce sont
des métaphores, sans doute, mais il est quasiment impossible de parler de la discussion en des termes
non polémologiques : c’est dire combien les métaphores structurantes sont en amont du discours et des
représentations que l’on se fait des choses.
Orientation argumentative : direction vers laquelle tendent les termes des langues naturelles. Un peu
fatigué est orienté vers fatigué, alors que peu fatigué est orienté vers pas fatigué. Ainsi, quasiment tout
le lexique est orienté argumentativement, du moins susceptible de se voir assigner une orientation
argumentative. Les marqueurs sont co-orientés ou anti-orientés.
Pétition de principe : raisonnement fallacieux consistant à prendre pour acquis ce qui doit être
démontré. Cette erreur dénote une circularité qui vicie le raisonnement et le rend dès lors invalide.
Présupposé : le présupposé est une partie de ce qui est dit. Il y a engagement quant à ce que l’on
présuppose. Le paradoxe de Moore démontre que l’on ne peut nier un présupposé, sous peine
d’irrationalité. À la différence du posé, le présupposé ne permet pas que l’on enchaîne à partir de lui :
Mon frère est malade, chose qui m’attriste. Je pose que mon frère est malade et je présuppose que j’ai
un frère. On voit bien que l’on ne peut pas enchaîner sur l’existence du frère, mais uniquement sur le
posé. En outre, sur l’échelle argumentative, tout argument présuppose les arguments qui sont situés plus
bas.
Règles herméneutiques : longtemps, on a voulu dresser la liste exhaustive des règles herméneutiques,
depuis le Talmud jusqu’à l’École d’Amsterdam (Frans H. van Eemeren) ; c’est là une louable entreprise,
même si le sens commun – arme principale de l’argumentation – se plie peu volontiers à une
formalisation à la fois précise et exhaustive. Le Talmud distingue plusieurs nomenclatures de règles
herméneutiques, mais considère en tous les cas que les règles doivent être utilisées avec l’aval de la
tradition. Résiste à cet exigence l’argument a fortiori.
Sophisme : le sophisme est un raisonnement contenant une erreur plus ou moins volontaire et plus ou
moins visible. Ce qui en général est une erreur est, dans le monde des blagues, le nœud de la plaisanterie.
Toute blague recèle une erreur de l’argumentation, d’un type ou d’un autre. Il va de soi que ce trait, sans
doute nécessaire, est sans aucun doute insuffisant pour créer un bon mot d’esprit.
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Talmud : la littérature talmudique est l’ensemble de la mise par écrit de la loi orale juive, loi orale qui
guide la lecture de la Bible. Le Talmud a poussé très loin la théorie de l’argumentation. Plusieurs listes
de règles herméneutiques sont connues de la tradition et elles font l’objet de commentaires et de
digressions nombreuses. Le simple fait que les arguments portent un nom témoigne de l’attention des
docteurs du Talmud pour l’argumentation. Un certain romantisme veut voir dans le droit talmudique un
droit régi par des principes absolument différents de la pensée occidentale. Il n’en est rien. Le propre du
droit talmudique, c’est, bien plutôt, le soin qui est apporté à justifier toute loi, soin qui ne le distingue
pas fondamentalement des autres systèmes juridiques. On peut mettre au crédit du droit talmudique
d’avoir mis au jour le fonctionnement de certains raisonnements, notamment de l’argument a fortiori
(qal vahomer) ou de certaines présomptions légales, comme le miggo.
Bibliographie
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Bruylant, « Penser le droit », Paris, Bruxelles, 2005
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2005.
- PERELMAN, Chaïm, Logique juridique. Nouvelle rhétorique, Dalloz, Paris, [1976], 19792
- PERELMAN, Chaïm, Logique juridique. Nouvelle rhétorique. 2e édition, Paris, Dalloz, 1979
- PERELMAN, Chaïm et FORIERS, Paul (éds), Les Présomptions et les fictions en droit, Bruylant,
Bruxelles, 1974
- PLANTIN, Christian, L’argumentation. Histoire, théories et perspectives, PUF, Paris, 2005
-TREMBLAY, Richard, L’essentiel de l’interprétation des lois, Éditions Yvon Blais, 2004
- ULLMAN-MARGALIT, Edna, « On Presumption », Journal of Philosophy, 80/3, 1983, pp. 143-163
- VANWELKENHUYZEN, André, « La présomption de constitutionnalité de la loi et du décret en droit
belge », in Perelman et Foriers (1974), pp. 259-277