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Cohorte B
INTRODUCTION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
Les textes fondamentaux en matière de justice française en AOF, sont les décrets du 16
Novembre 1916, du 22 Août 1928, du 22 Juillet 1939, du 16 Janvier 1947 et du 05 Janvier 1954.
En vertu de ses textes, la justice française est composée de juridictions copiées sur le modèle
de la métropole. Comme son nom l’indique, elle intéresse en principe une catégorie de
justiciables citoyens français ou considérée comme telle. En AOF, c’est une combinaison de
facteurs qui a imposé le recours à une organisation judiciaire conforme aux modèles
républicains. La fidélité aux principes républicains, les enjeux stratégiques de la politique
coloniale, l’attention particulière de la société internationale vis-à-vis de la question coloniale
conjuguée à la protection des intérêts des ressortissants européens pourraient justifier cette
option. Ce sont les mêmes impératifs qui avaient amené le colonisateur français à s’arrêter
tout spécialement, sur la qualité de ceux à qui était confiée la mission de juger. Dans ces
conditions, il nous semble que l’analyse des institutions judiciaires dans notre contexte, ne
saurait être réduite à la simple énumération de compétences et d’attributions.
Dès lors, il est judicieux de s’intéresser d’abord, à la ressource lui-même employée pour le
service judiciaire, avant de voir les particularités de l’organisation et du fonctionnement de
celui-ci.
Dans la politique d’un recrutement des magistrats coloniaux, il y avait une phase
préliminaire qui correspond à l’acquisition d’une culture juridique double d’une culture
générale et d’une instruction complète. C’est la phase universitaire comportant des études en
droit dont le minimum était la licence. Il faut rechercher le fondement juridique de cette
condition dans l’article 87 alinéa 02 du décret du 10 Novembre 1903 qui dispose : « nul ne peut
être appelé à un emploi de début dans la magistrature, s’il n’est licencié en droit.» Cette
condition a été réitérée par la disposition d’un décret de 1928 notamment en ses articles 09 à
17. Les réformes qui ont suivi, surtout celles opérées par le décret du 07 Avril 1938, se sont
maintenues dans cette tradition en affirmant avec plus de force. L’importance des études en
droit n’est pas à démontrer. C’est ici que, pendant un certain temps, l’étudiant a acquis les
aptitudes scientifiques nécessaires, le raisonnement juridique pour aspirer à la profession de
magistrat. Les domaines aussi variés que le droit, l’économie, la sociologie, l’histoire y sont
enseignés et y font à la fin, l’objet d’une évaluation suivant une démarche propre à la
discipline juridique.
Toutefois, les titres de licence que l’étudiant en obtenait devrait être plutôt regardé comme
une permission de se livrer à l’étude de droit que comme une preuve de leurs savoirs réels.
C’est pourquoi, cette première phase devait être complétée par le passage dans une école
professionnelle, passage sanctionné par un concours.
Dans la politique française de colonisation, il a été créé une école qui préparait les
européens destinés à une carrière coloniale. Au sein de cette école, se trouve une section
spéciale de préparation à la magistrature. C’est la nécessité de promouvoir une sélection pour
les fonctions judiciaires qui a poussé l’autorité coloniale, par un décret du 07 Avril 1905, a
institué cette préparatoire à la magistrature dont l’accès est exclusivement réservé aux
licenciés en droit par voie de concours.
Contrairement à ce que l’opinion générale a retenu, ces élèves n’apprennent pas seulement le
colonialisme à l’école. Le rôle de cette école a été très important dans l’orientation de l’action
de la magistrature vers des buts humanitaires. Elle a été pour les futurs magistrats une
occasion de mieux comprendre les peuples colonisés afin de les mieux gouvernés. C’est
suivant ce haut sentiment que la nécessité s’était faite sentir d’enseigner à l’école des cours
de géographie détaillés de l’Afrique, d’histoire de l’Afrique, de système juridique africain, de
droit musulman, de langue negro-africaine et arabe. L’école coloniale a, dans son histoire,
formée plus de 50 promotions en matière de connaissance juridique de base, en matière
d’assimilation des doctrines fondamentales de la colonisation. En 1956, l’africanisation des
cadres prévue par la Loi-cadre de 1958, devrait permettre la formation d’un nombre important
de magistrats africains et malgaches qui constituaient alors l’élite des étudiants et des
fonctionnaires des pays de la France d’outre-mer. En 1958, intervenait la suppression du
recrutement de cette haute école qui restait cependant, au point de vue judiciaire, l’ancêtre de
ce qui allait devenir le centre internationale d’études judiciaires et au point de vue
administratif, l’ancêtre de l’école nationale d’administration et de l’institution de haute étude
d’outre-mer. Mais, la carrière d’un magistrat imposée à être exercée non dans l’ombre d’une
école, mais, dans la vive lumière de pratique de juridiction pour ainsi joindre l’expérience à la
science.
Il faut préciser que l’exercice des fonctions judiciaires nécessite de la part de ceux qui y
aspirent, un apprentissage de la carrière, une mise à l’ouvrage. Plus encore pour la carrière
coloniale, le magistrat devait être accompagné et encadré. C’est fort de ce constat qu’il est
judicieux d’examiner l’importance attachée à l’encadrement de ceux à qui était confiée la
mission de justice. Dans cette formation, répondra un double objectif d’initiation du magistrat
à la vie coloniale et de préservation des qualités morales et techniques nécessaires au service
de la justice, il peut-être distingué deux voies: une voie officielle de formation (A) et des
officieuses de formation (B).
Les magistrats coloniaux, malgré l’effort apporté à leur préparation étaient souvent
confrontés à toutes sortes de difficultés. C’est en solution à ce problème, que l’autorité
coloniale s’était résolue à planifier un cadre approprié aux perfectionnements de la ressource
humaine judiciaire. La maturation de cette pédagogie trouve sa consécration dans une
institution particulière prévue par le décret du 22 Août 1928 en ces articles 113 à 116. Cette
institution était appelée attachée au parquet général. Elle est une institution d’encadrement
des magistrats mis à la disposition du procureur général, chef du service judiciaire, qui
pouvait les employer librement dans son service. C’est ainsi que cette institution visant au
départ à donner de la souplesse à la répartition du personnel judiciaire entre les ressorts de la
cour d’appel, avait fini par devenir une section de préparation de magistrats expérimentés.
Ces instructions ont été d’un intérêt capital dans la compréhension et dans l’application
du droit colonial. Elles consistaient notamment à livrer aux membres de l’ordre judiciaire des
indications nécessaires à la connaissance du pays dont ils ont la juridiction. Mais surtout, en
marge de ses consignes de bonnes justice, les instructions comportaient de véritables leçons
de vies utiles aux magistrats aussi bien dans sa vie professionnelle que dans sa vie
personnelle. Ses notes de services avaient donc le double avantage de s’assurer que le jeune
magistrat affecté dans un milieu qu’il ignorait n’était pas laissé à lui-même et de témoigner
un soutien nécessaire à sa formation.
D’ailleurs, cet effort de redressement avait été appuyé par la fréquence d’inspections qui
permettait à l'autorité judiciaire de se rendre compte lui-même et sur place de la situation de
son service et celle des hommes.
L’autorité judiciaire ira encore plus loin avec ce rôle de formateur et c’était pour s’attribuer la
mission à l’occasion des audiences solennelles de tenir un discours d’encadrement aux
magistrats.
Elles sont aussi appelées Mercuriales et consiste en une réflexion sur un sujet édifiant
destiné à encourager les magistrats dans l’exercice de leur fonction. En AOF, ces audiences
avaient servi d’occasion pour le redressement et l’orientation de la conduite des magistrats;
c’était également une occasion à formation civique et politique. Au Sénégal, c’était une
invitation du ministre de la Marine et des colonies adressé au chef du service judiciaire, qui
avait exigé l’envoi de ses discours d’entrée à son département comme le signe d’une
nécessité à la fois stratégique et didactique. Au total, il peut-être vu dans cette initiation de la
magistrature coloniale, non pas une simple formalité, mais, un réel besoin de disposer d’un
personnel de qualité gage d’une institution judiciaire également de qualité. C’est donc ce
capital humain hautement préparé et rigoureusement sélectionné qui sera investi dans la mise
en mouvement de toute l’organisation judiciaire.
Dans la mise en place d’une organisation judiciaire régulière en AOF, le principe a été
celui de la séparation des fonctions administratives et judiciaires consacré par la loi française
des 16 et 24 Août 1790. En vertu de cette règle, les litiges relatifs aux fonctionnement des
services publiques doivent échapper aux tribunaux judiciaires. De tels litiges relèvent de la
connaissance du juridiction spéciale. Dès lors, dans la classification des juridictions en AOF,
il peut-être distingué deux ordres de juridictions; il peut-être distingué des juridictions dites
de l’ordre judiciaire (paragraph 1) et des juridictions de l’ordre administratif (paragraph 2).
Il y avait certes de la part de la France impériale, une volonté d’instituer dans ses
colonies un cadre judiciaire conforme à la version républicaine. Mais, force est de constater
qu’il était extrêmement difficile de transposer dans l’ordre colonial le système judiciaire
français dans toute sa rigueur. Par conséquent, nous avons affaire à une justice particulière;
particulière quant à son organisation (A) particulière quant à son fonctionnement (B).
La justice française était constituée en juridiction de droit commun, suivant une échelle
très primaire de juridiction. Il en est résulté qu’une telle justice, en plus d’être sommairement
hiérarchisée, était aussi investie d’une compétence générale.
Il y avait au premier degré des justices de paix à compétences étendues. Les unes sont
créées par décrets et sont tenues par un président qui est un magistrat de carrière. Les autres,
créés par le gouverneur général, sont confiés à des administrateurs des cercles. Dans les
territoires où il n’existe de justice de paix à compétences étendu, c’est le tribunal de première
instance qui en joue le rôle. En AOF, il a existé jusqu’à (07) tribunaux de première instance.
Il faut ajouter qu’à partir de 1946 un décret du 09 Novembre a institué des justices de paix à
compétences correctionnelles limitées en compensation de la suppression de l’indigénat, qui
était alors régi extra-judiciairement.
A ces tribunaux ordinaires, il faut ajouter les cours d’assise appelées encore cours
criminelles, instituées pour la connaissance des crimes. C’est pour se singulariser par le fait
qu’elle ne comportait pas l’institution du jury.
Il faut remarquer en revanche, que les cours d’assise coloniale, en plus des magistrats de la
Cour d'appel, était aussi composée d’assesseurs pour conseiller les magistrats.
Les décisions rendues par ses cours comme d’ailleurs, celles de toutes les juridictions dont
nous venons de parler, étaient susceptibles d’être attaquées devant la juridiction du second
degré.
La Cour d’appel de l’AOF, a dans son histoire, était d’abord un conseil colonial avant de
devenir une véritable cour basée à St-Louis. Le transfert de son siège à Dakar a eu lieu par un
arrêté du 23 Juin 1906, entré en vigueur le 15 Juillet 1906.
Cette juridiction d’appel, avait la particularité d’être doublement spécialisée, en ce sens que
les recours portés devant elle cheminaient par deux voies parallèles. Ainsi, la Cour d’appel
était juridiction d’appel de toutes les décisions en premier ressort par les tribunaux du premier
degré.
La même Cour a été érigée en juridiction de contrôle pour connaître du recours en annulation
contre tous les jugements rendus en premier et dernier ressort, mais seulement, pour excès de
pouvoir, incompétence, violation de la loi.
Cette fonction d’annulation de la Cour d’appel, doit être comprise comme une mesure de
déconcentration judiciaire, du fait de l’éloignement du siège de la Cour de Cassation basé à
Paris. Elle est aussi à comprendre comme une volonté d’établir une place, un contrôle
supérieur de légalité des jugements rendus dans des affaires ne présentant pas une grande
importance.
Mais, il faut préciser que l’évolution avait conduit, avec le décret du 11 Avril 1951 à la
disparition de cette dualité. Les champs de compétences de la Cour d’appel de l’AOF a ainsi
été disloqué et ramené à sa stricte dimension de juridiction d’appel. Par le même décret, son
ressort territorial connaissait un repli autour des colonies limitrophes de Dakar qui en été le
siège. Le reste de la fédération était judiciairement polarisé autour d’une nouvelle Cour
d’appel basée à Abidjan. Désormais, tous les recours en annulation étaient portés devant la
Cour de Cassation.
En définitive, nous retiendrons que la justice française en Afrique occidentale, était d’une
articulation caricaturale, puisque son organisation ne répondait que très imparfaitement aux
principes en la matière. La détermination des compétences devait d’ailleurs connaître le
même sort.
Deux étapes sont à distinguer dans cette organisation: il y’a une organisation primitive
qui avait vue la présence massive de fonctionnaires de l’ordre administratif dans la
composition du conseil du contentieux administratif (1), il y’a aussi, par l’effet d’une série de
réformes intervenues à ce sujet une organisation plus régulière (2).
Ce mode a été consacré par les décrets du 05 Août 1881 et du 07 Septembre 1881. En
vertu de ses textes, le conseil du contentieux se constitue par un simple élargissement du
conseil privé de l’AOF.
Conformément à ces textes, le conseil comprend: le gouverneur général qui en est le
président, les chefs de colonies et deux agents de l’administration active. Le problème avec
une telle organisation, c’est que le gouverneur général de même que les fonctionnaires qui les
assistaient étaient tous membres de l’administration. Or justement, les litiges que pouvaient
connaître ce conseil intéressaient directement l’administration. Par conséquent, une telle
organisation faisait des membres du conseil juges et parties. Il s' ajoute que le gouverneur
général président du conseil était le supérieur hiérarchique de ceux qui composaient le
conseil, ceux qui avaient pour conséquence, d’entacher l’impartialité et l’indépendance du
tribunal. C’est pour cette raison là, que des réformes ont été initiées tendant à organiser le
conseil du contentieux administratif suivant un nouveau style.
L’essentiel des innovations introduite par des réformes, avait porté sur la composition du
conseil du contentieux administratif. C’est ainsi que la juridiction administrative a été
entièrement séparée du conseil privé du gouverneur général. Elle ne comprend désormais que
trois à cinq membres et pour s’assurer de la valeur de ses membres, il a été fait recours à des
magistrats de l’ordre judiciaire.
De plus, désormais le conseil du contentieux est présidé non plus par le gouverneur, mais, par
un magistrat de la Cour d’appel assisté de deux conseillers spécialisés dans la matière. Cette
spécialisation était relative à la nécessité d’avoir été non seulement licencié en droit, mais
encore d’avoir capitaliser dix années de service effectif dans la carrière de magistrat dont
deux en AOF.
Pour ce qui est des attributions générales, il est judicieux de distinguer la compétence du
conseil du contentieux administratif à l’égard du contentieux de pleine juridiction (plein
contentieux) de sa compétence à l’égard du contentieux de l’excès du pouvoir.
Il faut dire que le recours pour excès de pouvoirs échappait en principe à la compétence
du conseil du contentieux administratif, sans distinction des actes émanant des autorités de
l’État et des actes émanant des autorités locales. C’est le conseil d’État qui est juge de droit
commun du recours pour excès de pouvoirs, quelle que soit la collectivité publique en cause.
Cependant, une ordonnance du 31 Juillet 1945, en son article 45 est venue attribuer au conseil
du contentieux administratif la compétence en matière d’excès de pouvoirs. C’est ainsi que le
conseil du contentieux administratif a pu connaître des litiges d’ordre individuel concernant
les droits et obligations des fonctionnaires locaux qu’ils soient attachés au gouvernement
général ou à l’État. C’est dire que le conseil du contentieux administratif avait compétence
pour statuer sur les demandes en annulation dirigées contre les actes administratifs
individuels relatifs au statut de ses fonctionnaires.
La justice indigène est réservée en principe aux indigènes et aux citoyens de statut
indigène c’est-à-dire les citoyens qui ont conservé leur statut personnel. C’est d’ailleurs pour
cette raison, qu’il a été préféré la formule de justice de droit local à celle de justice indigène.
Cette justice a été organisée pour la première fois sur des bases régulières par le décret du 10
Novembre 1903. Elle a été remaniée à plusieurs reprises par la suite par une série de réformes
allant dans le sens de la consolidation de sa spécificité. Cet état d’exception aura duré
jusqu’en 1946 date à laquelle un décret du 30 Avril est venu faire de tous des justiciables de la
justice française au moins sur le plan pénal. La spécificité dont il est question est en relation
avec la contradiction des principes qui sous-tendait la justice indigène. Dans une telle justice,
il était demandé aux juges spéciaux de n’appliquer aux indigènes que leurs coutumes et ce, en
toutes matières. Mais, dans le même temps, il leur a été demandé de vérifier la conformité de
ses coutumes avec les valeurs de la civilisation française. La justice indigène a ainsi été
caractérisée par la recherche désespérée de l’équilibre entre ses deux principes moteurs de
l’action coloniale. Il en est résulté une organisation très réaliste qui offrirait l’image d’une
justice partagée entre libéralisme à la base (section1) et professionnalisme au sommet
(section 2).
S’agissant des justiciables de statut indigène, il a paru judicieux de soumettre leur litige
non à des tribunaux de type métropolitain, mais, à des tribunaux spéciaux ayant un aspect
différent. Dans cette justice, le mot d’ordre semble avoir été de toujours atteindre les objectifs
politiques sans se soucier des formes traditionnelles d’organisation judiciaire. Ce qui fait, que
dans le déroulement de la procédure, il y avait une primauté de l’ordre public sur le droit.
Mais, il faut remarquer, que cette volonté de libéraliser la justice indigène n’était pas soumise
aux mêmes méthodes selon qu’on était en présence de la matière civile (paragraph 1) ou de la
matière pénale (paragraph 2).
C’est en matière civile que le principe du respect des coutumes indigènes a connu sa
consécration la plus complète. Or, en cette matière, il était indiscutable que les indigènes
connaissaient mieux que les juges français leurs traditions ancestrales et les particularités de
leur propre existence.
Par conséquent, il y avait un maintien exprès de la configuration judiciaire traditionnelle
africaine au degré inférieur de la hiérarchie judiciaire. Il s’agissait en l’occurrence des
tribunaux de conciliation dont la fonction était purement conciliatrice (A) et des tribunaux
musulman avec une compétence civile limitée (B)
Dès le départ, le constat a été que les juges indigènes avaient l’avantage de la
connaissance de la langue, des coutumes et des mentalités africaines. C’est cela précisément,
qui avait justifié l’élection des villages en chef lieu de juridiction. Le tribunal de village était
présidé par le chef de village, notable de statut indigène et assistait d’un Conseil également de
statut indigène. Cette fonction de président du tribunal de village a initialement été occupée
par des notables librement choisis par les parties et qui l'exerçaient sur la base de leurs
connaissances, leurs expériences et leurs moralités.
Ce qu’il faut retenir a ce niveau, c’est qu’une conception héritée de la tradition africaine de
justice avait dominé toute l’organisation judiciaire: la conciliation et l’esprit de dialogue.
La conciliation est un mode de règlement à l’amiable des litiges entre les parties. Elle est une
voie de contournement de la procédure contentieuse avec laquelle elle poursuit toutefois les
mêmes objectifs de stabilité sociale. En cette matière, dès l’instant que la paix sociale était
réalisée, il était considéré que la justice était faite. Mais, il faut dire que dans la procédure
civile indigéne, si la conciliation avait abordé une marge importante aux tribunaux de village
dans la distribution de la justice, leur décision n’avait qu’une valeur relative. En effet, une
décision rendu sur la base de la conciliation ne liait pas les parties qui avaient toujours la
ressource de recourir à la voie contentieuse, ce qui a fini par faire de la procédure
conciliatoire une simple étape préliminaire devant ce qu’il était convenu d'appeler le tribunal
du premier degré ou du second degré. D’ailleurs, ces derniers étaient tenus à leur tour de
tenter la conciliation avec cette différence qu’en cas de réussite, un procès verbal en sera
dressé et aura force exécutoire. C’est dire qu’il avait une volonté manifeste d’ériger la
conciliation en un mode officiel de règlement des litiges de privé des indigènes pour rester
fidèle à leur tradition. C’est la même volonté qu’on pouvait remarquer dans la composition et
le fonctionnement du tribunal musulman.
C’est le décret du 10 Novembre 1903 qui a institué auprès de la Cour d’appel de l’AOF,
une instance spéciale pour le contrôle des juridictions indigènes: c’est la chambre
d’homologation. Mais, dans la matérialisation de cette mission de contrôle, il était pas question
de laisser le travail entre les mains d’un non-professionnel encore moins d’indigène. Cet
effort de professionnalisation doit être compris comme la réponse à deux préoccupations
essentielles. C’est d’une part qu’il fallait rendre une meilleure justice aux indigènes
(paragraph 1) et d’autres part qu’il fallait une meilleure connaissance de leur loi pour y arriver
(paragraph 2)
A)- L’homologation
B)- L’annulation
Lorsqu’une annulation intervient à l’égard d’un jugement pour corriger une injustice,
deux situations différentes peuvent se présenter au juge. La première est relative à
l’annulation avec l’envoi et la seconde à l’annulation avec évocation pour statuer au fond.
1)- L’annulation avec renvoi
Le renvoi a lieu toutes les fois où il est reconnu que le tribunal a manifestement excédé
sa compétence, en connaissant d’une affaire qui relevait d’un autre tribunal par exemple.
Dans ces conditions, lorsque la chambre d’homologation annule le jugement, il le renvoie au
Parquet qui saisit la juridiction compétente conformément à l’article 69 du décret de 1903. Le
renvoi a lieu également sur la base du défaut de l’accomplissement des formalités
substantielles. En AOF, c’est l’article 70 du décret de 1903 qui énumère ces formalités
indispensables à la régularité des jugements. En cas de renvoi, le premier jugement ayant
disparu ipso facto, il incombe au tribunal de juger l’affaire à nouveau. Il arrive également que
l’annulation ne soit que partielle. Dans ce cas, le tribunal saisi du renvoi doit se borner à
statuer conformément aux remarques de la chambre. Il ne lui appartient aucunement de
reconsidérer le jugement dans son intégralité.
En vérité, le renvoi en plus de permettre de gagner du temps, avait aussi l’avantage de donner
une seconde chance au juge négligeant ou injuste de réparer lui-même son injustice. Mais, il
y avait un inconvénient dans cette façon de faire d’autant plus que cet avertissement venant
d’un magistrat était vu par les administrateurs comme une ingérence dans un domaine qui
leur a été réservé par la loi. C’est ainsi qu’il a été admis qu’un jugement lorsqu’il est
manifestement équitable ne doit pas être annulé pour de simples motifs de formalités.
Il faut quand même préciser que lorsque, après renvoi, le tribunal aura rendu un nouveau
jugement, la chambre qui leur reçoit une deuxième fois pourra soit confirmer en
homologuant, soit infirmer en annulant ou en cassant et dans ce dernier cas, l’affaire est
évoquée pour être statuée au fond.
2)- L’évocation
L’évocation est l’obligation imposée à la Cour d’appel lorsqu’elle annule une décision
qui lui a été déférée à la suite d’irrégularité de la procédure suivie en première instance, de
statuer sur le fond de l’affaire. Elle est aussi la faculté accordée dans certains cas à la
chambre d’accusation d’étendre l’information à des faits ou à des personnes qui n’étaient pas
intéressées dans les poursuites. Elle intervient donc dans ces cas là in limine c’est-à-dire avant
tout débat au fond de l’affaire en cause. Et lorsqu’intervient une annulation avec évocation, la
Cour se substitue au tribunal pour statuer elle-même sur l’appel et sur le fond du procès par
une seule et même décision: c’est l’effet dévolutif de l’appel. Exception en droit commun,
cette vocation dévolutif de l’appel a été érigée en principe en AOF. Il fait comprendre ce
dérangement de l’ordre de juridiction comme la manifestation d’une politique de surveillance
et de contrôle immédiat des tribunaux indigènes dont la composition et le fonctionnement ne
permettaient pas une meilleure justice. C’est d’ailleurs pour cette raison que lorsque la
chambre héritait d’une affaire, les parties devaient nécessairement se faire représenter par un
défenseur. Mais, il faut constater pour le regretter que la plupart du temps, l’annulation avec
évocation comme celle avec renvoi n’intervenait que rarement en faveur de l’appelant. L’idée
était articulée dans la crainte qu’une cassation fréquente conduise à fléchir le commandant
local aux yeux des indigènes. Par conséquent, il convient de rechercher les véritables raisons
d’une usurpation ailleurs que dans un souci exclusif de justice. Il fait dans ce sens dire qu’en
AOF, la chambre d’homologation était chargée de veiller à la juste application de la
législation locale. Il devient très clair que la pratique coloniale avait subtilement organisé la
promotion d’une annulation dans l’intérêt de la loi. C’est dire que la chambre d’homologation
était aussi et surtout une juridiction à vocation juridique.
C'est ici que la chambre d’homologation recouvre tout son empire quant à la politique
législative de la France coloniale: la réforme des coutumes.
En effet, par l'institution d'un organe de contrôle unique au siège du gouvernement général, il
s'agit d'impulser une cohésion d’ensemble relativement au volume et à la qualité des
coutumes des différentes colonies du groupe.
Dans la réalisation de ce projet, il peut-être relevé deux (02) niveaux de réformes: une
réforme quantitative et une réforme qualitative.
Dans la mise en mouvement de la justice indigène, l’impression a été que les coutumes
africaines ne couvraient pas totalement les situations susceptibles d’intéresser le droit et la
justice.
Cette impression s'est accentuée avec le choc des civilisations qui a fait naître des
comportements hybrides. Ils sont la conséquence de transformation de la société autochtone
qui s’est laissé pénétrer de nouvelles mentalités.
La rapide urbanisation, la diffusion de la monnaie, l’émergence de la propriété privée étaient
autant de signes d'une modernisation prématurée des peuples africains. Et cette évolution de
la société et de l'économie africaine a entraîné à son tour la caducité de certaines coutumes et
imposé leur nécessaire mutation.
Le problème s’est posé précisément en ce qui concerne la conformité des coutumes avec les
principes du droit français. En fait, cette évaluation ne doit pas être réduite à une simple
comparaison des deux ordres juridiques compte tenu de la grande différence entre les deux
réalités sociales.
Elle doit surtout être saisie comme une volonté d’expansion en tant que stratégie de
domination politique. Dans ce sens, il convient de relever que c'est en matière pénale que la
rupture de l'équivalence des ordres juridiques est plus manifeste.
Par exemple: les coutumes indigènes plus rigoureuses que les lois françaises dans certains cas
se sont relevées souvent moins sévères dans d'autres.
Certains faits qualifiés de crimes en droit français ne sont que délits ou totalement inconnus
des indigènes. Il en est ainsi des faits menaçant l’équilibre sociale comme l’adultère, la
diffamation, la prostitution, la calomnie, etc. il en est ainsi aussi des atteintes à la santé et à la
tranquillité publique telles que le tapage nocturne, le vagabondage, les infractions à la
salubrité publique, etc.
Il faut ajouter que certains faits qualifiés délits ou crimes en droit français ne se résolvaient
que par une simple condamnation pécuniaire. Tel est le cas par exemple du crime de viol, de
la pédophilie, de la l’anthropophagie, etc.
L’administration coloniale a su profiter de cet état de fait en organisant une évolution orientée
résolument vers le maintien de l'ordre et la soumission des peuples. L’idée était à la fin
d'arriver le plus largement possible à envisager des cas d’infractions suivant un impératif de
maintien et d’affirmation de l’autorité.
Il en est résulté une sorte d’hémorragie juridique des coutumes au profit du droit
d’importation française. Ce qui a conduit au lendemain de la seconde Guerre Mondiale a une
substitution prématurée du système juridique occidental au système juridique indigène
qualifié de pierre qualité.
Ce qui était reproché aux coutumes indigènes, c'est qu'elles manqueraient de clarté, de
précision et de méthode. Il a donc fallu aller vers une véritable législation pour dégager des
règles qui revêtiront tous les caractères d'une loi.
C'est ainsi que la centralisation des coutumes a été accompagnée d’un effort de formulation
scientifique c’est-à-dire de requalification juridique.
Mais, il faut dire que dans ce travail, le constat a été que c'est en matière pénale que les
coutumes ont été regardées comme les plus arriérées. C'est donc sur elles qu'ont porté le
principal effort de redressement et l'action réformatrice la plus soutenue.
Une telle entreprise a fini par déboucher sur une distinction plus nette entre les différents
degrés d’infractions. Plus encore, il s’était imprégné des coutumes pénales indigènes les
caractères essentiels du droit criminel français.
C'est ainsi que la réforme introduite par le décret du 06 Mai 1912 avait consacré la généralité
du droit pénal c’est-à-dire que la coutume pénale devait s’appliquer sans exception de
personne; la personnalité de la peine c’est-à-dire que la peine sera uniquement appliquée à
l'auteur de l’infraction; le principe du non cumul des peines qui signifie que si un individu
s'est rendu coupable de nombreuses infractions, les peines ne se cumulent pas.
Enfin, il a été décidé qu'il doit être fait une plus sérieuse application du principe de la légalité
pénale et que la détermination d'une infraction doit dépendre de la combinaison de 3 éléments
(l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral).
Ainsi, assainir est passé au filtre de la civilisation, ces coutumes codifiées et retournées au
tribunal indigènes serviront au juge une référence législative plus adaptée à la politique
coloniale. De ce point de vue, il faut noter que dans ce jeu d'expansion juridique, un droit
nouveau était mis en pépinière. En effet, la chambre d'homologation est à regarder comme un
véritable laboratoire d'expérimentation d'un droit spécial, un droit à mi-chemin entre les
traditions africaines et la culture juridique française. Malheureusement, ce droit est resté dans
un état de brouillon et devait s'imposer en héritage au législateur Africain des indépendances.
Il suffit pour s'en convaincre de considérer la caricature des côtes modernes des pays africains
parvenus à leur indépendance. Ces côtes souffrent visiblement de cet amalgame qui donne
aux meilleures œuvres l'apparence de simples décors de bibliothèque ou de vains débats
d'université.