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UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP UCAD/SESSION

Cours: HISTOIRE DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES 2020–2021

Prof: Dr. Seydi

Cohorte B
INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le principe moteur du programme et de l’esprit du système lmd nous inspire deux


préoccupations précises.
C’est d’une part, que les facultés de droit ont obligation de fournir à leurs étudiants une solide
culture générale de caractère social basée sur l’enseignement du droit et de l’économie
politique en même temps qu’une formation mieux orientée à leurs futures professions.
C’est d’autre part, que ce système ouvre la voie à une plus grande mobilité du savoir dans le
temps et dans l’espace. De là, se comprend aisément la place que doit y occuper l’approche
historique. Cette approche ne doit cependant pas être saisie comme un simple répertoire des
faits historiques, ni comme un réquisitoire à tendance nationaliste. Cette approche est avant
tout une exploration, une explication et une projection. Ses vérités qui s’imposent avec forces
à l’étude du droit deviennent encore plus pressantes pour aborder l’examen de l’histoire des
institutions judiciaires. Il en est ainsi, parce que ses institutions constituent aussi bien le
miroir de la société que la scène sur laquelle se joue en dernier ressort le destin des lois.
En Afrique, c’est un double déterminisme issu de la résistance des traditions negro-africaine
et du choc des civilisations qui explique la trajectoire historique des institutions judiciaires.
Les institutions judiciaires peuvent être définies comme l’ensemble des organes (tribunaux,
cours et conseils) d’un État investi de la mission de dire le droit c’est-à-dire de juger les
litiges, de rendre la justice.
Les institutions judiciaires telles qu’elles sont formulées au Sénégal ne sont qu’une
reproduction des institutions judiciaires générer par les traditions républicaines françaises. Il
est vrai que la justice n’était pas inconnue de l’Afrique authentique. L’Etat égyptien de
l’antiquité avait développé une organisation judiciaire riche et variée dans le cadre de la
consolidation de son état de droit. Le moyen âge ouest-africain connaissait un roi souverain,
justicier ou à défaut, des personnes initiées qui faisaient figure de juge. Généralement, dans
les sociétés negro-africaines, il existait un système judiciaire suffisamment pertinent et
approprié à leurs réalités. Mais, une série d’obstacles se dresse contre l’analyse de ses
séquences de l’histoire africaine.
D’abord, il s’agit d’un domaine qui était largement dépendant de l’univers métaphysique,
ensuite, la documentation pour ses époques manque terriblement.
Enfin, du jour où la France a opéré une prise de possession territoriale détective en Afrique
et qu’à l’autorité traditionnelle africaine s’est substitué l’autorité coloniale, ses institutions
ont soit disparu, soit relégué au second plan.
En revanche, les dix-neuvième et vingtième siècle Ouest-African ont l’avantage d’être
porteur d’une documentation suffisante et rationnellement organique pour servir des sources
fiables dans la reconstruction d’une histoire des institutions judiciaires au Sénégal.
Il faut dans ce sens signaler, que dans son aventure impériale, la France a dû transposer son
système judiciaire qui devait progressivement remplacer le système judiciaire africain. La
version coloniale du système français de distribution de la justice, présente un certain nombre
de particularités. Cette version est marquée par une certaine prépondérance de l’exécutif sur
le judiciaire. C’était là une préfiguration des institutions judiciaires issues des indépendances,
qui vont par la suite connaître de nombreuses réformes et qui vont les partager de 1957 à 2000
entre continuité et changement sans jamais rompre définitivement avec le système colonial.
Dans le système colonial français, il est observé une justice à deux vitesses suivant la qualité
du justiciable. Il est observé une justice dite française réservée aux européens et ceux qui
leurs sont assimilés (chapitre 1). Il est observé aussi une justice dite indigène réservée aux
africains qui n’avait pas bénéficié de la citoyenneté (chapitre 2).

BIBLIOGRAPHIE

SALIOU MBAYE, Histoire des institutions contemporaines du Sénégal de 1956 à 2000


ABDOURAHMANE DIOP, les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire au Sénégal
CHEIKH ANTA DIOP, antériorité des civilisations nègres: mythe ou vérité historique
SÉRIGNE DIOP, la justice du politique au Sénégal
PIERRE DARESTE, quelques aspects du problème judiciaire aux colonies, Dareste, 1934, Tome 37, pages
72 et suivants

Chapitre 1: la justice française

Les textes fondamentaux en matière de justice française en AOF, sont les décrets du 16
Novembre 1916, du 22 Août 1928, du 22 Juillet 1939, du 16 Janvier 1947 et du 05 Janvier 1954.
En vertu de ses textes, la justice française est composée de juridictions copiées sur le modèle
de la métropole. Comme son nom l’indique, elle intéresse en principe une catégorie de
justiciables citoyens français ou considérée comme telle. En AOF, c’est une combinaison de
facteurs qui a imposé le recours à une organisation judiciaire conforme aux modèles
républicains. La fidélité aux principes républicains, les enjeux stratégiques de la politique
coloniale, l’attention particulière de la société internationale vis-à-vis de la question coloniale
conjuguée à la protection des intérêts des ressortissants européens pourraient justifier cette
option. Ce sont les mêmes impératifs qui avaient amené le colonisateur français à s’arrêter
tout spécialement, sur la qualité de ceux à qui était confiée la mission de juger. Dans ces
conditions, il nous semble que l’analyse des institutions judiciaires dans notre contexte, ne
saurait être réduite à la simple énumération de compétences et d’attributions.
Dès lors, il est judicieux de s’intéresser d’abord, à la ressource lui-même employée pour le
service judiciaire, avant de voir les particularités de l’organisation et du fonctionnement de
celui-ci.

Section 1: Le personnel de la justice

Le personnel de la justice correspond à l’ensemble des hommes chargés d’assurer le


service dans les instances judiciaires. Ce personnel est nombreux et varié, et associe les
officiers ministériels et publics et les magistrats.
En France, la qualité de magistrat s’applique à toute personne revêtue d’un office, dont la
fonction consiste à rendre la justice. En AOF cependant, le terme magistrat traduit, au-delà
d’une simple fonction, une vocation assortie de conditions nombreuses et spéciales. Ces
conditions se trouvent résumées dans les modalités d’accès à la magistrature (paragraph 1),
mais, encore une fois en fonction, il est apporté aux jeunes magistrats une formation
appropriée pour leurs confirmations (paragraph 2).

Paragraph 1: les modalités d’accès à la magistrature coloniale

Ce sont des exigences, combinaisons de calculs politiques et de besoins réels de justice


qui ont justifié l’intention de conditions très rigoureuses dans le recrutement de la
magistrature. Ces conditions sont en relation avec une préparation académique de haut niveau
d’une part et avec une pratique assidue des affaires judiciaires d’autre part.

A)- la nécessité d’une compétence académique

Il faut soigneusement distinguer, la formation proprement académique qui est


sanctionnée par une licence en droit de la formation professionnelle qui la complète et dont
l’accès est lié à un concours professionnel organisé par la section magistrature de l’école
coloniale.

1)- La nécessité d’un diplôme universitaire: la licence en droit

Dans la politique d’un recrutement des magistrats coloniaux, il y avait une phase
préliminaire qui correspond à l’acquisition d’une culture juridique double d’une culture
générale et d’une instruction complète. C’est la phase universitaire comportant des études en
droit dont le minimum était la licence. Il faut rechercher le fondement juridique de cette
condition dans l’article 87 alinéa 02 du décret du 10 Novembre 1903 qui dispose : « nul ne peut
être appelé à un emploi de début dans la magistrature, s’il n’est licencié en droit.» Cette
condition a été réitérée par la disposition d’un décret de 1928 notamment en ses articles 09 à
17. Les réformes qui ont suivi, surtout celles opérées par le décret du 07 Avril 1938, se sont
maintenues dans cette tradition en affirmant avec plus de force. L’importance des études en
droit n’est pas à démontrer. C’est ici que, pendant un certain temps, l’étudiant a acquis les
aptitudes scientifiques nécessaires, le raisonnement juridique pour aspirer à la profession de
magistrat. Les domaines aussi variés que le droit, l’économie, la sociologie, l’histoire y sont
enseignés et y font à la fin, l’objet d’une évaluation suivant une démarche propre à la
discipline juridique.
Toutefois, les titres de licence que l’étudiant en obtenait devrait être plutôt regardé comme
une permission de se livrer à l’étude de droit que comme une preuve de leurs savoirs réels.
C’est pourquoi, cette première phase devait être complétée par le passage dans une école
professionnelle, passage sanctionné par un concours.

2)- La nécessité d’un diplôme professionnel

Dans la politique française de colonisation, il a été créé une école qui préparait les
européens destinés à une carrière coloniale. Au sein de cette école, se trouve une section
spéciale de préparation à la magistrature. C’est la nécessité de promouvoir une sélection pour
les fonctions judiciaires qui a poussé l’autorité coloniale, par un décret du 07 Avril 1905, a
institué cette préparatoire à la magistrature dont l’accès est exclusivement réservé aux
licenciés en droit par voie de concours.
Contrairement à ce que l’opinion générale a retenu, ces élèves n’apprennent pas seulement le
colonialisme à l’école. Le rôle de cette école a été très important dans l’orientation de l’action
de la magistrature vers des buts humanitaires. Elle a été pour les futurs magistrats une
occasion de mieux comprendre les peuples colonisés afin de les mieux gouvernés. C’est
suivant ce haut sentiment que la nécessité s’était faite sentir d’enseigner à l’école des cours
de géographie détaillés de l’Afrique, d’histoire de l’Afrique, de système juridique africain, de
droit musulman, de langue negro-africaine et arabe. L’école coloniale a, dans son histoire,
formée plus de 50 promotions en matière de connaissance juridique de base, en matière
d’assimilation des doctrines fondamentales de la colonisation. En 1956, l’africanisation des
cadres prévue par la Loi-cadre de 1958, devrait permettre la formation d’un nombre important
de magistrats africains et malgaches qui constituaient alors l’élite des étudiants et des
fonctionnaires des pays de la France d’outre-mer. En 1958, intervenait la suppression du
recrutement de cette haute école qui restait cependant, au point de vue judiciaire, l’ancêtre de
ce qui allait devenir le centre internationale d’études judiciaires et au point de vue
administratif, l’ancêtre de l’école nationale d’administration et de l’institution de haute étude
d’outre-mer. Mais, la carrière d’un magistrat imposée à être exercée non dans l’ombre d’une
école, mais, dans la vive lumière de pratique de juridiction pour ainsi joindre l’expérience à la
science.

B)- La pratique d’un stage professionnel

Pour s’assurer des aptitudes et de la conduite de ceux qui aspiraient à la profession de


magistrat, le législateur du 10 Novembre 1903, avait prescrit dans son article 87 alinéa 02 que
« nul ne peut être appelé à un emploi de début dans la magistrature, ...s’il n’a fait un stage de
02 ans au barreau ». En réalité, cette formation s’effectue en même temps que la formation
académique. C’est qu’il fallait au magistrat la maîtrise de la science de l’application, la
marche des affaires judiciaires, les règles de la discussion. L’obligation de stage c’était ainsi
donner pour but de façonner de grands hommes de Palais, des hommes qui en connaissent
bien les formalités. Le passage au barreau, était également perçu comme une occasion offerte
aux futures talents, de s’enrichir d’une expérience pratique et de perfectionner par la
plaidoirie leur élocution. C’est ici, en effet que se forme l’orateur, c’est ici que s’affine l’art
de parler. Il devient donc aisé de concevoir que cette obligation de stage pouvait être
remplacée par un séjour au parquet général de la cour d’appel de Paris où au parquet du
tribunal de la scène. Mais, en plus de ses qualités traditionnelles de la magistrature française,
le futur magistrat avait besoin d’une maîtrise du terrain. C’est suivant cette dernière exigence
qu’en AOF, le diplôme et le stage ont pu être remplacés par plusieurs années de pratique dans
un cabinet d’avoué ou dans un greffe local. Il semble par conséquent, que l’idée ait été
articulée non dans la formalité du stage, mais, dans la démonstration d’une expérience
doublement consommée aussi bien dans les affaires prétoriennes que dans la mise en œuvre
de l’idéologie coloniale. Plus profondément, cette préparation pratique avait la vertu
(l'avantage) de réveiller chez le candidat, certaines sensibilités indispensables à la justice: le
réflexe de défense et d’assistance, l’humanisme. Tout ce potentiel didactique et empirique
devra par la suite faire l’objet d’une évaluation par la voix d’un examen de sortie
conformément à l’article 09 du décret du 22 Août 1928.
Mais, une chose était de bien se préparer à la magistrature, une autre chose était pour le
magistrat de prouver des aptitudes sur le terrain. C’est tout le sens de l'attention portée à
l’encadrement des magistrats en exercice.

Paragraph 2: la nécessité d’un encadrement des magistrats en exercice

Il faut préciser que l’exercice des fonctions judiciaires nécessite de la part de ceux qui y
aspirent, un apprentissage de la carrière, une mise à l’ouvrage. Plus encore pour la carrière
coloniale, le magistrat devait être accompagné et encadré. C’est fort de ce constat qu’il est
judicieux d’examiner l’importance attachée à l’encadrement de ceux à qui était confiée la
mission de justice. Dans cette formation, répondra un double objectif d’initiation du magistrat
à la vie coloniale et de préservation des qualités morales et techniques nécessaires au service
de la justice, il peut-être distingué deux voies: une voie officielle de formation (A) et des
officieuses de formation (B).

A)- la voie officielle de formation du magistrat coloniale

Les magistrats coloniaux, malgré l’effort apporté à leur préparation étaient souvent
confrontés à toutes sortes de difficultés. C’est en solution à ce problème, que l’autorité
coloniale s’était résolue à planifier un cadre approprié aux perfectionnements de la ressource
humaine judiciaire. La maturation de cette pédagogie trouve sa consécration dans une
institution particulière prévue par le décret du 22 Août 1928 en ces articles 113 à 116. Cette
institution était appelée attachée au parquet général. Elle est une institution d’encadrement
des magistrats mis à la disposition du procureur général, chef du service judiciaire, qui
pouvait les employer librement dans son service. C’est ainsi que cette institution visant au
départ à donner de la souplesse à la répartition du personnel judiciaire entre les ressorts de la
cour d’appel, avait fini par devenir une section de préparation de magistrats expérimentés.

B)- les voies officieuses de formation du personnel judiciaire

Il s’agit d’abord, d’examiner les instructions adressées par le procureur général au


magistrat relativement à l’exercice de leur fonction. Il s’agit ensuite, de parler des audiences
solennelles de rentrée des Cours et Tribunaux appelées Mercuriales.

1)- Les instructions des autorités judiciaires

Ces instructions ont été d’un intérêt capital dans la compréhension et dans l’application
du droit colonial. Elles consistaient notamment à livrer aux membres de l’ordre judiciaire des
indications nécessaires à la connaissance du pays dont ils ont la juridiction. Mais surtout, en
marge de ses consignes de bonnes justice, les instructions comportaient de véritables leçons
de vies utiles aux magistrats aussi bien dans sa vie professionnelle que dans sa vie
personnelle. Ses notes de services avaient donc le double avantage de s’assurer que le jeune
magistrat affecté dans un milieu qu’il ignorait n’était pas laissé à lui-même et de témoigner
un soutien nécessaire à sa formation.
D’ailleurs, cet effort de redressement avait été appuyé par la fréquence d’inspections qui
permettait à l'autorité judiciaire de se rendre compte lui-même et sur place de la situation de
son service et celle des hommes.
L’autorité judiciaire ira encore plus loin avec ce rôle de formateur et c’était pour s’attribuer la
mission à l’occasion des audiences solennelles de tenir un discours d’encadrement aux
magistrats.

2)- Les audiences solennelles

Elles sont aussi appelées Mercuriales et consiste en une réflexion sur un sujet édifiant
destiné à encourager les magistrats dans l’exercice de leur fonction. En AOF, ces audiences
avaient servi d’occasion pour le redressement et l’orientation de la conduite des magistrats;
c’était également une occasion à formation civique et politique. Au Sénégal, c’était une
invitation du ministre de la Marine et des colonies adressé au chef du service judiciaire, qui
avait exigé l’envoi de ses discours d’entrée à son département comme le signe d’une
nécessité à la fois stratégique et didactique. Au total, il peut-être vu dans cette initiation de la
magistrature coloniale, non pas une simple formalité, mais, un réel besoin de disposer d’un
personnel de qualité gage d’une institution judiciaire également de qualité. C’est donc ce
capital humain hautement préparé et rigoureusement sélectionné qui sera investi dans la mise
en mouvement de toute l’organisation judiciaire.

Section 2: la nomenclature des juridictions française

Dans la mise en place d’une organisation judiciaire régulière en AOF, le principe a été
celui de la séparation des fonctions administratives et judiciaires consacré par la loi française
des 16 et 24 Août 1790. En vertu de cette règle, les litiges relatifs aux fonctionnement des
services publiques doivent échapper aux tribunaux judiciaires. De tels litiges relèvent de la
connaissance du juridiction spéciale. Dès lors, dans la classification des juridictions en AOF,
il peut-être distingué deux ordres de juridictions; il peut-être distingué des juridictions dites
de l’ordre judiciaire (paragraph 1) et des juridictions de l’ordre administratif (paragraph 2).

Paragraph 1: les juridictions de l’ordre judiciaire

Il y avait certes de la part de la France impériale, une volonté d’instituer dans ses
colonies un cadre judiciaire conforme à la version républicaine. Mais, force est de constater
qu’il était extrêmement difficile de transposer dans l’ordre colonial le système judiciaire
français dans toute sa rigueur. Par conséquent, nous avons affaire à une justice particulière;
particulière quant à son organisation (A) particulière quant à son fonctionnement (B).

A)- une approche particulière de l’organisation judiciaire

La justice française était constituée en juridiction de droit commun, suivant une échelle
très primaire de juridiction. Il en est résulté qu’une telle justice, en plus d’être sommairement
hiérarchisée, était aussi investie d’une compétence générale.

1)- Une hiérarchie judiciaire sommaire

La justice française était organisée d’après le principe du double degré de juridiction


adaptée au contexte colonial. Est ainsi que, il y a été observé des juridictions du premier
degré vaguement élaborées dont certains jugements pouvaient être attaqués devant une
juridiction du second degré: la Cour d’appel.

a)- les juridictions du premier degré

Il y avait au premier degré des justices de paix à compétences étendues. Les unes sont
créées par décrets et sont tenues par un président qui est un magistrat de carrière. Les autres,
créés par le gouverneur général, sont confiés à des administrateurs des cercles. Dans les
territoires où il n’existe de justice de paix à compétences étendu, c’est le tribunal de première
instance qui en joue le rôle. En AOF, il a existé jusqu’à (07) tribunaux de première instance.
Il faut ajouter qu’à partir de 1946 un décret du 09 Novembre a institué des justices de paix à
compétences correctionnelles limitées en compensation de la suppression de l’indigénat, qui
était alors régi extra-judiciairement.
A ces tribunaux ordinaires, il faut ajouter les cours d’assise appelées encore cours
criminelles, instituées pour la connaissance des crimes. C’est pour se singulariser par le fait
qu’elle ne comportait pas l’institution du jury.
Il faut remarquer en revanche, que les cours d’assise coloniale, en plus des magistrats de la
Cour d'appel, était aussi composée d’assesseurs pour conseiller les magistrats.
Les décisions rendues par ses cours comme d’ailleurs, celles de toutes les juridictions dont
nous venons de parler, étaient susceptibles d’être attaquées devant la juridiction du second
degré.

b)- la juridiction du second degré: la cour d’appel de l’AOF

La Cour d’appel de l’AOF, a dans son histoire, était d’abord un conseil colonial avant de
devenir une véritable cour basée à St-Louis. Le transfert de son siège à Dakar a eu lieu par un
arrêté du 23 Juin 1906, entré en vigueur le 15 Juillet 1906.
Cette juridiction d’appel, avait la particularité d’être doublement spécialisée, en ce sens que
les recours portés devant elle cheminaient par deux voies parallèles. Ainsi, la Cour d’appel
était juridiction d’appel de toutes les décisions en premier ressort par les tribunaux du premier
degré.
La même Cour a été érigée en juridiction de contrôle pour connaître du recours en annulation
contre tous les jugements rendus en premier et dernier ressort, mais seulement, pour excès de
pouvoir, incompétence, violation de la loi.
Cette fonction d’annulation de la Cour d’appel, doit être comprise comme une mesure de
déconcentration judiciaire, du fait de l’éloignement du siège de la Cour de Cassation basé à
Paris. Elle est aussi à comprendre comme une volonté d’établir une place, un contrôle
supérieur de légalité des jugements rendus dans des affaires ne présentant pas une grande
importance.
Mais, il faut préciser que l’évolution avait conduit, avec le décret du 11 Avril 1951 à la
disparition de cette dualité. Les champs de compétences de la Cour d’appel de l’AOF a ainsi
été disloqué et ramené à sa stricte dimension de juridiction d’appel. Par le même décret, son
ressort territorial connaissait un repli autour des colonies limitrophes de Dakar qui en été le
siège. Le reste de la fédération était judiciairement polarisé autour d’une nouvelle Cour
d’appel basée à Abidjan. Désormais, tous les recours en annulation étaient portés devant la
Cour de Cassation.
En définitive, nous retiendrons que la justice française en Afrique occidentale, était d’une
articulation caricaturale, puisque son organisation ne répondait que très imparfaitement aux
principes en la matière. La détermination des compétences devait d’ailleurs connaître le
même sort.

2)- Une détermination confuse des compétences

La justice française était caractérisée à la base par la polyvalence de ses juridictions.


Cette polyvalence se traduisait par une extension de la compétence matérielle, aussi bien que
de la compétence personnelle.

a)- l’extension de la compétence matérielle

Les juridictions françaises avaient une compétence matérielle générale, c’est-à-dire


qu’elle avait pouvoir pour juger en toute matière.
Par exemple: les justices de paix à compétences étendues tenant lieu de tribunal du premier
degré, concurrent avec les tribunaux de première instance, disposer de toutes les attributions
en matière civile comme en matière pénale. Concrètement, ces juridictions prononcées en
premier et dernier ressort sur les actions en matière civiles et commerciales dont l’évaluation
était inférieure à (90.000 francs); en premier ressort seulement, est donc à charge d’appel
devant la Cour d’appel, sur les actions évaluées au-dessus de (90.000 francs).
En matière correctionnelle, conformément au décret du 06 Mars 1877, relatif à l’application
du code pénal au Sénégal, ces tribunaux connaissaient des délits et contraventions. Elles en
avaient connaissance en premier et dernier ressort, lorsque la peine contraventionnelle
prononcée est inférieure ou égale à 5 jours d’emprisonnement ou 1200 fcfa d’amende.
Mais, lorsque la peine contraventionnelle dépasse ses chiffres, la voie de l’appel reste active.
C’est dire en définitive, qu’au premier degré, les juridictions françaises avaient compétences
pour statuer sur tout type de litiges et en toutes matières. L’idée était d’arriver à instituer des
juridictions simples, faciles d’accès, gratuites et qui fonctionnaient avec rapidité.

b)- une extension de la compétence personnelle

En principe, les juridictions françaises n’étaient compétentes qu’à l’égard de citoyens à


l’exclusion des indignés.
Cependant, il arrive qu’un indigène soit parfaitement justiciable de la juridiction française.
En effet, la compétence des tribunaux français peut s’imposer d’office à l’indigène. C’est le
cas de tous les litiges dans lesquelles l’indigène est partie conjointement ou concurremment
avec un justiciable citoyen. La compétence des tribunaux français est également automatique
dans leur ressort territorial en matière pénale en vertu du principe de la territorialité qui
s’imposait naturellement à celui de la personnalité de juridiction.
Les juridictions françaises pouvaient par ailleurs être compétentes, du fait de la volonté des
justiciables indigènes: c’est l’option de juridiction.
Ainsi, en matière civile et commerciale, (pénale exclut) les parties indigènes pouvaient d’un
commun accord réclamer le bénéfice de la juridiction française.
Les justiciables indigènes pouvaient aussi, en vertu du décret du 02 Mai 1906 contourner leur
propre législation et d’un commun accord, déclarer placé leur litige sous l’empire de la loi
française. C’est ce qu’il était convenu d’appeler l’option de législation qui entraînait
automatiquement la compétence du tribunal français. L’explication d’une telle dérogation est
à rechercher dans le fait que la justice française offrirait une meilleure justice qu’elle offrirait
également plus de garanties plus qu’elle serait une justice de droit égalitaire et équitable.
Mais, il faut dire que cette dérogation n’était que le résultat d’un calcul politique qui avait
affecté la justice française, aussi bien dans son organisation que dans son fonctionnement.

B)- Un fonctionnement déréglé de la justice française

Une pratique a dominé le fonctionnement de la justice française en AOF. C’est l’option


pour une première instance à juge unique. Il serait judicieux de déterminer d’abord, le sens du
principe qui a servi de base à cette pratique dans le contexte colonial avant de voir ses
répercussions sur le plan judiciaire.

1)- Le sens du juge unique

Le principe du juge unique s’oppose dans ses manifestations aux principes de la


collégialité qui est la règle dans la tradition française. La collégialité est un mode de
formation juridictionnelle d’après lequel plusieurs juges examinent (statuent) ensemble une
affaire à laquelle ils donnent ensemble sa solution. La collégialité a été instituée pour donner
plus de sens à une justice équitable et équilibrée en permettant une plus grande objectivité
dans le jugement.
En AOF, ce principe de la collégialité n’a pas été tenu en compte dans le fonctionnement des
instances inférieures (du premier degré).
Dans ces instances, la règle semble avoir été celle du juge unique. On entend par juge unique,
une procédure animée par un seul magistrat qui siège et délibère seul. Ce principe présente un
danger réel quant à la sécurité des justiciables de même que celle des juges dans la mesure où
il est susceptible d'affecter l’impartialité et l’indépendance du procès. C’est pour conjurer
(éviter) un tel danger que les textes avaient prévu notamment en matière pénale de faire
assister le juge par un suppléant et par un procureur. C’est pour la même raison que la cour
d’appel avait échappé à ce principe du juge unique répondait à des impératifs de rapidité et de
simplicité mieux adaptés à une justice de conjoncture. Il s’ajoute des considérations
d’économie de personnels et de finances plus favorable à l’unicité qu’à la collégialité. Cette
mesure d'austérité a pendant longtemps maintenu la justice française dans une situation
d’infériorité numérique dont la solution a semblé se trouver dans un cumul légalisé des
fonctions judiciaires en même temps que dans l’emploi de fonctionnaires de l’ordre
administratif aux lieu et place des magistrats professionnels.
2)- la portée du principe du juge unique

Le principe du juge unique a légitimé deux dérogations particulièrement favorables à la


pratique judiciaire coloniale. Il a servi de fondement à la confusion des fonctions judiciaires.
Il a aussi laissé la voie ouverte à la confusion des fonctions administratives et judiciaires.
Dans le premier cas, la confusion signifie qu’un tribunal était amené à jouer à la fois
plusieurs rôles distincts. Ce qui implique que dans une instance, la même personne était
obligée d’exercer cumulativement des fonctions pourtant bien séparées dans leurs principes.
C’est le cas notamment en matière pénale où le juge assumait seul dans la même cause, les
taches de poursuites, d’instructions et de jugements.
Dans le second cas, la confusion renvoie à une immixtion de l’administration dans le
domaine judiciaire.
Cette immixtion peut être appréciée à deux niveaux. Parfois, des fonctionnaires de l’ordre
administratif entrent naturellement dans la composition des tribunaux, afin de suppléer les
magistrats en cas de besoins.
D’autre fois, ses mêmes fonctionnaires se substituent purement et simplement aux magistrats
dans l’exercice de leur fonction. Il en était ainsi des juridictions de première instance qui
étaient présidées en principe par des magistrats de l’ordre judiciaire, mais, le gouverneur
général pouvait par arrêté instituer des tribunaux et en confier la présidence à un commandant
de cercle ou tout autre agent de l’administration.
Cette atteinte aux principes de la séparation du pouvoir a été rendue possible en AOF par le
secours d’un autre principe également sacré en matière coloniale, celui de la spécialité de la
colonie qui a servi de fondements à toutes sortes de dérogations perceptibles au niveau des
juridictions de l’ordre administratif.

Paragraph 2: les juridictions de l’ordre administratif

En AOF, conformément aux principes de la séparation des fonctions administratives et


judiciaires, les litiges de l’administration relevaient de juridictions spécialisées, représentées
par le conseil du contentieux administratif basé à Dakar et le conseil d’état établi à Paris. Il
faut surtout retenir, que si le conseil du contentieux administratif a été institué conformément
aux modèles métropolitains des juridictions administratives, il n’en reste pas moins diffèrent
aussi quant à son organisation (A) que quant à l’étendue de ses attributions (B).

A)- l’organisation du conseil du contentieux administratif

Deux étapes sont à distinguer dans cette organisation: il y’a une organisation primitive
qui avait vue la présence massive de fonctionnaires de l’ordre administratif dans la
composition du conseil du contentieux administratif (1), il y’a aussi, par l’effet d’une série de
réformes intervenues à ce sujet une organisation plus régulière (2).

1)- Le mode primitif d’organisation du conseil du contentieux administratif

Ce mode a été consacré par les décrets du 05 Août 1881 et du 07 Septembre 1881. En
vertu de ses textes, le conseil du contentieux se constitue par un simple élargissement du
conseil privé de l’AOF.
Conformément à ces textes, le conseil comprend: le gouverneur général qui en est le
président, les chefs de colonies et deux agents de l’administration active. Le problème avec
une telle organisation, c’est que le gouverneur général de même que les fonctionnaires qui les
assistaient étaient tous membres de l’administration. Or justement, les litiges que pouvaient
connaître ce conseil intéressaient directement l’administration. Par conséquent, une telle
organisation faisait des membres du conseil juges et parties. Il s' ajoute que le gouverneur
général président du conseil était le supérieur hiérarchique de ceux qui composaient le
conseil, ceux qui avaient pour conséquence, d’entacher l’impartialité et l’indépendance du
tribunal. C’est pour cette raison là, que des réformes ont été initiées tendant à organiser le
conseil du contentieux administratif suivant un nouveau style.

2)- Le nouveau mode d’organisation du conseil du contentieux administratif

L’essentiel des innovations introduite par des réformes, avait porté sur la composition du
conseil du contentieux administratif. C’est ainsi que la juridiction administrative a été
entièrement séparée du conseil privé du gouverneur général. Elle ne comprend désormais que
trois à cinq membres et pour s’assurer de la valeur de ses membres, il a été fait recours à des
magistrats de l’ordre judiciaire.
De plus, désormais le conseil du contentieux est présidé non plus par le gouverneur, mais, par
un magistrat de la Cour d’appel assisté de deux conseillers spécialisés dans la matière. Cette
spécialisation était relative à la nécessité d’avoir été non seulement licencié en droit, mais
encore d’avoir capitaliser dix années de service effectif dans la carrière de magistrat dont
deux en AOF.

B)- les attributions du conseil du contentieux administratif

Le conseil du contentieux administratif colonial peut-être assimilé au conseil de


préfecture de la métropole.
En France, ces juridictions locales du contentieux administratif ne pouvaient statuer que sur
les litiges qui leurs étaient déférés par un texte spécial. On d’attribution particulière. En AOF
cependant, le conseil du contentieux, en plus de ses attributions particulières était aussi doté
d'attributions générales.
1)- Les attributions particulières du conseil du contentieux administratif

Pour comprendre ces attributions, il faut s’intéresser aux dispositions du décret du 07


Septembre 1881. Ces dispositions énumèrent limitativement les matières dont la connaissance
était spécialement réservée au conseil du contentieux administratif. Les compétences
particulières du conseil s’exerçaient notamment à l’égard des contestataires entre
l’administration et les entrepreneurs qui avaient passé des marchés avec le gouvernement,
concernant le sens ou l’exécution des clauses de ses marchés.
Ces compétences s’exerçaient aussi à l’égard des réclamations des particuliers présumés
victimes de torts ou de dommages provenant du fait personnel des entrepreneurs à l’occasion
de l’exécution de marchés publics.
La compétence particulière s’exerçait particulièrement envers les demandes de contestation
concernant les indemnités due aux particuliers en raison de dommages causés à leurs biens,....
Ce qui était remarquable par rapport à ses attributions particulières du conseil du contentieux
administratif, c’est que les textes n’avaient fait aucunes distinctions suivant la collectivité
publique qui se trouvait en cause.
Par conséquent, lorsque le conseil du contentieux statue en vertu de ses attributions
particulières, sa compétence déborde les limites de son ressort territorial; elle s’étend même
aux affaires qui intéressaient l’État français. Il en est autrement de ses attributions générales.

2)- Les attributions générales du conseil du contentieux administratif

Pour ce qui est des attributions générales, il est judicieux de distinguer la compétence du
conseil du contentieux administratif à l’égard du contentieux de pleine juridiction (plein
contentieux) de sa compétence à l’égard du contentieux de l’excès du pouvoir.

a)- la compétence générale à l’égard du contentieux de pleine juridiction

D’après les dispositions du décret du 07 Septembre 1881, le conseil du contentieux,


connaît en général du contentieux administratif dont il pouvait être saisi directement sans avis
préalable de l’administration. Il s’agissait précisément des litiges d’ordre administratif élevés
à l’occasion d’un acte passé au nom du gouvernement Sénégal où naît de l’exécution d’un
service public dépendant du pouvoir général. Mais, il faut dire que cette compétence générale
était limitée exclusivement au contentieux local. Elles ne s’étendaient donc pas aux
contentieux administratifs de l'État français, lequel relevait du conseil d'État. C’est ce qui
ressort de la jurisprudence Zulemaro en vertu de laquelle « l’attribution générale de
compétences ne pouvait porter que sur le contentieux local. C’est-à-dire qu’elle est
circonscrite dans la limite territoriale dans la colonie intéressée, qu’elle n’est donc pas
appliquée au contentieux de l’État.»
Ce contentieux est connu du conseil d’État, juge d’appel des décisions du conseil du
contentieux, juge de l’excès de pouvoir par ailleurs.

b)- la compétence générale à l’égard du recours à l’excès de pouvoirs

Il faut dire que le recours pour excès de pouvoirs échappait en principe à la compétence
du conseil du contentieux administratif, sans distinction des actes émanant des autorités de
l’État et des actes émanant des autorités locales. C’est le conseil d’État qui est juge de droit
commun du recours pour excès de pouvoirs, quelle que soit la collectivité publique en cause.
Cependant, une ordonnance du 31 Juillet 1945, en son article 45 est venue attribuer au conseil
du contentieux administratif la compétence en matière d’excès de pouvoirs. C’est ainsi que le
conseil du contentieux administratif a pu connaître des litiges d’ordre individuel concernant
les droits et obligations des fonctionnaires locaux qu’ils soient attachés au gouvernement
général ou à l’État. C’est dire que le conseil du contentieux administratif avait compétence
pour statuer sur les demandes en annulation dirigées contre les actes administratifs
individuels relatifs au statut de ses fonctionnaires.

Chapitre 2: la justice indigène ou justice de droit local

La justice indigène est réservée en principe aux indigènes et aux citoyens de statut
indigène c’est-à-dire les citoyens qui ont conservé leur statut personnel. C’est d’ailleurs pour
cette raison, qu’il a été préféré la formule de justice de droit local à celle de justice indigène.
Cette justice a été organisée pour la première fois sur des bases régulières par le décret du 10
Novembre 1903. Elle a été remaniée à plusieurs reprises par la suite par une série de réformes
allant dans le sens de la consolidation de sa spécificité. Cet état d’exception aura duré
jusqu’en 1946 date à laquelle un décret du 30 Avril est venu faire de tous des justiciables de la
justice française au moins sur le plan pénal. La spécificité dont il est question est en relation
avec la contradiction des principes qui sous-tendait la justice indigène. Dans une telle justice,
il était demandé aux juges spéciaux de n’appliquer aux indigènes que leurs coutumes et ce, en
toutes matières. Mais, dans le même temps, il leur a été demandé de vérifier la conformité de
ses coutumes avec les valeurs de la civilisation française. La justice indigène a ainsi été
caractérisée par la recherche désespérée de l’équilibre entre ses deux principes moteurs de
l’action coloniale. Il en est résulté une organisation très réaliste qui offrirait l’image d’une
justice partagée entre libéralisme à la base (section1) et professionnalisme au sommet
(section 2).

Section 1: la Justice indigène (une justice libérale à la base)

S’agissant des justiciables de statut indigène, il a paru judicieux de soumettre leur litige
non à des tribunaux de type métropolitain, mais, à des tribunaux spéciaux ayant un aspect
différent. Dans cette justice, le mot d’ordre semble avoir été de toujours atteindre les objectifs
politiques sans se soucier des formes traditionnelles d’organisation judiciaire. Ce qui fait, que
dans le déroulement de la procédure, il y avait une primauté de l’ordre public sur le droit.
Mais, il faut remarquer, que cette volonté de libéraliser la justice indigène n’était pas soumise
aux mêmes méthodes selon qu’on était en présence de la matière civile (paragraph 1) ou de la
matière pénale (paragraph 2).

Paragraph 1: la matière civile

C’est en matière civile que le principe du respect des coutumes indigènes a connu sa
consécration la plus complète. Or, en cette matière, il était indiscutable que les indigènes
connaissaient mieux que les juges français leurs traditions ancestrales et les particularités de
leur propre existence.
Par conséquent, il y avait un maintien exprès de la configuration judiciaire traditionnelle
africaine au degré inférieur de la hiérarchie judiciaire. Il s’agissait en l’occurrence des
tribunaux de conciliation dont la fonction était purement conciliatrice (A) et des tribunaux
musulman avec une compétence civile limitée (B)

A)- le tribunal de conciliation

Dès le départ, le constat a été que les juges indigènes avaient l’avantage de la
connaissance de la langue, des coutumes et des mentalités africaines. C’est cela précisément,
qui avait justifié l’élection des villages en chef lieu de juridiction. Le tribunal de village était
présidé par le chef de village, notable de statut indigène et assistait d’un Conseil également de
statut indigène. Cette fonction de président du tribunal de village a initialement été occupée
par des notables librement choisis par les parties et qui l'exerçaient sur la base de leurs
connaissances, leurs expériences et leurs moralités.
Ce qu’il faut retenir a ce niveau, c’est qu’une conception héritée de la tradition africaine de
justice avait dominé toute l’organisation judiciaire: la conciliation et l’esprit de dialogue.
La conciliation est un mode de règlement à l’amiable des litiges entre les parties. Elle est une
voie de contournement de la procédure contentieuse avec laquelle elle poursuit toutefois les
mêmes objectifs de stabilité sociale. En cette matière, dès l’instant que la paix sociale était
réalisée, il était considéré que la justice était faite. Mais, il faut dire que dans la procédure
civile indigéne, si la conciliation avait abordé une marge importante aux tribunaux de village
dans la distribution de la justice, leur décision n’avait qu’une valeur relative. En effet, une
décision rendu sur la base de la conciliation ne liait pas les parties qui avaient toujours la
ressource de recourir à la voie contentieuse, ce qui a fini par faire de la procédure
conciliatoire une simple étape préliminaire devant ce qu’il était convenu d'appeler le tribunal
du premier degré ou du second degré. D’ailleurs, ces derniers étaient tenus à leur tour de
tenter la conciliation avec cette différence qu’en cas de réussite, un procès verbal en sera
dressé et aura force exécutoire. C’est dire qu’il avait une volonté manifeste d’ériger la
conciliation en un mode officiel de règlement des litiges de privé des indigènes pour rester
fidèle à leur tradition. C’est la même volonté qu’on pouvait remarquer dans la composition et
le fonctionnement du tribunal musulman.

B)- Le tribunal musulman

Au Sénégal, le premier tribunal spécialement réservé aux indigènes musulmans a été


institué en 1843 sous le nom de tribunal arbitral, mais c’est en 1857, par un décret du 20 Mai
qu’a été créé un véritable tribunal musulman chargé, suivant une réglementation particulière
de juger les litiges des indigènes musulmans.
Les résultats données par ce tribunal spécial inspirés de l’expérience algérienne, avaient
conduit par la suite à en doter les grands centres musulman de l’AOF.
C’est ainsi, qu’après Saint-Louis et Dakar Rufisque et Kaay seront à leur tour pourvus de
tribunal musulman. Juridiction d’exception rationae et personae, le tribunal musulman était
composé d’un juge unique appelé Cadi qui était assité d’un assesseur suppléant et d’un greffier.
Dans ces juridictions musulmanes, les affaires étaient jugées conformément à la loi
coranique, sauf sur les points ou la coutume prévalait. C’est le cas notamment des questions
qui intéressent la famille.
Les décisions rendues sur la base coranique contrairement à celles rendues sur la base des
coutumes indigènes étaient susceptibles d’appel non devant le tribunal colonial d’appel, mais,
devant la chambre musulmane du tribunal de l’AOF.
En définitive, nous pouvons retenir que le principe du respect des coutumes indigènes avait
favorisé une implication active des indigènes dans la distribution de la justice en matière
civile. Il en est autrement en matière pénale.

Paragraph 2: La justice pénale indigène

C’est surtout en matière pénale, que les différences fondamentales de valeurs


apparaissent entre l’ordre juridique negro-africain et les conceptions juridiques occidentales.
Ce qui avait nécessité l’intervention exclusive des fonctionnaires européens dans la
présidence des tribunaux répressifs. Or justement, conformément aux principes de la légalité
criminelle, principe sacré dans la criminologie française, il n’était possible de prononcer de
peine que dans des limites déterminées et pour des comportements punis expressément à cet
effet. Sous ce rapport précis, le risque était grand de laisser certains faits répréhensibles dans
l’infinité absolue. C’est pour éviter ce péril que d’importants pouvoirs disciplinaires avaient
été remis entre les mains des administrateurs pour réprimer les fautes des indigènes sans
aucune forme de procès.

A)-L’exclusivité de la compétence du commandement locale en matière pénale

En matière répressive, le constat a été que certaines coutumes étaient en contradiction


formelle avec les valeurs de la civilisation française. C’est pour cette raison, que les
juridictions indigènes du premier et du second degré étaient dotées en plus d’une compétence
civile qu’ils disputaient aux tribunaux des villages et aux tribunaux musulmans, une
compétence réservée en matière pénale. Ce qui est remarquable ici, c’est que ces tribunaux
étaient nécessairement et exclusivement présidés par des fonctionnaires de l’administration
locale ou de l’armée. Il faut rappeler dans ce sens que dans la fédération de l’Afrique
Occidentale Française (AOF), il a été procédé à un cadrage de l’échelle de juridiction avec la
division administrative du territoire. Ainsi, à chaque niveau territorial correspondait un
niveau de juridiction. En matière répressive donc, la présidence du tribunal de subdivision
était confiée aux chefs de subdivision. Dans les communes de plein exercice, la présidence du
tribunal en matière pénale est confiée à l’administrateur maire. Tous ces tribunaux étaient
compétents en premier et dernier ressort pour les contraventions et en premier ressort
seulement pour les délits à charge d’appel devant les tribunaux du second degré. Pour ce qui
est des seconds degrés qui siégeaient dans chaque chef lieu de cercle, ils étaient présidés par
le Commandant de cercle ou son adjoint assisté de deux accesseurs de même statut que les
parties et d’un interprète. Les tribunaux du second degré étaient compétents en dernier ressort
pour les délits et premier ressort seulement pour les crimes commis par des indigènes contre
d’autres indigènes dans les limites de leur circonscription. L’appel est porté devant le tribunal
colonial d’appel au chef-lieu de chaque colonie ou devant la chambre d’homologation à
Dakar lorsque les condamnations étaient égales ou supérieures à cinq (05) ans
d’emprisonnement.
Il se voit clairement qu’il y avait en matière pénale une concentration manifeste des pouvoirs
judiciaires et exécutifs entre les mains de l’autorité exécutive mais il semble qu’une telle
mesure était plutôt conforme à l’état d’esprit des indigènes qui ignoraient le principe de la
séparation des pouvoirs. Delà, se comprend mieux l’acceptation du régime politique.

B)- Les pouvoirs disciplinaires des administrateurs

Dans le fonctionnement de la justice indigène en matière pénale, effets pervers du


principe de la légalité criminelle, il y avait une partie entière qui avait échappé à la
compétence des tribunaux et donc la crainte de l’impunité et la volonté d’une répression
immédiate avait nécessité parallèlement à la voie judiciaire le recours à une voie
extrajudiciaire de faire la justice en matière pénale. Cette dernière voie devait conférer aux
administrateurs des pouvoirs disciplinaires importants contre l’indigène. Les administrateurs,
c’est-à-dire les gouverneurs, les commandants de cercle, les chefs de subdivision et tout autre
agent européen jusqu’au plus petit, avaient dans leurs attributions des pouvoirs extrêmement
exhorbitant dans le domaine judiciaire. Ces pouvoirs, ils les tiennent du gouverneur général
qui les tient du Président de la République français. Ces pouvoirs interviennent précisément
dans le domaine de la police, de la salubrité publique et de la sûreté générale. Mais, ce
problème s’était compliqué avec la difficulté d’une délimitation des domaines d’intervention
des deux (02) voies de maintien de l’ordre en matière indigène. Il en est résulté que des
administrateurs en ont souvent profité pour se transformer en législateur pénal ou pour aspirer
purement et simplement la connaissance de faute qui normalement était du ressort de la voie
judiciaire.
Dans ces conditions, l’indigène sujet français privé de tous droits, pouvait être battu,
emprisonné selon les fantaisies des administrateurs le tout sans jugement ni appel.
Il faut cependant préciser que cette dualité voie judiciaire, voie extrajudiciaire a évolué
progressivement dans le sens d’un assouplissement. C’est ainsi, que le décret du 30 Avril
1946 avait supprimé le régime de l’indigénat auquel était substituée la justice de paix à
compétence correctionnelle limitée. Il fallait y voir le début d’une professionnalisation de la
justice indigène, professionnalisation déjà en vigueur dans les juridictions indigènes
supérieures.

Section 2: la justice indigène, une justice professionnelle au sommet

C’est le décret du 10 Novembre 1903 qui a institué auprès de la Cour d’appel de l’AOF,
une instance spéciale pour le contrôle des juridictions indigènes: c’est la chambre
d’homologation. Mais, dans la matérialisation de cette mission de contrôle, il était pas question
de laisser le travail entre les mains d’un non-professionnel encore moins d’indigène. Cet
effort de professionnalisation doit être compris comme la réponse à deux préoccupations
essentielles. C’est d’une part qu’il fallait rendre une meilleure justice aux indigènes
(paragraph 1) et d’autres part qu’il fallait une meilleure connaissance de leur loi pour y arriver
(paragraph 2)

Paragraph 1: La chambre d’homologation, une chambre à vocation judiciaire

C’est en conformité au principe du double degré de juridiction admis dans la tradition


française d’organisation judiciaire qu’une chambre spéciale a été créée en matière indigène
au sein de la Cour d’appel de l’AOF. Toutefois, celle-ci y opérait non pour juger un dernier
ressort comme le ferait une Cour d’appel ordinaire, mais, pour juger des jugements. En
l’occurrence, il s’agissait des décisions des tribunaux de cercle, décisions susceptibles de
recours, soit d’office, soit sur l’initiative des parties. Il en résulte que ces décisions ne
connaissaient pas le même sort devant la haute chambre.
Dans sa connaissance des questions indigènes, cette juridiction supérieure disposait de (02)
options: elle pouvait homologuer purement et simplement le jugement en cause ou l’annuler.

A)- L’homologation

La chambre d’homologation est présidée par le vice-président de la Cour d’appel assisté


de deux (02) conseillers à la Cour, de deux (02) fonctionnaires administratifs et de deux (02)
assesseurs notables indigènes parlant et écrivant français. Les fonctions du Ministère public y
sont exercées par le Procureur Général lui-même ou par un de ses substituts. La chambre
d’homologation a été instituée pour contrôler les juridictions indigènes par la loi ou par le
recours. C’est l’article 12 du décret de 1912 qui a ouvert au justiciable indigène la possibilité de
recourir à la chambre d’homologation. Mais, deux personnes problèmes se posent
particulièrement par rapport à ce bénéfice inattendu.
D’abord, il faut signaler qu’en pratique la possibilité d’appeler des sentences d’un
commandant de cercle ne s’était pas offerte à l’indigène ni pour les mêmes raisons, ni vers les
vers mêmes objectifs qu’en recours ordinaire. C’est en compensation d’un tel inconvénient
que la loi coloniale avait ordonné un recours systématique contre tous les cas qui pourraient
donner lieu à une contestation populaire.
Ensuite, la mentalité des indigènes concevait le magistrat non comme un simple juge, mais, le
chef comme incarnation de toute l’autorité à qui l’on devait respect et obéissance. Et même
lorsque la chambre recevait l’indigène en son recours, l’issue du procès ne lui était jamais
profitable. C’est dire que les indigènes avaient bénéficié d’une faculté de contester les
décisions de justice sans que les résultats de ce recours leur profitent en conséquence.
Cela nous amène à nous interroger sur cette appellation caractéristique de « chambre
d'homologation.» L’homologation en droit civil, correspond à l’approbation judiciaire à laquelle
la loi subordonne certains actes, en vue de leur conférer la force exécutoire des décisions de
justice. Dans le cas qui nous occupe ici, l’homologation consistait à revêtir le caractère
judiciaire des décisions qui n’étaient qu’administratives. En fait, les tribunaux indigènes
n’étaient pas des organes judiciaires à proprement parler, mais des services administratifs
chargés de la distribution de la justice. L’homologation qui devait intervenir par rapport à leur
décision avait pour but de leur donner la force exécutoire nécessaire à leur légitimité Erga
omnes. Et puis une décision du commandant de cercle attaquée par un indigène, discutée et
mise en néant par magistrat, agent de l’Etat serait synonyme d’une remise en cause de toute
l’autorité française face un à un sujet français. Une telle perspective ne pouvait prospérer
dans notre contexte. Alors, l’idée semble avoir été d’arriver par cette stratégie
terminologique, à conditionner l’esprit du magistrat appelé et celui de l’appelant vers une
voie à sens unique: la confirmation de la décision en cause. C’est en solution des effets
visiblement injustes de ce coup de force judiciaire que la loi coloniale a prévu une série de
moyens tendant à corriger les décisions porteuses d’injustice. Il y avait dans la pratique
judiciaire en AOF des voies de correction telles que la réhabilitation, la liberté conditionnelle
et la remise de peines. Il y avait aussi des réparations telles que l’amnistie et la grâce.
C’est dire finalement, que l’homologation des jugements n'écartait pas toute idée de leur
injustice. C’est tout le sens de l’autre option donnée à la chambre d’homologation:
l’annulation.

B)- L’annulation

Lorsqu’une annulation intervient à l’égard d’un jugement pour corriger une injustice,
deux situations différentes peuvent se présenter au juge. La première est relative à
l’annulation avec l’envoi et la seconde à l’annulation avec évocation pour statuer au fond.
1)- L’annulation avec renvoi

Le renvoi a lieu toutes les fois où il est reconnu que le tribunal a manifestement excédé
sa compétence, en connaissant d’une affaire qui relevait d’un autre tribunal par exemple.
Dans ces conditions, lorsque la chambre d’homologation annule le jugement, il le renvoie au
Parquet qui saisit la juridiction compétente conformément à l’article 69 du décret de 1903. Le
renvoi a lieu également sur la base du défaut de l’accomplissement des formalités
substantielles. En AOF, c’est l’article 70 du décret de 1903 qui énumère ces formalités
indispensables à la régularité des jugements. En cas de renvoi, le premier jugement ayant
disparu ipso facto, il incombe au tribunal de juger l’affaire à nouveau. Il arrive également que
l’annulation ne soit que partielle. Dans ce cas, le tribunal saisi du renvoi doit se borner à
statuer conformément aux remarques de la chambre. Il ne lui appartient aucunement de
reconsidérer le jugement dans son intégralité.
En vérité, le renvoi en plus de permettre de gagner du temps, avait aussi l’avantage de donner
une seconde chance au juge négligeant ou injuste de réparer lui-même son injustice. Mais, il
y avait un inconvénient dans cette façon de faire d’autant plus que cet avertissement venant
d’un magistrat était vu par les administrateurs comme une ingérence dans un domaine qui
leur a été réservé par la loi. C’est ainsi qu’il a été admis qu’un jugement lorsqu’il est
manifestement équitable ne doit pas être annulé pour de simples motifs de formalités.
Il faut quand même préciser que lorsque, après renvoi, le tribunal aura rendu un nouveau
jugement, la chambre qui leur reçoit une deuxième fois pourra soit confirmer en
homologuant, soit infirmer en annulant ou en cassant et dans ce dernier cas, l’affaire est
évoquée pour être statuée au fond.

2)- L’évocation

L’évocation est l’obligation imposée à la Cour d’appel lorsqu’elle annule une décision
qui lui a été déférée à la suite d’irrégularité de la procédure suivie en première instance, de
statuer sur le fond de l’affaire. Elle est aussi la faculté accordée dans certains cas à la
chambre d’accusation d’étendre l’information à des faits ou à des personnes qui n’étaient pas
intéressées dans les poursuites. Elle intervient donc dans ces cas là in limine c’est-à-dire avant
tout débat au fond de l’affaire en cause. Et lorsqu’intervient une annulation avec évocation, la
Cour se substitue au tribunal pour statuer elle-même sur l’appel et sur le fond du procès par
une seule et même décision: c’est l’effet dévolutif de l’appel. Exception en droit commun,
cette vocation dévolutif de l’appel a été érigée en principe en AOF. Il fait comprendre ce
dérangement de l’ordre de juridiction comme la manifestation d’une politique de surveillance
et de contrôle immédiat des tribunaux indigènes dont la composition et le fonctionnement ne
permettaient pas une meilleure justice. C’est d’ailleurs pour cette raison que lorsque la
chambre héritait d’une affaire, les parties devaient nécessairement se faire représenter par un
défenseur. Mais, il faut constater pour le regretter que la plupart du temps, l’annulation avec
évocation comme celle avec renvoi n’intervenait que rarement en faveur de l’appelant. L’idée
était articulée dans la crainte qu’une cassation fréquente conduise à fléchir le commandant
local aux yeux des indigènes. Par conséquent, il convient de rechercher les véritables raisons
d’une usurpation ailleurs que dans un souci exclusif de justice. Il fait dans ce sens dire qu’en
AOF, la chambre d’homologation était chargée de veiller à la juste application de la
législation locale. Il devient très clair que la pratique coloniale avait subtilement organisé la
promotion d’une annulation dans l’intérêt de la loi. C’est dire que la chambre d’homologation
était aussi et surtout une juridiction à vocation juridique.

Paragraph 2: La chambre d’homologation, une juridiction à vocation juridique

Le principe du respect des coutumes indigènes consacré par le décret du 10 Novembre


1903 et favorablement reçu dans la doctrine en 1927 par professeur Henri Solus a imprimé à la
chambre d’homologation une vocation orientée vers la coordination des activités de la justice
indigène. Et dans ce rôle de régulation, il y avait visiblement un intérêt particulier sur le plan
législatif. Il s’agissait en l’occurrence de voir si la loi appliquée était celle prévue par les
coutumes d’une part et si elle n’est pas contraire aux valeurs de la civilisation d’autre part.
Un tel projet implique dès lors une meilleure connaissance des coutumes indigènes à
condition de leur reconnaissance, c’est-à-dire de leur admission dans l’ordre juridique
colonial.

A)- La connaissance des coutumes indigènes

La connaissance des coutumes indigènes passe nécessairement par leur recensement.


Mais, il est très difficile de présenter en formule concise l’ethnographie de l’AOF. Plusieurs
ethnies parlant des dialectes divers et appliquant des lois différentes s’y rencontrent. C’est ce
qui avait inspiré l’institution d’un tribunal colonial d’appel appelé aussi tribunal supérieur de
droit local au niveau de chaque chef lieu de colonie. C’est aussi ce qui avait déterminé la
présence obligatoire d’assesseurs de statut indigène dans la composition des juridictions. Ce
travail de recensement avait été complété par les résultats des questionnaires adressés aux
populations indigènes par les soins du gouverneur général. Il y avait un double enjeu
didactique et stratégique à procéder au recensement des coutumes. Cela permettait non
seulement au juge de se faire une idée précise de la règle à appliquer mais aussi de régler
opportunément la question des compétences.
La connaissance des coutumes indigènes obéit aussi à une logique de recherche de points de
convergence entre les diverses et nombreuses coutumes de la fédération. C’est cette volonté
d’unification juridique qui a véritablement justifié l’existence de la seule chambre
d’homologation pour toutes les colonies de la fédération de l’AOF. Il s’agissait par cette
centralisation des jugements indigènes d’arriver à classer plus méthodiquement les coutumes
et dégager un corpus législatif uniforme.
Le produit d’un tel travail devrait servir plus tard à la rédaction en coutumier général,
référence principale en matière de législation indigène. C’est cette même méthode qui sera
retenue par le législateur du Sénégal indépendant dans le projet de confection du code la
famille du Sénégal. En attendant, le colonisateur français lui, n’avait entendu admettre ses
coutumes dans l’ordre juridique officiel qu’à la condition qu’elles fussent conformes aux
valeurs de sa civilisation.

B)- La reconnaissance des conditions coutumes indigènes:

C'est ici que la chambre d’homologation recouvre tout son empire quant à la politique
législative de la France coloniale: la réforme des coutumes.
En effet, par l'institution d'un organe de contrôle unique au siège du gouvernement général, il
s'agit d'impulser une cohésion d’ensemble relativement au volume et à la qualité des
coutumes des différentes colonies du groupe.
Dans la réalisation de ce projet, il peut-être relevé deux (02) niveaux de réformes: une
réforme quantitative et une réforme qualitative.

1)- La réforme quantitative

Dans la mise en mouvement de la justice indigène, l’impression a été que les coutumes
africaines ne couvraient pas totalement les situations susceptibles d’intéresser le droit et la
justice.
Cette impression s'est accentuée avec le choc des civilisations qui a fait naître des
comportements hybrides. Ils sont la conséquence de transformation de la société autochtone
qui s’est laissé pénétrer de nouvelles mentalités.
La rapide urbanisation, la diffusion de la monnaie, l’émergence de la propriété privée étaient
autant de signes d'une modernisation prématurée des peuples africains. Et cette évolution de
la société et de l'économie africaine a entraîné à son tour la caducité de certaines coutumes et
imposé leur nécessaire mutation.
Le problème s’est posé précisément en ce qui concerne la conformité des coutumes avec les
principes du droit français. En fait, cette évaluation ne doit pas être réduite à une simple
comparaison des deux ordres juridiques compte tenu de la grande différence entre les deux
réalités sociales.
Elle doit surtout être saisie comme une volonté d’expansion en tant que stratégie de
domination politique. Dans ce sens, il convient de relever que c'est en matière pénale que la
rupture de l'équivalence des ordres juridiques est plus manifeste.
Par exemple: les coutumes indigènes plus rigoureuses que les lois françaises dans certains cas
se sont relevées souvent moins sévères dans d'autres.
Certains faits qualifiés de crimes en droit français ne sont que délits ou totalement inconnus
des indigènes. Il en est ainsi des faits menaçant l’équilibre sociale comme l’adultère, la
diffamation, la prostitution, la calomnie, etc. il en est ainsi aussi des atteintes à la santé et à la
tranquillité publique telles que le tapage nocturne, le vagabondage, les infractions à la
salubrité publique, etc.
Il faut ajouter que certains faits qualifiés délits ou crimes en droit français ne se résolvaient
que par une simple condamnation pécuniaire. Tel est le cas par exemple du crime de viol, de
la pédophilie, de la l’anthropophagie, etc.
L’administration coloniale a su profiter de cet état de fait en organisant une évolution orientée
résolument vers le maintien de l'ordre et la soumission des peuples. L’idée était à la fin
d'arriver le plus largement possible à envisager des cas d’infractions suivant un impératif de
maintien et d’affirmation de l’autorité.
Il en est résulté une sorte d’hémorragie juridique des coutumes au profit du droit
d’importation française. Ce qui a conduit au lendemain de la seconde Guerre Mondiale a une
substitution prématurée du système juridique occidental au système juridique indigène
qualifié de pierre qualité.

2)-La réforme quantitative

Ce qui était reproché aux coutumes indigènes, c'est qu'elles manqueraient de clarté, de
précision et de méthode. Il a donc fallu aller vers une véritable législation pour dégager des
règles qui revêtiront tous les caractères d'une loi.
C'est ainsi que la centralisation des coutumes a été accompagnée d’un effort de formulation
scientifique c’est-à-dire de requalification juridique.
Mais, il faut dire que dans ce travail, le constat a été que c'est en matière pénale que les
coutumes ont été regardées comme les plus arriérées. C'est donc sur elles qu'ont porté le
principal effort de redressement et l'action réformatrice la plus soutenue.
Une telle entreprise a fini par déboucher sur une distinction plus nette entre les différents
degrés d’infractions. Plus encore, il s’était imprégné des coutumes pénales indigènes les
caractères essentiels du droit criminel français.
C'est ainsi que la réforme introduite par le décret du 06 Mai 1912 avait consacré la généralité
du droit pénal c’est-à-dire que la coutume pénale devait s’appliquer sans exception de
personne; la personnalité de la peine c’est-à-dire que la peine sera uniquement appliquée à
l'auteur de l’infraction; le principe du non cumul des peines qui signifie que si un individu
s'est rendu coupable de nombreuses infractions, les peines ne se cumulent pas.
Enfin, il a été décidé qu'il doit être fait une plus sérieuse application du principe de la légalité
pénale et que la détermination d'une infraction doit dépendre de la combinaison de 3 éléments
(l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral).
Ainsi, assainir est passé au filtre de la civilisation, ces coutumes codifiées et retournées au
tribunal indigènes serviront au juge une référence législative plus adaptée à la politique
coloniale. De ce point de vue, il faut noter que dans ce jeu d'expansion juridique, un droit
nouveau était mis en pépinière. En effet, la chambre d'homologation est à regarder comme un
véritable laboratoire d'expérimentation d'un droit spécial, un droit à mi-chemin entre les
traditions africaines et la culture juridique française. Malheureusement, ce droit est resté dans
un état de brouillon et devait s'imposer en héritage au législateur Africain des indépendances.
Il suffit pour s'en convaincre de considérer la caricature des côtes modernes des pays africains
parvenus à leur indépendance. Ces côtes souffrent visiblement de cet amalgame qui donne
aux meilleures œuvres l'apparence de simples décors de bibliothèque ou de vains débats
d'université.

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