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Journal de la Société des

Africanistes

Cités caravanières de Mauritanie — Tichite et Oualata


Dj. Jacques Meunié

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Meunié Jacques. Cités caravanières de Mauritanie — Tichite et Oualata. In: Journal de la Société des Africanistes, 1957, tome
27, fascicule 1. pp. 19-35;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1957.1879

https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1957_num_27_1_1879

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CITÉS GARAVANIÈRES DE MAURITANIE
TICHITE ET OUALATA í

PAR

Dj. Jacques-Meunié

En Mauritanie méridionale, quelques villages ont conservé des


traditions d'architectures particulières — anciennes cités carava-
nières qui pendant des siècles sont restées les étapes traditionnelles
d'une grande voie saharienne. Ces villages sont situés dans la province
du Tagannt et dans celle du Hodh, à la lisière du monde noir, dans
une région aujourd'hui désertique ; ils s'espacent sur une distance
de sept cents kilomètres environ. Six villages dans le Tagannt dont
Tichite était autrefois la capitale. Deux villages dans le Hodh où
se trouve Oualata qui, jusqu'à une époque récente, eut une renommée
prestigieuse.
La zone, où se trouvent ces villages, forme aujourd'hui la lisière
méridionale du désert — pays de steppes et de savanes au climat
subtropical. Cette zone a une grande unité sur toute son étendue
d'W en E : unité de sol; de climat, de végétation, de faune et de
peuplement, c'est un pays que des frontières naturelles ne viennent
pas fragmenter et différencier en provinces de faible étendue. Une
telle unité veut que les populations de cette vaste région soient
soumises aux mêmes genres de vie, chasseurs, éleveurs et
cultivateurs y vivent depuis des siècles, les uns nomades et souvent pillards,
les autres sédentaires et pacifiques. Les conditions géographiques
paraissent avoir déterminé l'existence : d'une part, d'une classe de
marchands et de leurs, rvilles de commerce où la culture de la terre
avait été peu à peu négligée et où les vivres étaient apportés du
dehors, d'autre part de nomades qui devinrent convoyeurs * des
caravanes de commerce formant *en quelque sorte des corporations
de transport à travers le Sahara.

1. Conférence faite à la Société des Africanistes le 9 novembre 1955.


CITÉS CARAVANIÈRES DE MAURITANIE TIGHTE ET OUALATA - 21

La fréquence des échanges de l'Afrique du Nord ancienne avec le


Sénégal et le Soudan a fait que les influences méditerranéennes se
sont étendues davantage à la Mauritanie du Sud qu'à d'autres régions.
C'est là aussi que les grands empires du Soudan se sont développés
parallèlement ou successivement — Rhana, Mali, Gao — englobant
à plusieurs reprises sous leur domination le Tagannt et le Hodh.
Jadis prospère, le pays est maintenant pauvre et désolé ; l'on a
peine à imaginer l'animation et l'abondance passées de ses cités
caravanières réputées, sur l'une des principales routes sahariennes,
route qui ne cessa d'être fréquentée depuis le haut moyen âge jusqu'à
nos jours. Voie peut-être la pJus célèbre par laquelle se faisaient les
échanges commerciaux de la Méditerranée et de l'Afrique du Nord
avec le Soudan, elle passait par Sijilmassa et l'Adrar, atteignait le
Tagannt, Tichite et Oualata, allant même jusqu'à Tombouctou et
Gao. Par cette voie s'échangeait le sel du Sahara contre l'or du Soudan
et aussi les esclaves.
L'histoire ancienne de Tichite et de Oualata est mal connue.
L'époque de la fondation de Tichite est imprécise, certaines traditions
parlent du vnie siècle, la Chronique de Tichite la situe au xne.
Quoiqu'il en soit, Tichite est au début du xvie siècle une étape importante
pour le sel d'Ijjil ; et au milieu du xvne, elle est le chef-lieu du
Tagannt. Bien que déjà en décadence à la fin du xixe siècle, Tichite
jouait encore un rôle important dans le commerce du sel et les gens
du Soudan y amenaient encore des esclaves, qu'ils venaient échanger
chacun contre trois barres de sel.
Quant à Oualata, peut-être aurait-elle été fondée dès avant l'Islam
par des Béni Israël. Aux xine et xive siècles, Oualata est un grand
entrepôt à la lisière du pays des Noirs, et par elle les produits du
Soudan arrivent jusqu'en Europe par Sijilmassa, Tlemcen et Mers-el-
Kebir. La richesse de cette cité semble avoir dû être prodigieuse
pour l'époque, et cela jusqu'à ce que Tombouctou la supplante,
notamment à la fin du xvie siècle après la conquête de l'Empire
Sonrhaï par les Marocains et l'établissement de ceux-ci à Tombouctou.
Oualata se trouvait, en outre, sur le chemin suivi par les pèlerins
d'Afrique Occidentale se rendant à la Mekke. Restée longtemps un
centre de culture islamique renommé, Oualata semble aujourd'hui
tout près de disparaître.
Richesse en or, route du sel, entrepôt de caravanes, chemin de
pèlerinage, ce sont là, semble-t-il, causes essentielles d'activité et de
prospérité de cette zone de confins entre plusieurs mondes.

*
22 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Mon exposé comporte deux -parties :, La première est un -résumé


descriptif du milieu où se trouvent placées aujourd'hui Tichite et
Oualata, du pays et de ses diverses- populations;
Quant à la deuxième partie, elle est consacrée à l'étude des
architectures de la Mauritanie .sahéHenne, architectures singulières qui ne
survivent plus aujourd'hui qu'en-Mauritanie. Nous envisagerons pour
terminer quels pourraient en être>les lointains antécédents.
Les notes, plans et photographies qui ont servi à rédiger cette
étude font partie d'un ensemble de documents rassemblés au cours
d'une mission que l'Institut des Hautes > Etudes Marocaines nous
avait confiée en 1947-1948, mission accomplie en liaison avec l'Institut
Français d'Afrique Noire. • , >•

* * *

LE MILIEU

Pays et populations -

Les vestiges d'une longue occupation > humaine sont nombreux


en Mauritanie, mais dispersés, . médiocrement i expressifs, souvent
!

encore mal connus. Parmi eux sont d'innombrables tessons de poterie^


un outillage lithique immense, des peintures et gravures rupestres,
des tumuli aussi et des ruines éparses dont on^ ne- parvient à déceler
ni l'âge ni l'histoire. Tant de vestiges n'aident^ que>peu à connaître
le peuplement ancien du pays, les races qui s'y sont succédées,
juxtaposées ou mêlées avec la diversité de leurs usages — d'où il résulte
que la compréhension des faits, passés, ou actuels, est difficile..
Schématiquement, on -peut considérer que deux éléments distincts
de population se trouvent actuellement en présence : d'une part,
les sédentaires agriculteurs et, d'autre part, les nomades. Les
sédentaires — i noirs pour la plupart i — représentent l'élément le plus ancien
et ^habitent les rares oasis qui subsistent' encore — cet élément est
résiduel et a presque disparu dans la région qui nous occupe..
De villages aussi, il ne reste plus guère : sur un parcoursde mille
kilomètres, il n'y en a plus que huit dont la plupart sont en grand
abandon. Parmi eux, Aqréijite, dernier des villages fondés en
.Mauritanie sahélienne, est noyé dans le- vent de sable ; il n'a guère qu'une
centaine d'années encore, déjà il est la proie des sables, et déjà agonise. .
Certains de ces villages — tels Qasr-el-Barka et Er-Rachid —
ont perdu toute population sédentaire d'hommes libres, ils appar-
CITÉS GARAVANIÈRES DE MAURITANIE TICHTE ET OUALATA 23

tiennent' à -des tribus maures, qui n'y séjournent pas et les laissent
tomber en décrépitude aux mains de leurs serviteurs noirs, ainsi que
les palmeraies. Dans ces villages ruinés et déserts, à peine les Maures
font-ils entretenir sommairement quelques rares maisons anciennes,
qui leur servent d'entrepôts où ils mettent en réserve les dattes qu'ils
viennent récolter chaque année au début de l'automne — dattes
médiocres et peu abondantes, les soins aux palmiers étant insuffisants.
Par contre, d'autres villages < conservent encore d'assez nombreux
habitants, ainsi. en est-il de Tijikja, de Tichite et de Oualata; Là,
à Oualata couleur d'ocre rouge, le pied des murs est longé de larges
banquettes maçonnées faites pour s'y- tenir en devisant et l'on voit
encore dans certaines rues de petits groupes d'hommes, vieillards
ou ' notables; qui s'y réunissent avec beaucoup de noblesse et de
dignité pour réfléchir ou discuter de leurs affaires.
La vie agricole et sédentaire qui fut importante autrefois a presque
entièrement déserté aujourd'hui la Mauritanie sahélienne. Et, à
l'écart des rares oasis, le.reste du pays n'est plus fréquenté que par
les nomades au cours de l'hiver, lorsque leurs troupeaux de chameaux,
de chèvres et de moutons • peuvent se passer de boire, ou ne boire
qu'à intervalles éloignés l'eau des puits et de quelques grandes mares.
C'est à ces nomades — qu'il est d'usage de désigner sous le. nom
de. Maures — qu'appartient aujourd'hui la suprématie. Descendants
des Berbères sanhaja et zénètes et des Arabes maâqil, ils sont donc
issus de race blanche et forment l'élément de population le plus
récent. Les Sanhaja ont dû arriver dès avant l'Hégire — donc avant
le viie siècle — mais n'ont* atteint les bords du Sénégal qu'au xie.
Plus tard, les Arabes maâqil ont envahi le pays, atteignant l'Océan
au Sud du Maroc désole xnie siècle, mais ne s'installant au Tagannt
et dans le Hodh que vers le xvie ou le xvne. C'est l'invasion des
Berbères et leurs ravages qui ont dû amorcer le déclin du Sahara,
dont certaines parties étaient jusqu'alors abondamment peuplées, et,
plus tard, les Arabes maâqil consommèrent la ruine de la vie agricole.
Les Maures parcourent tout le Sahara occidental — grands nomades
chameliers vivant sous des tentes en poil de chameau, qu'ils déplacent
sans cesse à la poursuite des pâturages, suivant avec leurs troupeaux
la chute des pluies. La plupart se nourrissent exclusivement de lait
de brebis, de chèvre ou de chamelle, certains élèvent quelques poules
qu'ils transportent d'un campement à l'autre sur les chameaux, où
sont juchés les femmes et les petits enfants. Ces nomades n'ont pas
d'autres demeures que la tente et répugnent même à habiter dans
des constructions en dur, comme si celles-ci servaient habituellement
de repaire à de mauvais génies.
24 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Dans un -pays sans villages, donc sans lieux de rendez-vous, les


puits jouent un grand rôle comme point de rencontre où l'on cause
tandis qu'on remplit les outres d'eau avant d'aborder une nouvelle
étape. C'est là que s'échangent les nouvelles, notamment les cours
des marchandises sur les principaux marchés : Où va-t-on ? D'où
vient-on ? Combien vaut le thé là-bas ? Et le sucre ? Et la
cotonnade ? Chacun ensuite de poursuivre sa route en songeant aux
nouvelles qu'il vient d'apprendre. L'importance des puits est
évidemment capitale — tant pour les campements qui en recherchent la
proximité que pour les caravanes, dont les itinéraires habituels sont
déterminés par les points d'eau. Le puits d'Aratane, situé à la limite
des provinces du Tagannt et du Hodh, se trouve sur le long parcours
de trois cents kilomètres qui sépare Tichite de Oualata, au milieu
de grands espaces de désert sans un brin d'herbe ni une broussaille.
Rien que le sol et des roches dénudés, un paysage exclusivement
minéral, squelette dépouillé de la terre.

Structure sociale

La structure sociale de la Mauritanie résulte, semble-t-il, de son


peuplement disparate, c'est une société à castes, dont la hiérarchie
et le cloisonnement sont demeurés très vivaces malgré la présence
française. Les principales castes peuvent être résumées de la façon
suivante :
La caste la plus réputée est celle des Hassane, des guerriers, c'est
la classe noble, celle des Maures, des nomades, qui se disent
descendants des Arabes maâqil. Le type des gens de Oualata et de la
Mauritanie orientale est- moins pur que celui de la Mauritanie occidentale,
il est habituellement mélangé de sang noir, soit par alliance avec
d'anciens habitants du- pays, soit par mariage avec des esclaves
soudanais. Ces guerriers ne vivent plus aujourd'hui que de l'élevage
— certains du commerce — mais conservent encore le prestige du
plus fort, celui des armes et de la conquête. Ils exerçaient naguère
leur protection sur les villages, les campements et les caravanes qui
leur payaient tribut où leur concédaient certains privilèges en vue
d'échapper au pillage.
Après la caste des guerriers vient celle des Zouaïa, marabouts
descendants des Berbères qui dominaient le pays avant la venue des
Arabes. C'est encore la caste religieuse et intellectuelle et les Maures
ont un certain respect des Zouaïa, tout en les méprisant parce qu'ils
ne sont pas gens de guerre.
CITÉS CARAVANIÈRES DE MAURITANIE TIGHTE ET OUALATA 25

La troisième caste est celle des tributaires. Eux aussi descendraient


des Berbères commes les marabouts - mais, auraient été d'un rang
moins élevé. Ils font de la culture et de l'élevage et doivent remettre
une partie de leurs produits aux guerriers, leurs suzerains.
Ces trois premières castes — guerriers, marabouts, tributaires —
sont considérées comme étant de race blanche. La quatrième et la
cinquième sont, au contraire, de race noire, ce sont les ouvriers
agricoles et les serviteurs des castes nobles.
Les tributaires de couleur sont les haratine, cultivateurs, noirs ou
métis, anciens esclaves affranchis par leurs maîtres ou qui ont pu
se racheter. Leurs types ethniques ne diffèrent guère de ceux de la
caste suivante qui est celle des captifs qui appartenaient aux
guerriers et aux marabouts. Certains de ces captifs travaillaient auprès
de la tente avec le maître et ne touchaient pas de salaire fixe, d'autres
travaillaient la terre et avaient part à la récolte. L'occupation
française a libéré les captifs et nombre d'entre eux sont partis chercher
leur vie ailleurs, d'autres sont restés dans les familles auxquelles
ils étaient attachés et leur condition a peu changé.
Outre les cinq castes dont nous venons de résumer la hiérarchie,
existent encore les griots et les maâllemine.
Les premiers, griots ou igaoun, sont des personnages à caractère
magique, un peu sorciers, dont l'origine est inconnue, mais qui
considèrent leur caste comme supérieure à celle des tributaires
blancs. C'est parmi les griots que se trouvent les poètes, les musiciens
et les danseurs ; les maléfices dont ils disposent les font craindre,
mais on ne saurait se passer d'eux pour apprivoiser ou éloigner les
génies.
Quant aux maâllemine, artisans qui forment une caste libre et
peu nombreuse, ils sont presque seuls en Mauritanie à exercer un
métier d'adresse manuelle et à posséder un outillage. Les forgerons
sont aussi bijoutiers, ce sont eux qui confectionnent les minuscules
colifichets de filigrane d'or, dont se parent les femmes. L'origine
ancienne de ces artisans est imprécise, beaucoup se disent d'origine
maraboutique. Peut-être des Juifs seraient-ils leurs ancêtres : on
sait que les Juifs passent pour avoir été nombreux au Sahara et
dans les oasis, où ils auraient fondé des empires et exercé la
suprématie jusqu'à ce que les Berbères ou les Arabes les abattent.
Toute cette organisation traditionnelle des castes a commencé de
se désagréger sous l'effet de la présence française, qui a aboli
l'esclavage et mis fin aux abus des guerriers.

* * *
26 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

ARCHITECTURES DE LA MAURITANIE SAHÉLIENNE

Les aspects essentiels de la Mauritanie sahélienne et de ses


populations viennent d'être résumés à grands1 traits t afin d'esquisser le
cadre géographique, politique et social où se rencontrent aujourd'hui
des traditions- architecturales anciennes, et- de laisser entrevoir le
milieu où elles ont pu s'implanter et se maintenir jusqu'à l'époque
actuelle.
Les architectures du Tagannt à l'Ouest et du Hodh à l'Est sont très
dissemblables, bien que leurs anciennes capitales — Tichite et Oualata
— ne soient éloignées que de trois cents kilomètres à vol d'oiseau.
Elles ne paraissent pas devoir être attribuées aux Maures, non plus
qu'à d'autres nomades non fixés, berbères ou arabes. Quelles que
soient les influences. architecturales qui aient pu s'exercer en
Mauritanie et engendrer son art de bâtir, grande est la surprise de découvrir
les constructions et les décors du Tagannt et. du Hodh — arts frustes
mais l'un et l'autre uniques — apparemment sans répliques ni
correspondances, retranchés du monde vivant, à l'écart aujourd'hui de
toute culture artistique. Surgis en plein désert, ils sont imprévus
comme des fleurs inconnues écloses dans les sables.
Les origines anciennes des architectures de Mauritanie et de leurs
décors sont difficiles à discerner en raison de l'absence ou de la rareté
des termes de comparaison, il semble toutefois que ces décors aient
l'un et l'autre une ascendance méditerranéenne — proche ou
lointaine — que certains éléments laissent entrevoir ainsi que nous
allons l'exposer.

Architecture du Tagannt

Voyons, en premier lieu, l'architecture du Tagannt.


Dans le Tagannt occidental, les demeures ont un caractère rural :
elles sont vastes, avec de, grandes cours ; elles n'ont qu'un rez-de-
chaussée, parfois une pièce de premier étage dans un angle. La
plupart d'entre elles sont en ruines aujourd'hui, celles qui subsistent
ne servent plus que d'entrepôt aux nomades, qui dressent parfois
leur tente dans une cour.
Ces demeures étaient édifiées sur deux types de plans : l'un montre
une grande salle à six piliers maçonnés, autour de laquelle étaient
disposés les magasins et greniers. Le long de la cour principale se
trouvent des dépendances pour les .domestiques et pour les hôtes.
CITÉS GARAVANIÈRES DE MAURITANIE TICHTE ET OUALATA 27

La cour n'a qu'une seule porte ouvrant sur l'extérieur. Une courette
pour le bétail est accolée à la grande cour (fig. 2).
Un autre type de plan est lui aussi caractéristique. Il comprend
deux cours : l'une de service, l'autre d'habitation. La première cour
abrite les dépendances et les latrines, le logis d'habitation se trouve
dans la deuxième cour. Lorsque le maître de maison avait plusieurs
épouses, il pouvait y avoir plusieurs logis comprenant chacun deux

4 I I

о» 1I I 3I » 5I I » I I 1o
I

Fig. 2. — Plan de maison à Qasr el-Нагка (Tagannt occidental).

ou trois pièces longues, juxtaposées et parallèles. La première -pièce


sert à l'habitation et commande les autres : magasin et . grenier
(fig. 3). Cette disposition particulière se retrouve dans tout le
Tagannt et aussi dans le Hodh.
Les façades des logis sur. la cour étaient ornées d'un décor-de
pierre, de frontons formés, d'alvéoles . triangulaires, accompagnés
28 SOCIETE DES AFRICANISTES

Fig.,3. — Plan de maison à Qasr el-Вагка (Tagannt occidental).

d'autres motifs triangulaires placés sur pointe ou sur base (pi. I b).
Les alvéoles sont formées par de petites pierres plates dessinant des
zigzags horizontaux, leur bord antérieur est aligné sur le nu du mur.
Les lignes de zigzags superposées sont séparées par une file
horizontale de pierres plates. Ces motifs sont toujours aveugles. Dans
le Tagannt occidental se rencontre aussi un motif en feuille de
fougère — ou arête de poisson — il ne se rencontre pas à Tichite.
Tous les murs sont construits en pierres grossièrement équarries,
liées avec du mortier de terre ; ils sont dépourvus d'enduit. Tous les
linteaux sont en pierre.
Les mosquées sont construites selon le même procédé. Elles ont
une cour assez vaste sur un côté de l'oratoire.
A Tichite, dans le Tagannt oriental, les demeures sont souvent
exiguës, de caractère citadin, habituellement ramassées entre des
ruelles étroites (fig. 4). A la lisière du village, certaines maisons
paraissent fortifiées, mais la grosse tour qui leur est souvent accolée
CITÉS CARAVANIÈRES DE MAURITANIE TICHTE ET OUALATA 29

о 1 3 5 1o m.

Fig. 4. — Plan de maison à Tichite (Tagannt oriental).

semble avoir été édifiée Jà, davantage pour écarter du logis la cuisine
et les latrines que pour en assurer la défense.
Les demeures les plus anciennes paraissent n'avoir eu qu'une cour
.'50 SOCIÉTÉ, DES AFRICANISTES •

et une seule entrée. Les maisons plus récentes ont, au contraire, une
courette de service possédant son entrée propre, ce qui évite les
allées et venues domestiques à travers la cour d'habitation. Maisons
anciennes et maisons récentes ont trois pièces juxtaposées et
parallèles; la pièce d'habitation commandant l'accès du magasin et du
grenier.
Л Tichite se voit un décor de pierre de couleur — • pierre verte qui
vient rompre l'unité des façades en pierre blanche. Cette pierre,
verte peut être débitée en dalles longues, son emploi en chaînages
et en longrines renforce les murs. Les portes sur la, rue sont parfois
surmontées d'un fronton triangulaire, sorte d'arc à lambrequins,
dont le tympan est oriié d'alvéoles. La pierre verte est employée
pour les linteaux et les seuils, elle forme, aussi les corbeaux de la
voûte ainsi que certains éléments du tympan. Sur la cour, la façade
du logis est décorée elle aussi (pi. I a).
Bien que l'ancienneté relative des constructions soit , difficile à
établir, il semble que les façades les. plus anciennes soient ornées de
trois tympans : l'un central assez grand flanqué de deux plus petits.
Il semble aussi que la pierre verte n'entrait pas dans la composition
de ces décors anciens, et que les seuils, linteaux et corniches étaient
en pierre blanche, comme le reste de la construction.
Au contraire, l'emploi- de la pierre verte est très répandu sur les
murs de constructions plus modernes.' Le décor des façades, au
moyen de dalles vertes, semble même tendre à évincer le décor en
alvéoles — soit que ce dernier soit devenu trop coûteux, soit qu'il
n'y ait plus d'artisans assez habiles pour l'exécuter.
La mosquée de Tichite est assez différente des autres mosquées
du Sahel mauritanien : l'oratoire est un carré presque régulier, le
minaret — assez élevé — est isolé dans la cour. Cet oratoire qui paraît
plus ancien que le reste de la mosquée est sans décor.

Architecture du Hodh

Oualata. Trois cents kilomètres de désert séparent Tichite de


Oualata. Celle-ci était anciennement bâtie au flanc de sa falaise ;
depuis que la, sécurité règne sur le pays, la ville haute est abandonnée
peu à peu et tombe eri décadence. Les quartiers de la ville encore
habités aujourd'hui sont situés au pied de la falaise.
Les maisons et les rues de Oualata ont l'aspect urbain ; elles sont
austères au-dehors n'ayant que peu. d'ouvertures. Les murs sont en
moellons de pierre noyés dans du mortier de terre et couverts d'un
CITES tIARAVANIERES DE MAURITANIE TICHTE ET OUALATA 31

enduit de terre rougeâtre. Le long des façades se trouvent de larges


banquettes maçonnées où les hommes viennent s'entretenir.
Le type des plans de Oualata est presque le même que celui de
Tichite : cour. d'habitation, cour de service. Sur la première cour
s'ouvre, la pièce d'habitation qui commande l'accès aux magasins.
Certains logis ont trois pièces juxtaposées et parallèles, d'autres
ont une salle à deux piliers. Dans la cour de service se trouvent
réunis la cuisine, les latrines, le bercail (fig. 5).
Les façades des cours sont enduites de crépi rougeâtre ; dans les
demeures les mieux entretenues, elles sont ornées d'un décor,
luxuriant — décor disposé surtout autour des portes. On en distingue
deux types principaux : d'une part, un large - décor en bas-relief,
peint en blanc sur le fond rouge du mur. D'autre part, un décor
plus fin, peint en rouge sur fond blanc. Souvent, une niche et une

о 1 3 5 wm.

a lié

Fig. 5. — Plan de maison à Oualata CHodh).


32 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

pierre d'ablution encastrée dans le mur se trouvent de chaque côté


de la porte, (pi. II). Tous ces décors doivent être repeints chaque
année, car, les pluies annuelles les délavent.
La porte des pièces d'habitation n'a qu'un seul vantail — comme
la porte de la rue — vantail orné de clous décoratifs à collerettes
métalliques presque toutes différentes qui ont beaucoup. de grâce
et de légèreté.
Les mosquées du Tagannt et du Hodh ont entre elles une certaine
ressemblance : Jes oratoires sont longs et étroits, les piliers sont
presque toujours carrés, une grande cour s'étend sur un côté de
l'oratoire ; s'il existe un minaret, il est peu élevé. La mosquée de
Oualata est la plus grande. Elle est construite comme les maisons,
en moellons noyés dans du mortier de terre et un enduit recouvre les
murs. Le minaret ne surmonte pas la mosquée, il se trouve à quelque
distance dans la cour. Minaret bas, couronné par un double
encorbellement et quatre merlons d'angles ; l'escalier aboutit sous un
lanternon. L'état actuel de ce minaret est celui d'une reconstruction
assez récente.

Influences architecturales

Les origines anciennes des architectures de Tichite et de Oualata


posent des problèmes difficiles à résoudre. Il est vraisemblable que
ces architectures — et leurs décors particuliers — ne sont pas le
fruit d'un art local, mais qu'ils reproduisent des techniques
méditerranéennes dont les modèles anciens sont perdus. Parmi les faits
pouvant justifier cette hypothèse, sont les suivants. D'une part,
Tichite et Oualata ont été peuplées par des Noirs et par des nomades.
Or, jusqu'à une époque récente, les Noirs n'ont eu pour habitation
que des paillottes et les nomades que des tentes. D'autre part, certains
éléments caractéristiques des décors de Mauritanie se laissent
rapprocher d'arts, méditerranéens anciens. Il convient, semble-t-il,
d'examiner des influences différentes pour Tichite et pour Oualata,
influences qui ont pu s'exercer à plusieurs siècles d'écart.

a) Décors de Oualala.

En ce qui a trait à Oualata, il semble que son décor extravagant


dérive d'un entrelacs classique, tels ceux que l'art musulman a répétés.
En effet, sur le côté, d'une porte ancienne, un bandeau vertical nous
a permis de reconnaître un dessin d'entrelacs, entrelacs avec alter-
o>
Planche II
Décor à Oualata dans le Hodh.
GITES GARAVANIERES DE MAURITANIE TICHTE ET OUALATA 33

nance de sections rectilignes et curvilignes. Le tracé de cette figure


est analogue à celui d'un entrelacs qui a été révélé, en 1952, par
les fouilles de Marrakech dans la forteresse d'Ibn Tachfine l'Almo-
ravide — entrelacs à deux brins qui faisait partie d'un lambris. peint
en rouge sur fond blanc, sur les murs qui entouraient un bassin. Ces
peintures datent du début du xne siècle ; en Espagne, des peintures
comparables retrouvées à Alméria dateraient de la même époque:
Des maisons de Oualata plus récentes montrent des bandeaux
d'entrelacs très altérés, la diversité de leurs états illustre l'évolution
décadente de l'entrelacs originel, jusqu'à* ce que subsiste seul son
contour extérieur — figure nouvelle où rien ne permet plus de
reconnaître un entrelacs, même déchu (fig. 6).

DECORS DE OUALATA

I<4ig. 6. — Décor de Oualata. La figure A reproduit un entrelacs relevé à Marrakech et datant du


début du xii* siècle. Les autres figures reproduisent divers bandeaux de Oualata montrant la
décadence de l'entrelacs originel.

Quant aux rosaces qui ornent les parois des murs et le dessus des
portes, nous n'avons pu établir une évolution aussi positive. Elles
paraissent dérivées dé rosaces quadrilobées, familières à l'art
musulman, tant sur les lambris almoravides de Marrakech qu'ailleurs,
principalement sur les sites du xne siècle. A Qualata, ces rosaces sont
l'élément de base, dont dérive toute l'ornementation, notamment la
décoration intérieure des pièces. Rosaces qui peuvent être entières,
ou coupées par la moitié» ou même par bandes. La juxtaposition
de ces dernières forme le jeu de fond des lambris à l'intérieur des
ČA SOCIETE DES AFRICANISTES

pièces — lambris peints en rouge sur crépi blanc. De grands motifs


posés au-dessus du lambris tendent, à reproduire la moitié supérieure
d'une rosace.
Une disposition fréquente à Oualata, est celle des motifs qui
accompagnent la porte, de chaque côté : c'est-à-dire deux niches et
deux pierres à ablution. Disposition qui peut rappeler un scheme
tripartite de l'art musulman, celui de la porte Saint-Etienne à la
mosquée de Cordoue, porte du ixe siècle. M. Henri Terrasse a dit
de ce scheme, qu'il était d'origine syrienne et qu'il fut appliqué
avec rigueur dans l'art omeyade.
En résumé : les décors de Oualata paraissent pouvoir être issus de
l'art musulman. Les termes de comparaison qui nous sont connus
se trouvent, d'une part au Maroc (xne s., époque almoravide) d'autre
part en Espagne (même. époque en ce qui a trait à l'entrelacs). Il
peut n'y avoir là que des coïncidences, et nul autre témoignage ne
permet actuellement, ni de préciser si l'art de Oualata est un reflet
de l'art almoravide et un vestige de la domination sanhaja, ni de
lui assigner une autre origine.

b) Décors de Tichite.
En ce qui a trait aux décors de pierre du Tagannt que nous avons
présentés au début de cet exposé, à l'influence dont ils pourraient
dériver, nous envisageons une toute autre éventualité. Ces décors
de pierre qui ornent les façades du Tagannt sont aujourd'hui du
moins, tout à fait étrangers au Hodh et à Oualata. Ils sont aussi
presque inexistants au Maroc, où nous ne connaissons que de très
rares exemples d'alvéoles et feuilles de fougère. Par contre, il existe
en Rhodesie du Sud des ruines dont les décors ont été rapprochés
de ceux de Tichite par M. Théodore Monod. Ces ruines, qui ne seraient
pas antérieures au, moyen âge, présentent des feuilles de fougère et
quelques décors d'alvéoles. Des décors analogues ont été retrouvés
aussi en Angola. D'autre part, en Europe, au Portugal, nous avons
noté quelques exemples de décors d'alvéoles.
Des indications aussi fragmentaires ne permettent pas d'attribuer
avec certitude un lieu d'origine aux décors du Tagannt. Cependant,
nous remarquons le fait suivant : Le Tagannt, la Rhodesie du- Sud
et l'Angola sont des régions connues pour avoir exploité ou fait le
commerce de l'or. La Rhodesie et l'Angola ont été sinon colonisés,
du moins en relations suivies avec les Portugais dans la deuxième
moitié du xve siècle, tout le xvie et-quant à la Rhodesie — pendant
la première moitié du xvne. En ce qui concerne le Tagannt, on sait
CITÉS CARAVANIÈRES DE MAURITANIE TIGHTE ET OUALATA 35

que les Portugais s'étaient établis dans l'île d'Arguin vers 1444.
L'île d'Arguin située dans l'Atlantique au large de la Mauritanie —
près de l'actuel Port-Etienne — était, en effet, bien placée pour
détourner le commerce du Soudan, qui passait vers le Maroc à travers
le Sahara.
N'y a-t-il là aussi qu'une coïncidence ? Ou faut-il voir, dans la
présence portugaise en Afrique, la raison de ces analogies entre les
décors de pierre du Tagannt, de l'Angola, de la Rhodesie ? C'est ce
que de nouveUes recherches et de nouvelles découvertes aideront
peut-être à élucider.

C.N.R.S. Paris

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