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Africanistes
Meunié Jacques. Cités caravanières de Mauritanie — Tichite et Oualata. In: Journal de la Société des Africanistes, 1957, tome
27, fascicule 1. pp. 19-35;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1957.1879
https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1957_num_27_1_1879
PAR
Dj. Jacques-Meunié
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22 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
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LE MILIEU
Pays et populations -
tiennent' à -des tribus maures, qui n'y séjournent pas et les laissent
tomber en décrépitude aux mains de leurs serviteurs noirs, ainsi que
les palmeraies. Dans ces villages ruinés et déserts, à peine les Maures
font-ils entretenir sommairement quelques rares maisons anciennes,
qui leur servent d'entrepôts où ils mettent en réserve les dattes qu'ils
viennent récolter chaque année au début de l'automne — dattes
médiocres et peu abondantes, les soins aux palmiers étant insuffisants.
Par contre, d'autres villages < conservent encore d'assez nombreux
habitants, ainsi. en est-il de Tijikja, de Tichite et de Oualata; Là,
à Oualata couleur d'ocre rouge, le pied des murs est longé de larges
banquettes maçonnées faites pour s'y- tenir en devisant et l'on voit
encore dans certaines rues de petits groupes d'hommes, vieillards
ou ' notables; qui s'y réunissent avec beaucoup de noblesse et de
dignité pour réfléchir ou discuter de leurs affaires.
La vie agricole et sédentaire qui fut importante autrefois a presque
entièrement déserté aujourd'hui la Mauritanie sahélienne. Et, à
l'écart des rares oasis, le.reste du pays n'est plus fréquenté que par
les nomades au cours de l'hiver, lorsque leurs troupeaux de chameaux,
de chèvres et de moutons • peuvent se passer de boire, ou ne boire
qu'à intervalles éloignés l'eau des puits et de quelques grandes mares.
C'est à ces nomades — qu'il est d'usage de désigner sous le. nom
de. Maures — qu'appartient aujourd'hui la suprématie. Descendants
des Berbères sanhaja et zénètes et des Arabes maâqil, ils sont donc
issus de race blanche et forment l'élément de population le plus
récent. Les Sanhaja ont dû arriver dès avant l'Hégire — donc avant
le viie siècle — mais n'ont* atteint les bords du Sénégal qu'au xie.
Plus tard, les Arabes maâqil ont envahi le pays, atteignant l'Océan
au Sud du Maroc désole xnie siècle, mais ne s'installant au Tagannt
et dans le Hodh que vers le xvie ou le xvne. C'est l'invasion des
Berbères et leurs ravages qui ont dû amorcer le déclin du Sahara,
dont certaines parties étaient jusqu'alors abondamment peuplées, et,
plus tard, les Arabes maâqil consommèrent la ruine de la vie agricole.
Les Maures parcourent tout le Sahara occidental — grands nomades
chameliers vivant sous des tentes en poil de chameau, qu'ils déplacent
sans cesse à la poursuite des pâturages, suivant avec leurs troupeaux
la chute des pluies. La plupart se nourrissent exclusivement de lait
de brebis, de chèvre ou de chamelle, certains élèvent quelques poules
qu'ils transportent d'un campement à l'autre sur les chameaux, où
sont juchés les femmes et les petits enfants. Ces nomades n'ont pas
d'autres demeures que la tente et répugnent même à habiter dans
des constructions en dur, comme si celles-ci servaient habituellement
de repaire à de mauvais génies.
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Structure sociale
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Architecture du Tagannt
La cour n'a qu'une seule porte ouvrant sur l'extérieur. Une courette
pour le bétail est accolée à la grande cour (fig. 2).
Un autre type de plan est lui aussi caractéristique. Il comprend
deux cours : l'une de service, l'autre d'habitation. La première cour
abrite les dépendances et les latrines, le logis d'habitation se trouve
dans la deuxième cour. Lorsque le maître de maison avait plusieurs
épouses, il pouvait y avoir plusieurs logis comprenant chacun deux
4 I I
о» 1I I 3I » 5I I » I I 1o
I
d'autres motifs triangulaires placés sur pointe ou sur base (pi. I b).
Les alvéoles sont formées par de petites pierres plates dessinant des
zigzags horizontaux, leur bord antérieur est aligné sur le nu du mur.
Les lignes de zigzags superposées sont séparées par une file
horizontale de pierres plates. Ces motifs sont toujours aveugles. Dans
le Tagannt occidental se rencontre aussi un motif en feuille de
fougère — ou arête de poisson — il ne se rencontre pas à Tichite.
Tous les murs sont construits en pierres grossièrement équarries,
liées avec du mortier de terre ; ils sont dépourvus d'enduit. Tous les
linteaux sont en pierre.
Les mosquées sont construites selon le même procédé. Elles ont
une cour assez vaste sur un côté de l'oratoire.
A Tichite, dans le Tagannt oriental, les demeures sont souvent
exiguës, de caractère citadin, habituellement ramassées entre des
ruelles étroites (fig. 4). A la lisière du village, certaines maisons
paraissent fortifiées, mais la grosse tour qui leur est souvent accolée
CITÉS CARAVANIÈRES DE MAURITANIE TICHTE ET OUALATA 29
о 1 3 5 1o m.
semble avoir été édifiée Jà, davantage pour écarter du logis la cuisine
et les latrines que pour en assurer la défense.
Les demeures les plus anciennes paraissent n'avoir eu qu'une cour
.'50 SOCIÉTÉ, DES AFRICANISTES •
et une seule entrée. Les maisons plus récentes ont, au contraire, une
courette de service possédant son entrée propre, ce qui évite les
allées et venues domestiques à travers la cour d'habitation. Maisons
anciennes et maisons récentes ont trois pièces juxtaposées et
parallèles; la pièce d'habitation commandant l'accès du magasin et du
grenier.
Л Tichite se voit un décor de pierre de couleur — • pierre verte qui
vient rompre l'unité des façades en pierre blanche. Cette pierre,
verte peut être débitée en dalles longues, son emploi en chaînages
et en longrines renforce les murs. Les portes sur la, rue sont parfois
surmontées d'un fronton triangulaire, sorte d'arc à lambrequins,
dont le tympan est oriié d'alvéoles. La pierre verte est employée
pour les linteaux et les seuils, elle forme, aussi les corbeaux de la
voûte ainsi que certains éléments du tympan. Sur la cour, la façade
du logis est décorée elle aussi (pi. I a).
Bien que l'ancienneté relative des constructions soit , difficile à
établir, il semble que les façades les. plus anciennes soient ornées de
trois tympans : l'un central assez grand flanqué de deux plus petits.
Il semble aussi que la pierre verte n'entrait pas dans la composition
de ces décors anciens, et que les seuils, linteaux et corniches étaient
en pierre blanche, comme le reste de la construction.
Au contraire, l'emploi- de la pierre verte est très répandu sur les
murs de constructions plus modernes.' Le décor des façades, au
moyen de dalles vertes, semble même tendre à évincer le décor en
alvéoles — soit que ce dernier soit devenu trop coûteux, soit qu'il
n'y ait plus d'artisans assez habiles pour l'exécuter.
La mosquée de Tichite est assez différente des autres mosquées
du Sahel mauritanien : l'oratoire est un carré presque régulier, le
minaret — assez élevé — est isolé dans la cour. Cet oratoire qui paraît
plus ancien que le reste de la mosquée est sans décor.
Architecture du Hodh
о 1 3 5 wm.
a lié
Influences architecturales
a) Décors de Oualala.
DECORS DE OUALATA
Quant aux rosaces qui ornent les parois des murs et le dessus des
portes, nous n'avons pu établir une évolution aussi positive. Elles
paraissent dérivées dé rosaces quadrilobées, familières à l'art
musulman, tant sur les lambris almoravides de Marrakech qu'ailleurs,
principalement sur les sites du xne siècle. A Qualata, ces rosaces sont
l'élément de base, dont dérive toute l'ornementation, notamment la
décoration intérieure des pièces. Rosaces qui peuvent être entières,
ou coupées par la moitié» ou même par bandes. La juxtaposition
de ces dernières forme le jeu de fond des lambris à l'intérieur des
ČA SOCIETE DES AFRICANISTES
b) Décors de Tichite.
En ce qui a trait aux décors de pierre du Tagannt que nous avons
présentés au début de cet exposé, à l'influence dont ils pourraient
dériver, nous envisageons une toute autre éventualité. Ces décors
de pierre qui ornent les façades du Tagannt sont aujourd'hui du
moins, tout à fait étrangers au Hodh et à Oualata. Ils sont aussi
presque inexistants au Maroc, où nous ne connaissons que de très
rares exemples d'alvéoles et feuilles de fougère. Par contre, il existe
en Rhodesie du Sud des ruines dont les décors ont été rapprochés
de ceux de Tichite par M. Théodore Monod. Ces ruines, qui ne seraient
pas antérieures au, moyen âge, présentent des feuilles de fougère et
quelques décors d'alvéoles. Des décors analogues ont été retrouvés
aussi en Angola. D'autre part, en Europe, au Portugal, nous avons
noté quelques exemples de décors d'alvéoles.
Des indications aussi fragmentaires ne permettent pas d'attribuer
avec certitude un lieu d'origine aux décors du Tagannt. Cependant,
nous remarquons le fait suivant : Le Tagannt, la Rhodesie du- Sud
et l'Angola sont des régions connues pour avoir exploité ou fait le
commerce de l'or. La Rhodesie et l'Angola ont été sinon colonisés,
du moins en relations suivies avec les Portugais dans la deuxième
moitié du xve siècle, tout le xvie et-quant à la Rhodesie — pendant
la première moitié du xvne. En ce qui concerne le Tagannt, on sait
CITÉS CARAVANIÈRES DE MAURITANIE TIGHTE ET OUALATA 35
que les Portugais s'étaient établis dans l'île d'Arguin vers 1444.
L'île d'Arguin située dans l'Atlantique au large de la Mauritanie —
près de l'actuel Port-Etienne — était, en effet, bien placée pour
détourner le commerce du Soudan, qui passait vers le Maroc à travers
le Sahara.
N'y a-t-il là aussi qu'une coïncidence ? Ou faut-il voir, dans la
présence portugaise en Afrique, la raison de ces analogies entre les
décors de pierre du Tagannt, de l'Angola, de la Rhodesie ? C'est ce
que de nouveUes recherches et de nouvelles découvertes aideront
peut-être à élucider.
C.N.R.S. Paris