Vous êtes sur la page 1sur 29

Retour au menu

Nomadisme et transhumance
en Afrique subsaharienne
Les mouvements pastoraux
dans les parcours extrême-orientaux du Soudan
par O. BRÉMAUD

La mobilité et la fluidité sont les caractéristiques transhumance, la nomadisation, la migration. Si les


essentielles de la masse pastorale des subdivisions causes déterminantes de ces mouvements sont quel-
de Menaka et d'Ansongo. quefois très diverses, par contre, dans la majeure
« Le Pasteur ... vit sous l'étroite dépendance du partie des cas, l'objectif est commun; il.tend à assurer
milieu dont il subit les exigences vitales : le pâtu- de meilleures conditions d'existence aux hommes et
rage et l'eau et le schéma suivant de son mode de vie aux animaux.
nous la fait mieux comprendre : le pâturage, condi- Encore que les faits que nous allons rapporter
tion de vie de son troupeau, est fonction de la pluie. aient été observés dans une région relativement
Même après elle, il est si souvent clairsemé que étroite et fortement individualisée, nous les croyons
l'éleveur doit constamment se déplacer. C'est là d'intérêt assez général pour être extrapolés dans
l'origine du nomadisme, de la transhumance, Il faut d'autres territoires de semblable caractère et pour
avoir vécu près d'eux, en fin de saison sèche, lorsque mériter une audience plus large que ne le laisserait
la chaleur accablante a tout desséché, lorsque le supposer leur origine.
troupeau arrive à l'extrême limite de ses forces, pour
comprendre combien cette pluie, ce don du ciel, est DÉFINITIONS
ardemment souhaitée. Aussi les bergers, toujours
aux aguets, surveillent l'horizon et, dès les premiers Transhumance. - Ensemble de mouvements sai-
éclairs, signes de la tornade, partent en reconnais- sonniers, de rythme pendulaire et de caractère
sance. Si ce n'est une fausse alerte, si la pluie a été cyclique, intéressant la totalité de la masse pastorale
abondante, le troupeau se met en route vers la région qui l'effectue à l'intérieur des pâturages coutumiers.
arrosée et le groupement, la fraction, la tribu, vivra Nomadisation (1). - Déplacements anarchiques
sur cet emplacement jusqu'à l'épuisement du pâtu- entrepris par des groupes pastoraux, d'effectifs très
rage. Il creusera des puits, des puisards, pour y variables, dans le cadre d'une zone climatique, à des
passer l'hiver. dates et dans des dirnctions imprévisibles.
Celui-ci s'achève avec le printemps et les chaleurs Migration. Glissement définitif, sans idée de
arrivent. Le pâturage est rasé, les puits sont taris, il retour, de la totalité ou d'une fraction d'ethnie hors
faut partir. Mais partir en groupe, c'est vouer le des limites de sa zone de parcours, traditionnelle.
tioupeau à la mort par l'épuisement rapide des Dans de nombreux cas, ces mouvements sont
nouveaux pâturages et puisards. Il faut se disperser, étroitement combinés et difficiles à dissocier. Sou-
se disloquer et, dans un creux de vallon, un fond de vent, le premier se complique du second et le troi-
marigot, seules quelques tentes tachent l'immensité sième est entrepris à la faveur ou sous le couvert
fauve d'un élément de vie. des deux autres.
Et puis la décrue ... s'annonce : c'est le groupement,
le retour vers les bourgouttières, c'est l'abondance APERÇU GÉOGRAPHIQUE.
tant attendue, avec les animaux dans l'eau jusqu'au
ventre, c'est l'oasis après le désert. Les pâturages Réunis, les parcours de la portion orientale de la
s'épuisent, on.se reprend à espérer les premières subdivision d 'Ansongo et de ceux d~ la subdivision
pluies et le cercle immuable recommence ,, [6] . de Menaka (Haoussa d'Ansongo et de Menaka)
Dans l'ensemble des déplacements effectués par
les pasteurs et leurs troupeaux, on distingue trois (1) Nomadisation : action de no~adiser, noma•
principaux mouvements d'inégale importance : la disme : vie nomade.

327
Retour au menu

couvrent une superficie de 126.000 kilomètres Les pâturages aenens, composés en majeure
carrés (1). partie de mimosées sont surtout distribués selon les
Ils s'inscrivent approximativement dans un rec- tracés des anciens cours d'eau. Dans certaines
tangle dont les côtés sont formés par les 15• et dépressions, ils atteignent une densité de peuple-
17° parallèles et les méridiens 0°30 et 40 est. ment compatible p.vec leur désignation sous le terme
Partie du bassin oriental du Niger qui, unique de forêt.
cours d'eau permanent, la borde à l'ouest, cette Les pâturages prairiaux, excellents dans la partie
région naturelle offre à considérer un relief relati- méridionale, s'éclaircissent ,graduellement pour
vement peu tourmenté, dessiné par des plateaux faire place, vers la limite septentrionale, à des zones
latériques ensablés et soulignés par un réseau totalement dénudées ou recouvertes, par plaques,
d'affluents nigériens fossiles orientés nord-sud. de végétation présaharienne.

\
.,..
... ..
\ ALGÉRIE -

.. ... -

... .
-
1
"i -
.... -

....... . ,·
MAURITANIE ,@Kidal ._.\
®rabankort i
1
/ @Agadès

-,,) NI G ER
, · \ o· A N ., , Niamey
SENE GA L \ 5 OU /_,... ''! @ ,,,--·-- '·, _.... ,. ____ ,,.---
._ .... --- ---- ..... -; ..i·,. I l @ B a m a kVo O~
L. î )
Â_·, ....i ., ('
'./ , _., C ':/ , .
GUINEE 'j i LI î ~ ;-.,. '{
Ff!A._NCA1st/-..../'"'\).~ A_ r-·-·-·r-iJAHOMEY
; '\ '- ·-· ·-..J,GOLD 11 ( I
..\ C ô TE .-,-/rosa' _..- N I G É .R I A
1
/ERRA,.
LEONEr_ .. ._, J- - ! ,'
- · \:;:-_-
----' I · ,,J '\ 1

'_..!BÉRIÎi> D'IVOIRE /COAST i, \


' -,_ 1 ·, --~---~
1
i 0 200 400
1
Eche!le:km.' 100 300' SOOkms

Ces vallées sont, de l'ouest à l'est : l'Ademamel, Les terrains de culture sont réduits aux berges
l'Oued Magibo, !'Oued Rabarat, l'Ezgueret, l'Assa- inondables du Niger et à quelques champs de mil
karei, l'Azaouack, l'Azarh. pénicillaire sur des dunes riveraines.
A la limite septentrionale, du côté ouest, le socle
granitique de !'Adrar des Ifoghas ne s'est pas encore CLIMAT.
enfoncé sous les couches sédimentaires qui l'au-
réolent. A l'est, il fait place à une ancienne zone Les stations météorologiques du cercle de Gao,
lacustre, étirée entre Tiguirit et Mentes, frangeant au nombre de cinq, ont-les coordonnées suivantes :
au nord le plateau calcaire du Tadriant dont les Ansongo : Oo30, 15°40; Menaka : 2°20, 15°50;
rognons, les stèles et les dalles affleurent un peu · Gao: 0°16, 15°; Bourem: 0°25, 15°55; Kidal: 1°20,
partout entre l'Ezgueret et l'Azaouack. 18°30.
Les parcours offrent l'aspect classique de la steppe Leur_ petit ~ombre contraint à des extrapolations.
des épineux. On estime généralement que, , sauf pour celui qui
La densité du tapis végétal et du couvert arbustif circonscrit le micro-climat de l'Adrar des Ifoghas,
décroît du sud au nord. les principaux isohyètes tracés à partir d'un point
météo restent parallèles, d'une direction générale
(1) Ansongo : 26.000 km•, Menaka 100.000 km•. ouest-est avec un léger infléchissement vers le sud.

328
Retour au menu

Les moyennes des précipitations atmosphériques L'importance du groupement sédentaire est


enregistrées sur une période de dix années sont les donnée par le tableau I.
suivantes : La presque totalité des tribus et fractions nomades
Ansongo 231 mm. appartient à la Confédération Oulliminden.
Menaka 219 mm. Politiquement, ce bloc a été découpé en deux
Gao 200 mm. groupes de tribus : le premier, rattaché à la
Bourem 117 mm. subdivision d'Ansongo, est connu sous le nom de
Kida.l 99 mm. Daoussak, le second, administré par la subdivision de

, +
1 I +
,1 I ' +
I 1 ZONE DEN ADISAT/ON +
1
~ :
1
, ______ .. , ..... ----- +
+
\ 1, /''
+,

I
,\ v' o
/
,."!
,,/ ,Al
,/ +
'
\ 1
1 I , +
\ 1
I
I
I
' +
+

...
\ \
,' ' / I +
I ) I
I ,"' I +"
I
1 /
' ' +
1,1.--, ,, +
, .I , .. , .. .,,,.-- .... +
,' t' ,/-.. ..,-, +
+
!...:r-" t
,' +
1 +
) '/,
+
/

\'
'1
//
,, 'I

,,,',
... \\ (\ :,
....
.-:"lrr,
..
... 1 \~"-,: ....

'+'..,
1

\
• '

"... + + +t+ \
....
.... ® 1 1

1 1

Ech: 1/1.000.000
@ Terres sa/ees .0 Secteurs de concentration de saison sèche ~ A~es de
transhumance.

L'isohyète 300 peut approximativement être situé Menaka, a conservé son ancien nom d'.bulliminden.
aux environs du 15e parallèle. Le tableau II donne la liste des tribus et fractions
des deux circonscriptions administratives ,et indique
l'importance de leur cheptel. '
APERÇU POLITIQUE (LES HABITANTS).
La. division administrative ne possède ni base
Excepté la ligne des villages Songhaï jalonnant le géographique, ni base ethnologique. Son incidence
fleuve, le seul point de vie sédentaire est le poste de sur la vie nomade est certaine, mais, pour le pasteur,
Ménaka autour duquel s'est établie, en parasite, une les pôles attractifs que représente un chef-lieu ne
population hétérogène venue de différents horizons possèdent pas la puissance nécessaire pour faire des
(Haoussas et Djermas du Niger, anciens tirailleurs frontières administratives, des lignes de partage
soudanais, Songhaïs, Bellahs, etc. Pratiquement tout étanches. Des liens de famille et de vass~lité unissent
l'hinterlru:!d à vocation strictement pastorale est le encore les ressortissants des deux subdivisions. De
domaine de l'éleveur. part et d'autre, des familles, voire , même des

329
Retour au menu

TABLEAU I. - SÉDENTAIRES

CHEPTEL
CANTON, VILLAGE OU TRIBU
POPULATION !====================
TOTALE
Bovins
Ovins 'Chevaux Anes Chameaux
et caprins

a) Subdivision d'Jl.nsongo
Villages indépendants :
Ansongo ....................... . 524 423 71 10 33
Monzonga .................... . 1.155 1.292 1.379 54 136
Seïna Songhaï ................. . 1.386 1.197 915 60 28
Seïna Bellah ................... . 1.111 518 3.509 8 161
Goléa ......................... . 536 665 613 29 44
Labézenga ................... . 997 656 388 32 57
Karou ......................... . 991 716 494 28 19
Bentia .... '........... ·......... . 1.143 1.008 1.688 18 65 6
Fafa .......................... . 1.498 1.691 1.888 30 146
Oi,ia.tagouna .................. , l.3Qi 890 1.281 31 33.
Bara ........................... . 1.824 2.492 1.414 65 49
Tabango ...................... . 2.714 2.895 2.587 135 111
Badji Gourma ................ . 4.605 4.550 997 130 388
Badji Haoussa ................ . 2,954 1.975 942 58 247

Canton de Bourra :
Tonditio ...................... . 1.540 2.095 3.156 95 85
Lelléhoï ........................ . 686 707 691 31 17
Kounsourn ..................... . 965 862 1.053 65 27
Golingo ...................... . 244 636 516 19 8
Gassi ......................... . 167 · 373 272 27 3
Tassiga ......... , ............ . 61F 999 972 62 23
Youni ........................ . 249 424 277 9 9
Bellahs (1) .................... . 231 822 2.003 1 57 3
Algadane .............. , ...... . 222 542 1.209 1 53
Assaler ...................... . 808 2.162 15.996 413 56
Inazati ·......................... . 423 699 1.874 125 7
Ezab-Zab ...................... . 180 329 4.488 71 4
Awa-Wa ...................... . 270 242 '3.521 72 3
Alkouts ...................... . 300 702 2.867 90 2
Tazidert ...................... . 277 829 7.802 111 18
Alrnerdas .................... . 343 760 7.420 153 15
Assitakal.. ..................... . 411 710 2.694 156 2

Peuhls (1).
Amadou Talatou ............... . 351 822 428 3 106
Banganabé . .' .................. . 596 1.171 '2.478 1 159
Boubakar Alarnine .............. . 241 473 418 3 60
Ousseye Ixanane ............. . 1.337 2.208 7.204 2,1 250

b) Subdivision de Ménaka
Village de Ménaka ........... . 1.077 1.570 3.472 17 219 212

TOTAUX ................ . 34.434 41.106 88.977 1.044 3.784 331

(1) Les Bellahs et les Peuhls d'Ansongo ne peuvent être considérés ni comme de vrais nomades, ni
comme des sédentaires ; ce sont des nornadisants i:j.Vec des points de fixation régulierernent fréquentés.

330
Retour au menu

TABLEAU II. - NOMADES

CHEPTEL
POPULATION
TRIBUS ET FRACTIONS
TOTALE Ovins
Bovins et caprins Chevaux Anes Chameaux

a) Subdivision de Ménaka
O'ullirninden.
Kel Télataye .................... 5.110 7.858 69.649 25 3.236 2.909
Kel Ahara .............. , ....... 986 870 8.024 7 593 665
Idragagula .. ' ......... ' .... ' .. 1.103 1.598 17.183 3 872 570
Talghertanisat Wan Agaïok ..... 764 863 7.371 405 184
Talgheïtanout Wan Adrar ........ 680 845 7.518 1 403 225
Kel Tebounant ...... , . , ........ 855 867 12,103 474 206
Tamezguedda ................ , . 1.199 1.837 32.369 1.100. 276
Kel es Souk Kel Azarh ..... , ... 1.454 1.501 9.728 2 720 550
Kel es Souk Kel Agadah. , .... , , 752 1.581 7.715 9 471 415
Ichidenharen .............. , . , ... 1.211 3.208 21.175 83 993 1.126
Imagranes ..................... 124 198 2.035 66 128
Kel Rheris ...................... 192 308 3.575 2 155 133
Ilokianes ...................... , . 77 110 2.392 61 62
Debbakars Ahmed Iknane ...... 767 4.999 5,966 45 671 1.514
Debbakars indépendants .. , ..... 681 1.911 3.213 9 396 436
Idougouriten ................... 3.249 8.691 57.162 33 1.612 3.075
Cheriffen ...................... 586 1.419 9.327 25 367 1.342
Kel Eberio .... , ........... , ..... 463 1.407 10,516 5 270 900
Kel Techerdine ................. 141 437 4.783 4 102 160
Kel Abakot ..... , ... , ........... 1.252 3,961 12.516 1 604 1.209
Kel Agaïok .......... , , ........ 632 1.668 10,510 2 305 581
Ibbakanen ...................... 678 1.104 13.990 310 203
Tarbanassanes .................. 543 1.020 7.453 4 349 246
Kel Tebaho ... , .. , ............. 2.207 4.987 32.041 2 1.099 1.623
Arabes indépendants ......... ' 100 126 700 80 25
Zambourouten ............. , ... 916 364 11.438 402 47
b) Subdivision d'Ansongo
Daoussak.
Ihanakaten ..................... 3.633 23.529 76.128 17 2.550 3.041
Bellah ... , ..................... 300 277 4.198 - 198 15
lbogholiten ....... ' ............ 862 728 16.298 - 511 B4
Kerchechoten .................. 988 4.540 24.448 15 933 1.618
Agliterman ..................... 323 1.746 8.623 293 286
Forgerons ..................... 218 301 1.824 7 126: 24
Kel Amassine.
.
Banganaforas .................... 1.786 1.806 9.694 1 451 ' 63
Kel Bougou .................... 829 1.101 4.077 1 106, 28
Ichidnarens .. ....................... 257 541 11.352 6 166 48

TOTAUX ................. 34.918 88.307 537.094 309 21.450 24.027

'

331
Retour au menu

fractions dissidentes font paître leurs troupeaux en rayon des pâturages parcourus à partir d'un point
dehors de Jeurs limites administratives. Il ne faut d'eau varie suivant les espèces et les ressources
tenir compte de ces dernières que dans la mesure fourragères; il peut dépasser 15 km pour les bovins,
où elles perturbent les mouvements pastoraux les ovins et les caprins et atteindre dans les régions
naturels. présahariennes 50 km pour .les camelïns.
Bien que d'anciens terrains de parcours, notam- Dans les secteurs obligés, autour des rares points
ment ceux situés au sud du tracé frontalier compris d'eau de saisQn sèche, la densité animale dépasse
entre Andéramboukane et l'Azarh, aient été enlevés la moyenne .normale théorique des excellents pâtu-
aux Oulliminden au bénéfice des Djermas après les rages sahéliens (0,1 unité-bétail à l'ha) pour atteindre
troubles de 1916, ils n'en continuent pas moins d'être 0,3. Ce qui représente des rassemblements de 20.000
parcourus par leurs anciens utilisateurs. à 25.000 unités-bétail autour d'un seul point d'eau.
A la liste des tribus auxquelles l '.Administration Le volume des réserves d'eau, presque toujours en
re'connaît la jouissance coutumière des pâturnges fonction de J'épaisseur de la lame annuelle, ne pers
d'Ansongo et de Ménaka, il convient d'ajouter des met pas de fixer tous les ans d'une façon certaine Je
fractions d'immigration récente, Ifighas de Kidal, même nombre d'animaux aux mêmes endroits.
Kouritas de l'est, Chérifiens et Chemmenamas de La rapidHé avec laquelle, en hivernage, les pâtu-
Gao, Peuhls du Niger et une poussière de familles rages se reconstituent pourrait limiter ! 'amplitude
d'origines diverses. de la transhumance et inciter l'éleveur à un retour
La carte n° 2 situe approximativement les princi- plus prompt sur les parcours qu'il a quiHés dès les
paux groupes pastoraux pendant la saison sèche. premières pl\.lies. Cependant, la nécessité d'écono-
La densité animale n'est pas égale sur toute la miser les pâturages dont l'exploitation est obliga-
surface de la zone; l'insuffisance des ressources en toire pendant• la saison sèche lui interdit cette solu-
eau et ! 'irrégulière distribution géographique du tion de facilité. Dans les pâturages ainsi abandonnés,
petit nombre de points d'eau permanents entraînent les plantes peuvent mûrir leurs graines et assurer
la répartition irrationnelle du cheptel en concen- l'ensemencement avant d'être broutées.
trations punctiformes. Non seulement la quantité, mais la qualité des
pâturages intervient pour orienter les mouvements
transhumantiels.
LA TRANSHUMANCE Certaines plantes (1) formant des peuplements
uniformes ne présentent une excellente valeur ali-
La transhumance, phénomène complexe d'une mentaire que pendant une très brève période de
impérieuse nécessité, est sous l'étroite dépendance leur cycle végétatif. Elles permettent alors un engrais-
d'un ensemble de faits naturels, liés entre eux, et sement rapide des animaux amaigris par les mois de
dont le faisceau représente les conditions méso- saison sèche.
logiques (conditions orologiques, hydrologiques, A l'époque où la steppe a acquis sa siccité caracté-
climatologiques, ethnologiques, etc.). ristique, d'autres plantes (2), sans présenter une
grosse valeur alimentaire, offrent de par leur
A. - La transhumance des tribus nomades. nombre un tel volume de réserves aqueuses qu'elles
Plusieurs groupes de · facteurs déterminent les suppriment la, sujétion de l'abreuvement..
mouvements transhumantiels de l'hinterland : L'exploitation de ces pâturages pendant la
l. Facteurs économiques. courte période favorable se traduit par des mou-
2. Facteurs hygiéniques. vements diffiçiles à préciser sur une carte et dans
3. Facteurs sociaux. le temps.
La recherche des éléments minéraux nécessaires
I. - Facteurs Élconomiques. à la ration alimentaire des animaux domestiques est
a) Entretien du cheptel, nourriture et abreuvement. le mobile qui imprime à la transhumance, dans l.a
La précarité des ressources en eau mal réparties,
l'inégale distribution de pâturages de valeur et de
densité trè.s diverses, interdisent toute sédentari- (1) « Agaof l> (Tribulus terrestris) : tous herbi-
sation. La recherche de l'eau et des pâturages est vores, mais surtout moutons et chameaux.
l'activité majeure du transhumant. L'utilisation des « Adress » (Commiphora africana:) « Agiar »
pâturages est étroitement subordonnée à la présence (Mœrua crassifolia), « Tekaneit >> (Blepharis edulis),
de l'eau. pour les chameaux.
En saison sèche, concentrée autour des réserves (2) Pastèques sauvages; en 1943 les dunes situées
naturelles d'eau, la masse pastorale n'occupe que sur la route. de Menaka-Ansongo étaient couvertes
de faibles surfaces qu'elle épuise rapidement. Le de ces fruits ,(deux à trois au m').

332
Retour au menu

région de Menaka-Ansongo, deux de ses caracté- convergent également : du nord, les tribus du Kidal
ristiques principales : son amplitude et son axe et du Tamesnar, et de l'ouest, celles de Gao. Elles
nord-sud. sont principalement fréquentées pendant l'hiver-
Les animaux trouvent ces éléments minéraux nage (août-septembre).
mélangés à de la terre ; les chlorures semblent D'autres terres salées de moindre importance,
dominer, notamment le chlorure de sodium, c'est ce disséminées sur l'ensemble du Terri~oire, attirent
qui explique le nom de terres salées donné aux également, au cours de l'hivernage et aussi pendant
endroits où, périodiquement, les troupeaux sont la saison froide, les troupeaux des pâturages voisins
menés pour une cure (1). (Asor, Jnfaner, Karou, Mozanga).
La posologie n'est pas fixée, l'animal est laissé Lorsque l'absence d'eau interdit l'accès de ces
libre. Il n'est retiré des terres salées que lorsqu'il terres aux troupeaux, les éleveurs v~ennent faire
ne manifeste plus aucun goût pour la terre. La cure des provisions qu'ils emportent dans leurs campe-
dure environ de trois à cinq jours. ments à l'aide d'autres chargées sur d~ ânes.
Les principales terres salées de la région sont b) Constitution de réserves de denrées vivriPres.
situées sur le 17 • parallèle ; elles marquent la limite
Les pasteurs touaregs, bien qu'essentiellement
nord de la transhumance des tribus du sud. Vers elles
galactophages et carnivores, sont néanmoins consom-
mateurs de grains.
Les conditions climatiques interdisent toute culture
(1) L'analyse des terres salées, recueillies par la
rentable dans toute la zone considérée sauf sur les
mission de Gironcourt [7] a donné les résultats
terrains situés sur la frontière nigérienne méridionale
suivants :
et sur les berges du fleuve.
Chlore ................ . 4,05 % Les éleveurs, réfractaires aux travaux de la terre
Acide sulfurique .......... . 5,26 par tradition et par orgueil, ne peuvent s'approvi-
Acide carbonique ......... . traces sionner en grains que par la cueillette de graines
Acide nitrique ............ . 0,007 sauvages (échibane, cram-cram, riz: sauvage ou
Silice ...................... . 71,00 par l'achat des récoltes des sédentaires.
Acide phosphorique ...... . néant D'où l'obligation, soit de venir individuellement
Alumine ............... . 1.05 sur les marchés du Niger ou du fleuve;, soit, accom-
Oxyde de fer ............ . 1.45 pagnés de leurs troupeaux, de camper à proximité
Chaux ..................... . 2,24
des zones de culture ou de s'installer temporairement
Magnésie ................. . 2,50
sur les terrains à graminées sauvages comestibles.
Potasse ................... . traces L'époque la plus favorable aux trocs entre séden-
Soude ................... . 7,98
taires et nomades s'étale sur le dernier trimestre
Azote total ................ . 0,042
(récolte du mil en octobre, récolte du riz en
et celle des cristaux : décembre). Celle de la cueillette correspond au
Humidité .................... . 0.40 mois d'octobre.
Chlore ................... . 60,40 Dans certains cas, la proximité de terres salées
Sodium ................... . 39,20 et des terrains de culture (Mozanga - Karou) permet
d'associer ces deux mobiles de déplacements).
La terre salée, recueillie à Lelehoy se présente
sous l'aspect d'une poudre gris rougeâtre mêlée de Il. - Facteurs hygiéniques.
petits cailloux quartzeux de différentes couleurs (vio-
a) Prophylactiques.
lacé, jaune, jaune ambré); elle contient des cristaux
transparents constitués par un mélange de chlorure Les pluies d'hivernage perturbent le climat
de sodium de potassium et de magnésium. normal caractérisé par une extrême sécheresse,
On note une quantité énorme de chlorures (76,87 g ! 'humidité atmosphérique passant brutalement de
par kilo de terre, la majeure partie est du chlorure de 25 à 60.
sodium). De l'association de la chaleur et de l'humidité
résulte un brusque réveil de la nature qui se traduit
Les autres éléments constitutifs sont, les suivants par une éclosion dans les règnes végétal et
H,O . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0.4 % animal.
Matières organiques . . . . . . . . . 2,3 % En quelques jours, la steppe, d'inanimée, devient
FE,0,-Al,O, . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0,3 % bruissante des myriades d'arthropodes : tabanidés,
CaO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,7 % muscidés, simulidés, culicidés, ixodidés, etc.
Mg .......................... 3,9 °/o L'eau stagnante favorise la reprise du cycle évo-
(Analyse du Professeur Sartory) [11]. lutif des parasites interrompu par la ·sécheresse :

333
Retour au menu

chaque mare, chaque flaque grouille d'une vie par la végétation offre asile à la vie fragile des espèces
larvaire pressée de parvenir au stade adulte. xérophobes.
Les régions les plus infestées sont évidemment L'éparpillement de la matière pastorale en trou-
les plus parcourues, celles où le plus grand norribre peaux familiaux· de faible importance, isolés les uns
d'hommes et d'animaux ont séjourné en saison des autres, atténue momentanément les risques d'épi-
sèche, celles où les eaux de surface sont abondantes : zooties. Certains mouvements sont commandés par
vallées méridionales, mares et points d'eau obligés. le souci d'éviter ou de fuir une zone contaminée.
Par contre, les terrains septentrionaux, plus arides, Cependant, quelquefois, cette fuite, ce's mesures
moins arrosés, moins parcourus, sont le théâtre « d'isolement itinérant ll, contraires aux règles de
d'une vie beaucoup moins intense. police sanitaire, favorisent la disp'ersion du contage;
En particulier, à leur stérilité, les terres salées notamment lorsque les troupeaux sont déjà conta-
ajoutent la caractéristique d'être impropres à assurer minés avant leur départ.
toute vie animale même inférieure. Elles apparaissent Brion, Fagot [3] signalent une tétanie d'herbage
comme abiotiques. chez les jeunes bovins des régions sahariennes :
C'est ainsi que le plateau d'In Faner, situé légè- « Cette affection sévit surtout chez les sujets qui, au
rement au sud .du 15e parallèle, au milieu de pâtu- début de l'hivernage, passent brutalement d'une
rages infestés de moustiques en hivernage, permet alimentation riche en cellulose à un régime trop
cependant., à cette même époque, aux voyageurs de riche en protéine, trop pauvre en minéraux Elt en
se reposer la nuit sans avoir à se protéger artifi- cellulose. ll
ciellement contre les attaques de ces culicidés. Sans qu'il soit possible d'affirmer que les pasteurs
Les insectes hématophages ne sont pas tous vec- touaregs transhument pour éviter cette affection,
teurs d'affections; certains ne jouent le rôle d'agents on doit reconnaître que la coutume empirique qui
de transmission que pour quelques espèces. Cepen- consiste à conduire les animaux vers des pâturages
dant la plupart sont presque toujours une gêne pour moins riches dès la poussée de l'herbe. verte pour-
l'éleveur et son troupeau. rait bien .avoir une base scientifique oubliée, née de
Les moustiques interdisent tout repos nocturne, l'observation des faits.
non seulement à ! 'homme mais aussi au cheptel. b) Climato physiologiques.
0

Pour protéger son troupeau de leurs attaques, le Les ethnologues s'accordent à penser que l'homme
pasteur allume des feux d'herbes. Il se garantit lui- de race blanche ne peut vivre dans les conditions
même par un rythme de vie inversé, veillées noc- naturelles au-dessous d'une certaine latitude.
turrtes et repos diurne, ou l'installation d'aires de Des rivages mauritaniens au massif de ! 'Aïr, on
couchage, montées sur piquets à 1 mètre du sol, peut suivre la ligne de. séparation des deux blocs
sous lesquelles la masse des ovins et des caprins raciaux. En ce qui nous concerne, la limite méridio-
rassemblés joue le rôle de dérivatif. nale de l'aire d'expansion géographique de l'élé-
Le meilleur moyen de soustraire le couple sym- ment blanc se superpose approximativement au
biotique homme-troupeau au désagrément des 15e parallèle: Certaines tribus touaregs 13ont bien
piqûres et à l'infestation parasitaire reste le dépla- descendues au-dessous, mais elles n'ont pu s'y
cement vers les régions septentrionales où les maintenir qu'au prix d'un fort métissage; à tel point
conditions climatiques, plus sévères, abaissent la que seul le langage et l'habillement les différencient
densité des parasites et des agents vecteurs héma- des groupes sédentaires de race noire.
tophages. Cette ligne de séparation ethnique n'estpas aussi
Dès la fin de l'hivernage. cette poussée d'infesta- franche qu'une frontière politique. Des échanges ont
tion disparait brutalement pour certaines espèces ( 1) ; lieu de part et d'autre. Toutefois, eHe. apparaît
elle s'atténue progressivement pour d'autres. Les nettement : plus on remonte au nord, plus l'é.lément
conditions redevenues normales autorisent alors le blanc domine, alors que plus on descend ve.rs le sud,
retour des campements. plus l'élément noir devient prépondérai;it
Les nomades gardent toute l'année le souci d'éviter Si le refoulement des pqpulations nqires est dû
le contact avec les ixodes et les tabanidés, aussi à un fait politique, l'arrêt des populations blanches,
installent-ils toujours leur tente sur des plages sablon- par contre, semble bien avoir eu des causes climato-
neuses dégarnies de végétation ou sur des regs, physiologiques et pathologiques.
jamais aux abords des mares, ni dans les vallées, ni La preuve de l'étroite adaptation de l'homme à
même sous un arbre, où le micro-climat entretenu son climat d'origine est fournie par la difficile période
d'adaptation à laquelle n'échappent que peu d'Afri-
cains déplacés. Tout comme thomme,J'animal élevé
(1) La disparition du moustique coïncide avec celle en climat sec sahélien supporte mal un climat
de l'herbe verte. plus humide ; étroitement adapté aux conditions

334
Retour au menu

mésologiques, la transplantation sous une latitude Les nouvelles de l'année sont éch~ngèes. Des
plus basse lui est, en règle générale, fatale (1). intrigues sont nouées. La politique triba.le fait l'objet
de débats qui sont consignés dans la gazette ,orale
m. - Facteurs sociaux. pour être ensuite diffusés et commentés dans tous les
Sans verser dans le romantisme et vouloir pré- campemeritsi.
tendre que le nomade, « perpétuel errant », se
déplace par goût alors que, presque toujours, c'est * **
par simple nécessité, ·il faut admettre que les pre- Le cycle transhumantiel nomade petit se décom-
miers mois de la transhumance lui apparaissent un poser schémattquement en six phases normales et
peu comme des mois de vacances. L'hivernage est une septième extraordinaire.
l'époque de la vie facile : pas d'abreuvoir aux puits Première phase. - Dès les premières pluies,
ou aux mares éloignés des campements, pas de « éclatement )> des troupeaux qui abandonnent les
corvée d'eau; les animaux paissent à proximité grands points d'eau pour s'abreuver aux flaques
immédiate des campements ; le lait coule en abon- formées par les premières pluies et paître les pâtu-
dance ; la chasse apporte un appoint carné, non
rages situés hors des limites de parco1trs de saison
négligeable. Les carnassiers prédateurs disséminés sèche.
sur toute la surface du territoire trouvent une nour- Deuxième phase. - Dès que l'hlvernage est
riture plus facile parmi les jeunes animaux sau- installé (petites mares en eau, herbe verte), mou-
vages et dédaignent temporairement les troupeaux
vements en direction des terres salées; ou des. pâtu-
domestiques mieux protégés par la proximité de
rages abondants.
l'homme.
Troisième phase. - Vers la fin de l'hivernage,
L'hivernage favorise les rencontres; on n'hésite
retour des terres salées en utilisant les pâturages
pas à faire un crochet de 100 km (4 jours) pour rendre
ouverts temporairement par les petites mares; épui-
visite à une famille à laquelle on est lié, d'autant plus
sement des petites réserves d'eau de surface;
que l'on est assuré d'être bien traité.
cueillette de graines sauvages ; troc avec les séden-
Des rendez-vous sont pris sur un itinéraire; les
taires.
rencontres sont mises à profit pour régler les ques- Quatrième phase. - Utilisation de ces mêmes
tions de famille et d'héritage. Des idylles s'ébauchent
pâturages, par le fonçage de puisards, lorsque les
de tribus à tribus ; des mariages sont conclus et la
précipitations atmosphériques de l'année et la dispo-
période d'abondance est mise à profit pour fêter ces
sition de la couche perméable souterraine permettent
événements.
de trouver de l'eau.
Des jeux sont organisés; ils rassemblent en luttes
Cinquième phase. - Regroupeme11t progressif
compétitives la jeunesse turbulente privée des expé-
autour des grands points d'eau plus importants.
ditions et des combats d'une ère révolue.
Sixième phase. - Concentration autour des grands
points d'eau de saison sèche.
(1) En 1947, un exemple a été fourni parle déplace Septième phase. - Les années particulièrement
ment d'Ansongo vers Bandi-Agara d'un groupe de sèches, abandon de certains grands points d'eau à
12 bovins daoussaks adultes. sec et repli vers ceux qui permettent encore l 'abreu-
Alors qu'en une année, on eut à déplorer la mort voir. Ce dernier mouvement exécuté en fin de.saison
de tous les importés, on ne relevait aucune mortalité chaude se solde en général par une très grosse
parmi les animaux du troupeau dans lequel ils mortalité, car les animaux quittent les puits taris sans
avaient été introduits. avoir été suffisamment abreuvés pour de très longues
Le potentiel pathologique restant le même pour étapes (2), (3).
tous les animaux, la mortalité des unités exotiques
ne peut s'expliquer que par un déséquilibre physio-
logique résultant du changement. de climat, ayant (2) Le mot étape est entendu dans le sens de dis-
entraîné un état de moindre résistance. tance parcourue sans abreuvoir. Il est bien évident
Cette constatation explique, d'une part la limite que les animaux s'arrêtent pour se reposer. Lalon-
méridionale de la transhumance, d'autre part la gueur du trajet à parcourir peut atte~dre de 100 à
nécessité de la remontée en latitude pendant ! 'hiver- 120 km.
nage à la recherche d'un climat plus sec. (3) Il pourra paraître surprenant qu!il ne soit pas
Signalons toutefois que les jeunes, après une fait mention de la «descente» des troupeaux nomades
période d'adaptation, mise en relief par une mortalité dans les bourgouttières.
élevée et un net retard dans leur croissance par- Si ce mouvement transhumantiel est effectivement
viennent à s'adapter à de nouvelles conditions de effectué par les tribus de l'ouest et du centre de la
milieu. (Voir suite de la note page 338.)

335
Retour au menu

TERRES
SALÉE~

"h ....
·. 7(: ·.
... .. ..
..
. .. .

. .
1 2

336
Retour au menu

337
Retour au menu

B. - La transhumance des troupeaux sédentaires. immédiats des champs de culture, à l'époque où


Les groupements humains à vocation strictement ces derniers offrent au milieu de la brousse dénudée
pastorale ne sont pas les seuls à transhumer. Les des îlots de verdure tentants, n'est possible qu'au
.cultivateurs sédentaires du fleuve possèdent des prix _d'un gardiennage sévère.
troupeaux qui, depuis l'installation de la paix fran- Par ailleurs, depuis l'occupation française, le
çaise et la mise en œuvre d'un système de protection sédentaire a la possibilité de s.'aventurer dans l'hin-
sanitaire contre les grandes épizooties,· se sont consi- terland sans être razzié. Toutes ces raisons l'incitent
dérablement enrichis. à faire transhumer son cheptel.

UTILISATION DES PATURAGES DE SAISON SÈCHE


Par les sédentaires Par les nomades
FLEUVE
ZONE
D'INONDATION
/
,,,, . .,,. ..,,,,.----
/ 10 Km.
/
/
I
I

Superficie des parcours exploitables


15.000 ha 125.000 ha
La surface théorique que peut exploiter un troupeau La surface quepeut exploiter l'unité pastorale centrée
sédentaire n'est pas supérieure à celle dont dispose autour du point d'eau es( égale à environ. quatre fois
la totalité du cheptel du village. celle que théoriquement, un troupeau peut parcourir.

Leur importance est telle que les pâturages rive- Les mouvements transhumantiels effectués par les
rains sont devenus insuffisants à leur entretien. troupeaux des sédentaires ne possèdent pas l 'amplî-
La p:rés~nce d'un cheptel nombreux aux abords tude que revêtent ceux des nomades. Cependant

(Suite de la note de la page 335.) Les troupeaux oulliminden ne viénnent jamais au


boucle du Niger, par contre, les nomades des subdi- fleuve ; des nomades d 'Ansongo, seule une faible
visions d'Ansongo et de Menaka l'ignorent. partie abreuve pendant une courte période au fleuve
En aval de Gao, les prairies aquatiques de bourgou sans toutefois pénétrer dans les zones d'inondations
sont réduites à des minces bandes et à quelques îlots car, pour éviter l'infestation parasitaire, les bergers
de pâturage, insuffisants à l'entretien du cheptel choisissent, comme lieux d'abreuvoir, les endroits
sédentaire. où le courant principal longe les dunes de sable vif.

338
- - - - - - - - ---------

Retour au menu

on note une tendance à s'écarter de plus en plus du progression vers l'intérieur en directio.n des petites
fleuve pour profiter le plus longtemps possible des terres salées.
pâturages intérieurs. Troisième phase. - Dès l'assèchement des petites
La transhumance n'est pas effectuée par la totalité mares, concomitant de la transformation des pâtu-
de l 'effectif. rages verts en pâturages de paille sèche, retour
Les vaches en lactation sont gardées près des vil- vers les villages. Ce retour coïncide avec la récolte
lages. du mil qui précède celle du riz dont les champs sont
Le sédentaire n'accompagne pas son troupeau, protégés par la crue du fleuve.

I
I
'
/
' ', +
I
I I
I
'1 +
1 +
,' :' I
I
+
t
', 1 ,,,,------"
1 1
',,
, I
', ',,.' .,+-"
,'+
: t' '1
1 ., ,' +
, I
/ / +
'11 '1 ,, +
.
1
1 I ,
f
,, ' 1 ,, I

--- ,,~,' , , .,.


,
I
' /,
I ,_.,
I • ,
I

,,
.,,..-
.
1
1
1

II
II
I I
I
I ',
' ,'
'
,
~, ,"
','
,
,
+
+
Jf

1 , { ...... ,' ,,.'


I I
' 1 j
+
\ ' ' ,'
+
EX ~?ME-OR/ENT,'l·, // +
1 1 1 ,' ,,, +
~ '~ \,, \ \ ,' ' +
'' ~ '. ! \ ',: t: f
1 1 1 1 \
"1, 1 : 1
'",',
' '' ' I
.
! \ ,
1
- ----
1,
1
\ '/
,:,•'
\
1 1

.'
' 1
++-t-+++-+ ' ' 1 1
: 1
1

DU NIGER Eçh.\1/1.000.0 0
TRANSHUMANCE DES PEULS NIGtRIENS ET DES StOENTA/RES
stDENTA/RES [ Z~nes de .conc~ntration .de saison s~che ·:·:::·.
Atre de dispersion en hivernage ~ / /
PEULS N/GtRIENS : Aire de dispersion en saison sèche 11111

mais le confie à des bergers (pour la plupart d'ori- Quatrième phase. - Exploitation des pâturages
gine peuhle ou bellah) que l'absence d'animaux de de dunes bordant le fleuve.
transport oblige à camper sommairement. Cinquième phase. - A partir de décembre, dès
Les phases de la transhumance des troupeaux le début de la décrue, entrée dans les prairies aqua-
sédentaires sont les suivantes : tiques, les jachères de gros mil et les rizières.
Première phase. - Dès que les pluies ont permis Sixième phase. - Lorsque les pâturages de décrue
la formation de petites mares, abandon des zones sont épuisés, retour aux pâturages de paille des
surexploitées pour les pâturages d'herbe sèche dunes qui sont alors exploités jusqu'à la limite
situés i. la lisière des terrains de parcours de saison maxima (10 km environ) qu'autorise la rentrée vespé-
chaude. rale au village.
Deuxième phase. - Lorsque l'hivernage est ins- Chaque village ne dispose que d'un pâtu-
tallé et que la brousse offre des pâturages verts, rage semi-circulaire ou rectangulaire, alors qu'un

339
Retour au menu

TERRES SALEES

LEGENDE 0

·,. .....
..

•.

+ +

...
. . . . .. .
. .:..... .
... :.·...:..·..
.. . ::..

1 2

340
Retour au menu

. .. .. ...

3 4et5

.+·

.. ....
... ... ... -
.·:·:. ::-.·
--------:.....
:.,.~.
,· :>::
:

6 7

341
,-------
Retour au menu

groupement nomade exploite une surface circulaire Par un curieux paradoxe, l'étude de la trans-
qui, du fait de la disposition des campements et de humanc~ (qui est essentiellement mouvement) né-
l'entraînement d_es animaux à ne boire que tous les cessite sa décomposition en une succession de
deux jours, est exploitable jusqu'à 20 km de l'abreu- « moments fixes » représentés par les haltes et les
voir. stations.

TABLEAU III. - NOM DU POINT D'EAU : IDELIM.IJ,NE (Long. : 1oz5 • Lat. : 1So30)
Point d'eau réputé permanent dans la vallée de l'Idelimane au confluent de l'Adaran Takelit.

ANNÉE 1943 1944-1945-1946 1949-1950 1949-1950

Mois .......... Juin. De décembre à juil- Avril. Mai.


let.

Caractéristiques. Mare en eau lon- Mare en eau jus- Mare à sec, 200 à Mare à sec, pui-
gueur: 2 km, lar- qu'en novembre 300 puisards en sards à sec.
geur 100 à 200 m, ou en février sui- exploitation.
hauteur d'eau vant les années,
1 m.
200-300 puisards
en exploitation
après l'assèche-
ment de la mare.

Pâturage........ Pâturages tondus Pâturages exploités Pâturages exploités Pâturages exploités


sur un rayon de au maximum. au maximum. au maximum.
15 km, berges
peuplées de jeu-
nes mimosés.

Groupements
rencontrés .... (1) + Daoussaks d'An- + Daoussaks d'An- (2)
songo. songo.
+ Ifoghas de Kidal. + Ifoghas de Kidal.
Daoussaks de Me-
naka,
Imajorems de Me- Imajorems de Me-
naka. nàka 8.à.9.000 uni-
tés-bétail.
Sidnarens d'Anson-
go, en moyenne
10.000 unités-bé-
tail.

(1) Mare déserte, les campements avaient déjà déménagé en direction du sud-est vers une région
arrosée par la première tornade de l'hivernage.
(2) Mare déserte, les campements s'étaient repliés sur les puits de Tier Hama de la vallée de l'Ezgueret
et sur les rives du fleuve.

342
Retour au menu

Les arrêts les plus longs correspondent aux lieux . pendant de nombreuses années' une somme de
des abreuvoirs. renseignements valables sur un assez grand nombre
Une connaissance profonde du réseau des points de points d'eau, par contre, l'étude ,complète des
d'eau est donc indispensable. mouvements pastoraux réclame un nombre impor-
Les indications recueillies par renseignements tant d'observateurs, leur présence contante au sein
sont d'une précision toute relative (1). Sans être du monde pastoral et leur participation effective aux
inutiles, elles doivent toujours être confirmées par déplacements.
les données obtenues de l'observation directe. Par ailleurs, un exposé des mouV'.ements trans-
S'il est possible à un seul observateur de recueillir, hwnantiels ne saurait revêtir la forme idéale d'un
par une série d'obsèrvations faites régulièrement, indicateur de chemin de fer.

TABLEAU IV, - NOM DU POINT D'EAU IMENAS (Long. : 0°39 • Lat. 16°26)

1950
ANNÉE 1943 1946 (année très sèche,
pâturages très: pauvres)

Mois ............. ' .. Décembre. Janvier. Mai.

Caractéristiques ....... Quelques flaques dans Quelques puisards de Plus d'une centéiine de pui-
la mare. très faible débit. sards de débit moyen.

Valeur du pâturage ... Excellent pâturage Bon pâturage peu par- Pâturage tondu dans un'rayon
vierge. couru. de 15 km. ' ·

Groupements rencon-
trés ................ + Cherrifens de Gao + Cherrifens de Gao, Ifo-
(quelques tentes). ghas de Kidal, Kelassa-
kanes de Gao, Kountas de
Bourem (cheptel évalué à
7.000 unités-bétail; chiffre
des vaccinations effectuées
5.000).

(l} Dans de nombreux cas, l'homme de la steppe, l'abreuvoir, il ne deviendra mauvais que lorsqu'il
pour se libérer d'un interrogatoire ennuyeux ou sera sec. C'est ainsi que des points d'eau abreu-
auquel, par ignorance, il ne peut répondre correc-. vant pendant quatre à cinq mois de l'année, cinq à
tement, n'hésite pas à fabuler. La fable, tenue pour six mille unités-bétail pourront, suivant la saison, être
d'autant plus précieuse qu'elle est détaillée, est la tenus pour importants ou pour ne présenter aucun
forme de discours la plus facile à la fois pour con- intérêt.
tenter l'enquêteur, toujours importun, et pour s'en Un puisard capable de n'assurer l'abreuvoir que
débarrasser. d'un seul troupeau de quelques unités, mais ceci
La vérité elle-même, lorsqu'elle est séparée du pendant les neuf mois de saison sèche sera qualifié
contexte naturel dans lequel elle se situe, perd toute soit d'excellent, soit d'inutile, selon que le jugement
sa valeur pour parfois revêtir l'aspect du mensonge. sera porté par le bénéficiaire ou par un propriétaire
Les jugements portés par les nomades som essen- d'animaux ne l'utilisant pas. En toute logique, rien
tiellement subjectifs : de plus normal qu'aux yeux de l'utilisateur. ce soit
Un puits sera toujours excellent tant qu'il permettra le meilleur point d'eau qu'il connaisse.

343
Retour au menu

Chaque observation n'est qu'un fragment de vérité vent stériles (regs, dunes vives, collines rocheuses).
découpé dans le temps. Au Sahel, la vérité d'aujour- Dans quelques secteurs, au hasard des pluies, pousse
d'hui n'est plus celle d'hier pas plus qu'elle ne sera une maigre végétation dont les espèces composantes
celle de demain. Autant de vérités que de lieux et conviennent surtout à l'entretien des camelins.
d'époques. Vue d'avion, elle apparait comme une étendue
Aussi, en toute honnêteté, à la séduisante synthèse, déserte, plaquée de rares taches de pâturages nés
doit-on, en ce qui concerne la vie pastorale, préférer des tornades. La moyenne annuelle des précipi-
les données analytiques fragmentaires. tations atmosphériques varie de O à 100 mm.
Certes, elles ne donnent pas une vue d'ensemble Seul le chameau, bétail du grand nomade, trouve
complète de la transhum.ance, mais elles offrent sa subsistance de façon certaine. dans ces régions
! 'avantage d'en préciser la diversité et le caractère déshérités dont l'exploitation n'est permise que par
capricieux. son intermédiaire.
Dans ce domaine, l'homme, n'impose plus, sa L'interdépendance de l'homme et de l'animal est
volonté, il subit la loi d'une nature souvent hostile. révélée par la comparaison de leurs populations
Son action se limite à des improvisations dans un respectives : on compte environ 4 chameaux pour
cadre tracé par des forces naturelles qui échappent 3 hommes.
à son contrôle mais qu'il essaye d'utiliser au mieux Cependant, les fractions chamelières élèvent éga-
de ses intérêts. lement des ovins. Les bovins ne sont représentés
Les quelques exemples suivants, choisis au hasard, que par quelques têtes.
mettent en lumière le peu de crédit que l'on doit La recherche de l'eau et du pâturage sont les deux
accorder à une seule observation. Ils avertissent du seuls mobiles des déplacements.
danger des généralisations hâtives (voir tableaux Les mouvements ne s'inscrivent ni dans un calen-
III, IV, V, VI). drier, ni dans des limites politiques, mais sans chro-
Bien que l'observation suivante ait été faite dans le nologie dans ,le cadre de la zone climatique. La
Gourmç1., son étrangeté lui vaut d'être signalée ici. direction des mouvements, la longueur des distances
D'avril à juin 1950, en fin de saison sèche d'une parcourues, la durée des stationnements, ne sont
année caractérisée par de faibles précipitations, à déterminées par aucune règle fixe.
15 km au sud de Doro (1), dans une région réputée Le caractère cyclique, que l'on peut parfois
sans eau, une fraction Kel Tankarangat a exploité relever, reste étroitement lié aux phénomènes
une cinquantaine de puisards creusés dans un fond atmosphériques dont la manifestation, sous cette lati-
de dunes ou jamais de mémoire d'homme un puits tude, est essentiellement irrégulière.
.n'avait été foré. Il s'écoule parfois dix années avant qu'une contrée
La nappe reposait à 10 m de profondeur sur un lit parcourue le soit à nouveau, alors que le secteur
de schistes. voisin peut être exploité plusieurs ·années consé-
Tout laisse supposer que les conditions qui ont cutives.
permis la constitution de cette réserve d'eau souter- Les mouvements de la nomadisation, toujours
raine 'ti;-ès localisée ne se reproduiront peut-être pas dictés par des impératifs vitaux, sont d'une brus-
d'ici de très nombreuses années. querie et d'une soudaineté qui déconcertent l'obser-
D'abondants pâturàges parfaitement délimités, fai- vateur. Des faits enregistrés, aucune règle générale
sant tache au milieu d'un tapis herbacé très pauvre, ne peut être tirée. Leur transcription en documents
signature de fortes précipitations très localisées, cartographiques ne saurait en aucun cas être valable
expliquaient la présence extraordinaire de cette pour les années à venir.
nappe constituée par la seule infiltration d'une lame Les puits peu nombreux ne correspondent pas
d'eau d'exceptionnelle importance dont le bénéfice toujours aux secteurs pâturables dont la distribution
fut limité à une très faible superficie. et l'importance varient chaque année .. Les parcours
exploitables ne sont pas obligatoirement centrés
sur les points d'eau; ceux-ci sont parfois désertés
LA NOMADISATION
faute de pâturages.
La zone où la nomadisation est l'unique mode La physiologie du chameau lui permet de s 'affran-
d'exploitation des parcours se superpose à la partie chir de la règle imposée aux autres espèces. En
subsaharienne (prédésertique) située au nord du saison froide, certains pâturages présahariens ·
17• parallèle. offrent aux troupeaux camelins la possibilité de sub-
Elle offre une majorité de terrains dénudés, sou- sister sans s'abreuver pendant deux ou trois mois. En
séüson sèche, féloignement du pâturage de l'eau,
lorsque la distance n'excède pas 50 km, n'est pas.
(1) Long. 1°06 ouest. Lat. 16°12. un obstacle.

344
Retour au menu
. . l

TABLEAU V. - NOM DU POINT D'EAU : ER.A.NG.A.-NORD (Long. : 1°50 • Lat. : 15°45)


Puisards creusés dans le fond d'une vallée encaissée affiuente de la vallée de l'ldelimane.

ANNÉE 1949 1950 19SO


i

!
Mois ................ Avril. 1
Janvier. Avril (1).
!

Caractéristiques ....... Puisards à sec aban- 6 puisards en exploi- 10 puisards en exploitation.


donnés. talion.

Valeur du pâturage .... Pâturage moyen sous- Bon pâturage sous- Pâturage exploité ·à fond .sur
exploité. exploité. 10 km de rayon.

Groupements rencon-
trés ........... ' ... Daoussaks du Niger,
Imajoren du Niger.
-;- Daoussaks d'Anson- + Daoussaks d'Ansongo.
go.
+ Imajoren de Me- + Imajoren de Menaka,
naka. Daoussaks de Menaka,
Kountas de Bo~rem, Ifo-
ghas de Kidal, Cherrifens
de Gao.
1

(1) En mai, ce point d'eau a été abandonné (puisards à sec).

TABLEAU VI. - NOM DU POINT D'EAU : TAMELET (Long. : 3°40 · Lat. 15°40)
Grande mare dans un fond de dune alimentée par une vallée

ANNÉE 1945 1950 1950


1

'
1
Mois • • • • • • • • 1 •• ' ' ••• Mai. Janvier. Mars .
1

Caractéristiques ....... Mare à sec, nappe sou- Mare en eau. Mare avec nappe souterraine
terraine abondante. abondante; quelques pui-
sards en exploitation.

Pâturage .............. Pâturage exploité au Pâturage exploité au Pâturage exploité au maxi-


maximum. maximum dans un mum dans un rayon de
rayon de 15 km. 20 km.

Groupements rencon-
trés ................. Énorme concentration de groupements Oulli- Quelques campements Oul-
mindens. limindens.

345
5
Retour au menu

TABLEAU VII

OVINS
BOVINS CHEVAUX ANES CHAMEAUX
et caprins

1945
Effectifs .............. 43.174 267.796 451 9.978 8.798
% du total des effec-
tifs ................ 13% 81% 0,2% 3% 2,8% 100%
---

1950
Effectifs ............... 59.580 406.000 379 19.659 16.9'54
% dÙ total des effec-
tifs ................ 11,6% 80 ,9% 0,08% 3,8% 3,8% 100%
------- ---
1954
Effectifs .............. 53.738 380.450 262 16.116 18.810
% du total des effec-
tifs ................ 11 .4% 80 ,9% 0 ,03% 3.4% 4% 100%
----

1945-1954
Différences :
+ + - + +
10.564 112.654 189 6.138 10.012
En unités ........... + + - + +
En% ............... 24% 42% 72% 60% 113%

Le fait saillant est l'augmentation du troupeau camelin qui en 9 années passe de 8.798 à 18.810 unités.

La faculté de franchir de grands espaces, dans des La région de nomadisation qui nous intéresse est
conditions de nourriture et d'abreuvement défec- connue sous le nom de Tamesnar.
tueuses, que possèdent les fractions chamelières les Des fractions Oulliminden la fréquentent tempo-
met à l'abri de toute surprise et leur permet toujours rairement. Les groupes qui y séjournent en perma-
d'atteindre un secteur plus favorisé de leur zone nence sont composés de ressortissants de l'annexe
climatique normale ou, les très mauvaises années, du Hoggar, des cercles de Tahoua et d'Agadès, des
de se rabattre sur les pâturages septentrionaux des subdivisions de. Bourem (Kountas), Gao (Chemme-
régions sahéliennes. namas), Kidal (Ifoghas), etc.
Il arrive parfois que les circonstance:;; obligent les Des tribus (Daoussak, Kel Telataye, Kel Ahara, etc.)
animaux des zones sahélienne& à nomadiser. La habituellement ·cantonnées dans la zone sahélienne
septième phase décrite au chapitre de la trans- se sont, ces dernières années, orientées vers l'éle-
humance est, en fait, un mouvement de nomadi- vage camelin et s'essayent à la nomadisation en
sation. détachant à la limite nord de leurs zones de parcours
Cette nomadisation revêt alors un caractère dra- des troupeaux de chameaux qui exploitent les pâtu-
matique qu'elle ne possède pas normalement. Les rages interdits aux autres espèces domestiques (1).
bovins, les ovins et les caprins souffrent de la lon-
gueur des étapes, d'autant plus sévères qu'elles
sont effectuées en fin de saison chaude. Ils résistent (1) Le tableau VII montre les modifications surve-
mal aux marches forcées qui leur sont imposées ; nues dans la composition du cheptel de la subdi-
on enregistre de lourdés pertes. vision de Ménaka pendant la période de 1945-1954.

346
Retour au menu

LA MIGRATION Les courants migrateurs que la surp'.opulation ani-


male engendre peuvent être endigué~ par ! 'instau-
La migration s'effectue soit brusquement, en ration d'une politique d'hydraulique pastorale et la
masse, en un seul temps par un glissement unique, mise en œuvre de programmes dont les réalisations
soit au contraire lentement, de façon insidieu3e, retiendront les excédents pastoraux dans leurs
échelonnée sur plusieurs années et par petits régions d'origine en leur assurant une meilleure
groupes, soit encore après des périodes de flux et répartition spatiale qui permettra une exploitation
de reflux, de tâtonnements et d'hésitations, préludes plus rationnelle des pâtures.
à la décision finale. Des tribus primitivement spécialisees dans un
A l'époque antérieure à la présence française, les élevage particulier se sont, du fait de circonstances
migrations résultaient des succès ou des revers des nouvelles, intéressées à d'autres éle'vages impos-
guerres intertribales. Elles se développaient rare- sibles à conduire sur leurs terrains coutumiers.
mant dans un cadre pacifique, exception faite de C'est ainsi que la tribu charnelière des Kountas,
quelques infiltrations d'unités religieuses qui par- payée de son loyalisme pendant les événements de
venaient à faire tolérer leur présence au sein de 1916 par le don de troupeaux de bo'vins pris aux
groupements étrangers. Oulliminden, s'est vue contrainte d'~orcer une
Chaque ethnies 'opposait par les armes aux débor- descente vers le sud-est et de déborder sur les
dements des voisines sur ses terrains de conquête pâturages des subdivisions de Gao et d 'Ansongo.
ou ses lieux de.refuge. Effrayés pa1 la perspective d'une éyentuelle per-
Les populations auxquelles la fortune des combats manence des réquisitions de bovins destinées à satis-
avait accordé des parcours plus vastes que ceux faire aux accords bipartites conclues en 1943 entre
nécessaires à l'entretien de leur cheptel en concé- les gouvernements de l'A.O.F. et de la Gold-Coast,
daient quelquefois la jouissance d'une partie, moyen- certaines tribus et en particulier des Daoussak,
nant tribut. d'Ansongo ont orienté leur activité vers l'élevage
La grande migration du groupe touareg s'est du chameau. Cette nouvelle orientation s'est traduite
faite à partir de !'Adrar des Ifoghas. Elle a eu comme sur Je terrain par une remontée des limites de l'aire
conséquence l'émiettement du bloc songhaï dont une exploitée vers le nord.
partie a été refoulée au sud alors que l'autre était Par contre, attirés par la perspective d'une vie
cantonnée aux berges du fleuve·. plus facile, de pâturages plus riches, et d'un abreu-
Les Kountas ont entrepris leurs mouvements de voir aux eaux de surface pendant une fraction plus
descente des territoires sahariens vers le sud à une grande du cycle transhumantiel, les pasteurs des.
époque assez récente. subdivisions septentrionales accentuent chaque
Le climat guerrier dans lequel se déroulaient ces année leur descente vers le sud.
migrations explique, d'une part, la ségrégation des
populations de l'échiquier sahélien en blocs poli- Causes politiques et sociales.
tiques très différenciés et, d'autre part, l'absorp- Le contrôle exercé par l'administration paraît
tion ou la vassalisation des éléments les plus faibles quelquefois trop indiscret aux ressortissants. L'éloi-
par des groupements mieux armés. gnement atténue, dans une certaine mesure, les
La paix française en ouvrant de nouvelles possi- rigueurs de ce contrôle; dans l'esprit du nomade,
bilités a favorisé une distribution de l'espace il apparaît comme un des moyens les. plus sûrs de
vital suivant des concepts nouveaux, poussée dé- soustraire son capital-bétail aux investigations fiscales.
mographique et potentiel économique de chaque En vertu de ce principe, les campements sont installés
groupe. le plus loin possible du centre administr~tif et à! 'écart
Cette redistribution ne s'effectue pas sans heurts. des axes de pénétration.
Toutefois, la tutelle administrative, en protégeant Cette conversion implique leur remontée vers les
! 'établissement de minorités au voisinage ou au sein pâturages septentrionaux (1).
de populations étrangères, autorise non seulement Entre l'administration et l'imposable ;'interpose le
la coexistence, mais également l'interpénétration rouage des chefferies qui assurent la liaison. Les
pacifique d'éléments autrefois hostiles. éléments des tribus en désaccord avec leur chef
cherchent à sortir de l'orbe immédiat .d'un pouvoir
Causes économiques. dont l'esprit partisan pourrait incliner à commettre
L'augmentation du cheptel résultant de la sup- quelques injustices.
pression des « rezzous » et de l'action prophy-
lactique du Service de ! 'Élevage pose le problème
d'une redistribution des terrains de parcours (1) Ce mouvement a été signalé au dernier para-
traditionnels. graphe du chapitre consacré à la nomadisation.

347
Retour au menu

Les différends familiaux, les querelles de clans, été suivi d'un reflux et seules quelques fractions se
]es « vendettas » sont à ranger parmi les mobiles sont maintenues en zone sédentaire. ·
qui incitent certains éléments à émigrer. En effet, les cultivateurs du Niger, avec leur initia-
Les parents des délinquants ou des criminels tion à la vie publique, ont acquis un sens plus aigu
recherchés par la justice n'hésiteront pas à émigrer de la propriété foncière, de leurs droits de pro-
vers des contrés inhospitalières pour fuir loin du priétaires; ils tolèrent mal la présence d'éléments
noyau .tribal à l'intérieur duquel s'établit un climat étrangers aux alentours de leurs villages, à
d'hostilité propice à l'éclosion des haines généra- proximité de leurs champs de culture et sur leurs
trices de délations. puits.
Les familles dont un membre est incarcéré Cette intolérance ne fait que renforcer la ten-
recherchent des zones refuges où, dans l'éventualité dance que les Peuhls du Niger et de Nigeria (3)
d'une évasion, elles pourront en toute quiétude manifestent à s'enfoncer de plus en plus loin dans le
accueillir et cacher leur prisonnier. bloc touareg.• Une autre des raisons qui _motiv:enJ le
Les contrées choisies sont, en règle générale, les passage de ces pasteurs en territoire soudanais. est
plus déshéritées qui soient; celles où la densité la taxe de pacage prélevée par le trésor du_ Niger
humaine est la moins forte. Leur inhospitalité apparaît sur les troupeaux des ressortissants anglais. Cette
comme une garantie de sécurité. La solidarité fami- taxe n'existe pas au Soudan.
liale impose ainsi à la communauté un sort plus dur Une ségrégation naturelle des activités pastorales
que celui du détenu, mais le mirage de la liberté et agricoles tend à s'établir Baturellement. La. ligne
adoucit le sacrifice consenti et estompe la sévérité de partage des deux secteur., se superpose approxi-
des conditions de vie. mativement à la frontière nigéro-soudanaise; d'.une
L'année 1946, en ouvrant une ère nouvelle orientée part, la zone exclusivement pastorale située au
vers les réformes sociales, a été marquée par le relâ- Soudan, d'autre pari, une zone agro-pastorale où les
chement des liens qui unissaient la « gens » nomade pasteurs et agriculteurs, au lieu de nouer une asso-
à ses castes dirigeantes. ciation étroite, n'ont, le plus souvent, que des rela-
Les « bellahs » de tente touareg, sans bétail, donc tions concurrentielles.
sans moyens d'existence autres que ceux accordés Par l'excellence de leurs pâturages, les parcours
par leurs maîtres, doivent, pour mener une vie indé- à cheval sur le 15e parallèle, lieux de convergence
pendante, quitter la zone nomade pour les agglo- des élevages du nord et du sud de la portion sahé-
mératioris sédentaires où leur capital-travail trouve lienne comprise entre les méridiem 0° et 4° est,
à se monnayer. semblent être appelés à jouer un rôle important dans
Les départs individuels ou par petits groupes_ l'économie pastorale du Niger et du Soudan dès que
alimentent un courant d'émigration vers les villages la réalisation du plan hydraulique prévu aura ·aug-
nigériens, premières étapes d'une prolétarisation qui menté leurs capacités.
s'achève dans les centres urbains gros utilisateurs En marge des zones agricoles, d'où le bétail
de main-d'œuvre non qualifiée (l). nomade est progressivement refoulé et remplacé
Privés de serviteurs, les propriétaires délaissent par celui acquis par les agriculteurs ihésauriseurs (4),
les élevages du mouton et du bœuf qui nécessitent l'élevage itinérant regroupé offrira à proximité des
un dur travail de gardiennage et d'abreuvement centres et des secteurs consommateurs de vi;mde
pour reporter leur intérêt sur l'élevage camelin la réserve nécessaire à l'alimentation du courant
moins exigeant en efforts humains. commercial traditionnel et à l'exploitation des éta-
Cette conversion implique leur remontée vers les blissements d'abattage créés en vue d'une distri-
pâturages septentrionaux (2). bution par voie aérienne.
Les serviteurs-nés, propriétaires de troupeaux,
bellahs « de dunes » ou bellahs. groupés en sous- *
fractions, espérant trouver un accueil favorable près * *
des populations nigériennes ont amorcé un glisse-
ment vers le sud. Généralement, ce mouvement a (3) Nombreux sont, les pasteurs des Emirats du
Northern Nigeria qui n'ont pas quitté les territoires
français depuis plusieurs années.
(1) Une grosse partie de la main-d 'œuvre employée (4) Les populations agricoles jusqu'ici hermétiques
sur les chantiers de construction et de travaux publics aux choses de l'élevage commencent à comprendre
de Niamey est originaire du cercle de Gao et de le bénéfice qu'elles peuvent retirer de l'intégration
langue touarègue. du cheptel dans le circuit d'une économie mixte.
(2} Ce mouvement a été signalé au dernier para- En plus du lait et de la viande, l'animal domestique
graphe du chapitre consacré à la nomadisation: fournit à l'agriculteur d11 travail et du fumier.

348
Retour au menu

Fig. 1. - Campement en déplace-


ment dans un pâturage sub-saharien,
Janvier 1949.

Fig. 2. - Pâturage de zone nomade.


Ce secteur n'est parcouru qu'en
hivernage. - Latitude 16°30. -
1S août 1950.

Fig. 3. - Effet de la surcharge tem-


poraire dans un pâturage de dunes.
Abords de la mare d'In Tikinit. -
Dans ce terrain sablonneux bien
fumé, Je cram-cram atteint 1 mètre
de hauteur. - Latitude 16°. -
Septembre 1950.

349
Retour au menu

CONSIDÉRATIONS la protection des sols ne saurait être assurée qu'au


SUR LES EFFETS DE L'ÉLEVAGE ITINÉRANT prix de la suppression de toute vie pastorale ?
NÉCESSITÉ D'ASSURER LA PERMANENCE DU De nombreux auteurs, incriminant les méthodes
NOMADISME AU-DESSUS DU 15' PARAL- pastorales, attribuent, en grande partie, la péjo-
LÈLE - CERCLE DE GAO. ration des terrains à la mouvance du bétail. Ils préco-
nisent le remède de la sédentarisation.
La littérature concernant les relations entre l'éle- Ramener à une unique résolution la réponse à un
vage en pays tropical et l'érosion des sols accuse problème complexe ne manque pas de séduction.
universellement les populations pastorales de la Cependant, la complexité du problème s'accorde
df.:;ertification des parcours. mal d'une solution universelle, chaque donnée parti-
« Les destructions. dues aux abus du pasteur ont culière mérite une étude spéciale; l'analyse des faits
favorisé l'érosion, . entraîné le dérèglement du enregistrés n'est valable qu'à la lumière du contexte
régime des eaux, facilité l 'acti<;m du vent sur les naturel dans lequel ils se sont produits. Les remèdes
sols légers et découverts et elles ont peut-être aux maux à combattre ne peuvent retenir l'attention
même eu une . action directe sur le climat. Elles que dans la mesure où ils sont adaptés aux circons-
ont été en un mot les meilleures alliées de la tances.
désertification ». Dans le cas qui nous intéresse, malgré ses imper-
« En Afrique tropicale, l'élevage du gros bétail fections, l'économie pastorale ne peut être qu'itiné-
est une activité importée ... , ce fut au total une acqui- rante. La transhumance et la nomadisation, imposées
sition désastreuse, car les ravages dus à cette activité par les conditions mésologiques, restent des néces-
pastorale sont incalculables en échange d'avantages sités.
insignifiants. En effet, les savanes qui forment le La modification du climat de la zone pastorale
paysage dominant du Soudan, sont essentiellement considérée réclamerait de tels moyens d'action qu'il
dues au souci de c.réer des pâturages >> [6] . serait vain d'y songer. Dans l'état actuel des choses,
Le jugement est sévère. Doit-on comprendre que l'action de l'homme surle milie11 estlimitée. Il ne peut

TABLEAU VIII

1
CHEPTEL RAPPORTS
HABITANTS
en unité bétail D:nités bétail/habitants

Sédentaires y corn-
pris les Peuhls et
les Bellahs ....... Ansongo 34.500 53.000 l ,S, sans les Peuhls et
les Bellahs, ce rap-
port tombe à 1,15.

Nomades ........ Ansongo, Menaka 36.000 177.000 5

agir que dans deux secteurs : celui de l'hydraulique bétail, soit 1,5 unité-bétail par habitant. Ce rapport
pastorale et celui de l'amélioration des pâturages. bétail-habitant reste nettement inférieur à celui de la
Le pre·mier offré une rentabilité immédiate, le second symbiose pastorale évaluée à 5 (voir Tableau VIII).
fait attendre ses résultats. La création d'un réseau de La sédentarisation n'apparaît possible qu'avec
points d'abreuvement plus serré assurant une meil- 1'appoint d'une activité agricole complémentaire que
leure distribution du bétail sur les aires pâturables l'irrégularité et la faiblesse des précipitations atmo-
et. une exploitation plus rationnelle du pâturage, sans sphériques interdisent ailleurs que sur le fleuve
fixer les troupeaux 'de façon definitive, limiterait les dont les terrains de décrue se prêtent aux cultures
déplacements et réduirait l'importance des migi::a- inondées. Lé nomadisme entraîne périodiquement
tions. la surcharge temporaire des pâturages .de saison
Les pâturages sédentaires surchargés entre- sèche. Les surfaces soumises à cet overstocking
riem:ient à grand-peine un troupeau de 34.500 unités- sont cependant très limitées. Les dégradations qui

350
Retour au menu

Fig. 4. - Pâturage parcouru furtive-


ment au cours de la transhumance,
situé à 20 km du point d'eau d'ln
Tikinit. Le sol et la flore sont les
mêmes qu'à In Tikinit. - La densité
du fourrage est cependant nettement
plus faible; la hauteur des épis de
cram-cram n'excède pas 25 cm. -
Latitude 16°. - Septembre 1950.

Fig. 5. - Effets de la culture


en zone saharjenne
Ancien champ de mil pénicillaire.
Dans le fond, Je rideau d'arbres de
la végétation primitive détruite par
le débroussaillage. Au centre du
terrain : arbre témoin. Au premier
plan à gauche : substratum latéri-
tique mis à nu par l'érosio~.
Latitude 15° 30.

Fig. 6. - Zone sédentaire. - Région


de Karou. - Pâturage de dunes
situé à 5 km du fleuve. Latitude
JSo. - Avril 1950. - Remarquer
l'absence d'arbres; Je peuplement
arbustif ne commence que dans Je
fond à environ 10 km du vil/age.

351
------------------- --------- ----------·-------- - -

Retour au menu

en résultent sont moindres que celles enregistrées réserves de bois mort situées à proximité de son
autour des points de vie .sédentaire (1). village. Son troupeau n'est pas assez nombreux
La limitè des domaines du pasteur et de l'agri- pour assurer la production de combustible néces.'
culteur est nettement marquée sur le paysage. Le saire aux besoins domestiques. Aussi les villageois
preinier, malgré la faible densité de son peuple- n'hésitent-ils pas à abattre jusqu'au déboisement
ment arbustif offre aux regards des horizons moins total, pour s'approvisionner en bois de chauffage.
dénudés que ceux du second où de rares unités Les feux de brousse, dévorant tout le couvert
protégées par des interdits coutumiers ou religieux végétal des régions qu'ils parcourent,· sont une
(cimetières et lieux de réunions) témoignent encore cause d'érosion souvent citée. Si, dans les zones
de l'ancien peuplement forestier. soudanaises et guinéennes, la pratique des feux de
Par ailleurs, le système des cultures itinérantes brousse est indispensable, en région sahélienne elle
précédé du débroussaillage et de l'incendie du tapis est non seulement inutile mais nuisible.
herbacé modifie profondément la composition bota- La flore prairiale est composée d'espèces non
nique dµ couvert végétal. Sur les jachères, la prairie ligneuses dont la plupart sont appétées du bétail à
naturelle fait place à une végétation secondaire dont tous les stades de leur cycle évolutif, même lorsque
les touffes de .graminées grossières couvrent II).al le après maturité elles sèchent sur pied. La siccité du
terrain. sol est telle qu'elle ne permet aucun renouveau de
Le sable laissé à découvert est rapidement lessivé la végétation après brùlage.
et entraîné par les pluies; le sol se marbre de plaques Le danger des feux de brousse n'a pas échappé
stériles, préface d'une future latérisation. Sans être aux nomades : la coutume les interdit.
une arme de reboisement, la hache du berger est, Les incendies de steppe revêtent toujours un tel
toutefois moins néfaste que le coupe-coupe du séden- caractère de gravité que les éleveurs, lorsqu'ils en
taire. ont la possibilité' n'hésitent pa~ à se porter sur le
L'émondage des arbres, souvent. poussé trop loin front du feu pour: essayer de le combattre.
par le chevrier, la coupe des arbustes par le nomade Ceux qui sont observés sont dus soit à la négli-
pour la construction des zéribas de protection et la gence .du voyageur, du sédentaire défricheur, de
confection de l'armature des tentes ont des effets l'oiseleur, du bellah ramasseur d'échibane, soit
moins désastreux que ceux de l'exploitation systé- encore aux pratiques des cha~seurs étrangers qui
matique à laquelle procède le villageois en quête de envi;i.hissent la frange méridionale de la subdivision
bois de construction ou de chauffage. de Menaka pendant l'hivernage.
Par suite des déplacements et de la dispersion des En zone sahélienne: le pasteur, sans être sans
campements sur de vastes superficies, les dépré- reproche, est. cependant, en ce qui concerne la
dations imputables aux nomades sont moins redou- flore, un destructeur moîns redoutable qu.e le culti-
tables que la mise en coupe réglée des secteurs vateur. Pour étayer cette théorie non conformiste les
sédentaires par leurs habitants. observations suivantes ont été recueillies :
Le problème du combustible se pose et se résoud
différemment pour le nomade et pour le sédentaire, Observation n° 1. - Piste d'Aguendo à Tahoua.
Le premier utilise soit le bois des arbres morts des D'Aguendo (Long. 4° est. Lat: 15°45) à Çhinaïfal
fonds de vallée soit, lorsque celui-ci vient à faire (Long. 4°40 est. Lat. 15°15) le paysage offre l'aspect
défaut, les excréments de son troupeau. Dans tous typique de la brousse à épineux, avec ses dunes,
·les cas, le bois mort ou les excréments suffisent à ses bas-fonds argileux et ses affleurements rocheux.
alimenter s·on foyer. Le peuplement arbustif est assez dense ; la piste
Le second a depuis longtemps épuisé toutes les serpente entre. les arbres, qu'elle contourne en se
divisant en plusieurs ramifications. La progression
automobile est très difficile.
(1) Les effets de l' overstocking diffèrent selon la A partir de Chinaïfal, dernier point d'eau nomade,
nature du sol. Dans les dunes, la surcharge, par à chaque puits correspond un village. La zone séden-
suite de la fumure qui en résulte, se traduit par un taire commence avec le village de Takanamat situé
phénomène insoupçonné : la densification et l 'amé- à 10 km au sud-est.
lioration du pâturage. D'après simple estimation, le Dès les abords de Takanamat, on note la disparition
rendement exprimé en kg de fourrage à l'hectare des épineux. Les arbres ont été coupés pour servir
semble être quadruple de celui des pâturages moins de clôture aux premiers champs de mil ; en 1950,
parcourus. Des exemples des effets améliorateurs de faute de matériaux, les cultures ne sont plus pro-
l' overstocking sont fournis par tous les pâturages tégées.
entourant les mares .dé dunes :. Anderamboukane, Le tapis de fines graminées de la zone nomade fait
Tn Raber, In Rikinit, .etc. place, par plaques, à une végétation secondaire

352
Retour au menu

Fig. 7. - Zone sédentaire. - Région


de Badji Haoussa. - Abords du
fleuve. - Avnl 1950. - Latitude
15°45. - Quelques rares arbres,
vestige d'un peuplement primitif
rasé par l'homme.

Fig. 8. - Zone septentrionale. -


Troupeau de chameaux au pâturage.
~ L'herbe pousse par plaques,
quelques rares arbustes. - Latitude
18°. - Avril 1.949.

Fig. 9. - Pâturage arbustif de l' hin-


terland nomade. -Région de l'Ana-
kareï. - Remarquer la densité du
peuplement arbustif. - Latitude
'J6o. - Août 1950.

353
Retour au menu

grossière marquant l'emplacement des· jachères; le vallées à proximité de réserves de bois. Cette
cultivateur imprime sa marque sur le terrain ; la industrie n'a pu qu'entraîner très rapidement le
présence des groupements sédentarisés confère au déboisement .du périmètre et les fours n'ont été
paysage une physionomie moins sévère, mais par abandonnés que lorsque le combustible eut fait
contre, elle fait naître un sentiment de désolation défaut. Actuellement, les vestiges de ces fours se
que ne suscitent pas les horizons de la zone nomade trouvent entourés d'arbres.
situés sous la même latitude. c) En 1943, sur la ligne nord de la mare d'Hinesam
(Gourma) quelques rares arbustes composaient le
Observation n° 2. couvert végétal; en 1950, elle était littéralement
Champs de mil pénicillaire des Bellahs du sud. couverte d'un maquis impénétrable qui faisait
Sur le ]Se parallèle, des Bellahs pour 1~ plupart indé- obstacle à l'accès de la mare.
pendants cultivent du petit mil dans des défriches de La suppression des mouvements pastoraux des
brousse. L.es jachères, mêmes anciennes, appa- régions sahéliennes et sub-sahariennes par la fixation
raissent découpées sur le t'errain comme autant de des pasteurs viderait de le11r substance animale et
plaques lépreuses. Le tapis prairial primitif a disparu, humaine de vastes portions de territoires où, seul,
à sa place poussent des touffes de graminées gros- un mode de vie itinérant permet une économie
sières ne couvrant plus le terrain, et autour des- pastorale.
quelles les pluies entraînent et hvent le sol. Sur ces parcours, l'animal domestique, incom-
parable outil de transformation des maigres res-
Observation n° 3. - La zone riveraine du fleuve. sources d'un milieu aux fantaisies redoutables,
ne peut survivre qu'à condition de ne pas être fixé.
Dans les secteurs où la densité de la population
Vouloir réglementer les déplacements, en enfer-
est élevée, où des villages, contractés dans les îles
mant le pasteur dans le cadre.de règles trop strictes,
pendant la décrue, étalent leurs cases sur une ligne
en lui ôtant toute possibilité d'adaptation aux condi-
continue bordant la rive pendant les hautes eaux,
tions essentiellement variables de son milieu, serait
le déboiseme:it est total et le paysage offre son aspect commettre une grave erreur.
dénudé caractéristique. Ce déboisement est uni-
Là où tout arrêt reste synonyme de mort, là où la
quement le fait de l'homme, car là où la protection
vie exige une perpétuelle mouvance, le couple sym-
est totale et où une surveillance administrative sévère
biotique formé par !_'homme et son troupeau ne
a pu être exercée, la forêt se reconstitue rapidement
peut connaître de loi que celle qu'au jour le jour une
(Forêt classée de Mozanga).
nature aux imprévisibles caprices lui dicte.
L'épanouissement des civilisations matérielles
Observation n° 4. - Reboisement de l'hinterland. s'accorde mal de déplacements incessants. Le ,génie
a) Berges de la vallée d'Idélimane. de l'homme dans la voie du «progrès» ne s'affirme
En 1942, les berges de la vallée d 'Idelimane pré- que dans certaines conditions de confort.
sentaient une ligne latéritique dénudée; les arbres Aussi, le désir de sédentarisation semble bien
ne commençaient que sur! 'argile du fond de la mare. avoir, de tout temps, hanté le cerveau humain. On
En 1943, la hauteur d'eau retenue a dépassé ne voit pas pourquoi le pasteur nomade, faisant
4 m; la mare offrait encore, en juin 1944, une nappe exception à cette règle, ne nourrirait pas, lui aussi
d'eau dont la profondeur à l'aplomb de la digue ce rêve instinctif.
centrale mesurait 1 m. S'il poursuif encore son errance c'est uniquement
En 1944, les abords de la mare se sont couverts par'ce que les terres sur lesquelles le hasard des
d'une végétation de mimosées dont, en 1950, les migrations l'a conduit n'offrent que d'insuffisantes
arbustes groupés formaient écran sauf aux endroits ressources pour lui permettre de s'accorder le luxe
où la hache du berger avait tai!Ié pendant les mau- d'arrêter sa course.
_vaises années de 1948 et 1949. Longtemps encore la zone sahélienne restera celle
b) Des régions entières de l'hinterland nomade des grands mouvements pastoraux.
possèdent. un peuplement arbustif assez fourni pour
que la circulation en automobile ou même à chameau
soit gênée : régions comprises ent_re Souknagader BIBLIOGRAPHIE
· et Rabarat, triangle de Hofano-Idelimane, Eranga-
sud, plaine de !'Azhar entre Tamelet et Etembo. 1. Archives du Service de !'Élevage du Soudan.
Les relations de nomades confirment le reboise- 2. BREMAUD. (0.) et RADIER (H.). - Les bases
ment dont le début remonterait .à 25 ou 30 années. de l'hydraulique pastorale dans le Soudan
c) Les anciens occupants sédentaires ont marqué oriental (Cercle de Gao). R.E.M.V.P.T., t. VII,
leur passage par .des fours à fer installés dans les n° l, 1954.

354
----,
Retour au menu

3. BRION (A.) et FAGOT (J.). - Les carences ali- Sc. de Géographie, Paris, 1920, p. 51, pp. 97-
mentaires du bétail dans leurs rapports avec _ 100.
la production animale. R.E.M.V.P.T., t. VIII, 8. GOUJON (P.). - Principes d'une Géographie
n° 2-3, 1955. hu:maine et économique. Presses Universitaires
4. CURASSON (G.). - Le rôle et l'importance du de France, 1947.
pâturage dans l'économie des pays chauds. 9. JOUSSELIN (W.). - Notes sur quelques plantes
R.E.M.V.P.T., t. I, n° 4, 1947. fourragères du Sahel. R.E.M.V.P.T., t. I, n° 4,
5. CURASSON (G.). Études sur les pâturages 1947.
tropicaux et subtropicaux. R.E.M.V.P.T., t. VI, 10. LARRAT (R.). - Cours de Nutrition. F.A.O. Mar-
n° 4, 1953; t. VII, n° 8 1, 2, 3, 1954. seille, 1952.
6. DOUTRESSOULLE (G.). - L'élevage au Soudan 11. SART ORY. - Analyse des terres chlor~rées
français, son économie. Imbert, Alger, 1952. sodiques de l'île de Lelehoy (cf. de Giron-
7. GIRONCOURT (de). - Des Pays Touareg du court, 1920, pp. 98 et 99). ·
Niger à la Côte de l'Or, par le Haut-Togo. 12. VEYRET (P.). - Géographie de !'Élevage.

355

Vous aimerez peut-être aussi