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Revue géographique des

Pyrénées et du Sud-Ouest

En Côte d'Ivoire. Au pays Bété de Gagnoa


A. Ladurantie

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Ladurantie A. En Côte d'Ivoire. Au pays Bété de Gagnoa. In: Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 14,
fascicule 2-3, 1943. pp. 93-149;

doi : https://doi.org/10.3406/rgpso.1943.4509

https://www.persee.fr/doc/rgpso_0035-3221_1943_num_14_2_4509

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EN COTE D'IVOIRE

AU PAYS BÉTÉ DE GAGNOA

Par A. LADURANTIE,
ADMINISTRATEUR DES COLONIES

Ces notes, recueillies en 1938 pendant la seconde partie de


mon séjour à Gagnoa, devaient servir à l'établissement d'une
monographie de la Subdivision. Mon départ en congé au début
de 1939, la mobilisation et ensuite mon affectation à Grand-
Lahou, m'ont empêché de terminer le travail commencé, qui
est resté à l'état d'ébauche pour beaucoup de questions.
Les chapitres prévus sur les voies de communication, les
services d'intérêt social et économique (assistance médicale
indigène, enseignement); la colonisation européenne — si
importante dans cette région — et les problèmes qu'elle pose
(main-d'œuvre, organismes de coopération), ne sont pas
traités. Enfin, ce document ne tient pas compte de l'économie
nouvelle née de la guerre.
Cette étude est ainsi divisée :
I. — Le milieu (géographie, flore, faune).
II. — Les habitants (groupes ethniques, établissements).
III. — Histoire et organisation administrative.
IV. — Les techniques (feu, fer, bois, vannerie, poterie).

V. — La vie matérielle (cueillette, chasse, pêche,


élevage, agriculture, commerce).

La documentation provient de la consultation des archives


locales et surtout des informations rapportées de mes tournées.
J'espère pouvoir combler leurs lacunes et utiliser ces notes
pour un travail plus complet sur cette région importante de la
Basse Côte d'Ivoire. J'ai également recueilli un vocabulaire bété
et plusieurs contes que les circonstances ne m'ont, jusqu'à
présent, pas permis de mettre tous au point. Je me propose de
les publier dès que possible.
94 LADURANTIE

I. — Le milieu.

Généralités. — Les Bétés1 forment une partie importante de la


population sédentaire des Cercles de Sassandra et de Daloa.
Leur aire de peuplement couvre approximativement 30.000
kilomètres carrés. La Subdivision administrative de Gagnoa (Cercle
de Sassandra), qui s'étend sur environ 5.249 kilomètres carrés,
en représente le 1/6. A peu près à égale distance des fleuves
Bandama et Sassandra, elle est comprise dans le bassin du
Sassandra. Son chef-lieu, Gagnoa, est à 211 mètres d'altitude;
longitude 5°56'32"7, latitude 6°7'50"2 (station météorologique).
Ses limites, que ne marque aucune ligne naturelle, sont
celles, assez imprécises, des groupes ethniques voisins : Bétés
du Yocolo (Subdivision d'Issia), Bénéflas (Subdivision de Sin-
fra), au Nord; Bokas de Sinfra, N'Das d'Oumé, Zikis et Guébiés
de Lakota, à l'Est; groupements de Zikisso, de Lakota, du
Tigrou, jusqu'à la rivière Davo, tribus du Canton Nord de la
Subdivision de Sassandra sur la rive droite de la Davo, au
Sud; Bétés de Soubré (Balébré, Kakimako, Malahio, Badacuia,
Bitié), à l'Ouest.
Le sous-sol paraît être constitué de roches compactes de
formation ancienne. Les grès, les schistes, les calcaires n'y figur
rent pas. Une carapace de latérite supporte un sol riche en
humus. Des blocs de quartz de faibles dimensions, ainsi que
des parcelles de minerai de plomb existent dans le Nord de la
Circonscription. Il n'a, toutefois, pas été relevé jusqu'ici,
d'indices sérieux laissant espérer une richesse minérale
quelconque.
Le pays présente l'aspect d'un vaste plateau à faible relief,
offrant dans les parties Est et Sud-Est (tribus Bamo et Guébié)
une série d'ondulations relativement accentuées, d'une altitude
moyenne de 200 mètres dans le Sud-Est.

Climat. — Le climat est celui de la forêt tropicale : chaud et


humide. La température ne s'élève guère au-dessus de 28°.
Elle baisse sensiblement au milieu de la nuit. L'humidité
atmosphérique est considérable, l'air fréquemment chargé
d'électricité.

1. Voir bibliographie.
BÉTÉS DE GAGNOA 95

Comme toute la zone forestière, ce pays reçoit une importante


masse d'eau sous forme de précipitations. Les mois les plus
secs sont décembre, janvier, février. Au début de mars de

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Fig. 1. — Carte politique et administrative de la subdivision des Gagnoa.


Cercle de Sassandra (Cote d'Ivoire).

fortes tornades amènent des pluies d'orage. La saison des pluies


va de mai à novembre, avec une petite saison sèche en juillet-
août. Elle cesse après une série d'orages. Le mois de mai est
parfois relativement sec.
96 LADURANTIE
Dans la région, le régime des vents est très modéré.
L'harmattan2 s'y fait peu sentir. Une légère brise Sud-Sud-Est souffle
en général du matin jusqu'à sept heures du soir.
La station météorologique de premier ordre établie à Gagnoa
a relevé, pour l'année 1937, les chiffres suivants pour la
température, la pluviosité, et l'humidité, auxquels j'ai ajouté les
tableaux des cycles saisonniers.

Tableau I.
Température, pluie mesurable et humidité relative
pour la Station de Gagnoa en 1931.

TEMPERATURE HUMIDITÉ RELATIVE


1937 Moyenne des Moyenne des
Nombre
Hauteur. de jours. minima, maxima.

Degrés C. p/ioo
Janvier 23.8 30.1 16 1 66.9 88 5
Février 23.4 28.3 46..4 3 57.8 81.8
Mars 25.8 32 119.6 5 71.2 91.53
Avril 23.5 32.5 89.7 6 66 6 87.6
Mai........... 23 32 6 80 4 73.8 78.
Juin . . 22.2 29.6 312 9 60.6 94.
Juillet 19.5 28 60 3 79.3 84.
Août 21.9 25 20 1 78 98
Septembre. . . . 21.5 28.5 179.5 8 85 92
Octobre 20 ? 28.4 173 5 6 83.2
Novembre 20 30 67.5 3 70.9 94
Décembre 14 21.8 41.5 1 52.4 94.8
Année entière 21,5 28.9 1205.7 50

Tableau IL
Pluviosité annuelle pour la Station de Gagnoa.

Chute d'ean annuelle Moyenne


(moyenne). de

1406 mm. 8 années.

2. Vent d'Est ou de Nord-Est, sec et chaud, se faisant sentir par


intermittence de novembre à mars, en Gold Coast, au Togo et au Dahomey,
particulièrement. '
Ladurantie.
Phot. A
forêt.
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indigène
Rizière

D.
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27.Ü00
TW.
27.506
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25.70'!
703
m.
TW.
forêt.
la
dans
TW.
maïs.
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pirogue
champ
un
En

A. dans
Piste

C.
BETES DE GAGNOA 97

Tableau III. Tableau IV.


Durée des saisons sèches Durée des saisons de pluies
pour la Station de Gagnoa.

Grande saison. Petite saison. Grande saison. Petite saison.

3-4 mois. 5 mois. 3 mois.


Décembre Juillet-Août. Mars Septembre
à Février. à Juillet. à Novembre.
l

Hydrographie. — Une rivière importante, la Davo, baigne la


région. Elle prend sa source au Nord-Ouest de Sinfra où elle
porte le nom d'Igrou, traverse le pays Shien du Nord au Sud
sous le nom de Gobero dans son cours supérieur, de Davo dans
son cours inférieur. Elle se jette dans le Sassandra, non loin
de la côte.
Son principal affluent est le Guère, rive gauche, sur les bords
duquel se trouve Gagnoa, chef-lieu de la Subdivision. La Davo
et son affluent ne sont pas navigables. Dans l'extrême Sud, au
moment des hautes eaux, la Davo est accessible aux petites
pirogues des indigènes du Zoukouboué, Yohiha, Balebouo. A cet
endroit, la rivière, encaissée entre de hautes berges, a environ
40 mètres de large. La Davo et ses tributaires sont très
poissonneux.
De nombreux petits ruisseaux au thalweg peu marqué, à
bords plats, à faible courant coulant vers la Davo et le Guère
arrosent la Subdivision. Enfin, à l'Ouest dans le Bamo et le
Pacolo principalement, des marécages (poto-poto) couvrent de
vastes surfaces.
De nombreuses sources, parfois très claires, alimentent les
villages.

Végétation. — Vue d'une certaine hauteur, la région donne


l'impression d'une immense forêt dense. La forêt primaire
s'étendait autrefois sur tout le territoire. Les indigènes et les
colons européens, nombreux dans le pays, ont pour leurs
98 LADURANTIE
cultures, bien entamé la haute futaie qui ne se rencontre presque
plus qu'en bandes séparant les tribus.
Le sol est couvert de cette végétation épaisse, impénétrable
qui rapidement remplace les cultures abandonnées. Les
essences de bois dur ont tendance à disparaître avec la forêt
primaire remplacée par la forêt secondaire.
Ce type de forêt est dû au mode primitif de culture des
indigènes. Pour profiter de la couche d'humus, ils établissent leurs
cultures en forêt, abattent la plupart des arbres, les incinèrent
à la saison sèche, plantent dès les premières pluies. Les arbres
dont le bois est trop dur sont épargnés. Le feu cependant
les a plus ou moins attaqués à la base et beaucoup meurent
sur pied à la longue. L'emplacement est abandonné après la
récolte. Le sol est alors envahi par une végétation secondaire
constituée d'espèces à croissance rapide, au bois tendre.
La forêt secondaire se rencontre sur les deux tiers de la
Subdivision. Dans le Zedié, la savane de hautes graminées
(herbe à éléphant) annonce la savane gouro.
La chute annuelle moyenne de pluies, 1.400 millimètres,
permet de classer la forêt de Gagnoa dans le type « deciduous
forest », qui, d'après Aubreville, correspond à des chutes
annuelles moyennes de pluies de 1.350 à 1.600 millimètres
par opposition aux « rain forests » (chutes supérieures à
1.600).
Les principales espèces caractérisant cette formation et
connues dans le territoire de Gagnoa sont l'Iroko (diédié3), le sipo
(sizé), le Samba4 (dô), le Framiré (bouri), le Fraké (solo), le
Digbéi5 {Cûstanth!eiia papav<erifej-a) , l'Oba ou Kapokier6 de foi et
(gô), le fromager (gô), le parasolier (kodé).
Cependant d'autres espèces citées par Aubreville comme
appartenant aux « rain forests » et à la zone de transition
avec les « deciduous forests » s'y rencontrent, le Bossé par
exemple.
Sans doute en raison de l'éloignement de la côte, aucun
arbre de coupe n'est exploité dans la Subdivision7. Les indi-

3. Noms vernaculaircs.
4. Le Samba, essence à bois blanc tendre exploité dans d'autres régions de
la Côte d'Ivoire (Agboville, par exemple), ne l'est pas à Cagnoa.
5. Noms vernaculaires.
6. La fructification a lieu en mars-avril. Utilisé localement.
7. Le domaine forestier classé de la Subdivision de Gagnoa comprend une
BÉTÉS DE GAGNOA 99

gènes font rarement usage du bois dur. Ils exploitent le


palmier, le kolatier, quelques essences à latex (funtunia, lianes
landolphia), abondants dans la région.

Faune. — La faune est très variée.


A citer parmi les vertébrés : Io les mammifères, les singes :
chimpanzé (goué), singe noir ou cercocèbe (bore), singe rouge
ou pleureur (bago), singe vert, singe boubou (kamo), singe
hurleur (niako, tibi, dohè), capucin (grè) — des carnivores :
la panthère (bi), à robe fauve marquée de larges taches noires
en rosettes plus serrées sur la ligne médiane du dos, le
guépard (gobé), le chat sauvage ou chat tigre — des insectivores :
le hérisson (gnosso) — des rongeurs : le porc-épic (vili), le
rat palmiste, sorte d'écureuil très commun (tibo) — des éden-
tés : le pangolin (beto), le paresseux — des pachydermes ':
l'éléphant (lô), nombreux dans la région, principalement dans
le Nord-Nord-Est et Ouest, le phacochère (brokouô) — des
ruminants : le bœuf sauvage (blè), la biche rouge (bèrè),
noire (dibi), fauve (beiro), rayée (lé).
2° les oiseaux, grimpeurs : perroquets (Sara ou Soro), toucan
— rapaces : aigle (tiétié), épervier (pépé), charognard, chouette
— gallinacés : pintade (brouzô), perdreau gris (kiékiésororo) —
colombins : pigeons verts (kpako), tourterelle (gbelé) —
passereaux : le cardinal (ourouzeré magboui), le gobe-mouchç
à ventre blanc et à dos noir (kopè), le gendarme, jaune et noir
(tazerabero), l'oiseau-mouche.
3° les repûtes, sauriens : caïman (gbogbo), lézards (pô),
margouillats grand bleu (kosso), petit gris (gré) — chéloniens :
tortue de terre (koro) — ophidiens : serpents (tebe), vipère
(motebé), le serpent cracheur (gopo tebé), le serpent noir
(brou), le boa (bri).
4° les poissons. La Davo et le Guère sont poissonneux. En
dehors des tsilures très fréquents, les principales variétés
appartiennent au genre cyprin (carpe).
Parmi les Invertébrés, c'est toute la série des insectes :
broyeurs, suceurs, lécheurs, parmi eux je ne signalerai que
l'existence de la tsé-tsé (nombreux sommeilleux dépistés dans la

partie de la forêt de Sinfra (Arrêté de classement du 4 mars 1929) et une


partie des forêts de Nizoro et de la Gaga (Arrêtés de classement du 27 mars
1939).
100 LÀDURANTIE

tribu Gottibouo-Lossomi). Puis des arachnides, des myriapodes,


des crustacés (crevettes de la Davo et du Guère), des vers.
Chez les mollusques, les escargots gris (souhô), noirs (sioko),
tiennent une place de choix dans l'alimentation.

II. — Les habitants.

Les groupes ethniques. — Les indigènes de la Subdivision se


divisent en Shiens et Bétés, deux rameaux d'une même race entre
lesquels se remarquent quelques différences dans les caractères
extérieurs, les mœurs, le langage. Les Shiens habitent
essentiellement la partie Nord et Nord-Ouest de la Circonscription.
Ils sont de taille moyenne, en général musclés et robustes.
Leur système pileux est assez développé. Leurs traits sont
ordinairement durs, leur physionomie bestiale. Les femmes sont
assez grandes, élancées, de traits assez réguliers. Leur lèvre
supérieure est souvent percée d'un trou dans lequel est fixé un
morceau de fer ou de bois.
Les Bétés, généralement plus grands que les Shiens, sont
comme eux robustes. Leur système pileux est plus développé,
leur physionomie plus intelligente.
Caractères extérieurs communs : cheveux noirs et crépus,
quelquefois roux (cas assez rare) ; couleur des yeux allant du
noir au marron; couleur de la peau allant du noir au brun
chocolat, rarement très noire, assez fréquemment rougeâtre.
Quelques cas d'albinisme.
Bétés et Shiens sont excellents marcheurs, bons porteurs
(hamacaires). Leur aptitude à la course semble moins
prononcée. Ils se fatiguent vite et ne peuvent consentir qu'un court
et assez faible effort.
Au point de vue moral, ils sont fourbes et voleurs. Le vol
est un de leurs principaux défauts.
Leur aptitude au travail, quel que soit son genre, est
médiocre; leur persévérance également très réduite. Au village,
le Bété reste facilement couché toute une journée. Il ne se lève
qu'à l'appel du tam-tam, l'invitant à participer ou à assister
à la danse.
L'homme défriche les terrains de culture. Les autres travaux
sont l'affaire de la femme à qui est dévolu le rôle ingrat de
reproducteur et de bête de somme. Les menus travaux domes-
Ladurantie
Phot.
Dai-i ropa.
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au
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C.
BÉTÉS DE GAGNOA 101
tiques, pilage du riz par exemple, sont en général confiés aux
enfants du sexe féminin.
En résumé, la loi du moindre effort triomphe dans la
collectivité. Le rendement de la main-d'œuvre locale sur les
plantations européennes est inférieur à celui de la main-d'œuvre
extérieure. Sa supériorité se manifeste à l'abatage. Peuple de la
forêt, le Bété manie la hache avec aisance, mais l'effort demandé
ne doit être ni trop long ni trop intense.
Peut-être cette médiocre aptitude au travail résulte-t-elle
d'une certaine déficience physique due à l'alimentation, pauvre
en matières azotées.

Les établissements humains. — Les indigènes de la


Subdivision sont groupés en villages de une ou plusieurs familles
dépassant rarement quatre. Les villages se sont souvent
déplacés.
Avant l'occupation française, les routes n'existaient pas. La
guerre était fréquente entre tribus et entre villages de même
tribu. Les villages occupaient une position stratégique,
défensive. L'élévation de terrain sur laquelle étaient groupées les
cases, servait d'observatoire. La rivière ou le marigot formaient
un sûr retranchement. Les anciennes cartes signalent de la
sorte de nombreuses agglomérations en bordure du Guère.
La route, après la pacification, a été une nouvelle cause de
déplacement : elle a attiré les habitants de la région qu'elle
traversait. Les autres villages se sont installés le long des
pistes. Je ne connais pas de groupements importants vivant
dans la forêt en dehors de toute voie de communication.
Aux époques de préparation des terrains de culture, les
indigènes vivent dans des campements à proximité de leurs
champs. Les travaux terminés, la récolte achevée, ils
reviennent occuper leur case au village.
Le tableau ci-dessous donne par canton le nombre
d'habitants recensés à la date du 28 avril 1937.
102 LADURANTIE

Canton Nord-Est Canton Nord Cahton Central

99 villages.
70 villages. 66 villages.
Pacolo.... 4.196
Zabia 4 070
Badié ... 14.129 Niabré.... 9.411 Guebié.. . 3.301
Guia 1.427
Nékédié.. 6.999 N'Dry 6.775 Dakuia.... 1.239
Guibouo . . 1 . 102
Gribihiri . . 945
Zédié 5.581 Gottibouo. 3.116 Krihoa... 1.528
Bamo 474

26.709 19.303 18 282 8

64.294 habitants, soit 12,2 habitants au kilomètre carré. Il


est intéressant de remarquer que la densité au kilomètre carré
pour la Côte d'Ivoire est 8 (3.850.000 indigènes, répartis sur
477.000 kilomètres carrés).
La fréquence plus grande des cultures annonce au voyageur
qui chemine sur la piste de brousse l'approche du village.
Bientôt, il franchit la palissade protectrice en bambou qui
ferme le sentier et que les porteurs se font un plaisir d'arracher
en signe de bon accueil.
Au pied d'arbres choisis s'amoncellent crânes de singes et
fétiches divers. Sur une piste secondaire, une calebasse aperçue
indique peut-être le chemin de la source. Soudain, apparaissent
les premières cases du village.
Si l'on débouche sur une grande rue, avec, alignées en bon
ordre, les cases blanchies à la chaux, il s'agit d'un village
reconstruit selon les principes modernes. L'agglomération
primitive ne présente pas un aspect aussi net. Les cases sont
plantées au petit bonheur et, pour y accéder, il faut suivre
un dédale de ruelles très fréquentées des cabris et des moutons.
Le désordre n'est d'ailleurs apparent que pour l'européen.
L'imbroglio de ruelles est parfaitement simple pour l'indigène.
En y regardant de plus près on voit que les plus larges d'entre

8. Recensement 1934. Le recensement du canton central a été refait en


1937. En 1938, tous les recensements étaient à jour.
s BÉTÉS DE GAGNOA 103

elles, après bien des détours, mènent toutes au même point


capital du village : « l'arbre à palabre ».
C'est, le plus souvent, un vestige de la haute futaie respecté
à l'abatage, lors de la construction. Ses branches abritent un
monde d'oiseaux jaunes et tapageurs : les « gendarmes ».
Ses grosses racines apparentes ménagent des sièges naturels
sur lesquels, à l'ombre, les hommes se retrouvent pour
d'interminables discussions qui, à la fin du jour, remplacent les
cris stridents des oiseaux.
La case Bété est généralement rectangulaire. Elle n'a pas
de dimensions bien arrêtées : 25 m. de long sur 10 de large
et 2 à 3 mètres de haut sont les mesures moyennes. Elle
repose à même le sol sans fondations. Les murs de 30 à 40
centimètres d'épaisseur sont en « banco », sorte d'argile à
laquelle a été ajoutée de la paille hachée pour en augmenter le
liant. Parfois, le banco est armé d'un cadre en bambou
consolidé de lianes.
Pas d'autre ouverture que la porte; quelquefois, un trou
plus petit qu'un hublot, sert de fenêtre. Il est généralement
dirigé sur la voie d'accès à la case. La porte donne sur la
« cour ». L'&bsonce ou la rareté des ouvertures enlève à ces
constructions tout caractère accueillant. Elle paraît motivée
par la volonté de ses habitants de se mettre à l'abri des rapines,
des animaux sauvages et de conserver à l'intérieur le plus de
chaleur possible pour la nuit.
La charpente est en bambou qu'assemblent des lianes; elle
est recouverte d'une quarantaine de centimètres d'épaisseur de
paille. La couverture doit être renouvelée tous les deux ans.
Il n'est pas rare, si l'Administration ne s'en mêle pas pendant
la saison sèche, de voir les indigènes négliger ce détail et les
murs s'affaisser en ruisseaux de boue sous les trombes d'eau
des premières tornades.
L'élévation, la construction de la charpente et de la toiture
sont l'œuvre de l'homme. A la femme revient le crépissage, la
décoration intérieure et extérieure. L'ornementation consiste
le plus souvent en simples oppositions de couleurs : vert
(bouse de vache), rouge (latérite), blanc (kaolin). Parfois, si
les femmes ont quelques dispositions artistiques, des silhouettes
animales (panthères, moutons, cabris), ou humaines (ancêtres,
tirailleurs), grossièrement tracées, agrémentent les murs.
104 LADURANTIE
Pour l'indigène, sa « cour » est non seulement l'espace
intérieur, mais aussi les cases situées autour et encore sa famille,
soit environ les 20 personnes qu'elles abritent. Case du chef,
case des hommes, cases des femmes, cuisine, face à face, 2 par 2,
en carré, s'om-rant vers l'intérieur, sont reliées par une
palissade de bambou.
Les. « cours » des chefs, plus importantes, comptent jusqu'à
50 personnes. Elles comportent en plus la case à palabre, sans
mur vers l'espace intérieur, sorte de salle du conseil, et la
case pour les hôtes de passage.
Femmes et filles qui s'occupent de la cuisine animent la cour
proprement dite. Le bruit du pilon est, avec le cri du cabri, la
chanson familière du village. Dès l'aube il se fait entendre
pour la préparation des pains de bananes du petit déjeuner.
A longueur de journées il frappe le mortier, marquant les heures
des repas à la succession traditionnelle : hommes d'abord, puis
femmes et eni'ints.
Les femmes soulèvent le pilon, accompagnent sa chute dans
le mortier d'i.n effort harmonieux de tous leurs muscles. A
chaque mouvement, ^? bébé endormi, porté sur le dos, dans le
pagne, dodelii ç de ia tête, suivant un rythme régulier. Le
bruit du pilon mat, sourd, est l'accompagnement de toute vie
au village : il est monotone comme la vie de la femme noire.
A l'intérieur de la case, l'ameublement est des plus
sommaires. Le « ïara », sorte de divan primitif en bambou sur
lequel, la nuit venue, l'habitant jette une natte et se couche,
en constitue la pièce principale. Il n'existe pas toujours, en
général réservé au chef de famille. Femmes et enfants couchent
par terre sur la natte, enveloppés dans leur pagne, autour du
feu de bois allumé dans la case pour atténuer le
refroidissement nocturne.
Le développement économique du pays, en améliorant les
conditions d'existence des indigènes, a facilité l'achat ou la
construction de meubles jadis inconnus ou inutilisés : chaises,
tables, lits, malles et cantines, lampes tempête, plus rarement
buffet. Quelquefois, le fusil occupe la place d'honneur dans
la case du chef. Dans les villages de brousse les plus pauvres
et les plus retirés, je ne suis jamais resté sans table, chaise,
lampe tempête.
Cependant, le Bété continue à manger à même le sol, négli-
!H Hevue i,s Pi,réncvs ri du Sud-Ouest
A. Caws dk vii.i.aíík bktií. TW. B. — Cask shikn, village dk Baiiompa tribu Zkdik.
I). - - Ai; MAHCHÉ
DE GaCNOA.
Discussion en Ire
femmes hélé.
C. — Chef de case dans sa coi.r. TU
Le chef est un ancien combattant.
Phot. Ladurantik.
fig- 3

fig. I fig. 2
Fig, 2. — Case Shien, type Gouro, tribu Zbdié (village Bahompa).
1. Plan général : a. porte n° 1; b. siège en terre; c. lit de repos;
<f. chambre du chef de famille; e. chambre de la première femme;
f. chambres des femmes; g. deuxième porte; h. foyer des vieilles femmes;
i. étagères; j. chambres des vieilles femmes; k. rigole d'écoulement des
eaux de la cour; l. chambres de passage; m. provision de bois pour
chaque femme; n. foyer et étagère, canaris et provisions; o. grenier à
riz; p. cour; q. véranda. Longueur : 40 m. env; largeur : 15 m. env.;
hauteur mur externe : 1 m. 20.
2. Chambre du chef de famille : a. porte; b. râtelier d'armes; r. lit
en terre recouvert d'une natte; d. fenêtre; e débarras (coffres).
3. Coupe transversale. La paroi côté cour est constituée d'un mur
soubassement de 80 centimètres environ qui maintient des troncs de
palmiers espacés de 4 à 6 mètres soutenant la charpente de la toiture.
106 LADURANTIE
géant chaises et tables achetées en signe de richesse. Par
contre, il ne dédaigne pas la lampe tempête, éclairant au
pétrole, qui s'est rapidement substituée à la traditionnelle lampe
à huile de palme.
Enfin, une collection de « canaris », poteries de toutes
grandeurs, contiennent les provisions, les pagnes, ou sont destinés
à la cuisson des aliments; ils complètent le mobilier.
En pays Shien, la case arrondie, dont la technique a été
empruntée aux Gouros voisins, remplace souvent la case
rectangulaire. Une seule d'entre elles peut abriter une famille de
15 à 20 personnes. La figure n° 2 donne le détail
d'aménagement d'une case arrondie dans laquelle gens et animaux
évoluent à l'aise. La forme exceptée, les règles et les matériaux
de construction sont les mêmes que pour la case rectangulaire.
Toiture mise à part, la case n'exige pas un très gros
entretien. Une telle construction peut durer plusieurs années sauf
incendie ou abandon. Les cases dont les propriétaires
meurent ou partent en voyage sans esprit de retour ne sont pas
détruites. Elles tombent d'elles-mêmes avec le temps.
L'on rencontre souvent en brousse des villages en ruine. Ce
sont des emplacements abandonnés parce qu'ils étaient devenus
mauvais pour les habitants que visitaient trop fréquemment
la maladie et la mort. Le village est reconstruit à quelques
kilomètres de là. Dans les agglomérations en bordure des routes
plus facilement contrôlables, ce spectacle est plus rare,
l'indigène obéissant aux prescriptions administratives au sujet de
la propreté du village et de ses environs.
Il arrive parfois que devant l'état de délabrement trop poussé
du village, le chef du territoire lui-même décide sa
reconstruction.
On voit alors de part et d'autre d'une rue centrale, nivelée,
plantée de manguiers, citronniers, orangers, mettant en valeur
le vieil arbre à palabre, s'élever en bon ordre, bien alignées,
les cases des concessions. Leurs toitures claires, leur crépissage
neuf mettent au cœur de la forêt sombre et touffue, une touche
reposante d'ordre et de fraîcheur.
BÉTÉS DE GAGNOA 107

III. — Histoire et organisation administrative.

Traditions locales. —• Les Shiens et les Bétés semblent être


les autochtones de la Subdivision. Leurs traditions — très
rares d'ailleurs — ne signalent pas de migrations; leurs
ancêtres, 'disent-ils, ont, depuis les plus lointaines générations,
toujours habité le pays.
Jaloux de leur liberté, ils ont vécu repliés sur eux-mêmes
jusqu'à l'occupation française. La forêt primaire n'existe
presque plus qu'à l'état de bandes séparant les tribus. Dans le
Pacolo, elle a à peu près complètement di'sparu. En certains
points, la bande de séparation n'existe même plus (limites du
Guébié et du Bamo). Les Shiens disent que leurs ancêtres ont
usé la forêt par leurs plantations.
La langue diffère assez peu des dialectes du Bas-Sassandra8,
Elle offre, par contre, de notables différences avec le Gouro.
Il semble donc possible que ces populations soient venues du
Sud en des temps très reculés, et se soient établies peu à peu
dans les régions inhabitées, séparant les Gouros du Nord des
habitants du Cercle de Lahou (Didas de Lakota) à l'Est.
A l'Ouest, les tribus Gribihiri, Dakuia, Guia, Krihoa (Canton
Central), N'Dry, Gottibouo-Lossomi (Canton Nord), sont
installées sur la rive droite de la Davo.

Pacification et organisation. — Avant la pénétration française,


la région était totalement inconnue, ses habitants ayant
toujours rigoureusement interdit l'accès de leur pays à l'étranger.
Les indigènes vivaient groupés par villages souvent très
importants. La réunion de quelques villages constituait des groupes
ou tribus, à la tête desquels ne se trouvaient d'ailleurs pas de
chefs. Individualistes, les Shiens acceptaient difficilement une
autorité quelle qu'elle fût, et vivaient dans un état à peu près
anarchique. Il n'existait aucun Conseil de Notables ou de
vieillards pour rendre la justice. La force, la guerre, tranchaient
le plus souvent les litiges.
9. Elle comprend presque autant de dialectes que de cantons. A ma
connaissance, elle n'a encore jamais fait l'objet d'études suivies. J'ai recueilli un
vocabulaire bété dans la tribu Badié de même qu'une série de contes dans
cette tribu et dans le Pacolo.
Ï08 LADURANTIE
Cet esprit d'indépendance, l'absence de chefs influents,
constituèrent une grosse difficulté lors de la conquête et de la
pacification.
En septembre 1912, un détachement de 100 fusils de la
7e Compagnie du 3e Sénégalais opéra dans la région confinant
au pays Gouro, alors rattaché au secteur de Sinfra. En
octobre 1912, le capitaine Bourcelot parcourut le reste du pays avec
un détachement de la 8e Compagnie du 3e Sénégalais. Nos
colonnes rencontrèrent une population dense^ sauvage et arriérée;
tenace et combative. Poursuivie sans repos, ne pouvant se
ressaisir, sa résistance fut vite brisée. Cédant devant la supériorité
des armes et de la tactique, l'homme de la forêt employa la
force d'inertie, l'abandon des villages, la fuite dans la brousse
par petits paquets. Partout traqué, il ne se soumit qu'après un
an d'efforts.
Le poste militaire de Gagnoa fut créé par arrêté du 11
septembre 1913, avec les postes provisoires de Gouopa et de
Boudonhoa. Ce secteur était rattaché au Cercle du Haut
Sassandra (Arrêté du 30 mars 1913). En 1916, la région passa à
l'Administration Civile. Un arrêté général du 31 décembre 1920
rattacha la Subdivision de Gagnoa au Cercle du Bas Sassandra,
dénommé depuis Cercle de Sassandra (Arrêté Général du 4
décembre 1926).
La Circonscription, qui comprend 235 villages, est divisée
en 3 cantons10 : Nord, Nord-Est, Central, divisés chacun en
tribus : Niabré, N'Dry, Gottibouo-Lossomi (Canton Nord, 66
villages) ; Badié, Nékédié, Zédié (Canton Nord-Est, 70 villages) ;
Pacolo, Zabia, Guébié, Guibouo, Bamo, Guia, Gribihiri, Dakuia,
Krihoa (Canton Central, 99 villages).
Le commandement n'existant pas avant notre arrivée, les
auxiliaires de la conquête qui s'étaient distingués par leur
zèle et leur compréhension, furent placés à la tête des Cantons
et des tribus.
L'organisation des chefferies, qui fit l'objet d'études suivies,
aboutit à la nomination, en 1934, de trois chefs de Canton :
Bayoro Digbéi pour le Canton Nord-Est, N'Guessan Kouassi pour
le Canton Nord, Bobo Sassabero11 pour le Canton Central. Ces

10. Arrêté local du 23 juin 1934.


11. Décédé en 1939.
BÉTÉS DE GAGNOA 109
trois chefs font preuve de bonne volonté et collaborent utilement
avec l'autorité locale qui les guide et les conseille. Des jeunes
gens, remplissant les fonctions de secrétaires bénévoles, les
assistent dans l'exercice de leurs fonctions.
Dans ce pays, récemment acquis à nos méthodes, hier encore
dans l'anarchie presque absolue, les résultats atteints ne
sauraient être méconnus. Le temps et surtout le sens politique, la
patience, la persévérence, l'autorité du commandement
européen ont cependant beaucoup à faire dans la voie du
perfectionnement des cadres indigènes12.

IV. — Les techniques.

Le feu, — La percussion de deux morceaux de pierre à feu


(kossoupi), silex ou quartz, donne l'étincelle qui enflamme
une sorte d'étoupe jaunâtre provenant de la fibre du palmier,
(galo póupou), ou de la fibre de raphia (loulou niaka). De
l'étoupe, le feu passe à des brindilles d'herbe puis à du bois
sec : l'allumage est réalisé. N'importe quel bois sec peut servir
de combustible. Le feu est conservé à l'aide d'une braise
résultant de la combustion d'un morceau de bois dur appelé
« pawnhoui ».
Je n'ai pu relever aucune légende ou tradition concernant
l'origine du feu. Coutumièrement, il était autrefois employé
pour marquer la femme adultère, dans le dos ou sur les seins;
pour punir le sorcier empoisonneur, pour le voleur qui
subissait l'épreuve du feu avant son envoi dans un autre village et
paiement d'une indemnité par la famille du voleur au volé.
Avec la fumée, il joue un grand rôle dans la vie domestique;
préparation de la nourriture, fabrication du vin de palme,
brûlage des terrains de cultures, éclairage (à l'aide d'une torche
en fibre de palmier, « yorokoué »), chasse au rat palmiste, au
hérisson dont les trous ont été préalablement enfumés. Enfin
les forgerons indigènes utilisent le feu pour le travail du fer.

12. Un arrêté local du 5 septembre 1941 a, depuis, divisé la Subdivision en


quatre cantons : Nord (tribus Niabré, N'Dry, Gottibouo-Losso, Krihoa, Dakuia,
Guia); Nord-Est (tribus Badié, Nékédié, Zédié) ; Est (tribus Pacolo, Guébié,
Zabia) ; Sud (Bamon, Guibouo, Gribihiri).
8
110 LADURANTIE
Le fer. — Ce métal, acheté aux Gouros, qui le tenaient des
populations mandingues du Nord-Ouest de la Côte d'Ivoire (Sé-
guéla, Touba) était livré sous forme de fléchettes, les « som-
bés », « vaté » en bété. Il servait et sert encore à fabriquer des
armes, des instruments agricoles, confectionnés par les
forgerons du village (Fig. 3).
Le tableau ci-dessous donne un aperçu de la diversité des
pièces fabriquées.

« VATÍ: » NECESSAIRES
OBJETS FABRIQUAS PRIX i>Ë L\ FABRICATION.
par uniti'.

Couteau (baka) 20 Gratuité pour le premier.


Une manille ou un poulet
pour 5.
Matchette (bréka) . . 50 S manilles ou un poulet.
Hache (sibregbe). . 50 à 80
selon la grandeur. 2 manilles.
.

Couteau de guerre
(digribe) 60 20 manilles.
!

Rasoir (ourouparé-
baka) 0 Même tarif que pour
le couteau ibakaV
Cloche ^koubregue-
pei) du meutrier
(imitation
te du lépreux au
Moyen-âge) ...... 40 10 manilles.
« Kondjo »
ment de musique). 40 15 manilles plus un cabri
si le forgeron fournit le fer.
Lance (li) 20 2 manilles ou un poulet.
Matchette de guerre
(guère) 25 5 manilles ou 2 poulets.

Si le forgeron fournit la matière première, le client paie un


supplément. Les manilles utilisées comme monnaie d'échange
venaient de Lahou via Lakota. Elles entraient aussi dans la
constitution de la dot : 40 manilles permettaient à un forgeron
de doter une femme. Les billets de banque ont, maintenant,
remplacé les manilles.
Les forgerons ne sont pas castes. Ils peuvent appartenir
BETES DE GAGNOA 111

à n'importe quelle famille. Leur nombre par village n'est pas


limité. Ils possèdent leur champ do culture et leur plantation.
Un « atelier » comprend, avec le maître, cinq apprentis au

a f
Fig. 3. — Armes : a. poulou = arc; b. biôh — flèche en bambou;
c. digribe = couteau de guerre; d. sibregbe = hache; e. baka = couteau;
les fers de lance ont la même forme mais enserrent l'extrémité de la
hampe (longueur de l'arc à la corde : 90 cm. env. ; les autres armes à la
même échelle); f. moltif d'ornementation sculpté sur une hampe de
lance (li).

plus, qu'il ne paie pas. Ils peuvent fournir le fer et faire


fabriquer gratuitement des outils. En cas de mariage d'un apprenti
la dot de la femme est payée par le père, non par le chef de
l'atelier, auquel appartient le jeune homme.
Le forgeron travaille le fer, le premier aide actionne le
112 LADURANTIE
soufflet, propriété du village, placé sous le préau collectif. Un
second va chercher le bois pour alimenter le feu — bois
spécial appelé « kohi ». Les autres regardent le forgeron et le
remplacent au besoin.
Les outils fabriqués peuvent être vendus dans les villages
voisins. En dehors du fer aucun autre métal n'est travaillé.
Le bois. — Les Bétés n'utilisent pas les essences telles que
l'acajou blanc (zizepopo), rouge (zizezara), le Samba (grigbeü),
l'iroko (guiguié). Ils emploient le fromager (gô) pour la
confection des pirogues. Le « digbei » sert à fabriquer les
mortiers. L'abatage, œuvre du mari, comporte un rite spécial. Une
tige de « bobrah » est placée avec un œuf auprès de l'arbre
à abattre. « Mon mortier est troué, dit l'époux, sans toi, je ne
puis rien faire; je vais t'abattre. Il ne faut pas que ma femme,
mon enfant ou mot soyons malades (à cause de cela) ». L'arbre
est abattu, -tronçonné, porté au village. Sur chaque tronçon
est placée une feuille ûe « bobrah », moyennant quoi le
tronçon peut être transformé en mortier. Le « kribei » sert à
fabriquer les puons : pilon à mortier, pilon à travailler Fécorce
pour la confection des pagnes de cette nature. Aucun rite
ne précède l'abatage.
Le travail du bois est sommaire et ne donne que des objets
assez grossiers : chaises dans la tribu Guia à Toutoubré
(plateaux supportés par trois statuettes de femmes, technique venue
de la Subdivision d'Issia), cartouchières (ketekou), peignes,
masques, du Guébié à Gaherolilié, casques dans le Dakuia à
Onahio, statuettes, fourreau pour le couteau de guerre (di-
grigbé), bracelets de pied, flûtes et tam-tams.
Les raclures du « gueguehi » ou « guizihi » mélangées à de
l'eau portée à ebullition, servent à la coloration en rouge des
pagnes d'écorce. L'écorce du « berou » ou « sèbouhi »,
préalablement réduite en poudre, mise à bouillir avec un pagne, teint
ce dernier en jaune. L'écorce portée en sautoir, servait
également de signe distinctif aux guerriers et aux chasseurs.
L'os et l'ivoire. — L'os et l'ivoire sont utilisés pour la parure :
bracelets, épingles à cheveux, bagues avec les dents du
phacochère ou l'ivoire de l'éléphant, collier avec l'épine dorsale du
boa. Ils entrent aussi dans la préparation de certains
médicaments.
Pl.ANCHK IV licnnr ti
A. IN KORdKHON. i \\ . ■>;•..- 1
C. I'.NK FII.KISK I)K COTON. \W . I). -— Dk
I'VV. il.u»
BÉTÉS DE GAGNOA 113
La feuille du « lalokohi » ou « laîehi » pilée avec un
humérus de chimpanzé mise dans du coton et attachée à un bâton
(trui) ainsi que l'humérus-pilon, aide le malade à marcher ou
à se tenir debout. La coquille d'escargot (Seo lako) sert, à
l'occasion, de verre et d'assiette, ou encore, à écraser le piment.

Vannerie. — Les objets ainsi fabriqués servent aux besoins de


la vie domestique : paniers dont le prix variait de 1 à 3
manilles selon la dimension, 1 à 3 francs actuellement; vans, prix
1 manille ou 1 franc; nasses pour poissons; filet de pêche en
fibre de palmiers, chasses-mouches, nattes, ceintures (dikou) et
pagnes (yahi) en raphia tressé. Tous ces objets sont l'œuvre
de l'homme.

Poterie. — La destination en est, comme la vannerie,


essentiellement domestique : canaris et plats de grandeurs diverses.
Cette technique est du domaine de la femme. La potière
prend une boule d'argile (manié) et un morceau de bois de
n'importe quelle espèce en guise de table de travail. Un fil
tressé (gripeu) en fibre de raphia constitue la carcasse.
La potière commence par la base, évase le support.
L'élévation est obtenue par superposition et enroulement autour de la
fibre de minces bâtonnets d'argile appelés « maseré » prélevés
dans la masse et roulés dans le creux de la main. La main
droite met en place les « maseré » pétris et humectés d'eau,
tandis que la main gauche imprime à l'objet un mouvement
giratoire. Le corps du canari ainsi dégrossi, l'extérieur est
régularisé à l'aide d'un morceau de bois servant de racloir. Le col
est obtenu par pression et rotation avec amincissement à l'aide
du racloir. Le canari, quelquefois orné de dessins, toujours
simples et géométriques, est mis à sécher à l'air libre. Une
potière peut fabriquer deux gros canaris en une journée.

V. — La vie matérielle.

La cueillette.

La cueillette joue un rôle important dans l'alimentation


indigène. Que cueille-t-on? Comment et selon quelles règles?
114 LÀDURANTIE
Produits végétaux. — En première place, se range le palmier
à húile (galo) arbre providence dans ces régions. On utilise le
régime (goubeu) pour ses graines (gui), qui donnent l'huile de
palme. L'arbre abattu — malgré toutes les interdictions
officielles — permet la fabrication du vin de palme (no), la
consommation du choux palmiste (gadré). Les indigènes sont
également friands d'une sorte de grosse chenille (bero) qui vit
sur le palmier et qu'ils mangent grillée. La cendre du
palmier est utilisée comme condiment qui rappelle le sel (gaguibi).
Les champignons de palmier et ceux de la forêt en général
ne sont pas moins appréciés. Il existe de nombreuses variétés
que les indigènes appellent boro, lolié, patra, yayé, patrozalo,
pour les champignons de palmiers; goudeho, icoreho, dogboho,
biriho, temamiho, goproutete, boulebaho, berebere, dradra,
patro, brisséssé, bofré, koraho, brognini, kouakoua, youkouli-
tratra : autant de champignons de forêt utiles.
Le « legrelelou » est consommé en sauce. Arrosé de bangui,
il rend malade.
Des feuilles, fruits ou graines servent à lier les sauces tels
le « niasserebeu » fruit d'une liane (niasseroulongbeu) épluché
et bouilli, ou la feuille du « troukoui », tekrité, mise à bouillir
avec les tarots.
L'écorce d'un arbuste ayant la consistance du sureau, le
« yetehi », donne une fibre (yetehikou) que les indigènes font
bouillir et malaxent pour obtenir une sauce savonneuse (noua
zapo) présentée pimentée et salée avec des champignons.
Le « lile » ou arachide de brousse est mangé grillé. Le
« nioubé », fruit du nioussou, le « behi » graine du bessou
ressemblent à l'amande de palme.
D'autres arbres ou lianes donnent des fruits sucrés, tel le
fruit du médé, celui d'une liane appelée « diomonombéu ».
A citer avec le kolatier, donnant la noix de kola (golé),
étudié plus loin, l'ananas de brousse, la papaye (vaguessou), la
patate de brousse (ouegbeu), l'igname de brousse (semé), dont
la variété, « té », est recherchée en période de disette.

Produits animaux. — La récolte se limite à peu de choses près


aux œufs : de pintade (brouzaguehi), de perdrix (kasseguehi),
de toucan (peguehi), de coucou (zouzouguehi), d'aigle (tiétié-
BETES DE GAGNOA 115

guehi), de pigeon (kpakoguehi), de tourterelle (bleguehi), de


pigeon vert (lobleguehi).
Sont également consommés, les œufs de caïman (kakoregué,
gropegué), de tortue de terre (koragué), de boa (bligué), de
vipère (motemégué), de serpent noir (brougué).

Fig. 4. — Outils : a. vaté (sombe); b. dagboue — manille; c. gnokue =


^©nailles\¿ d. borolo = marteau; e. lété = sorte de houe; /. kouri =
soufflet; g. boussou; h. bâti; ?. j. kondjo, instrument de musique

Les indigènes recherchent aussi le miel (lokoué).


Les termites (moumeu) sont mangés grillés comme les
diverses chenilles : zékré, fo, sago, gougo.
Les escargots gris (souho), noirs (siokouo), petits (doudou-
ménédohi), sont mangés bouillis ou cuits sous la cendre.
116 LADURANTIE

Outillage pour la cueillette. — II comprend les instruments :

1. pour cueillir. En dehors du ramassage à la main, au bâton,


à la matchette, à la hache, les indigènes emploient le « bous-
sou », morceau de fer emmanché à une perche, le « bâti »
bâton fourchu (fig. 4).
2. pour grimper. Les « grimpeurs » de palmier à huile
utilisent le « gbei », liane dont ils se ceignent les reins; l'échelle
(babaté), le « bagré » ressemblant à l'appareil dont se servent
les surveillants des lignes télégraphiques pour grimper le long
des poteaux.
3. pâiur débroussaiifer : le « bâti », la matchette déjà nommés.
4. pour fouiller : le « boussou », déjà vu.

5. pour transporter : des paniers rectangulaires (bokouâ),


ronds (kaka). Le « gopou » également en vannerie est aussi
employé à cet effet. Tous ces objets sont portés sur la tête ou
sur le dos (hottes). Les feuilles /de palmiers entrent dans la
confection de petits paniers appelés « gougous » o,u « petou-
koua », servant au transport du riz, des tarots, etc.
6. pour conserver : canaris ou corbeilles. Les « diklé » sont
des corbeilles en lianes qui servent à la conservation de
n'importe quel produit. Ils se placent au-dessus du foyer. Les
provisions se conservent ainsi à la fumée.

Le « badou » est une sorte de valise en écorce; le « foroko »,


sac en peau de biche noire ou rouge ou en peau de singe, est
surtout utilisé pour ranger les pagnes.

Importance et droits de cueillette. — La cueillette avait


beaucoup plus d'importance autrefois qu'aujourd'hui dans la vie
matérielle des populations du Gagnoa. Les membres des
collectivités villageois?:; ont droit exclusif de cueillette sur tous les
produits spontanés du sol dont ils ont la possession.
Cependant ils permettent aux étrangers de cueillir les graines de
palme. Il n'en est pas de même pour les kolas et la liane à
caoutchouc dont les peuplements appartiennent en toute
propriété au maître du sol.
BÉTÉS DE GAC.NOA 117

La chasse.

La chasse a toujours été libre. Chasse qui veut et où il veut.


Le produit reste la propriété du chasseur, même si l'animal
abattu est un éléphant. En général la viande est distribuée à
tous les, habitants du village. Les pointes d'ivoire reviennent
coutumièrement au chasseur qui, maintenant, perçoit la prime
allouée aux découvreurs.
La chasse est individuelle ou collective.
Chasse individuelle. — La chasse au piège procède de la chasse
à la trace. Les pièges, confectionnés pour les besoins du
moment, sont nombreux : « tabo » pour les phacochères, les
biches; « vanehoko » pour les biches, les phacochères, la
panthère; « biboko » pour la panthère; « pato » ou « sadro » pour
les petits carnassiers; « frafrihi », pour les oiseaux, « belou »,
« kokofia », pour les rats; « gbé » pour les singes; « zali »
pour les éléphants.
Les pièges sont posés à la saison des pluies. Trois raisons
motivent ce choix : déplacements plus fréquents des animaux
dérangés par la pluie; facilités de repérage des traces sur le
sol détrempé; facilités d'aménagement du sol rendu plus
meuble. La saison des pluies correspond aussi à la période creuse
de l'année, les terrains de culture ayant été préparés en saison
sèche.
La pose donne lieu à des sacrifices. Quand il s'agit d'un
piège à panthère ou à éléphant, un poulet, un mouton ou un
cabri est tué et mangé au village par la famille du chasseur.
Les divers rites pour la chasse au « vaneboko » utilisé pour
la chasse aux biches, phacochères, panthères, m'ont été ainsi
rapportés. Le chasseur désigne des hommes pour la préparation
de nombreux pièges (40 à 100) fabriqués en brousse. Cette
activité entraîne un interdit sexuel qui est levé au moment de
la mise en place des pièges et du retour des hommes au
village. Quatre jours après, le chasseur, accompagné de deux ou
trois enfants, va aux résultats. En cas de prise, l'un des
enfants annonce la nouvelle. Dans le cas contraire, le chasseur
regagne le village. L'attente continue pendant une ou deux
semaines. Si rien ne vient, le chasseur demande alors à tous
les membres de sa famille de prendre quatre gorgées d'eau
118 LADURANTIÈ
qu'ils recrachent. L'eau est puisée dans un canaris avec une
feuille arrachée à la toiture de la case du chasseur. Ce faisant
chaque membre confesse la nature de ses relations avec le
chasseur — amicales ou non — sa joie ou son mécontentement
à propos des résultats escomptés. Le chasseur répand l'eau
inutilisée sur le toit de sa case et va dans la brousse attacher
un poussin (kokohou) vivant, au piège fabriqué le dernier. Il
revient ensuite au village. Trois jours après il va voir le piège.
En cas de prise le gibier appartient aux hommes qui ont
fabriqué les instruments. Ils doivent tout manger en une fois. Le
chasseur revient ensuite sur le terrain et, s'il y a du gibier,
tout le village en aura sa part.
L'appât est destiné à obtenir les faveurs du génie « kou-
mezeré » qui marche devant les animaux et siffle comme un
chasseur imitant la biche. Satisfait, « koumezeré » ayant mangé
le poussin ne protège plus les animaux. Si trois jours après
cette cérémonie, le gibier ne se montre pas, la responsabilité
du chasseur n'est pas mise en cause. Les piègîs abandonnés,
pourriront sur place.
Les divers outils — « boussou, lété » — utilisés pour la
préparation des pièges doivent ne servir qu'à cet usage.
Souvent ils sont laissés en brousse. Cet interdit a pour but d'éviter
qu'un éveutuel ennemi du chasseur ne se serve de l'un de ces
instruments pour jeter un mauvais sort; il est levé lorsque le
travail est terminé.

Chasse à vue ou à l'embuscade. — Elle se fait à la lance, à


l'arc, à la matchette ou au fusil. L'arc est employé pour la '
chasse au singe. Les flèches sont empoisonnées. Le chasseur
prépare ainsi son poison : il fait bouillir dans une marmite une
mixture composée : d'un fruit (le sokoragoué), de deux feuilles
(koukossou et lolohonon), d'une liane (okouhouliehi), de
l'écorce du « gouli » ou arbre à poison. Ces produits sont
maintenus à ebullition pendant un jour jusqu'à ce que le liquide
devienne noir. La liqueur- est vidée dans un canari couvert de
feuilles, mis à l'abri et conservé. Le chasseur trempe la pointe
de ses flèches dans le liquide, la présente à la flamme pour
faire adhérer le poison. Il opère en dehors du village, à cinq
BÉTÉS DE GAGNOA 119
ou six mètres. Les escargots sont interdits pour la durée de
la chasse au chasseur fabricant le poison.
La viande est consommée fraîche ou boucanée. Elle est aussi
conservée pour la vente.

Chasse collective. — II n'existe pas de « capitaine de chasse »


titulaire. Chacun est libre de décider que tel jour il y aura
chasse en groupe. L'annonce en est faite le soir au coucher du
soleil. Les hommes sont invités à ne pas quitter le village.
L'homme ou le jeune homme qui a pris l'initiative de
l'opération se rend sur le terrain avec ses compagnons. Il divise
les chasseurs en plusieurs équipes, prend le commandement
de l'une d'elles, confie les autres à des camarades qu'il désigne
et la chasse commence. Il n'encourt aucune responsabilité si la
chasse ne donne aucun résultat. II n'existe pas d'autre
hiérarchie entre les chasseurs que celle des chefs de groupe qui
préviennent leurs camarades du sens de la marche du gibier par
des cris de c^ genre : « Garçons! Garçons! voici le gibier!
attention pour l'attraper ! » (Oudi ! Oudi ! Dagrou ah ! dagrou
ah! Hi! Hi! Ovtii! Ouai! Gohua! Gohua!).
A l'âge dp 10 ans les enfants suivent leur père et l'éducation
commence. A quinze ans, l'enfant s'exerce à tirer sur le
toucan, les petites bêtes de la brousse. C'est l'année d'épreuve. A
16 ans, il commence la chasse au grand gibier.
Aucun droit ni devoir spécial à signaler : si le chasseur
ne trouve vien, cela veut dire que quelqu'un « a cherché sa
femme » el il procède à la cérémonie décrite plus haut.
Le joui <{ui précède la chasse, il y a confession générale. Un
canari rempli d'eau est placé avec un o?uf dans la maison de
celui qui a décidé de la chasse et ensuite porté sur la piste
par où passeront les hommes. Au départ du village, chacun
d'eux introduit dans le canari une feuille de la main gauche.
Si un individu prenait la feuille de la droite, cela signifierait
qu'il souhaite l'échec de l'entreprise. Chacun doit penser
« bonne chance » à cette occasion.
Chaque arme a son porte bonheur : pour le fusil, c'est une
feuille mise au bout du canon, retirée à chaque coup et placée
alors à l'oreille gauche; pour la flèche, c'est le poison; pour la
lance, une mixture composée de morceaux de « goudrouba »,
« oréoré » (arbuste), et « pahibé » (sorte de poivre) réunis,
120 LADURANTIE
mâchés, crachés sur le fer et la poignée de lance; pour le
filet de chasse, un mélange de « guididi » (déchet de graines de
palme)', « loulehi » et un peu de braise. Le tout est déposé au
milieu du filet et se consume. Exception faite pour le filet, ces
préparations n'ont lieu que si la chasse est infructueuse.
Les chiens n'accompagnent que rarement les chasseurs, pour
la chasse à la lance ou à la flèche seulement. L'élevage et le
dressage n'existent pas. L'odorat de ces animaux est renforcé
à l'aide d'un « médicament » composé de l'écorce de « kossou »,
d'une souris (namo), de l'écorce du makoré (guéri), du palmier,
d'une bête nommée « goprou ». Le tout est pilé dans un mortier
avec un peu d'eau, iplacé dans une feuille et cuit, enfin
introduit dans les narines du chien pendant deux jours. Le reliquat
est jeté.
Tous les animaux de brousse sont bons à prendre : singes,
biches, antilopes, rongeurs, phacochères, chats-tigres, panthères.
Les tortues, serpents, escargots, aperçus au cours de la chasse,
appartiennent au découvreur. Le nombre des animaux capturés
varie de cinq à vingt-cinq en général.
Le gibier est atari partagé :
1. Chef de />i?/*..e ; un animal ou un gigot selon le résultat
de la chasse.
2. Chef de fv/c : qu'il ait ou non participé à l'opération,
il a droit aux tcîus e( à un gigot.
3. Chef de chiise . Un gigot par animal abattu. Il a la
responsabilité des incidents qui peuvent survenir au cours de la
chasse.
4. Chasseurs : Le propriétaire du filet dans lequel l'animal
a été capturé a droit à la poitrine (kékré).

Les deux hommes accompagnant le chef de chasse ont droit


à une part. Les restes sont confiés par le chef de chasse à son
« grand frère », chef de case, qui procède publiquement au
partage général.
Le foie découpé, est placé auprès du canari porte-bonheur à
l'intention de « koumezeré », le génie. Les matières fécales sont
répandues également autour du canari.
Le commerce touchant la chasse est complexe. On peut
distinguer les tractations suivantes :
3ÉTÉS DE GAGNOA 121

1. Des armes. Les fusiis à pierre étaient vendus à raison


de un fusil long pour un bœuf, un fusil court pour un cabri.
Une lance valait cinq manilles ou un poulet.
2. Des charmes. Si le charme réussit, le chasseur se fait
céder la recette pour trois poulets — dix ou vingt manilles —
selon l'importance.
Le poison des flèches est gratuit pour les membres de la
collectivité villageoise. Les étrangers paient 15 francs pour
un paquet de cinquante à soixante flèches empoisonnées.
3. De la viande. Le chasseur a liberté de vendre. En fait, il
en use rarement. La viande est partagée et conservée pour la
nourriture.
4. Des peaux. La dépouille appartient au propriétaire du
filet. Quelques-unes sont réservées pour la fabrication des
tam-tams. Les autres sont consommées. Certains indigènes vont
jusqu'à prétendre que « la peau est plus douce que la viande ».
J'ai vu des indigènes en venir aux mains pour des déchets de
peau d'éléphant laissés pour compte au partage.
5. Des os. Selon la qualité ils sont jetés ou transformés en
objets de toilette (peignes, épingles à cheveux).
6. Viscères. Ils sont répartis entre le capitaine de chasse,
le propriétaire du ou des filets et les camarades chasseurs.

L'alimentation carnée est subordonnée au résultat de la


chasse qui comporte toujours une grosse part d'incertitude.
Avant notre arrivée, il semble qu'elle ait été plus fructueuse
que de nos jours. Le désarmement, en privant les indigènes de
leur principal moyen de défense, le fusil de traite, leur a du
même coup enlevé la possibilité de chasser plus efficacement
qu'au filet, à la lance ou à la flèche.
Les colons européens, au début de leur installation dans le
pays, ont fait ample consommation de gibier dans un but
alimentaire et aussi commercial. Actuellement, le gibier a
disparu autour des grands centres et sur les plantations
européennes.
La création des plantations indigènes de cultures
industrielles qui les occupent pendant une bonne partie de l'année,
les a privés des loisirs qui leur permettaient de chasser. De
nombreux villages restent souvent deux ou trois mois sans
122 LADURANTIE
manger de viande; les animaux domestiques étant, de par
la coutume, réservés aux cérémonies familiales ou villageoises.
Il est ainsi permis de comprendre l'ardeur avec laquelle les
indigènes sollicitent des permis de port d'armes et la ténacité
qu'ils emploient pour essayer de faire aboutir leurs demandes.

La pêche-

Droits de pêche. — Les droits sur la pêche sont réservés au


maître du sol. La pêche en groupe n'a lieu que sur son
autorisation, jamais refusée d'ailleurs.
Le produit, mis dans un panier, est distribué par le maître
du sol. Un homme peut cependant aller seul à la pêche et en
conserver le produit. Lorsque une collectivité désire pêcher
dans un marigot appartenant à un autre village, elle demande
l'accord du maître du sol du village possédant. L'autorisation
est assez rarement donnée.
Le partage de la pêche se fait entre les participants. Un
cabri est envoyé au chef de terre dont dépend le marigot ou
la rivière. Ce dernier, est tenu d'offrir une portion de ce
cadeau aux membres de sa collectivité.

La pêche individuelle. — 1. Pêche à main nue : à la. saison


sèche, en rivière ou dans les marigots.
2. Pêche à main armée : aux hautes eaux, le pêcheur entrant
dans la rivière, guette le gros poisson qu'il essaie de piquer
avec un couteau (breka).
3. Pêche au filet : « gnjdo sokouri », filet pour les ho/nmes,
« gnido sede », pour les femmes.
Afin que le filet attire le poisson, le pêcheur prélève avec
un couteau (godrouba) sur le mortier de cuisine quelques
raclures, coupe un peu de l'écorce du bois servant à la
confection des pagnes (yebosuenhi), un morceau d'un arbuste
appelé « orohole », prend deux amandes de palme, un piment
(yebe) qu'il sectionne, en jette un morceau, mâche l'autre
avec les divers ingrédients qu'il recrache sur les quatre coins
et le centre du filet.
Ce genre de pêche n'entraîne aucun interdit.
BÉTÉS DE GAGNOA 123

4. Pêche au hameçon (goue), à la nasse {keke). Les ruasses


en rotang sont de tailles différentes, selon le poisson à pêcher.
Le « dirigouri tita » (appât) est composé de feuilles
analogues à des nageoires de poissons et de piment mâchés. Le
pêcheur l'écrase sur le hameçon.
Les principaux appâts utilisés en dehors du riz cuit sont des
fruits, des graines (bananes rouges, « gremazere » ; graines de
palme, « guêtre »; un fruit « kohiayo » cueilli près de la
rivière) des morceaux de viande fraîche (neme), des chenilles
de palmier (bero), des vers de terre (cerebrou), des cancrelats
(pekre), de petites écrevisses.

La pêche en groupe. — Elle a lieu en saison sèche, quand les


rivières laissent paraître des gués. Hommes et femmes y
pèchent. Seules les femmes vont au marigot. Elles entrent dans
l'eau jusqu'à la ceinture promenant leur « sede » qu'elles
secouent de temps à autre à la façon d'un tamis, pour
empêcher le poisson de sauter. Les hommes fouillent les trous
avec leur « sokouri » qu'ils renversent subitement sur le
poisson aperçu.
Le chef de terre est chef de pêche. Le moment venu, il se
rend à la rivière et dit : « Demain matin mes enfants
viendront tuer du poisson. Il faut qu'ils en prennent beaucoup,
sinon le chef de terre sera couvert de honte. » II jette alors
dans la rivière un petit canari rempli de farine de maïs (go
bobo). De retour au village, il laisse partir les pêcheurs. Le
maître du sol ne participe pas à l'opération. Si elle est
infructueuse, il sacrifie un poulet que mangent les villageois. Les
intestins, placés sur une feuille de « bobrah » sont jetés sur le
chemin de la rivière. Chacun en passant les recouvre d'une
feuille. La réussite sera certaine, du moins l'indigène l'es-
père-t-il ainsi.
Pour se préserver de la morsure des sauriens, le chef de
terre cache dans sa case une paire de tenailles indigènes,
dont la pince est solidement ligotée avec une fibre de
palmier. Il place ainsi sur la gueule du caïman une muselière...
théorique....
Les reliefs du repas de la veille ne sont pas mangés si la
première tentative a été vaine.
La durée de la pêche varie selon les résultats : de six
124 LADURANTIE
heures à midi, de six à quatorze heures, mais jamais jusqu'au
coucher du soleil, et ce pendant trois jours.
Le produit — carpes (gaza), capitaines (dirigouri), poissons-
chats, anguilles — est partagé. Une part est réservée au chef
de terre. Le reste est consommé frais ou séché, vendu ou
envoyé aux parents habitant les villages voisins.
Le poisson est préparé de diverses manières :
1. Poisson sec : mis à sécher sur des claies, entier ou vidé
et coupé en trois s'il est gros, suspendu à un trépied de
bambou. L'opération dure deux jours. Le poisson sec est conservé
dans des canaris.
2. Poisson fumé : le poisson séché est placé dans des
paniers, au-dessus du foyer des cuisines et s'enfume naturellement.
3. Poisson salé : ne se prépare pas à Gagnoa.
4. Œufs : sont consommés frais le jour de la pêche.

La pêche au poison. — Cette pêche donne de beaux résultats.


Elle est précédée d'un interdit sexuel, la veille. La femme
peut accompagner son mari, sauf en période de règles. Le mari
dont la femme est enceinte doit s'abstenir de pratiquer cette
pêche.
Les stupéfiants employés se classent comme suit par ordre
d'efficacité décroissante : 1. le « tali », « guiete » ou « sue ».
2. (loukougrehi » ou « kokohi », fruit du raphia.
3. « kokouabi », fruit en boule dont la partie externe sert
à fabriquer un instrument de musique.
4. « totokoue », écorce du « toto ».
5. « seke-seke », fruit.
Le poison pilé au mortier, est mis en charges et porté près
de la rivière. Une mixture faite du mélange de trois feuilles
du « yebosuehi » (arbuste), de trois feuilles du « loboloukoue »
(arbuste), un ver de terre « cerebrou », un piment, est
présentée à un petit enfant de moins de dix ans qui la mâche.
Cette pâtée est recrachée isur la charge de « sue », si le « tali »
est le poison employé. Le poison est ensuite pilé de nouveau
avec beaucoup de piment (feuilles et fruits), dans la proportion
de deux charges de poison pour une de piment, et partagé
entre les différents pêcheurs.
BÉTÉS DE GAGNOA 125
II est utilisé pour la pêche au filet. Le pêcheur entre dans
l'eau qui dilue le stupéfiant préalablement posé au fond du
filet. Le premier poisson tué revient à l'enfant qui a mâché
la mixture. Les çoissons morts montent en surface et sont
ramassés avec le filet.
Les indigènes pratiquent volontiers ce genre de pêche peu
fatigant, dérivé de la pêche en groupe.
Le poisson est plus couramment consommé que la viande
par les villages riverains des cours d'eau ou des marigots.
Ceux qui en sont éloignés l'achètent aux premiers. Cet
aliment, dit l'indigène, possède l'agréable privilège de pouvoir
être utilisé même en cas de mal aux dents (affection fréquente).
En fait, il constitue le principal apport azoté de la ration
alimentaire.
L'élevage.

L'élevage est presque inexistant. Le cheptel, peu fourni,


comprend des bovidés de la petite race des Lagunes,
résistante et bien en chair : bœufs (bri), vaches (bringon),
taureaux (bribero), veaux (briberodibeu), génisses (bringodibeu) ;
des ovidés : moutons (bleble), brebis (blangon), béliers
(blaouo), agneaux (blangodibeu) ; des capridés : chèvres (ouri-
maouri) et cabris (ouri) ; porcins : porcs (cocoty, nom emprunté
au Baoulé) ; des gallinacés : coqs (nounouberi), poules (nou-
noungon), poulets (nounou ou kokoue), poussins (nounouyou) ;
des colombins : pigeons (kpako); des palmipèdes : canards
(bougounounou = poulets des Européens).
Le bétail, gros et petit, vit dans les villages ou aux environs
immédiats, livré à lui-même, cherche sa nourriture, s'alimente
des déchets ménagers, de maigres graminées. Pour la nuit,
aucun abri n'est prévu. Les moutons dorment le long des cases,
les bœufs au pied d'un arbre ou plus simplement à l'endroit
où la chute du jour les a trouvés. Le soir venu, certains
villages, visités quelquefois par la panthère, attachent les petits
pour les mettre à l'abri du fauve.
Le cheptel appartient aux plus riches. Il entre dans la
composition de la dot et n'est consommé que pour de rares
occasions : funérailles, passage d'un grand chef. Autrefois, l'aba-
tage d'un mouton consacrait la fin de la guerre entre deux
villages qui, de plus, échangeaient deux bœufs.
126 * LADURANTIE

Les indigènes ne traient pas les vaches. La peau des rares


animaux abattus, sert à fabriquer, après un rudimentaire
tannage, des gaines de couteaux, des ceinturons, des baudriers. Les
cornes constituent une parure de choix. Les poils ne sont pas
utilisés.
Le cheptel n'est, pour le moment, qu'un indice extérieur de
richesse. Il serait intéressant d'essayer d'amener l'indigène à
consommer habituellement la viande des animaux domestiques.
Cette politique implique une évolution spontanée ou plutôt
dirigée des coutumes locales. Elle nécessite en outre la mise en
œuvre de tout un programme d'éducation, tendant à inculquer
à ces populations les principes élémentaires d'élevage, tels que
la sélection des sujets ou la castration.

L'agriculture-

L'agriculture joue un rôle capital dans l'économie locale.


Attaché à la terre dès l'origine, le Bété a pu se rendre compte
des richesses qu'elle est susceptible de produire et 'du résultat,
de nos méthodes de travail.

Droits fonciers. — Le régime foncier repose coutumièremont


sur le principe de la première occupation du sol et sur la
famille étendue. Le chef de la famille du premier occupant a la
maîtrise du sol. Les autres familles qui, par la suite, se
groupèrent autour de la sienne, admirent ses droits sans
contestation.
Les terres cultivées deviennent la propriété de la famille qui
les a défrichées. Elles forment le bien familial sur lequel ni le
maître du sol ni les autres familles de la collectivité ne
travaillent.
Le maître du sol est seul propriétaire de la terre et transmet
ses droits à son héritier, mais les familles de son village en
jouissent au même titre que lui. Il n'en dispose pas seul. S'il
veut en aliéner une parcelle à une collectivité étrangère, il doit
demander Passentiment de tous les chefs de famille et
notamment de la famille qui a pu, jadis, cultiver cette parcelle.
Si l'accord est donné, le maître du sol reçoit seul le prix de la
cession temporaire ou permanente. S'il est refusé, l'aliénation
est impossibJp-
BÉTÉS DE CrA&mA, 127

A l'origine, le premier occupant, seul ou avec sa famille,


n'avait d'autres droits que ceux impartis au cultivateur sur
le terrain qu'il a cultivé. Il ne devenait réellement maître du
sol, qu'au moment ou d'autres familles, venant se grouper
autour de la sienne, étaient mises dans l'obligation de reconnaître
sa qualité de premier occupant. Aucun rite n'accompagnait
la prise de possession du sol.
Le maître du sol indique le moment des semailles. Il donne
l'autorisation de les faire, mais peut refuser si on la lui
demande avant qu'il ait jugé bon de la donner. Dans ce cas, le
demandeur est tenu de lui offrir un poulet ou deux matchettes.
Dès qu'il a mangé le poulet il semble qu'il n'ait plus le droit de
refuser et, sans plus attendre, le demandeur prépare son
terrain.
Le maître du sol peut encore interdire toute plantation à une
famille avec laquelle il est en désaccord sérieux. Le chef de
la famille ainsi interdite doit alors appeler le village en
palabre et offrir au maître du sol un poulet ou un cabri en lui
demandant sun pardon. Ce dernier est ensuite obligé de faire
taire sa rancune. Ce droit est de moins en moins exercé.
Le domaine de chaque collectivité ou de chaque groupe, est,
de nos jours, nettement délimité. Des marigots, des pierres, des
lignes d'arbres plantés par les anciens, constituent les limites.
Des contestations, ayant entraîné parfois la guerre, se sont
jadis élevées. Le parti vaincu acceptait les limites que lui
imposait le vainqueur. Les membres de la collectivité connaissent
ces limites. Elles sont familières aux enfants en âge de courir
la forêt.
Il arrive parfois qu'une famille quitte son village pour aller
en habiter un autre. Le chef de la famille emigrante, en
demandant au chef de son nouveau village, l'autorisation d'y
habiter, demande aussi un terrain pour ses plantations de
l'année. A moins qu'il ne lui offre une parcelle de ses terres, le
chef de village lui indique une partie de forêt à défricher. Le
terrain cultivé appartient au nouvel occupant. La deuxième
année, les indigènes de la région ne faisant jamais leurs
plantations deux fois sur le même terrain, une autre parcelle est
demandée, qui lui est également accordée. Il devient
propriétaire de ce nouveau lot tout comme du premier. La troisième
année, s'il désire encore du terrain, il en demande à une fa-
128 LADURANTIE
mille du village qui possède beaucoup de terres; mais, la
récolte faite, le terrain est rendu.
Dès qu'une collectivité a accueilli une nouvelle famille, elle
la considère comme une des siennes. Elle lui accorde les
mêmes droits qu'à ses autres membres. Mais dès que le
nouveau venu a fait deux plantations, les Bétés considèrent qu'il
est suffisamment pourvu. C'est pourquoi la troisième
concession, à moins qu'elle ne soit prise dans la forêt, est
temporaire.
A l'origine, le maître du sol n'a fait obligation à aucune
famille de cultiver telle partie de terre plutôt que telle autre.
Chaque familh; a cultivé le terrain de son choix, suivant ses
besoins. Les terres n'ont donc pas été distribuées.
La famille, et dans celle-ci chaque ménage, cultive les terres
familiales. L'homme prépare la plantation, la femme ensemence.
Le célibataire aide son père ou son frère qui le nourrit et.
l'entretient pendant la durée de ses travaux.
La famillo n'est pas propriétaire du sol, mais possède le
« jus utendi et fruendi », et avec certaines restrictions, le « jus
abutendi » i
1. Elle a le droit de céder une partie du terrain aux membres
de sa collectivité à titre temporaire ou définitif, lorsque, par
exemple, la cession du terrain de culture est considérée comme
indemnité.
2. Elle n'a pas le droit de la céder, à quelque titre que ce
soit, à une famille ou à une collectivité étrangères. Ce droit,
comme il est rapporté plus haut, appartient en propre à toutes
les familles du village, réunies autour du maître du sol.
Le non usage des droits, le départ de la famille bénéficiaire,
n'entraînent pas déchéance. Dans le cas où les terrains ont
été occupés par d'autres familles en l'absence de cette
dernière, ils lui sont intégralement rendus après enlèvement des
récoltes, à son retour. Le maître du sol n'a aucun droit de
reprise sur les terrains exploités. En cas de départ, sans
esprit de retour, d'un membre de la collectivité, ses terres sont
occupées, s'il ne les a pas déjà cédées; par les familles les
plus pauvres de sa collectivité. S'il s'agit du départ d'une
collectivité, ses terres échoient aux familles des autres villages
de son groupe ou de sa tribu, à l'exclusion de ceux des autres
tribus voisines.
BÉTÉS DE GAGNOA 129

Lorsque par suite de l'augmentation de ses familles, une


collectivité n'a plus suffisamment de terres, les chefs de
famille se réunissent autour du maître du sol, et lui donnent
mission d'aller acheter un terrain au village voisin mieux
partagé. Le maître du sol du village sollicité de vendre, réunit
tous les chefs de famille pour examiner la proposition.
Deux cas peuvent se présenter : 1. Le terrain à céder a été
cultivé. En principe les chefs ne s'opposent pas à la cession;
mais si le propriétaire du terrain (celui qui l'a cultivé) refuse
de l'abandonner, la propositon est repoussée. Le maître du sol
ne peut passer outre.
2. Le terrain n'a pas été cultivé. Il s'agit surtout de terrains
forestiers. L'autorisation de vendre est accordée sans grande
difficulté au maître du sol.
Dans les deux cas, ce dernier reçoit seul le produit de la
vente, et n'a pas à le répartir entre les familles de la collectivité,
ni même (si le terrain cédé a déjà été cultivé) entre ceux qui
le détenaient.
La tenure collective (familiale) évolue vers la forme de
tenure et de propriété individuelles. La terre cultivée par un
membre de la famille devient propriété personnelle de ce
membre, au lieu de rentrer dans le bien familial. Toutefois
la procédure de constatation des droits fonciers indigènes,
instituée par le Décret du 20 octobre 1925, n'a, jusqu'à présent,
été demandée que par des étrangers r. Dioulas ou Baoulés. La
publicité de cette procédure a été reprise en 1937. Quelques
jeunes hommes ont présenté des demandes dans le but, sem-
ble-t-il, de faire reconnaître leurs efforts par l'administration
locale et aussi de posséder un titre officiel de propriété
pouvant leur faciliter l'octroi d'un permis de port d'armes. La
création de cultures industrielles, cacao et café, inconnues
avant notre arrivée, a également contribué à cette évolution.
Les indigènes aisés prenaient jadis des domestiques dans une
famille pauvre de leur collectivité. Le patron les nourrissait et
les entretenait. Il était responsable de leurs faits et gestes,
payait leurs dettes à l'occasion, versait même les indemnités
par eux dues en règlement de « palabres ». Les domestiques
cultivaient la terre de leur patron, préparaient le vin de palme,
ramassaient le bois de chauffage avec les femmes. Il n'avaient
droit à aucune rétribution. Les allocations qui pouvaient leur
Í30 LADURANTIÈ
être consenties en espèces ou en nature, constituaient un
cadeau. Lorsque le domestique était en âge de se marier, et
qu'il avait été agréé par la famille de la femme qu'il désirait
épouser, le patron payait la dot. Il renvoyait ensuite le nouveau
ménage dans la famille du marié.
Un besoin plus grand de main-d'œuvre se faisant maintenant
sentir, des planteurs indigènes aisés engagent des gens du pays,
ou des étrangers, sans contrat, mais salariés. Pendant la durée
des travaux, ces travailleurs participent à la vie familiale de
leur employeur, qui n'est plus tenu de doter leur future
femme.
La mise en valeur de la ¡circonscription a grandement
contribué à l'émancipation de ses habitants. Elle a accéléré la
dispersion des terres cultivées et l'évolution vers la propriété
individuelle. En effet, le ou les fils des propriétaires ruraux,
qui, ayant participé à l'entretien du bien paternel, n'en sont
pas les héritiers coutumiers, acceptent difficilement qu'à la
mort du père, la plantation revienne au chef de famille.
Les litiges au sujet des terrains cultivés sont fréquents. Les
revendications émises laissent apparaître une très nette
évolution des coutumes foncières.

Plantes cultivées. — II y a lieu de distinguer les cultures


vivrières auxquelles les indigènes se sont de tout temps livrés,
et les cultures industrielles, de création récente (fig. 5 et pi. I).
Cultures vivrières. — Les cultures sont nombreuses. Les
principales sont : la banane, le riz, le tarot, le maïs, le manioc.
La variété de banane cultivée (messi), est Mu/sa
paradisiaca Lin. Le fruit de quinze à trente centimètres de long est
arqué, anguleux, à peau épaisse, à chair ferme et peu sucrée.
Mangée cuite, rôtie, ou en pain bouilli, écrasée au pilon, la
banane constitue un des éléments fondamentaux de la
nourriture locale.
La culture se fait par transplantation des rejets qui
poussent à la base des rhizomes. Le rendement à l'hectare est de
vingt tonnes environ. La banane de Chine Musa sinensis n'est
pas de consommation courante chez l'indigène.
Le riz (seka) est plus spécialement cultivé dans les cantons
Nord et Central, en riz de marais et en riz sec. Le produit
récolté est à gros grains, blancs et savoureux.
BÉTÉS DE GAGNOA 131

Au début de !a saison sèche, en décembre-janvier, les


hommes préparent les champs. Ils débroussent, brûlent et opèrent
un dessouchage sommaire s'il y a lieu. Au début de la saison

UÍMÍTC ai CEUCCC (6) QKE^-1-ÍCU or O CUE I—E «BiROUT»


. . . SUBO1*" O • " SVTBO'*
. . CANTON • OBNTHÏ ÍACHAT
/IÍ5 PROSrtJCTIO* 4¿ PRl
Fig. 5. — Carte économique de la subdivision de Gagnoa,
Cercle de Sassandra (Cote d'Ivoire).

des pluies, en mars-avril, les femmes font les semis ten po-
quets de cinq à six grains. Tenant de la main gauche un petit
canari contenant le riz de semence, la femme fait un petit
trou dans la terre et enfouit les graines. La sélection des grains
132 LADURANT1É
de semence n'est pas pratiquée, mais le riz le plus estimé par
l'indigène est le riz blanc (seka fé).
La récolte a lieu généralement à la fin du mois de juillet.
On moissonne à la matchette. La femme est souvent munie
d'un bâton fourchu (bâti), pour réunir la chaume sur pied en
une petite javelle coupée d'un coup à vingt-cinq centimètres
environ du sol. Les gerbes sont liées, portées au village ou au
campement et conservées dans des greniers qui ne les mettent
malheureusement à l'abri ni des rats ni des charançons. Il n'y
a pas d'égrenage. Le décorticage du riz se fait au mortier-
pilon. Ce procédé a l'inconvénient de donner beaucoup de
brisures. Le rendement varie de cinq cents à six cents kîlogs à
l'hectare.
Les tribus du Sud et du Nord de la Subdivision pratiquaient
la culture du riz avant notre arrivée. Elle a été étendue depuis
aux tribus du canton Nord-Est et fortement poussée, surtout
depuis 1934. Excellent aliment, de bonne venue, sa facile
conservation en paddy permet aux indigènes de faire la soudure
et d'attendre la récolte de produits vivriers périssables, tels
que bananes et tarots. De plus, cette céréale est très demandée
par les colons européens de la Subdivision pour l'alimentation
de leurs manœuvres. La campagne de 1937 a donné 1.200
tonnes à la vente, contre 400 en 1936. Ce tonnage est, à mon avis,
un maximum.
Le rôle de cette culture dans le déboisement excessif a été
signalé plus haut. La surveillance administrative est très
difficile en ce qui concerne la préparation des rizières,
l'indigène ayant l'habitude d'établir son champ en forêt. Tout
se résume à une question de contrôle, auquel le chef de
circonscription n'a le plus souvent pas le temps de se livrer et
qui est laissée à la diligence plus ou moins clairvoyante et
impartiale des chef de canton. Les Bétés de Gagnoa ont, par
ailleurs, suffisamment à faire avec leurs plantations de cacao
et de café, pour que la riziculture intensive ne leur paraisse
une charge supplémentaire. La politique à adopter en la
matière me paraît devoir consister en une sélection des semences
et dans la création de rizières aménagées dont le rendement
serait le double de celui des rizières coutumières.
Le tarot (bohè) est cultivé pour le renflement en gros
tubercule de la partie inférieure de sa tige qui se charge de fécule
BÉTÉS DE GAGNOA 133
comestible. Il est consommé cuit à l'eau bouillie ou non et,
assaisonné, il entre dans l'alimentation de tous les habitants
du Gagnoa, surtout de ceux des cantons Nord-Est et Nord.
Sa valeur nutritive est médiocre. La multiplication se fait
avec des fragments de tubercules munis de bourgeons que la
femme enterre de 10 à 30 centimètres et à une distance de
un mètre les uns des autres. Le rendement est de 2 tonnes
environ à l'hectare.
Le maïs (bagou), avec ses variétés à grains blancs ou jaunes,
est très cultivé dans les cantons Nord-Est et Nord. Les épis sont
consommés grillés sous la cendre ou en farine. Les indigènes
font d'importantes réserves de maïs en spathes qu'ils
suspendent aux grands arbres à l'entour des villages. Le rendement
est de une tonne environ à l'hectare. Le maïs pourrait
éventuellement être cultivé en vue de l'exportation.
Sans avoir l'importance des plantes alimentaires
précédemment étudiées, le manioc doux est cultivé un peu partout dans
la Circonscription, pour la farine blanche dont sont gorgées les
racines. Le rendement est de 15 tonnes environ à l'hectare. La
multiplication est faite par bouturage et en poquets, chaque
poquet recevant généralement deux boutures couchées
obliquement dans le sol.
A citer pour mémoire parmi les autres cultures vivieres :
l'igname, la patate (yalè), peu cultivés, l'arachide (basseri), les
gombos (zapoyè), les piments >(yebè), la tomate indigène (yebe-
cocobi).
Le tableau ci-dessous donne pour 1937 l'estimation des
superficies ensemencées et du rendement.

SUPERFICIES EN HECTARES PRODUCTION ES TONNES


MATURE DES PRODUITS plantes en cours d'année. escomptée au 3i décembre.

Bananes 500 11.000


Riz 7 000 4.200
Tarots 5.000 10 000
Maïs 1.600
200' 2.000
Manioc 3 000
Igname 100 500
Patate 100 500
Arachide 10 10
Gombos. 20 4
Totaux 14 530 31.214
134 LADURANTIÉ
Le moment me paraît venu de faire le point sur la valeur
de la ration du Bété, tous les éléments constitutifs en étant
maintenant connus.
Les auteurs estiment que la ration moyenne pour un individu
faisant un travail moyen, dans les climats tempérés, doit
fournir environ 3.000 calories. Dans les pays chauds, où
l'organisme n'a pas à lutter contre la déperdition de chaleur, une
ration donnant 2.500 calories environ suffit. Elles sont
apportées par les matières hydrocarbonées ou glucides, les albumi-
noïdes ou protides, dont 1 ¡gramme engendre 4 calories, et
par les graisses ou lipides qui, à quantité égale produisent
9 calories. Ces constituants principaux doivent exister en
proportions heureuses soit : 4 de glucides pour 1 de protides et
0,5 de graisses donnant une ration moyenne de 2.500 calories,
indépendamment des ¡sels et des vitamines. Pr, la ration du
Bété est essentiellement végétarienne : très riche en glucides,
suffisante en lipides, trop faible en protides selon la teneur en
ces composants du riz, maïs, tarots, bananes, bases de la
nourriture.
Le riz cuit, couramment consommé par la moitié environ des
habitants du canton central et de quelques tribus du canton
Nord-Est, est composé de 75 % de glucides à l'état sec. Une
ration journalière individuelle peut être assurée si la récolte
engrangée a été, au strict minimum, de 200 kilogs par habitant
sans compter le riz de semence. Les cultures de remplacement
ou de complément, maïs, igname, manioc, tarot, banane, sont,
à l'exception de la banane, riches en glucides.
Voici, d'après Bloch et Richet, la valeur alimentaire de ces
diverses denrées13.

13. Voir G. Habuy et Ch. Richet fils. L'alimentation indigène dans les
colonies françaises. Vigot, 1932, p. 100.
BÉTÉS DE GAGNOA 135

Matières
Eau. Lipides.
Glucides. Protides. Cellulose. animales.
I. GÉRÍALBS.
Riz 12 90 75.80 8.67 1 .5o o.85 O.05
Maïs i3.o4 65. o4 9.04 4.01 2.03 1 .04
a. FácuLiKTS.
Manioc: tubercules secs. i3.a6 78.46 2 .3i 0.88 2.84 i.65
Farine 9.55 85.54 i.i3 0.27 2.1 5 1 .3o
Igname en rondelles .... i3.73 78.98 4.7» o.3a O.53 1.70
Patate, tranches séchées. 12.43 80.93 2.78 0.70 1 . 5o 1.46
3. Fruits.
Bananes (chair) 72.40 21 .yo 1.44 0.09 3 . 2Ô 0.92
4- Légumes.
Arachide d'Afrique ."> 82 IÓ.38 25.34 46.83 3.39 2.24
Soja (d'après Steuf) 7.55 3i.37 33. 5o 17.37 4.95 4.86

L'huile dp palme, à la dose optima de 45 grammes par


indigène et par jour donnant les lipides, peut être facilement
fournie. Il tiépead du consommateur de disposer en abondance de
ces deux composants de la ration. L'alimentation tire ses
protides de céréales et de légumineuses d'une teneur insuffisante en
matières azotées (riz, maïs). Les protides animales (viande,
poisson) sont rares. Il est permis de penser que cette déficience
amène, à la longue, des carences azotées dont le manque de
vigueur au travail est une des caractéristiques de la race.
Le sel est obtenu assez facilement, et les produits vivriers
du crû renferment toutes les vitamines :
provitamine de croissance A : dans l'huile de palme;
vitamine Bl antibéribérique : par les céréales avec leur
cuticule et leur germe (riz), les piments, les fruits frais (kola,
papaye, citron) ;
vitamine B2 de croissance et de fonctionnement de la peau :
par la banane;
vitamine C antiscorbutique : par le maïs frais ou grillé, les
piments, les tomates indigènes qui ont la grosseur d'une
cerise ;
vitamine D antirachitique, E de fécondité : par l'huile
de palme, corps gras vierge et très fruité.
Dans ces conditions, l'amélioration de la ration me paraît
essentiellement devoir consister dans l'accroissement des ma-
136 LADURANT1È
tières azotées. Elle peut résulter de l'amélioration du cheptel
existant et de la création de cultures nouvelles, relativement
riches en protides comme l'arachide et le soja. Des essais de
culture de soja entrepris à la Station Agricole de Gagnoa en
1938, paraissaient, à l'époque, en voie de réussite.
Dans ce domaine, tout est à faire pour amener ces
populations à la pratique de l'élevage et de cultures neuves qui
marqueraient un progrès sensible de leurs conditions d'existence
et concourraient au relèvement de la race.

Cultures industrielles. — Les cultures industrielles sont de


date récente. Un bel effort de mise en valeur a été fait depuis
1920, par la création de cacaoyères, surtout de 1925 à 1930,
et de plantations de caféiers de 1930 à 1935.
En 1916, la Circonscription passée à l'Administration civile,
n'avait pas de cacaoyères sur son territoire. Une pépinière fut
aménagée autour du poste en 1922-1925. Les plants servirent
à la constitution des plantations collectives de villages. Les
premières graines venaient de Soubré, chef-lieu d'une
Subdivision du Cercle du Bas-Ss a Sandra.
Les cultures établies en bon terrain, dans des conditions
satisfaisantes de préparation) , nécessitèrent une surveillance
constante. Les plantations individuelles vinrent plus tard. De 50
tonnes en 1928, la production passa à 450 en 1931 pour at-
teindr 1.200 tonnes en 1937a4. Actuellement les cacaoyères sont
en plein rapport. La Subdivision semble être arrivée à la
production maxima de c« produit. L'entretien des plantations
jeunes et vieilles, la lutte antiparasitaire, sont de pratique courante
depuis le mois de mai 193?.
Les .moniteurs d'Agriculture en tournées de vulgarisation,
enseignent les bonnes méthodes de récolte et de préparation du
produit. Ils essaient d'éviter, dans toute la mesure du possible,
les fautes de fermentation et de dessiccation. Nombreux sont
les planteurs indigènes qui, d'ores et déjà, présentent à la
vente du très beau cacao. Un gros effort reste néanmoins à
fournir par l'ensemble des cultivateurs.
La culture du caféir a pris une importance considérable16. Les
variétés les plus généralement cultivées sont VIndênié et le

14. Voir graphique correspondant.


BÉTÉS DE GAGNOA. 137
î» lj JO 51 5* 55 5« 51 Si 5/ Jl
■3'}

Fig. 6. — Production indigène de 1927 a 1938 (en tonnes).


138 LADUBÀNTIE
Robusta. L,ylndénié, bien adapté au pays, plus résistant aux
parasites, semble être la variété à conseiller. En 1938 la
production a été de 850 tonnes contre 300 en 1935.
La vulgarisation porte sur l'étêtage des arbustes, le désher-
bage, la taille, la cueillette totale des cerises mûres.
D'intéressants résultats ont déjà été obtenus. Abandonné à lui-même,
l'indigène évite le travail. Le maintien des plantations en bon
état est fonction de la surveillance des services locaux.
L'augmentation des étendues ensemencées qui se feraient au
détriment des plants déjà existants me paraît à éviter. L'éducation
du producteur et l'amélioration des méthodes de traitement
du café doivent l'emporter.
Le kolatier se rencontre à l'état spontané dans la Subdivision.
La noix de kola achetée par les dioulas colporteurs, revendue
aux commerçants syriens, faisait en 1938 l'objet de
transactions importantes, aussi bien sur le marché de Gagnoa que sur
celui de Daloa, chef-lieu de Cercle voisin, gros producteur de
cette denrée. La vente*cohtrôlée a été en 1938 de 240 tonnes15.
La producton du palmiste, essentielle pour l'économie en
1927-1928, a progressivement décru au fur et à mesure que se
développaient les cultures riches. Les possibilités de rende-
dent sont intéressantes et pourraient être mises en œuvre en
cas de raréfaction de matières grasses15.
Aux cultures vivrières traditionnelles se sont donc ajoutées
les cultures industrielles, richesse du pays. La production est
allée en augmentant régulièrement depuis 1927, pour les
produits riches (cacao, café), ou pour ceux dont la vente était
assurée malgré un cours relativement bas (riz).
L'ensemble est passé de 746 tonnes en 1928 à 3.580 en 1938.
La production devrait augmenter pendant quelques années
encore. Voici, récapitulé, le détail de la vente des principaux
produits du crû de 1927 à 1938 (inclus) :

151 Voir fig. 6.


BÉTÉS DE GAGNOA 139

ANNEES c Allí CACAO PAL MISTR KOI. A RIZ

1927... 57 t. 498 600 t. 942 90 t. 706 142 t. 770


1928... 3 t. 49 t. 842 505 t. 183 70 t. 118 t.
1929. . . 4 t. 500 147 t. 539 t. 108 t. 119 t.
1930... 5 t. 052 183 t. 181 296 t. 256 50 t. 284 154 t. 392
1931... 3 t. 738 451 1. 199 143 t. 261 45 t. 748 113 t. 388
1932... . 19 t. 867 474 t. 406 123 t. 377 13 t. 899 223 t. 396
1933... . 12 t. 670 568 t. 130 60 t. 990 41 t. 150 294 t. 397
1934... . 31 t. 981 585 t. 146 11 t. 879 74 t. 453 4-14 t.
1935... . 290 t. 660 667 t. 757 94 t. 757 130 t. 654 404 t.
1936... . 200 t. 372 791 t. 948 58 t. 378 271 t. 239 400 t.
1937... . 544 t. 716 1 294 t. 534 87 t. 762 139 t. 483 1 200 t.
1938... . 848 t. 338 1.280 t. 628 140 t. 852 240 t. 430 1.070 t.

II reste à étudier de quelle manière il conviendrait


d'améliorer la qualité des produits sur lesquels repose en ce moment
l'économie indigène locale. Tout revient à une question de
contrôle et d'équipement des producteurs.
L'éducation agricole de l'indigène reste à compléter. Les
tournées de vulgarisation à multiplier, doivent être de vivantes
leçons de choses. Le Directeur de la Station Agricole, occupé
par les travaux propres à cet établissement, sort peu. Un seul
moniteur d'Agriculture (effectif 1938) ne saurait suffire à la
tâche. Le recrutement de surveillants de cultures par la
Société de Prévoyance Agricole du Cercle, soigneusement contrôlé,
permettra de disposer de bons agents d'exécution.
Les deux équipes phytosanitaires, créées en mai 1937,
augmentées peut-être depuis, rendent des services. La périodicité
de leur passage dans les villages, tient les indigènes en haleine.
Notons en passant les heureux effets de l'Arrêté local du Ie' mai
1935, sur la protection des cultures arbustives. Son application
contribue à assainir les plantations que le cultivateur aurait
tendance à négliger. La Société de Prévoyance pourrait
également intervenir avec utilité en distribuant un outillage agricole
pratique qui permettrait le traitement adéquat du produit.
La fermentation du cacao est encore souvent mal faite, le
producteur ne disposant pas des moyens convenables. Le vieux
procédé de fermentation en pirogue donne des résultats
satisfaisants, mais le nombre des pirogues en service est insuffisant.
140 LADURANTIE
Les bacs distribués en 1935-1937 par la Société, coûtent cher
et sont mai utilisés. De plus, leur grande taille ne convient pas
au traitement de la récolte du petit planteur. Des bacs de
dimensions plus réduites pourraient être confectionnés et
distribués. Ils donnent, d'après un planteur européen de la région,
un excellent produit. Un de ces bacs mesure en long et en
large 60 cm., en profondeur 40. Quatre pieds de 40 cm. de
haut, l'isolent du sol. La monture est en chevrons de 5X5 et
les parois en planche de 1,5X10 cm. Un tel bac revient à
25 francs environ. Ce modèle, en raison de sa petite capacité
adaptée à la production individuelle, devrait, à mon avis, être
vulgarisé.
Quelques planteurs possèdent un outillage mécanique pour le
traitement du café. La plupart le travaillent au pilon, procédé
primitif à remplacer en raison de la proportion de brisures
qu'il provoque. La méthode de la dépulpeuse ambulante
fonctionnant de village en village, un peu comme dans la campagne
française les machines à battre le blé, me paraît recomman-
dable. Dépulpé dans de bonnes conditions, le café en parche
peut ensuite être usiné à Gagnoa, en attendant la répartition
de petits decortiqueurs dans les centres. D'une manière générale,
l'esprit individualiste de ces populations les éloigne des
entreprises à forme coopérative. La solution pratique immédiate
consiste donc à multiplier le petit outillage robuste, suffisant au
traitement de la récolte de chacun. Mais là n'est pas l'idéal.
L'installation fixe au chef-lieu de Subdivision devrait, pour
être de rendement marchand, entraîner la modification de
l'activité de la Société de Prévoyance en la matière. Cet organisme
devrait, dès lors, acheter le café en cerises aux sociétaires, en
assurer elle-même le traitement et la vente. Son rôle se
rapprocherait en somme de celui de la Coopérative des Planteurs
Bamouns de Café d'Arabie, créée en 1932 à Foumban
(Cameroun), dont l'objet, l'organisation, les résultats ont été exposés
par l'Ingénieur d'Agronomie Coloniale R. Coste. Je suis
persuadé que nonobstant l'individualisme des Bétés, une telle
entreprise, appuyée par l'Administration, serait couronnée de
succès.
Dans les conditions actuelles de fonctionnement, l'usine de
la Société à Gagnoa, ne peut avoir qu'une activité très réduite.
Ce fait est d'autant plus regrettable que le traitement du café,
BÉTÉS DE GAGNOA 141

qui, avec le cacao, constitue la principale source de revenus des


indigènes16, est comme je l'ai déjà signalé, encore très
défectueux.

Commerce et voies d'évacuation. — La production indigène est


vendue aux commerçants patentés à Gagnoa et dans les autres
postes d'achat de la Subdivision. Un Arrêté du 23 août 1937 en
a fixé le nombre à 8 : Bayeuta, Bognoa, Brokohio, Gagnoa, Gui-
beroua, Mahinadougou, Ouergayo, Grobadougnoa. Dans ces
centres les apports sont libres et permanents. Les Bétés fréquentent
volontiers ces lieux de vente, où ils trouvent à se ravitailler en
marchandises diverses. Ils s'y rendent d'autant mieux que les
cours pratiqués pour l'achat des produits du crû sont plus
hauts. Ils n'ignorent pas que dans ces centres, où
l'Administration veille non seulement au bon conditionnement du produit,
mais encore au paiement du juste prix, ils vendront au meilleur
compte.
Les tableaux ci-dessous donnent les cours moyens pratiqués
à Gagnoa de 1925 à 1937, et les charges fiscales pour la même
période. Il ressort nettement de l'examen de ces chiffres, que
l'augmentation de la production a largement compensé le
fléchissement des cours, et que, sauf pour les années de crise, la
seule vente de leurs produits a permis aux indigènes de
s'acquitter aisément de leurs charges fiscales.
La production est évacuée par route sur Sassandra, chef-lieu
du Cercle et port d'embarquement, à 163 km. de Gagnoa. Un
assez faible tonnage est expédié sur Abidjan, capitale de la
colonie.
Gagnoa est au point d'intersection des routes reliant
Abidjan et Sassandra à Daloa par route intercoloniale, à Bouaflé et
Pumé par routes coloniales (flg. 1). L'importance de Gagnoa
s'accroît d'année en année. De gros travaux d'urbanisme ont
été entrepris de 1935 à 1939 : plantation d'arbres d'ombrage,
construction d'un marché, de caniveaux, bitumage des voies
principales. Gagnoa possède un Tennis-Club et un campement
coquettement aménagés.
Les principales firmes installées en Côte d'Ivoire y ont de
vastes immeubles. Depuis 1939, la Banque Commerciale Afri-

16. Voir, p. 142, le tableau des revenus.


I. Cours moyens pratiqués à Gagnoa de 1926
ANNÉ
1927 1928 1929 1930 1931 19
Cacao 4,75 4,50 2,77 2,18 1,26 1
gros grains, 4
Café 13 » 11 » 8,50 5,35 4,37 A, OS
petits grains. 4
Palmistes. 1 » 1,12 1,04 0,84 0,75 0,37 0
Riz ... 1,75 1,19 1 >» 1,25 1 ,50 1,07 0
Kolas. 6,50 2,50 3,33 4,66 3,82 1,50 1
II. Revenus des indigènes calculés d'après les ventes des pr
PRODUITS 1927 1928 1929 1930 1931 1932 193
Cacao 287.490 224.289 407. J 90 399.334 568.560 578.775 539.
Café 25 500 24.075 22.077 11.513 89.202 63
Palmistes. . 501.053 525.390 452.760 220.192 53 006 45 649 12.
Riz 169.896 118.000 148 750 231 . 588 121.325 323.924 158.
Kolas 226.765 233.100 494.280 191.984 68 622 20.153 55.9
Total. 1.245.206 1.126.279 1.527.055 1.263.175 823 026 ! 1.057. 703 830.
III. Charges fiscales pour la même pério
1927 1928 1929 1930 1931 1932 193
699 960 646.360 948.740 1.078.875 1.150.400 1.104.605 1.104.1
BÉTÉS DE GAGNOA 143
caine y a créé une succursale. C'est aussi le siège social de la
« Coopérative des Planteurs du Sassandra » qui groupe de
nombreux colons européens de la Subdivision et des alentours.
Les bâtiments de la nouvelle Formation Sanitaire, conçus
selon les plus modernes principes architecturaux, attirent depuis
leur mise en service, les malades de toute la région qui y
bénéficient d'une installation perfectionnée.
Poussée par tout ce devenir, l'Administration s'est décidée
à supprimer progressivement les dernières cases du centre
urbain. Des bureaux spacieux et d'aspect élégant, construits en
1938-1939, constituent la première tranche de travaux
importants destinés à doter Gagnoa d'immeubles administratifs en
rapport avec son développement. En attendant, au retour de
Sassandra, le voyageur, parvenu au sommet d'une côte proche
de Gagnoa, d'abord ébloui par l'éclatante blancheur des
maisons, repose son regard sur un verdoyant massif dominant la
localité. Il peut apercevoir alors, vestige du Poste militaire, la
case au toit de chaume du Chef de Subdivision17, où vécurent de
courageux précurseurs. Ayant ramené l'ordre dans le pays, ils
surent faire travailler les habitants dans la paix et ouvrir la
région aux planteurs et aux commerçants européens.
L'installation des colons dans des cases rustiques serait bien
intéressante à narrer. Attirés par ce pays neuf et par la densité
relativement forte de sa population qui devait fournir la main-
d'œuvre nécessaire au travail des plantations, ils vécurent en
partie de la vente du produit de leur chasse. Dans leurs
concessions nouvellement acquises et défrichées, grandissaient en bel
alignement les jeunes plants de caféiers et de cacaoyers. Les
arbres sont maintenant en pleine production. Les caféiers ont
même remplacé déjà certaines cacaoyères, créées en terrain
trop dur pour leurs racines pivotantes. Chaque planteur
possède depuis peu, une installation pour le traitement mécanique
du produit. Le confortable bungalow a remplacé la vieille case
en terre du pays.
Les colons, répartis aux quatre coins du territoire, font
partie intégrante du « climat » de Gagnoa. Ayant suffisamment à
faire avec leurs cultures, les Bétés ne louent plus leurs services.

17. Les crédits nécessaires à la construction d'une Résidence


moderne ont été inscrits au budget de la Côte d'Ivoire pour l'année 1942.
144 T.ADURANTIE
La main-d'œuvre, recrutée à l'extérieur, leur a été substituée.
Ainsi mise en valeur par le paysan noir et par le colon blanc,
la Subdivision a pris ces dernières années, un essor rapide que
parachèvera l'équipement de l'escale de Sassandra et du
réseau routier qui y aboutit.
Dans ce pays à peu près complètement isolé il y a vingt ans
à peine, maintenant sillonné de grandes voies de
communications, les plantations industrielles ont apporté, avec les œuvres
d'Assistance Sociale, l'aisance matérielle qui a contribué à son
développement. Est-ce à dire que les mœurs ancestrales aient
évolué? A voir dons les villages les vieillards ceints de leur
pagne d'écorce, les cases enfumées et dans les cours le petit
sanctuaire réservé au fétiche « koubo », il semblerait que rien
n'a changé. En fait, les missionnaires installés à Gagnoa depuis
1925 ont obtenu jusqu'à présent, des résultats qui, à priori,
paraissent modestes. La réalité est que un seul missionnaire
desservait à l'époque une paroisse de quelque 50.000 kilomètres
carrés, puisqu'elle s'étendait jusqu'au Cercle de Man. La
masse reste encore sous l'emprise des rites fétichistes.
La solide église, construite sur les bords du Guère par le
premier missionnaire de l'endroit, le R. P. Person, qui devint
par la suite Vicaire Apostolique de la Côte d'Ivoire, attendit
longtemps sa réplique dans les centres importants de l'Ouest
éburnéeri18. De plus, l'apostolat qui atteignait difficilement les
vieux, se limitait aux enfants surtout, les jeunes gens du Gagnoa
emigrant volontiers.
Depuis des années, ils fréquentent les grandes villes de la
Basse-Côte, Grand-Bassam, Abidjan, Grand-Lahou. Je dois
dire, qu'en dehors de chez eux, leurs défauts prennent un
singulier relief. A Grand-Bassam, en 1934, presque toutes les
affaires de vols avaient pour auteur des Bétés. Ils reviennent plus
tard au pays pour reprendre l'exploitation d'un bien acquis
en héritage, ou pour s'installer à leur compte.
A leur retour de la Basse-Côte ou du service militaire, les
jeunes se réadaptent parfois lentement à leur milieu. Ils se
soumettent surtout mal à la discipline coutiimière qui a laissé
prestige et richesse aux chefs de familles. Cette question déli-

lfe. Depuis mon départ., Gagnoa est devenu la résidence provisoire du


Vicaire Apostolique de la Côte d'Ivoire Occidentale. Des Sœurs Missionnaires
y ont été aussi installées.
BÉTÉS DE GAGNOA 145

cate, et combien intéressante, doit faire l'objet de toute la


sollicitude de l'autorité locale. Qu'importent les riches
plantations si, créées, elles restent incultes? Or, le travail d'entretien
actuellement demandé peut convenir à de jeunes hommes à
qui l'émancipation à notre contact a permis de comprendre
l'intérêt de cette activité, et que stimule au fond un très net
attachement à la terre natale. Ils savent en outre qu'à la
disparition des vieilles générations, leur reviendront les tenures. Ils
représentent le devenir, et plus qu'eux encore, leurs enfants.
Ils seront, en grande partie, ce que nous les aurons faits. Ces
populations, une fois mises en confiance, écoutent le chef
accepté. Sous leurs dehors primitifs, elles ne sont pas exemptes
d'une certaine finesse paysanne, et sont en somme, de conduite
plus facile que les races de la Basse-Côte, plus émancipées et
plus riches. Le voisinage des Européens leur a sans doute appris
la supériorité du travail personnel sur le travail salarié. Les
Bétés se sont assez facilement prêtés à la mise en valeur de
leurs terres dont les récoltes leur permettent de payer l'impôt
et de se procurer, par surcroît, les marchandises qui améliorent
leur condition.
La période actuelle de transition est d'autant plus intéressante
qu'elle offre la possibilté de s'appuyer sur les principes coutu-
miers de discipline familiale et d'apporter, dans le cadre
rigide des usages, par l'intermédiaire des éléments émancipés,
une influence rénovatrice appropriée aux nécessités du
moment. Sur ces données, la société indigène transformée, peut
être en état de collaborer. Déjà, des ménages jeunes,
catholiques pour la plupart, travaillent pour eux sans difficulté et
vivent sur leur bien. Il arrive que des jeunes filles et des
jeunes veuves demandent l'application en leur faveur des
dispositions du décret du 15 juin 1939, relatif aux mariages
indigènes, qui dit nulle de plein droit « toute revendication de veuve
ou de toute autre personne faisant partie d'une succession cou-
tumière, lorsque cette personne refuse de se rendre chez
l'héritier auquel elle est attribuée ». Il y a dans ces réactions comme
un réveil de la personnalité qui n'a d'ailleurs pas attendu pour
se manifester, la promulgation de textes officiels. Avant 1939,
le cas n'était pas si rare de jeunes femmes qui, revenant à des
vieillards de par la coutume, n'appréciaient nullement cette
attribution, et venaient s'en rapporter à la sentence du Tribunal
146 LADURANT1E
de Subdivision. Le texte réglementaire a consacré une
conception plus humaine de la liberté individuelle dont certains
éléments de la société indigène comprenaient bien l'intérêt.
Après un quart de siècle de présence française, l'évolution
progressive de la mentalité des habitants du pays est un fait.
La colonisation remplit son rôle en employant son autorité
supérieure à amplifier cette transformation des idées et à
rendre ces dernières plus accessibles par le perfectionnement de
la vie matérielle. En ouvrant le territoire au commerce, le
développement économique a déjà contribué pour une large part à
la modification des techniques traditionnelles et du genre de
vie.
Les Bétés ont un certain sens du bien-être que peut leur
fournir le produit de leur travail. Ils apprécient, par exemple, le
vêtement à l'européenne et l'éclairage au pétrole. Ces besoins
sont, cependant, de fraîche date. Leur accroissement implique
la transformation des usages dont dépend aussi l'exercice de
pratiques utiles, entièrement nouvelles pour eux, telles que
l'élevage en vue de l'alimentation courante.
Dans cette évolution, une part importante doit revenir aux
œuvres d'enseignement et d'assistance, par l'influence qu'elles
peuvent avoir sur l'enfant et la femme, éléments dynamiques
de la société. Pour cela, il faut s'efforcer de repenser les
solutions à apporter aux problèmes sociaux en partant d'une solide
connaissance des mœurs et des coutumes. Il convient aussi de
savoir laisser faire le temps, tout en se montrant sans cesse
vigilant.

Grand-Lahou, le 10 Avril 1941.


ANNEXE

Organisation territoriale coutumière du pays Shien

L'individualisme, règle de vie des Bétés de Gagnoa, se


retrouve dans l'organisation territoriale traditionnelle. La cellule
sociale était et reste d'ailleurs toujours, la famille : deux
familles suffisant à constituer un village. La seule formation
reconnue au-dessus des villages était les groupes.
En période de tension et de guerre, un médiateur ayant
l'autorité de l'âge et de la richesse, intervenait pour régler le
conflit ou arbitrer un différend d'ordre judiciaire. La crise
disparue, le médiateur rentrait dans le rang.
Le médiateur pour le Badié, s'appelait Lebri Guagnon,
habitant à Boussehio. Il alla une fois dans le Niabré régler un
conflit entre Dagodio, Digbeyo et Kebedougnoa. Le village qui
l'invitait à régler le litige lui donnait un mouton ou un cabri
et une fille qu'il dotait. L'argent était donné au père. De plus,
les villages en querelle tuaient chacun un bœuf que les
belligérants consommaient en signe de paix. Le bœuf était assommé
au marteau. Le sacrificateur prononçait ces paroles qui
n'empêchaient évidemment pas de recommencer : « Si jamais
quelqu'un renouvelle une occasion de guerre, qu'il meure du
couteau que forgera ce marteau! ».
Il est curieux de constater à quel point la division était
poussée. De cet endettement territorial, l'organisation du pays Shien,
comprenant le Badîê et le Zédié, donne une idée assez jus'te :
16 groupes au moins, pour une soixantaine de villages.
L'actuel Badiê comprenait 12 groupes que ne reliait entre
eux aucun rapport d'unité.
C'étaient : le groupe Gpapa comprenant les villages de Dahi-
ropa et Boussehio. Il tire sa dénomination d'un arbre de la
région, « guieguie ou gpapa ». Pour avoir un enfant ou être
heureux à la chasse, on allait tuer un cabri, un mouton ou
un poulet blanc sous le « gpapa ».
Le groupe Kokoueson comprenant les villages de Dayepa,
Tiegouekou, Tiepa.
148 LADURANTIE
Un chasseur, Apié Guiegueï, partit un jour dans la brousse
et tua un poulet avec son fusil. Il porta l'animal au village,
fit sacrifice pour savoir la raison pour laquelle il l'avait trouvé
en brousse. Le poulet répondit ¡: « II ne fallait pas me tuer;
c'est moi qui vous donne le pouvoir de faire des enfants. A
partir d'aujourd'hui vous vous appellerez « Kokoueson » (gens
du poulet). »
Le groupe Bayepa avec les villages de Bayekou, Koussepa,
Dobrepa.
Le groupe Dayeïte avec Nagueguepa, Gueguedouguepa, Diaou-
ripa.
Le groupe Yogopa avec Guaguadoume, Noppa, Yogopa, Ze-
grepa.
Le groupe Badoukou avec Badiépa, Pissogouepa, Korobopa.
Le groupe Gadoua avec Magbeigouepa, Iribouo.
Ayant voulu grimper sur un palmier très haut pour cueillir
des champignons, un homme tomba et mourut. Il advint de
même pour deux autres. Un homme prit alors une hache pour
fendre un gros caillou. En tapant sur le caillou sa hache
s'abîma. C'est pour ces raisons que les gens de ce groupe sont
appelés Gadoua. Ils se lancent dans des entreprises qui ne
réussissent pas, font des choses qui ne conviennent pas, par
extension : gens de peu.
Le groupe Godepa avec Godolipa, Bayepa, Bibiepa.
Le groupe Gouapa avec Ouergayo, Krahiri, Zebizekou.
Le groupe Brouza avec Bodocipa, Oudjibipa, Marna.
La femme de Kabie Betri qui habitait Marna avait donné
naissance à une pintade, « Brouza ». Depuis, les gens
portèrent ce nom.
Le groupe Griboua avec Isambré, Nazia, Drayo, Dagnoa.
Le groupe Biakoua.

Le Zédiê comprenait 4 groupes au moins, dont le médiateur


était Niazare Bodo :
Le groupe Diboua avec Bahompa, Sanepa, Dazerepa.
Le groupe Nagadoua avec Tiegba, Ourizapa, Lossomi.
Il tire son nom de l'ancêtre Naga, fondateur du campement.
Ce sont les enfants de Naga.
Le groupe Bokuia avec Gopa, Metepa, Itia, Yopohua.
Le groupe Ziplignon avec Lipasipa, Lagrota, Bapa, Bogrepa.
BÉTÉS DE GAGNOA 149
Ce groupe comprenait 4 villages originaires du Zabia. Ils
jouaient le rôle de mercenaires répondant pour la guerre à
l'appel de ceux qui les engageaient. Les villages qu'ils
réduisaient ainsi à merci les appelaient « ceux qui viennent nous
ramasser », de « pligna », ramasser et « zi », sur place.

L'organisation administrative actuelle ne fait plus état de tous


ces groupes. Il est néanmoins important de ne pas les négliger
car ils demeurent présents à l'esprit des anciens et restent à la
base des relations sociales (mariages, travaux) et économiques
(transactions). L'étude de ces cadres traditionnels se révèle
très fructueuse pour la connaissance des véritables chefs
qu'ignore, héla*, souvent l'Administration locale.

BIBLIOGRAPHIE

I. Travaux se rapportant aux Bétés.


1938. Dunglas E. — Coutumes et niœurs des Bétés. Publications
de l'Institut d'Afrique Noire.
1905. Thomann G. — Essai de manuel de langue Néouolé parlée
dan9 la partie occidentale de la Côte d'Ivoire. Paris,
Leroux.

II. Travaux cités dans la présente étude.


1939. Aubreville A. — La Flore forestière de la Côte d'Ivoire.
Paris, Larose. •
1937. Coste R. — Une coopérative de producteurs indigènes de
café d'Arabie au Cameroun. (Annales Agricoles de
l'Afrique Occidentale, t. I, n° 2, Paris, Larose).
1932. Hardy G., Richet fils. — L'Alimentation indigène dans les
Colonies Françaises, Paris, Vigot.

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