Vous êtes sur la page 1sur 21

Journal de la Société des

Africanistes

Déchiffrement des poids à peser l'or en Côte d'Ivoire


H. Abel

Citer ce document / Cite this document :

Abel H. Déchiffrement des poids à peser l'or en Côte d'Ivoire. In: Journal de la Société des Africanistes, 1952, tome 22. pp. 95-
114;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1952.1844

https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1952_num_22_1_1844

Fichier pdf généré le 09/05/2018


DÉCHIFFREMENT DES POIDS A PESER L'OR
EN COTE D'IVOIRE

PAR
H. ABEL

Au cours de sa randonnée en Côte d'Ivoire, de passage à Aouabou


le 15 février 1889, Binger écrivait :
« II n'est pas un notable, qui ne sorte de chez lui sans emporter
sa balance et ses poids à peser l'or. »
Depuis les temps les plus reculés., en Pays Agni et Baoulé les
transactions étaient faites à l'aide de poudre d'or et de pépites. Acheteurs
et vendeurs vérifiaient les quantités d'or avec leurs poids personnels,
et chaque opération exigeait une double pesée. Comment pouvaient-
ils reconnaître ces innombrables poids, que l'on trouve encore
aujourd'hui, inutilisés au fond des cases, chez les populations du Golfe du
Bénin ? Les voyageurs se sont souvent posés cette question, et
nombreux sont les chercheurs, qui ont essayé de l'élucider.
Les poids à peser l'or des Pays Ashanti, Agni et Baoulé ont fait
l'objet de nombreuses études depuis la fin du xvne siècle. Ils sont
classés en deux catégories : les poids à formes géométriques et les
poids à représentation d'objets usuels, de plantes, d'animaux et de
personnages.
La présente étude concerne spécialement les formes géométriques.
Les signes simples ou. composés au nombre d'une vingtaine qui les
ornent n'ont reçu jusqu'à maintenant aucune interprétation. Les
objets à formes géométriques sont sans doute les plus anciens ; ils
ont été remplacés peu à peu à l'usage par les poids figurines. poids'Ces
derniers, à valeur égale, portent les mêmes noms que les
géométriques.
Les plus importantes études ont été faites par Muller von Mar-
burgh dans son ouvrage : « Die Afrikanische Landschaft Fétu »,
édité à Hambourg en 1673, parBEixoN en 1872, Christaller en 1875,
Binger en 1899, Burki en 1908, Delafosse en 1912 et surtout par
96 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Signes simples eompotíi


S i*g nes clou ťf ил

JSiL.

9 V

10 «40

1 i

<t oooo ^3 14

i3

14

15

-2JQL

Fm. 1
DÉCHIFFREMENT DES POIDS "A PESER i/OR 97»

Zeller dans son ouvrage : « Die Goldgewichte von Asante (West-


Afrika) », édité parTeubner à Leipzig et Berlin en 1912. Rattray^
en 1923 a étudié surtout le caractère artistique des poids figurines,
les symboles qu'ils représentent, et les proverbes attachés à certains
de ces poids. M. P. Thomassey de Г1. F. A. N., en 1944, a repris
cette étude et a comparé ce système africain avec le système de l'Inde
ancienne.
Zeller a recherché et étudié tous les travaux déjà effectués
antérieurement concernant les poids à peser For. Il s'intéressa tout
particulièrement aux travaux de Burki et à la collection de ce dernier,
conservée au Musée de Berne.
La plupart des poids détenus dans les musées d'Europe furent
examinés par Zeller (musée de Bâle, Zurich, etc., sans oublier ceux
conservés au musée de Leyden depuis le xvine. siècle). Le traviil
de Zeller est remarquable, mais, comme il le déplora lui-même, il
travailla uniquement sur documents. Il compléta le système de Burki
par les renseignements donnés par Muller, Bellom et Christaller ;
mais certains éléments, connus encore aujourd'hui des notabilités-
de la Côte d'Ivoire, donnant de précieux indices pour la recherche du
système ancien, ne lui furent pas révélés, et ils lui manquèrent pour
l'élaboration de son système. Il ne put également tenir compte de
la mentalité africaine, qu'il ne connaissait pas. Le Noir, dans ses
actes, dans sa manière d'agir, je dirais même, dans sa pensée, a deux
aspects ; le premier apparent, matériel, visuel, vu et compris de tous,
le second caché, secret, accessible aux initiés et connu d'eux seuls.
Le système pondéral de la Côte d'Ivoire n'échappe pas à cette
dualité, et son caractère ésotérique, soupçonné par beaucoup,
n'avait pas encore été dévoilé.
Les notables en Côte d'Ivoire se souviennent avoir entendu leurs
parents leur dire, qu'au temps où ces poids servaient aux
transactions, lors des fêtes du* village, les' familles riches exposaient leurs
trésors et leurs poids devant leur demeure. C'était alors un jeu pour,,
les anciens de se défier mutuellement, à qui reconnaîtrait la valeur
et le nom des poids uniquement par leur examen.
Ainsi les difficultés d'interprétation étaient-elles traditionnelles ;.
lel détenteur et les initiés , étaient seuls capables de les surmonter.
Comme nous le constaterons, l'interprétation de certaines combi-/
naisons de signes est un véritable rébus ; et les objets de bonne fac-»
ture présentent tous une difficulté qu'il faut vaincre.. Mais avant:
d'aborder l'interprétation des signes, il y a lieu de résumer le système
dé Burki,. .complété; par Zeller; ? _ ■, • • ,
98 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Ce système comprend sept séries à progression géométrique et ces


séries ont respectivement comme premier terme :
1—3 — 5 — 7 — 9 — 11 — 13 Takou.
Une huitième série a comme premier terme 1 /2 Takou. L'unité
est Ie Takou, dont la valeur donnée par Zeller; est déduite ďune
moyenne de plusieurs petites unités et égale à 0 gr. 250.
Cette valeur est trop grande et cette erreur à la base, augmentée
considérablement au fur et à mesure de la progression des poids,
a faussé complètement son classement dans les séries.
D'autre part Zeller ne tient aucun compte des figures
géométriques, que Ton trouve sur les poids. Tout en leur soupçonnant une
signification cachée, il considère ces figures uniquement comme des
ornements.
En comparant les travaux de Zeller et de Rattray concernant
les pays Ashanti et Akem et les renseignements puisés en pays Agni
et Baoulé par Binger et Delafosse, on remarque de nombreux
points communs, qui indiquent nettement Funité de ce système
pondéral :
1° Emploi de la graine Abrus Precatorius comme unité ;
2° Même nombre de séries principales : 7.
3° Présence de séries intermédiaires ;
4° Formes identiques des poids ; ' ■ §
5° Mêmes signes observés sur tous les poids de ces régions.
Les différences relevées sont :
1° Termes différents pour désigner un même poids ;
2° Valeurs inégales données à certains poids portant les mêmes
noms dans des régions différentes.
3° Emploi du Takou comme unité en pays Ashanti et Akem et du
Ba en pays Agni et Baoulé.
1 Takou = 1 Ba I /2.
Au cours des siècles, des divergences ont pu s'établir dans
l'identification des poids de valeurs très voisines dans des régions éloignées
îes unes des autres. Des confusions dans le nom ont pu être faites,
car le nombre des séries est grand et la progression entre les poids très
petite. Ces valeurs très voisines sont impossibles à identifier d'une
façon correcte sans connaître très exactement l'unité de base et le
sens des signes dont les plus fréquents sont indiqués dans la Fig. 1.
Tous ces signes sont la représentation de nombres. Les combinaisons
des différents chiffres sur chaque poids indiquent sa valeur en
fonction du Ba ou du Takou.
• Le classement a permis l'évaluation du Ba à 0 gr. 146 et du Takou
à 0 gr. 219. Ces valeurs tirées de la moyenne de nombreux poids
DÉCHIFFREMENT DES POIDS A PESER L'OR 99

devraient être très légèrement augmentées pour tenir compte de


l'usure.
Les poids qui ont servi à cette étude, sont tous usagés et Fusure
étant proportionnelle à la grosseur, la valeur donnée au Ba,. O gr. 146,
a permis un classement précis. La plus grande partie des poids
identifiés montrent une précision étonnante, si Ton songe aux trébuchets
primitifs, qui servaient aux pesées sur les marchés indigènes ; rares
sont les poids dont la variation excède 1 /100. Quelques exemples
de déchiffrement montrent leur exactitude (Fig. 2, 3, 4 et 5).

Fig. 2a Bandya + Bandya-Sué (Série 14)


18,4
= 84 takou Bandya = 56 takou
0,219 Bandya-Sué = 28 takou
3 + 3 = 6
7 + 7 = 14 14 x 6 = 84 takou
Fig. 2ď Gua-Nyon (Série 18)
29,1
= 199 ba Gua-Nyon - 198 ba
0,146 ou 132 takou
9 + 9 =: 18
8 + 3 == 11 18 x 11 = 199 ba
Fig. 2c (Série 11)
19,3
= 132 ba
0,146
5 + 6 = = 11
6 + 6 == 12 11 X 12 = 132 ba
ou 88 takou
Fig. 2d Gua-Nsan + Simbari-Fan (Série 35)
45,92
— %J±*T}O Učí, Gua-Nsan - 192 takou
0,146 Simbari-Fan = 18 takou
10 + 8 = 18 ) 35 35 x 9 = 315 ba
9 + 8 = 17 i ou 210 takou
Fig. 2e Gua-N'san + Ba zien . (6 ba ou 4 takou) (Série 1:
28,8
- 131,15 takou
0,219 Gua-N'san = 128 takou
Ba Zien = 4 takou
8+3 ~
11 i 22 22 x 6 = 132 takou
8 + 3
100 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

J С
a

lilllll

ПИП

— (s? —
— ним

^g_ËI I гттттгП
1 t I ^1

h
Fio. 2
DÉCHIFFREMENT DBS POIDS Л PESBR l/OR 101
Fig. 2/ (Série 39)
34,05
= 233,2
0,146
12 + 8 = 20 39 39 X 6 = 234 ba
11 + 8 = 19 ou 156 takou

Fig. 2g (Série 39)


51,35
= 351 ba
0,146
5 X 5 = 25
9 + 5- = 14 39 39 X 9 = 351 ba
ou 234 takou
Fig. 2Л Bandya-Nyon + Bandya-Sué (Série 14)
30,50
= 139,3 -takou Bandya-Nyon = 112
0,219 Bandya-Sué = 28
7 + 3 = 10
10 X 7 = 70 70 deux fois 140
Fig. 2i Péréguan + Nzouanzan (Série 34)
74,57
= 340 takou Péréguan = 320 takou
0,219 Nzouanzan = 20 takou
9 + 3 = 12
9+9 18 30 . 30 x 17 = 510 ba
9+8 17 ou 340 takou
Fig. 3a (Série 29)
50,70
= 347,2
0,146 12 + 12 + 5 = 29 29 x 12 = 348 ba
ou 232 takou
Fig. 36 Benda + N'Darasué (Série 35)
62,05 v
= 283,33 takou Benda -= 256
0,219 N'Darasué = 24 ,
12 + 8 = 20
6 + 8 = 14 20 x 14 = 280 takou
Fig. 3c Gua-Nyon (Série 16)
28,05
- = 128 takou
0;219
4 x 4 = 16
4 + 4=8 16 x 8 = 128 takou
102 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

«Ml
■шавма
■MMMI -

1 M 1 1
n n n ■ тг n n n n я
f

JI II 11 II Illi II M I

T iťt ť4 V -г

,c J

Fig.
в 3 h
DÉCHIFFREMENT DES POIDS A PESER L-'OR 103

Fig. 3d N'Da-Nsan + Anan (Séries 12 et 39)


205,05
= 936,3 takou
0,219
6 x 7 = 42 )
6 x 4 = 24 78 78 x 12 = 936 takou
3 X 4 = 12
Fig. 3e (Série 23)
76,35
= 522,9
0,146
8 + 8 + 7= 23
8 + 8 + 7 = 23 23 X 23 = 529 ba

Fig. 3/ Gbangbandya + N'Darasué (Série 13)


17,40
= 79 pour 78 takou Gbangbandya = 52
0,219 N'Darasué = 26
6 + 6 + 1 = 13 39
13 + 13 = 26 39 deux fois 78 takou
Fig. 3g Pereguan + Gua-Nyon (Série 20)
138,1
= 630 pour 640 takou Benda-Nyon =512
0,219 Gua-Nyon = 128
16 + 16 — 32
5 + 5 = 10 32 x 10 = 320
320 deux fois 640 takou
Fig. ЗЛ Ta + N'Ziensan (Série 21)
55
Ta = 240
0,219 Nziensan = 12
14 + 14 = 28
5+4=9 28 x 9 = 252 takou

Fig. 4a (Série 25)


5,45
24,9 takou
0,219
3+2 = 5 5x5= 25 takou

Fig. 46 Tya (Bandya) (Série 14)


12,30
= 56 takou
0,219
3 + 4 = 7
3 + 4 = 7 14 14 x 4 = 56 takou
104 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

i a J

HIM il ■ llll I
rt~t~.r~f-T т~

III

III s

g h

\1
( \

Fm. 4
DÉCHIFFREMENT DES POIDS A. PESER L'OR 105

Fig. Ac (Série 35)


7,65
= 34,9 takou
0,219
3+2=5
5+2=7 5 x 7 =» 35 takou

Fig. Ad (Série 21)


4,56
31,16 ba
0,146
9 x 7 = 63 63
— = 31 1/2 Ба
2
ou 21 takou

Fig. Ae Gua (Série 16)


. 14,1
= 64 takou
0,219
8 x 8 = 64 takou

Fig. 4/ Bari (Série 21)


9,20
42 takou
0,219
4+3=7
3+3=6 6 x 7 = 42 takou

Fig. Ag Gbangbandya (Série 13)


11,25
= 51,3 takou
. 0,219
5+2=7
.4+2=6 13 13 x 4 = 52 takou

Fig. Ah (Série 35)


46
= 210 takou
0,219 3 + 5 + 3= 11 21 21 x 10 = 210 takou
5+5 =10

Fig. 4i (Série 21)


9,19
= 41,9 takou
0,219
6x7= 42 takou
106 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

on

lllll/l
• mm

шип
J С / S

Fig. 5
DÉCHIFFREMENT DES POIDS A PESER i/OR 107
Fig. 4 / (Séries 13 et 21)
80,15
= 548,9 ba
0,146
7 X 3 = 21 26 26 X 21 = 546 ba
ou 364 takou

Fig. 4k (Série 13)


68,20
= 312 takou
0,219
6 + 7 = 13
5 + 2 + 1 = 8
8 x 3 = 24 24 x 13 = 312 takou

Fig. 5a (Série 29)


25,40
= 115,9 takou
0,219
2+3=5
2+2=4 5+4=
5 x 4 = 209|) 29 x 4 = 116 takou

Fig. 56 Anui-N'San (Série 15)


39,45
= 180 takou
0,219
9 + 9 = 18
Оa +, Оa = -.o
LÀ í) 30 30 x 6 = 180 takou

Fig. 5c (Série 29)


25,25
= 116 takou
0,219 12 x 8 = 96
12 + 8 = 20 j 116 takou
Fig. 5d (Série 29)
25,30
- 116 takou
0,219
6 + 3 =
20- ! 29 29 x 4 = = 116 takou

Fig. be • Gua-N' San (Séries 16 eťl2)


42,09
- 192 takou
0,219 8 + 8 = 16
6 + 6 = 12 16 x 12 = 192 takou
108 '"'_ ; SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES т •,;*_

Fig. 5/ Anan-Nyon -' (Séries 18 et 12)


31,25
= 142,6 pour 144
0,219
6 + 6 = 12 12 X 12 = 144 takou

Fig. Ъд Banna-Nyon (Série 18)


126,7
= 578 pour 576 takou
0,219 6 X 4 = 24
24 + 8 = 32 18 x 32 = 576 takou
Ю + 8 = 18
Ces quelques exemples ont été choisis parmi les plus simples. Tous les signes
représentés ont été vérifiés à plusieurs reprises sur des poids différents ; tous
ont montré une valeur constante. Certains déchiffrements sont très difficiles,
car les noirs qui ont façonné ces objets, ont souvent exprimé leur pensée en
symboles.
. Ainsi par exemple un poids de 116 takou, Fig. 5 a, peut être interprété de
la façon suivante :

,
2+3=5 2+2=4
soit , 5 + 4 = 9 |
5 x 4 = 20 j 29 et 29 x 4 = 116
Ce même objet est représenté différemment dans la Fig. 5 с et d.
Fig. 5 d : 3 + 6 = 9 et 20 + 9 = 29.
Fig. 5 c : La croix centrale représente le chiffre 8, lequel multiplié par le
nombre 12 des dentelures donne :
12 x 8 - 96.
La croix, les huit barres et les quatre points du motif central représentent
le nombre 20.
96 + 20 = 116.

De nombreux poids ont leur valeur exprimée de cette façon, par


des chiffres indiqués sans ordre apparent. C'est à l'initié de
coordonner les données et d'en comprendre . la signification. Le
déchiffrement et le classement révèlent que le système pondéral des
populations du Bénin est une adaptation fidèle de la table de
multiplication de Pythagore, qu'il suffit de dresser pour que tous les poids
anciens y trouvent leur place d'une façon parfaite.
Chaque poids est le produit de deux nombres, le plus souvent
inscrits sur lui. Certains cependant indiquent seulement le nombre
qui correspond à leur place dans l'une des séries. La lecture est
parfois simple, mais souvent difficile, ce qui tient à deux faits : d'une
part, les noirs ont une conception toute différente de la nôtre pour
la figuration numérique et pour la représentation du produit de deux
nombres. Le zéro n'existe pas ; composer en graphie un nombre
DÉCHIFFREMENT DES POIDS A PESER L*OR 109L

dépassant souvent plusieurs centaines et des unités est malaisé, et


le noir inscrit seulement sur ses poids les deux nombres à multiplier.
A l'usager de faire le calcul.
D'autre part, le noir se complait dans les choses cachées et
nombreux sont les secrets que seuls les initiés sont appelés à connaître.
Beaucoup de poids présentent cette difficulté d'interprétation,
et seuls les initiés pouvaient la surmonter. Il ne faut pas oublier
non plus que ces objets étaient personnels ; dans les transactions, le
propriétaire avait souvent intérêt à connaître seul, avec exactitude,
leur valeur pour avoir l'avantage sur un acheteur ou sur un vendeur,
moins averti que lui.
Tous les poids sont déchiffrables et l'on est plein d'admiration pour
le modeleur, qui a su employer tant d'ingéniosité à leur confection.
Pour les composer et les modeler, les difficultés à vaincre sont
nombreuses : exécution de la forme, poids exact à donner à la matière,
disposition compréhensible des signes qui permettent l'identification-
II n'existe pas deux objets identiques, et pour un même poids les
combinaisons sont très variés. Certains sont de véritables
chefs-d'œuvre. En plus de leur aspect agréable, on est surpris de découvrir en
les déchiffrant l'esprit qui a animé l'artiste dans la confection de son
œuvre.
L'identification peut être faite à l'aide du tableau suivant ou la
liste des unités est inscrite dans la lre colonne :
1-2-3-4 etc. 120 etc., tandis que la 2e
colonne indique la valeur en grammes. Les autres colonnes indiquent les
séries auxquelles peuvent appartenir les poids.

Takou grammes
1 0,219
2 0,438
10 2,190 10
42 ' 9,198 6 7 14 21

60 13,140 6 10 15

120 26,280 6 8 • io 12 15 20

234 51,246 6 9 13 18

702 153,800 6 9 13 18

780 170,820 6 10 12 13 15 20
110 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

En comparant les indications portées sur les poids et les


renseignements donnés par le tableau, l'identification est relativement
aisée.
Le système compliqué par l'usage de nombreux poids de 'valeurs
à peu près égales et de séries différentes a rendu l'identification des
signes et des poids très difficile.
Cette difficulté d'interprétation des signes explique l'existence
simultanée de poids représentatifs d'animaux et d'objets d'art.
Quelques poids figurines portent le signe distinctif des séries auxquels
ils appartiennent.
Les poids géométriques anciens étaient détenus par les notables,
qui de père en fils se révélaient le secret de leur interprétation.
Certains ont un aspect tout différent de ceux qui sont communément
employés et les signes qu'ils présentent sont bien plus nombreux.
Les dispositions des chiffres et symboles, relevés sur le poids de
la fig. 6g, font supposer qu'en plus de la valeur, qu'on y trouve
exprimée, il existe d'autres significations, cachées.
De nouvelles familles accédaient à la richesse et après avoir mis de
côté le nombre de cauris ou de manilles et d'or, que la coutume
prévoyait, le. chef d'une de ces familles déclarait un jour de fête qu'il
était riche, et étalait, comme les autres familles riches, sa fortune
aux regards de tous devant la porte de sa case. Mais ce nouveau
riche, n'avait pas nécessairement reçu l'initiation complète des anciens
du village, et dans son ignorance des choses cachées, commandait
au bijoutier une série de poids représentant par exemple le bélier,
voulant ainsi montrer à tous sa force et sa vitalité. Le bijoutier
confectionnait des objets exacts quant aux valeurs, sans aucun signe
secret.
En outre, nombreux étaient encore les acheteurs ambulants de
poudre d'or au début de ce siècle. Ils se servaient souvent de poids
faits de ferrailles et même composés simplement de petits cailloux.
Des objets de fabrication récente, imités souvent des anciens, ne
se conforment plus aux règles du système.
Il existe aussi des faux. Dans la région de Toumodi, ils portaient
un nom particulier : « Nzaga-Yeboe ».
L'exactitude du système a été vérifiée à l'aide de 400 poids environ,
dont 262 différents et 114 doubles ; 30 présentent les caractéristiques
d'une série bien déterminée, mais trop lourds ou trop légers pour
être classés avec certitude dans cette série ont été écartés. Tous ceux
qui ont été classés portent les caractères propres aux séries auxquels
ils appartiennent, et 130 d'entre eux, par la combinaison des chiffres,
indiquent leur valeur.
DÉCHIFFREMENT DES POIDS A PESER i/OR 111
En conclusion, le système pondéral des populations du Golfe du
Benin suit les règles suivantes :
1° A la base la graine Abrus Precatorius ;
2° L'unité, le « Ba », représente le poids de deux de ces graines,
et le « Takou » trois graines ;
3° La progression des poids est arithmétique et reproduit
fidèlement la- table de multiplication de Pythagore ;
4° Sur chaque poids sont indiqués soit sa valeur exacte, soit les
deux coordonnées qui situent la place du poids dans la table de
Pythagore, soit seulement le nombre indiquant sa place dans
la série, à laquelle il appartient ;
5° Les 27 premières séries étaient d'utilisation courante. Les
suivantes, plus rares, étaient détenues par les grands chefs locaux.
La connaissance et la possibilité d'identification de tous les poids
étaient certainement réservées à un nombre restreint d'initiés. Mais
leur utilisation étant très répandue, le nom et la valeur- d'un certain
nombre d'entre eux, une quarantaine environ, formaient un système
restreint, comprenant 7 séries.
Tous les poids existants, autres que cette quarantaine, prenaient
place entre les unités composant le système restreint, et étaient
appelés intermédiaires. Seuls les initiés étaient capables de les
identifier très exactement.
Dans la région de Dioïla, à la limite des pays Baoulé et Attyé, la
liste des poids est encore connue aujourd'hui par les notables, mais
les valeurs sont exprimées en grammes.
C'est ce système qu'a indiqué en partie Zeller et ses
prédécesseurs.

Ba ou Kpessaba 8. Ba-Mokué
Ba ou Dama . 9. Ba-Angounan
1. Ba 10. Ba-Bourou
2. Ba-Nyon 12. N'Zié-Nyon (Metteba)
3. Ba-Nsan 14. N'Zou-Nyon
4. Ba-Nan 16. Mokué-Nyon
5. Ba-Nou 18. N'Zié-Nsan
6. Ba-Zien 20. Assoba
7. Ba-N'Zou 21. N'Zou-Nsan

Le tableau présenté, pp. 112, 113 mentionne les poids connus.


Sur le tableau sont marqués de deux astérisques les noms de poids
connus de Zeller d'après les travaux de ses prédécesseurs en Pays
Ashanti et Akem, d'un astérisque les noms de poids des régions
Série 11 Série 12 Série 13 • Série 14 Série 15
Asse** Ase* 3
Essurbima**
Sowafa* 6 Fiasofa* As. Dommafa* 7
As. Bodom- As. Domma*
1/4 mofa Sowa* Fiaso* Assoba
11 12 13 14 15
Ensanne** As. Dwowa
As. Bodom- As-Nsano* Nsano* sum*
1 /2 mo* Kuabo Ndarasue Bandya-sue Anui-sue
22 24 26 28 30
Assan**
As- Asia* . As-Dwowa*
1 Takimansua* Assan Gbangbandya Bandya Anui
44 48 52 56 60
Gbangbandya-
2 Assan-Nyon Nyon Bandya-Nyon Anui-Nyon
88 96 104 112 120

3 Anui-N'san
132 144 156 180
4
176 192 224 240
5
220 240 260 280
6
312 336
7
336 364
8
352 416
9
468
10
440
12

14

16

18
936
20
Série 16 Série 17 Série 18 Série 19 Série 20 Série 21

Metaba** 8 Ak. Bodom-


Ak. Aghratwefa* Ak. Dommafa* 9 mofa* 10
Agyrauque** Ak. Domma* Ak: Bodom-
Ak. Agijiratwe Simbari-fan mo
16 17 18 19 20 21
Egwa Surre**
Ak. Dwowasuru* Sum* Verте surre
Tra Simbari Pere sum Bari
32 34 36 40 42
Egwa (Egura)** Asjan**
Ak. Dwowa* Gua ba Osua* Anan ba
Gua zien Anan zien , Tya-sue
64 68 72. 76 84 80
Eggub'Abien** Dwowa na
Dwowa na mie- Gua-nyon Asuanu* Anan-nyon mienu ne
nu* meteba Anan-nyon meteba dwowasuru* Atakpi
Gua-nyon 128 136 144 152 160 168
Egwa Abiessan**
Egwa Abiessan* Asoasa*
Gua-N'san Anan-N'sané ' Ta
192 204 216 228 240 252
Benda**
Benna* Peredwane*
256 288 320 336
Tosua*
320 340 360
Ta suanu*
432

Nta nu*
576 640

576
Ntanu Asuanu*
640 720
Nta sa*
864

Bend Anan**
Benna Anin*
1024

1312
Bend Acqui**
Benna Amotwe*
2048
114 ' SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Agni et Baoulé, identifiés après déchiffrement. Ces derniers étaient


connus de Binger.
La liste du tableau n'est pas limitative. Il existe, en plus des poids
qui doivent compléter ces séries, de nombreux intermédiaires,
composant les séries 31-33-35-37 etc.
En pratique, chaque famille possédait une seule série, parfois
deux dont les éléments portaient souvent uniquement l'indication
• de leur place dans Tune de ces séries. Par exemple, sur un poids de
153 Ba, neuvième de la série 17 (17 x 9), le chiffre 9 seul était
représenté.
Le système pondéral, utilisé pendant des siècles par les
populations du Benin, remonte certainement à une haute antiquité. En le
comparant aux systèmes anciens, arrivera-t-on à en déceler Г origine ?
Mon intention est de continuer et de compléter cette étude. ,En
attendant, je serais heureux si le déchiffrement de ces poids et la
% connaissance de ce système pouvaient aider dans leurs travaux ceux
qui s'intéressent à la Civilisation Africaine et à ses origines.

H. Abel.

Vous aimerez peut-être aussi